T-451-20
2021 CF 1437
Kobold Corporation, Kobold Completions Inc., et 2039974 Alberta Ltd. (demanderesses/défenderesses reconventionnelles)
c.
NCS Multistage Inc. (défenderesse/demanderesse reconventionnelle)
Répertorié : Kobold c. NCS Multistage Inc.
Cour fédérale, juge Zinn—Par vidéoconférence, 29 septembre 2021; Ottawa, 17 décembre 2021 et 7 janvier 2022.
Note de l’arrêtiste : Les parties caviardées par la Cour sont indiquées par [***].
Brevets — Contrefaçon — Requête en jugement sommaire de la défenderesse/demanderesse reconventionnelle (la défenderesse) présentée, suivant la règle 213 des Règles des Cours fédérales, à l’égard de l’ensemble des questions soulevées dans les actes de procédure des demanderesses/défenderesses reconventionnelles (les demanderesses) concernant la contrefaçon de brevet — Les demanderesses et la défenderesse exercent des activités commerciales qui consistent à fournir de l’équipement à l’industrie pétrolière et gazière pour la fracturation hydraulique (aussi appelée « fracking » en anglais) — Dans la présente action, les demanderesses alléguaient que l’utilisation par la défenderesse de quatre de ses outils exclusifs dans la fracturation hydraulique a contrefait et continue de contrefaire le brevet canadien no 2919561 (le brevet '561) — La défenderesse a demandé que l’on règle le sort de l’action en faisant droit à sa défense fondée sur une utilisation antérieure visée à l’article 56 de la Loi sur les brevets — Le litige portait sur un assemblage de fond (AF), soit un outil utilisé pour préparer un puits en vue de l’exploitation — L’idée originale visée par le brevet ′561 consiste en un nouveau moyen d’équilibrer la pression dans un AF en tirant sur son élément d’étanchéité — La défenderesse fabrique et exploite un certain nombre d’AF, dont « Mongoose » et « Innovus » — Chacun de ces AF compte un dispositif appelé « Blue Bullet », que la défenderesse utilise depuis 2012 — L’AF Mongoose est en usage depuis 2012 — Les demanderesses ont admis que la défenderesse pouvait continuer de fabriquer et d’utiliser le Mongoose de 2012, mais elles affirmaient qu’il n’était pas possible pour la défenderesse de fabriquer et d’utiliser de nouveaux produits commerciaux, comme les trois autres AF — Selon l’expert des demanderesses, seul l’AF Innovus contrefait les revendications 9 et 12 du brevet ′561 — Les questions en litige étaient les suivantes : la question de savoir si l’affaire se prêtait à un jugement sommaire, l’interprétation qu’il convient de donner à l’article 56 de la Loi sur les brevets, l’interprétation qu’il convient de donner aux revendications du brevet ′561, la question de savoir si les produits ou activités de la défenderesse constituaient une contrefaçon du brevet ′561, et la question de savoir si la défenderesse pouvait invoquer l’article 56 de la Loi sur les brevets comme moyen de défense contre toute contrefaçon — Certains aspects de la demande et de la défense en l’espèce, mais pas tous, se prêtaient à un jugement sommaire — L’interprétation qui doit être donnée à l’article 56 de la Loi sur les brevets était une question qui se prêtait à un jugement sommaire — Il était également approprié d’interpréter les revendications du brevet ′561 dans le cadre de la présente requête en jugement sommaire — L’article donner 56 de la Loi sur les brevets est entré en vigueur le 13 décembre 2018 — La version actuelle de celui-ci doit être interprétée de manière à ce que les droits qu’il confère soient plus vastes qu’ils ne l’étaient dans sa version antérieure — Selon la version actuelle, un utilisateur antérieur a le droit de commettre un « acte » qui par ailleurs constituerait une contrefaçon, un droit beaucoup plus vaste qui couvre un ensemble de circonstances plus large que la simple vente ou utilisation d’un produit physique — Selon le nouveau texte législatif, l’utilisation d’un procédé breveté correspond à une utilisation antérieure — Concernant l’interprétation qu’il convient de donner aux revendications du brevet ′561, les demanderesses ont affirmé à juste titre que le témoin expert n’avait commis aucune erreur dans son interprétation des revendications indépendantes du brevet ′561 — Le rédacteur du brevet ′561 a utilisé une terminologie uniforme dans l’ensemble des revendications indépendantes — Les arguments de la défenderesse sur le principe de la différenciation des revendications et sur le mot [traduction] « fixé » utilisé dans le mémoire descriptif étaient erronés — Concernant la question de savoir si les produits ou activités de la défenderesse constituaient une contrefaçon du brevet ′561, la preuve en l’espèce ne permettait pas qu’on se prononce sur la contrefaçon dans le cadre de la requête ou d’un procès sommaire — La preuve ne permettait pas d’établir clairement si les AF de la défenderesse constituaient une contrefaçon du brevet ′561 — La preuve au sujet de questions techniques liées à l’équilibrage en particulier étant contradictoire ou insuffisante, la question de savoir si les AF de la défenderesse constituaient une contrefaçon du brevet ′561 ne se prêtait pas à un jugement sommaire ou à un procès sommaire — Concernant le recours, par la défenderesse, au moyen de défense contre toute contrefaçon fondé sur l’article 56 de la Loi sur les brevets, la défenderesse ne pouvait invoquer les paragraphes 56(6) et (9) de cette loi — Il était manifeste que les paragraphes 56(6) et (9) de la Loi sur les brevets visent à protéger les tiers qui achètent des articles ou les services d’autres personnes — Rien dans la preuve ne démontrait que la défenderesse achetait des services auprès d’autres fournisseurs; rien dans la preuve ne permettait d’établir qu’elle se procurait l’élément Blue Bullet auprès d’un tiers — Vu que la preuve présentée par la défenderesse ne donnait pas ouverture aux moyens de défense fondés sur les paragraphes 56(6) et (9) de la Loi sur les brevets, il était approprié de rendre un jugement sommaire sur la question de savoir si ces dispositions s’appliquaient — Ces moyens de défense ont été rejetés — En outre, compte tenu des circonstances de l’espèce, il était nécessaire de décider lesquels des actes de la défenderesse constitueraient une contrefaçon du brevet ′561; par conséquent, une analyse de la contrefaçon était nécessaire afin de savoir quels actes devaient faire l’objet d’une comparaison — La preuve ne permettait pas de savoir quels actes commis par la défenderesse constituaient une contrefaçon du brevet ′561 — Par conséquent, la requête a été rejetée en ce qui concerne le recours, par la défenderesse, au moyen de défense fondé sur le paragraphe 56(1) de la Loi sur les brevets — Ce point devait être examiné dans le cadre de l’instruction de l’action — Requête accueillie en partie.
Pratique — Jugements et ordonnances — Jugement sommaire — Les demanderesses/défenderesses reconventionnelles (les demanderesses) et la défenderesse/demanderesse reconventionnelle (la défenderesse) exercent des activités commerciales qui consistent à fournir de l’équipement à l’industrie pétrolière et gazière pour la fracturation hydraulique (aussi appelée « fracking » en anglais) — Dans la présente action, les demanderesses ont allégué que l’utilisation par la défenderesse de quatre de ses outils exclusifs dans la fracturation hydraulique avait contrefait et continuait de contrefaire le brevet canadien no 2919561 (le brevet ′561) — Il s’agissait de savoir si la présente affaire se prêtait à un jugement sommaire ou à un procès sommaire — La règle 215 des Règles des Cours fédérales donne à la Cour des directives claires en ce qui concerne les requêtes en jugement sommaire — La Cour rend un jugement sommaire si elle est convaincue qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse — En l’espèce, certains aspects de la demande et de la défense, mais pas tous, se prêtaient à un jugement sommaire — L’interprétation qui doit être donnée à l’article 56 de la Loi sur les brevets était une question qui se prêtait à un jugement sommaire — En outre, il était approprié d’interpréter les revendications du brevet ′561 dans le cadre de la présente requête en jugement sommaire — Toutefois, certaines parties de la demande et de la défense ne pouvaient être tranchées en fonction de la preuve; par conséquent, elles devaient être tranchées dans le cadre de l’instruction de l’action.
Il s’agissait d’une requête en jugement sommaire présentée par la défenderesse/demanderesse reconventionnelle (la défenderesse), suivant la règle 213 des Règles des Cours fédérales, à l’égard de l’ensemble des questions soulevées dans les actes de procédure des demanderesses/défenderesses reconventionnelles (les demanderesses) concernant la contrefaçon de brevet. Les demanderesses et la défenderesse exercent des activités commerciales qui consistent à fournir de l’équipement à l’industrie pétrolière et gazière pour la fracturation hydraulique (aussi appelée « fracking » en anglais). Dans la présente action, les demanderesses allèguent que l’utilisation par la défenderesse de quatre de ses outils exclusifs dans la fracturation hydraulique a contrefait et continue de contrefaire le brevet canadien no 2919561 (le brevet ′561). La défenderesse a demandé qu’on règle le sort de l’action en faisant droit à sa défense fondée sur une utilisation antérieure visée à l’article 56 de la Loi sur les brevets. Elle a dit que si elle avait gain de cause, elle se désisterait de sa demande reconventionnelle.
La fracturation hydraulique consiste en une méthode d’extraction de pétrole et de gaz naturel. Le présent litige portait sur un assemblage de fond (AF), un outil utilisé pour préparer un puits en vue de l’exploitation. L’idée originale visée par le brevet ′561 consiste en un nouveau moyen d’équilibrer la pression dans un AF en tirant sur son élément d’étanchéité, afin que cet élément se sépare de la paroi d’un puits, produise un passage annulaire entre sa partie extérieure et la paroi et qu’un fluide puisse y passer. La défenderesse fabrique et exploite un certain nombre d’AF. Les quatre AF visés par le présent litige sont appelés « Mongoose », « Shift Frac Close » (SFC), « Shift Frac Close 2 » (SFC 2) et « Innovus ». Selon la preuve, chacun de ces AF compte une garniture d’étanchéité partiellement constituée d’un dispositif appelé « Blue Bullet », et chacun d’eux doit être utilisé d’après une valeur d’égalisation qui cause un relâchement de la pression de fluide et un dégagement de leur garniture d’étanchéité. Il semblerait que la garniture d’étanchéité des AF de la défenderesse comporterait un élément Blue Bullet depuis 2012. Les AF de la défenderesse comprennent un élément Blue Bullet depuis 2012, mais d’autres versions de ce dispositif ont été conçues au fil du temps. L’AF Mongoose est en usage depuis 2012. La preuve concernant les dates de la première utilisation des autres AF était imprécise, mais il semblait qu’ils aient été utilisés après le Mongoose. À l’audience, les demanderesses ont admis que la défenderesse pouvait continuer de fabriquer et d’utiliser le Mongoose de 2012 (vraisemblablement en raison de l’article 56 de la Loi sur les brevets), mais elles ont affirmé qu’il n’était pas possible pour la défenderesse de fabriquer et d’utiliser de nouveaux produits commerciaux, comme les trois autres AF.
Selon l’expert des demanderesses dans la présente instance, les quatre AF de la défenderesse sont visés par les revendications 1 et 15 du brevet ′561, mais seul l’AF Innovus contrefait les revendications 9 et 12, car tous les AF de la défenderesse sont utilisés grâce à des épaulements qui fonctionnent conjointement, si bien que leur élément d’étanchéité n’est pas fixé au mandrin. Il a cependant affirmé que, dans le cas de l’AF Innovus, malgré la présence d’épaulements qui fonctionnent conjointement, une vis de pression figure entre l’anneau d’étanchéité et le mandrin, afin de les fixer l’un à l’autre.
Les tribunaux n’avaient pas encore eu l’occasion d’interpréter l’article 56 de la Loi sur les brevets : la question de savoir si cette disposition constitue un moyen de défense opposable dans une action en contrefaçon de brevet a été examinée pour la première fois. Les questions en litige étaient les suivantes : la question de savoir si l’affaire se prêtait à un jugement sommaire, l’interprétation qu’il convient de donner à l’article 56 de la Loi sur les brevets, l’interprétation qu’il convient de donner aux revendications du brevet ′561, la question de savoir si les produits ou activités de la défenderesse constituaient une contrefaçon du brevet ′561, et la question de savoir si la défenderesse pouvait invoquer l’article 56 de la Loi sur les brevets comme moyen de défense contre toute contrefaçon.
Jugement : la requête doit être accueillie en partie.
La règle 215 des Règles des Cours fédérales donne à la Cour des directives claires en ce qui concerne les requêtes en jugement sommaire. La Cour rend un jugement sommaire si elle est convaincue qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse (paragraphe 215(1)). Lorsque la seule véritable question litigieuse est un point de droit, la Cour peut statuer sur celui-ci et rendre un jugement sommaire en conséquence (alinéa 215(2)b)). Lorsque la Cour est convaincue qu’il existe une véritable question litigieuse, elle peut tout de même trancher cette question par voie de procès sommaire, ou rejeter la requête en tout ou en partie; elle peut ordonner que l’action ou toute question litigieuse non tranchée par jugement sommaire soit instruite, ou que l’action se poursuive à titre d’instance à gestion spéciale (paragraphe 215(3)). Le fardeau d’établir l’inexistence d’une véritable question litigieuse est lourd et un jugement sommaire ne devrait être rendu que dans les cas les plus évidents. En l’espèce, certains aspects de la demande et de la défense, mais pas tous, se prêtaient à un jugement sommaire. L’interprétation qui doit être donnée à l’article 56 de la Loi sur les brevets était une question de droit distincte qui pouvait être tranchée sans tenir compte des questions factuelles en cause : il s’agissait d’une question qui se prêtait à un jugement sommaire. En outre, il était approprié d’interpréter les revendications du brevet ′561 dans le cadre de la présente requête en jugement sommaire. Certaines parties de la demande et de la défense ne pouvaient être tranchées en fonction de la preuve dont la Cour disposait et, par conséquent, elles devaient être tranchées dans le cadre de l’instruction de l’action.
