T-514-91
Joseph Marcel André Lachance (demandeur)
c.
Sa Majesté la Reine (défenderesse)
RÉPERTORIÉ.' LACNANCE C. CANADA (Ire INST..)
Section de première instance, juge Pinard—Montréal,
2 septembre; Ottawa, 4 septembre 1992.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Le contribuable,
associé d'un cabinet de conseillers, s'est retiré de la société —
II a reçu un paiement du cabinet en sus de sa part des profits
pour l'exercice financier — Résidant exclusivement au Qué-
bec, il a rédigé en conséquence sa déclaration d'impôt pour
l'année d'imposition 1984 — Le ministre a établi une nouvelle
cotisation dans laquelle il exigeait des impôts provinciaux en
fonction de la répartition des revenus du cabinet par province
— Le Règlement traite, à l'art. 2601, du revenu gagné dans
une province par un particulier qui a un établissement stable
— L'art. 96(1.1) de la Loi dit que l'associé qui se retire en
ayant droit à une part des profits est réputé être membre de la
société — L'art. 96(1.1) s'applique-t-il au calcul du revenu ou
des pertes de l'associé qui se retire? — Il est dit qu'il s'ap-
plique aux fins de l'art. 96(1) — L'objet de l'art. 96(1) vise les
modalités du calcul du revenu du cabinet — Cette disposition
ne s'applique pas à l'assujettissement fiscal de l'associé qui se
retire.
Il s'agit d'un appel contre la décision par laquelle la Cour
canadienne de l'impôt rejetait l'appel du contribuable d'une
nouvelle cotisation établie pour l'année d'imposition 1984. Le
contribuable, un ingénieur, était devenu en 1972 associé de
Woods, Gordon, un cabinet ,de conseillers en gestion; son con-
trat de société avait été renouvelé intervalles plus ou moins
réguliers jusqu'en 1983, époque à laquelle le contribuable
s'était retiré de la société. Aux termes du contrat de société, le
contribuable a touché la somme de 51 700 $, en sus de sa part
des profits du cabinet pour l'exercice financier. Le contribua-
ble vivait exclusivement au Québec et n'avait aucun établisse-
ment stable ailleurs; il a donc rédigé sa déclaration d'impôt
pour 1984 en conséquence. Le ministre s'est montré d'avis que
le revenu du contribuable pour l'année provenait de différentes
provinces en fonction de la répartition, par province, des reve-
nus de Woods, Gordon, allant de 0,7 % pour le Nouveau-
Brunswick à 62,6 % pour l'Ontario. Le ministre a donc exigé
des impôts provinciaux additionnels de 13 400 $. Le para-
graphe 96(1) de la Loi prévoit que le revenu d'un membre
d'une société se calcule comme si la société était un particulier.
L'article 2601 du Règlement de l'impôt sur le revenu prévoit
que le revenu gagné par un particulier dans une province est la
différence entre son revenu global et son revenu provenant de
l'extérieur de la province. L'alinéa 96(1.1)a) prévoit qu'aux
fins du paragraphe 96(1) l'associé qui se retire et qui a droit à
une part des profits est réputé être membre de la société; et
l'alinéa b) prévoit que la part du membre de la société des pro-
fits de cette dernière—ou de ses pertes—doit être incluse dans
son revenu.
Jugement: l'appel doit être accueilli.
Les mots aux paragraphes 96(1) et 96(1.1) de la Loi de l'im-
pôt sur le revenu doivent s'interpréter selon leur contexte et
leur sens ordinaire, en harmonie avec la forme et l'objet de la
Loi et l'intention du législateur, conformément aux règles con-
temporaines d'interprétation législative formulées par Dreidger
et adoptées par la Cour suprême. Le paragraphe 96(1.1) n'a pas
pour objet de déterminer les modalités du calcul du revenu ou
de la perte en fonction desquels sera établie la cotisation d'un
associé qui se retire. Selon son libellé, le paragraphe ne s'ap-
plique qu'«aux fins du paragraphe (1) et des articles 101 et
103». Les fins du paragraphe 96(1) consistent strictement à
déterminer les modalités du calcul, pour une année d'imposi-
tion, du revenu ou d'une perte d'un contribuable qui est mem-
bre d'une société. Ces dispositions ne peuvent s'appliquer pour
déterminer l'assujettissement fiscal d'un «associé qui se retire»
au sens du paragraphe 96(1.1).
