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A-935-88
Giosue Canepa (appelant)
c.
Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
RÉPERTORIA' CANEPA C. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION) (CA.)
Cour d'appel, juges Mahoney, MacGuigan et Linden, J.C.A.—Toronto, 25 mai; Ottawa, 8 juin 1992.
Immigration Expulsion L'appelant est un résident per manent du Canada depuis l'âge de 5 ans A maintes reprises, il a été déclaré coupable d'introduction par effraction et de vol Une mesure d'expulsion a été prise puisqu'il est une per- sonne visée à l'art. 27(1) Prétention selon laquelle la qua- lité reconnue en common law de «demi-naturalisé» (denizen) confère à l'immigrant qui établit un «lien suffisamment impor tant avec le Canada» le statut de citoyen de fait Un «demi- naturalisé» (denizen) se rapproche plus du citoyen Aucun précédent n'appuie le statut de fait Aucune violation des art. 7 et 12 de la Charte La Commission peut prendre connais- sance des crimes commis à proximité de l'endroit l'appelant a grandi sans avis préalable à ce dernier Connaissance des rues commune à tout Torontois «Compte tenu des circons- tances de l'espèce» comprend la personne dans son contexte global, c'est-à-dire le bien de la société et celui de la personne en particulier.
Droit constitutionnel Charte des droits Procédures cri- minelles et pénales L'appelant est résident permanent du Canada depuis l'âge de 5 ans A maintes reprises, il a été déclaré coupable d'introduction par effraction et de vol Une mesure d'expulsion a été prise puisqu'il est une personne visée à l'art. 27(1) de la Loi sur l'immigration de 1976 L'expul- sion n'est pas une peine cruelle et inusitée Pour déterminer s'il s'agit d'un traitement cruel et inusité, la sanction contestée doit être appréciée dans l'optique de la personne à qui elle a été infligée, en soupesant la gravité de l'infraction d'une part et les circonstances particulières de l'infraction et les caracté- ristiques personnelles du contrevenant d'autre part Si la sanction est à ce point exagérément disproportionnée qu'elle irait à l'encontre de ce qui est acceptable, elle constitue à pre- mière vue une violation de l'art. 12 La Commission d'appel de l'Immigration a, à juste titre, adopté une position équitable plutôt que légale.
Droit constitutionnel Charte des droits Vie, liberté et sécurité L'appelant est un résident permanent du Canada depuis l'âge de 5 ans À maintes reprises, il a été déclaré coupable d'infractions graves contre les droits de propriété Une mesure d'expulsion a été prise puisqu'il est une personne visée à l'art. 27(1) Prétention selon laquelle l'art. 7 de la Charte confère un statut intermédiaire de citoyen de fait Les
restrictions imposées au droit du résident permanent de demeurer au Canada à l'art. 27 ne portent pas atteinte aux principes de justice fondamentale L'expulsion résultant d'infractions graves n'est pas une atteinte à la liberté.
Il s'agit d'un appel de la décision de la Commission d'appel de l'Immigration qui a rejeté un appel formé contre une mesure d'expulsion. L'appelant, qui est arrivé au Canada à l'âge de cinq ans avec sa famille à titre de résident permanent, possède un dossier lourd de déclarations de culpabilité relative- ment à des introductions par effraction et à des vols, pour les- quels des peines s'étalant d'un jour à deux ans moins un jour ont été imposées. Il n'a jamais demandé la citoyenneté cana- dienne et, en 1985, il a été l'objet d'un rapport prévu aux sous- alinéas 27(1)d)(i) et (ii) de la Loi sur l'immigration de 1976. À l'enquête subséquente, l'arbitre ayant conclu qu'il était un rési- dent permanent visé au paragraphe 27(1), il a pris une mesure d'expulsion en vertu du paragraphe 32(2). Le paragraphe 72(1) prévoit un appel d'une mesure de renvoi «compte tenu des cir- constances de l'espèce».
L'appelant a prétendu que les articles 7 et 12 de la Charte confèrent le statut intermédiaire d'«étranger ne pouvant être expulsé» ou de «citoyen de fait» aux immigrants qui ont établi un «lien suffisamment important» avec le Canada, soit ceux qui ont été admis à titre de résidents permanents à un très jeune âge, qui ont développé des liens profonds avec le Canada en étudiant ici, et qui n'ont aucun lien soutenu avec leur terre natale. L'appelant a également soutenu que la common law offrait un fondement à cette catégorie dans le terme «demi- naturalisé» (denizen) que Blackstone distingue des «étrangers» et des «citoyens d'origine». Blackstone définit ainsi le terme «demi-naturalisé» (denizen): [TRADUCTION] «étranger d'origine ayant obtenu ex donatione regis des lettres patentes qui lui con- fèrent la qualité de sujet britannique».
