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[19701 R.C.É. UDELL v. M.R.N. 193 Eisenerz-G.m.b.H. (Demanderesse) v. Federal Commerce & Navigation Co. Ltd et al (Défenderesses) Le Juge Noël, en amirautéMontréal, les 2, 3 et 4 décembre 1969; Ottawa, le 13 janvier 1970. Droit maritimePreuveNavire échoué devant Québec Déchargement et re-chargement de la cargaison par un dispacheur d'avarie communeDommages à la cargaison causés par négligence Responsabilité du transporteurPartage de la responsabilité à l'égard de la cargaison entre le dispacheur et le transporteur Clause d'irresponsabilité dans la charte-partieErreur du piloteRecevabilité dt® rapport concluant d la négligence du pilote. Le navire Oak Hill, en route pour Gênes, s'est échoué devant Québec à la suite d'une erreur de navigation commise par le pilote. F avait frété par charte-partie le navire à la demanderesse pour la traversée, après l'avoir elle-même affrété au temps de H, propriétaire du navire. La demanderesse était propriétaire d'une partie de la cargaison du navire, à savoir de la fonte en gueuse de deux qualités diffé-rentes, qui avaient été placées dans des cales différentes, comme le stipulait la charte-partie. La demanderesse détenait également deux connaissements sans réserve pour la fonte en gueuse, connaissements signés par le capitaine du navire. Afin de réparer le navire à la suite de son échouement, on déchargea puis rechargea sa cargaison sous la surveillance d'un dispacheur d'avarie commune, qui laissa par négligence mélanger sans distinction les deux qualités de fonte en gueuse ap-partenant à la demanderesse et la fonte en gueuse d'une troisième qualité ap-partenant à un autre chargeur. Le capitaine du navire, qui savait qu'il fallait conserver séparément les différentes qualités de fonte en gueuse, n'en a pas informé le dispacheur. La demanderesse a subi une perte importante par suite de la fragmentation et du mélange de sa fonte en gueuse, et poursuit F et H en 92622-21
[1970] R.C.A. EISENERZ v. FEDERAL COMMERCE 195 dommages-intérêts. La charte-partie prévoyait le règlement de l'avarie commune selon les Règles d'York et d'Anvers de 1959. Jugé: Bien que la charte-partie ait exclus la responsabilité des défenderesses au cas d'échouement du navire, les défenderesses sont responsables des dommages subis par la demanderesse après l'échouement. Elles ont manqué à l'obligation de garde de la cargaison qui leur incombait en tant que transporteurs. Dans la direction du déchargement et du rechargement du navire, le dispacheur n'était le mandataire que du transporteur, et non du propriétaire de la cargaison; de sorte qu'il n'engageait pas la responsabilité de ce dernier à raison de la négligence du dispacheur. Même régie par la règle XII des Règles d'York et d'Anvers, la perte subie par la demanderesse découlait de la faute conjointe de l'expert et du capitaine du na-vire, dont les défenderesses sont responsables en qualité de transporteurs. Même si la demanderesse présentait une réclamation d'avarie commune en vertu des Règles d'York et d'Anvers, au lieu d'intenter une action en dommages-intérêts contre le transporteur, son recours serait garanti par la règle D de ces Règles. Renvoi: Goulandris Brothers Ltd v. B. Goldman & Sons Ltd [1958] 1 Q.B. 74; The Mary Thomas [1894] P. 108; Wavertree Sailing Ship Co. v. Love [1894] A.C. 373; Chandris v. Argo Insurance Co. [1963] 2 Ll. L.R. 65. Jugé aussi: Le rapport d'un fonctionnaire désigné en vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada pour faire enquête sur la conduite du pilote est recevable comme preuve prima facie. ACTION en dommages-intérêts. W. Tetley, c.r., pour la demanderesse. L. S. Reycraft, c.r., pour les défenderesses. LE JUGE NOËLLa demanderesse, corporation domiciliée à Francfort (Allemagne), réclame à deux corporations canadiennes le versement d'une somme de $180,000, pour rupture de contrat, délit et tort, à la suite de la perte de cargaisons de fonte en gueuse et des dommages qu'elles ont subis, alors qu'on les transportait à bord du navire Oak Hill, de Sorel (P.O.) à Gênes (Italie), conformément à des connaissements et à une charte-partie. On a soutenu que les contrats de transport ont été rompus au large de Québec (P.Q.), lorsque le navire transporteur, l'Oak Hill, s'échoua le 26 août 1962, et lorsque les cargaisons furent, pendant le déchargement et le rechargement rendus nécessaires pour réparer le navire, endommagées, per-dues et mélangées avec une autre cargaison, état d'endommagement et de mélange que l'on put constater lors de leur livraison à Gènes (Italie). Halifax Overseas Freighters Limited, une des parties défenderesses en l'espèce, est propriétaire du navire Oak Hill, qu'elle fréta à temps (Pièce D-1) à la Federal Commerce & Navigation Company Limited (par la suite désignée quelquefois sous l'appellation Federal), la seconde partie défen-deresse, qui fréta à son tour le navire à la demanderesse en vertu d'uni affrètement au voyage (Pièce P-3)1. La Federal délivra également deux connaissements embarqués (Pièces P-1 et P-2), qui sont toutefois signés par le capitaine du navire aussi bien pour l'affrètement à temps que pour l'affrè-tement au voyage; l'affréteur et le propriétaire sont liés par le connaissement, puisqu'il est signé par le capitaine. 1 L'affrètement au voyage (P-3) était en fait au nom d'une compagnie appelée Montan Transport G.m.b.H., qui est simplement un groupe de courtiers, et les parties ont convenu que cette entreprise agissait à l'époque pour la demanderesse (Voir la pièce AD-3.).
[1970] R.C.É. EISENERZ v. FEDERAL COMMERCE 197 Les dommages et mélanges subis par la fonte en gueuse transportée à bord du navire Oak Hill se sont produits dans les circonstances suivantes. Le chargement de la fonte en gueuse de deux catégories, F-1 et S-100, eut lieu le 24 août 1962, à Sorel (P.Q.); en vertu du connaissement n° 1 (Pièce P-1), on y chargea 756.2 tonnes fortes de F-1 dans les cales numéros 3A et 5 du navire et 1,000.2 tonnes fortes des S-100 dans la cale numéro 3 et, en vertu du connaissement n° 2 (Pièce P-2), 2,000 tonnes fortes de F-1 dans les cales numéros 1, 3A et 5 et 1,000 tonnes fortes de S-100 dans la cale numéro 3. Il semble que la fonte en gueuse ait été livrée en bon ordre et état par le chargeur, la Quebec Iron and Titanium Corporation, de Sorel (P.Q.); les parties défenderesses, selon la demanderesse, s'étaient conjointement et solidairement engagées par contrat à la transporter, surveiller et livrer en bon ordre et état à Gênes, conformément aux connaissements remis avec la charte-partie (Pièce P-3), datée du 17 juillet 1962, à Hambourg (Alle-magne). Avant le chargement de la fonte en gueuse F-1 et S-100 à Sorel, le 24 août 1962, la navire avait chargée à Tonawanda (New-York) 4,503.9106 tonnes de fonte d'hématite, puis s'était dirigé vers Milwaukee, il avait pris une cargaison de machines à livrer à Kingston (Jamaïque), ainsi que du bois de chêne, pour caler les lourdes machines placées dans la cale. Les parties s'accordent à dire qu'il était entendu, bien connu et convenu, que la fonte en gueuse de différentes qualités doit être conservée séparément; d'ailleurs, la charte-partie, aux paragraphes 28 et 49, le stipule avec précision. J'ajouterai que les trois qualités différentes de fonte en gueuse que com-portait ce chargement se ressemblent toutes. Elles étaient toutes de même taille, environ 20 pouces de long, en forme de demi-cercle, chaque barre pesant 45 à 50 livres. Chaque qualité de fonte en gueuse est utilisée pour la fabrication d'un type particulier d'acier ou de fonte et, une fois mélangée, ne peut être séparée facilement. On ne peut utiliser qu'un seul type de fonte en gueuse pour le moulage, bien que les exigences soient moins sévères pour la fabrication des tôles. La F-1 a une haute teneur en carbone, tandis que le S-100 contient une importante quantité de silicium. Après le chargement Sorel (P.Q.), le 24 août 1962, le navire s'échoua devant Québec, en face de Lauzon (P.Q.), quelques minutes après avoir pris un pilote. Environ une heure et demie plus tard, le navire se dégagea avec la marée montante, sans l'aide de remorqueurs. Il se dirigea alors vers le lieu dit l'Anse-au-Foulon, sur la rive du fleuve se trouve Québec, l'on déchargea la cargaison de machines et de bois, et traversa ensuite le fleuve jusqu'à Lévis (P.Q.), l'on déchargea la plus grande partie de la cargaison de fonte en gueuse. On répara ensuite le navire en cale sèche, on rechargea la cargaison à bord, et le navire se dirigea enfin vers Gênes l'on constata la fragmentation, le mélange et les pertes déjà signalés. On découvrit en outre à Gênes que non seulement une partie de la cargaison de S-100 était-elle mélangée à du F-1 dans les diverses cales du navire, mais que l'hématite d'un autre destinataire, chargée avant le chargement de Sorel, s'était également mélangée avec la fonte en gueuse de la demanderesse. ' E n vertu d'un affrètement au voyage à 1'Associated Metals and Minerals.