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63,
art. 96 (mod. par S.C. 1974-75-76, ch. 26, art. 60;
1980-81-82-83, ch. 47, art. 53 (item 12); 1984, ch. 1,
art. 43), 120 (mod. par S.C. 1973-74, ch. 45, art. 8;
1977-78, ch. 1, art. 57; 1980-81-82-83, ch. 48, art. 66;
ch. 140, art. 79).
Règlement de l'impôt sur le revenu, C.R.C., ch. 945,
art. 2600 (mod. par DORS/78-772, art. 3; DORS/81-
267, art. 3), 2601, 2603.
JURISPRUDENCE
DECISION APPLIQUÉE:
Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536;
[1984] CTC 294; (1984), 84 DTC 6305; 53 N.R. 241.
DECISION CITÉE:
Harel c. Sous-ministre du revenu du Québec, [1978]
1 R.C.S. 851; (1977), 80 D.L.R. (3d) 556; [1977] CTC
441; 77 DTC 5438; 18 N.R. 91.
APPEL d'une décision de la Cour canadienne de
l'impôt confirmant la nouvelle cotisation du ministre.
Appel accueilli.
AVOCATS:
Guy Du Pont et Ariane Bourque pour le deman-
deur.
Pierre Cossette pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Phillips & Vineberg, Montréal, pour le deman-
deur.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE PINARD: Le demandeur en appelle d'un
jugement de la Cour canadienne de l'impôt, daté du
13 novembre 1990, rejetant son appel d'une cotisa-
tion émise le 3 octobre 1985 ayant trait à l'année
d'imposition 1984. Aux termes de cette cotisation, le
ministre du Revenu national a réparti les revenus pro-
fessionnels du demandeur entre huit provinces autres
que le Québec, a prélevé des impôts provinciaux au
montant de 13 449,71 $ que, suivant cette répartition,
le demandeur aurait dû payer à ces huit provinces et
a, par conséquent, réduit l'abattement fiscal réclamé
par le demandeur pour les impôts de la province de
Québec. Il s'agit bien sûr d'un appel de novo.
Les faits pertinents à cette action ne sont pas con
testés. Le demandeur était, depuis 1962, membre en
règle de l'Ordre des ingénieurs de la province de
Québec. Le ler février 1972, il devint associé aux
termes d'un contrat écrit de société intervenu entre
lui et Woods, Gordon («WG»), un cabinet de conseil-
lers en administration faisant affaires en société.
Ledit contrat a été renouvelé à intervalles plus ou
moins réguliers et sa dernière version fut exécutée
vers le ler février 1983.
L'exercice financier de la société WG était clos le
31 janvier de chaque année.
Le 30 septembre 1983, le demandeur avisa formel-
lement WG qu'il se retirait de la société. Le 7 novem-
bre 1983, le demandeur et WG procédèrent à la déter-
mination des différentes sommes auxquelles le
demandeur avait droit suite à son retrait de la société
et, à cet égard, concilièrent une entente écrite. Le
retrait du demandeur prit effet le 15 novembre 1983.
Le calcul, arrêté au 15 novembre 1983, des
sommes auxquelles avait droit le demandeur, en vertu
du contrat de société, établit les montants suivants:
Compte de capital: 21 000,00 $
Compte de revenu réputé régulier: 6 049,76 $
Crédit spécial: 24 648,00 $
En outre, le demandeur a eu droit à sa part des pro
fits de WG pour la période du l er février 1983
au 15 novembre 1983, soit approximativement
110 734,94 $.
Suite à son retrait de la société, soit après le 15
novembre 1983, le demandeur cessa de rendre des
services à la société et, par ailleurs, d'en retirer
d'autres revenus et avantages. Au cours de l'année
d'imposition 1984, il résidait exclusivement au Qué-
bec et n'avait aucun établissement stable à l'extérieur
de cette province.