L'appelant a également prétendu que la Commission avait commis une erreur de droit en prenant connaissance judiciaire du fait que plusieurs des crimes de l'appelant avaient été com- mis à proximité de l'endroit il a grandi. Selon l'appelant, cette question nécessitait une preuve stricte puisqu'il ne s'agis- sait pas d'un renseignement de nature générale acquis en com- mun avec le grand public. L'appelant a demandé à la Cour de conclure que la Commission avait le devoir de l'informer de son intention de prendre connaissance judiciaire du renseigne- ment pour qu'il puisse y répondre correctement. Enfin, l'appe- lant a donné à entendre que la déclaration de la Commission selon laquelle elle doit «soupeser les intérêts de la société canadienne et ceux de la personne en cause» est un critère dif- férent de celui prescrit par l'alinéa 72(1)b), c'est-à-dire la question de savoir si «compte tenu des circonstances de l'es- pèce, [la personne] ne devrait pas être renvoyée du Canada».
Arrêt: l'appel devrait être rejeté.
Les moyens fondés sur la violation des articles 7 et 12 de la Charte sont écartés par la jurisprudence. La Cour suprême du Canada a conclu, dans l'arrêt Chiarelli v. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), que les restrictions imposées au droit des résidents permanents de demeurer au Canada au para- graphe 27(1) ne portent pas atteinte aux principes de justice
fondamentale mentionnés à l'article 7. De plus, la Cour d'appel fédérale a décidé que l'expulsion résultant d'infractions graves n'est pas une atteinte à la liberté au sens de l'article 7.
La Cour suprême du Canada a également conclu, dans l'ar- rêt Chiarelli, que l'expulsion n'était ni une peine, ni cruelle et inusitée au sens de l'article 12 de la Charte. La Cour fédérale a également conclu que l'expulsion n'était pas une peine. Si on présume que la question de savoir si l'expulsion prévue au paragraphe 32(2) constitue un traitement cruel et inusité est toujours sans réponse, selon le juge Gonthier, dans l'arrêt R. c. Goltz, la sanction contestée devrait d'abord être étudiée dans l'optique de la personne à qui elle a été infligée, «en soupesant la gravité de l'infraction elle-même d'une part et les circons- tances particulières de cette infraction et les caractéristiques personnelles du contrevenant d'autre part». Si la disposition contestée inflige une sanction à ce point «exagérément dispro- portionnée qu'elle irait à l'encontre de ce qui est acceptable dans ces circonstances réelles et particulières, elle constituera alors à première vue une violation de l'art. 12». Les motifs de la Commission d'appel, qui ont révélé un examen prudent et équilibré de la demande de l'appelant de demeurer au Canada, se placent sur le plan équitable plutôt que légal. Il s'agit préci- sément du genre d'examen ordonné dans l'arrêt Goltz. La mesure d'expulsion prévue au paragraphe 32(2) n'est qu'un minimum apparent. Le fait que l'alinéa 72(1)b) prévoit un appel pour des motifs d'équité rend la mesure révocable, dépendamment de l'appréciation des mérites et des torts per- sonnels de l'appelant. C'est ce que la Loi ordonne, et c'est le traitement qui a été infligé à l'appelant. L'expulsion de l'appe- lant n'est pas un traitement cruel et inusité.
Un demi-naturalisé (denizen), au même titre qu'une per- sonne naturalisée, se rapproche plus du citoyen actuel que de l'immigrant non-citoyen. Rien ici ne relève du statut de fait par opposition au statut de droit, et il n'existe donc aucun précé- dent appuyant la catégorie de fait avancée, même si Blackstone pouvait par le fait même être considéré comme une bonne source de droit aujourd'hui.
La Commission n'est pas allée au-delà de la connaissance générale de tout Torontois bien informé des rues de Toronto. Elle a simplement tiré une conclusion de ce fait notoire, ce qu'elle avait le droit de faire sans avis.
La phrase «compte tenu des circonstances de l'espèce» ne signifie pas qu'un tribunal devrait détacher l'appelant de la société au sein de laquelle il vit. Elle ne renvoie pas seulement aux circonstances de la personne, mais plutôt aux circonstances de l'affaire, ce qui doit inclure la personne dans son contexte global et faire intervenir le bien de la société et celui de la per- sonne en particulier.
LOI ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44] art. 1, 7, 12.
Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, ch. 52, art. 27(1)d)(i),(ii), 32(2), 45(1), 47(3), 72(1)b) (mod. par L.C. 1988, ch. 35, art. 18).