[1970] R.C.É. EISENERZ v. FEDERAL COMMERCE 199 La demanderesse prétend donc que les défenderesses n'ont pas respecté leurs obligations contractuelles et légales de conserver lesdites cargaisons de fonte en gueuse séparément dans différentes cales et en bon état, depuis le moment de leur réception à Sorel jusqu'à leur livraison à Gênes; elles ont ainsi causé des dommages qui s'élèvent à $180,000. La demanderesse prétend en outre qu'avant le départ et au moment du départ de l'Oak Hill de Sorel pour cette traversée, et aux différentes étapes de celle-ci, les défenderesses n'ont pas exercé une diligence raisonnable pour que le bâtiment soit en bon état de navigabilité et capable de transporter la cargaison; qu'au moment du départ, le bâtiment n'était pas en bon état de navigabilité; et que les défenderesses ne peuvent donc se prévaloir d'aucun droit ni d'aucune immunité dont elles pourraient bénéficier dans le cas con-traire en vertu du droit ou du contrat. La demanderesse ajoute, sans restreindre la portée de ce qui précède, qu'avant, pendant et après la traversée, la ligne de flottaison du navire se trouvait immergée, et le bâti-ment n'était pas en bon état de navigabilité, ce qui, selon elle, a directement contribué aux dommages. En qualité d'entrepreneurs de messageries maritimes affrétées, les défen-deresses n'ont pas, selon la demanderesse, transporté, arrimé, déchargé, surveillé, et livré cette cargaison et rempli leurs obligations et engagements comme l'exigeaient la convention et le droit; elles sont donc tenues et obligées conjointement et solidairement, pour rupture de contrat, délit et tort, de payer à la demanderesse les dommages ainsi causés, jusqu'à concurrence d'un montant de $180,000. Les défenderesses reconnaissent que l'Oak Hill s'est échoué dans le fleuve. St-Laurent, près de Québec (P.Q.), le 25 août 1962, vers 22 heures 30, mais déclarent que la cause en fut l'action, la négligence ou l'omission du pilote, du capitaine ou des autres préposés du transporteur dans la gouverne du navire. Elles estiment d'ailleurs que si les fontes en gueuse ont subi des pertes, dommages ou mélanges alors qu'elles se trouvaient sous leur surveillance (ce qu'elles nient), ces pertes, dommages et mélanges sont attribuables en totalité ou en partie à l'échouage de l'Oak Hill près de Québec, en raison de l'action, de la négligence ou de l'omission du pilote, du capitaine ou des préposés du transporteur dans la gouverne du navire, pour lesquelles les défenderesses déclarent rejeter toute responsabilité en vertu du paragraphe 20 de la charte-partie (Pièce P-3) ou en vertu de la Loi canadienne sur le transport des marchandises par eau, R.S.C. 1952, c. 291, ou du Carriage of Goods by Sea Act américain de 1936, quelle que soit la loi applicable. En outre, les défenderesses ont plaidé que si la fonte en gueuse avait subi des pertes, dommages ou mélanges alors qu'elle se trouvait sous leur garde et surveillance, cela était attribuable en totalité ou en partie aux opérations de manutention, déchargement, entreposage, rechargement et arrimage de la fonte à la suite de l'échouement, opérations qui, déclarent-elles, n'ont pas été entreprises par les défenderesses, mais par le dispacheur d'avarie commune et (ou) ses agents, nommés pour le compte de l'armateur, du proprié-taire de la cargaison et de toutes les parties intéressées, ou sur les instructions du dispacheur et (ou) de ses agents; les défenderesses déclarent donc qu'elles ne sont pas responsables de ces opérations. Elles invoquent le para-
[1970] R.C.Ê. EISENERZ v. FEDERAL COMMERCE 201 graphe 13 de la charte-partie (Pièce P-3), qui prévoit le règlement des avaries communes selon les Règles d'York et d'Anvers de 1959, et en par-ticulier selon la règle XII de ces dernières. Les défenderesses concluent donc au rejet de cette action. Par contre, la demanderesse prétend que les défenderesses ne peuvent pas plaider l'avarie commune en l'espèce; par ailleurs, bien qu'elle ait rejeté l'argument de l'avarie commune et continue de le faire, la demanderesse prie la Cour de prendre acte du fait que les défenderesses, après avoir admis et réclamé l'avarie commune, ont accepté la validité et le montant de la ré-clamation de la demanderesse, dont le total détaillé ressort de la déclaration d'avarie commune, en particulier à la page 91, déclaration dont elle réclame la production de l'original par les défenderesses. [Ici le Juge se réfère à un certain nombre de faits admis de part et d'autre et continue:] A la suite de la reconnaissance de ces faits, ce qui a considérablement raccourci ce procès, il est donc maintenant entendu que la demanderesse possède la cargaison de fonte en gueuse S-100 et F-1 qui fait l'objet de la présente réclamation; que contrat comprend, à la fois la charte-partie (Pièce P-3) et les deux connaissements (Pièces P -1 et P -2); que la deman-deresse est porteuse des connaissements, est par ailleurs l'une des parties contractantes de la charte-partie (Pièce P-3) et a subi les pertes ou dom-mages réclamés dans la présente action. [Ici le juge se réfère à certaines pièces additionnelles produites de part et d'autre ainsi qu'à certains autres faits admis de part et d'autre et continue:] Il faut maintenant répondre aux trois questions suivantes: (1) Le navire était-il en bon état de navigabilité au départ de Sorel; autre-ment dit, les défenderesses avaient-elles exercé une diligence raison-nable pour rendre le navire navigable à tous égards et capable de transporter le chargement, avant son départ de Sorel; et, dans le cas con-traire, cela a-t-il causé la perte ou les dommages; (2) L'échouement devant Québec, le 25 août 1962, résultait-il d'une erreur de navigation de la part du pilote, du capitaine ou des officiers du navire; et (3) Le mélange, la fragmentation et la perte qui se sont produits au cours du chargement forcé à Québec, fait selon les instructions et sous la surveillance des dispacheurs d'avarie commune (pour les actes desquels les défenderesses prétendent qu'elles ne sont pas responsables), enga-gent-ils la responsabilité de tous les intéressés; ceux-ci devraient-ils les supporter en vertu de la règle XII des Règles d'York et d'Anvers de 1950, dont voici le texte: Règle XII Dommage subi par la cargaison au cours du déchargement, etc. Le dommage ou la perte subi par la cargaison, le combustible et les approvisionnements dans les opérations de manutention, déchargement, em-magasinage, rechargement et arrimage sera bonifié en avarie commune lorsque le coût respectif de ces opérations sera admis en avarie commune, et dans ce cas seulement.
