A-845-90
Banco do Brasil S.A. (appelante) (défenderesse)
c.
Pan American Steamship Lines Inc. et Europe-
Overseas Steamship Lines N.V. (intimées)
(demanderesses)
RÉPERTORIÉ.' BANCO DO BRASIL S.A. C. ALEXANDROS G.
TSAVLIRIS (LE) (CA.)
Cour d'appel, juge en chef Isaac, juges Heald et
Marceau, J.C.A.—Vancouver, 6 avril; Ottawa, 14
août 1992.
Droit maritime — Responsabilité délictuelle — Appel contre
un jugement de la Section de première instance qui a accordé
des dommages-intérêts pour avoir entravé fautivement l'exécu-
tion de contrats relatifs à l'affrètement d'un navire et au trans
port de marchandises — Les propriétaires ont omis de faire les
paiements hypothécaires en souffrance — Les intimées ont
affrété le navire à terme — La Banque a menacé de saisir le
navire lorsqu'elle a été informée de l'affrètement à terme et
des destinations prévues — Le navire a été saisi au Canada et
a été vendu conformément à une ordonnance de la Cour — Les
intimées ont allégué que la Banque avait refusé de permettre la
poursuite du voyage selon des conditions raisonnables par le
canal de Panama — La conduite de la Banque constitue-t-elle
un délit de négligence et une incitation fautive à rompre la
charte-partie et les connaissements? — Le juge de première
instance s'est fondé sur l'arrêt The Myrto pour conclure que
les actes auraient donné ouverture à une poursuite délictuelle
au Canada s'ils avaient été commis dans ce pays — Explica
tion du délit d'intimidation — Le juge de première instance a
commis une erreur lorsqu'il a appliqué les principes de l'arrêt
The Myrto — Les actes de la Banque ne donnaient pas ouver-
ture à une poursuite au Canada s'ils avaient été commis dans
ce pays.
Conflit des lois — Appel contre la décision de la Section de
première instance qui a accordé des dommages-intérêts pour
violation des contrats de charte parties et de connaissements
— Les actes de l'appelante équivalaient-ils au délit civil de
négligence? — Le juge de première instance a appliqué la
règle relative au choix du droit — La règle est généralement
applicable aux actions intentées au Canada et fondées sur des
délits commis à l'étranger — La conclusion du juge de pre-
mière instance que les actes de l'appelante donnent ouverture
à une poursuite délictuelle au Canada s'ils avaient été commis
dans ce pays était fondée sur les principes énoncés dans l'arrêt
The Myrto — Les faits de l'arrêt The Myrto diffèrent de ceux
de l'espèce — Définition du délit d'intimidation — Examen de
la doctrine et de la jurisprudence — Le délit d'intimidation ne
doit pas être déterminé uniquement sur le fondement des prin-
cipes énoncés dans l'arrêt The Myrto — L'appelante avait
juridiquement le droit de saisir le navire pour défaut des paie-
ments hypothécaires — Aucune intention de nuire aux intimées
— Aucune faute donnant ouverture à une poursuite au Canada.
Il s'agit d'un appel interjeté contre un jugement de la Sec
tion de première instance, qui accordait aux intimées des dom-
mages-intérêts pour avoir entravé fautivement l'exécution des
contrats relatifs à l'affrètement du navire Alexandros G. Tsavli-
ris et au transport de marchandises sur celui-ci. Les proprié-
taires de l'Alexandros et de son navire jumeau le Claire A.
Tsavliris ont omis de faire les paiements hypothécaires en souf-
france, et la banque créancière a fait valoir ses droits par la
saisie du Claire et a menacé de faire la même chose à l'égard
de l'Alexandros. Entre-temps, les intimées ont affrété l'Alexan-
dros en vertu d'un affrètement à terme pour un voyage d'Eu-
rope vers la côte ouest des États-Unis et du Canada. Après de
longues et infructueuses négociations entre les affréteurs et les
représentants de la Banque au sujet de la renonciation par
celle-ci à son droit de saisir l'Alexandros dans le canal de
Panama, les intimées ont ordonné à l'Alexandros de passer par
le cap Horn pour se diriger vers Los Angeles. Le lendemain de
son arrivée à New Westminster (Colombie-Britannique), le
navire a été - saisi puis vendu conformément à une ordonnance
de la Cour. En première instance, les intimées ont allégué,
notamment, que la Banque avait refusé de permettre la pour-
suite du voyage de l'Alexandros selon des conditions raison-
nables par le canal de Panama, incitant fautivement, par le fait
même, à rompre leurs chartes-parties et les connaissements. Le
juge de première instance a rendu jugement en leur faveur. En
appel, la question principale était de savoir si le juge de pre-
mière instance avait eu tort de conclure que l'appelante avait
commis un délit contre les intimées en révélant aux proprié-
taires que des avocats avaient été mandatés pour faire valoir les
droits de l'appelante à l'encontre de l'Alexandros dès que pos
sible, puis en faisant des démarches en ce sens au Panama.
Arrêt: l'appel doit être accueilli.
Vu l'allégation d'un délit commis à l'étranger, le juge de
première instance devait décider premièrement quelle règle
relative au choix du droit était applicable et deuxièmement si la
conduite de la Banque engageait sa responsabilité envers les
intimées. Le juge Strayer a appliqué la règle relative au choix
du droit généralement applicable aux actions intentées au
Canada et fondées sur des délits commis à l'étranger. Pour
conclure que les actes de la Banque auraient donné ouverture à
une poursuite délictuelle au Canada s'ils avaient été commis
dans ce pays, il a invoqué les principes juridiques énoncés dans
l'arrêt The Myrto, lesquels, selon le juge, représentaient la
common law maritime en vigueur à la fois en Angleterre et au
Canada.
Les avocats des parties étaient liés par leur admission de
faits suivant laquelle les principes énoncés dans l'arrêt The
Myrto représentent le droit d'Angleterre. Cependant, dans la
mesure où cette admission porte sur l'état de la common law
maritime du Canada, elle n'est pas opposable à la Cour fédé-
rale à qui il est loisible de décider quels sont les principes de
droit canadien applicables en l'espèce. Aucune des décisions
citées dans l'arrêt The Myrto ne permet de conclure qu'il existe
en Angleterre un délit maritime particulier d'entrave aux rela
tions contractuelles qui diffère, de par ses éléments constitutifs,
du délit qui existe en vertu du droit général en matière délic-
tuelle. Le juge Strayer a conclu que la menace de pratiquer une
saisie et les démarches effectuées pour y donner suite consti-
tuaient une entrave aux relations contractuelles. Selon le droit
des délits, il serait plus juste de qualifier ces actes d'intimida-
tion. Les principes énoncés dans l'arrêt The Myrto ne permet-
taient pas à eux seuls de statuer en l'espèce selon le droit
interne de l'Angleterre puisque ni l'arrêt The Myrto, ni la juris
prudence sur laquelle il s'appuie n'intéressait des faits sem-
blables à ceux de l'espèce.
Aux fins de déterminer la common law canadienne relative
au délit d'intimidation applicable en l'espèce, la Cour fédérale
doit, en matière d'amirauté, uniquement tenir compte du «droit
maritime canadien» tel que défini à l'article 2 de la Loi sur la
Cour fédérale, à la lumière des explications données dans l'ar-
rêt ITO—International Terminal Operators Ltd. c. Miida Elec
tronics Inc. et autre.