Pacte international relatif aux droits civils et politiques, [1976] R.T. Can. 47.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immi- gration) (1992), 16 Imm. L.R. (2d) 1 (C.S.C.); Hoang c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990), 13 Imm. L.R. (2d) 35; 120 N.R. 193 (C.A.F.); Hurd c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion), [1989] 2 C.F. 594; (1988), 90 N.R. 31 (C.A.); Chia- relli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion), [1990] 2 C.F. 299; (1990), 67 D.L.R. (4th) 697; 42 Admin. L.R. 189; 10 Imm. L.R. (2d) 137; 107 N.R. 107 (C.A.); R. c. Goltz, [1991] 3 R.C.S. 485; (1991), 61 B.C.L.R. (2d) 145; 67 C.C.C. (3d) 481; 8 C.R. (4th) 82.
DECISIONS EXAMINÉES:
R. c. Smith (Edward Dewey), [1987] 1 R.C.S. 1045; (1987), 40 D.L.R. (4th) 435; [1987] 5 W.W.R. 1; 15 B.C.L.R. (2d) 273; 34 C.C.C. (3d) 97; 58 C.R. (3d) 193; 31 C.R.R. 193; 75 N.R. 321; National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324; (1990), 74 D.L.R. (4th) 449; 45 Admin. L.R. 161; 114 N.R. 81; Grewal c. Canada (Ministre de l'Em- ploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 581; (1991), 85 D.L.R. (4th) 166 (C.A.); Kaur c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 2 C.F. 209; (1989), 64 D.L.R. (4th) 317; 104 N.R. 50 (C.A.); R. c. Seaboyer; R. c. Gayme, [1991] 2 R.C.S. 577; (1991), 7 C.R. (4th) 117; 128 N.R. 81.
DÉCISIONS CITÉES:
Berrehab, 3/1987/126/177; Djeraud, 3 4 / 1 990/225/289; Moustaquim, 31/1989/191/291; Gonzalez c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1981] 2 C.F. 781 (C.A.).
DOCTRINE
Sprague, William C. Abridgement of Blackstone's Com mentaries, 3rd ed., Detroit, Michigan, 1895.
APPEL contre le rejet par la Commission d'appel de l'Immigration d'un appel formé contre une mesure d'expulsion. Appel rejeté.
AVOCATS:
Pia Zambelli et Barbara Jackman pour l'appe-
lant.
Neelam Jolly pour l'intimé.
PROCUREURS:
Hoppe, Jackman & Associates, Montréal, pour l' appelant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'in- timé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN, J.C.A.: en Italie en 1962, l'appelant est arrivé au Canada à l'âge de cinq ans avec sa famille à titre de résident permanent. Adoles cent, il est devenu toxicomane, et pour subvenir à cette dépendance, il est entré dans la voie du crime. Entre 1978 et 1987, il a été déclaré coupable de 37 infractions, dont 27 pour introduction par effraction et vol. Les peines imposées s'étalaient d'un jour à deux ans moins un jour.
L'appelant n'a jamais demandé la citoyenneté canadienne et, en 1985, il a été l'objet d'un rapport prévu aux sous-alinéas 27(1)d)(i) et (ii) de la Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, ch. 52 («la Loi») en qualité de personne déclarée coupable d'une infraction prévue par une loi du Parlement pour laquelle (i) il a été condamné à plus de six mois de prison ou il (ii) est passible d'au moins cinq ans de prison. À l'enquête subséquente, l'arbitre a pris une mesure d'expulsion contre lui en vertu du paragraphe 32(2) de la Loi.
Ces dispositions législatives sont ainsi libelléesl:
27. (1) Tout agent d'immigration ou agent de la paix, en pos session de renseignements indiquant qu'un résident permanent
d) déclaré coupable d'une infraction prévue par une loi du Parlement
(i) a été condamné à plus de six mois de prison, ou
(ii) est passible d'au moins cinq ans de prison,
I Le libellé des dispositions de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I - 2 qui portent les mêmes numéros est pres- que identique.
doit adresser un rapport écrit et circonstancié au sous-ministre à ce sujet.
32....
(2) L'arbitre, après avoir conclu que la personne faisant l'objet d'une enquête est un résident permanent visé au para- graphe 27(1), doit, sous réserve des paragraphes 45(1) et 47(3), en prononcer l'expulsion.
L'appelant a formé un appel contre la mesure d'ex- pulsion devant la Commission d'appel de l'Immigra- tion («la Commission») qui l'a rejeté le 30 mars 1988 pour le motif que la mesure d'expulsion était con- forme à la loi et que compte tenu des circonstances de l'affaire, les motifs visant à ne pas renvoyer l'ap- pelant du Canada étaient insuffisants.
I
Devant cette Cour, l'appelant a appuyé sa thèse prin- cipalement sur la notion selon laquelle les articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] confèrent le statut intermédiaire d' «étranger ne pou- vant être expulsé» ou de «citoyen de fait» aux immi grants qui ont établi un «lien suffisamment impor tant» avec le Canada. Il s'agirait des personnes ayant été admises à titre de résidentes permanentes à un très jeune âge, ayant développé des liens profonds avec le Canada en étudiant ici, et n'ayant aucun lien soutenu avec leur terre natale.