[1970] R.C.É. EISENERZ v. FEDERAL COMMERCE 203 La règle D des Règles d'York et d'Anvers stipule que: Lorsque l'événement qui a donné lieu au sacrifice ou à la dépense aura été la conséquence d'une faute commise par l'une des parties engagées dans l'aventure, il n'y en aura pas moins lieu à contribution, mais sans préjudice des recours pouvant être ouverts contre cette partie à raison d'une telle faute. J'examinerai tout d'abord le problème de la navigabilité du navire. La demanderesse prétend que la Loi sur le transport des marchandises par eau (1952, c. 291 S.R.C.), ne s'applique pas à la situation actuelle, puisque, l'affréteur détenant les connaissements, la charte-partie (comme cela a été décidé dans les affaires The Sonia 113 et The Northern 4 constitute le contrat, et les connaissements ne sont que des reçus. Ceci implique naturellement que l'obligation du transporteur n'est pas limitée au simple exercice d'une diligence raisonnable pour rendre le navire navigable, mais qu'il doive remettre un navire navigable. De plus, le transporteur ne bénéficierait pas des droits et immunités prévus dans la loi (paragraphe (2) de l'article W), à moins que ces droits et immunités ne soient inscrits dans la charte-partie. Aux fins de l'espèce (et sans préjuger de la question de savoir si les connaissements ne représentent en l'espèce que de simples reçus), il suffira de dire que la charte-partie contient toutefois, au paragraphe 20, l'immunité suivante: 20. ... dommage ... à la suite de tout acte, négligence, manquement ou erreur de jugement de la part du pilote, du capitaine, de l'équipage ou de tout autre préposé de l'armateur dans la direction commerciale ou nautique du navire, à l'exception de tout autre danger ou accident propre aux mers, fleuves et canaux de quelque nature qu'il soit. La seule autre différence, déjà mentionnée, est l'obligation du transporteur de remettre un navire en bon état de navigabilité; et cette obligation de l'armateur ne peut avoir quelque incidence sur la détermination des droits des parties en cause, qu'au seul cas les dommages subis par la cargaison se seraient produits en raison du mauvais état de navigabilité. Ceci ressort d'un jugement de la Cour suprême du Canada rendu par le juge Ritchie dans l'affaire Western Canada S.S. Co. v. Can. Commercial Corp. et a1.5, ainsi que d'un jugement de la Cour dans l'affaire N. M. Patterson & Sons Limited v. Robin Hood Flour Mills6. Bien que la charte-partie (Pièce P-3) invoque, à l'article 43, la «clause Paramount américaine jointe à la présente», je ne vois pas comment le Cogsa (le Carriage of Goods by Sea Act) ou la clause américaine peuvent s'appli-quer en l'espèce. Cette clause Paramount n'était pas, en fait, jointe à la charte-partie; même si elle l'avait été, étant donné qu'on n'a pas établi le contenu de ce droit étranger, le droit canadien doit s'appliquer en l'espèce; si le droit américain devait régir cette affaire, il faudrait présumer qu'il est identique au droit canadien sur ce point. ° (1946) A.M.C. 90. * (1936) A.M.C. 1296. ° [1960] S.C.R. 632, à la page 641. ° [1968] 1 R.C. de l'E. 175, à la page 189.
[1970] R.C.A.: EISENERZ v. FEDERAL COMMERCE 205 Si la Loi sur le transport des marchandises par . eau ne régit pas les parties en l'espèce, il pourrait y avoir lieu d'appliquer les articles 1672, 1682, et 2407 'à 2436 du Code Civil du Québec, puisque le procès a été entendu au Québec, que l'une des parties défenderesses y résidait, et que l'ensemble de la cause d'action s'est déroulée dans cette province: voir l'affaire Mannix Limited v. N. M. Patterson Ltd.7 Je ne pense pas toutefois qu'il soit néces-saire de résoudre la question très complexe du droit applicable lorsqu'un transport de marchandises n'est pas régi par la Loi sur le transport des marchandises par eau et de savoir s'il faut appliquer à cette situation les articles susmentionnés du Code Civil, ou s'il faut recourir au droit civil et maritime anglais. A la lecture de la clause 2 de la charte-parties, qui ressemble à certains égards à l'article 2423 du Code Civil 9 , et à lecture des clauses 2810, 2911 et 49 12 de la charte-partie, il appert qu'en l'espèce, le transporteur, en plus d'avoir à charger, manipuler, arrimer, transporter, conserver, surveiller et décharger avec soin les marchandises transportées, s'était également engagé à veiller à ce que les différentes qualités de fonte en gueuse soient conservées séparément, «aux risques et frais de l'armateur, l'armateur étant entière-ment responsable de tout dommage causé par contamination». En vertu de la clause 2 de la charte-partie (Pièce P-3) les défenderesses ont garanti que le navire était «étanche, bien conditionné et solide, et prêt à tous égards pour la traversée ...» ce qui, selon l'avocat de la demande-resse, ne constitue pas seulement une obligation de faire preuve d'une diligence raisonnable pour mettre le navire en bon état de navigabilité, mais 7 [1965] 2 R.C. de . 107, aux pages 113 et 114. 8 Que ledit navire étant garanti étanche, bien conditionné, solide et prêt à tous égards pour la traversée, se dirigera, après livraison de sa cargaison d'aller, avec toute la diligence possible, vers SOREL, et y chargera de la façon habituelle, toujours à flot, .free of turn., dès que l'agent du chargeur l'ordonnera et au moment et au lieu qu'il choisira, une cargaison complé-mentaire de 5,000 tonnes de fonte en gueuse, à 2 p. 100 près, selon la décision de l'armateur, et n'excédant pas ce qu'il peut raisonnablement arrimer et transporter, en plus de ses apparaux et agrès, approvisionnements et fournitures; et ainsi chargé, se dirigera avec toute la diligence possible vers un port convenable et sûr d'ITALIE OCCIDENTALE, au choix de l'affréteur, et y livrera la cargaison de la façon habituelle, au moment et à l'endroit désigné par le destinataire et conformément à ses instructions; avis que le navire est prêt à être déchargé devra être donné au destinataire durant les heures de travail, entre 9 et 17 heures ou, le samedi, entre 9 et 13 heures. a Article 2423 du Code civil Le fréteur est obligé de fournir un bâtiment du port stipulé, étanche et bien conditionné, garni de tout agrès et apparaux pour le voyage, avec un maître compétent et un nombre suffisant de personnes habiles et capables de le conduire, et il doit le tenir en cet état jusqu'à la fin du voyage. Le maître est obligé de prendre à bord un pilote, lorsque le droit du pays l'exige. " Clause 28 de la charte-partie Il est entendu que les parties suivantes de la quantité susdite doivent être placées dans des cales distinctes, aux risques et frais de l'armateur: 2,000 tonnes, 2,000 tonnes et 1,000 tonnes. n Clause 29 de la charte-partie La cargaison sera chargée et déchargée sans frais pour le navire; l'arrimage sera cependant aux frais de l'armateur. "Clause 49 de la charte-partie L'armateur a le droit de prendre pour son propre compte d'autres marchandises licites dans un ou plusieurs ports situés ou non sur l'itinéraire. Cette cargaison complémentaire doit être séparée de la fonte en gueuse, aux risques et frais de l'armateur, qui demeure entièrement responsable de tout dommage causé par corruption.
