T-2933-85
Echo Bay Mines Ltd. (demanderesse)
c.
Sa Majesté la Reine (défenderesse)
RÉPERTORIÉ.' ECHO BAY MINES LTD. C. CANADA (Ire 1NST.)
Section de première instance, juge MacKay—Van-
couver, 13 juin 1991; Ottawa, 13 août 1992.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Déductions — La
contribuable, qui est un producteur d'argent métal, a réalisé
un bénéfice à la liquidation de contrats de vente à terme — Il
échet d'examiner s'il s'agit de «bénéfices relatifs à des res-
sources» au sens de l'art. 1204(1) du Règlement de l'impôt sur
le revenu — Le calcul des «bénéfices relatifs à des ressources»
sert de base au calcul de la déduction visée à l'art. 20(1)v.1)
de la Loi (puits de pétrole ou de gaz ou ressources minérales
situés au Canada) — Les témoignages d'expert sur les usages
de ce secteur d'activité et sur les principes comptables généra-
lement reconnus sont admissibles pour l'appréciation des réa-
lités commerciales des opérations de la contribuable — Les
opérations de couverture sont communes chez les producteurs
de métaux précieux — Les bénéfices réalisés à la liquidation
de contrats à court terme sont des bénéfices de spéculation —
La concordance exacte n'est pas nécessaire pour qu'il y ait
opération de couverture — Les opérations effectuées par la
compagnie mère sont celles de la contribuable — Il ne faut pas
interpréter le Règlement de façon restrictive — Les opérations
de couverture sont suffisamment intégrées à l'entreprise de
production d'argent — La production n'engendre elle-même
aucun revenu — La contribuable n'effectuait pas les opéra-
tions à terme à titre de placements.
La contribuable a conclu des contrats de vente à terme de
l'argent provenant de sa mine. Il n'y avait aucune livraison
d'argent, les contrats étant soit liquidés à l'échéance soit con-
vertis en d'autres contrats à liquider ultérieurement. La contri-
buable a réalisé à la liquidation de ces contrats un bénéfice de
29 359 967 $, dont elle soutient qu'il représente des «bénéfices
relatifs à des ressources»—revenu tiré de la production de
minéraux au Canada—au sens du paragraphe 1204(1) du
Règlement de l'impôt sur le revenu. Le ministre du Revenu
national a établi la nouvelle cotisation par ce motif que ce que
payait l'acheteur d'argent à la demanderesse n'avait rien à voir
avec les contrats de vente à terme, lesquels étaient des opéra-
tions distinctes. La contribuable a interjeté appel de cette nou-
velle cotisation devant la Cour fédérale.
Jugement: l'appel doit être accueilli.
L'importance du calcul des «bénéfices relatifs à des res-
sources» tient à ce qu'il sert de base au calcul de la déduction
prévue hl' alinéa 20(1)v.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu au
titre de «puits de pétrole ou de gaz ou de ressources minérales
situés au Canada». Le paragraphe 1210(1) du Règlement pré-
voit que le montant déductible est égal à 25 p. 100 des béné-
faces relatifs à des ressources pour l'année d'imposition consi-
dérée.
Le témoignage des experts sur les usages de ce secteur d'ac-
tivité et sur les principes comptables généralement reconnus
présente un rapport avec le litige et est admissible pour aider la
Cour à prendre en considération les réalités économiques et
commerciales des opérations de la contribuable. Selon les
témoignages, la couverture du prix est un usage commun chez
les producteurs de métaux précieux et vise à fixer à l'avance un
prix jugé satisfaisant. On ne peut distinguer l'affaire en ins
tance des faits de la cause tranchée par l'arrêt de la Cour
suprême du Canada Atlantic Sugar Refineries v. Minister of
National Revenue, [1949] R.C.S. 706, où le juge Locke a tiré
cette conclusion: «Dans les milieux où les produits naturels
sont achetés en grande quantité, les opérations de couverture
sont courantes, voire nécessaires dans certains cas, et le coût de
ces opérations dans les commerces de ce genre est à bon droit
déductible à titre de frais d'exploitation de l'entreprise. Dans
les cas où, comme en l'espèce, le spéculateur choisit de liqui-
der les ventes à découvert et de réaliser un bénéfice, celui-ci
peut être qualifié à bon droit de bénéfice résultant de l'opéra-
tion à terme». L'argument de la Couronne, selon lequel il n'y a
pas eu concordance suffisante entre les deux ensembles paral-
lèles d'opérations, pour ce qui est de la quantité produite, de la
date de livraison et de la liquidation des contrats de vente à
terme, ne saurait être accueilli. L'arrêt Atlantic Sugar Refine
ries a posé pour règle que la concordance exacte n'est pas pos
sible dans les faits ni n'est essentielle pour qu'il y ait opération
de couverture. Bien que les contrats de vente à terme aient été
conclus par les dirigeants de la compagnie mère de la contri-
buable, ces opérations ont été effectuées pour le compte de
cette dernière, n'ont été inscrites que dans ses livres, et doivent
donc être considérées comme ayant été effectuées par elle-
même.
La Cour ayant conclu que ces contrats de vente à terme
étaient des opérations de couverture, il échet d'examiner s'il y
avait intégration suffisante avec l'entreprise de production
d'argent pour que les bénéfices résultant de ces opérations
puissent être assimilés au revenu tiré de la même entreprise. Il
ne faut pas interpréter de façon restrictive les mots «reve-
nus ... tirés ... de la production au Canada ... de métaux
ou de minéraux» figurant au paragraphe 1204(1). La produc
tion n'engendre elle-même aucun revenu. Les opérations qui
peuvent raisonnablement être reliées à la commercialisation du
produit font partie intégrante de la production qui vise à rap-
porter un revenu et des bénéfices relatifs à des ressources au
sens du Règlement. La contribuable n'a pas effectué les opéra-
tions à terme à titre de placements. La passation et la liquida
tion des contrats de vente à terme visaient un but indissociable
de son entreprise, ce but étant intégré avec ses ventes au comp-
tant du produit pour rapporter un revenu.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art.
20(1)v.1) (mod. par S.C. 1974-75-76, ch. 71, art. 1),
65(1) (mod. par S.C. 1973-74, ch. 30, art. 6), 124.1,
124.2, 129(4) (mod. par S.C. 1974-75-76, ch. 26, art.
86(2)).
Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148, art.
83(5) (mod. par S.C. 1955, ch. 54, art. 21).
Règlement de l'impôt sur le revenu, C.R.C., ch. 945, art.
1200, 1201, 1204(1) (mod. par DORS/79-245, art. 3),
(3), 1210(1).
JURISPRUDENCE
DECISION SUIVIE:
Atlantic Sugar Refineries v. Minister of National Revenue,
[1949] R.C.S. 706; [1949] 3 D.L.R. 641; [1949] CTC 196.
DÉCISION APPLIQUÉE:
McClurg c. Canada, [1990] 3 R.C.S. 1020; (1990), 76
D.L.R. (4th) 217; [1991] 2 W.W.R. 244; [1991] 1 C.T.C.
169; 91 DTC 5001; 119 N.R. 101.
DISTINCTION FAITE AVEC:
R. c. Marsh & McLennan, Limited, [1984] 1 C.F. 609;
[1983] CTC 231; (1983), 83 DTC 5180; 48 N.R. 103
(C.A.); infirmant [1982] 2 C.F. 131; [1981] CTC 410;
(1981), 81 DTC 5307 (ire inst.); Ensite Ltd. c. R., [1986]
2 R.C.S. 509; (1986), 33 D.L.R. (4th) 491; [1986] 2
C.T.C. 459; 86 DTC 6521; 70 N.R. 189; Imperial
Tobacco Co. (of Great Britain and Ireland), Ltd. v. Kelly.
Imperial Tobacco Co. (of Great Britain and Ireland), Ltd.
v. Inland Revenue Commrs., [1943] 2 All E.R. 119 (C.A.);
confirmant [1943] 1 All E.R. 431 (K.B.D.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Gunnar Mining Limited v. Minister of National Revenue,
[1968] R.C.S. 226; (1968), 67 D.L.R. (2d) 153; [1968]
C.T.C. 22; 68 DTC 5035; Cominco Ltd c La Reine, [1984]
CTC 548; (1984), 84 DTC 6535 (C.F. Pe inst.); confirmé
par A-1324-84, le juge Heald, J.C.A., jugement en date du
2-12-85, C.A.F., non publié; demande d'autorisation de
pourvoi en C.S.C. rejetée [1986] 1 R.C.S. vii; (1986), 66
N.R. 77; Westar Mining Ltd. c. La Reine, [1988] 2 C.T.C.
349; (1988), 88 DTC 6505; 23 F.T.R. 71 (C.F. Ire inst.);
infirmé par [1992] 3 C.F. 110; Gulf Canada Ltd. c.