L’article 56 de la Loi sur les brevets, dans son libellé actuel, est entré en vigueur le 13 décembre 2018. Cette disposition ne s’applique que lorsque l’action ou la procédure relative à un brevet délivré à la suite d’une demande dont la date de dépôt est le 1er octobre 1989, ou après cette date, est intentée le 29 octobre 2018, ou après cette date. Les paragraphes 56(1), (6) et (9) de la Loi sur les brevets étaient en cause dans le présent litige. La version actuelle de l’article 56 doit être interprétée de manière à ce que les droits qu’il confère soient plus vastes qu’ils ne l’étaient dans sa version antérieure. En particulier, il confère à un utilisateur antérieur le droit de commettre un « acte » qui par ailleurs constituerait une contrefaçon. Ce droit est beaucoup plus vaste et couvre un ensemble de circonstances plus large que la simple vente ou utilisation d’un produit physique. Selon le nouveau texte législatif, l’utilisation d’un procédé breveté correspond à une utilisation antérieure. Le mot « acte » utilisé au paragraphe 56(1) devrait être interprété à la lumière de l’article 42 de la Loi sur les brevets, selon lequel tout brevet accorde au breveté le droit exclusif « de fabriquer, construire, exploiter et vendre [l’objet de l’invention] à d’autres, pour qu’ils l’exploitent ». Ces actes sont ceux que protège le paragraphe 56(1). Deuxièmement, selon la version anglaise antérieure du paragraphe 56(1), la protection était limitée à la vente ou à l’utilisation d’une manifestation physique [traduction] « en particulier » (specific) de l’invention. La version actuelle du paragraphe 56(1) protège plutôt, dans les deux langues, le fait pour une personne de commettre « le même acte » (the same act) qui par ailleurs constituerait une contrefaçon. Enfin, la version actuelle du paragraphe 56(1) accorde une protection non seulement aux personnes qui ont commis un acte de contrefaçon avant la date de revendication, mais aussi aux personnes qui « [ont] fait […] des préparatifs effectifs et sérieux en vue de commettre un tel acte ». Les paragraphes 56(6) et (9) traitent de l’utilisation d’un article ou d’un service acheté. Ils semblent conçus pour accorder à des tiers les droits d’un utilisateur antérieur. La version antérieure de la Loi sur les brevets ne comprenait aucune disposition équivalente. Suivant le paragraphe 56(1), bien que l’utilisateur antérieur puisse, relativement à d’autres aspects qui ne constituent pas une contrefaçon supplémentaire du brevet, ajouter des éléments à l’invention ou l’altérer, il ne peut modifier ou altérer la partie pertinente de l’invention (c.-à-d. liée à l’idée originale), et ce, même si ces modifications constituent, de la même manière, une contrefaçon quant à l’idée originale. Dans le cadre de l’examen d’un moyen de défense fondé sur paragraphe 56(1), il faut premièrement chercher à savoir si les actes commis avant et après la date de revendication sont identiques (mis à part les modifications entièrement non fonctionnelles, comme la couleur). Dans l’affirmative, il n’est pas nécessaire d’examiner s’il y a contrefaçon, car le paragraphe 56(1) fournit dans tous les cas un moyen de défense contre toute contrefaçon éventuelle. Deuxièmement, si les actes ne sont pas identiques, il faut chercher à savoir s’ils constituent une contrefaçon du brevet et, le cas échéant, quelles revendications sont visées. Si les actes postérieurs à la date de revendication ne constituent pas une contrefaçon du brevet, aucun « acte qui par ailleurs constituerait une contrefaçon » n’est commis et, par conséquent, il n’est pas nécessaire d’invoquer le paragraphe 56(1). Si les actes antérieurs à la date de revendication ne constituent pas une contrefaçon du brevet, le paragraphe 56(1) ne peut s’appliquer. Si les actes commis après la date de revendication constituent une contrefaçon d’une revendication particulière du brevet et que ce n’est pas le cas pour les actes commis avant cette date, le paragraphe 56(1) ne peut s’appliquer. Enfin, lorsque les actes antérieurs et postérieurs à la date de revendication ne sont pas identiques mais qu’ils contrefont uniquement les mêmes revendications, il faut chercher à savoir si les modifications se rapportent à l’idée originale du brevet. Si ce n’est pas le cas, le paragraphe 56(1) constitue un moyen de défense. Ce n’est que dans les cas les plus clairs, lorsque les actes commis avant la date de revendication sont identiques à ceux commis après cette date, qu’il est inutile d’interpréter les revendications du brevet ou d’effectuer une analyse de la contrefaçon. De tels cas se prêteraient particulièrement bien à un jugement sommaire.
En ce qui concerne l’interprétation qu’il convient de donner aux revendications du brevet ′561, la défenderesse a notamment soutenu que le témoin expert des demanderesses avait donné une interprétation erronée du terme [traduction] « fixé » employé dans les revendications 9 et 12 du brevet ′561, lesquelles étaient à son avis contrefaites par la garniture d’étanchéité de l’Innovus, mais pas par les autres garnitures d’étanchéité. Les demanderesses ont affirmé à juste titre que le témoin expert n’avait commis aucune erreur dans son interprétation des revendications indépendantes du brevet ′561. Les principes qui s’appliquent à l’interprétation des revendications et le mémoire descriptif du brevet ′561 appuyaient la distinction que le témoin expert a faite entre les mots [traduction] « fixé » et [traduction] « connecté ». Le rédacteur du brevet ′561 a utilisé une terminologie uniforme dans l’ensemble des revendications indépendantes. Il y avait donc lieu de présumer que lorsqu’il ne l’a pas fait, il voulait que les termes aient un sens différent. Les arguments de la défenderesse sur le principe de la différenciation des revendications et sur le mot [traduction] « fixé » utilisé dans le mémoire descriptif étaient erronés.
Concernant la question de savoir si les produits ou activités de la défenderesse constituaient une contrefaçon du brevet ′561, la preuve en l’espèce ne permettait pas qu’on se prononce sur la contrefaçon dans le cadre de la requête ou d’un procès sommaire. La preuve ne permettait pas d’établir clairement si les AF de la défenderesse constituaient une contrefaçon du brevet ′561. Le texte des revendications de ce brevet indique qu’une traction exercée sur l’élément d’étanchéité produit un passage annulaire à travers lequel un fluide peut circuler, afin d’égaliser la pression. Par conséquent, il y a contrefaçon uniquement lorsque la traction crée un passage annulaire qui entraîne une égalisation de pression, et ce, même si les procédures de la défenderesse entraînent une traction de l’élément d’étanchéité. Étant donné que les AF de la défenderesse comportent des soupapes d’égalisation, le passage annulaire ne provoque aucune égalisation de pression si les soupapes égalisent la pression avant la formation du passage et il n’y a aucune contrefaçon. Le mémoire descriptif du brevet ′561 montre clairement qu’un passage annulaire n’est pas produit immédiatement après la traction de l’élément d’étanchéité. Le processus de création d’un passage annulaire dure un certain temps. Il est tout à fait possible que dans un dispositif doté d’une soupape d’égalisation, l’équilibrage s’opère avant la formation d’un passage annulaire. La preuve au sujet du temps requis pour que l’équilibrage s’effectue était contradictoire. La preuve présentée dans le cadre de la requête ne permettait pas de savoir combien de temps est nécessaire pour équilibrer la pression au moyen d’une soupape d’égalisation. Vu qu’on ne savait pas avec certitude combien de temps est nécessaire pour qu’un passage annulaire se forme au moyen d’une traction exercée sur l’élément d’étanchéité, il était difficile de dire si l’équilibrage se serait déjà achevé avant la formation du passage annulaire. Par conséquent, la question de savoir si les AF de la défenderesse constituent une contrefaçon du brevet ′561 ne se prêtait pas à un jugement sommaire ou à un procès sommaire.
Quant à la question de savoir si la défenderesse pouvait invoquer l’article 56 de la Loi sur les brevets comme moyen de défense contre toute contrefaçon, elle ne pouvait invoquer les paragraphes 56(6) et (9) de la Loi sur les brevets. Il était manifeste que les paragraphes 56(6) et (9) de la Loi sur les brevets visent à protéger les tiers qui achètent des articles ou les services d’autres personnes. S’agissant du paragraphe 56(9), rien dans la preuve ne démontrait que la défenderesse avait acheté des services auprès d’autres fournisseurs : selon la preuve, la défenderesse exploitait elle-même les services. Les clients de la défenderesse peuvent certes invoquer le paragraphe 56(9), mais la défenderesse ne le peut pas. S’agissant du paragraphe 56(6), rien dans la preuve ne permettait d’établir que la défenderesse se procurait l’élément Blue Bullet auprès d’un tiers. Elle n’a pas identifié un tel tiers. Rien ne justifiait qu’une partie puisse tirer du paragraphe 56(6) des droits plus généreux simplement parce qu’elle avait choisi d’externaliser la production de dispositifs qu’elle a conçus. En l’espèce, étant donné qu’aucun élément de preuve concernant le fabricant tiers n’avait été produit, il ne pouvait être inféré que ce tiers n’existait pas. En outre, le paragraphe 56(6) ne s’appliquait pas parce que l’exploitation de l’élément Blue Bullet ne correspondait pas à l’acte susceptible de constituer une contrefaçon. Vu que la preuve présentée par la défenderesse ne donnait pas ouverture aux moyens de défense fondés sur les paragraphes 56(6) et (9) de la Loi sur les brevets, il était approprié de rendre un jugement sommaire sur la question de savoir si ces dispositions s’appliquaient. Ces moyens de défense ont été rejetés. Il était nécessaire de décider dans le cas où les actes commis par la défenderesse avant la date de revendication du brevet ′561 n’étaient pas identiques à ceux commis après cette date, lesquels constitueraient une contrefaçon du brevet ′561. Il ne s’agissait pas d’une affaire où aucune modification n’avait été apportée aux actes commis par la défenderesse : il était donc nécessaire d’effectuer une analyse de la contrefaçon afin de savoir quels actes devaient faire l’objet d’une comparaison. La preuve ne permettait pas de savoir quels actes commis par la défenderesse constituaient une contrefaçon du brevet ′561. Il était aussi nécessaire, selon le paragraphe 56(1), que les actes soient liés à l’idée originale du brevet. Il était manifeste que l’idée originale du brevet ′561 est la connexion entre l’élément d’étanchéité et le mandrin, de sorte que, lorsqu’on exerce une traction sur le mandrin, une traction est également exercée sur l’élément d’étanchéité, formant ainsi un passage annulaire qui égalise la pression. La vis de pression supplémentaire de la défenderesse dans l’AF Innovus et l’ajout d’un anneau fendu à l’AF SFC 2 se rapportaient tous deux à la connexion entre le mandrin et l’élément d’étanchéité, qui fait partie de l’idée originale du brevet ′561. Il n’y avait aucune raison impérieuse de ne pas tenir compte du témoignage de l’expert selon lequel la vis de pression fixe l’élément d’étanchéité au mandrin de l’AF Innovus. Par conséquent, la requête a été rejetée en ce qui concerne le recours, par la défenderesse, au moyen de défense fondé sur le paragraphe 56(1) de la Loi sur les brevets. Ce point devait être examiné dans le cadre de l’instruction de l’action.
En conclusion, un jugement sommaire a été rendu sur les points suivants : l’interprétation de l’article 56 de la Loi sur les brevets, l’interprétation du brevet ′561 et l’impossibilité d’invoquer les moyens de défense fondés sur les paragraphes 56(6) et (9) de la Loi sur les brevets. Vu que la demanderesse a admis que la défenderesse pouvait continuer de fabriquer et d’utiliser le Mongoose, la demande a été rejetée quant à ce dispositif. Un jugement sommaire n’a pas été rendu sur les questions liées à la contrefaçon et à l’application du paragraphe 56(1) de la Loi sur les brevets aux faits de l’espèce.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Loi no 2 d’exécution du budget de 2018, L.C. 2018, ch. 27, sommaire.
Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 42, 56.
Patents Act 1977 (R.-U.), 1977, ch. 37, art. 64(1).
Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 213, 215.
JURISPRUDENCE CITÉE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Premakumaran c. Canada, 2006 CAF 213, [2007] 2 R.C.F. 191; Apotex Inc. c. Merck & Co., 2002 CAF 210, [2003] 1 C.F. 242.
DÉCISIONS EXAMINÉES :
Louis Vuitton Malletier S.A. c. Singga Enterprises (Canada) Inc., 2011 CF 776, [2013] 1 R.C.F. 413; Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc., 2006 CAF 323, [2007] 3 R.C.F. 588; Lubrizol Corporation v. Esso Petroleum Co. Ltd., [1997] R.P.C. 195 (C.A. Ang.); Forticrete Ltd. v. Lafarge Roofing Ltd., [2005] EWHC 3024 (Ch.).
DÉCISIONS MENTIONNÉES :
Kobold Corporation v. NCS Multistage Inc., 2021 FC 742; Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 R.C.S. 87; CanMar Foods Ltd. c. TA Foods Ltd., 2021 CAF 7, [2021] 1 R.C.F. 799; Watson c. Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien), 2017 CF 321; Western Electric Co., Inc., et al. v. Baldwin International Radio of Canada, [1934] R.C.S. 570; Halford c. Seed Hawk Inc., 2001 CFPI 1154; GlaxoSmithKline Inc. c. Pharmascience Inc., 2011 CF 239; Kirkbi Ag c. Gestion Ritvik Inc., [1998] A.C.F. no 912 (QL) (1re inst.).
DOCTRINE CITÉE
Canadian Oxford Dictionary, 2e éd. Toronto : Oxford University Press, 2004, « same ».
Robert, Paul, Le Petit Robert : dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Alain Rey et Josette Rey-Debove, dir., Paris: Le Robert, 2022, « même ».
REQUÊTE en jugement sommaire présentée par la défenderesse/demanderesse reconventionnelle, suivant la règle 213 des Règles des Cours fédérales, à l’égard de l’ensemble des questions soulevées dans les actes de procédure des demanderesses/défenderesses reconventionnelles concernant la contrefaçon de brevet portant sur des outils de fracturation hydraulique. Requête accueillie en partie.
ONT COMPARU :
William D. Regan, Christopher J. Kvas, Evan Reinblatt et Rachel Meland pour les demanderesses/défenderesses reconventionnelles.
Patrick Smith, Sharn Mashiana et Mike Myschyshyn pour la défenderesse/demanderesse reconventionnelle.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Piasetzki Nenniger Kvas LLP, Toronto, pour les demanderesses/défenderesses reconventionnelles.
Seastone IP LLP, Calgary, pour la défenderesse/demanderesse reconventionnelle.
(Jugement et motifs confidentiels rendus le 17 décembre 2021)
Ce qui suit est la version française des motifs publics du jugement et du jugement rendus par
Le juge Zinn :
I. Introduction
[1] Les demanderesses (Kobold) et la défenderesse (NCS) exercent toutes deux des activités commerciales qui consistent à fournir de l’équipement à l’industrie pétrolière et gazière pour la fracturation hydraulique (aussi appelée « fracking » en anglais). Dans la présente action, Kobold allègue que l’utilisation par NCS de quatre de ses outils exclusifs dans la fracturation hydraulique a contrefait et continue de contrefaire le brevet canadien no 2919561 (le brevet ′561).
[2] NCS présente une requête en jugement sommaire à l’égard de l’ensemble des questions soulevées dans les actes de procédure, suivant la règle 213 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles). NCS demande à la Cour de régler le sort de l’action en faisant droit à sa défense fondée sur une utilisation antérieure visée à l’article 56 de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4. Elle dit que si elle a gain de cause, elle se désistera de sa demande reconventionnelle.
[3] Dans les présents motifs, j’examine d’abord 1) le procédé de fracturation hydraulique, 2) le brevet ′561, 3) les outils ou dispositifs de NCS qui sont en cause, et 4) le témoignage de l’expert de Kobold, M. Fleckenstein, Ph. D. J’analyse ensuite les questions en litige que soulève la présente affaire : 1) la question de savoir si l’affaire se prête à un jugement sommaire, 2) l’interprétation qu’il convient de donner à l’article 56 de la Loi sur les brevets, 3) l’interprétation du brevet ′561, 4) la question de savoir si les produits ou activités de NCS constituent une contrefaçon du brevet ′561, et 5) la question de savoir si NCS peut invoquer l’article 56 de la Loi sur les brevets comme moyen de défense dans la présente action.