[1970] R.C.É. EISENERZ v. FEDERAL COMMERCE 207 constitue une garantie de fournir un navire en bon état de navigabilité. Je ne pense pas que, si l'on constate que l'armateur ou le transporteur en l'espèce n'a pas fourni un navire en bon état de navigabilité, il puisse être tenu res-ponsable des dommages subis par la cargaison, sans qu'on établisse de lien de causalité entre la faute et la perte. On peut même trouver une jurisprudence considérable en sens contraire, clans le cas d'une obligation implicite de bonne navigabilité, et je ne pense pas qu'il en aille différemment dans le cas d'une garantie d'étanchéité comme en l'espèce.'3 (Voir la dix-septième édition des Charterparties and Bills of Lading, de Scrutton, aux pages 80, 81 et 82). Carver précise, au tome 2 des British Shipping Laws, à la page 89: «Même sans tenir compte du Carriage of Goods by Sea Act de 1924, un contrat de transport de marchandises par mer ou par eau contient toujours une obligation implicite pour le transporteur de fournir un navire en bon état de naviga-bilité, sauf lorsque cette obligation est expressément exclue. Effet de l'innavigabilité L'armateur est responsable de toute perte ou dommage subi par les mar-chandises, quelle qu'en soit la cause, si le navire n'était pas en bon état de naviga-bilité lorsqu'il a entrepris sa traversée et si la perte n'aurait pu se produire, sans cette innavigabilité. Pour engager la responsabilité de l'armateur, le propriétaire des marchandises doit établir l'existence de ces deux éléments, et ne peut recouvrer des dommages et intérêts pour le seul motif que le navire n'était pas en bon état de navigabilité; il doit également démontrer que la perte ou le dommage a été causé par l'innavigabilité.= La demanderesse a apporté de très nombreuses preuves pour établir que l'Oak Hill était surchargé lorsqu'il a quitté Sorel, le 25 août 1962, et que cette surcharge avait causé l'échouement du navire à Québec le soir du même jour, ou y avait contribué. De leur côté, les défenderesses ont présenté des preuves pour établir que toutes les précautions avaient été prises pour charger et arrimer convenable-ment la cargaison de fonte en gueuse à Sorel, et que l'état du navire était sans aucun rapport avec l'échouement. [Ici le Juge passe en revue la preuve relative à la surcharge:] Or, bien qu'il apparaisse, d'après les tirants d'eau relevés et enregistrés à Sorel le 25 août et plus tard à Québec et d'après le tonnage à bord, que la ligne de flottaison était légèrement immergée, et que le navire était sur-chargé, il ne ressort pas de la preuve que le navire ait été excessivement surchargé et n'ait donc pas été en bon état de navigabilité. Les écarts indiqués entre le poids mort de la pièce D-15 et celui de la pièce D-22 peuvent, selon l'assesseur qui m'a aidé en l'espèce, le capitaine Roger Frégeau, s'expliquer par l'arc, et ne signifient pas nécessairement que le navire était très surchargé. Ceci est conforme à la déposition du capitaine Dalziel'4 (à la page 14), qui déclare avec netteté qu'il était convaincu du très bon état de navigabilité du navire à l'époque, et ajoute qu'il n'avait aucune raison «de douter qu'il n'était "Dans la dixième édition de son Merchant Shipping, MacLachlan déclare, à la page 331: «Comme nous l'avons vu, il faut satisfaire à cette garantie de navigabilité au moment le navire lève l'ancre pour cette traversée, avec la cargaison à son bord; si cette garantie n'est pas respectée, l'armateur devient responsable de toute perte ou dommage subi par la cargaison à raison de l'innavigabilité, même si la cause immédiate en est un danger exclu par le contrat de transport " Était le maître du navire Oak Hill.—Arrêtiste. 92622-3
[19701 R.C.E. EISENERZ v. FEDERAL COMMERCE 209 pas en bon état de navigabilité pour la traversée qu'il avait entreprise»; il ne semble d'ailleurs pas que cet excédent ait un rapport quelconque avec l'échouement du navire, le 25 août au soir, devant Québec. En effet, tout semble indiquer que l'échouement du navire était à une erreur de navigation; et si tel est le cas, l'état du navire avant son départ de Sorel ce même jour ou au moment de l'échouement n'est pas pertinent, dans la mesure un tel état n'a rien à voir avec l'accident. Il s'ensuit également, bien sûr, que si telle est la situation, le transporteur ne peut être tenu responsable en raison. de l'exception de l'article 20 de la charte-partie, l'affréteur a déclaré n'être pas responsable de tout dommage causé par «tout acte, négligence, manque-ment, ou erreur de jugement de la part du pilote, du capitaine, de l'équipage ou de tout autre préposé de l'armateur dans la direction commerciale et (ou) nautique du navire» (italiques sont de moi) Les défenderesses avaient la charge d'établir que l'échouement avait été causé par une erreur de navigation, si elles voulaient bénéficier de cette exception; il s'agit maintenant de savoir si elles ont réussi à apporter cette preuve. Le capitaine Dalziel déclare dans sa déposition qu'il était en haut de l'échelle de la passerelle lorsque le pilote Brochu monta à bord, et que ce dernier semblait tout à fait normal. Il quitta alors la passerelle vers 22 heures 25, deux ou trois minutes après l'arrivée du pilote. En bas, dans sa cabine, la première chose dont il se rappelle, fut d'avoir entendu un bruit qui lui indiqua que le navire était en train de s'échouer quelque part. Il se précipita immédiatement sur le pont; avant qu'il ait atteint la passerelle, le navire s'était arrêté, et il ajoute: «Le pilote était très agité Ce dernier lui déclara alors que les ancres avaient pris du jeu et s'étaient détachées, mais que le navire n'était pas échoué. Ensuite, dit-il, il envoya le troisième officier, qui était de quart, à l'avant, ajoutant (à la page 14 de sa déposition): `. .. (je) ... savais très bien que les ancres ne pouvaient pas avoir pris de jeu; au contraire, d'après le bruit, mon expérience me portait à d'autres conclusions. Mais pour satisfaire le pilote, j'envoyai le troisième officer à l'avant, et lorsqu'il est revenu, il nous a déclaré, au pilote et à moi-même, que les ancres étaient au complet et à leur emplacement 11 déclara ensuite que lorsque le navire s'immobilisa, la cale sèche de Lauzon était toute proche à bâbord et, la bouée 87i (bouée lumineuse) se trou-vait à tribord arrière. Il ne détermina pas le point, mais le lendemain, en examinant une carte du fleuve et en tenant compte de la situation de la cale sèche de Lauzon, et de la bouée lumineuse, il détermina le point d'échouage à 46.50 12 de latitude nord, 71.9 6 de longitude ouest, sur un haut-fond , à marée basse (et au moment de l'échouage, la marée était basse), il y avait 25 pieds d'eau. C'était , selon le capitaine Allard, maître du port de Qué-bec, le seul endroit dans les parages le navire pouvait s'échouer, puisque c'était le seul endroit il y avait 25 pieds d'eau. Le navire s'échoua entre 22 heures 39 et 22 heures 40, puis revint à flot vers minuit trois minutes. Le capitaine laissa alors le pilote à l'écart, sur le côté de la passerelle, s'étant rendu compte qu'il n'était pas capable de prendre la responsabilité du navire. Or, bien qu'il ne soit pas possible de dire avec exactitude le navire a touché le haut-fond en face du chantier de Lauzon, il est clair que, puisqu'il descendait le cours du fleuve, le navire n'avait rien à faire dans les parages 92622--51
