92 ALEXIS NIHON v. THE QUEEN [1970] EX.C.R Alexis Nihon Co. Ltd (Pétitionnaire) v. La Reine (Intimée) Présent: Le Juge Dumoulin—Montréal, le 16 février 1970; Ottawa, le 26 février 1970. Couronne—Pétition de droit—Contrat—Bail—Intervention—Conseil du Trésor—Défaut de signature tel que requis par la Loi sur les Travaux publics, S.R.C. 1952, c. 288, art. 18—Responsabilité de la Couronne. Un projet de bail d'un entrepôt déjà approuvé par le Conseil du Trésor fédéral était présenté au président de la pétitionnaire par un officier du Ministère des Travaux publics, à Montréal. Après en avoir biffé deux clauses et y avoir apposé sa signature, le président expédia le document au ministère, à Ottawa, et remit les clés de l'entrepôt à cet officier le même jour. Pour des motifs non divulgués, le projet ne fut pas signé par le ministre ou le sous-ministre des Travaux publics, et contresigné par le secrétaire départemental, tel que le requiert l'art. 18 de la Loi sur les Travaux publics, S.R.C. 1925, c. 288. Comme défense à l'action pour loyer, l'intimée opposa l'inexistence d'un bail entre elle et la pétitionnaire ainsi que le défaut d'une signature de sa part à tel engagement. Subséquemment à cette défense, l'intimée offrit par écrit un montant qui représentait la valeur de l'occupation de l'entrepôt durant deux mois. Jugé (maintenant les offres de l'intimée et rejetant la poursuite mais sans frais), l'intervention du Conseil du Trésor dans l'espèce n'est qu'une simple approbation pécuniaire d'une dépense d'intérêt public. Il s'agit d'une permission facultative de procéder et non pas un ordre impératif d'agir. Cette prescription statutaire de l'art. 18 de la Loi sur les Travaux publics régit la validité de tout instrument écrit susceptible d'engager la responsabilité du ministère, tel qu'un acte consigné par écrit comme dans l'espèce, la teneur d'un bail. Renvoi à Lord et Cie Ltée vs. The Queen [1960] R.C. de l'É. 185, pp. 189-190. PÉTITION de droit. André Quesnel pour la pétitionnaire. Raymond Roger pour l'intimée. LE JUGE DUMOULIN: Les faits à l'origine de ce litige sont substantielle-ment résumés dans le mémoire de l'intimée dont je citerai, plus bas, les passages essentiels qui relatent le témoignage du président et, vraisemblable-ment, de l'unique actionnaire de la compagnie. Alexis Nihon personnellement ou, si l'on préfère, par le truchement de la raison sociale ci-dessus, exerce, sur une haute échelle, le négoce d'achats, de ventes et de locations d'immeubles dans la région métropolitaine de Montréal. Approché par l'un des officiers du ministère des Travaux publics du Canada, J. M. Malouin, au début de l'été de 1966, et après les pourparlers d'usage concernant la location d'un entrepôt de remisage des camions postaux, la pétitionnaire signait une formule de bail que lui transmettait le représentant de l'intimée; c'est la pièce R-1 (en original et S-2 en copie). Accepté par Alexis Nihon le (ou vers le) 6 octobre 1966, le bail proposé, d'une durée de cinq ans, concédait au département des Travaux publics la location d'une superficie de 16,026 pieds carrés dans l'immeuble, numéro
94 ALEXIS NIHON v. THE QUEEN [1970] EX.C.R. civique 6018, Côte de Liesse, en la cité de St-Laurent. Le loyer annuel prévu était de $24,039, selon que notifié au pétitionnaire par lettre du 9 septembre 1966, pièce S-1, émanant de J. M. Malouin, gérant de district du service des immeubles du ministère intéressé (dont la désignation anglaise redondante et un tantinet baroque se lit: «A/District Manager, Property & Building Management Branch») ; stipulations réitérées dans le document R-1, S-2. Dans cette communication précitée du 9 septembre 1966 (pièce S-1), il était dit, au paragraphe premier, ceci: Confirming your telephone conversation with our Mr. Charlebois, under date of September 6, 1966, please consider this as our official notification to the effect that our department has been authorized by Minute No. 659632 of a Meeting of the Honorable the Treasury Board, held on September 1st, 