A-210-19
A-211-19
2020 CAF 119
Geraldine Shier LaLiberte, Eileen Rheindel LaLiberte, Robert Doucette, Annette McComb et Randy Darren Ouellette (appelants)
c.
Brian Day et Sa Majesté la Reine (intimés)
Répertorié : LaLiberte c. Day
Cour d’appel fédérale, les juges Webb, Laskin et Mactavish, J.C.A.—Par vidéoconférence organisée par le greffe, 15 juin; Ottawa, 13 juillet 2020.
Pratique — Recours collectifs — Appel interjeté à l’encontre d’une ordonnance par laquelle la Cour fédérale a accueilli la requête en conduite de l’instance en faveur du représentant demandeur proposé dans l’action Day c. Canada (Procureur général) (action de M. Day), et a suspendu les autres requêtes en conduite de l’instance dans l’action LaLiberte c. Canada (Procureur général), McComb c. Canada et Ouellette c. Canada (action des demandeurs LMO) — Les appelants ont soutenu que le juge des requêtes a commis des erreurs de droit et de fait en accordant la conduite de l’instance au demandeur dans l’action de M. Day — Pour déterminer la conduite de l’instance, le juge des requêtes a adopté le critère multifactoriel établi par les tribunaux de l’Ontario — Il a exposé les facteurs les plus pertinents et a conclu que la qualité des représentants demandeurs proposés, la définition du groupe, et la qualité, la compétence et la conduite des avocats, jouaient en faveur des avocats de l’action de M. Day — Il s’agissait de savoir si, en confiant la conduite de l’instance au demandeur de l’action de M. Day, le juge des requêtes a commis des erreurs de fait et de droit — Le juge des requêtes n’a pas commis d’erreur en prenant en compte les circonstances de M. Day et la nature du préjudice qu’il portait devant les tribunaux — Il a examiné la « qualité du représentant demandeur » — Il pouvait considérer l’affidavit de l’avocat et l’acte de procédure, ensemble, comme ayant une valeur probante — Il n’a pas imposé à tort l’exigence du modèle type — Le juge des requêtes était en droit de conclure que la situation de M. Day et les préjudices qu’il alléguait constituaient un point de départ avantageux pour présenter une demande au nom du groupe — La liste des facteurs qui peuvent être pris en compte dans une requête en conduite de l’instance n’est pas exhaustive — Il s’agit de moyens d’aider la cour, dans le contexte propre à chaque affaire, à prendre une décision qui est dans l’intérêt supérieur du groupe — L’examen de la situation de M. Day et des préjudices allégués au regard du libellé que le juge des requêtes a choisi ne constituait pas une erreur de droit — Ce n’était pas une erreur de la part du juge des requêtes de conclure que l’expérience des avocats pouvait remédier à l’absence de lien entre M. Day et la collectivité — La discussion de l’expérience de l’avocat a montré les liens entre les facteurs pertinents — Le juge des requêtes a effectué une évaluation globale et un exercice du jugement judiciaire — La conclusion du juge des requêtes était que les demandeurs LMO n’avaient fait part d’aucun lien particulier avec les collectivités d’Indiens non-inscrits — Il n’était pas manifeste que le juge des requêtes a fait une comparaison binaire entre l’expérience des avocats dans l’affaire Daniels (Affaires autochtones et du Nord Canada), d’une part, et le fait d’être représenté par des avocats autochtones, d’autre part — Le juge des requêtes avait connaissance de l’expérience des avocats autochtones qui faisaient partie du consortium de l’action des demandeurs LMO — Il n’a pas commis une erreur en ne faisant pas mention de ces éléments de preuve lorsqu’il a examiné la compétence des avocats de l’action de M. Day — Il était loisible au juge des requêtes d’établir cette comparaison — Le juge des requêtes n’a pas commis d’erreur en qualifiant de surenchère l’ajout des Indiens non-inscrits au groupe dans l’action des demandeurs LMO après la mise au rôle des requêtes en conduite de l’instance — Appel rejeté.
Il s’agissait d’un appel interjeté à l’encontre d’une ordonnance par laquelle la Cour fédérale a accueilli la requête en conduite de l’instance en faveur du représentant demandeur proposé dans l’action Day c. Canada (Procureur général) (action de M. Day), et a suspendu les autres requêtes en conduite de l’instance dans l’action LaLiberte c. Canada (Procureur général), McComb c. Canada et Ouellette c. Canada (action des demandeurs LMO).
Le présent appel concernait la conduite d’un recours collectif envisagé au nom des Métis et des Indiens non-inscrits touchés par la rafle des années 1960. Les représentants demandeurs proposés dans l’action des demandeurs LMO ont demandé à la Cour d’annuler l’ordonnance du juge des requêtes, de trancher à nouveau la question de la conduite de l’instance, de leur accorder la conduite de l’instance, de regrouper les trois actions et de suspendre l’action de M. Day. Ils ont soutenu que le juge des requêtes a commis à la fois des erreurs de droit et des erreurs manifestes et dominantes sur des questions de fait en accordant la conduite de l’instance au demandeur dans l’action de M. Day. Pour déterminer la conduite de l’instance, le juge des requêtes a adopté le critère multifactoriel établi par les tribunaux de l’Ontario. Le juge des requêtes a exposé les facteurs qu’il estimait les plus pertinents en l’espèce et a conclu que la qualité des représentants demandeurs proposés (un « facteur déterminant »), la définition du groupe, et la qualité, la compétence et la conduite des avocats, jouaient en faveur des avocats de l’action de M. Day.
Il s’agissait de savoir si, en confiant la conduite de l’instance au demandeur de l’action de M. Day, le juge des requêtes a commis des erreurs : 1) a) en évaluant la « représentativité du demandeur » plutôt que la « qualité du représentant demandeur », b) en déterminant que les efforts et la compétence des avocats de l’action de M. Day pouvaient remédier aux lacunes de M. Day en tant que représentant demandeur, c) en concluant que les demandeurs LMO n’avaient pas présenté d’éléments au soutien de leur représentation du volet du litige qui touche les Indiens non-inscrits; 2)a) en accordant plus de poids à l’expérience des avocats de l’action de M. Day dans l’affaire Daniels c. Canada (Affaires autochtones et du Nord Canada) (Daniels) qu’à l’importance d’avoir des avocats autochtones pour représenter le groupe, b) en ne tenant pas compte de l’expérience des avocats autochtones de l’action des demandeurs LMO; et 3) en qualifiant de « surenchère » [1] la modification, pour y inclure les Indiens non-inscrits, de la définition du groupe dans la déclaration commune proposée dans l’action des demandeurs.
Arrêt : l’appel doit être rejeté.
Le juge des requêtes n’a pas commis d’erreur en prenant en compte les circonstances de M. Day et la nature du préjudice qu’il portait devant les tribunaux. Le juge des requêtes a bel et bien examiné la « qualité du représentant demandeur » comme, selon les avocats de l’action des demandeurs LMO, il devait le faire. Le juge des requêtes pouvait considérer l’affidavit de l’avocat et l’acte de procédure, ensemble, comme ayant une valeur probante. En examinant ensuite la situation de M. Day et la nature des préjudices qu’il alléguait, le juge des requêtes n’a pas imposé à tort l’exigence du modèle type. Traitant l’affaire en tenant pour acquis qu’elle serait instruite jusqu’à ce qu’elle soit tranchée et reconnaissant que M. Day personnifiait certaines des pires conséquences de la rafle des années 1960, le juge des requêtes a estimé que la situation de M. Day et les préjudices qu’il alléguait constituaient un point de départ avantageux pour présenter une demande au nom du groupe. Le juge des requêtes était en droit d’arriver à cette conclusion et de tenir compte de cet élément dans sa décision sur la conduite de l’instance. Les facteurs qui peuvent être pris en compte dans une requête en conduite de l’instance ne sont pas des fins en soi. Il s’agit plutôt de moyens d’aider la cour, dans le contexte propre à chaque affaire, à prendre une décision qui est dans l’intérêt supérieur du groupe. C’est pourquoi, dans la jurisprudence, il est systématiquement précisé que la liste des facteurs est non exhaustive. Le juge des requêtes aurait pu examiner la situation de M. Day et les préjudices qu’il allègue sans égard aux facteurs qu’il a tirés de la jurisprudence. Son examen de ces éléments au regard du libellé qu’il a choisi ne constituait pas une erreur de droit. Ce n’était pas une erreur de la part du juge des requêtes de conclure que l’expérience des avocats pouvait remédier à l’absence de lien entre M. Day et la collectivité. Le fait que le juge des requêtes a fait mention de l’expérience de l’avocat dans la discussion du facteur concernant le représentant demandeur n’a pas révélé une erreur de droit, mais a montré simplement les liens entre les facteurs pertinents. Il ne faudrait pas s’inquiéter qu’un facteur ait pu « compter en double ». Le juge des requêtes n’a pas adopté l’approche consistant à [traduction] « cocher les cases » et à compter les points attribués à chaque facteur. Il a effectué « une évaluation plus globale et [un] exercice du jugement judiciaire » pour décider qui devrait assurer la conduite de l’instance. Les motifs du juge des requêtes montrent qu’il a pris note que l’engagement de chacun des trois représentants demandeurs proposés dans l’action des demandeurs LMO allait au-delà des collectivités métisses. Il pouvait quand même conclure que leur expérience était « axée sur les Métis » et retenir, au bout du compte, les éléments de preuve justifiant que la conduite de l’instance soit confiée au demandeur dans l’action de M. Day. La conclusion du juge des requêtes était que les demandeurs LMO n’avaient « fait part d’aucun lien particulier avec les collectivités [d’Indiens non-inscrits] ».