II. Les faits
A. La fracturation hydraulique
[4] La fracturation hydraulique consiste en une méthode d’extraction de pétrole et de gaz naturel. Aux paragraphes 27 à 37 de l’affidavit de l’expert du demandeur, M. William W. Fleckenstein, figure une description assez détaillée de cette technique, description qui n’est pas remise en question et qui concorde avec celle que les avocats de NCS ont présentée. En voici un résumé.
[5] Des hydrocarbures (pétrole, gaz naturel, etc.) reposent dans des formations, sous la surface de la Terre. Pour extraire ces ressources, il faut forer des puits et, parfois, pour en faciliter l’extraction, il faut recourir à des traitements supplémentaires, comme la fracturation, laquelle implique généralement le pompage sous haute pression d’importantes quantités de fluide dans les puits.
[6] Après un forage vertical, on peut devoir forer horizontalement pour stimuler une formation en de multiples étapes, habituellement depuis l’avant d’une latérale horizontale, soit le point le plus éloigné de la verticale d’un puits, vers sa partie arrière.
[7] Le présent litige porte sur un assemblage de fond (AF), soit un outil qu’on enfonce dans un puits jusqu’à une zone d’intérêt (soit une zone sous une formation, depuis laquelle un exploitant souhaite extraire du pétrole ou du gaz), afin d’en préparer l’exploitation. L’un des composants d’un AF consiste en sa garniture d’étanchéité, laquelle sert à sceller un puits, afin qu’aucun fluide ne s’en échappe.
[8] La garniture d’étanchéité comporte des ancrages conçus pour la fixer à la paroi du puits. Celle visée par le présent litige est également munie d’un élément élastomère élastique qui, lorsqu’il est comprimé, prend suffisamment d’expansion vers l’extérieur pour rendre le puits étanche et empêcher tout fluide de s’écouler hors de la zone d’intérêt. Pour comprimer l’élément élastomère, on ancre la garniture et continue d’enfoncer l’AF dans le puits. Grâce à l’ancrage, certains éléments de la garniture sont maintenus en place, tandis que d’autres peuvent se déplacer, poussant ainsi l’élément élastomère dans ceux qui sont immobilisés, afin de le comprimer.
[9] Une fois la garniture d’étanchéité en place et le puits étanche, un fluide de fracturation est injecté sous haute pression dans le puits, afin de comprimer davantage l’élément élastomère et d’accroître l’étanchéité de fond du forage.
[10] Un fluide de fracturation peut s’infiltrer de diverses manières dans une formation. Dans certains cas, la pression du fluide sert à traverser la paroi d’un puits jusqu’à une zone d’intérêt, afin de produire des orifices permanents dans le tubage, et dans d’autres, des orifices sont mis en place dans le tubage. Avec un AF, on peut ouvrir des orifices pour laisser le fluide traverser la paroi. Parfois, des orifices peuvent être fermés lorsque la garniture d’étanchéité s’est déplacée.
[11] Après l’injection d’un fluide, la garniture d’étanchéité doit être dégagée en comprimant son élément élastomère et en dégageant ses ancrages. Cependant, il faut préalablement équilibrer les pressions exercées au-dessus et en dessous de celle-ci, car elles diffèrent sensiblement. Pour ce faire, les documents de l’art antérieur prévoient habituellement l’installation d’une soupape d’égalisation sur l’élément élastomère ou la création d’un passage au milieu de l’outil, afin que le fluide y circule et équilibre les pressions. Le brevet ′561 porte sur une nouvelle méthode d’égalisation de pression qui consiste à exercer une traction sur l’élément d’étanchéité.
[12] Une fois la garniture d’étanchéité dégagée, l’AF peut être déplacé jusqu’à la zone d’intérêt suivante. Lorsque des orifices permanents ont été créés ou ne peuvent être fermés, l’achèvement doit commencer par l’avant du puits et se poursuivre jusqu’à sa partie arrière, afin qu’aucun fluide ne s’échappe par des orifices précédemment ouverts et n’entraîne ainsi une perte de pression. Lorsque les orifices peuvent être fermés, le problème ne se pose pas. Les orifices refermables constituent donc un atout étant donné qu’ils permettent la fracturation d’une zone d’intérêt dans n’importe quel ordre et une nouvelle fracturation de zones précédemment traitées.
B. Le brevet ′561
[13] L’idée originale visée par le brevet ′561 consiste en un nouveau moyen d’équilibrer la pression dans un AF en tirant sur son élément d’étanchéité, afin que cet élément se sépare de la paroi d’un puits, produise un passage annulaire (en forme d’anneau) entre sa partie extérieure et la paroi et qu’un fluide puisse y passer.
[14] La revendication indépendante 1 du brevet ′561 est libellée comme suit :
[traduction]
1. Méthode d’achèvement de puits de forage qui comprend :
l’insertion dans un puits d’un outil d’achèvement doté d’une garniture d’étanchéité qui peut être scellée à nouveau et qui comporte :
un élément d’étanchéité élastomère annulaire;
un ancrage conçu pour fixer l’élément d’étanchéité dans le puits;
un mandrin autour duquel l’élément d’étanchéité élastomère est installé et au moins connecté par une extrémité de traction, ainsi qu’un logement dans lequel le mandrin est déplaçable de manière axiale et télescopique;
la disposition de l’élément d’étanchéité sous une zone d’intérêt, dans le puits;
la compression axiale de l’élément d’étanchéité élastomère, afin de créer un engagement d’étanchéité avec le puits, de même que l’actionnement de l’ancrage grâce au déplacement axial du mandrin vers le logement;
le traitement de la zone d’intérêt au-dessus de l’élément d’étanchéité élastomère comprimé, afin d’exercer une pression différentielle transversale sur cet élément et après celui-ci;
l’application d’une tension axiale sur l’extrémité de traction de l’élément d’étanchéité élastomère pour au moins retirer cette extrémité en éloignant le mandrin du logement de façon axiale, pour créer un passage annulaire entre l’élément d’étanchéité élastomère et le puits, pour équilibrer la pression exercée au-dessus de l’élément d’après celle produite en dessous de celui-ci, ainsi que pour éliminer l’engagement d’étanchéité rattachant la garniture d’étanchéité au puits.
[15] Une grande partie de la méthode décrite dans cette revendication reprend l’art antérieur connu susmentionné; ses aspects nouveaux concernent le fait de tirer sur l’élément d’étanchéité pour créer un passage annulaire.
[16] La méthode visée dans la revendication 1 repose sur l’usage d’une garniture d’étanchéité refermable (réutilisable à de multiples reprises) dotée d’un élément d’étanchéité élastomère, d’un ancrage, de même que d’un mandrin et d’un logement. Le mandrin consiste en un cylindre légèrement profilé qui, dans la garniture d’étanchéité visée par la revendication 1, se trouve dans un logement et peut être déplacé de manière télescopique (va-et-vient) dans le logement, dans l’axe de ce logement, comme un télescope qu’on déploie ou escamote.
[17] L’élément d’étanchéité élastomère est connecté au mandrin, et ce, au moins à son [traduction] « extrémité de traction », soit l’extrémité depuis laquelle, selon le mémoire descriptif, l’élément d’étanchéité est tiré aux fins de décompression.
[18] La garniture d’étanchéité est mise en place près d’une zone d’intérêt, le mandrin est poussé dans son logement, afin d’engager l’ancrage, de comprimer l’élément d’étanchéité et de sceller le puits, et, enfin, un fluide de fracturation est injecté, pour exercer une pression différentielle.
[19] Une fois le fluide injecté, le mandrin est retiré de son logement afin qu’il tire sur l’élément d’étanchéité, auquel il est connecté, ce qui permet de décomprimer cet élément, de former un passage annulaire à travers lequel le fluide peut s’écouler, puis d’équilibrer la pression.
[20] La revendication indépendante 9, laquelle est semblable à la revendication 1, se rapporte à une méthode d’égalisation des pressions respectivement exercées au-dessus et en dessous de l’élément d’étanchéité d’une garniture d’étanchéité. On y décrit la dernière étape figurant dans la revendication 1, mais, contrairement à cette dernière étape, la revendication 9 indique que l’extrémité de traction de l’élément d’étanchéité est [traduction] « fixée » au mandrin plutôt que [traduction] « connectée » à celui-ci.
[21] La revendication indépendante 12 est presque identique à la revendication 9. Toutefois, plutôt que de renvoyer à une méthode d’égalisation de la pression, elle vise une technique de protection de l’élément d’étanchéité. Le mémoire descriptif du brevet ′561 indique que des débris peuvent s’accumuler dans un puits de forage après des travaux de fracturation. Selon le brevet ′561, la formation d’un passage annulaire autour d’un élément d’étanchéité peut réduire les risques que des débris ne l’endommagent. Comme dans la revendication 9, on indique dans la revendication 12 que l’extrémité de traction de l’élément d’étanchéité est [traduction] « fixée » au mandrin.
[22] La revendication indépendante 15, laquelle renvoie à un outil d’égalisation de pression, est en grande partie identique à la revendication 9 (méthode d’égalisation de pression), mais, comme dans le cas de la revendication 1, on y décrit un mandrin et une extrémité de traction d’élément d’étanchéité qui sont [traduction] « connectés », plutôt que [traduction] « fixés » l’un à l’autre.
[23] Bien que la plupart des revendications dépendantes ne soient pas pertinentes en l’espèce, quatre d’entre elles suscitent un intérêt : les revendications 8, 11, 14 et 29 sont dépendantes des revendications 1, 9, 12 et 15, respectivement. Dans les revendications 8 et 29, on traite d’un anneau qui est [traduction] « fixé » à l’extrémité supérieure d’un élément d’étanchéité (soit l’extrémité la plus rapprochée de l’entrée d’un puits) et rattaché à un mandrin par un filetage. Dans la revendication 8, on dit que l’anneau est [traduction] « connecté » à un mandrin par un filetage, tandis que dans la revendication 29, on dit que cet anneau est [traduction] « connecté de manière fonctionnelle ». Dans les revendications 11 et 14, on décrit une extrémité de traction d’élément d’étanchéité qui est [traduction] « fixée » à un mandrin par un filetage.
[24] La plupart des figures illustrées dans le brevet ′561 montrent des réalisations d’après lesquelles un élément d’étanchéité est rattaché à un anneau qui est lui-même rattaché à un mandrin par un filetage. Cependant, outre les exemples de mandrin rattaché à un anneau par un filetage, il existe un exemple d’utilisation fondée sur des [traduction] « épaulements qui fonctionnent conjointement » sur un mandrin et un anneau, épaulements qui sont illustrés à la figure 8 du brevet ′561 (éléments 86 et 88).
[25] La poussée télescopique d’un mandrin dans un logement accroît l’espace entre les épaulements connexes et permet de le retirer sur une certaine distance sans que l’anneau correspondant ne bouge; toutefois, si l’on en poursuit le retrait, l’anneau se déplace ultimement dans la même direction. Dans le cas d’un mandrin et d’un anneau connectés par filetage, les deux éléments se déplacent toujours ensemble.
C. Les dispositifs de NCS
[26] NCS fabrique et exploite un certain nombre d’AF. Les quatre AF visés par le présent litige sont appelés « Mongoose », « Shift Frac Close » (SFC), « Shift Frac Close 2 » (SFC 2) et « Innovus », ce dernier étant aussi appelé « Shift Frac Close 3 » dans certains documents.
[27] Selon la preuve, chacun de ces AF compte une garniture d’étanchéité partiellement constituée d’un dispositif appelé « Blue Bullet », et chacun d’eux doit être utilisé d’après une valeur d’égalisation qui cause un relâchement de la pression de fluide et un dégagement de leur garniture d’étanchéité.
[28] D’après Ryan Redecopp, un employé de NCS, la garniture d’étanchéité des AF de NCS comporte un élément Blue Bullet depuis 2012. M. Redecopp affirme que cet élément a été mis à l’essai sur le terrain en 2012 et que depuis, il fait partie de tous les AF de NCS qui exigent l’usage d’une garniture d’étanchéité mise en place par compression.
[29] Les AF de NCS comprennent un élément Blue Bullet depuis 2012, mais d’autres versions de ce dispositif ont été conçues au fil du temps, dont celui [traduction] « de type festonné ».
[30] L’AF Mongoose est en usage depuis 2012. La preuve concernant les dates de la première utilisation des autres AF est imprécise, mais il semble qu’ils aient été utilisés après le Mongoose.
[31] À l’audience, Kobold a admis que NCS pouvait continuer de fabriquer et d’utiliser le Mongoose de 2012 (vraisemblablement en raison de l’article 56 de la Loi sur les brevets), mais elle affirme qu’il n’est pas possible pour NCS de fabriquer et d’utiliser de nouveaux produits commerciaux, comme les trois autres AF.
D. L’affidavit de M. Fleckenstein
[32] Comme je l’ai déjà dit, Kobold a déposé l’affidavit de M. William Fleckenstein, son expert dans la présente instance. La Cour a rejeté la requête de NCS visant à produire l’affidavit d’un expert en réponse (voir Kobold Corporation v. NCS Multistage Inc., 2021 FC 742). M. Fleckenstein est un ingénieur agréé dans l’État de la Californie, en plus d’être professeur à la Colorado School of Mines in Petroleum Engineering. En outre, il occupe un poste de directeur au sein d’une société d’experts-conseils en génie pétrolier.
[33] Dans son affidavit, M. Fleckenstein interprète les revendications du brevet ′561, examine les différences en ce qui a trait à la structure et à la fonction des différents AF de NCS, et il répond à la question de savoir si l’une ou l’autre des quatre garnitures d’étanchéité qu’il a examinées, ou leur utilisation dans un outil d’achèvement, est visée par les revendications indépendantes du brevet ′561.
[34] L’interprétation que fait M. Fleckenstein du brevet ′561 est essentiellement incontestée, sauf sur un point. Une part importante de son interprétation a déjà été résumée ci-dessus. Le principal point litigieux en ce qui concerne l’interprétation de M. Fleckenstein concerne les termes [traduction] « fixés » et [traduction] « connectés ».
[35] Aux paragraphes 52 à 65, M. Fleckenstein définit plusieurs termes contenus dans le brevet ′561 de la façon dont les comprendrait, selon lui, la personne versée dans l’art. Voici les définitions qu’il donne pour les termes [traduction] « connectés » et [traduction] « fixés » :
[traduction]
[0055] Connectés – S’entend d’au moins deux éléments liés d’une certaine manière; terme général qui ne fournit aucune précision ou aucune limite quant au type de connexion des éléments.
[…]
[0057] Fixés – S’entend de deux éléments dont le rattachement en permet une transmission de force et un déplacement conjoint.