1966, to enter into a lease with your company, for a net area of 16,026 square feet, in a one storey brick and concrete block building steel frame warehouse, at 6018 Côte de Liesse Road, Saint Laurent, Quebec, for a term of five (5) years from date of occupancy, at an annual rent of $24,039.00. Nous verrons tantôt que le savant procureur de la pétitionnaire fera grand état de cette autorisation accordée par le Conseil du Trésor. Après pposition de sa signature au projet de bail, dont il avait biffé deux clauses (pièce R-1), Nihon l'expédia, comme il convenait, au ministère des Travaux publics à Ottawa, remit les clefs de l'entrepôt à monsieur Malouin, le jour même, soit le 6 octobre 1966, geste qui, n'eussent été certaines complications, aurait étendu jusqu'au 30 septembre 1971 le terme de location. De ces complications, l'une, d'ordre physique celle-là, fut que l'utilisation de l'entrepôt pour le compte de l'intimée, ne dura que du 6 octobre 1966 au 9 décembre, même année, selon la pétitionnaire, et, de cette première date au 29 novembre, est-il dit à l'article 16 du plaidoyer de défense. Par ailleurs, l'initiale complication, dont résulte la précédente, en est une de nature statutaire, rien d'autre que le défaut de signature du projet de bail tel que requis par la clause 18 de la loi organique du ministère des Travaux publics (S.C.R. 1952, ch. 228), prescrivant l'adhésion écrite du ministre ou du sous-ministre et le contreseing du secrétaire départemental. Aucun motif de ce refus n'est divulgué. Le débat, ainsi occasionné, amène la compagnie Nihon, après l'offre réitérée à l'intimée de la possession paisible des lieux, et sous réserve expresse de tous recours futurs, à réclamer paiement d'une somme de $14,092.19, à titre de loyer échu depuis le 31 octobre 1966 au 30 avril 1967, avec, en outre, les intérêts moratoires. L'intimée, inversement, soutient qu'aucun contrat de bail n'existe entre elle et la partie adverse; qu'elle n'a jamais signé un pareil engagement, et que, certains de ses employés s'étant permis de remiser des véhicules dans le hangar de la pétitionnaire, ils le firent par erreur et sans autorisation.
96 ALEXIS NIHON v. THE QUEEN [1970] EX.C.R. Fondée ou pas cette prétention n'efface point le fait tangible d'une possession de l'entrepôt durant deux mois, ce pourquoi la Couronne aurait dA offrir, dès son plaidoyer de défense, la compensation qu'elle propose tardivement à l'article 4, ci-dessous, d'une procédure subséquente intitulée «Notice of Admission and Tender», et datée le 10 avril 1967: 4. Respondent hereby offers suppliant, without prejudice to the position she has taken in her statement of Defence, the value of her occupation of the premises in question, to wit from October 6, 1966 to November 29, 1966, said value being based on the monthly rent stipulated in exhibit R-1 and amounting to $3,683.39 and detailed as follows: October 6th to October 31st $1,680.14 November 1st to November 30th $2,003.25 Le témoignage d'Alexis Nihon tel que rapporté dans la «Note de l'in-timée», et les brefs commentaires intercalés, concordent suffisamment avec mes propres notes et mon opinion pour en justifier l'inclusion textuelle. Le savant procureur du ministère écrit que: Il (Alexis Nihon) a transigé pendant plusieurs mois à ce sujet (le projet de bail) avec des employés du ministère des Postes à Montréal. Homme d'expérience, dit-il, dans le domaine de la location, il affirme qu'il n'a jamais voulu reconnaître la lettre. du 9 septembre 1966 comme pouvant lier les deux parties. Il a lui-même insisté, vu son expérience, pour obtenir un bail écrit. Ce bail a été préparé par les officiers du Ministère. Monsieur Malouin, un officier des Postes, lui a remis ce projet de contrat à son bureau où avant de le signer Monsieur Nihon a fait des changements majeurs aux propositions soumises (Pièce R-1) par les officiers du Ministère à Montréal. Monsieur Nihon a alors insisté, dit-il, pour qu'une copie soit signée par le Ministre et lui soit envoyée. Il jugea lui-même