WG, au cours de l'année d'imposition 1984, répar-
tit ainsi les revenus de la société:
Terre-Neuve 1,2%
Nouvelle-Écosse 1,0%
Nouveau-Brunswick 0,7%
Ontario 62,6%
Manitoba 2,7%
Saskatchewan 2,4%
Alberta 11,5%
Colombie-Britannique 5,1%
Québec 12,8%
100,00%
Le 26 avril 1985, le demandeur produisit sa décla-
ration de revenus pour l'année d'imposition 1984. Il
établit son revenu imposable et calcula ses impôts en
fonction du fait qu'au cours de cette année d'imposi-
tion, il résidait uniquement au Québec et n'avait pas
d'établissement stable à l'extérieur de cette province,
attribuant à cette dernière la totalité de ses revenus
dont ceux provenant de WG.
Le 3 octobre 1985, le ministre du Revenu national
émit une cotisation aux termes de laquelle il répartit
le revenu du demandeur pour l'année d'imposition
1984 en fonction de la répartition de WG à travers le
Canada, prélevant ainsi des impôts provinciaux addi-
tionnels de 13 449,71 $ plus des intérêts, et réduisant
le dégrèvement pour l'impôt du Québec de
6 138,20 $ à 4 830,31 $. Ces impôts provinciaux se
détaillaient comme suit:
Terre-Neuve 227,76 $
Nouvelle-Écosse 176,05 $
Nouveau-Brunswick 128,15 $
Ontario 9 739,66 $
Manitoba 490,15 $
Saskatchewan 384,30 $
Alberta 1 569,94 $
Colombie-Britannique 733,70 $
Total 13 449,71 $
Il importe, ici, de reproduire les dispositions légis-
latives et réglementaires pertinentes suivantes:
Dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu (la «Loi»),
S.C. 1970-71-72, ch. 63, et ses amendements, en vigueur à
l'époque pertinente [art. 96 (mod. par S.C. 1974-75-76, ch. 26,
art. 60; 1980-81-82-83, ch. 47, art. 53 (item 12); 1984, ch. 1,
art. 43), 120 (mod. par S.C. 1973-74, ch. 45, art. 8; 1977-78,
ch. 1, art. 57; 1980-81-82-83, ch. 48, art. 66; ch. 140, art. 79]
96. (1) Lorsqu'un contribuable est membre d'une société,
son revenu, le montant de sa perte autre qu'une perte en capi
tal, de sa perte en capital nette, de sa perte agricole restreinte et
de sa perte agricole, s'il y en a, pour une année d'imposition,
ou son revenu imposable gagné au Canada pour une année
d'imposition, selon le cas, est calculé comme si
a) la société était une personne distincte résidant au Canada;
b) l'année d'imposition de la société correspondait à son
exercice financier;
c) chaque activité de la société (y compris une activité rela
tive à la propriété de biens) était exercée par celle-ci en tant
que personne distincte, .. .
f) le montant du revenu de la société, pour une année d'im-
position, tiré d'une source quelconque ou de sources situées
dans un endroit donné, constituait le revenu du contribuable
tiré de cette source ou de sources situées dans cet endroit
donné, selon le cas, pour l'année d'imposition du contribua-
ble au cours de laquelle l'année d'imposition de la société se
termine, jusqu'à concurrence de la part du contribuable,
et. ..
(1.1) Aux fins du paragraphe (1) et des articles 101 et 103,
a) lorsque la principale activité d'une société consiste à
exploiter une entreprise au Canada et que ses membres ont
conclu une entente afin d'allouer une part du revenu ou de la
perte de la société provenant d'une ou de plusieurs sources
en un lieu donné, selon le cas, à tout contribuable qui, à un
moment donné, a cessé d'être membre
(i) de la société, ou
(ii) d'une société qui, à un moment donné a cessé d'exis-
ter ou qui, sans le paragraphe 98(1), aurait cessé d'exister
et dont
(A) les membres, ou
(B) les membres d'une autre société dont, immédiate-
ment après cette date, les membres mentionnés à la dis
position (A) sont devenus membres
ont conclu une telle entente d'allocation
au conjoint, à la succession ou aux héritiers ou à toute per-
sonne mentionnée au paragraphe (1.3), ce contribuable, son
conjoint, sa succession ou ses héritiers, ou cette personne,
sont, selon le cas, réputés être membres de la société; et
b) tous les montants, dont chacun est égal à la part du revenu
ou de la perte mentionnée au présent paragraphe, qu'alloue
une société à un contribuable pour un exercice financier
donné de la société doivent, nonobstant toute autre disposi
tion de la présente loi, être inclus dans le calcul du revenu
du contribuable pour son année d'imposition au cours de
laquelle se termine cet exercice financier de la société.