Canada, [1991] 1 C.T.C. 99; (1990), 90 DTC 6622; 38
F.T.R. 81 (C.F. ire inst.), confirmé par (1992), 92 DTC
6123 (C.A.F.); Texaco Exploration Co. c. La Reine,
[1976] 1 C.F. 323; [1975] CTC 404; (1975), 75 DTC
5288 (P 1 e inst.).
DECISIONS CITÉES:
March Shipping Ltd v MNR, [1977] CTC 2527; (1977), 77
DTC 371 (C.R.I.); R. c. International Nickel Co. of
Canada, Ltd., [1976] 2 R.C.S. 675; (1975), 62 D.L.R.
(3d) 573; [1975] CTC 620; 75 DTC 5460; 7 N.R. 351;
Minister of National Revenue v. Imperial Oil Co., [1960]
R.C.S. 735; (1960), 25 D.L.R. (2d) 321; [1960] C.T.C.
275; 60 DTC 1219; Tip Top Tailors Limited v. The Minis-
ter of National Revenue, [1957] R.C.S. 703; (1957), 11
D.L.R. (2d) 289; [1957] C.T.C. 309; 57 DTC 1232.
APPEL contre la nouvelle cotisation faite par le
ministre du Revenu national de la déclaration d'im-
pôt sur le revenu de la demanderesse pour son année
d'imposition 1980. Appel accueilli.
AVOCATS:
W. J. A. Mitchell, c.r., Judith B. Taylor et
J. H. G. Roche pour la demanderesse.
J. S. Gill, c. r., et Marie-Thérèse Boris pour la
défenderesse.
PROCUREURS:
Thorsteinssons, Vancouver, pour la demande-
resse.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Voici la version française des motifs du jugement
rendus par
LE JUGE MACKAY: Il y a en l'espèce appel contre la
nouvelle cotisation d'impôt sur le revenu établie par
le ministre du Revenu national à l'égard de la décla-
ration de revenu de la demanderesse pour son année
d'imposition 1980. La déclaration a été déposée le 30
décembre 1985 (et subséquemment modifiée le 12
décembre 1986) après opposition à la nouvelle cotisa-
tion et confirmation de cette dernière, en date du 7
octobre 1985. Il y avait à l'origine deux motifs d'op-
position et d'appel, mais la demanderesse en a aban-
donné un avant l'ouverture du procès.
Le point litigieux qui reste à trancher porte sur la
question de savoir si le revenu provenant de la liqui
dation de contrats de vente à terme d'argent métal au
cours de l'année d'imposition 1980 peut être assimilé
aux «bénéfices relatifs à des ressources» au sens du
paragraphe 1204(1) du Règlement de l'impôt sur le
revenu [C.R.C., ch. 945 (mod. par DORS/79-245,
art. 3)], tel qu'il était en vigueur à l'époque.
À l'audition de l'affaire, les avocats ont versé au
dossier l'exposé conjoint des faits suivant:
[TRADUCTION] 1. La demanderesse est une entreprise de pros-
pection, d'extraction et de transformation de métaux précieux
dans la région arctique du Canada.
2. Durant les années 1976 1982, la demanderesse exploita
une mine d'argent près de Port Radium, dans les Territoires du
Nord-Ouest. Toute la production de minerai d'argent enrichi de
la mine était vendue à une tierce partie en vertu de contrats de
vente à long terme. Le prix d'achat du minerai enrichi était
basé sur le prix de l'argent tel qu'il avait cours sur le marché
deux mois après la livraison du minerai à l'acheteur.
3. Durant les années 1978 1980 inclusivement, la demande-
resse a conclu des contrats de vente à terme d'argent. Il n'y
avait aucune livraison du métal dans le cadre de ces contrats,
lesquels étaient en effet soit liquidés à l'échéance soit convertis
en d'autres contrats à liquider ultérieurement.
4. Au moment considéré, la demanderesse était une filiale
appartenant en propriété exclusive à I.U. International, compa-
gnie américaine. C'était I.U. International qui concluait et
liquidait les contrats de vente à terme au nom de la demande-
resse.
5. Voici un exemple qui illustre le mécanisme des opérations
de couverture:
a) Supposons que le prix courant d'une marchandise au let jan-
vier soit de 200 $ — prix que le producteur tient à «verrouil-
ler».
b) Supposons que le prix soit, dans le premier cas, de 350 $ au
ler juillet, et dans le second cas, de 100 $ à la même date.
c) Supposons que au ler janvier, le producteur achète un con-
trat de vente à terme au montant de 200 $.
Cas 1 Cas 2
Gain (perte) à
la liquidation
du contrat (150) $ 100 $
Vente de la
marchandise 350 $ 100 $
Prix réalisé 200 $ 200 $
Ainsi, en combinant la vente effective de la marchandise et
le gain ou la perte sur l'opération à terme, le producteur «ver-
rouille» ou «couvre» le prix du jour.
6. Au cours de l'année d'imposition 1980, la demanderesse a
réalisé un bénéfice de 29 359 967 $ sur la liquidation de con-
trats de vente à terme d'argent livrable la même année, et elle a
inclus ce montant dans son revenu imposable.
7. Les deux parties conviennent que la somme de 29 359 967 $
a été incluse à bon droit dans le revenu de la demanderesse. Le
seul point litigieux porte sur la question de savoir si cette
somme a été incluse à bon droit à titre de «bénéfices relatifs à
des ressources» au sens de la division 1204(1)b)(ii)(B) du
Règlement, tel qu'il était en vigueur en 1980.
La demanderesse soutient que le revenu provenant
de la liquidation des contrats de vente à terme devrait
être inclus à titre de «bénéfices relatifs à des res-
sources» au sens du Règlement, puisqu'il s'accorde
avec la définition de revenu tiré de la production de
minéraux au Canada. La défenderesse réplique que le
montant en cause ne devrait pas être inclus à ce titre
puisque ce que payait l'acheteur d'argent à la deman-
deresse n'avait rien à voir avec les contrats de vente à
terme, lesquels contrats étaient, de l'avis de la défen-
deresse, des opérations distinctes des ventes d'argent
par la demanderesse.
Voici les passages applicables du paragraphe
1204(1) du Règlement, tel qu'il s'appliquait à l'égard
de l'année d'imposition 1980:
1204.(1) Aux fins de la présente partie, «bénéfices relatifs à
des ressources» d'un contribuable pour une année d'imposition
désigne le montant, s'il en est, par lequel le total
b) du montant, s'il en est, de l'ensemble de ses revenus pour
l'année tirés
(i) de la production de pétrole, de gaz naturel ou d'hydro-
carbures connexes, extraits des puits de pétrole ou de gaz
que le contribuable exploite au Canada,
(ii) de la production au Canada
(A) de pétrole, de gaz naturel ou d'hydrocarbures con-
nexes, ou
(B) de métaux ou de minéraux jusqu'à un stade qui ne
dépasse pas le stade du métal brut ou son équivalent,
tirés des ressources minérales que le contribuable exploite
au Canada,
est en sus
c) du total de ses pertes pour l'année provenant des sources
mentionnées à l'alinéa b),
calculés conformément à la Loi, en supposant qu'au cours de
l'année il n'avait aucun revenu ni aucune perte sauf à l'égard
de ces sources et qu'il n'avait droit à aucune déduction lors du
calcul de son revenu pour l'année autre que
f) les autres déductions pour l'année qui peuvent raisonna-
blement être considérées comme applicables aux sources de
revenu décrites à l'alinéa b), sauf une déduction en vertu de
l'article 1201 ou des paragraphes 1202(2) ou (3), 1207(1) ou
1212(1).
(3) Un revenu ou une perte dont l'origine est décrite à l'ali-
néa (1)b) ne comprend ni un revenu ni une perte qui est le
résultat du transport, du convoiement ou du traitement du
pétrole, du gaz naturel ou d'hydrocarbures connexes.
L'importance du calcul des «bénéfices relatifs à
des ressources» tenait, et tient toujours, à ce qu'il sert
de base au calcul de la déduction que les contri-
buables peuvent revendiquer en application de l'ali-
néa 20(1)v.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.C.
1970-71-72, ch. 63 (mod. par S.C. 1974-75-76. ch.
71, art. 1)], qui autorise la déduction de sommes au
titre de «puits de pétrole ou de gaz ou de ressources
minérales situés au Canada» 1 . L'article 1210 2 pré-
voyait que le montant déductible au titre de l'alinéa
20(1)v.1) était égal à 25 p. 100 des bénéfices relatifs
à des ressources au sens du paragraphe 1204(1) du
Règlement, pour l'année d'imposition considérée.