Le juge de première instance a commis une erreur de droit
en concluant qu'au Canada, le délit d'intimidation fondé sur
les actes de la Banque devait être jugé uniquement à la lumière
des principes énoncés dans l'arrêt The Myrto. Bien que ces
principes l'aient aidé à déterminer les limites imposées aux
droits de la Banque en tant que créancière hypothécaire si elle
choisissait d'exercer son droit incontesté de saisir l'Alexan-
dros, ils n'étaient d'aucun secours pour résoudre le litige qui
opposait la Banque aux intimées. Il était indubitable qu'en
vertu du droit régissant l'hypothèque, la Banque avait juridi-
quement le droit de saisir l'Alexandros. Il n'était pas illicite
pour la Banque d'avoir communiqué son intention d'exercer
son droit indubitable de saisie et d'avoir fait des démarches
préparatoires en ce sens dans un ressort qui favorisait ses droits
et une action fondée sur ces actes ne pourrait être accueillie au
Canada. Il n'y avait aucune preuve selon laquelle la Banque
aurait eu l'intention d'exercer son droit de saisie avec l'inten-
tion de nuire aux intimées. Le simple fait, pour la Banque, de
menacer d'exercer ces droits, sans plus, ne constituerait pas, en
droit canadien, une faute donnant ouverture à poursuite civile.
Par conséquent, le juge de première instance a commis une
erreur de droit lorsqu'il a conclu que les actes de la Banque
auraient donné ouverture à une poursuite au Canada s'ils
avaient été commis ici. Même si l'on pouvait qualifier les actes
de la Banque d'incitation à rompre un contrat, les principes
énoncés dans l'arrêt The Myrto ne reflètent pas la common law
canadienne à cet égard. Bien que des actes qui entravent l'exé-
cution d'un contrat, directement ou indirectement, puissent
revêtir un caractère délictuel s'ils sont commis délibérément et
si leur auteur connaissait I'existence du contrat, ce ne sera pas
le cas si les actes qui ont incité à la rupture étaient «justifiés».
Puisque le droit de la Banque de saisir l'Alexandros était
devenu effectif, elle était justifiée d'informer les intimées de
son intention de saisir le navire et de prendre les mesures à cet
égard.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 2.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Morgan v. Fry, [1968] 2 Q.B. 710 (C.A.); ITO—Interna-
tional Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc.
et autre, [1986] 1 R.C.S. 752; (1986), 28 D.L.R. (4th)
641; 34 B.L.R. 251; 68 N.R. 241; Roman Corporation
Ltd. et autre c. Hudson's Bay Oil and Gas Co. Ltd. et
autres, [1973] R.C.S. 820; (1973), 36 D.L.R. (3d) 413;
Central Canada Potash Co. Ltd. et autre c. Gouvernement
de la Saskatchewan, [1979] 1 R.C.S. 42; (1978), 88
D.L.R. (3d) 609; [1978] 6 W.W.R. 400; 6 C.C.L.T. 265;
23 N.R. 481.
DISTINCTION FAITE AVEC:
The Myrto, [1977] 2 Lloyd's Rep. 243 (Q.B.D. Adm. Ct.).
DÉCISIONS CITÉES:
De Mattos v. Gibson (1859), 4 De G. & J. 276; 45 E.R.
108 (Rolls Ct.); Collins v. Lamport (1964), 11 L.T. 497
(Ch. D.); The Innisfallen (1866), L.R. 1 A. & E. 72; John-
son v. Royal Mail Steam Packet Company (1867), L.R. 3
C. P. 38; Keith v. Burrows (1877), L.R. 2 App. Cas. 636
(H.L.); Cory, Brothers, and Co. v. Stewart (1886), 2
T.L.R. 508 (C.A.); The Blanche (1888), 58 L.T. 592 (P.D.
& Adm. Div.); The Fanchon (1880), 5 P. D. 173; The Cel-
tic King, [1894] P. 175; The Heather Bell, [1901] P. 272
(C.A.); Law Guarantee and Trust Society v. Russian Bank
for Foreign Trade, [1905] 1 K. B. 815 (C.A.); The Manor,
[1907] P. 339 (C.A.); The Lord Strathcona, [1925] P. 143;
Rookes v. Barnard, [1964] A.C. 1129 (H.L.); Greig v
Insole, [1978] 3 All E.R. 449 (Ch. D.); Posluns v. Toronto
Stock Exchange and Gardiner, [1964] 2 O.R. 547; (1964),
46 D.L.R. (2d) 210 (H. Ct.).
DOCTRINE
Castel, J.-G. Canadian Conflict of Laws, 2nd ed., Toronto:
Butterworths, 1986.
Clerk & Lindsell on Torts, 16th ed., London: Sweet &
Maxwell, 1989.
Fridman on Torts, London: Waterloo Publishers, 1990.
APPEL contre un jugement rendu par la Section de
première instance ([1990] 3 C.F. 260) qui a accordé
des dommages-intérêts pour entrave fautive à l'exé-
cution de contrats relatifs à l'affrètement d'un navire
et au transport de marchandises. Appel accueilli.
AVOCATS:
David P. Roberts, c.r., et R. M. Shore pour l'ap-
pelante (défenderesse).
Nils E. Daugulis et Daniel R. Bennett pour les
intimées (demanderesses).
PROCUREURS:
Campney & Murphy, Vancouver, pour l'appe-
lante (défenderesse).
Bull, Housser & Tupper, Vancouver, pour les
intimées (demanderesses).
Voici la version française des motifs du jugement
rendus par
LE JUGE EN CHEF ISAAC: Il s'agit d'un appel interjeté
contre un jugement de la Section de première ins
tance, [1990] 3 C.F. 260, dans deux actions, T-1174-
87 et T-1381-87 (instruites ensemble en vertu d'une
ordonnance); ce jugement condamnait l'appelante à
payer aux intimées des dommages-intérêts (dont le
montant devait être déterminé par renvoi) pour avoir
entravé fautivement l'exécution des contrats relatifs à
l'affrètement du navire Alexandros G. Tsavliris et au
transport de marchandises sur ce navire.
D'un commun accord, les actions ont été instruites
sur la foi des plaidoiries déposées dans l'action
T-1381-87, d'un exposé conjoint des faits et de la
preuve présentée à l'instruction.
Les faits
En 1974, Panalex Shipping Company («Panalex»)
a confié à un constructeur de navires brésilien la
construction du navire Alexandros G. Tsavliris
(1'«Alexandros»), moyennant un prix garanti par des
billets à ordre et une hypothèque de premier rang sur
le navire. Les billets et l'hypothèque ont été cédés à
l'appelante. L'hypothèque et la cession ont été enre-
gistrées en Grèce et elles étaient régies par les lois
grecques.
A la même époque, Panclaire Shipping Ltd. («Pan-
claire»), une compagnie liée à Panalex par l'entre-
mise de la famille Tsavliris, a conclu avec le même
constructeur de navires un contrat pour la construc
tion d'un navire jumeau, le Claire A. Tsavliris (le
«Claire»). L'appelante était également la créancière
d'une hypothèque maritime grevant le Claire.
Après qu'ils eurent été construits, les deux navires
ont été immatriculés en Grèce et battaient pavillon
grec.
Panalex a fait les paiements hypothécaires requis à
l'égard de l'Alexandros jusqu'au 18 mai 1981, inclu-
sivement; elle est devenue en état de cessation de
paiement le 18 novembre 1981, ayant omis de payer
les montants alors en souffrance. Un rééchelonne-
ment de cette dette hypothécaire a été convenu avec
l'appelante le 16 novembre 1984, mais Panalex a fait
défaut deux jours plus tard, ayant omis de payer les
montants alors en souffrance. La dette hypothécaire
grevant le Claire a également fait l'objet d'une inexé-
cution.