[36] Par exemple, on pourrait dire de deux objets liés par une corde lâche qu’ils sont connectés, mais pas fixés l’un à l’autre, car le déplacement de l’un d’eux n’entraîne pas nécessairement celui de l’autre, sauf si le mouvement provoque une tension complète de la corde. Par contre, si ces deux objets étaient liés par une tige métallique rigide, M. Fleckenstein dirait d’eux qu’ils sont fixés l’un à l’autre, car tout déplacement de l’un d’eux causerait inévitablement celui de l’autre.
[37] Il est important de distinguer les termes [traduction] « connecté » et [traduction] « fixé », car dans les revendications 1 et 15, le mandrin et l’élément d’étanchéité sont décrits comme étant [traduction] « connectés » l’un à l’autre, alors que dans les revendications 9 et 12, l’élément d’étanchéité est décrit comme étant [traduction] « fixé » au mandrin.
[38] M. Fleckenstein est d’avis qu’un élément d’étanchéité et un mandrin connectés par filetage (comme aux figures 1 à 7 du brevet ′561) sont non seulement connectés, mais également fixés l’un à l’autre, mais que si leur utilisation repose sur le fonctionnement conjoint d’épaulements, ils sont connectés, mais non fixés, car le mandrin peut parcourir une certaine distance sans qu’il ne déplace l’anneau d’étanchéité.
[39] Dans son interprétation des revendications, M. Fleckenstein souligne que celles du brevet ′561 ne traitent d’aucune soupape d’égalisation, dont la présence, selon lui, n’est pas incompatible avec les revendications du brevet ′561. Un dispositif visé par les revendications du brevet ′561 pourrait comprendre une telle soupape, afin d’accélérer l’égalisation, mais M. Fleckenstein est d’avis que la surface transversale de ce composant est restreinte, ce qui constitue un inconvénient important qui influe sur le délai d’égalisation. La conjugaison d’une soupape d’égalisation et des méthodes décrites dans le brevet ′561 pourrait réduire ce délai et, du même coup, les dépenses d’exploitation d’un puits.
[40] Après avoir soigneusement analysé les garnitures d’étanchéité des AF Mongoose, SFC, SFC 2 et Innovus de NCS, M. Fleckenstein a relevé d’importantes différences entre celles-ci :
• l’AF Innovus comporte une vis de pression supplémentaire conçue pour fixer l’anneau du Blue Bullet (lequel est rattaché à l’élément d’étanchéité) au mandrin, afin que le mandrin et l’élément d’étanchéité bougent ensemble;
• le mandrin de l’AF SFC 2 est muni d’un anneau fendu qui en assure une connexion plus directe à l’élément Blue Bullet;
• le logement de garniture d’étanchéité de l’AF Innovus est doté d’un repère mécanique intégré, contrairement aux autres AF, au sein desquels ce repère est séparé;
• l’AF Innovus présente un certain nombre de nouveaux composants, dont un logement secondaire qui semble conçu pour maintenir le repère à un endroit précis;
• contrairement à la garniture d’étanchéité de l’AF Mongoose, celle de l’AF SFC est équipée d’un mandrin et d’un cône dans lesquels des orifices ont été percés;
• contrairement à la garniture d’étanchéité de l’AF SFC, celle de l’AF SFC 2 comprend un mandrin dans lequel des orifices supplémentaires ont été percés, ainsi que des vis de pression, un joint torique et un anneau auxiliaire;
• la garniture d’étanchéité de l’AF Mongoose n’est dotée d’aucune fonction de réglage double (tension et compression);
• contrairement aux autres garnitures d’étanchéité, celle de l’AF Mongoose est munie d’un anneau de retenue à coulissement;
• la garniture d’étanchéité de l’AF Mongoose comprend un mandrin monopièce, alors que celles des autres AF en présentent une à deux pièces;
• les garnitures d’étanchéité des AF SFC et SFC 2 comportent des cônes à deux pièces, tandis que celles des AF Mongoose et Innovus sont équipées de cônes monopièces.
[41] Selon M. Fleckenstein, les quatre AF de NCS sont visés par les revendications 1 et 15 du brevet ′561, mais seul l’AF Innovus contrefait les revendications 9 et 12, car tous les AF de NCS sont utilisés grâce à des épaulements qui fonctionnent conjointement, si bien que leur élément d’étanchéité n’est pas fixé au mandrin. Il affirme cependant que malgré la présence d’épaulements qui fonctionnent conjointement, une vis de pression figure entre l’anneau d’étanchéité et le mandrin, afin de les fixer l’un à l’autre.
[42] Le fait que les procédures d’exploitation uniformisées (PEU) de NCS mentionnent que les utilisateurs désengagent l’AF en le retirant du puits et en poursuivant la traction est important dans l’analyse des AF Mongoose, SFC et SFC 2. M. Fleckenstein reconnaît qu’en retirant l’AF du puits, on ouvre la soupape d’égalisation et lance le processus d’équilibrage de pression. Cependant, une fois la soupape complètement ouverte, la traction continue et elle entraîne, à son avis, celle de l’élément d’étanchéité et la formation d’un passage annulaire qui favorise l’égalisation.
[43] Les PEU indiquent que l’AF doit être retiré à une vitesse d’au plus [***] pi/min. Selon M. Fleckenstein, les soupapes d’égalisation des Mongoose et SFC peuvent être déplacées sur [***] po avant que la traction n’entraîne l’élément d’étanchéité. À une vitesse maximale de [***] pi/min, cela surviendrait après [***] secondes. Vu les multiples configurations possibles de l’AF SFC 2, il est difficile de savoir sur quelle distance il doit être retiré d’un forage pour que l’élément d’étanchéité ne suive.
[44] M. Fleckenstein est d’avis que toute traction exercée sur l’AF Innovus en causerait une sur l’élément d’étanchéité, car cet élément est fixé au mandrin par une vis de pression.
[45] NCS conteste certaines des affirmations de M. Fleckenstein au sujet de ses produits.
[46] NCS dit que M. Fleckenstein a tort d’affirmer que le Blue Bullet de l’AF Innovus est fixé au mandrin par une vis de pression. Ce détail est particulièrement pertinent, car Kobold affirme qu’il s’agit d’une différence importante entre les AF conçus avant la date de revendication et l’Innovus, lequel a été commercialisé après celle-ci.
[47] NCS fait remarquer que M. Fleckenstein admet que les dimensions de la garniture d’étanchéité de l’Innovus sont essentiellement identiques à celles des autres garnitures d’étanchéité et que ces garnitures se déplacent en raison des épaulements à fonctionnement conjoint. NCS dit aussi que si les dimensions sont identiques, tout déplacement du Blue Bullet avec le mandrin doit être provoqué par les épaulements de la garniture d’étanchéité de l’Innovus, non pas par la vis de pression.
[48] NCS affirme en outre que la vis de pression ne touche pas au mandrin, qu’elle ne fait que traverser un orifice dans celui-ci et qu’à l’instar des vis de pression des autres garnitures d’étanchéité, elle sert à prévenir tout dégagement de la soupape d’égalisation.
[49] Afin de montrer à M. Fleckenstein que la vis de pression ne touche pas au mandrin, NCS lui a présenté une image de conception assistée par ordinateur qui constitue un agrandissement d’un autre dessin et qui montre l’Innovus autour de la vis de pression. Au lieu de reconnaître que la vis ne touchait pas au mandrin dans cette image, M. Fleckenstein a plutôt dit que l’image était inexacte.
[50] NCS conteste l’affirmation de M. Fleckenstein d’après laquelle un certain temps doit s’écouler avant que ses dispositifs ne produisent une égalisation. Elle se fonde sur le témoignage de son déposant, M. Redecopp : il a employé les dispositifs en question et affirme qu’un équilibrage survient quelques secondes après l’ouverture de la soupape d’égalisation. NCS fait valoir que les commentaires de M. Fleckenstein au sujet du délai d’égalisation sont notamment basés sur le temps de purge établi lorsque la soupape n’est pas ouverte et qu’aucune traction n’est exercée.
[51] NCS renvoie à un graphique qui montre la pression appliquée à chacune des extrémités de l’AF au fil du temps. Selon ce graphique, il y a une diminution relativement faible de la pression dans la partie supérieure d’un forage, la pression est la même dans sa partie inférieure, puis il y a une modification soudaine de la pression aux deux extrémités lorsque l’égalisation survient. NCS soutient que la pression diminue initialement dans la partie supérieure d’un forage en raison d’une purge, avant l’ouverture de la soupape d’égalisation, et que la chute de pression qui est soudainement produite ultérieurement est attribuable à l’ouverture de la soupape. NCS souligne que ces données sont étayées par le témoignage de M. Redecopp en contre-interrogatoire, selon lequel l’égalisation s’opère après seulement quelques secondes.
III. Analyse
[52] Dans le cadre de la présente requête en jugement sommaire, mon analyse est formulée autour des questions suivantes :
1. La présente affaire se prête-t-elle à un jugement sommaire ou à un procès sommaire?
2. Quelle est l’interprétation qu’il convient de donner à l’article 56 de la Loi sur les brevets?
3. Quelle est l’interprétation qu’il convient de donner aux revendications du brevet ′561?
4. Les produits ou activités de NCS constituent-ils une contrefaçon du brevet ′561?
5. NCS peut-elle invoquer l’article 56 de la Loi sur les brevets comme moyen de défense contre toute contrefaçon?
[53] Les tribunaux n’ont pas encore eu l’occasion d’interpréter l’article 56 de la Loi sur les brevets : la Cour doit pour la première fois examiner si cette disposition constitue un moyen de défense opposable dans une action en contrefaçon de brevet.
A. La présente affaire se prête-t-elle à un jugement sommaire ou à un procès sommaire?
[54] NCS souligne à raison que l’objet d’un jugement sommaire consiste à offrir un processus de règlement des litiges proportionné, économique et expéditif (Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 R.C.S. 87, aux paragraphes 1–2). Elle souligne en outre qu’un jugement sommaire offre un mécanisme qui permet d’assurer un équilibre raisonnable entre la rapidité et l’équité du règlement des litiges (CanMar Foods Ltd. c. TA Foods Ltd., 2021 CAF 7, [2021] 1 R.C.F. 799, au paragraphe 23).
[55] NCS fait valoir que, peu importe si la Cour lui donne raison, la présente requête simplifiera l’action sous-jacente. Si elle a gain de cause, le sort de l’action sera scellé; si Kobold a gain de cause, il ne sera pas nécessaire d’examiner le moyen de défense fondé sur l’utilisation antérieure lorsque l’action sera instruite.
[56] La règle 215 des Règles donne à la Cour des directives claires en ce qui concerne les requêtes en jugement sommaire.
[57] La Cour rend un jugement sommaire si elle est convaincue qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse (paragraphe 215(1) des Règles). Lorsque la seule véritable question litigieuse est un point de droit, la Cour peut statuer sur celui-ci et rendre un jugement sommaire en conséquence (alinéa 215(2)b) des Règles). Lorsqu’elle est convaincue qu’il existe une véritable question litigieuse, la Cour peut tout de même trancher cette question par voie de procès sommaire, ou rejeter la requête en tout ou en partie et ordonner que l’action ou toute question litigieuse non tranchée par jugement sommaire soit instruite, ou que l’action se poursuive à titre d’instance à gestion spéciale (paragraphe 215(3) des Règles).
[58] Le fardeau d’établir l’inexistence d’une véritable question litigieuse est lourd et un jugement sommaire ne devrait être rendu que dans les cas les plus évidents (Watson c. Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien), 2017 CF 321, au paragraphe 22). Selon la Cour d’appel fédérale, le critère pertinent consiste à savoir si l’affaire est douteuse au point de ne pas mériter d’être examinée par le juge des faits (voir Premakumaran c. Canada, 2006 CAF 213, [2007] 2 R.C.F. 191, au paragraphe 8). Elle a également fait savoir que le juge des requêtes ne peut dégager des conclusions de fait et de droit que dans la mesure où la preuve pertinente figure au dossier et où n’intervient pas une question sérieuse de fait ou de droit qui dépend d’inférences à tirer (voir Apotex Inc. c. Merck & Co., 2002 CAF 210, [2003] 1 C.F. 242, au paragraphe 49).
[59] Lorsqu’il a adopté la version actuelle des dispositions des Règles en matière de procès sommaire, le législateur s’est inspiré des règles de la Colombie-Britannique applicables aux procès sommaires. Dans la décision Louis Vuitton Malletier S.A. c. Singga Enterprises (Canada) Inc., 2011 CF 776, [2013] 1 R.C.F. 413, notre Cour a examiné aux paragraphes 95 et 96 la jurisprudence de la Colombie-Britannique en matière de procès sommaires et a conclu ce qui suit :
• la charge de la preuve est la même que dans le cadre d’un procès complet, c’est-à-dire que la partie qui présente la déclaration ou la défense doit en prouver les allégations suivant la prépondérance des probabilités;
• dans le cadre d’une requête en procès sommaire, le juge peut constater les faits comme il le pourrait dans un procès complet;
• il devrait prononcer un jugement à moins qu’il ne soit injuste de le faire, indépendamment de la complexité des questions en litige et de l’existence d’une preuve contradictoire;
• pour établir s’il y a lieu de tenir un procès sommaire, le tribunal devrait prendre en considération des facteurs tels que le montant en cause, la complexité de l’affaire, l’urgence de son règlement, tout préjudice que sont susceptibles de causer les lenteurs d’un procès complet, le coût d’un procès complet en comparaison du montant en cause, le déroulement de l’instance et tous les autres facteurs qui s’imposent à l’examen.
[60] Pour les motifs exposés de manière détaillée ci-après, je conclus que certains aspects de la demande et de la défense en l’espèce, mais pas tous, se prêtent à un jugement sommaire.
[61] L’interprétation qui doit être donnée à l’article 56 de la Loi sur les brevets est une question de droit distincte qui peut être tranchée sans tenir compte des questions factuelles en cause : il s’agit d’une question qui se prête à un jugement sommaire.
[62] En outre, il est approprié d’interpréter les revendications du brevet ′561 dans le cadre de la présente requête en jugement sommaire. La Cour dispose d’éléments de preuve, sous la forme de l’affidavit de M. Fleckenstein, qui peuvent l’aider à se prononcer à cet égard.
[63] Les tribunaux ont souvent observé qu’au Canada, l’interprétation des revendications d’un brevet est une question de droit qui doit être tranchée par le juge d’instruction. Le juge doit déterminer comment une personne versée dans l’art dont relève l’invention brevetée aurait interprété la revendication à la date pertinente. Les témoignages d’experts peuvent aider le juge d’instruction, mais c’est à ce dernier qu’il appartient, en définitive, de décider de l’interprétation qu’il convient de donner au brevet (voir Western Electric Co., Inc., et al. v. Baldwin International Radio of Canada, [1934] R.C.S. 570, aux pages 572–573; Halford c. Seed Hawk Inc., 2001 CFPI 1154, au paragraphe 24; GlaxoSmithKline Inc. c. Pharmascience Inc., 2011 CF 239, au paragraphe 86).