Une réduction du montant des «bénéfices relatifs à
des ressources» pour l'année, par suite comme en
l'espèce d'une nouvelle cotisation établie à l'égard du
revenu de la demanderesse, signifiait la réduction du
montant déductible au titre de l'alinéa 20(1)v.1). Les
«bénéfices relatifs à des ressources» servaient égale-
ment de base de calcul de la déduction pour épuise-
ment gagnée, qu'autorisaient la Partie XII du Règle-
ment et le paragraphe 65(1) [mod. par S.C. 1973-74,
ch. 30, art. 6] de la Loi tels qu'ils s'appliquaient à
l'année d'imposition en cause. Après avoir établi la
nouvelle cotisation à l'égard des «bénéfices relatifs à
des ressources» de la demanderesse, le ministre du
Revenu national a rajusté en conséquence les mon-
tants déductibles au titre de l'alinéa 20(1)v.1) et du
paragraphe 65(1) de la Loi.
À l'appui de son argument que les contrats de
vente à terme de la production prévue d'argent
n'étaient qu'une opération de couverture contre les
grandes fluctuations de prix, la demanderesse a cité
1 L'alinéa 20(1)v.1) prévoyait ce qui suit:
20.(1) Nonobstant les dispositions des alinéas 18(1)a), b)
et h), lors du calcul du revenu tiré par un contribuable d'une
entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition, peu-
vent être déduites celles des sommes suivantes qui se rap-
portent entièrement à cette source de revenus ou la partie des
sommes suivantes qui peut raisonnablement être considérée
comme s'y rapportant:
v.1) les sommes que le contribuable est autorisé, par voie
de règlement, à déduire, pour l'année, au titre de puits de
pétrole ou de gaz ou de ressources minérales situés au
Canada.
2 Le paragraphe 1210(1) du Règlement porte:
1210.(1) Aux fins de l'alinéa 20(1)v.1) de la Loi, il peut
être déduit lors du calcul du revenu d'un contribuable pour
une année d'imposition un montant égal à 25 pour cent de
ses bénéfices relatifs à des ressources pour l'année au sens
du paragraphe 1204(1), si ce paragraphe était interprété en
faisant abstraction de l'alinéa a) ou du sous-alinéa b)(iv),
calculé comme si aucun montant n'était déduit lors du calcul
de ces bénéfices relatifs à des ressources en vertu de l'alinéa
20(1)c), d) ou v.1) de la Loi ou de l'alinéa 1204(1)d) ou e).
comme témoins deux experts, tous deux comptables
agréés, MM. John H. Bowles et Robert B. Parsons.
L'avocat de la défenderesse s'est opposé au témoi-
gnage du premier expert, M. Bowles, par ce motif
qu'il ne présente aucun rapport avec le litige, lequel
porte uniquement sur un point de droit dont la solu
tion n' a rien à voir avec les preuves relatives aux
méthodes de commercialisation des producteurs de
métaux précieux et aux principes comptables généra-
lement reconnus. À son avis, le litige porte sur la
question de savoir si le revenu ou la perte tenant à la
liquidation de contrats de vente à terme doit entrer en
ligne de compte dans le calcul des bénéfices relatifs à
des ressources, même s'il est jugé que la demande-
resse a conclu et liquidé ces contrats à titre de «cou-
verture». J'ai déclaré le témoignage admissible,
n'étant pas convaincu que les preuves relatives aux
usages de ce secteur d'activité et aux principes comp-
tables généralement reconnus en la matière n'aient
rien à voir avec le litige en l'espèce.
Je confirme maintenant que ce témoignage est à
mon avis admissible. Il est vrai que s'ils vont à l'en-
contre des dispositions de la Loi de l'impôt sur le
revenu, les usages du secteur d'activité concerné et
les principes comptables généralement reconnus ne
peuvent pas l'emporter sur la volonté expresse du
législateur. De surcroît, comme l'a reconnu l'avocat
de la demanderesse, les usages du milieu et les prin-
cipes comptables généralement reconnus ne régissent
pas l'interprétation des «bénéfices relatifs à des res-
sources» au sens de la Loi. Puisque la définition de
«bénéfices relatifs à des ressources» comprend des
termes clés comme «revenu» et «production» et
qu'elle porte sur un ou des secteurs d'activité déter-
minés, le témoignage donné par M. Bowles au sujet
des usages de ce secteur d'activité et des principes
comptables généralement reconnus présente un rap
port avec le point litigieux en l'espèce. À mon avis,
cette conclusion est conforme à la méthode d'inter-
prétation définie par le juge en chef Dickson dans
McClurg c. Canada, [1990] 3 R.C.S. 1020, à la page
1050, savoir que la juridiction saisie doit prendre en
considération «les réalités commerciales et écono-
miques des opérations du contribuable». Le témoi-
gnage du genre donné par les experts cités par la
demanderesse en l'espèce se rapporte aux «réalités
commerciales et économiques» des opérations de la
contribuable, lesquelles opérations forment la base de
sa déclaration de revenu soumise à l'application de la
Loi de l'impôt sur le revenu et du Règlement.
M. Bowles, qui a produit un rapport d'expert,
témoigne que la couverture du prix à recevoir à la
vente effective est un usage commun dans l'industrie
minière, en particulier chez les producteurs de
métaux précieux. Cette couverture s'effectue au
moyen du contrat de vente à terme, par lequel le pro-
ducteur s'engage à vendre une certaine quantité du
produit à une date future. Normalement, ce prix est le
prix du produit sur le marché à la date de la signature
du contrat. Le producteur s'acquitte habituellement
de ses obligations en liquidant le contrat par l'achat
de la même quantité du produit sur le marché à terme,
sans qu'il y ait livraison effective du produit promis.
Par ces contrats de vente à terme, le producteur se
garantit le prix dans la mesure où ses prévisions de
production sont correctes en fin de compte. Le pro-
ducteur recevant de l'acheteur de la quantité effecti-
vement produite le prix ayant cours sur le marché au
comptant au moment convenu, si le prix payé est
inférieur au prix prévu au contrat de vente à terme, le
bénéfice réalisé à la liquidation de ce contrat com-
pensera la perte enregistrée dans le prix payé pour le
produit au taux convenu du marché au comptant. Par
contre, si le prix payé pour le produit livré est supé-
rieur au prix fixé au contrat de vente à terme, la perte
à la liquidation de ce contrat annulera le gain enregis-
tré dans le prix payé pour le produit livré. Le fonc-
tionnement de cet arrangement est illustré par
l'exemple donné au paragraphe 5 de l'exposé con
joint des faits. Cet exemple suppose une concordance
raisonnable entre la production effective et la livrai-
son hypothétique prévue au contrat de vente à terme,
concordance qui peut être difficile à atteindre dans
les faits. Le résultat net en est que, peu importe que
les prix du marché à payer pour les livraisons futures
augmentent ou diminuent, le producteur est assuré de
recevoir pour son produit le prix qui a cours sur le
marché le jour où il conclut le contrat de vente à
terme.
M. Bowles témoigne que selon les principes comp-
tables généralement reconnus, le bénéfice réalisé ou
la perte subie par le producteur à la liquidation du
contrat de vente à terme peut être considéré comme
une «couverture» et par conséquent mis sur le compte
de la marchandise effectivement produite, si quatre
conditions sont réunies. Son rapport relève ces condi
tions qui ne sont pas réfutées (sauf l'objection quant à
l'absence de lien entre ce témoignage et les faits de la
cause), comme suit:
[TRADUCTION] 1. La marchandise à couvrir expose l'entreprise
au risque de fluctuation du prix (ou du taux d'intérêt).
2. Le contrat de vente à terme réduit ce risque et est considéré
comme une couverture.
3. Les caractéristiques importantes et les stipulations de l'opé-
ration prévue sont précisées.
4. Il est probable que l'opération prévue aura lieu.
À son avis, la différence entre couverture et spécula-
tion tient à ce que dans le premier cas, la compagnie
s'engage à vendre à terme une marchandise qu'elle a
et les moyens et l'intention de produire; si elle n'a ni
les moyens ni l'intention de remplir ses obligations
en produisant cette marchandise, il y a spéculation
par contrat de vente à terme.
Qu'une opération soit ou non une opération de
couverture dépend de l'appréciation, au moment de la
conclusion du contrat de vente à terme, de la capacité
et de l'intention de produire la marchandise promise
par ce contrat. En cas d'opération de couverture, les
bénéfices réalisés à la liquidation du contrat sont con-
sidérés comme partie intégrante du prix réalisé à la
vente de la marchandise et, selon les usages comp-
tables, sont intégrés dans le revenu provenant de la
vente. Étant donné la difficulté qu'il y a à coordonner
les dates de production et de livraison avec les dates
de liquidation des contrats de vente à terme, le revenu
provenant de la liquidation est d'ordinaire inclus
périodiquement dans le revenu de vente, peut-être
tous les trimestres ou par intervalles plus longs.