Il n’était pas manifeste que le juge des requêtes a fait une comparaison binaire entre l’expérience des avocats dans l’affaire Daniels, d’une part, et le fait pour les demandeurs d’être représentés par des avocats autochtones, d’autre part. Même si le juge des requêtes avait fait cette comparaison, les faits justifiant qu’il prenne en compte l’importance pour le groupe d’avoir des avocats autochtones ne semblent pas avoir été établis. Il était évident que le juge des requêtes avait connaissance des éléments de preuve concernant l’expérience des avocats autochtones qui faisaient partie du consortium de l’action des demandeurs LMO. Le juge des requêtes n’a pas commis une erreur en ne faisant pas mention de ces éléments de preuve lorsqu’il a examiné la compétence des avocats de l’action de M. Day dans son analyse du facteur de la qualité, de la compétence et de la conduite des avocats. Il était loisible au juge des requêtes d’établir la comparaison qu’il a établie, d’autant plus qu’il s’est fondé sur le principe selon lequel l’affaire serait instruite jusqu’à ce qu’elle soit tranchée.
Le juge des requêtes a estimé que l’ajout des Indiens non-inscrits au groupe dans l’action des demandeurs LMO après la mise au rôle des requêtes en conduite de l’instance constituait de la surenchère. Il n’y avait aucune erreur de droit dans l’examen de cette question par le juge des requêtes. Le dossier aurait pu étayer la conclusion selon laquelle la modification consistant à inclure les Indiens non-inscrits relevait davantage des recherches des avocats que d’une quelconque tentative de s’approprier le fruit du travail des avocats de l’action de M. Day. Toutefois, il appartenait au juge des requêtes de déterminer s’il y avait lieu de tirer une telle conclusion, et il n’appartenait pas à la Cour de remettre en question cette conclusion en appel. Et même s’il y avait une erreur à cet égard, elle ne serait ni manifeste ni dominante.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 91(24).
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 50.
Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 3, 81(1), 105b).
TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS
Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, Rés. A.G. 61/295, Doc. Off., 61e session, Suppl. no 49, vol. III, Doc. de l’ONU A/61/49 (2007).
JURISPRUDENCE CITÉE
DÉCISIONS EXAMINÉES :
Kowalyshyn v. Valeant Pharmaceuticals International, Inc., 2016 ONSC 3819 (CanLII); VitaPharm Canada Ltd. v. F. Hoffman-La Roche Ltd., (2000), 4 C.P.C. (5th) 169, [2000] O.J. no 4594 (QL) (C.S.); Daniels c. Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 CSC 12, [2016] 1 R.C.S. 99; Mancinelli v. Barrick Gold Corporation, 2016 ONCA 571, 131 O.R. (3d) 497, confirmant 2015 ONSC 2717 (CanLII), 126 O.R. (3d) 296 (C. div.); Strohmaier v. K.S., 2019 BCCA 388, 30 B.C.L.R. (6th) 289; Smith v. Sino-Forest Corporation, 2012 ONSC 24 (CanLII), 34 C.P.C. (7th) 76; Setterington v. Merck Frosst Canada Ltd. (2006), 26 C.P.C. (6th) 173, 2006 CanLII 2623 (C.S. Ont.).
DÉCISIONS CITÉES :
Riddle c. Canada, 2018 CF 901; Brown v. Canada (Attorney General), 2018 ONSC 3429 (CanLII); Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Corporation de soins de la santé Hospira c. Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, [2017] 1 R.C.F. 331; Salomon c. Matte‐Thompson, 2019 CSC 14, [2019] 1 R.C.S. 729; Mahjoub c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157, [2018] 2 R.C.F. 344; Western Canadian Shopping Centres Inc. c. Dutton, 2001 CSC 46, [2001] 2 R.C.S. 534; Thompson et al. v. Minister of Justice of Manitoba et al., 2017 MBCA 71 (CanLII), 5 C.P.C. (8th) 134; McSherry v. Zimmer GMBH, 2012 ONSC 4113 (CanLII), 36 C.P.C. (7th) 318; Del Giudice v. Thompson, 2020 ONSC 2676 (CanLII); Wong v. Marriott International Inc., 2020 BCSC 55; Quenneville v. Audi AG, 2018 ONSC 1530 (CanLII), 19 C.P.C. (8th) 89; Winder v. Marriott International Inc., 2019 ONSC 5766 (CanLII); Rogers v. Aphria Inc., 2019 ONSC 3698 (CanLII).
APPEL interjeté à l’encontre d’une ordonnance par laquelle la Cour fédérale (2019 CF 766, [2019] 4 R.C.F. 390) a accueilli la requête en conduite de l’instance en faveur du représentant demandeur proposé dans l’action Day c. Canada (Procureur général) et a suspendu les autres requêtes en conduite de l’instance dans l’action LaLiberte c. Canada (Procureur général), McComb c. Canada et Ouellette c. Canada. Appel rejeté.
ONT COMPARU :
Paul J. Pape et Shantona Chaudhury pour les appelants.
Michael A. Eizenga et Ilan Ishai pour l’intimé Brian Day.
Catharine Moore pour l’intimée Sa Majesté la Reine.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Strosberg Sasso Sutts LLP, Windsor, DD West LLP, Calgary, Aboriginal Law Group, Saskatoon, Klein Lawyers LLP, Vancouver, et Merchant Law Group LLP, Vancouver, pour les appelants.
Koskie Minsky LLP et Paliare Roland Rosenberg Rothstein LLP, Toronto, pour l’intimé Brian Day.
La sous-procureure générale du Canada pour l’intimée Sa Majesté la Reine.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Laskin, J.C.A. :
I. Introduction
[1] Lorsque deux ou plusieurs recours collectifs sont envisagés à l’égard de mêmes faits allégués et que les demandeurs et leurs avocats décident de ne pas collaborer, le demandeur dans une instance peut présenter une requête, appelée « requête en conduite de l’instance », demandant la suspension des autres instances.
[2] Le présent appel concerne la conduite d’un recours collectif envisagé au nom des Métis et des Indiens non inscrits touchés par la rafle des années 1960, mais exclus du règlement approuvé dans les décisions Riddle c. Canada, 2018 CF 901 et Brown v. Canada (Attorney General), 2018 ONSC 3429 (CanLII). La rafle des années 1960 était un programme fédéral par lequel des enfants indiens inscrits, inuits, métis et indiens non inscrits étaient retirés à leurs parents et placés dans des foyers d’accueil non autochtones ou donnés en adoption. Le règlement approuvé dans les décisions Riddle et Brown ne visait que les survivants indiens inscrits et inuits de la rafle des années 1960.