(1.4) Aux fins de la présente loi, le droit à une part du
revenu ou de la perte d'une société, aux termes d'une entente
mentionnée au paragraphe (1.1), est réputé ne pas être un bien
en immobilisations.
(1.6) Lorsqu'une société exploite une entreprise au Canada
au cours d'une année d'imposition, chaque contribuable qui est
réputé aux termes de l'alinéa (1.1)a) être un membre de la
société est, aux fins du paragraphe 2(3), réputé exploiter cette
entreprise au Canada au cours de l'année.
120. (1) Il doit être ajouté à l'impôt qu'un particulier est par
ailleurs`tenu de payer pour une année d'imposition, en vertu de
la présente partie, une somme qui est par rapport à 47% de
l'impôt qu'il est par ailleurs tenu de payer pour l'année en
vertu de la présente partie, ce que
a) son revenu pour l'année, autre qu'un revenu gagné dans
une province pour l'année,
(2) Chaque particulier est réputé avoir payé, de la manière et
aux dates prescrites, au titre de son impôt pour une année d'im-
position, en vertu de la présente partie, une somme qui est par
rapport à 3% de l'impôt qu'il est par ailleurs tenu de payer
pour l'année, en vertu de la présente partie, ce que
a) son revenu gagné dans l'année dans une province qui, le
leC janvier 1973, était une province accordant des allocations
scolaires au sens où l'entend la Loi sur les allocations aux
jeunes,
est par rapport
b) à son revenu pour l'année.
(4) Dans le présent article,
a) «revenu gagné dans l'année dans une province» signifie
les montants déterminés conformément aux règles prescrites
à cette fin par les règlements établis sur l'avis du ministre
des Finances...
Dispositions du Règlement de l'impôt sur le revenu
(le «Règlement»), en vigueur à l'époque pertinente [C.R.C.,
ch. 945, art. 2600 (mod. par DORS/78-772, art. 3; DORS/81-
267, art. 3), 2601, 2603]
PARTIE XXVI
REVENU GAGNÉ DANS UNE PROVINCE PAR UN PARTICULIER
Interprétation
2600. (1) Pour l'application de l'alinéa 120(4)a) de la Loi, le
«revenu gagné dans l'année dans une province» par un particu-
lier signifie l'ensemble de ses revenus gagnés pendant l'année
d'imposition dans chaque province, tels qu'ils sont établis en
conformité avec la présente partie.
(2) Dans la présente partie, «établissement stable» signifie
une place fixe d'affaires du particulier, y compris un bureau,
une succursale, une mine, un puits de pétrole, une exploitation
agricole, une terre à bois, une usine, un atelier ou un entrepôt,
et
a) lorsqu'un particulier exploite une entreprise par l'inter-
médiaire d'un employé ou mandataire, établi à un endroit
particulier, qui a l'autorité générale de passer des''contrats
pour son employeur ou mandant ou qui dispose d'un stock
de marchandises appartenant à son employeur ou mandant et
dont il remplit régulièrement les commandes qu'il reçoit, le
particulier est censé avoir un établissement stable à cet
endroit;
b) lorsqu'un particulier utilise des machines ou du matériel
substantiels à un endroit particulier, à toute époque de l'an-
née d'imposition, il est censé avoir un établissement stable à
cet endroit; et
c) le fait qu'un particulier a des relations d'affaires par l'in-
termédiaire d'un agent à commission, d'un courtier ou autre
agent indépendant ou maintient un bureau seulement pour
acheter des marchandises ne signifie pas en soi que le parti-
culier a un établissement stable.