M. Parsons, auteur et comptable fiscaliste spécia-
lisé dans l'industrie minière, a également produit un
rapport d'expert. Il témoigne lui aussi que les opéra-
tions de couverture sont fort communes chez les pro-
ducteurs de métaux précieux; que selon les principes
comptables généralement reconnus, elles font partie
intégrante des ventes; que tout bénéfice ou toute perte
résultant de la liquidation sera pris en compte au
moment de la vente de la production qui en fait l'ob-
jet; que cette méthode comptable s'applique peu
importe que le contrat de vente à terme, qui assure la
«couverture», soit liquidé ou non avant la livraison
effective de la marchandise à l'acheteur; et que cette
méthode se justifie. du fait qu'elle tient compte des
réalités commerciales de la production de marchandi-
ses, car l'opération de couverture a pour seul but de
fixer à l'avance le prix à un niveau que la compagnie
estime satisfaisant.
Au contre-interrogatoire, M. Bowles et M. Parsons
reconnaissent tous les deux que le bénéfice ou la
perte résultant de la liquidation du contrat de vente à
terme ne peut être inclus dans le revenu tiré de la pro
duction que s'il y a un lien raisonnable entre la quan-
tité qui sera effectivement produite et la quantité pré-
vue au contrat de vente à terme, ainsi que le moment
où le producteur recevra le prix de la production
effectivement vendue. Autrement dit, il faut qu'il y
ait véritablement opération de couverture contre le
risque de fluctuation du prix de la marchandise que
vendra le producteur.
Au contre-interrogatoire, M. Parsons admet qu'il
n'y a aucune norme comptable généralement recon-
nue par laquelle on pourrait déterminer le seuil où un
décalage entre la quantité prévue au contrat de vente
à terme et la production effectivement livrée, et entre
la date de livraison prévue au contrat et la livraison
effective, ferait de ce contrat une opération spécula-
tive et non pas une opération de couverture. Il sou-
ligne cependant que le point de départ de la qualifica
tion du contrat de vente à terme est le moment où
celui-ci est conclu. S'il se trouve que le producteur a,
en vue du contrat, surestimé la quantité qui sera pro-
duite, il est toujours possible de voir dans ce contrat
une opération de couverture. Le traitement comptable
subséquent imputera au revenu tiré de la production
la fraction du bénéfice ou de la perte correspondant à
la production effective, alors que la fraction corres-
pondant à tout excédent sur la production effective
serait traitée comme revenu de placements.
M. Parsons fait encore savoir que si le producteur
choisissait de liquider le contrat de vente à terme
avant qu'il n'y soit tenu, en achetant une quantité
équivalente de marchandise, cette action ne fait pas
perdre son caractère de couverture au bénéfice ou à la
perte résultant de la liquidation. L'effet en serait sim-
plement que pendant l'intervalle séparant la liquida
tion du contrat de la réception du prix de la produc
tion effectivement livrée, le producteur ne serait pas
protégé contre le risque d'une chute des prix.
Le dernier témoin était Ray Jenner, l'actuel vice-
président de la demanderesse. Son témoignage porte
sur l'historique de la mine d'argent exploitée par
celle-ci à Port Radium, sur la manière dont elle effec-
tuait ses opérations de couverture durant l'année
d'imposition 1980 et sur les opérations de couverture
qu'elle a généralement effectuées depuis pour les
métaux précieux provenant d'autres exploitations
minières.
Selon M. Jenner, les prévisions de production d'ar-
gent pour 1980 ont été initialement fixées à
1 702 000 onces, puis ramenées à 1 367 000 onces.
La quantité effectivement produite pour cette année
était de 1 335 000 onces, et la quantité couverte de
1 585 000 onces. L'avocat de la défenderesse met en
doute ces chiffres au contre-interrogatoire, par ce
motif qu'ils ne concordent pas avec l'interrogatoire
préalable du témoin, lequel, déposé à titre de pièce 3,
portait sur la quantité totale d'argent vendue à terme
en 1980 et donnait les quantités dont la production
était prévue pour cette année-là et subséquemment.
En fin de compte, les chiffres donnés par M. Jenner
au cours de son témoignage au procès n'ont pas été
réfutés.
Les opérations de couverture étaient effectuées par
la compagnie mère de la demanderesse, I.U. Interna
tional, à son siège à Philadelphie. M. Jenner, qui a
commencé à travailler pour la demanderesse en 1983,
ne pouvait pas apporter un témoignage précis sur les
arrangements pris en 1980, mais a pu témoigner sur
la manière générale dont la compagnie considère les
contrats de vente à terme et sur le traitement compta-
ble qu'elle leur réserve.
En mars 1980, la compagnie a décidé de vendre à
terme la production restante prévue de la mine, dont
les réserves étaient en voie d'épuisement et devaient
être épuisées en 1981 ou 1982 au plus tard. Elle
jugeait que les prix ayant cours en 1980 étaient favo-
rables et qu'il fallait se protéger contre le risque
d'une chute du prix à l'avenir. Les quantités à vendre
à terme étaient basées sur les réserves estimées pour
la période tout entière, et les estimations étaient
périodiquement révisées. Rien dans le dossier ne per-
met de savoir si la compagnie mère a pris expressé-
ment en considération les prévisions de production de
la mine, bien qu'elle eût dû les connaître grâce aux
rapports réguliers de la filiale. Les contrats de vente à
terme ont été arrangés par I.U. International pour la
demanderesse, pendant la haute saison du marché à
terme, et ont été manifestement liquidés sans réfé-
rence particulière à la date de livraison ou au paie-
ment par la raffinerie acheteuse. Les recettes prove-
nant des ventes au comptant et de la liquidation des
contrats à terme étaient inscrites dans deux comptes à
part de la demanderesse, non de la compagnie mère,
et consolidées annuellement, dans la comptabilisation
des recettes brutes de production, aux fins des états
financiers et, partant, en vue des déclarations d'impôt
sur le revenu. Selon M. Jenner, les contrats de vente à
terme, c'est-à-dire les opérations de couverture,
avaient pour but de fixer le prix de l'argent dont la
production était prévue au niveau ayant cours au
moment de la conclusion de ces contrats. En outre,
pourvu que la production effective corresponde aux
engagements pris, ces contrats assuraient aussi les
liquidités pour financer la production et les activités
d'exploration continues de l'exploitation minière.
La défenderesse n'a produit aucun témoin.
L'argumentation des parties
La divergence fondamentale entre les parties cor
respond à leur divergence de vues quant au lien entre
la conclusion et la liquidation des contrats de vente à
terme, d'une part, et la vente de la production effec
tive par la demanderesse, d'autre part.
Selon la demanderesse, les contrats de vente à
terme étaient des opérations de couverture visant à
garantir des prix fixés pour l'argent à produire, et ils
faisaient partie intégrante de la commercialisation de
cet argent. Tel était leur but, et il est juste d'inclure
dans le revenu tiré de la production d'argent les béné-
fices, et implicitement les pertes éventuelles, résul-
tant de leur liquidation.
Selon la défenderesse, ces contrats étaient des opé-
rations distinctes de la production et de la commer
cialisation de l'argent, à tel point que leur négociation
et leur liquidation ne pouvaient être considérées
comme des opérations de couverture. Quand bien
même ils pourraient être considérés comme des opé-
rations de couverture, ces contrats n'étaient pas suffi-
samment intégrés dans la production et la livraison de
l'argent pour qu'on puisse y voir une activité com-
merciale intégrée. Ainsi donc, les bénéfices réalisés à
leur liquidation n'étaient pas une forme de «bénéfices
relatifs à des ressources» au sens du paragraphe
1204(1) du Règlement.
La demanderesse soutient que la commercialisa
tion est un élément de la production au sens du para-
graphe 1204(1) du Règlement, qui définit les béné-
fices relatifs à des ressources en termes de revenu tiré
de la production; et qu'il ressort d'autres dispositions
que ce revenu n'est pas limité à celui qui provient
directement de la livraison du produit. Ainsi, le para-
graphe 1204(3) du Règlement exclut expressément
du calcul du revenu ou de la perte dont l'origine est
décrite à l'alinéa 1204(1)b), dans le cas des produc-
teurs de pétrole, de gaz naturel ou d'hydrocarbures
connexes, le revenu ou la perte résultant du transport,
du convoiement ou du traitement de ces produits. La
signification implicite en est que n'eût été cette dis
position, le revenu tiré de ces activités serait inclus.
Implicitement, le revenu tiré de ces activités est
inclus dans le calcul du revenu en cas de production
de métaux ou de minéraux jusqu'à un stade qui ne
dépasse pas le stade du métal brut, c'est-à-dire l'autre
catégorie visée à l'alinéa 1204(1)b) du Règlement; et
le revenu provenant des opérations de couverture, qui
sont plus proches de la production que n'importe
laquelle des activités expressément exclues, devrait
être inclus dans le revenu tiré de la production au
sens de l'alinéa 1204(1)b). L' avocat de la demande-
resse invoque aussi le paragraphe 1210(1), qui exclut
la déduction des frais d'intérêt de la source du revenu
tiré de la production de minéraux ou de métaux.