[64] Comme nous le verrons plus loin, je conclus que certaines parties de la demande et de la défense ne peuvent être tranchées en fonction de la preuve dont la Cour dispose et, par conséquent, elles doivent être tranchées dans le cadre de l’instruction de l’action.
B. Quelle est l’interprétation qu’il convient de donner à l’article 56 de la Loi sur les brevets?
1) L’origine législative de l’article 56 de la Loi sur les brevets
[65] L’article 56 de la Loi sur les brevets, dans son libellé actuel, est entré en vigueur le 13 décembre 2018. Il est reproduit intégralement à l’annexe A. Cette disposition ne s’applique que lorsque l’action ou la procédure relative à un brevet délivré à la suite d’une demande dont la date de dépôt est le 1er octobre 1989, ou après cette date, est intentée le 29 octobre 2018, ou après cette date. La disposition modifiée est entrée en vigueur en vertu de la Loi no 2 d’exécution du budget de 2018, L.C. 2018, ch. 27 (la Loi d’exécution du budget), une loi omnibus modifiant plusieurs lois.
[66] Les paragraphes 56(1), (6) et (9) de la Loi sur les brevets sont en cause dans le présent litige. Ils disposent :
Exception — utilisation antérieure
56 (1) Sous réserve du paragraphe (2), si une personne, avant la date d’une revendication se rapportant à un brevet et de bonne foi, a commis un acte qui par ailleurs constituerait une contrefaçon du brevet relativement à la revendication, ou a fait de bonne foi des préparatifs effectifs et sérieux en vue de commettre un tel acte, l’acte ne constitue pas une contrefaçon du brevet ou de tout certificat de protection supplémentaire qui mentionne le brevet, relativement à cette revendication, si cette personne commet le même acte à compter de cette date.
[…]
Exception — utilisation d’un article
(6) Sous réserve du paragraphe (7), l’utilisation d’un article ne constitue pas une contrefaçon de brevet ou de tout certificat de protection supplémentaire qui mentionne le brevet, relativement à une revendication, si l’article est acquis, directement ou autrement, d’une personne qui, avant la date de revendication, a de bonne foi fabriqué ou vendu — ou a fait de bonne foi des préparatifs effectifs et sérieux en vue de fabriquer ou de vendre — un article, qui est sensiblement le même que celui utilisé, pour cette utilisation.
[…]
Exception — utilisation d’un service
(9) Sous réserve du paragraphe (10), l’utilisation d’un service ne constitue pas une contrefaçon de brevet relativement à une revendication si le service a été fourni par une personne qui, avant la date de revendication, a de bonne foi fourni — ou a fait de bonne foi des préparatifs effectifs et sérieux en vue de fournir — un service, qui est sensiblement le même que celui utilisé, pour cette utilisation.
[67] Avant cette modification, l’article 56 n’offrait qu’un seul moyen de défense au fond qui était prévu au paragraphe 56(1), lequel était ainsi libellé :
Droit de l’acquéreur antérieur
56 (1) Quiconque, avant la date de revendication d’une demande de brevet, achète, exécute ou acquiert l’objet que définit la revendication peut utiliser et vendre l’article, la machine, l’objet manufacturé ou la composition de matières brevetés ainsi achetés, exécutés ou acquis avant cette date sans encourir de responsabilité envers le breveté ou ses représentants légaux.
[68] Le sommaire de la Loi d’exécution du budget, qui fait partie de son préambule, indique expressément ce qui suit :
La sous-section A de la section 7 de la partie 4 modifie la Loi sur les brevets afin :
[…]
c) d’étendre les droits, à l’égard d’une revendication se rapportant à un brevet, de toute personne qui satisfait aux conditions lui permettant d’être considérée comme un utilisateur antérieur;
[69] Ce sommaire nous permet de constater que la version actuelle de l’article 56 doit être interprétée de manière à ce que les droits qu’il confère soient plus vastes qu’ils ne l’étaient dans sa version antérieure. À part ce sommaire, rien dans les débats parlementaires ou les travaux de comités d’examen ne permet de dégager la volonté du législateur.
[70] La version actuelle du paragraphe 56(1) se distingue de la version antérieure sur trois points importants.
[71] Premièrement, la version précédente octroyait à un utilisateur antérieur le droit d’utiliser et de vendre un article, une machine, un objet manufacturé ou une composition de matières brevetés. Par conséquent, ce droit était limité aux inventions physiques et ne couvrait pas les méthodes brevetées. Selon la version actuelle, un utilisateur antérieur a le droit de commettre un « acte » qui par ailleurs constituerait une contrefaçon. Ce droit est beaucoup plus vaste et couvre un ensemble de circonstances plus large que la simple vente ou utilisation d’un produit physique. Selon le nouveau texte législatif, l’utilisation d’un procédé breveté correspond à une utilisation antérieure. NCS fait valoir, et je suis du même avis, que le mot « acte » utilisé au paragraphe 56(1) devrait être interprété à la lumière de l’article 42 de la Loi sur les brevets, selon lequel tout brevet accorde au breveté le droit exclusif « de fabriquer, construire, exploiter et vendre [l’objet de l’invention] à d’autres, pour qu’ils l’exploitent ». Ces actes sont ceux que protège le paragraphe 56(1).
[72] Deuxièmement, selon la version anglaise antérieure du paragraphe 56(1), la protection était limitée à la vente ou à l’utilisation d’une manifestation physique [traduction] « en particulier » (specific) de l’invention. Même si cette mention ne faisait pas précisément partie du texte de la version française, il y a lieu de lui donner la même interprétation pour qu’elle soit compatible avec la version anglaise. La version actuelle du paragraphe 56(1) protège plutôt, dans les deux langues, le fait pour une personne de commettre « le même acte » [the same act] qui par ailleurs constituerait une contrefaçon.
[73] Enfin, la version actuelle du paragraphe 56(1) accorde une protection non seulement aux personnes qui ont commis un acte de contrefaçon avant la date de revendication, mais aussi aux personnes qui « [ont] fait [...] des préparatifs effectifs et sérieux en vue de commettre un tel acte ». Ce segment ne figurait pas dans la version antérieure.
[74] Dans l’arrêt Merck & Co, Inc. c. Apotex Inc., 2006 CAF 323, [2007] 3 R.C.F. 588 (Merck), la Cour d’appel fédérale a donné à l’ancien paragraphe 56(1) une application restrictive. Dans cette affaire, la défenderesse Apotex avait acheté des lots de lisinopril, l’objet du brevet de la demanderesse, auprès de Delmar. Le contrat d’achat avait été rédigé de façon à ce que Apotex n’obtienne le titre de propriété sur le produit que si elle était convaincue que les lots de produits répondaient à ses exigences. Aux paragraphes 81 et 82, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’Apotex ne détenait aucun droit d’utilisateur antérieur :
[…] il n’est donc pas possible d’affirmer qu’Apotex a acheté ou acquis les lots de Delmar avant d’en avoir obtenu le titre. Si les lots de Delmar avaient été un produit fini, le titre de propriété aurait été transféré à Apotex et cette dernière aurait pu ensuite demander à bénéficier de la loi. Ce n’est toutefois pas le cas en l’espèce. Lors du procès, M. Dickinson, président de Delmar, a déclaré qu’il n’était pas convaincu que les lots de Delmar correspondaient au type de lisinopril que souhaitait acheter Apotex. Le lisinopril n’avait pas encore été isolé sous forme solide et devait encore franchir des étapes de purification, suivies du séchage, avant son déblocage sous forme de produit fini. Ces étapes ont finalement été franchies, mais ce n’est que le 23 octobre 1990 et le 7 novembre 1990 que les lots de Delmar ont été emballés en vue de leur livraison.
Par conséquent, le titre de propriété ne pouvait pas être transféré à Apotex tant que le produit n’était pas livrable (c’est-à-dire le 23 octobre 1990 et le 7 novembre 1990). À ces dates, le brevet '350 avait déjà été délivré à Merck (16 octobre 1990) et le droit d’Apotex au bénéfice de l’article 56 était déjà éteint.
[75] L’ajout des mots « des préparatifs effectifs et sérieux » au paragraphe 56(1) avait vraisemblablement pour objet de contourner les conclusions tirées dans l’arrêt Merck. Suivant les nouvelles dispositions, la Cour aurait probablement conclu que des préparatifs effectifs et sérieux avaient été faits étant donné qu’Apotex avait commandé le lisinopril et que la production avait commencé, mais qu’elle n’était pas terminée.
[76] Les paragraphes 56(6) et (9) traitent de l’utilisation d’un article ou d’un service acheté. Ils semblent conçus pour accorder à des tiers les droits d’un utilisateur antérieur. La version antérieure de la Loi sur les brevets ne comprenait aucune disposition équivalente.
2) Les arguments des parties au sujet de l’article 56 de la Loi sur les brevets
[77] Kobold et NCS ont des opinions divergentes quant à la norme de similitude qu’appelle le paragraphe 56(1) de la Loi sur les brevets. Quel sens faut-il donner aux mots « le même acte » dans cette disposition?
[78] NCS fait valoir qu’il s’agit d’un acte qui est le même ou sensiblement le même; et selon Kobold, il s’agit d’un acte qui est identique ou presque identique. Ce débat n’est pas simplement d’ordre sémantique. La réponse à cette question d’interprétation permettra de savoir dans quelle mesure l’acte commis après la délivrance du brevet diffère, le cas échéant, de l’acte commis antérieurement et si cet acte jouira tout de même de la protection conférée par le paragraphe 56(1).
[79] Les deux parties ont présenté à la Cour des jugements anglais dans lesquels les tribunaux ont interprété la disposition législative qui prévoit un moyen de défense fondé sur une utilisation antérieure. La disposition britannique dont il est question est le paragraphe 64(1) de la Patents Act 1977, 1977, ch. 37 du Royaume-Uni (la Loi du R.-U.), lequel dispose :
[traduction]
64 (1) Dès lors qu’un brevet est octroyé relativement à une invention, la personne qui, au Royaume-Uni, avant la date de priorité de l’invention et de bonne foi—
a) commet un acte qui par ailleurs constituerait une contrefaçon du brevet s’il était en vigueur;
b) fait des préparatifs effectifs et sérieux en vue de commettre un tel acte;
a le droit de continuer à commettre l’acte en question ou, selon le cas, de le commettre, malgré l’octroi du brevet; ce droit ne comprend toutefois pas la possibilité d’accorder une licence autorisant une autre personne à commettre cet acte.
[80] On constate au premier coup d’œil que la disposition législative du R.-U. renvoie à un [traduction] « acte » commis après la délivrance du brevet; tandis que dans la disposition canadienne, on renvoie à la personne qui commet « le même acte à compter de cette date » (non souligné dans l’original).
[81] Dans l’arrêt Lubrizol Corporation v. Esso Petroleum Co. Ltd., [1997] R.P.C. 195 (C.A. Ang.), la Cour d’appel a, à la page 216, donné au mot [traduction] « l’acte », utilisé dans la Loi du R.-U., le sens de [traduction] « sensiblement le même acte » :
[traduction]
Pour décider si l’activité est sensiblement la même, il faut tenir compte de l’ensemble des circonstances. Les questions d’ordre technique et commercial doivent être prises en considération. Il est important de le faire dans une affaire comme la présente espèce, où l’on dénote des variations mineures inhérentes dans les matières premières ou analogues. Si l’acte protégé doit être exactement le même (peu importe ce que cela veut dire) que l’acte antérieur, la protection conférée par la disposition serait illusoire. La disposition a pour objet de conférer une protection réelle afin de permettre à une personne de faire ce qu’elle faisait sensiblement auparavant. [Non souligné dans l’original, italiques dans l’original.]
[82] NCS fait valoir que la Loi du R.-U. est semblable à celle du Canada et qu’en conséquence, la jurisprudence anglaise nous éclaire quant à la façon d’interpréter la loi canadienne. Elle soutient, en s’appuyant sur l’interprétation que les tribunaux ont donnée à la Loi du R.-U., que la loi canadienne devrait être interprétée de manière à ce qu’un utilisateur antérieur puisse commettre [traduction] « sensiblement le même acte » sans contrefaire le brevet. Comme je l’ai déjà mentionné, NCS soutient en outre qu’on devrait entendre par « un acte », toute action qui contrefait un brevet, à savoir fabriquer, construire, exploiter ou vendre l’invention à d’autres pour qu’ils l’exploitent.
[83] En outre, NCS affirme que l’application du paragraphe 56(1) étant limitée à « un acte qui par ailleurs constituerait une contrefaçon du brevet relativement à la revendication », l’utilisateur antérieur jouit d’une immunité en cas de contrefaçon d’une revendication lorsque cette contrefaçon a eu lieu avant la date de revendication et que les modifications apportées à des technologies connexes, non liées aux revendications du brevet, n’empêchent pas l’application du paragraphe 56(1).
[84] Selon NCS, la Cour peut conclure à l’applicabilité du moyen de défense fondé sur l’utilisation antérieure sans devoir d’abord conclure à l’existence de contrefaçon. NCS s’appuie sur son allégation de fait selon laquelle les actes qu’elle a commis après la date de revendication du brevet ′561 sont les mêmes que ceux qu’elle avait commis avant cette date. Donc de deux choses l’une : soit elle a commis des actes qui constituent une contrefaçon exception faite de l’article 56 — auquel cas cette disposition s’applique et il y a absence de contrefaçon —, soit les actes qu’elle a commis ne constituent pas une contrefaçon — auquel cas il est inutile d’examiner l’article 56, car il n’y a eu aucune contrefaçon. Dans l’un ou l’autre de ces scénarios, les actes ne constituent pas une contrefaçon du brevet ′561. La seule question pertinente est celle de savoir si elle a commis sensiblement les mêmes actes.
[85] Kobold convient que les tribunaux ont donné au mot [traduction] « l’acte » dans la Loi du R.-U., le sens de [traduction] « sensiblement le même acte ». Au R.-U., il n’est pas nécessaire que l’utilisation antérieure et l’utilisation actuelle soient identiques, mais l’utilisateur antérieur ne doit pas être entièrement libre de fabriquer tout produit contrefait ou d’élargir la fabrication à d’autres produits.
[86] Kobold fait remarquer que le libellé de la loi canadienne n’est pas le même que celui de la Loi du R.-U. Elle constate que l’article 56 de la Loi sur les brevets du Canada énonce deux normes de similitude distinctes concernant les actes qui sont protégés par les droits conférés à l’utilisateur antérieur : aux paragraphes 56(1), (3) et (4), il est question du « même » acte, alors qu’aux paragraphes 56(6) et (9), il s’agit de « sensiblement le même » article ou service.
[87] Selon Kobold, le législateur, qui a utilisé une combinaison différente de mots dans les différentes dispositions, est présumé avoir eu l’intention de leur conférer un sens différent. Elle affirme que cette présomption est renforcée par le fait que ces différentes combinaisons de mots figurent dans le même article de la Loi sur les brevets et qu’ils y ont été intégrés dans le cadre de la même loi modificative.