Résidents du Canada
2601. (1) Lorsqu'un particulier a résidé dans une province
particulière le dernier jour d'une année d'imposition et n'a tiré
aucun revenu pour l'année d'une entreprise ayant un établisse-
ment stable hors de la province, son revenu gagné pendant
l'année d'imposition dans la province est son revenu pour l'an-
née.
(2) Lorsqu'un particulier résidait dans une province particu-
lière le dernier jour d'une année d'imposition et a tiré un
revenu pour l'année d'une entreprise ayant un établissement
stable hors de la province, son revenu gagné pendant l'année
d'imposition dans la province est le montant, s'il en est, par
lequel
a) son revenu pour l'année
dépasse
b) l'ensemble de son revenu pour l'année provenant de
l'exercice d'une entreprise, gagné dans chaque autre pro
vince et dans chaque pays autre que le Canada et établi ainsi
qu'il est exposé plus loin dans la présente partie.
(3) Lorsqu'un particulier, qui résidait au Canada le dernier
jour d'une année d'imposition et qui a exercé une entreprise
dans une province particulière à toute époque de l'année, ne
résidait pas dans la province le dernier jour de l'année, son
revenu gagné pendant l'année d'imposition dans la province
est son revenu pour l'année provenant de l'exercice d'une
entreprise, gagné dans la province et établi ainsi qu'il est
exposé plus loin dans la présente partie.
Revenu d'une entreprise
2603. (1) Lorsque, pendant une année d'imposition, un par-
ticulier avait un établissement stable dans une province parti-
culière ou dans un pays autre que le Canada et n'avait pas
d'établissement stable hors de cette province ou de ce pays, la
totalité du revenu qu'il a tiré de l'exercice d'une entreprise
pour l'année est censée avoir été gagnée dans cette province ou
ce pays.
(2) Lorsque, pendant une année d'imposition, un particulier
n'avait pas d'établissement stable dans une province particu-
lière ou dans un pays autre que le Canada, aucune partie de son
revenu tiré pour l'année de l'exercice d'une entreprise n'est
censée avoir été gagnée dans cette province ou ce pays.
Étant acquis que l'entente du 7 novembre 1983
entre le demandeur et la société WG donne ouverture
à l'application appropriée du paragraphe 96(1.1) ci-
dessus de la Loi, la question fondamentale consiste
donc à déterminer si cette dernière disposition, tel
que le soutient la défenderesse, permettait au ministre
du Revenu national de recourir au paragraphe 96(1)
ci-dessus de la Loi pour cotiser le demandeur comme
il l'a fait en regard de l'année d'imposition 1984. En
d'autres termes, le ministre pouvait-il, par le biais des
paragraphes 96(1.1) et 96(1) de la Loi, faire en sorte
que le demandeur, dans les circonstances, ne puisse
voir la totalité de ses revenus, pour l'année d'imposi-
tion 1984, être attribuée à la seule province de Qué-
bec?
La position de la défenderesse, à cet égard, m'ap-
paraît inconciliable avec le texte même dudit para-
graphe 96(1.1) de la Loi lu en corrélation avec le
paragraphe 96(1) de la même Loi, paragraphes dont
les dispositions doivent être interprétées selon le sens
grammatical et ordinaire des mots qu'elles compor-
tent, compte tenu de leur contexte global, compte
tenu de la forme et de l'objet de la Loi et enfin,
compte tenu de l'intention du Parlement. J'applique
ainsi la règle moderne d'interprétation des textes
législatifs telle que définie par l'auteur E. A. Dreid-
ger et rapportée comme suit par la Cour suprême du
Canada, appelée à interpréter les dispositions de la
Loi de l'impôt sur le revenu, dans Stubart Investments
Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, à la page 578:
Bien que les remarques de E. A. Dreidger dans son ouvrage
Construction of Statutes (2e éd. 1983), la p. 87, ne visent pas
uniquement les lois fiscales, il y énonce la règle moderne de
façon brève:
[TRADUCTION] Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou
solution: il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte
global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'har-
monise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention
du législateur.