Enfin, les alinéas c) et f) du paragraphe 1204(1) du
Règlement emploient le mot «sources» par référence
à l'alinéa 1204(1)b). La demanderesse soutient ainsi
que le Règlement applique implicitement le «concept
de source» à la définition du revenu tiré de la produc
tion, et la conclusion à tirer est qu'il ne faut pas inter-
préter étroitement le revenu et les dépenses de pro-
duction de façon à les limiter au produit de la vente
effective et aux coûts directs d'extraction. Au con-
traire, le revenu tiré de la production de métaux ou de
minéraux devrait inclure toutes les recettes qui ont un
lien raisonnable avec la production elle-même.
La demanderesse soutient que pour examiner le
point litigieux en l'espèce, il faut appliquer par analo-
gie les principes dégagés d'autres dispositions de la
Loi. Son avocat invoque en particulier les arrêts R. c.
Marsh & McLennan, Limited., [1984] 1 C.F. 609
(C.A.); Ensite Ltd. c. R., [1986] 2 R.C.S. 509; et
Imperial Tobacco Co. C of Great Britain and Ireland),
Ltd. v. Kelly. Imperial Tobacco Co. (of Great Britain
and Ireland), Ltd. v. Inland Revenue Commrs., [1943]
2 All. E.R. 119 (C.A.).
Dans les deux causes canadiennes citées, il s'agis-
sait de savoir si certaines recettes réalisées par la con-
tribuable pouvaient être considérées comme revenu
tiré d'une entreprise ou comme revenu de placements
(ou dans la cause Ensite, «revenu de placements à
l'étranger») afin de statuer sur l'impôt en main rem-
boursable au titre de dividendes de la demanderesse,
en application du paragraphe 129(4) [m d. par S.C.
1974-75-76, ch. 26, art. 86(2)] de la Loi, qui distin-
guait entre le revenu tiré d'un bien et le revenu tiré
d'un bien utilisé dans l'exploitation de l'entreprise.
L'arrêt Marsh & McLennan portait sur la question
de savoir si l'intérêt provenant du placement à court
terme de primes d'assurance et détenu par un courtier
d'assurances avant sa remise aux assurés constituait
un «revenu de placements au Canada» ou un revenu
tiré d'un bien utilisé dans l'entreprise. Dans cette der-
nière hypothèse, il serait exclu du «revenu de place
ments au Canada» et de l' «impôt en main remboursa-
ble au titre de dividendes». Par jugement majoritaire,
la Cour d'appel fédérale a fait droit à l'appel de la
Couronne. Le juge suppléant Clement a conclu en
page 638 qu' «il ressort des faits de cette affaire qu'il
existait entre l'entreprise du courtier et les place
ments qu'il faisait une interconnexion, un entrelace-
ment, une interdépendance et une parfaite harmonie
entre les deux» et qu'en conséquence, l'intérêt en
cause constituait un revenu tiré d'un bien utilisé ou
détenu dans le cadre de l'entreprise de courtage d'as-
surances. Le juge Le Dain, J.C.A., était du même avis
et concluait que le critère de l'utilisation du fonds
comme capital de risque dans l'entreprise était pré-
sent en l'espèce puisque l'intérêt couru a servi à rem-
plir les obligations du courtier d'assurances face aux
assureurs; le courtier ne l'avait détenu que pendant
quelques mois.
Dans Ensite, la contribuable exploitait une usine de
moteurs d'automobile aux Philippines et était tenue
par la loi philippine d'importer des devises étrangères
aux fins de l'entreprise. Elle s'est acquittée de cette
obligation au moyen d'arrangements bancaires com
plexes, lesquels se sont soldés par un bénéfice sous
forme d'intérêts. Se prévalant du remboursement au
titre de dividendes prévu à l'article 129 de la Loi, la
contribuable a inclus cet intérêt dans son «revenu de
placements à l'étranger», qui est un élément de l'im-
pôt en main remboursable au titre de dividendes. Le
ministre du Revenu national a établi une nouvelle
cotisation par ce motif qu'il s'agissait là d'un revenu
tiré de l'entreprise ou d'un revenu tiré d'un bien uti-
lisé aux fins de l'entreprise.
La Cour suprême du Canada a rejeté le pourvoi
formé par la contribuable contre la décision de la
Cour d'appel fédérale qui se fondait largement sur
l'arrêt Marsh & McLennan. Madame le juge Wilson,
commentant à cette occasion les critères invoqués
dans ce dernier arrêt, a marqué sa préférence pour le
critère de l' «utilisation comme capital de risque»
appliqué par le juge Le Dain, J.C.A. Elle a résumé
son raisonnement comme suit, en pages 520 et 521:
Le critère applicable consiste non pas à déterminer si le contri-
buable s'est vu dans l'obligation d'employer un bien déterminé
pour exploiter son entreprise, mais plutôt à se demander si ce
bien a été utilisé pour satisfaire à une exigence qui devait être
remplie pour qu'il puisse exploiter son entreprise. Dans cette
dernière hypothèse, il s'agirait véritablement d'un bien
employé et risqué dans l'entreprise. En l'espèce, le bien en
cause a été employé pour satisfaire à une condition qui devait
obligatoirement être remplie avant d'entreprendre des activités
commerciales; loin de revêtir un caractère accessoire, ce bien
est employé et risqué au sens le plus strict dans l'entreprise du
contribuable. Il s'agit d'un bien dont la société a eu l'usage ou
la possession aux fins de son entreprise.
Pour parvenir à cette conclusion, elle a distingué
entre le placement des bénéfices résultant d'opéra-
tions de change et le placement effectué pour satis-
faire à une condition qui doit obligatoirement être
remplie avant d'exploiter l'entreprise, selon le carac-
tère éloigné du «risque» auquel le bien est exposé.
Elle rappelle en page 520 qu'«[on] satisfait aux exi-
gences minimales du critère dès lors que le retrait du
bien aurait "un effet nettement négatif sur les opéra-
tions de la compagnie"», citant ainsi la décision
March Shipping Ltd y MNR, [1977] CTC 2527
(C.R.I.), en page 2531.
Les décisions susmentionnées ont été citées par les
avocats de l'une et l'autre parties. Selon celui de la
demanderesse, elles signifient que si le revenu prove-
nant d'une source qui pourrait être considérée comme
distincte à d'autres égards est inextricablement lié à
l'entreprise, la distinction s'estompe entre les
sources. À son avis, les critères relevés dans cette
jurisprudence et appliqués aux faits de la cause, por
tent à conclure que le produit de la liquidation des
contrats de vente à ternie faisait partie intégrante du
revenu tiré par la demanderesse de la production,
donc de ses bénéfices relatifs à des ressources. De
son côté, l'avocat de la défenderesse soutient que si
ces critères sont appliqués aux faits de la cause, la
demanderesse n'y satisfait pas, vu l'absence de lien
fonctionnel entre les contrats au comptant et les opé-
rations à terme, et que la production de la demande-
resse n'aurait pas été affectée faute de contrat à
terme; mais ce n'est là qu'une conjecture, elle n'a pas
plus de valeur que l'affirmation que si la, demande-
resse n'était pas un producteur d'argent, elle n'aurait
pas souscrit des contrats de vente à terme pour ce
métal.
À mon avis, les critères définis par la Cour d'appel
fédérale et la Cour suprême du Canada ne sont pas
directement applicables à l'interprétation des disposi
tions législatives qui nous intéressent en l'espèce.
Ces critères, qui visent la formulation plutôt spéci-
fique du paragraphe 129(4) de la Loi, ont été définis
pour la solution des litiges sur la distinction entre le
revenu de placements et le revenu d'entreprise. Ils
n' ont pas été élaborés pour permettre de décider si un
revenu provient ou non de la production de métaux
ou de minéraux au sens du paragraphe 1204(1) du
Règlement.
L'arrêt Imperial Tobacco, précité, de la Cour d'ap-
pel d'Angleterre, que cite aussi la demanderesse, por-
tait sur la classification aux fins de l'impôt, sous le
régime législatif en vigueur à l'époque, du bénéfice
tiré de la réalisation d'un fonds en devises étrangères
que détenait la contribuable en vue de l'achat du
tabac en feuilles à l'étranger. Bien que cette décision
concerne une loi et des circonstances qui ne sont pas
les mêmes qu'en l'espèce et doive ainsi faire l'objet
d'une distinction, la demanderesse soutient que le
principe qui y est invoqué est bien concluant. Dans
cette affaire, la contribuable faisait valoir qu'il ne
s'agissait pas d'un bénéfice tiré d'opérations de
change de la compagnie, mais d'un bénéfice prove-
nant d'un placement temporaire de capital; il a été
cependant jugé en première instance et en appel que
ce bénéfice représentait un revenu provenant d'opéra-
tions de change de la compagnie. En première ins
tance comme en appel, le principal facteur retenu par
la justice pour conclure que le bénéfice participait de
l'entreprise de la contribuable était l'intention qu'elle
avait au moment de l'acquisition des devises étran-
gères.