[3] Deux requêtes en conduite de l’instance ont été déposées devant la Cour fédérale. Elles ont été entendues ensemble. Une requête a été déposée pour le représentant demandeur proposé dans l’action Day c. Canada (Procureur général) [T‑2166-18], lequel est représenté par deux cabinets d’avocats basés à Toronto : Koskie Minsky LLP et Paliare Roland Rosenberg Rothstein LLP. Dans l’autre requête, on demandait à ce que les représentants demandeurs proposés dans les trois actions ci-après, dont le regroupement est également une mesure demandée, obtiennent la conduite de l’instance : LaLiberte c. Canada (Procureur général)[T-940-18], McComb c. Canada (Procureur général) [T-1251-18] et Ouellette c. Canada (Procureur général) [T‑1904-19]. Ils seraient représentés par un consortium de cinq cabinets d’avocats ayant des bureaux de Montréal à Vancouver : Strosberg Sasso Sutts LLP, Klein Lawyers LLP, Aboriginal Law Group, DD West LLP et Merchant Law Group LLP.
[4] Dans l’ordonnance faisant l’objet du présent appel (2019 CF 766, [2019] 4 R.C.F. 390, le juge Phelan), la Cour fédérale a accordé la conduite de l’instance au demandeur dans l’action de M. Day et a suspendu les trois autres instances. Il s’agit de la première ordonnance relative à la conduite de l’instance rendue par la Cour fédérale qui est contestée.
[5] Les représentants demandeurs proposés dans les trois instances qui ont été suspendues (lesquelles seront appelées collectivement « l’action des demandeurs LMO ») demandent à notre Cour d’annuler l’ordonnance du juge des requêtes, de trancher à nouveau la question de la conduite de l’instance, de leur accorder la conduite de l’instance, de regrouper les trois actions et de suspendre l’action de M. Day. Ils reconnaissent que le juge des requêtes (qui est également le juge chargé de la gestion de l’instance) a à juste titre effectué une analyse subjective lorsqu’il a exercé son pouvoir discrétionnaire afin de trancher la question de la conduite de l’instance en tenant compte de l’intérêt supérieur des membres du groupe. Ils reconnaissent que le juge des requêtes n’a pas commis d’erreur en adoptant la liste longue, mais non exhaustive, de facteurs potentiellement pertinents appliqués par les tribunaux de l’Ontario et de la Colombie-Britannique pour déterminer la conduite de l’instance. Ils ne contestent pas que le juge des requêtes avait le droit de retenir et d’examiner les facteurs qu’il estimait les plus pertinents dans le présent litige sur la conduite de l’instance. Cependant, ils soutiennent que le juge des requêtes a commis à la fois des erreurs de droit et des erreurs manifestes et dominantes sur des questions de fait en accordant la conduite de l’instance au demandeur dans l’action de M. Day.
[6] Je conclus que le juge des requêtes n’a commis aucune erreur susceptible de révision. Par conséquent, je rejetterais l’appel.
II. Les parties au litige et les instances
[7] À la fois dans l’action de M. Day et l’action des demandeurs LMO, les demandeurs sollicitent des dommages-intérêts et d’autres mesures de redressement de la part du Canada au nom des Métis et des Indiens non inscrits qui ont fait l’objet de la rafle des années 1960. Les déclarations, telles qu’elles ont été déposées, dans les trois procédures devant être regroupées pour constituer l’action des demandeurs LMO visaient seulement les Métis, et non les Indiens non inscrits. Les Indiens non inscrits ont été ajoutés au groupe dans la déclaration commune proposée de l’action des demandeurs LMO, préparée après la mise au rôle des requêtes en conduite de l’instance.
[8] Brian Day est le représentant demandeur proposé dans l’action de M. Day. Il n’a pas déposé d’affidavit dans la requête en conduite de l’instance; les renseignements le concernant proviennent de sa déclaration modifiée et de la preuve par affidavit d’un avocat du cabinet Koskie Minsky. Le juge des requêtes a estimé (au paragraphe 16) qu’il s’agissait d’une « lacune » dans la documentation qui jouait contre la requête en conduite de l’instance de M. Day, mais il a estimé que la documentation permettait à la Cour de rendre une décision, et il a établi que M. Day pouvait agir en tant que représentant demandeur. Selon sa déclaration modifiée, M. Day est un Métis et un survivant de la rafle des années 1960. M. Day soutient avoir perdu son identité culturelle métisse et n’avoir aucun lien avec sa communauté métisse, que ce soit sur le plan spirituel, émotionnel ou culturel, en raison de la rafle des années 1960. Le juge des requêtes a estimé que le vécu de M. Day (au paragraphe 18) « témoign[ait] des conséquences parmi les pires de l’aliénation produite par la rafle » et « [était] à l’origine même des questions soulevées dans le cadre des poursuites auxquelles prennent part les victimes de la rafle qui sont des Métis et des [Indiens non inscrits] ».
[9] Les trois représentants demandeurs proposés dans l’action des demandeurs LMO, soit Robert Doucette, Annette McComb et Randy Ouellette, sont tous également des survivants métis de la rafle des années 1960. Contrairement à M. Day, ils ont tous, malgré l’adversité et les difficultés, réussi à rétablir des liens avec la communauté métisse et à s’y intégrer. Le juge des requêtes a estimé (au paragraphe 15) que chacun d’eux avait fait preuve de connaissance et d’engagement envers les devoirs des représentants demandeurs et était profondément enraciné dans sa collectivité métisse. Ils sont également tous actifs au sein d’organisations autochtones non réservées aux Métis et dans la défense des intérêts des peuples autochtones en général. Cependant, il a conclu (au paragraphe 15) qu’ils n’ont « aucun lien particulier avec les collectivités [d’Indiens non inscrits]. »
III. La décision du juge des requêtes
A. La compétence pour juger les requêtes
[10] Le juge des requêtes a fait observer (au paragraphe 36) que les règles de la Cour fédérale en matière de recours collectif ne prévoient pas spécifiquement les requêtes en conduite de l’instance. Toutefois, il a conclu que l’article 50 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, et l’alinéa 105b) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [Règles], interprétés dans le contexte de la règle, confèrent à la Cour fédérale un pouvoir suffisant pour trancher des requêtes en conduite de l’instance. L’article 50 donne à la Cour fédérale le pouvoir discrétionnaire de suspendre une instance lorsque, entre autres, l’intérêt de la justice l’exige. L’alinéa 105b) autorise la Cour à ordonner qu’il soit sursis à une instance jusqu’à ce qu’une décision soit rendue à l’égard d’une autre instance. L’article 3 dispose que les Règles doivent être interprétées et appliquées de façon à permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible. Sans surprise, la conclusion du juge des requêtes sur la question de la compétence n’est pas contestée.
B. Le critère pour déterminer la conduite de l’instance
[11] Le juge des requêtes a ensuite adopté, comme les deux parties l’avaient demandé, le critère multifactoriel servant à déterminer la conduite des instances établi par les tribunaux de l’Ontario. Il a cité la liste non exhaustive des 16 facteurs énoncés dans la décision Kowalyshyn v. Valeant Pharmaceuticals International, Inc., 2016 ONSC 3819 (CanLII), au paragraphe 143 :
[traduction]
1) la qualité des représentants demandeurs proposés
2) le financement
3) les ententes d’honoraires et les ententes conclues par les consortiums
4) la qualité des avocats proposés du recours collectif
5) les conflits d’intérêts entraînant inhabilité
6) les mesures préparatoires au recours collectif et son état d’avancement
7) la priorité relative en fonction de la date où le recours collectif a été intenté
8) la théorie de la cause
9) l’étendue des causes d’action
10) la sélection des défendeurs
11) la corrélation entre les demandeurs et les défendeurs
12) la définition du groupe
13) la période visée par le recours collectif
14) les chances que l’instance soit autorisée comme recours collectif
15) les chances que l’action soit accueillie (et les défendeurs condamnés)
16) l’interrelation des recours collectifs déposés devant plus d’un tribunal
[12] Citant la décision de principe ontarienne en matière de conduite de l’instance, VitaPharm Canada Ltd. v. F. Hoffman-La Roche Ltd. (2000), 4 C.P.C. (5th) 169, [2000] O.J. no 4594 (QL) (C.S.), au paragraphe 48, le juge des requêtes a déclaré (au paragraphe 41) que « l’intérêt supérieur du groupe est primordial » dans la décision concernant la conduite de l’instance et que l’analyse multifactorielle « accorde à la Cour la souplesse nécessaire lui permettant de déterminer l’intérêt supérieur du groupe ». Il a exposé de la manière suivante les facteurs qu’il estime les plus pertinents en l’espèce et a qualifié le premier de ces facteurs de « facteur déterminant » [au paragraphe 42] :
• la qualité des représentants demandeurs proposés – facteur déterminant;
• les mesures préparatoires au recours collectif et son état d’avancement;
• la définition du groupe;
• l’étendue des causes d’action;
• le moment du dépôt du recours collectif;
• la qualité, la compétence et la conduite des avocats;
• la pertinence des recours collectifs déposés devant plus d’un tribunal.