[88] Par conséquent, Kobold soutient que les mots « même acte » devraient s’entendre d’un caractère presque identique pour que les actes bénéficient de la protection conférée par le paragraphe 56(1), alors que les mots « sensiblement le même » utilisés aux paragraphes 56(6) et (9) appellent une norme semblable à celle qui figure dans la Loi du R.-U.
[89] Suivant l’interprétation proposée par Kobold, l’approche à privilégier pour le paragraphe 56(1) consiste à se demander (i) quel acte ou quels actes ont eu lieu avant la date de revendication, (ii) si cet acte ou ces actes constituent une contrefaçon et (iii) si l’acte ou les actes commis après la date de revendication sont les mêmes ou s’ils sont presque identiques aux actes commis antérieurement.
[90] Kobold fait valoir que le libellé de l’article exige clairement que la comparaison soit faite entre deux actes l’un par rapport à l’autre, et qu’il ne s’agit pas de se demander si un acte antérieur et un acte subséquent constituent une contrefaçon d’une revendication, car il existe plusieurs façons de contrefaire une revendication. Elle s’appuie sur le jugement rendu par le juge Kitchin de la Haute Cour de justice d’Angleterre et du Pays de Galles (maintenant juge à la Cour suprême du Royaume-Uni) dans l’affaire Forticrete Ltd. v. Lafarge Roofing Ltd., [2005] EWHC 3024 (Ch.), où il a rejeté au paragraphe 25 l’argument de la défenderesse selon lequel elle avait le droit de fabriquer tout autre produit visé par le brevet, car elle avait fabriqué un produit contrefait.
3) Analyse
[91] Le paragraphe 56(1) fournit à la personne qui commet un acte qui par ailleurs constituerait une contrefaçon d’une revendication un moyen de défense fondé sur la comparaison de « l’acte » qu’elle a commis avant la délivrance du brevet, par rapport à celui qu’elle a commis après. Je conviens avec NCS que l’interprétation du mot « acte » doit être compatible avec les actes protégés par le brevet, lesquels sont énumérés au paragraphe 42 de la Loi sur les brevets. Ces actes — à savoir, « fabriquer, construire, exploiter et vendre à d’autres, pour qu’ils l’exploitent, l’objet de l’invention » — sont ceux qui sont potentiellement protégés.
[92] S’agissant de la norme de similitude, le paragraphe 56(1) de la Loi sur les brevets exige, à mon avis, que les actes commis antérieurement et postérieurement à la délivrance du brevet soient les « même[s] », c.-à-d. identiques. J’en arrive à cette conclusion pour les motifs qui suivent.
[93] Premièrement, le mot « même » est utilisé au paragraphe 56(1) comme un adjectif qui qualifie le nom « acte » et dont le sens grammatical ordinaire signifie « identique ». Dans le Canadian Oxford Dictionnary, 2e éd. Toronto : Oxford University Press, 2004, le mot « same » [même] est défini comme suit :
[traduction]
Même adjectif 1 (souvent précédé d’un déterminant (le, la, les, un, une, cet, cette…) Marque l’identité quant à la forme, à l’apparence ou au nombre (zut, nous portons la même robe; ils ont le même âge). b Marque l’absence de différence (nous consultons le même médecin). 2 Inchangé, invariable, uniforme (ils fournissent le même service depuis plus de cinquante ans). 3 (norm. précédé de ce, ces, cet, cette) (relativement à une personne ou une chose) à laquelle on a fait allusion; dont on vient de parler (ce même étudiant en médecine est devenu médecin). 4 ([sens anglais :] combiné à un autre mot) Marque l’identité, l’absence de différence (partenaires du même âge [same-age partners]).
Dans Le Petit Robert, éd. 2022, « même » est défini comme suit :
adj. indéf. 1 (Devant le nom) Marque l’identité absolue [...] Marque la simultanéité […] Marque la similitude → semblable […] Marque l’égalité. → égal.
[94] Deuxièmement, il importe de souligner que les paragraphes 56(6) et (9) autorisent les tiers à se prévaloir du moyen de défense fondé sur une utilisation antérieure auquel est appliquée la norme moins stricte imposée par les mots « sensiblement le même » (substantially the same). Le fait pour le législateur d’avoir choisi d’utiliser les mots « sensiblement le même » aux paragraphes 56(6) et (9) de la Loi sur les brevets, tandis qu’il utilise les mots « le même » au paragraphe 56(1) indique clairement sa volonté d’appliquer deux normes distinctes.
[95] Troisièmement, et comme le fait valoir Kobold, il est vrai que l’interprétation donnée au mot [traduction] « acte » utilisé dans la Loi du R.-U. a le sens de [traduction] « sensiblement le même », mais le législateur n’a pas utilisé le même libellé que celui de la Loi du R.-U. Le libellé de la Loi du R.-U., plus général, favorise une interprétation plus souple du sens à donner au mot [traduction] « acte ». En revanche, la loi canadienne indique clairement de quel acte il est question : au paragraphe 56(1), il s’agit du même acte; et aux paragraphes 56(6) et (9), il s’agit de sensiblement le même acte.
[96] Quatrièmement, la Loi d’exécution du budget indique que la nouvelle loi a pour objet d’étendre les droits de toute personne qui est un utilisateur antérieur. L’interprétation proposée est compatible avec cet objet, car les droits que cette loi confère sont plus vastes que ceux qui étaient visés dans la version antérieure du paragraphe 56(1). La version antérieure renvoyait à la possibilité d’utiliser une manifestation physique [traduction] « en particulier » (specific) de l’invention. Selon le sens ordinaire de la version antérieure, quiconque avait déjà exécuté l’objet de l’invention brevetée pouvait utiliser ou vendre cette manifestation physique, mais ne pouvait pas exécuter des manifestations physiques supplémentaires ou quelque peu différentes. En réalité, le droit d’écouler son inventaire existant était visé. La nouvelle version confère un droit beaucoup plus vaste de commettre « le même acte ». Quiconque a déjà commis un acte qui aurait constitué, si le brevet avait été délivré, une contrefaçon du brevet peut désormais continuer de commettre ce même acte. Si la personne fabriquait ou vendait auparavant un article, elle a le droit de continuer à en fabriquer et à en vendre encore plus, au lieu de simplement vendre ceux qu’elle a en stock.
[97] Comme je l’ai mentionné plus haut, les actes commis antérieurement et postérieurement à la délivrance du brevet doivent être identiques, en ce sens que seuls les actes énumérés à l’article 42 de la Loi sur les brevets qui ont effectivement été commis antérieurement à la délivrance du brevet, ou les actes précédés de préparatifs importants en vue de les commettre, peuvent être autorisés.
[98] D’après cette interprétation, si, par exemple, la personne qui se réclame de la protection conférée par le paragraphe 56(1) avait uniquement fabriqué et utilisé son dispositif, elle peut continuer de le fabriquer et de l’utiliser, mais elle ne peut plus le vendre à d’autres pour qu’ils l’utilisent, car la vente n’est pas un acte qu’elle avait commis avant la délivrance du brevet.
[99] Suivant cette interprétation, il y a donc lieu de se demander dans le cas où le même acte serait la fabrication d’un dispositif, si ce dispositif ainsi fabriqué doit être identique pour obtenir la protection conférée par le paragraphe 56(1) comme le fait valoir Kobold.
[100] Je conviens avec Kobold que selon le libellé clair de la disposition, les deux actes doivent être comparés l’un par rapport à l’autre, et je conviens également qu’il ne s’agit pas simplement de savoir si, d’une quelconque manière, l’acte antérieur et l’acte subséquent constituent une contrefaçon du brevet. L’utilisateur antérieur n’est pas libre de contrefaire le brevet comme il le souhaite. La protection vise la commission du même acte, de sorte que les actes commis antérieurement et postérieurement à la délivrance du brevet ne constituent pas une contrefaçon du brevet « relativement à la revendication ». Par conséquent, si l’acte commis antérieurement à la délivrance du brevet avait constitué une contrefaçon de la revendication 1, mais qu’aucune autre revendication n’était contrefaite, l’acte commis subséquemment est protégé relativement à la revendication 1, mais il ne l’est relativement à aucune autre.
[101] Serait-il interdit à l’utilisateur antérieur qui a fabriqué le dispositif contrefait avant la délivrance du brevet et qui l’a peint en vert de fabriquer un dispositif identique, mais de le peindre en rouge? Je ne vois, sur le plan pratique, logique ou juridique, aucune raison pour laquelle la protection conférée par l’article 56 de la Loi sur les brevets serait ainsi restreinte. Je ne vois pas non plus pourquoi on devrait empêcher l’utilisateur antérieur de modifier son dispositif, pourvu que ces modifications ne se rapportent pas à ce qui est divulgué dans le brevet. Après tout, la protection conférée à l’inventeur correspond à l’invention telle qu’elle est revendiquée dans le brevet.
[102] Par conséquent, j’estime qu’il est possible pour l’utilisateur antérieur d’apporter à certains aspects de son dispositif ou de son procédé des modifications qui font partie de l’art antérieur ou qui ne sont pas visées par les revendications du brevet. Les revendications d’un brevet doivent être rédigées de façon à contenir tous les aspects de l’invention, de sorte qu’elles comprennent habituellement des éléments bien établis dans les documents de l’art antérieur et décrits en termes généraux. Par exemple, dans la revendication 1 du brevet ′561, on fait référence à l’emplacement de l’élément d’étanchéité sous une zone d’intérêt dans le puits de forage. Cet élément doit être inclus dans la revendication pour donner une description complète de la méthode d’achèvement de puits de forage. Or, rien dans les revendications n’explique comment cette étape est exécutée dans la méthode : elle peut l’être de différentes façons qui sont déjà connues.
[103] À mon avis, il serait déraisonnable de limiter l’utilisateur antérieur à une méthode particulière connue dans les documents d’art antérieur simplement parce qu’il avait opté pour cette méthode auparavant, alors que le brevet ne donne aucune indication quant à la méthode qui devrait être utilisée et que cet aspect des revendications ne fait pas partie de l’idée originale du brevet. J’estime que rien ne permet à Kobold, qui a choisi d’énoncer les étapes reconnues pour se servir d’un outil d’achèvement, d’empêcher NCS de modifier la façon dont elle exécute ces étapes, bien que Kobold n’y ait introduit aucune innovation. Si, par exemple, un nouveau fluide de fracturation plus efficace était conçu, NCS devrait-elle être empêchée de l’utiliser parce qu’il modifie l’étape du [traduction] « traitement de la zone d’intérêt » telle qu’elle est énoncée dans la revendication 1? J’estime qu’elle ne le devrait pas : l’empêcher reviendrait à accorder à Kobold une protection plus large que l’objet de l’invention.
[104] De même, si l’utilisateur antérieur fabriquait un dispositif visé par le moyen de défense fondé sur le paragraphe 56(1), je ne vois pas pourquoi cet utilisateur devrait être contraint de fabriquer ce dispositif de manière isolée à l’avenir, pourvu qu’un quelconque ajout au dispositif ne constitue pas une contrefaçon du brevet. Par conséquent, s’agissant des AF, si c’est la garniture d’étanchéité qui était fabriquée avant la délivrance du brevet, je ne vois rien qui empêche l’utilisateur antérieur d’y ajouter des composants supplémentaires et de les commercialiser ensemble, à condition que l’élément contrefait — à savoir la garniture d’étanchéité de l’AF — demeure identique avant et après la délivrance du brevet.
[105] Il y a dans ce cas lieu de se demander dans quelle mesure l’utilisateur peut modifier son dispositif, le cas échéant, par rapport aux aspects de celui-ci qui contrefont une revendication particulière du brevet. Dans l’exemple présenté ci-dessus, est-il interdit à l’utilisateur antérieur d’apporter des améliorations ou de modifier la garniture d’étanchéité s’il s’agit de l’aspect du dispositif constituant une contrefaçon?
[106] Le paragraphe 56(1) protège quiconque, ayant commis avant la date de revendication d’un brevet un acte qui constituerait depuis une contrefaçon des revendications de ce brevet, commet ultérieurement, après la délivrance du brevet, le « même acte ». À mon avis, l’utilisateur antérieur ne peut apporter aucune modification à l’aspect constituant une contrefaçon du dispositif : sinon, l’acte qu’il commet relativement aux revendications du brevet n’est pas le même et il ne peut se prévaloir de la protection conférée par le paragraphe 56(1) de la Loi sur les brevets. L’acte qu’il commet relativement à la revendication contrefaite est différent, même si, dans les deux cas, il y a contrefaçon de la même revendication du brevet.
[107] Le libellé et le champ d’application des paragraphes 56(6) et (9) diffèrent sensiblement de ceux du paragraphe 56(1). Les premiers paragraphes protègent les tiers, alors que le paragraphe 56(1) vise les personnes qui traitent avec les tiers.
[108] Le paragraphe 56(6) protège quiconque utilise un article acquis auprès d’un fabricant ou d’un vendeur qui a déjà fabriqué ou vendu « un article, qui est sensiblement le même » (non souligné dans l’original) que celui qui était fabriqué ou vendu avant la délivrance du brevet. Il existe une différence fondamentale entre les termes « sensiblement le même » et le mot « même » que le paragraphe 56(1) impose au fabricant ou au vendeur de l’article.
[109] De même, le paragraphe 56(9) protège quiconque a utilisé un service qui est « sensiblement le même » que celui qui avait été fourni avant la délivrance du brevet. Tout comme le paragraphe 56(6), cette disposition ne confère aucune protection au fournisseur de services : c’est plutôt le paragraphe 56(1) qui lui confère une protection.
[110] Je conclus que les paragraphes 56(6) et (9) ne sont pas en cause en l’espèce, car ils ne peuvent conférer une protection à NCS au vu des faits présentés à la Cour.
4) La conclusion sur l’interprétation du paragraphe 56(1) de la Loi sur les brevets
[111] Le paragraphe 56(1) fournit un moyen de défense à la personne qui fabrique, construit, exploite ou vend à d’autres, pour qu’ils l’exploitent, l’objet de l’invention qui contrefait une revendication du brevet, à la condition que cette personne ait commis, avant la délivrance du brevet, le même acte — c.-à-d. fabriquer, construire, exploiter ou vendre — et que la partie pertinente de l’invention (c.-à-d. liée à l’idée originale) est identique. Bien que l’utilisateur antérieur puisse, relativement à d’autres aspects qui ne constituent pas une contrefaçon supplémentaire du brevet, ajouter des éléments à l’invention ou l’altérer, il ne peut modifier ou altérer la partie pertinente de l’invention (c.-à-d. liée à l’idée originale), et ce, même si ces modifications constituent, de la même manière, une contrefaçon quant à l’idée originale.
[112] La marche à suivre dans le cadre de l’examen d’un moyen de défense fondé sur paragraphe 56(1) est la suivante.
[113] Premièrement, il faut chercher à savoir si les actes commis avant et après la date de revendication sont identiques (mis à part les modifications entièrement non fonctionnelles, comme la couleur). Dans l’affirmative, il n’est pas nécessaire d’examiner s’il y a contrefaçon, car le paragraphe 56(1) fournit dans tous les cas un moyen de défense contre toute contrefaçon éventuelle.