De son côté, l'avocat de la défenderesse soutient
que les mots «revenus tirés de la production au
Canada de métaux ou de minéraux jusqu'à un stade
qui ne dépasse pas le stade du métal brut », qui figu-
rent au sous-alinéa 1204(1)b)(ii), ont un sens plus
restrictif que celui qui s'attacherait au concept géné-
ral de «sources» qu'on trouve dans d'autres disposi
tions de la Loi; la signification de «production» y est
cernée dans des limites étroites. D'après cet argument
tel que je le comprends, le revenu provenant de toute
activité ne portant pas directement sur l'extraction de
métaux ou de minéraux jusqu'à un stade ne dépassant
pas celui du métal brut ne doit pas être inclus dans le
revenu tiré de la production proprement dite.
La défenderesse cite à l'appui plusieurs décisions,
lesquelles portent principalement sur les dispositions
législatives autres que le paragraphe 1204(1) du
Règlement mais engagent à une interprétation restric
tive du mot «production» en l'espèce. Dans R. c.
International Nickel Co. of Canada, Ltd., [1976] 2
R.C.S. 675, la Cour suprême du Canada a jugé que
les dépenses engagées par la contribuable pour la
recherche scientifique à long terme ne devaient pas
être déduites, en application du paragraphe 1201(4)
du Règlement tel qu'il était applicable à l'époque, des
«bénéfices qui peuvent être raisonnablement attribués
à la production de métal brut» aux fins du calcul de
l'allocation pour épuisement. La même disposition
fut interprétée dans Gunnar Mining Limited v. Minis
ter of National Revenue, [1968] R.C.S. 226, arrêt par
lequel la Cour suprême du Canada a jugé que [TRA-
DUCTION] «les bénéfices qui peuvent être raisonnable-
ment attribués à la production de métal brut ou de
minerai industriel» ne comprenaient pas le revenu
provenant du placement du surplus détenu par la con-
tribuable en vue du rachat futur d'obligations. De
même, la Cour suprême a conclu que le revenu de
placements n'était pas le «revenu provenant de l'ex-
ploitation d'une mine» au sens du paragraphe 83(5)
[S.R.C. 1952, ch. 148 (mod. par S.C. 1955, ch. 54,
art. 21) de la Loi en vigueur à l'époque, qui prévoyait
une exemption fiscale de 36 mois pour le revenu de
cette dernière catégorie. Il est clair que dans cette
cause, la Cour a fondé sa décision sur la conclusion
que les deux activités de la contribuable, savoir les
placements et la production de minerais, étaient deux
entreprises distinctes. Dans Cominco Ltd c La Reine,
[1984] CTC 548 (C.F. lre inst.), confirmé par arrêt
non publié du 2 décembre 1985, numéro du greffe
A-1324-84 (C.A.F), demande d'autorisation de pour-
voi rejetée [1986] 1 R.C.S. vii, mon collègue
Madame le juge Reed a conclu que les prestations
d'assurance contre les pertes d'exploitation n'étaient
pas comprises dans le calcul des bénéfices provenant
de la production que visait l'article 1201 du Règle-
ment (en vigueur avant le 6 mai 1974) ou des béné-
fices relatifs à des ressources que visait l'article 1204
(en vigueur après le 6 mai 1974). Ces prestations
d'assurance ne provenaient pas de la production de
minéraux, du moins dans cette cause où il n'y avait
pas de production de minéraux durant l'année d'im-
position en cause.
L'avocat de la défenderesse n'a pas cité la décision
Westar Mining Ltd. c. La Reine, [1988] 2 C.T.C. 349
(C.F. lre inst.), dans laquelle cette Cour a suivi la
décision Cominco au sujet des prestations d'assu-
rance contre les pertes d'exploitation sous le régime
du paragraphe 83(5) de la Loi, pour juger que ces
prestations ne représentaient pas un revenu «prove-
nant de l'exploitation d'une mine» au sens de cette
disposition en ce qui concernait l'exemption d'impôt.
Cette décision a été récemment infirmée par la Cour
d'appel [1992] 3 C.F. 110, motifs prononcés par le
juge Mahoney, J.C.A. (le juge Stone, J.C.A., y sous-
crivant, et le juge Linden, J.C.A., dissident). La Cour
d'appel a refusé d'adopter le raisonnement tenu dans
la décision Cominco qui portait sur d'autres disposi
tions du régime fiscal. Cette cause est fort instructive
en ce qu'elle a fait ressortir la nécessité d'appliquer
les dispositions de la Loi et du Règlement conformé-
ment à leur libellé.
À l'appui de son argument que le terme «produc-
tion» figurant au paragraphe 1204(1) du Règlement
doit être interprété de façon restrictive, la défende-
resse invoque également la décision Gulf Canada
Ltd. c. Canada, [1991] 1 C.T.C. 99 (C.F. lre inst.),
par laquelle le juge McNair a conclu que les dépenses
de recherche scientifique n'étaient pas comprises
dans les bénéfices de production imposables, qui
résultaient du calcul du revenu et des dépenses se
rapportant à «la production de pétrole, de gaz naturel
ou d'hydrocarbures apparentés, provenant de puits de
pétrole et de gaz au Canada» dans le cadre de l'article
124.2 de la Loi. (L'ancien article 124.1 prévoyait une
définition parallèle de «bénéfices de production
imposables tirés de ressources minérales au
Canada».) Dans cette cause, le juge McNair s'est
fondé sur les décisions International Nickel et
Cominco, précitées, ainsi que sur la définition de
«production» donnée par le juge Collier dans Texaco
Exploration Co. c. La Reine, [1976] 1 C.F. 323 (Ire
inst.), en pages 333 et 334 et, devant l'argument du
«concept de source» que faisait valoir la Couronne
pour inclure les dépenses de recherche dans le calcul
des bénéfices de production, il s'est prononcé en ces
termes (à la page 112):
Compte tenu de ces affaires, je ne puis souscrire à l'argu-
ment invoqué par l'avocat de la défenderesse, selon lequel le
revenu en vertu des articles 124.1 et 124.2 de la Loi doit être
calculé conformément au principe de la source. Selon mon
interprétation de ces dispositions, contrairement à ce que l'avo-
cat de la défenderesse laisse entendre, le calcul des bénéfices
de production imposables est indépendant du calcul du revenu
pour l'application de l'article 3 de la Loi. À mon avis, les
articles 124.1 et 124.2 établissent leur propre système distinct
d'inclusions dans le revenu et d'exclusions du revenu en ce qui
concerne les programmes spéciaux d'encouragement.
Depuis l'audition de la cause en instance, la Cour
d'appel fédérale a confirmé le jugement Gulf Canada
((1992), 92 DTC 6123, jugement de la Cour pro-
noncé par le juge Hugessen, J.C.A.), et en particulier
la conclusion du juge McNair que «les articles 124.1
et 124.2 établissent leur propre système distinct d'in-
clusions dans le revenu et d'exclusions du revenu en
ce qui concerne les programmes spéciaux d' encoura-
gement». La même conclusion a encore été confir-
mée avec force par la suite par le juge Mahoney,
J.C.A., qui rendait le jugement de la Cour dans Wes-
tar, précité, en page 4.
Dans Texaco Exploration, précité, mon collègue le
juge Collier, se prononçant entre autres sur l'applica-
tion des articles 1200 et 1201 du Règlement, en
vigueur à l'époque, à l'allocation pour épuisement
dans le contexte des bénéfices «pouvant raisonnable-
ment être attribués à la production de pétrole et de
gaz naturel», a défini «production» en ces termes [à
la page 333]:
A mon avis, l'expression «production de pétrole [ou] de
gaz» dans la présente action désigne l'extraction de gisements
souterrains et [la] mise à la disposition de l'homme d'une sub
stance primaire qui contient du gaz ainsi que d'autres matières.
Dans une note de bas de page [note 16, page 335], le
juge Collier ajoute qu'il n'a pas négligé cette
remarque du juge Judson dans Minister of National
Revenue v. Imperial Oil Co., [1960] R.C.S. 735, en
page 749: «Aucune compagnie ne réalise un bénéfice
réel en produisant simplement du pétrole. Il n'y a
aucun bénéfice jusqu'à ce que le pétrole soit vendu».