[13] En réduisant la liste de 16 facteurs potentiellement pertinents à une liste plus courte des facteurs les plus pertinents en l’espèce, le juge des requêtes, dans la version anglaise de ses motifs, a quelque peu recadré le premier des facteurs qu’il a énoncés, c’est-à-dire que « the Quality of the Proposed Representative Plaintiffs », ou « la qualité des représentants demandeurs proposés », est devenu « the representative quality of the proposed plaintiff », qui aurait pu se traduire par « la représentativité des demandeurs proposés ». Il ne s’agit pas du seul changement. En réponse aux questions soulevées devant lui, il a également modifié le facteur « la qualité des avocats proposés du recours collectif », qui est devenu « la qualité, la compétence et la conduite des avocats ».
[14] Le juge des requêtes a déclaré que tous les facteurs n’avaient pas le même poids. Il a effectué son analyse selon le principe (au paragraphe 44) qu’il ne s’agit « pas de l’application mathématique de points attribués spécifiquement à chaque facteur, mais plutôt d’une évaluation plus globale et d’un exercice du jugement judiciaire visant à prévoir le mieux possible comment l’affaire évoluera ». Il avait exprimé plus tôt dans ses motifs l’avis selon lequel, malgré le règlement approuvé dans les décisions Riddle et Brown, il était nécessaire d’évaluer la conduite de l’instance en tenant pour acquis que l’affaire sera instruite jusqu’à ce qu’elle soit tranchée.
C. L’examen des facteurs
1) Les représentants demandeurs
[15] Après avoir qualifié ce facteur de « facteur déterminant », le juge des requêtes a conclu (au paragraphe 45) que, bien que ce facteur ait pesé de façon presque équivalente pour chacune des parties, il militait néanmoins en faveur de l’action de M. Day « en raison de l’expérience et de l’intérêt que ses avocats démontrent envers la collectivité des [Indiens non inscrits] ». Il avait auparavant conclu que les éléments dont il disposait étaient suffisants pour établir que M. Day pouvait agir en qualité de représentant demandeur. Bien que le juge des requêtes ait affirmé (au paragraphe 46) que les représentants demandeurs proposés dans l’action des demandeurs LMO représentaient « convenablement le groupe en termes d’engagement et d’expérience » et avaient des liens avec la communauté métisse, il a conclu que leur « expérience [était] axée sur les Métis » et qu’ils n’avaient « pas présenté d’éléments au soutien de leur représentation du volet du litige qui touchent les [Indiens non inscrits]. »
[16] Le juge des requêtes a reconnu que M. Day n’avait aucun lien avec les collectivités métisses ou indiennes non inscrites. Cependant, il a conclu (au paragraphe 47) que la situation de M. Day « symbolise toutefois le type de circonstances et de préjudices communément vécus par les Métis et les [Indiens non inscrits], à l’extrémité la plus grave de la fourchette des préjudices. Il est théoriquement le demandeur parfait et il reflète les deux volets autochtones du litige. »
[17] Le juge des requêtes a ensuite conclu (au paragraphe 48) ce qui suit :
Les efforts déployés par les avocats pour interagir avec les Métis et les [Indiens non inscrits] ainsi que l’expérience pratique pertinente des avocats RP à l’égard des deux collectivités compensent l’absence de liens existant entre M. Day et la collectivité des Métis et des [Indiens non inscrits] attribuable à son vécu.
2) Les mesures préparatoires au recours collectif et son état d’avancement
[18] Le juge de la requête a estimé (aux paragraphes 49 et 50) que ce facteur « favorise légèrement l’action des demandeurs LMO parce que les avocats ont examiné des documents d’archives et ont au moins un rapport d’expert », mais que les parties en sont aux premiers stades de l’instance et que « [l’]écart dans la préparation démontrée dans les deux actions n’est donc pas important ».
3) La définition du groupe
[19] Le juge des requêtes a conclu (au paragraphe 51) que ce facteur « est en grande partie neutre, sinon il favorise légèrement l’action de M. Day ». Il a fait observer que, si la définition du groupe dans l’action des demandeurs LMO était plus objective, cette définition, contrairement à celle de l’action de M. Day, n’incluait pas initialement les Indiens non inscrits : ils ont seulement été ajoutés à la définition du groupe dans la déclaration commune proposée après la mise au rôle des requêtes en conduite de l’instance en février 2019. L’action de M. Day, avec sa définition de groupe plus inclusive, avait été déposée en décembre 2018. Le juge des requêtes a estimé que l’omission initiale était significative alors que le but de l’instance était d’obtenir une compensation pour les survivants autochtones de la rafle des années 1960 qui avaient été exclus du règlement dans les décisions Riddle et Brown. Il a également estimé qu’elle confirmait la prépondérance de la collectivité métisse dans l’action des demandeurs LMO et le peu d’intérêt envers les collectivités d’Indiens non inscrits. Tout en reconnaissant que l’omission avait été rectifiée, il a déclaré (au paragraphe 53) que « la Cour ne peut ignorer ce qui semble être une [traduction] “surenchère” de la part des demandeurs LMO avant que la Cour ait pu statuer sur la requête en conduite de l’instance », et que le « recours à une telle surenchère est déconseillé » dans les requêtes en conduite de l’instance.
4) L’étendue des causes d’action
[20] Le juge des requêtes a estimé (au paragraphe 55) que ce facteur « est essentiellement neutre, car les deux actions sont fondées principalement sur un manquement à l’obligation fiduciaire de la part du défendeur et aux obligations que la common law lui impose ». L’action des demandeurs LMO invoque également des arguments fondés sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, Rés. G.A. 61/295, Doc. off., 61e session, Suppl. no 49, vol. III, Doc. de l’ONU A/61/49 (2007), tandis que l’action de M. Day est aussi fondée sur l’honneur de la Couronne. Cependant, le juge des requêtes a déterminé (au paragraphe 59) qu’« [a]ucun des arguments supplémentaires qu’invoque une partie ne confère à l’un ou l’autre groupe un avantage sur la conduite de l’instance ».
5) La priorité en fonction de la date où le recours collectif a été intenté
[21] Le juge des requêtes a déclaré (au paragraphe 60) que ce facteur « doit être examiné d’un point de vue qualitatif ». Étant donné que les trois demandes constituant l’action des demandeurs LMO ont été déposées avant l’action de M. Day, il a estimé que ce facteur « favorise légèrement » l’action des demandeurs LMO. Toutefois, il a estimé que ce facteur (au paragraphe 61) « ne revêt pas une grande importance dans le cadre global du litige, car le l’écart temporel ne semble pas avoir d’incidence importante sur l’état d’avancement des instances respectives ».
6) La qualité, la compétence et la conduite des avocats
[22] Le juge des requêtes a dit de ce facteur (aux paragraphes 63 et 66) qu’il s’agissait « d’un facteur pertinent, mais pas aussi déterminant que certains auraient pu le croire » et que ce n’était « qu’un facteur parmi d’autres [dont l’]importance dépend des circonstances ».
[23] Il a reconnu [au paragraphe 64] que les deux groupes de cabinets d’avocats avaient une vaste expérience des recours collectifs et de la représentation des Métis, tout en estimant que ce facteur jouait en faveur des avocats de l’action de M. Day pour « un certain nombre de raisons ». Il s’agit « en particulier » de leur expertise en ce qui concerne les questions que l’arrêt Daniels c. Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 CSC 12, [2016] 1 R.C.S. 99, a laissées sans réponse. Pendant 15 ans, le cabinet Paliare Roland a plaidé cette affaire devant les tribunaux, au procès, en appel et finalement en appel devant la Cour suprême. Cette dernière a confirmé dans l’arrêt Daniels que les Métis et les Indiens non inscrits sont des « Indiens » au sens du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.‑U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], tout en concluant qu’il fallait trancher au cas par cas la question de savoir si des personnes données sont des Métis ou des Indiens non inscrits ou si une collectivité donnée est formée de telles personnes.