[1970] R.C.L. EISENERZ v. FEDERAL COMMERCE 211 du haut-fond ou à la droite de la bouée lumineuse blanche 871. Le chenal se trouvait en fait à gauche de cette bouée; or, le navire s'échoua à sa droite et assez loin d'elle. On doit, me semble-t-il, en conclure que, quelle que fut la personne qui dirigeait le navire sur la passerelle, elle avait commise une très grave erreur de navigation, pour avoir, pendant une nuit claire, aussi mal dirigé ce navire et le faire échouer du mauvais coté de la bouée, hors du chenal. Dans ces circonstances, on ne peut expliquer cet accident que par une grave erreur de navigation du pilote qui était alors responsable du navire. Le fait que le capitaine ait été, dans une certaine mesure, négligent de n'être pas resté sur la passerelle, quelque temps après que le nouveau pilote ait pris le navire en charge, me frappe également. Le pilote Brochu ne peut venir témoigner à ce procès, puisqu'il est mort il y a quelques années. Le capitaine George W. Graves, qui était en 1962 surintendant des règlements nautiques fut dési-gné, quelque temps après l'échouement, pour faire enquête, en vertu des articles 568 et 579 de la Loi sur la marine marchande du Canada, sur la conduite du pilote Jacques Brochu, lors de l'échouement du navire Oak Hill, ainsi que lors de l'accident du navire Continental Pioneer, alors que ce même pilote en était responsable. Bien que les deux enquêtes aient été menées sépa-rément, le rapport les recouvrait toutes deux. A la suite de celles-ci, le certi-ficat du pilote Brochu fut suspendu indéfiniment. L'avocat de la deman-deresse s'est fortement opposé à la production de ce rapport, considérant qu'il traitait des deux accidents et que (d'après ce que j'ai compris.) on ne peut utiliser ce rapport ou cette décision en l'espèce comme preuve de la vérité des faits sur lesquels il se fonde. Pour ce qui est de l'objection que l'enquête couvrait les deux accidents, il faut noter que le capitaine Graves était mani-festement d'avis que Brochu aurait pu être suspendu sur le seul motif de l'échouage de l'Oak Hill. La règle générale, selon laquelle un jugement ou une condamnation ne peut être produit comme preuve dans une action purement civile, pour établir la vérité des faits sur laquelle il se fonde, devrait, me semble-t-il, être atténuée de façon à permettre la production d'une condam-nation ou d'une décision comme preuve prima facie des faits impliqués dans une affaire, dans un cas comme celui-ci, ot l'État a un droit et une obligation, en vertu de son pouvoir de police, de définir et de contrôler les qualifications qu'une personne doit posséder et conserver pour pouvoir piloter des navires. Ce pouvoir, donné à l'État dans le but de protéger le public, et exercé en vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada avec toutes les garanties dont dispose la personne sur laquelle il est fait enquête, et avec une possibilité d'appel de la condamnation (possibilité dont on ne semble pas s'être prévalu en l'espèce), comporte une assurance de véracité, que l'on trouve rarement dans de tels cas. En outre, nous ne traitons pas ici de la culpabilité du pilote considérée en elle-même, mais seulement dans la mesure elle permet de déterminer la cause de l'accident en l'espèce. La suspension de Brochu par le ministre des Transports peut, et en l'espèce devrait, faire partie des preuves qui, avec la conduite inhabituelle du pilote telle qu'elle a été décrite par le capitaine Dalziel, établissent, selon moi, de façon certaine que l'échouement de l'Oak Hill, le 25 août 1962 au soir, a été causé par une grave erreur de navigation de la part du pilote.
[1970] R.C.A. EISENERZ v. FEDERAL COMMERCE 213 Voici le texte de ce rapport, en date du 3 octobre 1962, et produit comme pièce D-27: Sujet: Le pilote Jacques Brochu, Navire «Oak Hill», Échouement dans le fleuve St-Laurent, le 25 août 1962. Navire `Continental Pioneer», Échouement dans le fleuve St-Laurent, Le 5 septembre 1962. DÉCRET DU MINISTRE DES TRANSPORTS En vertu du rapport présenté par le capitaine G.W.R. Graves à la suite des enquêtes qu'il a menées sur la conduite du pilote Jacques Brochu, pilote breveté de la circonscription de pilotage de Québec, alors qu'il pilotait le navire «Oak Hill» dans le fleuve St-Laurent le 25 août 1962, et le navire «Continental Pioneer» dans le fleuve St-Laurent le 5 septembre 1962, je constate que le pilote Brochu s'est trouvé, en deux occasions, inapte à exercer ses fonctions en raison de quelque incapacité mentale ou physique dont la cause n'a pas été déterminée. J'ordonne la suspension indéfinie du brevet de pilote au nom dudit Jacques Brochu. Ottawa, le 31 octobre 1962. Le transporteur ayant ainsi établi que l'exception contenue dans la charte-partie s'applique dans son cas, je traiterai maintenant du plaidoyer des dé-fenderesses selon lequel les opérations de chargement et de déchargement qui ont causé des dommages ou des pertes à la demanderesse, ont été menées par les experts ou dispacheurs d'avarie commune mandatés par le chargeur aussi bien que par les défenderesses. Les défenderesses s'appuient sur la règle XII des Règles d'York et d'Anvers de 1950, que je reproduis de nouveau ici pour plus de commodité: Règle XII Dommage subi par la cargaison au cours du déchargement, etc. Le dommage ou la perte subi par la cargaison, le combustible et les approvi-sionnements dans les opérations de manutention, déchargement, emmagasinage, rechargement et arrimage sera bonifié en avarie commune lorsque le coût respectif de ces opérations sera admis en avarie commune, et dans ce cas seulement, et sur la règle D, qui, comme je l'ai déjà mentionné, précise que les droits de réclamer la contribution à l'avarie commune subsistent même si l'événe-ment qui a donné lieu au sacrifice ou à la dépense est attribuable à la faute d'une des parties, mais sans préjudice des recours pouvant être ouverts contre cette partie à raison d'une telle faute. D'après ce que j'ai compris, l'argumentation de l'avocat des défenderesses est la suivante: lorsqu'il y a déclaration d'avarie commune, (1) un expert ou dispacheur prend en main le règlement de l'avarie commune, afin de pré-server de tout dommage l'aventure commune; (2) le transporteur n'est plus responsable des pertes ou dommages subis au cours du règlement de l'avarie commune, lorsque le coût de la manutention, de l'entreposage, du recharge-ment et de l'arrimage est admis en avarie commune; (3) toute faute com-mise au cours de cette procédure d'intérêt général est alors imputable aux divers intéressés, y compris les propriétaires de la cargaison; et (4) même
[1970) R.C.É. EISENERZ v. FEDERAL COMMERCE 215 une faute commise par les défenderesses ne les empêche pas d'exercer leur droit de réclamer la contribution à l'avarie commune, ainsi que le prévoit la règle XII des Règles d'York et d'Anvers de 1950, citée ci-dessus. Afin d'apprécier correctement l'argumentation des défenderesses à l'instance, il sera utile d'expliquer brièvement la procédure de règlement des ava-ries communes, ainsi que la teneur des Règles d'York et d'Anvers. Lorsqu'on encourt une dépense pour protéger l'aventure commune contre le danger, les parties intéressées, les chargeurs et l'armateur qui en ont béné-ficié, doivent contribuer à rembourser la partie qui l'a encourue, proportion-nellement à la valeur des intérêts sauvegardés. MacLachlan, dans son Merchant Shipping, 7e édition, déclare, à la page 554, au sujet de l'avarie commune: .. diverses circonstances donnent lieu de croire qu'en droit anglais, cette règle de droit, inspirée et justifiée par des considérations pratiques et sanctionnée par les principes de l'équité, se fonde sur un contrat implicite entre les parties à l'aventure, conclu à la veille de l'expédition. Lorsque la perte ou la dépense est due à un simple accident, elle est supportée par celui qui l'a subie. Lorsque par exemple, la cargaison subit une perte, celle-ci est supportée par son propriétaire, même s'il a un droit de recours contre le transporteur, en supposant que ce dernier ne bénéficie pas d'une clause d'irresponsabilité en vertu du droit ou de la charte-partie. Lorsque la perte ou la dépense a cependant été encourue exprès ou volon-tairement, au bénéfice de tous les intéressés, il ne serait pas juste de laisser s'appliquer la règle habituelle. Les autres personnes dont les intérêts ont été sauvegardés doivent alors contribuer au remboursement de cette perte ou de cette dépense. D'autre part, les Règles d'York et d'Anvers constituent ce que l'on peut considérer comme un code du transport maritime, établi par des armateurs, marchands, assureurs et dispacheurs d'avaries britanniques et étrangers, pour faciliter les règlements d'avaries communes susceptibles de survenir dans divers pays s'appliquent des droits différents. Ces règles sont incorporées dans les chartes-parties et connaissements. Lorsqu'elles ne le sont pas, le droit commun s'applique. Il ne fait aucun doute que la mise en cale sèche de l'Oak Hill, à Lauzon, était nécessaire à la sécurité générale du navire, de la cargaison et du fret, et que les réparations qu'on y a effectuées étaient également nécessaires à la sécurité générale du navire, de la cargaison et du fret, et que les réparations qu'on y a effectuées étaient également nécessaires pour la poursuite de la traversée en toute sécurité. Le coût des réparations, ainsi que tous les frais de déchargement et de rechargement de la cargaison qu'elles ont entraînés, semblent, dans la mesure cela était indispensable pour permettre de ré-parer le navire, faire partie des dépenses d'avarie commune nécessaires pour ne pas perdre les biens engagés dans l'aventure commune; et ces coûts sont effectivement entrés dans la dispache d'avarie commune produite sous la cote P-10, à la page 88. Il semblerait également que si l'on doit admettre comme avarie commune le coût de déchargement et de rechargement à Québec, comme l'exige la règle XII des Règles d'York et d'Anvers, les dommages ou pertes, d'un montant de $107,621.26, subis par la fonte en gueuse de la