Panalex n'a fait aucun paiement hypothécaire à
l'égard de l'Alexandros après le 18 novembre 1984.
Le 10 janvier 1986, Panalex a proposé un autre
rééchelonnement de la dette hypothécaire. L' appe-
lante a rejeté cette proposition le 3 avril 1986, mais
ce n'est que le 29 décembre 1986 qu'elle a informé
Panalex de sa décision, lorsqu'elle a exigé que celle-
ci lui paie immédiatement tous les montants alors en
souffrance.
Du 13 avril 1986 au 13 janvier 1987, l'Alexandros
est resté désarmé en Grèce. Le 8 décembre 1986,
l'appelante a demandé à ses avocats de Londres d'en-
treprendre des recherches pour savoir où se trouvait
l'Alexandros.
En janvier 1987, l'appelante était créancière d'un
montant supérieur à 12 000 000 $ à l'égard de chaque
navire. Conformément aux conditions hypothécaires
et au droit grec, la garantie de l'appelante est devenue
immédiatement exécutoire.
Le 23 janvier 1987, l'intimée Pan American
Steamship Lines Inc. a affrété l'Alexandros et l'a
sous-affrété à l'intimée Europe-Overseas Steamship
Lines N.V. (collectivement appelées les «affré-
teurs»), en vertu d'un affrètement à terme, pour un
voyage d'Europe vers la côte ouest des États-Unis et
du Canada; le navire devait transporter une cargaison
de produits d'acier. Il devait arriver à sa destination
finale en Colombie-Britannique le 16 mars 1987. La
valeur des marchandises s'élevait à environ
12 000 000 $ U.S.
Le 26 janvier 1987, le lendemain du jour où les
affréteurs ont pris livraison de l'Alexandros, l'appe-
lante a été informée de l'affrètement à terme et des
destinations prévues. L'appelante a également appris
où se trouvait le Claire.
Le 12 février 1987, l'appelante a fait donner l'or-
dre à ses avocats de Londres de saisir le Claire et
l'Alexandros, en précisant qu'ils devaient veiller à
saisir le navire Alexandros dans un territoire [TRADUC-
TION] «où l'on tient également compte des intérêts de
la Banque [appelante]».
Le 17 février 1987, l'Alexandros est parti à desti
nation des ports de déchargement de la côte ouest; il
devait passer par le canal de Panama qui, de l'aveu
des parties, était le trajet habituel, le plus rapide et le
moins coûteux pour le transport des marchandises par
mer d'Anvers à Los Angeles.
Le 27 février 1987, le Claire a été saisi à Durban,
en Afrique du Sud, dans le cadre d'une action hypo-
thécaire intentée par l'appelante.
Le même jour, les avocats londoniens des proprié-
taires du Claire et de l'Alexandros ont demandé à
l'appelante d'accorder mainlevée de la saisie du
Claire.
Le 2 mars, les avocats londoniens de l'appelante
ont répondu par télex, dans lequel ils affirmaient ce
qui suit, au sujet de l'Alexandros:
[TRADUCTION] Vous comprendrez sans doute que notre cliente
pourra également chercher à faire valoir ses droits à l'encontre
de l'Alexandros G. Tsavliris. D'après nos renseignements, ce
navire transporte actuellement des marchandises vers la côte
ouest américaine. Selon les directives que nous avons reçues,
nous devons faire valoir les droits de notre cliente à l'encontre
de ce navire le plus tôt possible. Cependant, il se peut que nous
puissions convaincre notre cliente de retarder toute mesure à
l'encontre du navire jusqu'au terme du présent affrètement.
Pour que nous puissions obtenir des directives sur cette ques
tion, nous vous saurions gré de fournir tous les détails sur les
conditions actuelles d'affrètement de ce navire, y compris une
confirmation de l'identité de l'affréteur; veuillez aussi nous
informer des obligations actuellement stipulées dans les con-
naissements et de l'ordre de roulement. [C'est moi qui sou-
ligne.]
Le 3 mars 1987, un représentant des propriétaires
des deux navires a rencontré les représentants de
l'appelante à Londres pour discuter de la mainlevée
de la saisie du Claire et de la position de l'appelante à
l'égard de l'Alexandros. Les représentants de l'appe-
lante ont confirmé que la saisie du Claire serait main-
tenue. À cette réunion et au cours d'une conversation
téléphonique subséquente avec l'avocat londonien de
l'appelante, le représentant des propriétaires des deux
navires a affirmé que si une mainlevée de la saisie
n'était pas accordée à l'égard du Claire, l'appelante
ne pourrait pas saisir le navire Alexandros et il a men-
tionné qu'il était possible que l'Alexandros soit plutôt
envoyé à la démolition à Taiwan.
Le 5 mars 1987, le représentant des propriétaires a
téléphoné à l'avocat londonien de l'appelante et a
demandé que mainlevée de la saisie du Claire soit
accordée. Le représentant a été informé que la saisie
du navire serait maintenue et que celui-ci serait
vendu. Il a dit à l'avocat londonien de l'appelante
qu'il [TRADUCTION] «pouvait oublier» l'Alexandros.
Le même jour, l'avocat londonien de l'appelante a
demandé à des avocats de Panama de préparer les
documents de la saisie de l'Alexandros et, le 6 mars
1987, il leur a demandé de procéder à la saisie. Le
mandat de saisie a été décerné mais il n'a jamais été
signifié, pour des raisons qui seront énoncées plus
loin.
Le 5 mars 1987, le propriétaire de l'Alexandros a
ordonné que le navire soit stoppé dans les eaux inter-
nationales au large du canal de Panama.
Le 6 mars 1987, le propriétaire a envoyé un télex à
l'appelante dans lequel il proposait le rééchelonne-
ment de la dette hypothécaire. Le même jour, le pro-
priétaire a également informé les affréteurs qu'il
avait appris que l'appelante saisirait l'Alexandros
dans le canal de Panama, de sorte qu'il avait
demandé au capitaine de retarder l'arrivée au canal
en attendant des directives de leur part.
Les affréteurs ont d'abord demandé que le navire
Alexandros se rende immédiatement dans le canal
mais les propriétaires n'ont pas donné suite à cette
directive.
Le 10 mars 1987, les affréteurs étaient revenus sur
leur décision et ils ont demandé que le navire Alexan-
dros demeure au large du canal de Panama.
Par la suite, les propriétaires et les affréteurs ont
menacé d'intenter [TRADUCTION] «des demandes
pénales de plusieurs millions de dollars» et des [TRA-
DUCTION] «demandes de proportions catastrophiques»
contre la Banque, si l'appelante ne renonçait pas à
son droit de saisir l'Alexandros dans le canal de
Panama; ils ont en outre affirmé qu'une saisie mar-
querait [TRADUCTION] «le début d'une aventure dont
[l'appelante] ne pouvait même pas imaginer les con-
séquences» (Dossier d'appel, vol. II et III de l'appen-
dice commun I, pages 365, 422, 436 et 448).
Entre le 10 mars et le 3 avril 1987, des représen-
tants des affréteurs et de l'appelante ont tenté de
négocier les conditions dans lesquelles l'appelante
renoncerait à son droit de saisir l'Alexandros dans le
canal de Panama. Ces négociations ont été rompues
au début d'avril 1987 au sujet de la condition sui-
vante d'un projet d'entente:
[TRADUCTION] 7. L'affréteur s'engage, pour l'avantage de la
Banque, à ne pas intenter d'action contre la
Banque dans quelque territoire que ce soit à
l'égard du fait que cette dernière aurait entravé
l'exécution de la charte-partie et du connaisse-
ment.