[114] Deuxièmement, si les actes ne sont pas identiques, il faut chercher à savoir s’ils constituent une contrefaçon du brevet et, le cas échéant, quelles revendications sont visées. Si les actes postérieurs à la date de revendication ne constituent pas une contrefaçon du brevet, aucun « acte qui par ailleurs constituerait une contrefaçon » n’est commis et, par conséquent, il n’est pas nécessaire d’invoquer le paragraphe 56(1). Si les actes antérieurs à la date de revendication ne constituent pas une contrefaçon du brevet, le paragraphe 56(1) ne peut s’appliquer. Si les actes commis après la date de revendication constituent une contrefaçon d’une revendication particulière du brevet et que ce n’est pas le cas pour les actes commis avant cette date, le paragraphe 56(1) ne peut s’appliquer.
[115] Enfin, lorsque les actes antérieurs et postérieurs à la date de revendication ne sont pas identiques mais qu’ils contrefont uniquement les mêmes revendications, il faut chercher à savoir si les modifications se rapportent à l’idée originale du brevet. Si ce n’est pas le cas, le paragraphe 56(1) constitue un moyen de défense.
[116] Ce n’est que dans les cas les plus clairs, lorsque les actes commis avant la date de revendication sont identiques à ceux commis après cette date, qu’il est inutile d’interpréter les revendications du brevet ou d’effectuer une analyse de la contrefaçon. De tels cas se prêteraient particulièrement bien à un jugement sommaire.
C. Quelle est l’interprétation qu’il convient de donner aux revendications du brevet ′561?
[117] NCS soutient que M. Fleckenstein a donné une interprétation erronée du terme [traduction] « fixé » employé dans les revendications 9 et 12 du brevet ′561, lesquelles sont à son avis contrefaites par la garniture d’étanchéité de l’Innovus, mais pas par les autres garnitures d’étanchéité. D’après M. Fleckenstein, deux éléments sont [traduction] « fixés l’un à l’autre lorsque leur rattachement en permet une transmission de force et un déplacement conjoint ».
[118] NCS souligne que le brevet ′561 montre deux types distincts de connexions entre un mandrin et un anneau d’extrémité de traction, à savoir une connexion par filetage, illustrée aux figures 1 à 7, et une configuration qui fonctionne par le biais d’épaulements connexes, illustrée à la figure 8. Elle soutient que selon la description du brevet ′561, si la réalisation à filetage et la réalisation à épaulements sont toutes deux qualifiées de [traduction] « fixées », elles se distinguent parce que la réalisation à filetage est [traduction] « jointe ». Le terme [traduction] « jointe » ne figure dans aucune des revendications.
[119] Selon NCS, l’interprétation téléologique des revendications concorde avec la description du brevet ′561. Dans les deux jeux de revendications, la connexion ou la fixation vise à garantir que l’extrémité de traction de l’élément d’étanchéité se déplace avec le mandrin. Elle affirme que cette interprétation s’applique au filetage et aux épaulements.
[120] NCS est aussi d’avis que l’application du principe de différenciation des revendications mène au même résultat, et que si la notion de fixation ne renvoie qu’à des connexions par filetage, les revendications dépendantes 11 et 14 sont redondantes, car elles ajoutent une limite aux revendications 9 et 12, soit la fixation par filetage de l’extrémité de traction.
[121] Selon Kobold, NCS prétend que le seul acte pertinent consiste en la fabrication et l’utilisation de l’élément Blue Bullet, ce qui exigerait d’interpréter les revendications du brevet ′561 de façon à ce que seul l’élément d’étanchéité annulaire en représente un élément essentiel. Kobold affirme que ce raisonnement déroge à la présomption selon laquelle tous les éléments sont essentiels et qu’il donne lieu à une interprétation qui n’est pas téléologique.
[122] Kobold est du même avis que M. Fleckenstein, c’est-à-dire que contrairement à des composants connectés, ceux qui sont fixés devraient être interprétés de manière à exiger un mouvement conjoint entre les éléments. Elle soutient que le principe de différenciation des revendications n’appuie pas l’argument de NCS et que NCS ne tient pas compte du fait qu’il existe d’autres moyens qu’un filetage pour fixer un mandrin à un élément d’étanchéité. Le mémoire descriptif du brevet ′561 présente trois exemples de fixations, soit des liaisons mécaniques, élastomères et par filetage.
[123] Kobold affirme en outre que l’argument au sujet du terme [traduction] « fixé » employé dans le mémoire descriptif est erroné, car bien qu’il ait été employé relativement à une réalisation qui comprend des épaulements à fonctionnement conjoint, il décrit dans ce même passage la relation entre un anneau et un élastomère, et non la relation entre un anneau et un mandrin. Kobold renvoie au contre-interrogatoire de M. Fleckenstein et au sens ordinaire de la divulgation sur ce point.
[124] J’estime que les arguments de Kobold sont justes : M. Fleckenstein n’a commis aucune erreur dans son interprétation des revendications indépendantes du brevet ′561.
[125] Les principes qui s’appliquent à l’interprétation des revendications et le mémoire descriptif du brevet ′561 appuient la distinction que M. Fleckenstein fait entre les mots [traduction] « fixé » et [traduction] « connecté ». Le rédacteur du brevet ′561 a utilisé une terminologie uniforme dans l’ensemble des revendications indépendantes. Il y a donc lieu de présumer que lorsqu’il ne l’a pas fait, il voulait que les termes aient un sens différent.
[126] L’argument de NCS fondé sur le principe de la différenciation des revendications est erroné. Elle tient pour acquis que le filetage et les épaulements à fonctionnement conjoint sont les seuls moyens qui permettent de connecter l’élément d’étanchéité au mandrin; or, comme l’a fait remarquer Kobold, plusieurs autres moyens peuvent permettre de fixer les deux éléments de façon à causer un mouvement conjoint, dont plusieurs sont mentionnés dans le mémoire descriptif.
[127] Les arguments de NCS concernant le mot [traduction] « fixé » utilisé dans le mémoire descriptif sont également erronés. Comme l’a signalé Kobold, dans le passage cité par NCS, le mot [traduction] « fixé » est utilisé pour décrire la connexion entre l’anneau et l’élément d’étanchéité, et non la connexion entre l’anneau et le mandrin. Comme l’anneau et l’élément d’étanchéité se déplacent ensemble, cette utilisation est compatible avec l’interprétation de M. Fleckenstein concernant le mot [traduction] « fixé ».
[128] Enfin, Kobold fait valoir que NCS tente de donner aux revendications du brevet ′561 une interprétation qui exige l’absence d’une soupape d’égalisation distincte. Selon Kobold, l’interprétation des revendications proposée par NCS est erronée parce qu’elle comporte des limites qui, d’après le mémoire descriptif, ne font pas partie des revendications. Elle fait remarquer qu’aucune des revendications du brevet ′561 ne mentionne l’ajout ou l’exclusion d’une soupape d’égalisation distincte. Par conséquent, Kobold fait sienne l’opinion de M. Fleckenstein selon laquelle l’ajout d’une soupape d’égalisation ne ferait pas en sorte qu’un outil cesse d’être visé par les revendications.
[129] À mon avis, elle n’a pas bien saisi les arguments. NCS dit que lorsque l’égalisation est causée entièrement par une soupape d’égalisation, il n’y a aucune contrefaçon du brevet. Comme les revendications indiquent explicitement que la traction exercée sur l’élément d’étanchéité vise à produire un passage annulaire qui permet d’équilibrer la pression, je conviens que les revendications du brevet ′561 ne comprennent ni dispositif ni méthode où l’équilibrage est entièrement attribuable à une soupape d’égalisation (c.-à-d. l’équilibrage s’effectue avant la formation du passage annulaire).
D. Les produits ou activités de NCS constituent-ils une contrefaçon du brevet ′561?
[130] La preuve dont la Cour dispose ne lui permet pas de se prononcer sur la contrefaçon dans le cadre de la présente requête ou d’un procès sommaire.
[131] La preuve ne permet pas d’établir clairement si les AF de NCS constituent une contrefaçon du brevet ′561. Le texte des revendications de ce brevet indique qu’une traction exercée sur l’élément d’étanchéité produit un passage annulaire à travers lequel un fluide peut circuler, afin d’égaliser la pression. Par conséquent, il y a contrefaçon uniquement lorsque la traction crée un passage annulaire qui entraîne une égalisation de pression, et ce, même si les procédures de NCS entraînent une traction de l’élément d’étanchéité. Étant donné que les AF de NCS comportent des soupapes d’égalisation, le passage annulaire ne provoque aucune égalisation de pression si les soupapes égalisent la pression avant la formation du passage et il n’y a aucune contrefaçon.
[132] D’après le rapport de M. Fleckenstein, le mandrin des garnitures d’étanchéités des AF Mongoose, SFC et SFC 2 se déplace sur [***] po pour ouvrir les soupapes d’égalisation, et après leur ouverture, une traction continue du mandrin en cause entraîne aussi une traction de l’élément d’étanchéité.
[133] L’analyse de la contrefaçon effectuée par M. Fleckenstein semble fondée sur l’hypothèse selon laquelle il y a contrefaçon dès qu’une traction est exercée sur l’élément d’étanchéité. Or, ce n’est pas le cas, car le mémoire descriptif du brevet ′561 montre clairement qu’un passage annulaire n’est pas produit immédiatement après la traction de l’élément d’étanchéité.
[134] La figure 2 du brevet ′561, qui présente le processus de blocage et de déblocage d’un forage (processus qui est également montré à la figure 3), en constitue le meilleur exemple. À la figure 2C, l’élément d’étanchéité est complètement comprimé et le forage scellé. À la figure 2D, le mandrin est partiellement retiré d’un forage, l’anneau commence à tirer sur l’élément d’étanchéité, mais l’extrémité de traction de ce dernier est clairement dégagée de la paroi du forage, contrairement à l’extrémité opposée. Aucun passage annulaire ne permet à un fluide de circuler, ce dont témoigne aussi la figure 2E, laquelle montre le mandrin davantage retiré du forage et, par conséquent, l’élément d’étanchéité davantage détaché; on y constate toutefois aussi que l’élément d’étanchéité pousse toujours contre la paroi du puits. Ce n’est qu’à la figure 2F que l’élément d’étanchéité est totalement dégagé, qu’un passage annulaire est produit et qu’un fluide peut s’écouler.
[135] Le processus de création d’un passage annulaire dure un certain temps. Il est tout à fait possible que dans un dispositif doté d’une soupape d’égalisation, l’équilibrage s’opère avant la formation d’un passage annulaire, surtout dans des AF comme les Mongoose, SFC et SFC 2, dont la soupape d’égalisation s’ouvre complètement avant toute traction de l’élément d’étanchéité.
[136] La preuve au sujet du temps requis pour que l’équilibrage s’effectue est contradictoire. Selon le témoignage de M. Fleckenstein, le temps requis pour l’équilibrage est de l’ordre de quelques minutes; mais selon le témoignage de M. Redecopp, l’équilibrage est presque instantané et s’effectue en quelques secondes. Bien que M. Redecopp ait admis qu’il était possible que l’équilibrage exige plus de temps, il affirme qu’il ne l’a jamais constaté personnellement.
[137] D’une part, la Cour dispose du témoignage de M. Fleckenstein selon qui l’équilibrage s’effectue en quelques minutes. M. Fleckenstein est un expert en matière d’AF. D’autre part, la Cour dispose du témoignage de M. Redecopp selon lequel l’équilibrage est une question de secondes. M. Redecopp n’est peut-être pas un expert, mais il possède une expérience directe avec au moins quelques-uns des AF de NCS qui ont réellement été utilisés sur le terrain.
[138] J’estime que la preuve présentée dans le cadre de la présente requête ne permet pas de savoir combien de temps est nécessaire pour équilibrer la pression au moyen d’une soupape d’égalisation. Vu qu’on ne sait pas avec certitude combien de temps est nécessaire pour qu’un passage annulaire se forme au moyen d’une traction exercée sur l’élément d’étanchéité, il est difficile de dire si l’équilibrage se serait déjà achevé avant la formation du passage annulaire.
[139] Je tiens à faire remarquer que M. Fleckenstein a établi une distinction entre l’Innovus et les autres AF en raison de sa vis de pression, laquelle permet, à son avis, de fixer l’élément d’étanchéité et le mandrin fixés l’un à l’autre. NCS conteste l’affirmation de M. Fleckenstein selon laquelle l’élément d’étanchéité et le mandrin de l’Innovus sont fixés l’un à l’autre. Si, contrairement aux autres AF, l’Innovus est muni d’un mandrin et d’un élément d’étanchéité fixés l’un à l’autre, le retrait de cet élément devrait s’opérer en même temps que l’ouverture de la soupape d’égalisation.
[140] Si le retrait de l’élément d’étanchéité se produit en même temps que l’ouverture de la soupape, les risques que cette ouverture entraîne un équilibrage incomplet devraient être supérieurs lors de la formation du passage annulaire. Or, on ne sait toujours pas combien de temps il faut avant qu’un passage annulaire ne se forme et si la création du passage peut être plus rapide que l’ouverture de la soupape.
[141] Comme il est difficile de se faire une idée de la durée de ces deux procédés, il est impossible de tirer une conclusion sur la question de savoir si les AF de NCS constituent une contrefaçon du brevet ′561. D’autres éléments de preuve seront vraisemblablement présentés à la Cour dans le cadre d’un procès complet pour qu’elle tranche cette question. Certes, le juge d’instruction aura l’avantage d’entendre les témoins et leur contre-interrogatoire.
[142] Par conséquent, la question de savoir si les AF de NCS constituent une contrefaçon du brevet ′561 ne se prête pas à un jugement sommaire ou à un procès sommaire.
E. NCS peut-elle invoquer l’article 56 de la Loi sur les brevets comme moyen de défense contre toute contrefaçon?
[143] NCS soutient qu’elle achète l’élément Blue Bullet auprès d’un fabricant tiers depuis 2012, avant la date de revendication du brevet ′561. Par conséquent, elle affirme que le paragraphe 56(6) lui confère le droit de continuer d’utiliser les éléments Blue Bullet qui sont sensiblement les mêmes et qui fonctionnent de la même façon que ceux obtenus avant la date de revendication. De même, elle fait valoir que les services fournis au moyen de l’élément Blue Bullet sont sensiblement les mêmes aujourd’hui qu’en 2012 et que, pour cette raison, le paragraphe 56(9) s’applique.
[144] Kobold affirme que la défenderesse ne peut invoquer les paragraphes 56(6) et (9) de la Loi sur les brevets, car ces dispositions ne fournissent des moyens de défense que pour les utilisateurs tiers, ce que la défenderesse n’est pas. Elle fait valoir que ces dispositions offrent une protection élargie, car un tiers innocent n’est peut-être pas au courant de tous les détails qui se rapportent à un article qu’il achète ou à un service qu’il utilise. Kobold affirme que cette protection élargie dispense le tiers de prouver que ce qu’il utilise est la même chose que ce qu’il pouvait obtenir auparavant, pourvu que ce soit essentiellement la même chose et que son utilisation soit la même.