[1970] R.C.É. EISENERZ v. FEDERAL COMMERCE 217 demanderesse au cours de ces opérations, par mélange et fragmentation, de-vraient également être considérés comme avarie commune, en vertu de la même, règle, s'ils constituent des conséquences nécessaires de l'acte d'avarie commune. Les défenderesses invoquent en effet la règle XII ci-dessus ainsi que la règle D, qui déclare que les droits de réclamer la contribution à l'avarie commune subissent, même si l'événement qui a donné lieu au sacrifice ou à la dépense est attribuable à la faute d'une des parties à l'aventure. Dans leur argumentation, elles ont prétendu que la perte et les dommages subis par la fonte en gueuse de la demanderesse, au cours du déchargement et du recharge-ment à Québec, font partie de l'avarie commune, même si cette perte était attribuable à leur faute; et que cette perte devrait donc être répartie par contribution entre les différents intérêts concernés. Elles affirment également que puisque le règlement des avaries communes avait été entièrement confié à un expert indépendant, Hayes Stuart & Company, qui représentait tous les intérêts impliqués dans l'aventure commune, on ne peut les tenir respon-sables d'une négligence, à raison du mélange de la fonte en gueuse au cours du déchargement et du rechargement du navire. Avant d'examiner l'argumentation des défenderesses à l'instance, et afin de préciser, ne serait-ce que dans mon propre intérêt, l'effet que peut avoir une procédure intentée en vertu des Règles d'York et d'Anvers sur une réclamation telle que la présente, il est utile, me semble-t-il, d'expliquer le sens général de ces règles; il faut d'abord souligner que la réclamation en l'espèce n'est pas une action en contribution à l'avarie commune, mais sim-plement une action contre le transporteur à raison des dommages subis par la cargaison de la demanderesse, au cours d'une traversée de Sorel (P.O.) à Gênes. Je ferai également remarquer que les objectifs de la règle D des Règles sont de maintenir en dehors de la procédure de règlement d'avarie, toutes les questions relatives à une allégation de faute, sans préjuger de la situation juridique au moment de la 'mise en application. La seconde partie de la règle D, qui précise que «... sans préjudice des recours pouvant être ouverts contre cette partie à raison d'une telle faute», permet en pratique de faire échec au droit de réclamer la contribution prévue dans la première partie de la règle, ou du moins d'en restreindre la portée. Le transporteur peut donc avoir prima facie un droit à recouvrer des contributions des proprié-taires de la cargaison, pour avarie commune sous réserve toujours, cependant, que les propriétaires de la cargaison puissent lui opposer les «recours» qu'ils possèdent contre la faute de l'armateur. La manière dont s'applique la règle D a été très bien définie dans l'affaire Goulandris Brothers Ltd. v. B. Goldman & Sons Ltd15, jugée par le juge Pearson, il déclarait, aux pages 92 et 93: Un autre problème se pose au sujet des rapports entre la première et la seconde partie de la règle D. II me semble que les objectifs manifestes de la règle D soient de maintenir en dehors de tout règlement d'avarie les questions relatives à une allégation de faute, sans préjuger de la situation juridique au moment de la mise en application. L'effet de la première partie de cette règle est que le règlement d'avarie est élaboré en supposant que l'accident ne soit à la faute de personne. La commodité de cette disposition devient évidente si l'on considère l'ampleur et la complexité éventuelles d'un règlement d'avarie. En va [1958] 1 Q.B. 74.
1970] R.C.A. EISENERZ v.. FEDERAL COMMERCE 219 l'espèce, le règlement d'avarie couvre 183 pages; et pour parvenir à des chiffres définitifs, il faudrait réunir de nombreux renseignements et effectuer de longs calculs. Je comprends donc que l'élaboration d'un règlement d'avarie commune, dans une affaire compliquée, puisse prendre des années. Pour des raisons pratiques, il est donc très souhaitable, presque indispensable, de ne pas accroître et compliquer cette tâche encore davantage en soulevant la question de savoir si l'accident a été causé par la faute ou les fautes d'une ou de plusieurs des parties. En outre, ces questions seraient normalement tranchées par les tribunaux ou par arbitrage, puisqu'elles dépassent le cadre de l'avarie commune et peuvent toucher d'autres problèmes. Les dispacheurs d'avaries devraient être en mesure de fournir des chiffres qui, du moins en ce qui les concerne, seraient des chiffres définitifs. Une fois qu'ils ont produit ces chiffres, se pose la question de l'exécution; c'est alors qu'entre en jeu la seconde partie de la règle D. La dispache d'avarie peut révéler que X doit £ 100 à Y; mais cela sans préjudice des recours dont X pourrait dis-poser au cas la faute d'Y aurait causé l'accident. Il me semble nettement que c'est ainsi que doivent s'appliquer les deux parties de la règle D, ce qui nous fournit la clé de l'interprétation de ce texte. La première partie se rapporte aux droits de réclamer la contribution à l'avarie commune, tels qu'ils sont précisés par la dispache d'avarie; c'est à juste titre qu'on parle de `droits puisque leur titulaire peut exiger paiement. Mais la seconde partie de la règle stipule que la première ne préjuge pas des recours éventuels à raison d'une faute. Ceci implique que, dans certains cas, le recours mentionné par la seconde partie de la règle prendra le pas sur les droits mentionnés dans la première; en d'autres termes, la seconde partie a l'effet d'une condition, d'une réserve, d'une disposition prépondérante, limitative ou dérogatoire, par rapport à la première. Les droits peuvent être annulés, écartés, restreints ou modifiés de toute autre manière par l'existence de ces recours. En ce sens, les droits mentionnés dans la première partie de la règle sont des droits prima facie, puisqu'ils n'existent que sous réserve des recours. La situation est donc que les réclamants ont un droit prima facie de recouvrer des intimés une contribution à l'avarie commune; mais les intimés peuvent faire échec à ce droit en utilisant leurs «recours» contre la «faute» des réclamants. Comme je l'ai déjà dit, les Règles d'York et d'Anvers sont muettes quant à la nature des recours et de la faute, et il est nécessaire, pour éclaircir ces questions de s'en remettre au droit anglais. La dernière partie de cette citation, qui se rapporte au droit d'une partie intéressée poursuivie en contribution d'intenter une action reconventionnelle pour recouvrer la totalité de la somme réclamée, vise à empêcher un circuit d'actions. Il s'ensuit donc, me semble-t-il, que la procédure d'avarie commune n'a aucun rapport avec le droit d'une partie d'exercer quelque recours qu'elle puisse avoir contre une des parties à une avarie commune, en raison d'une faute commise et qui lui a causé un dommage; elle ne le modifie en rien. Telle serait en fait la situation de la demanderesse en l'espèce, si on pouvait établir qu'elle a un recours contre les défenderesses pour les dommages subis par sa cargaison au cours des opérations de rechargement menées à Québec après l'échouement du navire, que l'on puisse ou non exercer un recours en avarie générale contre toutes les parties à l'aventure commune. Je ferai remarquer que bien que l'action en contribution contre les proprié-taires des machines chargées à bord du navire ait été produite (Pièce AD-2), on n'a produit aucune action contre la demanderesse. Les défenderesses à l'instance, comme nous l'avons vu, affirment que la faute ou la négligence, le cas échéant, commise au cours des opérations de rechargement à Québec, sont la faute et la négligence de toutes les parties intéressées, y compris les demanderesses, puisque l'expert désigné pour