En effet, le paragraphe 96(1.1) n' a clairement pas
pour objet de déterminer les modalités du calcul du
revenu ou de la perte d'un associé qui se retire, dans
le cadre de sa cotisation pour une année d'imposition,
compte tenu de l'allocation lui résultant de l'entente
stipulée, mais bien simplement de créer une fiction
qui ne vaut que pour les fins du paragraphe (1) et des
articles 101 et 103 de la Loi. Le libellé du paragraphe
restreint expressément l'application de ses alinéas a)
et b) «aux fins du paragraphe (1) et des articles 101 et
103»:
Aux fins du paragraphe (1) et des articles 101 et 103, ...
a)...
b)...
Or, il est évident que les fins du paragraphe 96(1)
consistent strictement à déterminer des modalités du
calcul, pour une année d'imposition, du revenu (ou
d'une perte, selon le cas) d'un contribuable qui est
membre d'une société, et de personne d'autre. Cela
résulte des termes mêmes de la disposition qui débute
par les mots «lorsqu'un contribuable est membre
d'une société» et qui utilise ensuite les adjectifs pos-
sessifs «son» et «sa» en regard du revenu ou de la
perte visé par les modalités du calcul stipulées:
Lorsqu'un contribuable est membre d'une société, son
revenu, le montant de sa perte ... , s'il y en a, pour une année
d'imposition, ou son revenu imposable gagné au Canada pour
une année d'imposition, selon le cas, est calculé comme si ...
Quant aux articles 101 et 103 auxquels réfère le
paragraphe 96(1.1), il ne sera pas nécessaire d'en dis-
cuter, étant donné que leurs dispositions particulières
ne s'appliquent pas directement au cas du demandeur
et que, de toute façon, elles ne sont pas invoquées par
la défenderesse.
En conséquence, il m'apparaît évident que les
paragraphes 96(1.1) et 96(1) de la Loi, pris ensemble
ou séparément, ne peuvent s'appliquer à un «associé
qui se retire» au sens du paragraphe 96(1.1) pour
déterminer les modalités du calcul, dans le cadre de
sa cotisation pour une année d'imposition, de son
revenu (ou de sa perte), ce revenu (ou perte) devant
plutôt être calculé indépendamment, en fonction des
autres dispositions de la Loi et du Règlement.
Incidemment, il se conçoit bien que la fiction con-
tenue au paragraphe 96(1.1) puisse s'avérer utile aux
fins visées par le paragraphe 96(1), soit le calcul du
revenu (ou d'une perte, selon le cas) d'un contribua-
ble qui est membre d'une société, pour une année
d'imposition, puisque, à titre d'exemple, l'alinéa f)
du paragraphe 96(1) fait de la part de chaque contri-
buable membre de la société un élément essentiel de
ce calcul.
À mon point de vue, si le législateur avait voulu
que la fiction stipulée au paragraphe 96(1.1) serve
aux fins de calculer, pour une année d'imposition, le
revenu ou la perte d'un «associé qui se retire» de la
même façon que le revenu ou la perte d'un contribua-
ble qui est membre de la société concernée, il l'aurait
dit. Il n'aurait pas restreint l'application de la disposi
tion aux seules fins du paragraphe 96(1) et des
articles 101 et 103 comme il l'a fait, conscient
notamment du libellé du paragraphe 96(1) qui ne vise
que la façon de calculer le revenu ou la perte d'un
contribuable qui «est membre d'une société».
Dans ce contexte de dispositions qui sont claires et
non ambiguës, il ne sera pas nécessaire de référer à
l'évolution de leur interprétation et au changement
dans leur application, depuis au moins le 29 mars
1978, par le ministre du Revenu national. (Voir Haret
c. Sous-ministre du revenu du Québec, [1978] 1
R.C.S. 851, aux pages 858 et 859.)
Jugement est donc rendu pour maintenir l'action
du demandeur et déférer la nouvelle cotisation frap-
pée d'appel au ministre du Revenu national pour
étude et nouvel examen en conformité avec les pré-
sents motifs. Le tout, avec dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.