[24] Le juge des requêtes a estimé (au paragraphe 68) que certaines des questions non résolues dans l’arrêt Daniels se poseraient probablement dans l’instance en l’espèce. Il a estimé que l’expérience des avocats de l’action de M. Day, qui avaient représenté des Métis et des Indiens non inscrits, était unique et importante par rapport à celle des avocats de l’action des demandeurs LMO, qui avaient représenté des Métis.
[25] Le juge des requêtes a également tenu compte de la couverture géographique des deux consortiums de cabinets d’avocats. Il a conclu (aux paragraphes 70 et 71) que, bien que le groupe représentant les demandeurs LMO ait un « avantage géographique », il « a été avare de détails sur son organisation, sa division du travail ou sa direction, éléments qui lui permettraient d’établir qu’il est beaucoup plus en mesure de représenter les Métis et les [Indiens non inscrits] partout au pays ». Le juge des requêtes a fait observer (au paragraphe 73) que Koskie Minsky et Paliare Roland ont également eu gain de cause dans des recours collectifs nationaux. Il a conclu qu’aucune « différence qualitative n’existe entre les groupes concurrents en ce qui a trait à la question de la représentation géographique ».
[26] En concluant son examen de ce facteur, le juge des requêtes s’est penché (au paragraphe 74) sur les allégations des avocats de l’action de M. Day concernant la « tendance à adopter des comportements préjudiciables » qu’auraient eue dans d’autres instances plusieurs des cabinets d’avocats du consortium de l’action des demandeurs LMO. Il avait plus tôt fait référence (aux paragraphes 28 et 29) à ce qu’il a appelé le « “ressentiment” » qui subsistait entre certains de ces cabinets du fait de leurs rapports mutuels lors du premier litige sur la rafle des années 1960, ainsi qu’à des commentaires défavorables faits par les tribunaux au sujet de la conduite du cabinet Merchant Law Group.
[27] Le juge des requêtes a déclaré (au paragraphe 29) que le « “ressentiment” » n’était pas pertinent s’agissant de trancher la question dont il était saisi. Quant aux allégations contre le cabinet Merchant Law Group, il a estimé (au paragraphe 75) que la participation de ce cabinet ne constituait pas un motif de refuser de confier la conduite de l’instance au consortium dont il faisait partie, mais que sa réputation n’avantageait pas ce consortium.
7) L’interrelation des recours collectifs déposés devant plus d’un tribunal
[28] Le Canada a demandé que les parties aux requêtes en conduite de l’instance s’engagent à ne pas intenter de recours semblables devant d’autres tribunaux, quelle que soit l’issue des requêtes. Les avocats de l’action de M. Day étaient prêts à prendre cet engagement, mais ceux de l’action des demandeurs LMO ne l’étaient pas. Le juge des requêtes n’a pas retenu les motifs qu’ils ont avancés pour justifier leur refus de prendre cet engagement. Mais il a finalement décidé (aux paragraphes 82 et 84) qu’il ne trancherait pas la question de la conduite de l’instance en fonction de cet engagement et que la question était de toute façon théorique, car la conduite de l’instance était confiée au demandeur de l’action de M. Day.
IV. Les questions en litige
[29] Les avocats de l’action des demandeurs LMO soutiennent qu’en confiant la conduite de l’instance au demandeur de l’action de M. Day, le juge des requêtes a commis des erreurs de fait et de droit. Vu leurs observations écrites et verbales, j’énoncerais de la manière suivante les questions qu’ils soulèvent :
1) En examinant le facteur concernant le représentant demandeur, le juge des requêtes :
a) a-t-il commis une erreur de droit en évaluant la représentativité du demandeur (« representative quality of the plaintiff ») plutôt que la qualité du représentant demandeur ( « quality of the representative plaintiff »)?
b) a-t-il commis une erreur de droit en déterminant que les efforts et la compétence des avocats de l’action de M. Day pouvaient remédier aux lacunes de M. Day en tant que représentant demandeur?
c) a-t-il commis une erreur de fait en concluant que les demandeurs LMO n’avaient pas présenté d’éléments au soutien de leur représentation du volet du litige qui touche les Indiens non inscrits?
2) En évaluant la qualité, la compétence et la conduite des avocats, le juge des requêtes :
a) a-t-il commis une erreur de droit en accordant plus de poids à l’expérience des avocats de l’action de M. Day dans l’affaire Daniels qu’à l’importance d’avoir des avocats autochtones pour représenter le groupe?
b) a-t-il commis une erreur de fait en ne tenant pas compte de l’expérience des avocats autochtones de l’action des demandeurs LMO?
3) En évaluant le facteur des mesures préparatoires au recours et de son état d’avancement, le juge des requêtes a-t-il commis une erreur de fait ou de droit en qualifiant de « surenchère » la modification, pour y inclure les Indiens non inscrits, de la définition du groupe dans la déclaration commune proposée dans l’action des demandeurs LMO?
[30] Avant d’analyser chacune de ces questions, je parlerai brièvement de la norme de contrôle.
V. La norme de contrôle
[31] Comme je l’ai écrit plus haut, les ordonnances sur la conduite de l’instance sont discrétionnaires. La norme de contrôle que notre Cour doit appliquer aux ordonnances discrétionnaires de la Cour fédérale est celle établie dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, c’est-à-dire la norme de la décision correcte pour les questions de droit et celle de l’erreur manifeste et dominante pour les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit (sauf en cas de question de droit isolable) : Corporation de soins de la santé Hospira c. Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, [2017] 1 R.C.F. 331, au paragraphe 79; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235.
[32] L’erreur manifeste et dominante est, bien entendu, une norme de contrôle qui commande une grande déférence. Selon cette norme, la cour d’appel ne peut intervenir que lorsque, à la fois, l’erreur est évidente et elle a déterminé l’issue de l’affaire : Salomon c. Matte-Thompson, 2019 CSC 14, [2019] 1 R.C.S. 719, au paragraphe 33; Mahjoub c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157, [2018] 2 R.C.F. 344, aux paragraphes 61 à 75. Elle ne permet pas à la cour d’appel de soupeser à nouveau les éléments de preuve qui ont été présentés au tribunal de première instance : Salomon, au paragraphe 40; Mahjoub, aux paragraphes 70 et 79. Elle ne permet pas non plus à la cour d’appel d’intervenir simplement parce que le tribunal de première instance n’a pas mentionné dans ses motifs un sujet donné ou des éléments de preuve particuliers : Mahjoub, aux paragraphes 66, 67 et 69. « [L]es cours de première instance jouissent d’une présomption réfutable selon laquelle elles ont pris en considération et évalué tous les éléments dont elles disposent » : Mahjoub, au paragraphe 67.
VI. Discussion
A. Les erreurs alléguées dans l’examen du facteur concernant le représentant demandeur
1) L’erreur de droit alléguée consistant à évaluer la représentativité du demandeur plutôt que la qualité du représentant demandeur
[33] À l’appui de leurs observations quant à cette erreur alléguée, les avocats de l’action des demandeurs LMO insistent sur le fait que le juge des requêtes a qualifié ce facteur de « facteur déterminant », ainsi que sur le fait qu’il a changé, dans la version anglaise, le libellé de ce facteur de manière à ce qu’il porte sur la « qualité des représentants demandeurs proposés » (au paragraphe 39) lors de l’énumération des 16 facteurs énoncés par les tribunaux de l’Ontario, mais sur la représentativité des demandeurs proposés (au paragraphe 42) dans l’énumération des facteurs les plus pertinents pour trancher la question de la conduite de l’instance en l’espèce. Selon eux, c’est parce que le juge des requêtes a utilisé ce dernier libellé qu’il a conclu que M. Day (au paragraphe 47) était le meilleur représentant demandeur parce qu’il « symbolis[ait] […] le type de circonstances et de préjudices communément vécus par les Métis et les [Indiens non inscrits] » et qu’il était « le demandeur parfait et il refl[était] les deux volets autochtones du litige ». Ils soutiennent que le juge des requêtes a ainsi outrepassé la portée et l’objectif de ce facteur, qui est censé servir à évaluer la volonté et la capacité des représentants demandeurs proposés d’exercer les fonctions de représentant demandeur. La façon dont le juge des requêtes a appliqué ce facteur, avancent-ils, revient plutôt à imposer une exigence de [traduction] « modèle type » — une exigence selon laquelle le représentant demandeur doit correspondre au demandeur type constituant le groupe. Ils soulignent que la Cour suprême a rejeté l’exigence du modèle type dans l’arrêt Western Canadian Shopping Centres Inc. c. Dutton, 2001 CSC 46, [2001] 2 R.C.S. 534, au paragraphe 41.