L'appelante avait insisté pour que cette condition
soit incluse dans l'entente, mais les intimées ont
refusé d'y souscrire.
Entre temps, le contrat d'assurances des proprié-
taires à l'égard de l'Alexandros a été résilié puisqu'ils
avaient refusé de payer les primes exigibles. L'appe-
lante a été obligée de souscrire à un nouveau contrat
d'assurances pour le navire et elle a donné aux inti-
mées un avis de cession de créances en sa faveur;
cependant, les intimées n'en ont pas tenu compte et
elles ont continué de payer les frais d'affrètement aux
propriétaires.
Le 4 avril 1987, les intimées ont ordonné au capi-
taine de l'Alexandros de passer par le cap Horn pour
se diriger vers Los Angeles. Conformément à ces
directives, l'Alexandros a contourné l'Amérique du
Sud pour arriver à Los Angeles le 15 mai 1987, où le
déchargement de marchandises en consignation s'est
terminé le 19 mai 1987.
L'Alexandros a été saisi à Los Angeles à la
demande de l'appelante, mais il a fait l'objet d'une
mainlevée à la suite d'une entente conclue entre l'ap-
pelante et les intimées.
L'Alexandros s'est ensuite dirigé vers Oakland,
Portland et Seattle, aux États-Unis, et vers New
Westminster (Colombie-Britannique); des marchandi-
ses ont été déchargées à chacun de ces ports.
Le navire est arrivé à New Westminster le 2 juin
1987, quelque deux mois et demi plus tard que prévu.
Le 3 juin 1987, le navire a été saisi puis vendu con-
formément à une ordonnance de cette Cour pour la
somme de 3 722 100 $ CAN.
Les intimées ont ensuite intenté une action contre
l'appelante dans laquelle elles alléguaient notamment
que l'appelante avait refusé de permettre la poursuite
du voyage de l'Alexandros selon des conditions rai-
sonnables par le canal de Panama, incitant fautive-
ment, par le fait même, à rompre leurs chartes-parties
et les connaissements.
Les intimées ont réclamé des dommages-intérêts à
l'égard des frais supplémentaires qu'elles avaient dû
engager en raison du retard et de la distance supplé-
mentaire parcourue au cours du voyage et en raison
du règlement des réclamations que leur avaient pré-
sentées les consignataires ou les destinataires à la
suite de la livraison tardive des marchandises.
Comme il a déjà été mentionné, le juge de pre-
mière instance a rendu jugement en faveur des affré-
teurs dans les deux actions au titre des dommages
qu'ils avaient subis à la suite de la rupture des
chartes-parties et, dans le cas de l'intimée Europe-
Overseas Steamship Lines N.V., au titre des dom-
mages subis à la suite de la violation de ses connais-
sements. Conformément à ce qui avait été convenu
entre les parties, le juge a ordonné la tenue d'un ren-
voi pour liquider les dommages-intérêts.
Objections de l'appelante à l'encontre du jugement
de première instance
Dans son exposé des faits et du droit, l'avocat de
l'appelante a énoncé en ces termes ses objections à
l'encontre du jugement de première instance:
[TRADUCTION] Le juge de première instance a eu tort de con-
clure ce qui suit:
1. la Banque avait commis un délit contre les affréteurs, en
Angleterre, en révélant aux propriétaires que des avocats
avaient été mandatés pour faire valoir les droits de la
Banque à l'encontre du navire dès que possible, puis en fai-
sant des démarches en ce sens au Panama;
2. la garantie de la Banque n'était nullement diminuée si la
saisie du Claire était maintenue;
3. tous les frais qu'avaient dû engager les affréteurs en raison
du retard et du fait que le navire avait contourné l'Amérique
du Sud pour éviter de se trouver dans le ressort des tribu-
naux de Panama, pouvaient être recouvrés de la Banque.
J'examinerai d'abord le premier motif d'objection.
Le juge de première instance a-t-il eu tort de conclure
que l'appelante avait commis un délit contre les inti-
mées en révélant aux propriétaires que des avocats
avaient été mandatés pour faire valoir les droits de
l'appelante à l'encontre de l'Alexandros dès que pos
sible, puis en faisant des démarches en ce sens au
Panama?
Le délit
Dans l'action contre l'appelante, il était plaidé aux
paragraphes 25 à 27 de la déclaration (Dossier d'ap-
pel, pages 10 et 11) que l'appelante, par les actes
qu'elle avait posés à l'extérieur du Canada, avait
commis le délit de négligence et le délit d'avoir incité
fautivement à rompre la charte-partie et les connais-
sements.
Dans ses motifs, le juge de première instance n'a
pas mentionné le délit de négligence. Il a seulement
mentionné le délit d'avoir incité fautivement à rom-
pre un contrat, qu'il a décrit comme étant une entrave
illicite aux relations contractuelles. La conduite de
l'appelante qu'il qualifie de délictuelle est décrite
dans le passage suivant de ses motifs [aux pages 272
et 273] (Dossier d'appel, page 31):
Je suis convaincu que, si les actes de la Banque avaient été
commis au Canada, ils auraient constitué un délit. L'élément
essentiel est le fait que la Banque, sachant que ce navire faisait
l'objet d'un affrètement aux fins d'un voyage vers la côte ouest
de l'Amérique du Nord, a empêché le propriétaire de se con-
former au contrat dans un délai raisonnable selon l'itinéraire
initialement convenu, en menaçant de saisir le navire à Panama
et en se préparant à le saisir. Il est indubitable que, vis-à-vis
des propriétaires, elle avait le droit d'exiger le remboursement
de son prêt en saisissant le navire en tout temps, en raison du
grand retard dans le paiement des versements hypothécaires.
Toutefois, selon la règle générale exprimée dans l'arrêt The
Myrto, si le créancier hypothécaire décide de faire valoir les
droits qui découlent de son hypothèque à un moment où le
navire fait l'objet d'un contrat, il engagera par le fait même sa
responsabilité sur le plan délictuel envers les autres parties à ce
contrat, à moins que son intervention ne soit justifiée parce que
le contrat en question diminue sa garantie ou parce que le pro-
priétaire refuse ou est incapable de se conformer au contrat. Je
ne puis en arriver à la conclusion que l'une ou l'autre de ces
conditions existait en l'espèce.
Il a conclu que le délit avait été commis en Angle-
terre [aux pages 277 et 278) (Dossier d'appel, page
37):
Sans tenter de définir pour toutes les fins l'emplacement d'un
tel délit, il me semble que, en l'espèce, on peut dire qu'il a été
commis à Londres. C'est à Londres, les 2, 3 et 5 mars, que les
avocats de Londres de la Banque ont fait savoir aux avocats du
propriétaire et au représentant de celui-ci, M. Tsavliris, que la
Banque saisirait le navire Alexandros lorsqu'il atteindrait
Panama. A la suite de cette menace, les avocats de Londres de
la Banque ont demandé aux avocats de Panama, les 5 et 6
mars, de préparer et déposer des documents de saisie dans ce
pays-là. Selon la preuve, il est probable que la décision du pro-
priétaire d'interrompre le voyage a été prise par M. Tsavliris à
Londres, et cette probabilité n'a pas été réfutée. La preuve
indique également que, pendant toute cette période-là, les déci-
sions de chaque jour étaient prises au nom de la Banque par
Coward Chance, ses avocats de Londres, conformément à des
directives très générales données le 12 février à l'égard de la
saisie des navires Claire et Alexandros. A mon avis, ces cir-
constances sont suffisantes pour dire que le délit a été commis
en Angleterre. De nombreux autres facteurs tendent à indiquer
que l'Angleterre est le territoire dominant, selon l'application
du test de la «loi appropriée du délit». Parmi ces facteurs, men-
tionnons le fait que les deux contrats d'affrètement prévoyaient
que l'arbitrage aurait lieu à Londres. Toutefois, je n'adopte pas
ce raisonnement.