La même constatation sous-tend la conclusion tirée
par le juge Mahoney, J.C.A. dans l'arrêt Westar, pré-
cité (à la page 11), au sujet des mots «l'exploitation
d'une mine» figurant au paragraphe 83(5) de la Loi,
savoir que «[le] revenu provient de l'exploitation
d'une mine en tant qu'activité économique et non des
actes matériels qui consistent à extraire et à transfor
mer le minerai».
Selon la défenderesse, le bénéfice réalisé à la liqui
dation des contrats de vente à terme ne peut être con-
sidéré comme revenu tiré de la production de métaux
ou de minéraux au Canada que si cette liquidation fait
partie intégrante de l'entreprise de production d'ar-
gent de la demanderesse.
Pour que cette dernière condition soit remplie, sou-
tient la défenderesse, il faut qu'il y ait un lien entre
les contrats de vente au comptant de la production
effective d'une part, et les contrats de vente à terme
et leur liquidation d'autre part. De l'avis de son avo-
cat, rien ne prouve qu'un tel lien existe, étant donné
la séparation fonctionnelle des deux marchés, leur
indépendance réciproque, et étant donné qu'il n'y a
aucune corrélation directe entre la vente du minerai
enrichi et la liquidation des contrats de vente à terme
d'argent. À ce dernier sujet, il rappelle en particulier
qu'il n'y a aucune preuve de communication directe
entre ceux qui s'occupaient des opérations à terme (à
Philadelphie) et ceux qui s'occupaient des opérations
de production (à Port Radium et à Edmonton).
L'avocat de la défenderesse soutient encore que la
même activité ne peut avoir deux sources de revenu
lorsqu'il s'agit d'impôt. Cette conclusion vise à réfu-
ter l'avis de M. Parsons selon lequel le bénéfice ou la
perte résultant des opérations de couverture peut être,
jusqu'à concurrence de la production réelle, consi-
déré comme revenu de production aux fins de l'im-
pôt, alors que l'excédent au-dessus de la production
effective doit être considéré comme revenu de place
ments. Je ne trouve pas cet argument convaincant
puisque le litige en l'espèce porte sur la question de
savoir quelle fraction du revenu total doit être incluse
en application du paragraphe 1204(1) du Règlement
dans le calcul des bénéfices relatifs à des ressources
aux fins d'allocation ou de déduction.
La défenderesse soutient en dernier lieu que les
activités de la demanderesse ne constituaient pas des
opérations de couverture vu l'absence de concor
dance entre contrats de vente à terme et contrats de
vente au comptant des quantités produites; et qu'à
supposer même que les contrats de vente à terme
représentent des opérations de couverture, ils ne fai-
saient pas partie intégrante de l'entreprise de produc
tion d'argent de la demanderesse. Bien que les opéra-
tions de couverture aient pu faire partie intégrante des
méthodes de commercialisation de la demanderesse,
ce fait n'est pas suffisant pour que le revenu tiré des
opérations de couverture puisse être considéré
comme revenu tiré de la production d'argent.
À l'appui de ce dernier argument, l'avocat de la
défenderesse a essayé de faire valoir a contrario l'ar-
rêt Tip Top Tailors Limited v. The Minister of Natio
nal Revenue, [1957] R.C.S. 703, où il a été jugé que
le bénéfice réalisé sur des devises étrangères par suite
du règlement d'une marge de crédit antérieurement
négociée par la contribuable pour protéger son pou-
voir d'achat à l'étranger était un revenu et non un élé-
ment du capital du point de vue de l'impôt. Le juge
Rand voyait dans la marge de crédit un capital d'ex-
ploitation utilisé dans l'entreprise de la contribuable,
alors que pour le juge Locke, il s'agissait en l'occur-
rence d'une [TRADUCTION] «méthode de rentabilisa-
tion dans un élément essentiel des opérations de
change de l'appelante, savoir l'achat de fonds en
livres sterling, et faisant partie d'une opération com-
merciale intégrée, savoir l'achat de fournitures et leur
paiement en cette devise» (à la page 706).
J'ai noté plus haut que la défenderesse invoque
Marsh & McLennan Ltd. et Ensite, précitées et sou-
tient que les activités de la demanderesse ne satisfont
pas au critère des activités intégrées que définissent
ces décisions, savoir le critère de l'«utilisation
comme capital de risque» énoncé par le juge Le Dain,
J.C.A., dans la première décision, et la définition
donnée par Madame le juge Wilson dans Ensite, [à la
page 520] de «risqué» comme signifiant que «le
retrait du bien "aurait un effet nettement négatif sur
les opérations de la compagnie ... "».
La défenderesse cite en dernier lieu Atlantic Sugar
Refineries v. Minister of National Revenue, [1949]
R.C.S. 706, arrêt par lequel la Cour suprême du
Canada a conclu que les bénéfices réalisés à la vente
de contrats d'achat à terme de sucre, achetés à titre
ponctuel par la contribuable pour garantir les appro-
visionnements futurs aux prix en cours, en prévision
d'une hausse des prix du sucre à l'éclatement de la
Seconde Guerre mondiale, constituaient un revenu
imposable à titre de revenu tiré de son entreprise nor-
male. Le juge Kerwin s'est prononcé en ces termes
(aux pages 709 et 710):
[TRADUCTION] La compagnie, se retrouvant dans une situa
tion anormale à cause des divers facteurs susmentionnés, ... a
décidé de protéger les intérêts financiers de l'appelante par des
opérations de bourse commerciale. Il ne s'agissait là ni d'un
placement de fonds non utilisés, ni d'une aliénation d'élément
d'actif. On ne saurait dire que ces opérations n'ont rien à voir
avec l'entreprise de l'appelante, et c'est incidemment qu'il y a
eu spéculation sur du sucre non raffiné. Quand bien même ce
serait la seule opération de cette nature, il faut conclure, à la
lumière de l'ensemble des preuves produites, que ces opéra-
tions faisaient partie intégrante de l'entreprise ou de la profes
sion de l'appelante, et que le bénéfice réalisé était bien un
bénéfice de l'entreprise au sens de l'article 3 de la Loi.
Ce qu'il y a de particulièrement intéressant dans
l'arrêt Atlantic Sugar Refineries, c'est que la contri-
buable, essayant de faire classer les bénéfices en
cause comme revenu de placements et non comme
revenu tiré de son entreprise, a cherché à prouver que
ses opérations à terme ne pouvaient être qualifiées
d'opérations de couverture. Le juge Locke, aux
motifs duquel a souscrit le juge Kellock, s'est pro-
noncé en ces termes sur le témoignage en la matière,
en pages 711 et 712:
[TRADUCTION] Le témoin fait savoir qu'en cas d'opération de
couverture, la vente à terme se synchronise avec l'achat de la
marchandise, alors qu'en l'espèce, les ventes à découvert ont
été étalées sur un mois après les achats au comptant. À mon
avis, ce fait n'affecte pas la question à trancher. Bien qu'elles
n'aient pas eu lieu en même temps que les achats, les ventes à
découvert constituaient en fait une opération de couverture
effectuée par la compagnie pour se protéger contre les pertes à
l'achat, et ce n'est qu'à la mise en place le 2 octobre des
mesures de contrôle [par le gouvernement en application de la
Loi sur les mesures de guerre] que les opérations de couverture
sont devenues désavantageuses. Dans les milieux où les pro-
duits naturels sont achetés en grande quantité, les opérations de
couverture sont courantes, voire nécessaires dans certains cas,
et le coût de ces opérations dans les commerces de ce genre est
à bon droit déductible à titre de frais d'exploitation de l'entre-
prise. Dans les cas où, comme en l'espèce, le spéculateur choi-
sit de liquider les ventes à découvert et de réaliser un bénéfice,
celui-ci peut être qualifié à bon droit de bénéfice résultant de
l'opération à terme.
L'avocat de la défenderesse soutient qu'il faut dis-
tinguer la décision Atlantic Sugar Refineries de l'af-
faire en instance à deux égards: en premier lieu, elle
était fondée sur les circonstances extraordinaires qui
caractérisaient cette cause; en second lieu, le litige
portait sur la question de savoir si le bénéfice en
cause était un revenu tiré de l'entreprise ou un gain
en capital, la distinction entre les deux étant bien plus
générale qu'en l'espèce, où il échet d'examiner si le
bénéfice doit être considéré comme provenant d'une
source en particulier, savoir la «production», à l'inté-
rieur du revenu tiré de l'entreprise.