[34] Je ne vois aucune erreur de droit dans la façon dont le juge des requêtes, en examinant ce facteur, a pris en compte les circonstances de M. Day et la nature du préjudice qu’il porte devant les tribunaux.
[35] Tout d’abord, le juge des requêtes a bel et bien examiné la « qualité du représentant demandeur » comme, selon les avocats de l’action des demandeurs LMO, il devait le faire. Il a expressément conclu (au paragraphe 16) que les documents produits par les avocats de l’action de M. Day, malgré l’absence d’affidavit de M. Day, « permettent à la Cour de rendre sa décision et établissent qu’il [M. Day] peut agir à titre de représentant demandeur ». Je ne crois pas que les avocats de l’action des demandeurs LMO soutiennent que l’absence d’affidavit de M. Day aurait dû être fatale. Quoi qu’il en soit, je suis d’avis que le juge des requêtes pouvait considérer l’affidavit de l’avocat et l’acte de procédure, ensemble, comme ayant une valeur probante : Thompson et al. v. Minister of Justice of Manitoba et al., 2017 MBCA 71 (CanLII), 5 C.P.C. (8th) 134, au paragraphe 52; Règles des Cours fédérales, au paragraphe 81(1) (autorisant la preuve par ouï-dire dans les affidavits produits à l’appui d’une requête). Il a également conclu (au paragraphe 46) que les demandeurs LMO « représentent convenablement le groupe en termes d’engagement et d’expérience ».
[36] Deuxièmement, je ne souscris pas à l’observation selon laquelle, en examinant ensuite la situation de M. Day et la nature des préjudices qu’il allègue, le juge des requêtes a imposé à tort l’exigence du modèle type. Les déclarations faites dans l’arrêt Western Canadian Shopping Centres et dans d’autres décisions, selon lesquelles le représentant demandeur n’a pas besoin de correspondre au demandeur type du groupe, ont été faites dans le contexte de requêtes en autorisation de recours, et non de requêtes en conduite de l’instance. Quoi qu’il en soit, le juge des requêtes n’a pas agi comme si le modèle type était une exigence. Il a plutôt traité l’affaire en tenant pour acquis qu’elle serait instruite jusqu’à ce qu’elle soit tranchée et, en reconnaissant que M. Day personnifiait certaines des pires conséquences de la rafle des années 1960, il a estimé que la situation de M. Day et les préjudices qu’il allègue constituent un point de départ avantageux pour présenter une demande au nom du groupe.
[37] À mon avis, le juge des requêtes était en droit d’arriver à cette conclusion et de tenir compte de cet élément dans sa décision sur la conduite de l’instance. Les facteurs qui peuvent être pris en compte dans une requête en conduite de l’instance ne sont pas des fins en soi. Il s’agit plutôt de moyens d’aider la cour, dans le contexte propre à chaque affaire, à prendre une décision qui est dans l’intérêt supérieur du groupe (ainsi qu’à garantir l’équité envers les défendeurs et l’accès à la justice, l’économie judiciaire et les objectifs de modification du comportement des recours collectifs) : Mancinelli v. Barrick Gold Corporation, 2016 ONCA 571, 131 O.R. (3d) 497, aux paragraphes 17 et 22; Strohmaier v. K.S., 2019 BCCA 388, 30 B.C.L.R. (6th) 289, au paragraphe 41; McSherry v. Zimmer GMBH, 2012 ONSC 4113 (CanLII), 36 C.P.C. (7th) 318, au paragraphe 131. C’est pourquoi, dans la jurisprudence, il est systématiquement précisé que la liste des facteurs est non exhaustive. C’est pourquoi la liste des facteurs potentiellement pertinents continue de s’allonger — de 6 en 2000, elle est passée à 17 en 2020 : Mancinelli, aux paragraphes 13 à 18; Del Giudice v. Thompson, 2020 ONSC 2676 (CanLII), au paragraphe 65; Wong v. Marriott International Inc., 2020 BCSC 55, au paragraphe 24. Et c’est pourquoi [traduction] « les tribunaux restent libres d’examiner des facteurs autres que ceux énumérés [...] qui peuvent être pertinents dans les circonstances propres à l’affaire » : Strohmaier, au paragraphe 41.
[38] À mon avis, le juge des requêtes aurait pu examiner la situation de M. Day et les préjudices qu’il allègue sans égard aux facteurs qu’il a tirés de la jurisprudence. Il aurait également pu examiner ces questions comme s’il s’agissait de nouveaux facteurs ou de sous-éléments d’un facteur déjà reconnu, qu’il aurait pu appeler les [traduction] « attributs des représentants demandeurs proposés » : voir Smith v. Sino-Forest Corporation, 2012 ONSC 24 (CanLII), 34 C.P.C. (7th) 76, aux paragraphes 275 à 292. Je ne peux pas conclure que son examen de ces éléments au regard du libellé qu’il a choisi constitue une erreur de droit.
2) L’erreur de droit alléguée consistant à déterminer que les efforts et la compétence des avocats de l’action de M. Day pouvaient remédier aux lacunes de M. Day en tant que représentant demandeur
[39] Comme je l’ai mentionné précédemment, le juge des requêtes a poursuivi son analyse du facteur concernant le représentant demandeur et a conclu (au paragraphe 48) que « [l]es efforts déployés par les avocats pour interagir avec les Métis et les [Indiens non inscrits] ainsi que l’expérience pratique pertinente des avocats RP à l’égard des deux collectivités compensent l’absence de liens existant entre M. Day et la collectivité des Métis et des [Indiens non inscrits] attribuable à son vécu. L’intérêt et l’attention démontrés envers les [Indiens non inscrits] et leur collectivité sont importants en l’espèce. » Il avait auparavant fait mention (au paragraphe 23) de l’engagement du cabinet Paliare Roland auprès des Métis et des Indiens non inscrits dans l’affaire Daniels et (au paragraphe 26) de celui des avocats de Koskie Minsky, qui « se sont entretenus avec des dizaines de Métis et [d’Indiens non inscrits] survivants de la rafle des années soixante au sujet de la présente instance afin d’élargir leurs propres connaissances et pour inciter les survivants à y participer ».
[40] Les avocats de l’action des demandeurs LMO ont affirmé que c’était une erreur de droit de la part du juge des requêtes de conclure que l’expérience des avocats pouvait remédier à l’absence de lien entre M. Day et la collectivité. Ils ont soutenu que, ce faisant, le juge a indûment confondu le facteur concernant le représentant demandeur avec celui de la qualité, de la compétence et de la conduite des avocats et que, par conséquent, ce dernier facteur a « compté en double ».
[41] Je ne souscris pas à cette observation. À mon avis, cet argument ne tient pas non plus compte de la nature des facteurs qui peuvent être pris en considération dans une requête en conduite de l’instance ni de la nature de la relation entre eux.
[42] Non seulement ces facteurs ne sont pas exhaustifs, mais encore ils ne sont pas des compartiments étanches. Comme il est mentionné au paragraphe 143 de la décision Kowalyshyn (le jugement duquel le juge des requêtes a tiré la liste des 16 facteurs potentiellement applicables), les facteurs [traduction] « tendent à se chevaucher et à être liés entre eux ». La jurisprudence en matière de conduite de l’instance regorge de déclarations semblables : voir, par exemple, Quenneville v. Audi AG, 2018 ONSC 1530 (CanLII), 19 C.P.C. (8th) 89, au paragraphe 27; Winder v. Marriott International Inc., 2019 ONSC 5766 (CanLII), au paragraphe 51; Rogers v. Aphria Inc., 2019 ONSC 3698 (CanLII), au paragraphe 17; Del Giudice, au paragraphe 65; Wong, au paragraphe 24. Dans la décision Setterington v. Merck Frosst Canada Ltd. (2006), 26 C.P.C. (6th) 173, 2006 CanLII 2623 (C.S. Ont.), le juge Winkler (alors juge principal régional) a expressément reconnu le chevauchement et l’interconnexion entre la qualité du représentant demandeur et la qualité des avocats du groupe :
[traduction] En demandant la suspension d’un recours collectif en faveur d’un autre, le représentant demandeur proposé [...] demande à la Cour de conclure que les membres du groupe potentiel seront mieux servis s’il est autorisé à défendre la demande. Un élément inhérent à une telle demande est l’affirmation selon laquelle les avocats choisis par la partie requérante sont, eux aussi, plus aptes à défendre la demande que ceux retenus dans l’autre action ou les autres actions.