Vu l'allégation d'un délit commis à l'étranger, le
juge de première instance devait décider première-
ment quelle règle relative au choix du droit était
applicable et deuxièmement si, eu égard au droit per
tinent, la conduite de l'appelante engageait sa respon-
sabilité envers les intimées.
Pour répondre à la première question, le juge de
première instance a appliqué la règle relative au
choix du droit généralement applicable aux actions
intentées au Canada et fondées sur des délits commis
à l'étrangers. Il a affirmé, à juste titre, à mon avis,
que pour pouvoir avoir gain de cause dans une action
intentée au Canada et fondée sur un délit commis à
l'étranger, les intimées devaient prouver, selon la
norme de preuve nécessaire, que les actes reprochés à
l'appelante
a) auraient donné ouverture à une poursuite délic-
tuelle au Canada conformément au droit canadien
s'ils avaient été commis dans ce pays;
b) n'étaient pas justifiables selon le droit du lieu où
ils ont été commis.
I Voir J. - G. Castel, Canadian Conflict of Laws (2e éd.), But-
terworths, 1986.
Comme je l'ai indiqué par le renvoi au passage tiré
de ses motifs (Dossier d'appel, page 31), le juge de
première instance a conclu que les actes de l'appe-
lante que lui reprochaient les intimées auraient donné
ouverture à une poursuite délictuelle au Canada s'ils
avaient été commis dans ce pays.
Pour arriver à cette conclusion, le juge de première
instance a invoqué et appliqué les principes juri-
diques énoncés, dans l'arrêt The Myrto 2 , lesquels, a-t-
il dit, représentaient la common law maritime en
vigueur à la fois en Angleterre et au Canada. D'après
le passage suivant de ses motifs, sa conclusion à cet
égard semble avoir été influencée par les positions
adoptées par les avocats à l'instruction. Il a affirmé
ce qui suit [à la page 2701 (Dossier d'appel, page 29):
Les avocats n'ont pu me citer de causes canadiennes traitant de
cette question. Ils ont plutôt reconnu que le droit du Canada est
le même que celui de l'Angleterre, si l'on présume que les tri-
bunaux canadiens appliquent les règles de droit maritime qui
ont été adoptées en Angleterre. Il a également été admis que la
responsabilité en common law d'un créancier qui détient une
hypothèque sur un navire et qui entrave l'exécution d'un con-
trat conclu par le propriétaire du navire en question relative-
ment à l'utilisation de celui-ci a été définie dans l'arrêt The
Myrto ...
Dans son plaidoyer devant nous, Me Roberts,
l'avocat de l'appelante (qui n'agissait pas à ce titre à
l'instruction) a nié que les principes énoncés dans
l'arrêt The Myrto étaient applicables en l'espèce ou
qu'il y avait eu admission à cet égard à l'instruction.
Me Daugulis, l'avocat de l'intimée (qui n'agissait pas
non plus à ce titre à l'instruction) a prétendu qu'il y
avait eu admission à cet égard. En effet, dans son
exposé des faits et du droit (plaidoyer, paragraphe 4,
page 12), Me Daugulis affirme qu' [TRADUCTION] «il
était incontesté que l'arrêt The Myrto ... représente
l'énoncé moderne et exact du droit». Il a invoqué la
déposition de deux témoins au soutien de cette asser
tion.
Vu qu'il n'existe aucune transcription du débat à
l'instruction qui permette de régler le différend qui
oppose les avocats, je dois accepter tels quels les faits
énoncés dans le passage précité. Dans la mesure où
ce passage renferme une admission des avocats des
parties suivant laquelle les principes énoncés dans
l'arrêt The Myrto représentent le droit d'Angleterre,
2 [1977] 2 Lloyd's Rep. 243 (Q.B.D. Adm. Ct.), aux p. 253
et 254.
j'estime que les avocats sont liés par cette admission,
puisque le droit d'Angleterre est un fait en cause au
même titre que tout autre fait, dont il n'est pas néces-
saire de faire la preuve lorsqu'il est admis par les par
ties ou par leurs avocats. Cependant, dans la mesure
où ce passage renferme une admission relative à
l'état de la common law maritime du Canada,
d'autres considérations entrent en ligne de compte.
Le droit du Canada n'était pas un fait en cause en
l'espèce. Il s'agissait d'un élément de l'affaire sur
lequel seul le juge de première instance était chargé
de statuer. Il est vrai que les avocats, par leurs
recherches et leurs arguments, auraient pu aider le
juge à s'acquitter de cette responsabilité; cependant,
ils ne pouvaient pas, par leur admission, l'en relever.
Par conséquent, j'estime que l'admission renfermée
dans le passage précité représente une admission du
fait que l'état du droit d'Angleterre correspond à ce
qui est énoncé dans l'arrêt The Myrto. En fait, le juge
de première instance en a conclu ainsi après avoir
entendu une preuve d'experts contradictoire. Cepen-
dant, cette admission n'est pas opposable à cette Cour
dans la mesure où elle porte sur l'état de la common
law maritime du Canada. A mon avis, il nous est loi-
sible, comme il l'était au juge de première instance,
de décider quels sont les principes de droit canadien
applicables en l'espèce si nous devions conclure
qu'ils ne correspondaient pas à ce qui a été admis ou
à la conclusion du juge de première instance sur cette
question.
Puisque le juge de première instance a rendu son
jugement en tenant pour vrai que les principes
résumés dans l'arrêt The Myrto représentaient le droit
du Canada, il serait peut-être utile d'examiner main-
tenant cet arrêt.
Dans l'affaire The Myrto, les demanderesses
étaient des banques d'investissement. Elles étaient
créancières d'hypothèques de premier et de second
rang sur un navire pour garantir des prêts qu'elles
avaient consentis aux propriétaires pour leur permet-
tre d'acquitter le prix d'achat du navire. Les proprié-
taires ayant fait défaut de paiement sur les deux
emprunts hypothécaires, les demanderesses ont
intenté une action réelle pour le remboursement du
capital et des intérêts de ces emprunts. Les demande-
resses ont saisi le navire et, dans l'action, elles ont
présenté une requête interlocutoire en vue d'obtenir
une ordonnance pour l'évaluation et la vente du
navire en cours d'instance. Les affréteurs du navire
sont intervenus dans l'action et ils ont présenté une
requête interlocutoire pour obtenir la mainlevée de la
saisie du navire, alléguant que [TRADUCTION] «la sai-
sie du navire par la banque était, et continue d'être,
une entrave illicite à leurs droits contractuels».
Les deux requêtes devaient être entendues devant
le juge Brandon (tel était alors son titre) qui a décidé
d'entendre et de juger d'abord la requête des affré-
teurs puisqu'à son avis, le jugement rendu sur cette
requête pouvait rendre caduque la requête de la
banque.