[1970] R.C.A. EISENERZ v. FEDERAL COMMERCE 221 mener à bien ce travail représente, non seulement l'armateur, mais égale-ment les propriétaires de la cargaison. Pour soutenir un tel argument, il faut à mon avis établir que l'expert dispacheur est l'agent de tous les inté-ressés, de sorte que toute faute ou négligence qu'il commet soit considérée également comme la faute ou la négligence de ses commettants, et que ces derniers ne puissent donc invoquer cette faute (qui serait également la leur) contre le transporteur. Les preuves au dossier indiquent clairement qu'il y a eu négligence grave au cours du rechargement de la cargaison à Québec, ce qui a pro-voqué le mélange et la fragmentation ainsi que les dommages réclamés en l'espèce. [Ici le Juge passe en revue la preuve sur ce point.] J'en viens maintenant à l'argument des défenderesses selon lequel l'expert désigné en vertu d'un acte d'avarie commune, devient l'agent de toutes les parties intéressées et prend en charge toutes les opérations d'avarie commune, de sorte que l'armateur, ou son capitaine, n'ont plus aucune responsabilité à l'égard de la cargaison à bord du navire. En fait, les dé-fenderesses doivent pour réussir à faire rejeter la présente réclamation, établir que la prise en charge par l'expert s'étend à cette responsabilité. Je crains que les défenderesses aient à cet égard trop étendu les pou-voirs et la responsabilité d'un expert ou d'un dispacheur d'avarie commune dans une telle situation, et minimisé sans raison la responsabilité du trans-porteur au cours de cette procédure. En fait, je crois que dans le cas d'une dépense d'avarie commune, l'armateur ou le capitaine dirige ou surveille les opérations. Dans l'affaire The Mary Thomas1°, le juge Gorell Barnes explique comment se présente une réclamation pour avarie commune: La situation est la suivante, d'une part, l'armateur risque son navire et le fret; d'autre part, le propriétaire de la cargaison risque sa cargaison; et, si l'on s'en rapporte à la doctrine de certains auteurs anciens, il faut dire que si chacune des deux parties se trouvait sur place à ce moment-là, chacune étant responsable du risque qu'elles encouraient, c'est-à-dire chacune supportant la perte qui en aurait résulté, elles se diraient naturellement: dl nous faut engager des frais pour échapper à ce risque, et les répartir entre nous selon notre part du bénéfice que nous en tirerons». et à la page 118: . les opérations de sauvetage sont menées au profit à la fois du navire et de la cargaison ... et c'est pourquoi, le capitaine, qui à ce moment-là ... agit en qualité d'agent de la personne dont les biens sont soumis à des risques, engage des frais au nom de tous les intéressés, et tous ceux qui sont intéressés doivent y contribuer. Il apparaît donc qu'en général, le capitaine ou l'armateur sont appelés à commencer et à mener à terme la procédure d'avarie commune, lorsqu'elle s'impose. Dans l'affaire Wavertree Sailing Ship Co. v. Love17, lord Herschell sou-ligne qu'à l'époque de ce jugement, la profession ou le métier d'un dispacheur 1e [1894] P. 108, à la page 117. 17 [1897] A.C. 373.
[1970] R.C.$. EISENERZ v: FEDERAL COMMERCE 223 d'avarie était relativement nouveau, et que le droit de recevoir et l'obligation de verser une contribution d'avarie commune existaient bien avant qu'une catégorie particulière de personnes se consacrent à la profession d'établir les déclarations d'avarie. ... Autrefois (déclare-t-il à la page 380), on avait coutume, selon lord Tenter-den, d'employer à cette fin un courtier d'assurance. L'armateur n'était pas obligé d'engager une personne appartenant à une catégorie particulière, ou même d'engager qui que ce soit. Il pouvait, s'il le voulait, établir lui-même sa propre déclaration d'avarie, et peut encore le faire actuellement s'il le désire. S'il retient les services d'un dispacheur d'avarie, c'est simplement pour simplifier l'expédition de ses affaires. Le dispacheur n'est engagé par aucune des autres parties; il n'en est aucunement le mandataire, et sa dispache d'avarie ne les engage pas. Ce document est proposé par l'armateur comme l'expression de son opinion sur les droits et obligations découlant de l'avarie commune, mais il peut être contesté sur n'importe quel point par l'une quelconque des parties éventuellement appelées à contribuer. Dans une décision plus récente, dans l'affaire Chandris v. Argo Insurance Cois, le juge Megaw mentionne également, à la page 75, que: Les armateurs qui s'assurent sur la place de Londres ont coutume, lorsque se présente un cas d'avarie commune, d'emploYer des dispacheurs professionnels pour évaluer le montant des dépenses et des sacrifices, la part contributtive des différents intérêts appelés à contribuer, et le montant de leur contribution respective; et également lorsqu'il s'agit d'une avarie particulière, dans les cas de mise en cale sèche pour réparations, à moins qu'elle ne porte que sur un montant minime, par exemple inférieur à £200. Lorsque l'assureur paie, à la suite de ce règlement, il accepte comme partie de la réclamation sa juste part de la redevance d'avarie du dispacheur, même si le dispacheur d'avarie reçoit ses instructions de l'armateur. Il ressort donc que, lorsque des opérations d'avarie commune sont dirigées par le capitaine, ces opérations, même si elles sont menées au bénéfice commun de la cargaison et de l'armateur, ne signifient pas néces-sairement que le capitaine ait à la fois qualité d'agent pour le navire et la cargaison. Dans certains cas, comme nous venons de le voir, l'armateur peut, pour simplifier ses affaires, désigner un dispacheur, ce qui cependant revient au même, en ce qui concerne la procédure d'avarie commune, que s'il la dirige lui-même. Dans un cas de sacrifice, le capitaine du navire agit nécessairement, en général, pour le compte de tous les intéressés; il agit pour tous, il est l'agent de tous, mais il n'est pas, me semble-t-il, en ce qui concerne les dépenses ou la procédure d'avarie commune, l'agent du propriétaire de la cargaison, au sens ce dernier serait son commettant et en tant que tel responsable même d'une faute commise par négligence par le capitaine dans l'exercice de ses fonctions. Il ne fait aucun doute qu'en l'espèce, le capitaine ou le dispatcheur était l'agent nommé par l'armateur du navire, et en tant que tel avait le pouvoir de l'obliger mais, on ne peut et on ne doit pas, à mon avis, en conclure que, parce qu'il travaillait dans l'intérêt de toutes les parties, il devenait l'agent normal de toutes les parties et pouvait les obliger dans tous les cas. Le capitaine ou le transporteur est en fait le dépositaire de la car-gaison et a l'obligation de la surveiller et de la transporter en toute sécurité; ' [1963] 2 Lloyd's Rep. 65. 92622-4