[43] De manière semblable, le juge des requêtes a été appelé en l’espèce à décider quelle équipe de représentants demandeurs et avocats servirait le mieux les intérêts du groupe.
[44] Ainsi, le fait que le juge des requêtes ait fait mention de l’expérience de l’avocat dans la discussion du facteur concernant le représentant demandeur ne révèle pas une erreur de droit, mais montre simplement les liens entre les facteurs pertinents. Il ne faut pas s’inquiéter qu’un facteur ait pu « compter en double ». Conformément à la jurisprudence — voir les arrêts Mancinelli, au paragraphe 22, et Strohmaier, au paragraphe 41 —, le juge des requêtes n’a pas adopté l’approche consistant à [traduction] « cocher les cases » et à compter les points attribués à chaque facteur. Comme il l’a affirmé (au paragraphe 44), il a effectué « une évaluation plus globale et [un] exercice du jugement judiciaire » pour décider qui devrait assurer la conduite de l’instance. Les avocats de l’action des demandeurs LMO ont reconnu dans leurs observations orales qu’il s’agissait bel et bien de l’approche suivie par le juge des requêtes.
3) L’erreur de fait alléguée consistant à conclure que les demandeurs LMO n’avaient pas présenté d’éléments de preuve au soutien de leur représentation du volet du litige qui touche les Indiens non inscrits
[45] J’ai interprété la déclaration du juge des requêtes à cet égard non pas comme signifiant que les avocats de l’action des demandeurs LMO n’avaient présenté aucun élément de preuve au soutien de leur représentation du volet du litige qui touche les Indiens non inscrits, mais plutôt comme présentant la conclusion selon laquelle, à son avis, les éléments de preuve présentés étaient insuffisants.
[46] Les motifs du juge des requêtes montrent qu’il a pris note que l’engagement de chacun des trois représentants demandeurs proposés dans l’action des demandeurs LMO allait au-delà des collectivités métisses. En particulier, il a fait observer (aux paragraphes 12 à 14) que M. Doucette « a[vait] entrepris d’informer les gens sur la rafle des années soixante », que Mme McComb « travaille auprès de jeunes Autochtones à risque et a œuvré au sein d’organisations autochtones et métisses » et que M. Ouellette non seulement « assiste aux réunions des Métis », mais aussi « entretient des liens avec les collectivités autochtones ».
[47] Toutefois, vu le dossier dont il était saisi, le juge des requêtes pouvait quand même conclure que leur expérience était « axée sur les Métis » et retenir, au bout du compte, les éléments de preuve justifiant que la conduite de l’instance soit confiée au demandeur dans l’action de M. Day. Comme le soulignent les avocats de l’action de M. Day, les affidavits présentés par les représentants demandeurs proposés dans l’action des demandeurs LMO portent beaucoup plus sur les activités et les collectivités métisses que sur celles concernant les Indiens non inscrits. La conclusion du juge des requêtes n’était pas que les demandeurs LMO n’avaient aucun lien avec les Indiens non inscrits, mais qu’ils « n’ont fait part d’aucun lien particulier avec les collectivités [d’Indiens non inscrits] » (au paragraphe 15, non souligné dans l’original). Le dossier révèle également que les Indiens non inscrits ont été initialement omis dans les actes de procédure de l’action des demandeurs LMO, que les avocats de l’action de M. Day ont de l’expérience avec les questions concernant les Indiens non inscrits et les collectivités d’Indiens non inscrits et qu’ils ont déployé des efforts de sensibilisation auprès des survivants métis et indiens non inscrits de la rafle des années 1960 de l’affaire en l’espèce. Le juge des requêtes pouvait accorder de l’importance à ces efforts. Il a mis en évidence (au paragraphe 19) les difficultés de communication avec la collectivité des Indiens non inscrits, compte tenu de sa taille importante — environ le double de celle de la collectivité métisse — et du fait qu’elle est établie un peu partout au pays.
[48] En soulevant cette question, les avocats de l’action des demandeurs LMO nous invitent en fait à soupeser à nouveau les éléments de preuve dont disposait le juge des requêtes et à exercer à nouveau le pouvoir discrétionnaire qui lui a été conféré. Étant donné les limites du contrôle en appel, notre Cour est tenue de décliner cette invitation.
B. Les erreurs alléguées commises dans l’évaluation du facteur de la qualité, de la compétence et de la conduite des avocats
1) L’erreur de droit alléguée consistant à accorder plus de poids à l’expérience des avocats dans l’action de M. Day dans l’affaire Daniels qu’à l’importance d’avoir des avocats autochtones pour représenter le groupe
[49] Dans le cas de cette question, l’invitation à soupeser à nouveau la preuve est explicite. Pour ce seul motif, je ne souscrirais pas à l’observation selon laquelle le juge des requêtes a commis l’erreur alléguée. Il y a également d’autres motifs pour lesquels je ne retiendrais pas cette observation.
[50] Tout d’abord, cette observation suppose que le juge des requêtes a fait une comparaison binaire entre l’expérience des avocats dans l’affaire Daniels, d’une part, et le fait pour les demandeurs d’être représentés par des avocats autochtones, d’autre part. Il n’est pas du tout manifeste que c’est ce qu’il a fait. En effet, les avocats de l’action des demandeurs LMO ont repris cette observation dans leurs observations orales et ont reproché au juge des requêtes de n’avoir pas du tout pris en compte l’importance pour les demandeurs d’être représentés par des avocats autochtones.
[51] Deuxièmement, même si le juge des requêtes avait fait cette comparaison, les faits justifiant qu’il prenne en compte l’importance pour le groupe d’avoir des avocats autochtones ne semblent pas avoir été établis. En outre, parmi les trois représentants demandeurs proposés dans l’action des demandeurs LMO, un seul, M. Doucette, avait initialement retenu les services d’un avocat autochtone — Me Racine, du cabinet Aboriginal Law Group. Mme McComb et M. Ouellette ont tous deux retenu les services d’avocats non autochtones — Me Klein et Me Merchant. Dans son affidavit (dossier d’appel, onglet 64, page 638), M. Ouellette invoque la géographie, et non la disponibilité d’avocats autochtones, comme principale raison de préférer le consortium d’avocats de l’action des demandeurs LMO, y compris le cabinet Merchant, aux avocats de l’action de M. Day. Il explique que lui et d’autres Métis considèrent que la collectivité métisse est établie au Manitoba et en Saskatchewan et qu’il serait donc [traduction] « très étrange » qu’un cabinet d’avocats de Toronto les représente.
[52] Dans la partie de son affidavit où il explique sa décision de retenir les services de Me Racine (dossier d’appel, onglet 10, page 109), M. Doucette mentionne bien le fait que Me Racine est Métis. Toutefois, il invoque également plusieurs autres facteurs, notamment ses relations personnelles de longue date avec Me Racine et son cabinet, les activités de Me Racine dans la défense des droits des Métis, l’empathie de Me Racine envers les survivants métis et son statut au sein de la collectivité métisse. En outre, le dossier n’indiquait pas quels rôles les avocats autochtones auraient finalement joués dans l’action des demandeurs LMO s’il avait été donné suite à celle-ci. Comme le juge des requêtes l’a fait observer en analysant les régions que couvrent les deux consortiums de cabinets d’avocats, les avocats de l’action des demandeurs LMO n’ont fourni aucun détail sur la division du travail qu’ils proposent.
[53] L’avocat de l’action des demandeurs LMO a également affirmé, dans ses observations orales, que le juge des requêtes avait indûment rejeté la question concernant la participation d’avocats autochtones en la qualifiant de simple « “ressentiment” » sans pertinence. Or, comme le dossier et les motifs du juge des requêtes (au paragraphe 28) le montrent clairement, le « “ressentiment” » dont il était question concernait un litige particulier sur la conduite de certains cabinets dans la première affaire concernant la rafle des années 1960, et non l’opportunité d’une représentation par des avocats autochtones.