Dans leur requête, les affréteurs prétendaient qu'ils
avaient eux-mêmes le droit, indépendamment de tout
moyen de défense que pourraient avoir les proprié-
taires à l'encontre de l'action de la demanderesse,
d'empêcher l'entrave illicite à leur charte-partie. En
statuant sur cette requête, le juge Brandon a cité un
certain nombre d'arrêts 3 et a prétendu poser les prin-
cipes juridiques suivants qui, selon lui, avaient été
établis dans cette jurisprudence [aux pages 253 et
254] :
[TRADUCTION] (1) Sauf dans un cas, le propriétaire a le droit
d'utiliser le navire (y compris le droit de l'utiliser en vertu d'un
contrat conclu avec un tiers) de la même façon qu'il le ferait si
le navire n'était pas hypothéqué.
(2) La seule exception à cette règle est la suivante: le pro-
priétaire n'a pas le droit d'utiliser le navire de façon à diminuer
la garantie du créancier hypothécaire.
(3) Lorsque le propriétaire conclut un contrat avec un tiers
relativement à l'utilisation du navire et que ce contrat est d'une
nature telle ou qu'il est conclu ou exécutoire dans des circons-
tances telles que la garantie du créancier hypothécaire n'est pas
diminuée, et que le propriétaire est désireux et en mesure
d'exécuter ce contrat, le créancier hypothécaire ne peut, en
exerçant les droits dont il dispose en vertu de l'hypothèque,
3 De Mattos v. Gibson (1859), 4 De G. & J. 276 [45 E.R.
108 (Rolls Ct.)]; Collins v. Lamport (1964), 11 L.T. 497 (Ch.
D.); The Innisfallen (1866), L.R. 1 A. & E. 72; Johnson v.
Royal Mail Steam Packet Company (1867), L.R. 3 C. P. 38;
Keith v. Burrows (1877), L.R. 2 App. Cas. 636 (H.L.); Cory,
Brothers, and Co. v. Stewart (1886), 2 T.L.R. 508 (C.A.); The
Blanche (1888), 58 L.T. 592 (P.D. & Adm. Div.); The Fan-
chon (1880), 5 P. D. 173; The Celtic King, [1894] P. 175; The
Heather Bell, [1901] P. 272 (C.A.); Law Guarantee and Trust
Society v. Russian Bank for Foreign Trade, [1905] 1 K. B. 815
(C.A.); The Manor, [1907] P. 339 (C.A.); et The Lord Strath-
cona, [1925] P. 143.
entraver l'exécution de ce contrat, que ce soit en prenant pos
session du navire, en le vendant ou en le faisant saisir dans une
action hypothécaire in rem.
(4) Toutefois, le créancier hypothécaire peut exercer ses
droits qui découlent de l'hypothèque sans tenir compte du con-
trat que le propriétaire a conclu avec un tiers relativement à
l'utilisation dudit navire dans deux cas:
a) lorsque le contrat est d'une nature telle ou lorsqu'il est
conclu ou exécutoire dans des circonstances telles que la
garantie du créancier hypothécaire est diminuée;
b) lorsque, que ce soit le cas ou non, le propriétaire ne désire
pas exécuter le contrat ou est incapable de le faire.
(5) Lorsque, en exerçant ses droits qui découlent de l'hypo-
thèque, le créancier hypothécaire entrave l'exécution d'un con-
trat conclu par le propriétaire avec un tiers relativement à l'uti-
lisation du navire dans des circonstances oit il n'est pas,
suivant les paragraphes (3) et (4) qui précèdent, autorisé à le
faire, il commet un délit (ou une faute de la nature d'un délit
ouvrant droit à une poursuite) contre le tiers.
(6) Les recours dont le tiers dispose à l'encontre du créan-
cier hypothécaire à l'égard de ce délit ou de cette faute ouvrant
droit à une poursuite sont les suivants:
a) lorsque le créancier hypothécaire prend possession du
navire ou cherche à le vendre, une injonction lui interdisant
de le faire;
b) lorsque le créancier hypothécaire saisit le navire dans une
action hypothécaire in rem, une ordonnance de mainlevée de
la saisie du navire;
c) en plus des recours prévus aux alinéas a) ou b) qui précè-
dent ou subsidiairement à ceux-ci, des dommages-intérêts.
(7) La question de savoir si un contrat donné que le proprié-
taire a conclu avec un tiers relativement à l'utilisation du
navire est d'une nature telle ou est conclu ou exécutoire dans
des circonstances telles qu'il diminue la garantie du créancier
hypothécaire est une question de fait.
(8) Il est loisible à la Cour, comme question de droit, de
déclarer qu'un contrat donné est conclu ou exécutoire dans des
circonstances telles qu'il diminue la garantie du créancier
hypothécaire, si la preuve indique que le propriétaire est néces-
siteux, qu'il peut faire à crédit seulement le voyage auquel le
contrat se rapporte et que le navire fait déjà l'objet de lourdes
dettes et charges.
(9) La question de savoir si le propriétaire est désireux ou en
mesure d'exécuter un contrat donné est également une question
de fait.
Le juge Brandon a rejeté la requête des affréteurs,
ayant conclu, d'après la preuve dont il avait connais-
sance, que les propriétaires avaient utilisé le navire de
manière à diminuer la garantie de la banque, que les
propriétaires, vu leur situation financière globale,
n'étaient plus en mesure de terminer le voyage et que
de toute manière, il était inopportun que la Cour
exerce son pouvoir discrétionnaire en leur faveur
compte tenu des circonstances en l'espèce.
S'il a conclu que les actes commis par l'appelante
en l'espèce auraient donné ouverture à une poursuite
au Canada s'ils avaient été commis dans ce pays,
c'est parce que le juge de première instance estimait
que les troisième, cinquième et sixième principes
résumés dans l'arrêt The Myrto s'appliquaient en
l'espèce, vu qu'à son avis, ils représentaient le droit
du Canada en la matière.
Dans son exposé des faits et du droit et dans son
plaidoyer devant nous, l'avocat de l'appelante pré-
tend que l'hypothèse de départ et la conclusion du
juge de première instance étaient toutes deux erro-
nées. Selon lui, le cinquième principe énoncé dans
l'arrêt The Myrto fait figure d'exception en jurispru
dence anglaise et canadienne et il n'est pas entériné
dans d'autres arrêts.
Dans son exposé des faits et du droit et dans son
plaidoyer, l'avocat des intimées a présumé, à l'instar
du juge de première instance, que l'arrêt The Myrto
exposait la common law canadienne en la matière.
Ayant examiné l'arrêt The Myrto et la jurispru
dence qui y est citée, je voudrais formuler les obser
vations suivantes. Premièrement, dans toutes ces
affaires, y compris l'affaire The Myrto, les faits diffè-
rent de ceux en l'espèce. Deuxièmement, aucune des
décisions citées dans l'arrêt The Myrto ne permet de
conclure qu'il existe en Angleterre un délit maritime
particulier d'entrave aux relations contractuelles qui
diffère, de par ses éléments constitutifs, du délit qui
existe en vertu du droit général en matière délictuelle.
En l'espèce, le juge de première instance a conclu
que la menace de pratiquer une saisie et les
démarches effectuées pour y donner suite consti-
tuaient une entrave aux relations contractuelles. Selon
le droit des délits, il serait plus juste de qualifier ces
actes d'intimidation.
Dans l'ouvrage Clerk & Lindsell on Torts, 16e éd.