[1970] R.C.E. . EISENERZ v. FEDERAL COMMERCE 225, et, à mon avis, l'obligation de transporter, surveiller et livrer la cargaison en bon état, au cours de la traversée, ne disparaît pas dès que la procédure d'avarie commune est entamée et poursuivie. Je' pense également que ces obligations de surveillance sont renforcées lorsque la charte-partie contient, comme en l'espèce, des dispositions selon lesquelles la cargaison doit être placée «dans des cales distinctes, aux risques et frais de l'armateur». (clause 28), les arrimeurs sont placés sous la direction et la surveillance du capi-taine (clause 37), et les armateurs doivent conserver la cargaison complète «séparée de la fonte en gueuse, aux risques et frais de l'armateur, qui demeure entièrement responsable de tout dommage causé par corruption Le capitaine du navire, Dalziel, avait parfaitement conscience qu'il était important de s'assurer qu'il n'y aurait pas de mélange entre les diverses caté-gories de fonte en gueuse à bord du navire, ainsi qu'il ressort de sa déposi-tion, à la page 15:. Q. De par votre expérience, connaissiez-vous l'importance d'empêcher le mélange des différentes catégories de cargaison? R. Oui, bien sûr. A la page, 51, il répète qu'il savait très bien qu'il fallait prendre toutes les précautions pour éviter le mélange de la cargaison, et il ajoute que «Il allait de soi que nous, en qualité de capitaine du navire, nous assurions que ceci était respecté». A la page 18 de sa déposition, il a déclaré qu'il savait, après l'échoue-ment, qu'il y aurait une déclaration d'avarie commune à cause de cet incident et, il a déclaré que l'avarie commune aurait du être réglée à Londres. Il a ensuite déclaré qu'après que son navire ait été conduit au mouillage, «à ma connaissance, un expert de la Lloyd's est monté à bord». Il a ajouté que «par la suite, le navire s'est trouvé placé sous le commandement des experts». Il s'est souvenu du nom Hayes Stuart & Company et que c'était les personnes responsables du déchargement du navire. Il a apporté ensuite le témoignage suivant: Q. Ces experts ont-ils effectivement surveillé les opérations de déchargement? R. Ils le devaient, oui. Q. Les avez-vous laissé mener ces opérations, ou êtes-vous intervenu d'une façon ou d'une autre? R. Eh bien, il n'y avait aucune raison d'intervenir avec les experts qu'on avait désignés pour ce travail. Q. Et en ce qui concerne les officiers et l'équipage du navire, leur avez-vous donné instructions de collaborer avec les experts, et ainsi de suite? R. Bien sûr, et ils ont collaboré avec eux. Q. En a-t-il été de même pour le rechargement de la cargaison que pour son déchargement? Avez-vous laissé les opérations au soin des experts? - R. Bien sûr. Les experts en avaient la charge. Et à la page 45 de sa déposition: Q. Et vous avez dit qu'à Lauzon, vous avez laissé aux experts le soin de décharger la cargaison, d'en conserver les différentes parties séparément et de la surveiller? R. Oui. 92622-41
[1970] R.C.É. EISENERZ v. FEDERAL COMMERCE 227 Q. Vous n'y avez pas veillé personnellement? R. Eh bien, les officiers du navire sont toujours en service. Q. Je vois. Mais vous avez laissé cela aux experts? R. Oui. Puis, au cours du contre-interrogatoire, il répète, à la page 68, que «. . . lorsqu'on déchargea et rechargea la cargaison, ce fut sous la direction des experts d'Hayes Stuart & Company, de sorte que s'ils ont commis une erreur, eh bien cela n'était pas de mon ressort On lui a ensuite posé les questions suivantes: Q. Je vois, comme vous dites, à Québec vous n'étiez pas responsable du décharge-ment et du chargement? R. C'est à dire que j'étais responsable du navire, mais il était sous le commande-ment de l'expert désigné par l'assureur, au moment du déchargement et du chargement. Q. Voulez-vous dire que le capitaine abandonne le commandement de la cargaison, du navire? R. Non, il n'abandonne pas le commandement de quoi que ce soit, mais par ailleurs, lorsque le navire est pour ainsi dire sous un régime d'avarie commune et que l'expert est à bord du navire, ils décident habituellement ce qu'il faut faire. Q . Et vous leur avez remis le commandement. Est-ce exact? R. Eh bien, je ne dirai pas qu'on leur abandonne le commandement, puisqu'il faut par ailleurs se trouver sur place et observer ce qui se passe. Q. Eh bien, qu'avez-vous fait? Avez-vous gardé la haute main sur tout? Étiez-vous responsable ou étaient-ils responsables? R. Ils étaient responsables de ce qui concernait le déchargement et le chargement de la cargaison. Q. De la surveillance de la cargaison? R. Elle leur incombait. Q. Vous avez abandonné la surveillance, n'est-ce-pas? R. Eh bien, oui. Étant donné la façon négligente et fautive dont on a procédé au recharge-ment de la cargaison à Québec, telle que l'ont constatée les deux experts italiens des défenderesses, et l'attitude assez détachée du capitaine du navire au cours des opérations, puisque rien ne permet de penser que le capitaine et les armateurs aient . prévenu les experts de l'importance de ne pas mé-langer la fonte en gueuse, je ne vois pas comment les défenderesses peuvent, dans ces circonstances, dire qu'elles ont, en qualité de transporteurs de cette cargaison, transporté et surveillé convenablement et en toute sécurité celle-ci, pour assurer qu'elle atteindrait son point de destination en bon état et séparément. Cette perte ou dommage n'était pas, à mon avis, une consé-quence directe de l'acte d'avarie commune déclaré en l'espèce, mais même si on devait l'accepter, à cause de la règle XII des Règles d'York et d'Anvers, comme «dommage ou ... perte subi par la cargaison ... dans les opé-rations de manutention, déchargement, emmagasinage, rechargement et arri-mage», il était attribuable aux actions ou omissions fautives et négligentes aussi bien des experts que du capitaine de l'Oak Hill, fautes et négligences à l'égard desquelles les défenderesses, en qualité de transporteurs, ne jouissent d'aucune immunité. Ni en vertu des Règles d'York et d'Anvers, puisqu'il ne
[1970] R.C.E. ' EISENERZ v. FEDERAL COMMERCE 229 s'agit pas d'une revendication d'avarie commune (et même s'il en était ainsi, la demanderesse aurait toujours son recours), ni en vertu de la charte-partie, parce que la perte, en l'espèce, n'était pas dûe à une erreur de navigation ou à une négligence dans la direction du navire pendant le cours normal de la traversée, au sens de ces exceptions. Les dommages en l'espèce ont été causés en fait par les actes conjoints de négligence des experts, du capi-taine, des officiers et de l'équipage dans l'organisation de la cargaison' 9 à un moment le navire ne navigait pas mais se trouvait à l'ancre dans un bassin, il est resté pendant toutes les opérations de déchargement et de rechargement. Ces actes de négligence, même s'ils ont été commis pendant la procédure d'avarie commune, ne peuvent être considérés, me semble-t-il, comme des actes de la demanderesse, de façon à l'empêcher de recouvrer des dommages et intérêts pour sa cargaison. Il s'ensuit qu'il est fait droit aux conclusions de la demanderesse. '9 Dans l'affaire Instituto Cubano de Estabilization del Azucar v. Star Line Shipping Co. Inc. ((1958) A.M.C. 166), un chargement de mélasse transporté de Cuba en Louisiane à bord d'un navire avait été endommagé par l'eau, qui était passée d'un ballast dans la cale était placée la mélasse, à la suite d'une erreur de ballastage commise par un membre de l'équipage, on a jugé que: La soupape non scellée de la cargaison constituait une erreur dans la conservation et la garde de la cargaison qui l'emportait sur l'erreur dans les opérations de ballastage. Le navire a été tenu responsable de la perte. Dans l'arrêt Phryné ((1955) D.M.F. 408Cour de Cassation (Phryné, 11 mars 1965)), du vin avait été endommagé à la suite d'une erreur dans le ballastage du navire, et l'on a jugé que le dommage avait été causé par une .faute commerciale. (ce qui correspond à peu près à une erreur dans la conservation et la garde de la cargaison) plutôt que par une «faute nautique. (ou erreur dans la direction du navire), le sommaire est rédigé comme suit: IAu cas d'avarie au vin transporté par mer en vrac, par l'introduction d'eau dans une cuve contenant du vin au cours d'opérations de ballastage du navire, au cours du déchargement, la faute imputable au transporteur maritime réside non dans la manoeuvre elle-même, mais dans l'erreur commise dans son exécution. Dans ces conditions, bien que l'opération en elle-même soit nautique, la faute commise est commerciale lorsque l'opéra-tion en soi a été correctement exécutée, mais qu'il a été par erreur introduit, sans vérifica-tion préalable, de l'eau de mer non dans une citerne vide mais une partie du navire destinée à la cargaison de vin.
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