que cette signature était essentielle pour lier les deux parties. Cependant, au moment où Monsieur Nihon apposait sa signature après avoir rayé plusieurs clauses (il convient de noter que ce «plusieurs» se limite à deux articles raturés), il remettait volontaire-ment les clefs de la bâtisse à Monsieur Malouin permettant ainsi une possession par tolérance. De cette absence de signature du ministre, exigée par Nihon, puis, encore, des modifications unilatérales du projet de bail, soit, les deux clauses biffées, l'intimée en déduit que l'adhésion, le «consensus» des volontés entre les parties faisant défaut, de semblables irrégularités eussent vicié, même en matière de droit privé, toute négociation. Mais, la transaction étant de droit public, l'inobservation des formes prescrites en déterminerait l'invalidité radicale. Telle est la thèse de l'intimée; celle de la compagnie pétitionnaire est clairement exposée à la page 2 de ses «Notes et autorités» dans les termes ci-dessous: Le tribunal au début de l'audition . . . a attiré l'attention des parties sur l'article 18 de la loi des «Travaux publics» (R.S.C. 1952 ch. 228) qui décrète qu'aucun contrat ne peut lier Sa Majesté aux droits du Canada, à moins qu'il ne porte la signature du ministre ou du sous-ministre, contresigné par le secrétaire ou toute personne dûment autorisée. Le point d'appui des prétentions de la requérante c'est que telle autorisation prévue à l'article 18 ci-dessus cité, a été donnée à l'occasion de l'assemblée du Conseil du Trésor, tenue le 1» septembre 1966, dont l'extrait des minutes a été produit par l'intimée (R-2). Les conditions essentielles du bail à intervenir sont clairement mentionnées dans cet extrait.
98 ALEXIS NIHON v. THE QUEEN [1970] EX.C.R. L'allégation de faits est exacte mais la déduction des conséquences qui en découleraient l'est certes moins. L'intervention du Conseil du Trésor se résume à l'approbation pécuniaire d'une dépense d'intérêt public et ne comporte rien de plus. Autrement dit, cette autorisation est une simple permission facultative de procéder et non pas un ordre impératif d'agir. Toute comparaison est boiteuse, mais au risque de pareille claudication, ne pourrais-je pas comparer le «fiat» monétaire de la trésorerie à l'acquisition obligatoire d'un permis de conduire, d'un droit de licence, qui n'astreint tout de même pas le détenteur à l'utilisation de ce privilège, si un motif ou autre l'en détourne. Je reviens au texte même de cet article 18 de la Loi sur les Travaux publics, dont on ne saurait nier l'importance; il édicte que: Nul titre, contrat, document ou écrit se rattachant à quelque matière relevant du Ministre, ne lie Sa Majesté ni n'est réputé l'acte du Ministre, à moins qu'il ne soit signé par lui ou par le sous-ministre et contresigné par le secrétaire du ministère ou par la personne autorisée à le remplacer. Il est indéniable que cette prescription statutaire régit la validité de tout instrument écrit susceptible d'engager la responsabilité du ministère. Or, cette ordonnance formelle ne fut pas accomplie alors qu'il s'agit manifestement d'un acte consigné par écrit, la teneur d'un bail. Par surcroît, et en toute humilité, je renvoie les parties au compte rendu de la cause Lord & Cie Ltée vs. The Queen' où la distinction est soulignée entre ce cas, analogue à la présente instance, et ceux de Her Majesty the Queen and Henderson2 et Dominion Building Corporation Limited and The King3. Par tous ces motifs, la Cour fait droit aux offres de l'intimée de payer à la pétitionnaire une compensation s'élevant à $3,683.39, avec l'intérêt au taux légal depuis le 24 octobre 1967, jour de production du plaidoyer de défense omettant cette offre, au 16 avril 1969, date de son refus; quant au surplus, la pétition de droit est rejetée mais sans frais vu le retard de l'intimée à régulariser sa position. 1 [1960] R.C. de l'É. 185, pp. 189-190. 9 (1898) 28 Can. S.C.R. 425 à 432. 8 [1933] A.C. 533 à 539, 546, 547.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.