(Londres: Sweet & Maxwell, 1989), le délit d'intimi-
dation en droit anglais est défini comme suit à la page
828:
[TRADUCTION] A commet un délit s'il menace B d'accomplir un
acte ou de se servir d'un moyen illégal contre lui pour que B
accomplisse un acte ou s'abstienne de l'accomplir alors qu'il a
le droit de le faire, causant ainsi un dommage à lui-même ou à
C ... À l'instar du délit qui consiste à inciter quelqu'un à rom-
pre son contrat, il s'agit d'un délit d'intention et le demandeur,
que ce soit B ou C, doit être une personne à qui A avait l'inten-
tion de nuire. [C'est moi qui souligne.] [Notes en bas de page
omises.]
Les éléments du délit, reconnu pour la première
fois par la Chambre des lords dans l'arrêt Rookes v.
Barnard, [1964] A.C. 1129, ont été expliqués dans
l'arrêt Morgan v. Fry, [1968] 2 Q.B. 710 (C.A.), où le
maître des rôles lord Denning, a affirmé ce qui suit à
la page 724 :
[TRADUCTION] Selon l'arrêt Rookes v. Barnard, le délit d'inti-
midation existe non seulement lorsqu'il y a menaces de vio
lence mais également lorsqu'il y a menaces de commettre un
délit ou de rompre un contrat. En voici les éléments essentiels:
il faut qu'une personne menace d'employer des moyens illi-
cites (comme la violence, un délit ou une rupture de contrat) de
manière à contraindre une autre à lui obéir et la personne
menacée doit se conformer à la demande plutôt que de risquer
qu'il soit donné suite à la menace. Dans une telle situation, la
personne obligée de se conformer peut intenter une poursuite
fondée sur l'intimidation.
À mon avis, il ressort clairement de ce qui précède
que les principes énoncés dans l'arrêt The Myrto ne
permettaient pas à eux seuls de statuer en l'espèce
selon le droit interne de l'Angleterre puisque comme
je l'ai déjà mentionné, ni l'arrêt The Myrto, ni la
jurisprudence sur laquelle il s'appuie n'intéressait des
faits semblables à ceux dont nous sommes saisis.
Cependant, ce qui importe à ce stade de l'enquête
n'est pas l'état du droit anglais, mais bien l'état du
droit canadien, puisque nous sommes appelés à déci-
der si le juge de première instance a correctement
énoncé la règle de droit canadien. Il serait donc utile
d'examiner la common law canadienne relative au
délit d'intimidation.
La common law canadienne relative au délit d'intimi-
dation
Aux fins de déterminer la common law canadienne
relative au délit d'intimidation applicable en l'espèce,
je tiens compte du fait qu'en matière d'amirauté,
cette Cour doit uniquement tenir compte du «droit
maritime canadien» tel que défini à l'article 2 de la
Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7] et
ses modifications, à la lumière des explications don-
nées dans l'arrêt ITO International Terminal Opera-
tors Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1
R.C.S. 752.
Le juge de première instance a conclu que le pro-
priétaire avait été dans l'impossibilité d'exécuter le
contrat dans un délai raisonnable et en suivant l'itiné-
raire que tous considèrent être l'itinéraire prévu du
fait que l'appelante avait menacé de saisir l'Alexan-
dros à Panama et avait fait des démarches en ce sens.
Le juge a également conclu que les actes commis par
l'appelante n'étaient pas justifiés, puisque sa garantie
n' avait pas été diminuée par la charte-partie ou par
l'exécution de celle-ci et puisqu'il n'y avait pas eu de
refus ou d'incapacité de la part du propriétaire d'exé-
cuter le contrat.
Comme je l'ai déjà dit, les actes que le juge de pre-
mière instance a qualifiés de délit d'entrave aux rela
tions contractuelles constituent, en réalité, eu égard
aux faits en l'espèce, le délit d'intimidation. Les élé-
ments de ce délit en droit canadien ont été décrits. par
le juge Martland, au nom de la Cour, dans l'arrêt
Roman Corporation Ltd. et autre c. Hudson's Bay Oil
and Gas Co. Ltd. et autres, [1973] R.C.S. 820, aux
pages 829 et 830:
Les appelants invoquent également un recours délictuel fondé
sur l'intimidation. Pour avoir gain de cause sur ce chef, il fau-
drait que les faits invoqués par les appelants fassent voir qu'ils
ont subi un dommage à cause d'une menace d'acte illicite faite
par les intimés. [C'est moi qui souligne.]
Dans cet arrêt, la Cour a jugé que le fait, pour un
ministre, d'avoir déclaré, de bonne foi, une politique
du gouvernement dans le cadre de ses fonctions
n'était pas un acte illicite, même s'il s'agissait d'une
menace.
Cinq ans plus tard, dans l'arrêt Central Canada
Potash Co. Ltd. et autre c. Gouvernement de la Sas-
katchewan, [1979] 1 R.C.S. 42, la Cour a encore une
fois statué sur le délit d'intimidation. Dans cette
affaire, il était allégué qu'une lettre dans laquelle un
fonctionnaire menaçait d'annuler une licence d'ex-
ploitation minière et un bail minier si la demande-
resse ne se conformait pas à des quotas de production
établis par des dispositions d'une loi et de règlements
déclarés ultra vires par la suite constituait de l'intimi-
dation qui donnait à la demanderesse le droit à des
dommages-intérêts du fait qu'elle avait réduit la pro
duction conformément à la lettre.
La Cour a conclu que le fonctionnaire n'était pas
responsable puisqu'il n'avait pas employé de moyen
illicite et parce que, de toute manière, l'intention de
nuire n'avait pas été établie.
Le juge Martland, dans ses motifs rédigés au nom
de la Cour, a conclu en ces termes à la page 90:
Ceci m'amène à la dernière partie de la définition de l'intimi-
dation donnée par Clerk & Lindsell et à laquelle je souscris.
[TRADUCTION] «II s'agit d'un délit d'intention et le demandeur,
que ce soit B ou C, doit être une personne à qui A avait l'inten-
tion de nuire». Les auteurs se fondent sur les jugements rendus
par lord Devlin et lord Evershed dans Rookes et je fais mienne
cette déclaration. Aucune preuve ne permet de dire que le
sous-ministre avait l'intention de nuire à l'appelante. La cor-
respondance échangée, et particulièrement la lettre du 20 sep-
tembre 1972, montre clairement qu'il cherchait à inciter l'ap-
pelante à se conformer au programme en vigueur.
Le juge Martland a ensuite examiné la décision
antérieure de la Cour dans l'affaire Roman Corpora
tion Ltd. et autre c. Hudson's Bay Oil and Gas Co.
Ltd. et autres, précitée, et l'a expressément entérinée.