2) L’erreur de fait alléguée consistant à n’avoir pas tenu compte de l’expérience des avocats autochtones de l’action des demandeurs LMO
[54] Il est évident que le juge des requêtes avait connaissance des éléments de preuve concernant l’expérience des avocats autochtones qui faisaient partie du consortium de l’action des demandeurs LMO. Il a inclus un résumé de ces éléments de preuve dans ses motifs (au paragraphe 20). Cependant, les avocats de l’action des demandeurs LMO soutiennent que le juge des requêtes a commis une erreur en ne faisant pas mention de ces éléments de preuve lorsqu’il a examiné la compétence des avocats de l’action de M. Day dans son analyse du facteur de la qualité, de la compétence et de la conduite des avocats.
[55] Je ne souscris pas à cette observation. L’une des comparaisons que le juge des requêtes a établies (aux paragraphes 67 à 69) portait sur l’expérience des deux groupes d’avocats en matière de litiges. Il a conclu que tous deux avaient une grande expérience des recours collectifs, que tous deux avaient de l’expérience en matière de recours collectifs en lien avec la rafle des années 1960 et les pensionnats et que tous deux avaient de l’expérience de la représentation de Métis, mais que les avocats de l’action de M. Day avaient également de l’expérience de la représentation d’Indiens non inscrits. Il a ensuite examiné plus en détail cette expérience, tout en soulignant le parcours et l’expérience uniques de Paliare Roland dans l’affaire Daniels.
[56] Il est vrai que le juge des requêtes n’a pas examiné dans ce contexte l’expérience des avocats autochtones de l’action des demandeurs LMO. Il semble y avoir une explication simple à cette omission. Le juge des requêtes s’est concentré sur l’expérience des avocats dans des affaires où ils défendaient l’intérêt d’Indiens non inscrits, alors que le dossier ne montrait pas que les avocats autochtones de l’action des demandeurs LMO avaient ce genre d’expérience.
[57] Les deux avocats autochtones nommés comme participants au consortium de l’action des demandeurs LMO étaient Me Doug Racine du cabinet Aboriginal Law Group et Me Paul Chartrand du cabinet DD West LLP, tous deux des Métis. Dans son affidavit (dossier d’appel, onglet 47, pages 429 et 430), Me Racine souligne que lui et son cabinet ont représenté de nombreux clients et organisations métis. Bien qu’il y ait été fait quelques mentions de la représentation de clients appartenant à des Premières Nations, il n’y était pas fait mention expressément d’instances introduites au nom de clients ou de communautés d’Indiens non inscrits.
[58] Le curriculum vitæ de Me Chartrand figurait également au dossier (dossier d’appel, onglet 72, pages 835 à 837). Il montre, entre autres, que Me Chartrand a souvent participé à l’élaboration de lois et de politiques étatiques visant les peuples autochtones, qu’il a à son compte de nombreuses publications sur des questions juridiques autochtones, qu’il a occupé divers postes universitaires dans le domaine et qu’il a une longue feuille de route en matière de service public et de prestation de conseils à des organisations autochtones ou internationales. Cependant, là aussi, il n’est fait aucune mention expresse d’activités dans des instances introduites au nom de clients ou de collectivités d’Indiens non inscrits. Il n’y a pas non plus de renvoi à ce type d’activité dans l’affidavit (dossier d’appel, onglet 48, page 440) le décrivant et décrivant le rôle qu’il est censé jouer dans l’instance en cours.
[59] Il était loisible au juge des requêtes d’établir la comparaison qu’il a établie, d’autant plus qu’il s’est fondé sur le principe selon lequel l’affaire serait instruite jusqu’à ce qu’elle soit tranchée. Je ne peux pas conclure que le juge des requêtes a commis une erreur susceptible de révision, comme il est allégué, en ne faisant pas mention de l’expérience des avocats autochtones.
C. L’erreur de fait ou de droit alléguée commise dans l’évaluation des mesures préparatoires au recours et de son état d’avancement consistant à qualifier de « surenchère » la modification de la définition du groupe dans la demande commune proposée de l’action des demandeurs LMO
[60] À l’audience, les avocats de l’action des demandeurs LMO ont décrit cette question comme étant [traduction] « une question mineure » et [traduction] « une question peu importante », mais ont soutenu qu’elle avait néanmoins eu une certaine incidence sur la conclusion du juge des requêtes selon laquelle l’action des demandeurs LMO portait principalement sur la collectivité métisse. Les parties conviennent que la question n’a pas été explicitement soulevée devant le juge des requêtes, bien que le fait que l’action des demandeurs LMO portait surtout sur les Métis ait été une question très débattue à l’audience.
[61] Dans le contexte de requêtes en conduite de l’instance, le terme « surenchère » (« leap-frogging » en anglais) renvoie à une tentative faite par un candidat à la conduite de l’instance d’améliorer sa position après la mise au rôle de la requête en profitant du travail d’un autre candidat, par exemple, en présentant une modification plagiée aux actes de procédures : Mancinelli et al. v. Barrick Gold Corporation et al., 2015 ONSC 2717 (CanLII), 126 O.R. (3d) 296 (C. div.), aux paragraphes 51 à 55, confirmée par 2016 ONCA 571, 131 O.R. (3d) 497. La Cour d’appel de l’Ontario, dans l’arrêt Mancinelli, a rejeté l’application de la règle selon laquelle les requêtes en conduite de l’instance doivent être tranchées sur le fondement d’un [traduction] « arrêt sur image » à la date du dépôt de la requête. Puis, elle a ajouté, dans un passage auquel a renvoyé le juge des requêtes, que [traduction] « la Cour doit se méfier des nouvelles activités peu subtiles ayant lieu après le dépôt de motions en conduite d’instance et des tentatives de procéder à de la “surenchère” en faisant passer une instance qui traîne devant une instance plus avancée » : au paragraphe 61.
[62] En l’espèce, comme il a été mentionné, le juge des requêtes a estimé que l’ajout des Indiens non inscrits au groupe dans l’action des demandeurs LMO après la mise au rôle des requêtes en conduite de l’instance constituait de la surenchère. Les avocats de l’action des demandeurs LMO soutiennent que cette caractérisation était erronée — que l’inclusion des Indiens non inscrits dans le groupe défini dans la déclaration commune proposée était le fruit des recherches sur les revendications des Métis et des Indiens non inscrits effectuées par les avocats de l’action des demandeurs LMO bien avant la mise au rôle des requêtes en conduite de l’instance.
[63] Je ne vois aucune erreur de droit dans l’examen de cette question par le juge des requêtes. Devant notre Cour, les parties reconnaissent le droit comme étant celui constaté dans les décisions de l’Ontario auxquelles le juge des requêtes a fait référence. La question de savoir s’il y a erreur de fait pourrait être plus difficile à trancher. Le dossier aurait pu étayer la conclusion selon laquelle la modification consistant à inclure les Indiens non inscrits relevait davantage des recherches des avocats que d’une quelconque tentative de s’approprier le fruit du travail des avocats de l’action de M. Day.
[64] Toutefois, il appartenait au juge des requêtes de déterminer s’il y avait lieu de tirer une telle conclusion, et il n’appartient pas à notre Cour de remettre en question cette conclusion en appel. Et même s’il y avait une erreur à cet égard, j’estime qu’elle n’est ni manifeste ni dominante. Il n’y avait aucun élément de preuve reliant directement les recherches des avocats à l’élargissement de la définition du groupe. De plus, les réserves du juge des requêtes quant à l’élément central de l’action des demandeurs LMO étaient claires, même si l’on exclut la question de la surenchère.
[65] Les avocats de l’action des demandeurs LMO soutiennent également que le juge des requêtes a commis une erreur en ne concluant pas que l’ajout du cabinet Paliare Roland au consortium de cabinets défendant l’action de M. Day constituait aussi de la surenchère. Il était loisible au juge des requêtes de ne pas tirer cette conclusion : il est difficile de voir comment l’ajout du cabinet Paliare Roland peut être considéré comme une tentative de tirer avantage du travail d’un autre candidat à la conduite de l’instance.
[66] Par conséquent, je n’interviendrais pas dans la décision du juge des requêtes en ce qui concerne la question de la surenchère.
VII. Dispositif proposé
[67] Je rejetterais l’appel. Aucuns dépens ne sont demandés, ainsi je n’en adjugerais aucuns.
Le juge Webb, J.C.A. : Je suis d’accord.
La juge Mactavish, J.C.A. : Je suis d’accord.
[1] Le terme « surenchère » (« leap-frogging » en anglais) renvoie à une tentative faite par un candidat à la conduite de l’instance d’améliorer sa position après la mise au rôle de la requête en profitant du travail d’un autre candidat.