Décision
Je conclus que les opérations concernant les con-
trats de vente à terme conclus pour le compte de la
demanderesse constituent des opérations de «couver-
ture» au sens de la définition donnée par l'expert cité
par la demanderesse, M. Bowles, et acceptée par la
Cour comme par les avocats des deux parties. Je tire
cette conclusion après examen approfondi des argu
ments avancés pour le compte de la défenderesse,
selon lesquels il ne faut pas considérer ces opérations
comme telles puisqu'elles ont été effectuées par la
compagnie mère de la demanderesse et que la Cour
n'a été saisie d'aucune preuve de concertation étroite
avec les dirigeants ou employés de la demanderesse.
En outre, la défenderesse fait valoir qu'il n'y a pas eu
concordance suffisante entre les deux ensembles
parallèles d'opérations, pour ce qui est de la quantité
produite, de la date de livraison et de la date de liqui
dation des contrats de vente à terme, mais je note
qu'il n'y a aucune preuve de corrélation ou de défaut
de corrélation. En fait, le seul témoignage donné à ce
sujet est celui de M. Jenner, savoir que les contrats de
vente à terme étaient des opérations de couverture
visant à garantir la marge bénéficiaire en fixant le
prix de la production future sur un marché changeant,
et que les contrats de vente à terme n'excédaient pas
la production prévue; il y a aussi l'aveu par l'avocat
de la demanderesse que certains de ces contrats de
vente à terme ont été liquidés avant l'échéance. M.
Jenner témoigne que les estimations sur lesquelles
ont été fondées les ventes à terme étaient, dans l'en-
semble, très proches des quantités effectivement pro-
duites. Ces estimations étaient constamment révisées
afin que les quantités d'argent vendu à terme n'excè-
dent pas la production effective. Il est vrai que les
contrats de vente à terme ont été conclus par les diri-
geants de la compagnie mère, par instructions don-
nées à des maisons de courtage américaines, mais ces
opérations ont été effectuées pour le compte de la
demanderesse et n'ont été inscrites que dans les livres
de cette dernière; j'en conclus qu'elles doivent être
considérées comme ayant été effectuées par la
demanderesse elle-même. La concordance exacte
n'était pas possible dans les faits; elle n'est pas non
plus essentielle pour qu'il y ait opération de couver-
ture. Pour cette dernière conclusion, je me suis ins-
piré des motifs prononcés par le juge Locke dans
Atlantic Sugar Refineries, précité.
J'en viens maintenant à la question de savoir si, à
supposer que les opérations en cause de la demande-
resse soient des opérations de couverture, il y a inter-
connexion ou intégration suffisante avec son entre-
prise de production d'argent pour que les bénéfices
résultant de ces opérations puissent être assimilés au
revenu tiré de la même entreprise.
Je ne trouve pas convaincant l'argument avancé
par la défenderesse pour justifier une interprétation
restrictive des mots «revenus ... tirés ... de la pro-
duction au Canada ... de métaux ou de minéraux»
figurant au paragraphe 1204(1). La jurisprudence
citée à l' appui de cette interprétation portait sur
d'autres dispositions législatives et, tout intéressante
qu'elle soit, ne résout pas le point litigieux en l'es-
pèce. De surcroît, cet argument me paraît plutôt
oblique puisqu'il présuppose que les contrats de
vente à terme et leur liquidation, ainsi que le paie-
ment par la raffinerie acheteuse au prix du marché 60
jours après livraison du produit par la demanderesse,
étaient des opérations tout à fait séparées et à part au
sein de l'entreprise de cette dernière. Or cette ques
tion est justement au coeur du litige.
À la lecture du paragraphe 1204(1), je note qu'il
serait plus fidèlement représenté par un extrait plus
complet des mots servant à définir «bénéfices relatifs
à des ressources» que l'extrait cité par la défende-
resse. Ainsi, ces bénéfices sont définis, en partie à
l'alinéa b), comme le «montant ... de l'ensemble
de ... revenus ... tirés ... de la production au
Canada ... de métaux ou de minéraux» [jusqu'à un
stade qui ne dépasse pas le stade du métal brut].
L'emploi des mots «ensemble» et «revenus», et l'in-
clusion implicite, par l'effet du paragraphe 1204(3),
du «revenu ... qui est le résultat du transport, du
convoiement ou du traitement» [jusqu'à un stade qui
ne dépasse pas celui du métal brut] pour ce qui est
des métaux et minéraux visés à l'alinéa 1204(1)b),
signifient l'un et l'autre que le revenu de «produc-
tion» peut provenir de diverses activités à condition
que celles-ci fassent partie intégrante des opérations
de production. Or la production n'engendre d'elle-
même aucun revenu s'il n'y a pas de vente. Les opé-
rations qui peuvent raisonnablement être reliées à la
commercialisation du produit et qui sont entreprises
pour garantir que celui-ci soit vendu à un prix satis-
faisant, pour produire un revenu avec espoir de béné-
fices, sont à mes yeux des activités faisant partie inté-
grante de la production qui vise à rapporter un revenu
et des bénéfices relatifs à des ressources au sens du
paragraphe 1204(1) du Règlement.
L'avocat de la demanderesse soutient que si les
contrats conclus avec la raffinerie acheteuse avaient
prévu un prix garanti pour les livraisons futures de
minerai d'argent enrichi, le revenu tiré de ces ventes
aurait été de toute évidence un revenu tiré de la pro
duction. Dans les faits, les acheteurs de minerai enri-
chi de métal précieux, qui doivent faire face eux-
mêmes à un marché changeant pour leur propre pro-
duit, ne s'engagent pas à payer un prix garanti pour
les livraisons futures, indépendamment du prix ayant
cours sur le marché à la date de livraison. En l'es-
pèce, la demanderesse a pris la seule option possible
pour s'assurer le prix des livraisons futures, en ven-
dant et en liquidant des contrats de vente à terme. Il
s'agit là d'une opération de couverture, visant à
réduire au minimum les risques de perte sur les
ventes futures en garantissant un revenu aux prix
ayant cours à la date de la conclusion des contrats de
vente à terme. Ce revenu était le produit des ventes à
la raffinerie acheteuse, conjugué au bénéfice ou à la
perte résultant de la liquidation des contrats de vente
à terme.
Je conclus que le prix reçu par la demanderesse
pour l'argent qu'elle produisait était la somme des
montants reçus à la livraison de l'argent effective-
ment produit et à la liquidation des contrats de vente
à terme. L'entreprise de la demanderesse consistait à
produire de l'argent. Dans les cas où elle participait à
la passation et à la liquidation de contrats de vente à
terme à titre de couverture contre les fluctuations du
prix de l'argent, la marchandise visée par ces contrats
étant l'argent, je conclus qu'elle n'a pas effectué ces
opérations à terme à titre de placements. La passation
et la liquidation de contrats de vente à terme visaient
un but indissociable de son entreprise, ce but étant
intégré avec ses ventes au comptant du produit pour
rapporter un revenu: elle ne faisait que se garantir un
prix pour l'argent qu'elle produisait. Cette activité
s'apparente à celle entreprise par la contribuable dans
Tip Top Tailors, précité, pour s'assurer à un prix
garanti les matières premières nécessaires à son
entreprise.
En l'espèce, les contrats de vente à terme et la pro
duction de la demanderesse concernaient la même
marchandise; l'une et l'autre activités faisaient, à
mon avis, partie intégrante de son entreprise de pro
duction d'argent, et les bénéfices provenant de ces
activités constituaient un revenu tiré de la production
au sens du paragraphe 1204(1) du Règlement.
Enfin, les conclusions que je tire en l'espèce s'ac-
cordent avec la décision unanime de la Cour suprême
du Canada dans Atlantic Sugar Refineries. Du fait
qu'en l'espèce, les opérations en cause n'étaient pas
isolées mais faisaient partie intégrante des activités
de la demanderesse, le raisonnement tenu dans cet
arrêt est d'autant plus, et non pas moins, applicable à
la cause en instance.
Qui plus est, cette solution correspond aux usages
de ce secteur d'activité et aux principes comptables
généralement reconnus, lesquels, s'ils ne sont pas
déterminants du traitement fiscal, dans le cadre de
l'article 1204 du Règlement, du revenu tiré par la
demanderesse de la production, reflètent néanmoins
la réalité des opérations de la contribuable. Dans la
mesure du possible, les tribunaux doivent interpréter
les dispositions législatives de la Loi de l'impôt sur le
revenu et du Règlement à la lumière de cette réalité
(voir McClurg c. Canada, précité). Ce serait faire
preuve de rigorisme excessif que d'empêcher le con-
tribuable de tirer profit de divers marchés dans la
commercialisation de ses marchandises, à moins de
disposition expresse de la loi à cet effet.
Conclusion
L'appel de la demanderesse est accueilli, dans la
mesure où les bénéfices réalisés à la liquidation des
contrats de vente à terme d' argent correspondent à sa
production effective d'argent pour l'année d'imposi-
tion 1980.
L'affaire est renvoyée au ministre du Revenu
national pour nouvel examen et nouvelle cotisation
conformes aux présents motifs.
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