L'auteur de Fridman on Torts, London: Waterloo
Publishers, 1990, note qu'au Canada, les tribunaux
ont admis qu'il était possible de se défendre contre
une action fondée sur l'intimidation en plaidant la
justification, bien que cette situation soit peu suscep
tible de se produire. Il a exprimé ainsi cette opinion,
aux pages 552 et 553:
[TRADUCTION] Dans certains jugements, canadiens et non
anglais, les tribunaux ont accepté l'argument voulant que les
actes du défendeur ne visaient pas le demandeur et n'étaient
pas non plus destinés à lui nuire comme tel. Ils ont été commis
ou projetés pour d'autres fins légitimes, par exemple, pour la
promotion d'une politique du gouvernement ou la mise en
oeuvre d'une loi. On pourrait prétendre qu'il s'agit là d'une
forme de justification puisque les actes qui nuisent à un
demandeur, ou qui risquent de lui nuire, à la connaissance du
défendeur, ne peuvent donner ouverture à une poursuite s'il
existe une raison valable pour de tels actes. Si tel est le cas, la
situation en matière d'intimidation peut être analogue à celle
qui existe dans les affaires de complot. Le but ou l'objet princi
pal de la coalition constitue le critère de responsabilité en
matière de complot. Pareillement, le but principal de l'intimi-
dation alléguée peut représenter le critère qui permette de
déterminer si le délit a été commis. Il y aurait également une
similitude entre le délit d'intimidation et celui qui consiste à
inciter quelqu'un à rompre son contrat. Dans ces cas, égale-
ment, le défendeur a peut-être la possibilité de justifier ce qu'il
a fait même si, à première vue, ces actes donnent ouverture à
une poursuite. Une telle solution concilierait le droit relatif à
ces trois délits distincts, quoique intimement liés. [Notes en
bas de page omises.]
En me fondant sur mon analyse de l'arrêt ITO—
International Terminal Operators Ltd. c. Miida Elec
tronics Inc. et autre, précité, je conclus que ce qui
précède énonce la common law du Canada qu'il faut
examiner et appliquer aux fins de décider si les actes
de l'appelante dont les intimées se sont plaintes en
l'espèce donnent ouverture à une poursuite au
Canada.
Le juge de première instance connaissait l'exis-
tence de ces règles de droit, comme il ressort claire-
ment du renvoi, dans ces motifs, à l'arrêt Roman Cor
poration Ltd et autre c. h udson's Bay Oil and Gas
Co. Ltd. et autres, précité, et de l'affirmation suivante
[à la page 276] (Dossier d'appel, page 35):
Habituellement, la légalité d'une menace dépend de la légalité
de l'acte visé par la menace.
Cependant, il n'a pas tenu compte de ces, règles de
droit étant donné que les avocats avaient convenu
«que l'arrêt The Myrto représente le droit au Canada»
[à la page 277] (Dossier d'appel, page 36).
Vu qu'il avait accepté cette proposition, le juge de
première instance s'estimait obligé de trancher le
litige en ce sens. Il a exposé la question comme suit
[à la page 277] (Dossier d'appel, pages 35 et 36):
Je reconnais, comme les avocats l'ont admis, que l'arrêt The
Myrto représente le droit au Canada. Ma tâche consiste donc à
déterminer si les actes auraient donné lieu à une responsabilité
délictuelle suivant les principes de cet arrêt, s'ils avaient été
commis au Canada, et je ne puis voir pourquoi cette responsa-
bilité n'aurait pas existé. Ce que l'arrêt The Myrto signifie,
c'est que, dans ces circonstances, le créancier hypothécaire n'a
pas le droit de faire valoir sa garantie au moyen d'une saisie,
ou que, du moins, il ne peut le faire sans courir le risque de se
voir tenu responsable sur le plan délictuel envers les affréteurs
ou des tiers qui ont conclu un contrat avec le propriétaire à
l'égard de l'utilisation du navire.
Je suis donc convaincu que, si tous les actes reprochés avaient
été commis au Canada, ils auraient donné lieu à une responsa-
bilité délictuelle envers les affréteurs à l'égard des frais supplé-
mentaires que ceux-ci ont dû engager en raison de l'entrave à
la poursuite normale du voyage, laquelle entrave semble avoir
débuté, au plus tard, le 6 mars. [Souligné dans le texte origi
nal.]
En toute déférence, j'estime que le juge de pre-
mière instance a commis une erreur de droit en con-
cluant qu'au Canada, le délit d'intimidation fondé sur
les actes de l'appelante devait être jugé uniquement à
la lumière des principes énoncés dans l'arrêt The
Myrto.
Bien que ces principes l'aient aidé à déterminer les
limites imposées aux droits de l'appelante en tant que
créancière hypothécaire si elle choisissait d'exercer
son droit incontesté de saisir l'Alexandros, à mon
avis, ils n'étaient d'aucun secours pour résoudre le
litige en l'espèce qui opposait l'appelante aux inti-
mées.
Il n'y avait aucun doute que la créance hypothé-
caire de l'appelante faisait l'objet d'un défaut de
paiement pour des montants importants et ce, depuis
longtemps. Il était également indubitable qu'en vertu
du droit régissant l'hypothèque, l'appelante avait juri-
diquement le droit de saisir l'Alexandros. Était-il illi-
cite pour l'appelante d'avoir communiqué son inten
tion d'exercer son droit indubitable de saisie et
d'avoir fait des démarches préparatoires en ce sens
dans un ressort qui favorisait ses droits, de sorte
qu'une action fondée sur ces actes puisse être
accueillie au Canada? À mon avis, vu le droit cana-
dien tel que je l'ai expliqué, il y a lieu de répondre à
cette question par la négative.
Il n'est pas contesté que le droit de l'appelante de
saisir l'Alexandros était devenu effectif à l'époque où
ses avocats ont fait savoir qu'elle exercerait ces
droits. Il est également incontestable que dans l'exer-
cice de ces droits, l'appelante peut être juridiquement
obligée de respecter les droits contractuels des inti-
mées. Il n'y a aucune preuve au dossier selon laquelle
l'appelante aurait eu l'intention d'exercer son droit de
saisie avec l'intention de nuire aux intimées. Dans
cette situation, le simple fait, pour l'appelante, de
menacer d'exercer ces droits, sans plus, ne constitue-
rait pas, en droit canadien, une faute donnant ouver-
ture à poursuite civile. Par conséquent, je conclus que
le juge de première instance a commis une erreur de
droit lorsqu'il a conclu que les actes de l'appelante
auraient donné ouverture à une poursuite au Canada
s'ils avaient été commis ici.
Cependant, même si l'on pouvait qualifier les actes
de l'appelante d'incitation à rompre un contrat,
comme l'a fait le juge de première instance, les prin-
cipes énoncés dans l'arrêt The Myrto ne reflètent pas
la common law canadienne à cet égard. Bien que des
actes qui entravent l'exécution d'un contrat, directe-
ment ou indirectement, puissent revêtir un caractère
délictuel s'ils sont commis délibérément et si leur
auteur connaissait l'existence du contrat, ce ne sera
pas le cas si les actes qui ont incité à la rupture
étaient «justifiés»: Greig y Insole, [1978] 3 All. E.R.
449 (Ch. D.) à la page 491; Posluns v. Toronto Stock
Exchange and Gardiner, [1964] 2 O.R. 547 (H. Ct.).
En l'espèce, puisque le droit de l'appelante de saisir
l'Alexandros était devenu effectif, il est certain, à
mon avis, qu'elle était justifiée d'informer les inti-
mées de son intention de saisir le navire et de prendre
les mesures nécessaires pour effectuer cette saisie au
Panama.
Vu cette conclusion, j'estime qu'il ne m'est pas
nécessaire de traiter les autres questions soulevées
dans le présent appel.
Conclusion
Puisque j'ai décidé que le juge de première ins
tance avait eu tort de conclure que les actes de l'ap-
pelante constituaient un délit donnant ouverture à une
poursuite au Canada, s'ils avaient été commis ici, il
s'ensuit que les intimées n'ont pas satisfait au pre
mier élément du critère du choix du droit et que l'ap-
pelante ne pouvait être jugée responsable d'aucune
faute donnant ouverture à une poursuite civile au
Canada. En conséquence, l'appel est accueilli avec
dépens et l'action est rejetée avec dépens.
LE JUGE HEALD, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE MARCEAU, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
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