[145] Je suis d’accord avec Kobold pour dire que NCS ne peut avoir recours aux paragraphes 56(6) et (9) de la Loi sur les brevets.
[146] Il est manifeste que les paragraphes 56(6) et (9) de la Loi sur les brevets visent à protéger les tiers qui achètent des articles ou les services d’autres personnes. S’agissant du paragraphe 56(9), rien dans la preuve ne démontre que NCS achète des services auprès d’autres fournisseurs : selon la preuve, NCS exploite elle-même les services. Les clients de NCS peuvent certes invoquer le paragraphe 56(9), mais NCS ne le peut pas.
[147] S’agissant du paragraphe 56(6), rien dans la preuve ne permet d’établir que NCS se procure l’élément Blue Bullet auprès d’un tiers. Elle n’a pas identifié un tel tiers. Elle a fourni de nombreux dessins techniques montrant la conception de l’élément Blue Bullet et ses AF. Au mieux, ces dessins peuvent tendre à démontrer que NCS a mandaté un tiers pour construire l’élément Blue Bullet pour son compte. Je ne vois pas pourquoi une partie pourrait tirer du paragraphe 56(6) des droits plus généreux simplement parce qu’elle choisit d’externaliser la production de dispositifs qu’elle a conçus.
[148] Dans le cadre d’un jugement sommaire, les parties sont tenues de présenter leurs meilleurs arguments et la Cour peut inférer de l’absence de toute preuve, que la preuve ne serait pas favorable (voir Kirkbi Ag c. Gestion Ritvik Inc., [1998] A.C.F. no 912 (QL) (1re inst.), au paragraphe 56). Étant donné qu’aucun élément de preuve concernant le fabricant tiers n’a été produit, la Cour peut inférer que ce tiers n’existe pas.
[149] Je retiens également l’autre argument de Kobold selon lequel le paragraphe 56(6) ne s’applique pas parce que l’exploitation de l’élément Blue Bullet ne correspond pas à l’acte susceptible de constituer une contrefaçon. Les revendications 1, 9 et 12 du brevet ′561 visent l’utilisation d’outils qui incorporent des éléments qui ne sont pas présents dans l’élément Blue Bullet, et la revendication 15 vise un outil d’égalisation de pression comprenant des éléments non présents dans l’élément Blue Bullet. Ce n’est que l’utilisation conjointe de l’élément Blue Bullet et d’autres éléments des garnitures d’étanchéité des AF de NCS qui constitue une contrefaçon des revendications.
[150] Vu que la preuve présentée par NCS ne donne pas ouverture aux moyens de défense fondés sur les paragraphes 56(6) et (9) de la Loi sur les brevets, il est approprié de rendre un jugement sommaire sur la question de savoir si ces dispositions s’appliquent. Ces moyens de défense sont rejetés.
[151] Compte tenu de mon interprétation du paragraphe 56(1) de la Loi sur les brevets, il est nécessaire de décider dans le cas où les actes commis par NCS avant la date de revendication du brevet ′561 ne sont pas identiques à ceux commis après cette date, lesquels constitueraient une contrefaçon du brevet ′561. La présente espèce n’est pas une affaire où aucune modification n’a été apportée aux actes commis par la défenderesse : il est donc nécessaire que la Cour effectue une analyse de la contrefaçon afin de savoir quels actes doivent faire l’objet d’une comparaison.
[152] Comme je l’ai déjà mentionné, j’estime que la preuve ne permet pas de savoir quels actes commis par NCS constituent une contrefaçon du brevet ′561.
[153] Outre l’exigence selon laquelle les actes doivent par ailleurs constituer une contrefaçon, il est aussi nécessaire, selon mon interprétation du paragraphe 56(1), que les actes soient liés à l’idée originale du brevet. À mon avis, il est manifeste que l’idée originale du brevet ′561 est la connexion entre l’élément d’étanchéité et le mandrin, de sorte que, lorsqu’on exerce une traction sur le mandrin, une traction est également exercée sur l’élément d’étanchéité, formant ainsi un passage annulaire qui égalise la pression.
[154] Bon nombre des changements que M. Fleckenstein mentionne dans son affidavit ne semblent pas être liés à l’idée originale du brevet ′561. Cependant, la vis de pression supplémentaire dans l’AF Innovus et l’ajout d’un anneau fendu à l’AF SFC 2 se rapportent tous deux à la connexion entre le mandrin et l’élément d’étanchéité, qui fait partie de l’idée originale du brevet ′561.
[155] L’ajout de l’anneau fendu au SFC 2 constituerait un acte distinct de ceux qui ont été commis antérieurement à la date de revendication et, s’il est possible de démontrer que l’utilisation de l’AF SFC constitue une contrefaçon du brevet ′561, NCS ne pourrait compter sur son utilisation antérieure de l’AF Mongoose pour éviter que son utilisation de l’AF SFC 2 constitue une contrefaçon.
[156] La question de savoir si la vis de pression de l’AF Innovus fixe l’élément d’étanchéité au mandrin est un point de discorde. Si la vis fixe bien cet élément, et si la formation d’un passage annulaire entraîne, en partie à tout le moins, l’équilibrage de l’AF Innovus, cet AF constituerait une contrefaçon des revendications 9 et 12 du brevet ′561. L’acte ainsi commis par NCS serait manifestement différent de ceux qu’elle a commis avant la date de revendication, car les éléments d’étanchéité antérieurs à la date de revendication de NCS étaient connectés au mandrin, mais ils n’étaient pas fixés à celui-ci, de sorte qu’ils ne constituaient pas une contrefaçon des revendications 9 et 12.
[157] NCS a tenté de réfuter l’affirmation de M. Fleckenstein selon laquelle la vis de pression de l’AF Innovus fixe l’élément d’étanchéité au mandrin au moyen d’une image agrandie du dessin de l’AF Innovus. En contre-interrogatoire, M. Fleckenstein a mis en doute l’exactitude de ce dessin.
[158] Je conviens avec Kobold qu’il faudrait tenir pour acquis la simple affirmation de fait des avocats de NCS pour reconnaître l’exactitude de ce dessin. L’image agrandie ne faisait pas partie des documents préalablement fournis par NCS. Il me semble que ni l’image agrandie ni le document original n’ont été reconnus par M. Redecopp. La Cour ne dispose d’aucune preuve quant à l’origine, l’authenticité ou l’exactitude de l’image agrandie ou du dessin original. Par conséquent, il ne semble y avoir aucune raison impérieuse de ne pas tenir compte du témoignage de M. Fleckenstein selon lequel la vis de pression fixe l’élément d’étanchéité au mandrin de l’AF Innovus.
[159] Pour ces motifs, la requête sera rejetée en ce qui concerne le recours, par NCS, au moyen de défense fondé sur le paragraphe 56(1) de la Loi sur les brevets. Ce point doit être examiné dans le cadre de l’instruction de l’action.
IV. Conclusion
[160] Un jugement sommaire sera rendu sur les points suivants : l’interprétation de l’article 56 de la Loi sur les brevets, l’interprétation du brevet ′561 et l’impossibilité d’invoquer les moyens de défense fondés sur les paragraphes 56(6) et (9) de la Loi sur les brevets. Vu que Kobold a admis que NCS pouvait continuer de fabriquer et d’utiliser le Mongoose, la demande sera rejetée quant à ce dispositif. La Cour ne rendra pas un jugement sommaire sur les questions liées à la contrefaçon et à l’application du paragraphe 56(1) de la Loi sur les brevets aux faits de l’espèce.
[161] Les parties ont toutes deux partiellement gain de cause dans le cadre de la présente requête. J’estime qu’il convient d’adjuger les dépens à la partie qui aura gain de cause.
[162] La présente version des motifs et du jugement est confidentielle en raison d’une ordonnance de confidentialité en vigueur dans la présente instance. La Cour a fait de son mieux pour éviter que ses motifs révèlent des renseignements confidentiels. La Cour ordonne aux parties de l’informer au plus tard le 5 janvier 2022 des renseignements qu’elles proposent de faire caviarder dans la version publique des présents motifs.
JUGEMENT dans le dossier T-451-20
LA COUR STATUE comme suit :
1. Un jugement sommaire est rendu quant à l’interprétation des paragraphes 56(1), (6) et (9) de la Loi sur les brevets, lesquels doivent être interprétés conformément aux présents motifs de jugement.
2. Un jugement sommaire est rendu en faveur des demanderesses quant aux moyens de défense fondés sur les paragraphes 56(6) et (9) de la Loi sur les brevets invoqués par la défenderesse.
3. Un jugement sommaire est rendu quant à l’interprétation du brevet canadien no 2919561, lequel doit être interprété conformément aux présents motifs de jugement.
4. Un jugement sommaire est rendu en faveur de la défenderesse quant aux revendications liées à son dispositif Mongoose.
5. À tous autres égards, la requête en jugement sommaire est rejetée et l’action doit être instruite.
6. Les dépens seront adjugés à la partie qui aura gain de cause.
Annexe A
Exception — utilisation antérieure
56 (1) Sous réserve du paragraphe (2), si une personne, avant la date d’une revendication se rapportant à un brevet et de bonne foi, a commis un acte qui par ailleurs constituerait une contrefaçon du brevet relativement à la revendication, ou a fait de bonne foi des préparatifs effectifs et sérieux en vue de commettre un tel acte, l’acte ne constitue pas une contrefaçon du brevet ou de tout certificat de protection supplémentaire qui mentionne le brevet, relativement à cette revendication, si cette personne commet le même acte à compter de cette date.
Transfert
(2) Si l’acte visé au paragraphe (1) a été commis, ou si les préparatifs en vue de la commission de l’acte ont été faits, dans le cadre d’une entreprise et que celle-ci, ou la partie de celle-ci dans le cadre de laquelle l’acte a été commis ou les préparatifs ont été faits, est ensuite transférée, les règles suivantes s’appliquent :
a) le paragraphe (1) ou l’alinéa b), selon le cas, ne s’applique pas à l’acte commis par le cédant après le transfert;
b) l’acte ne constitue pas une contrefaçon du brevet ou de tout certificat de protection supplémentaire qui mentionne le brevet, relativement à la revendication, si le cessionnaire le commet après le transfert.
Exception — utilisation ou vente d’un article
(3) L’utilisation ou la vente d’un article ne constitue pas une contrefaçon de brevet, ou de tout certificat de protection supplémentaire qui mentionne le brevet, si l’article est acquis, de façon directe ou autrement, d’une personne qui, au moment où elle s’en est départie, pouvait le vendre sans contrefaire le brevet ou le certificat :
a) parce que la personne, avant la date d’une revendication se rapportant au brevet et de bonne foi, a commis un acte qui par ailleurs constituerait une contrefaçon du brevet relativement à la revendication et qu’elle s’en est départie avant cette date;
b) aux termes du paragraphe (1) ou de l’alinéa (2)b).
Exception — utilisation d’un service
(4) L’utilisation d’un service ne constitue pas une contrefaçon de brevet si le service est fourni par une personne qui peut, aux termes du paragraphe (1) ou de l’alinéa (2)b), le faire sans contrefaire le brevet.
Non-application
(5) Le paragraphe (1) ou l’alinéa (3)a) ne s’applique pas si la personne visée à ce paragraphe ou à cet alinéa a pu, selon le cas, commettre l’acte ou faire les préparatifs en vue de le commettre uniquement parce qu’elle a obtenu, de façon directe ou autrement, l’information à l’égard de l’objet que définit la revendication de la part du demandeur de la demande au titre de laquelle le brevet a été accordé et qu’elle savait que cette information provenait du demandeur.
Exception — utilisation d’un article
(6) Sous réserve du paragraphe (7), l’utilisation d’un article ne constitue pas une contrefaçon de brevet ou de tout certificat de protection supplémentaire qui mentionne le brevet, relativement à une revendication, si l’article est acquis, directement ou autrement, d’une personne qui, avant la date de la revendication, a de bonne foi fabriqué ou vendu — ou a fait de bonne foi des préparatifs effectifs et sérieux en vue de fabriquer ou de vendre — un article, qui est sensiblement le même que celui utilisé, pour cette utilisation.
Transfert
(7) Si la fabrication ou la vente visée au paragraphe (6), ou les préparatifs en vue de la fabrication ou de la vente, ont été faits dans le cadre d’une entreprise et que celle-ci, ou la partie de celle-ci dans le cadre de laquelle la fabrication, la vente ou les préparatifs ont été faits, est ensuite transférée, les règles suivantes s’appliquent :
a) le paragraphe (6) ou l’alinéa b), selon le cas, ne s’applique pas à l’égard de l’article qui, après le transfert, est fabriqué ou vendu par le cédant;
b) l’utilisation de l’article ne constitue pas une contrefaçon du brevet ou de tout certificat de protection supplémentaire qui mentionne le brevet, à l’égard de la revendication visée au paragraphe (6), si l’utilisateur en fait la même utilisation que celle prévue à ce paragraphe et que l’article est fabriqué ou vendu par le cessionnaire, après le transfert, pour cette utilisation.
Non-application
(8) Le paragraphe (6) ne s’applique pas si la personne visée à ce paragraphe a pu fabriquer ou vendre l’article, ou faire les préparatifs en vue de le fabriquer ou de le vendre, uniquement parce qu’elle a obtenu, de façon directe ou autrement, l’information à l’égard de l’utilisation que définit la revendication de la part du demandeur de la demande au titre de laquelle le brevet a été accordé et qu’elle savait que cette information provenait du demandeur.
Exception — utilisation d’un service
(9) Sous réserve du paragraphe (10), l’utilisation d’un service ne constitue pas une contrefaçon de brevet relativement à une revendication si le service a été fourni par une personne qui, avant la date de la revendication, a de bonne foi fourni — ou a fait de bonne foi des préparatifs effectifs et sérieux en vue de fournir — un service, qui est sensiblement le même que celui utilisé, pour cette utilisation.
Transfert
(10) Si le service visé au paragraphe (9) a été fourni, ou si les préparatifs en vue de la fourniture du service ont été faits, dans le cadre d’une entreprise et que celle-ci, ou la partie de celle-ci dans le cadre de laquelle le service a été fourni ou les préparatifs ont été faits, est ensuite transférée, les règles ci-après s’appliquent après le transfert :
a) le cédant est réputé ne plus être la personne visée au paragraphe (9) pour l’application de ce paragraphe;
b) le cessionnaire est réputé être la personne qui a fourni le service pour l’application du paragraphe (9).
Non-application
(11) Le paragraphe (9) ne s’applique pas si la personne visée à ce paragraphe a pu fournir le service ou faire les préparatifs en vue de le fournir uniquement parce qu’elle a obtenu, de façon directe ou autrement, l’information à l’égard de l’utilisation que définit la revendication de la part du demandeur de la demande au titre de laquelle le brevet a été accordé et qu’elle savait que cette information provenait du demandeur.