L'appelant a soutenu que même la common law offrait un fondement à cette catégorie dans le terme «demi-naturalisé» (denizen) que Blackstone distingue des «étrangers» et des «citoyens d'origine»: Blacks- tone, Commentaries on the Laws of England, [abridgement] 3e éd. par W.C. Sprague, 1895, à la page 65, définit ainsi le terme «demi-naturalisé» (denizen): [TRADUCTION] «étranger d'origine ayant obtenu ex donatione regis des lettres patentes qui lui confèrent la qualité de sujet britannique: un volet élevé et intransmissible de la prérogative royale». Toutefois, bien que, selon Blackstone, la naturalisa tion soit un processus distinct relevant du Parlement, il est évident qu'un demi-naturalisé (denizen), au même titre qu'une personne naturalisée, se rapproche plus du citoyen actuel que de l'immigrant non-
citoyen. Les personnes demi-naturalisées (denizen) et les personnes naturalisées étaient incapables de siéger au Conseil privé ou au Parlement, ou de détenir un poste de confiance ou une concession de terrains de la Couronne. Les deux catégories ont été créées par un acte formel, la première par une volet élevé et intransmissible de la prérogative royale, et la deuxième par une loi du Parlement. Rien ici ne relève du statut de fait par opposition au statut de droit, et il n'existe donc aucun précédent appuyant la catégorie de fait avancée en l'espèce, même si Blackstone pou- vait par le fait même être considéré comme une bonne source de droit aujourd'hui. La thèse de l'ap- pelant, si elle doit être accueillie, doit se fonder sur la Charte.
Les articles 7 et 12 de la Charte sont ainsi libellés:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor- mité avec les principes de justice fondamentale.
12. Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités.
À l'audience, la Cour étant unanimement d'avis que l'article 7 de la Charte n'offrait aucun fondement à une telle prétention, elle a fait grâce à l'intimé de répondre au moyen fondé sur l'article 7. Notre opi nion repose sur la décision récente de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 16 Imm. L.R. (2d) 1 le juge Sopinka a conclu au nom du banc plénier de la Cour (aux pages 45 et 46):
Donc, pour déterminer la portée des principes de justice fon- damentale en tant qu'ils s'appliquent en l'espèce, la cour doit tenir compte des principes et des politiques qui sous-tendent le droit de l'immigration. Or, le principe le plus fondamental du droit de l'immigration veut que les non-citoyens n'aient pas un droit absolu d'entrer au pays ou d'y demeurer...
La distinction entre citoyens et non-citoyens est reconnue dans la Charte. Bien que le par. 6(2) accorde aux résidents per manents le droit de se déplacer dans tout le pays, d'établir leur résidence et de gagner leur vie dans toute province, seuls les citoyens ont le droit «de demeurer au Canada, d'y entrer ou d'en sortir,» que garantit le par. 6(1).
Le Parlement a donc le droit d'adopter une politique en matière d'immigration et de légiférer en prescrivant les condi tions à remplir par les non-citoyens pour qu'il leur soit permis
d'entrer au Canada et d'y demeurer. C'est ce qu'il a fait dans la Loi sur l'immigration, dont l'art. 5 dispose que seuls les citoyens canadiens, les résidents permanents, les réfugiés au sens de la Convention ou les Indiens inscrits conformément à la Loi sur les Indiens ont le droit d'entrer au Canada et d'y demeurer. La nature limitée du droit des non-citoyens d'entrer au Canada et d'y demeurer se dégage nettement de l'art. 4 de la Loi. Suivant le par. 4(2), les résidents permanents ont le droit de demeurer au Canada, sauf s'ils relèvent d'une des catégories énumérées au par. 27(1). L'une des conditions auxquelles le législateur fédéral a assujetti le droit d'un résident permanent de demeurer au Canada est qu'il ne soit pas déclaré coupable d'une infraction punissable d'au moins cinq ans de prison. Cette condition traduit un choix légitime et non arbitraire fait par le législateur d'un cas ob il n'est pas dans l'intérêt public de permettre à un non-citoyen de rester au pays. L'exigence que l'infraction donne lieu à une peine de cinq ans d'emprison- nement indique l'intention du législateur de limiter cette condi tion aux infractions relativement graves. Les circonstances per- sonnelles de ceux qui manquent à cette condition peuvent certes varier énormément. La gravité des infractions visées au sous-al. 27(1)d)(ii) varie également, comme le peuvent aussi les faits entourant la perpétration d'une infraction en particu- lier. Toutes les personnes qui entrent dans la catégorie des rési- dents permanents mentionnés au sous-al. 27(1)d)(ii) ont cepen- dant un point commun: elles ont manqué volontairement à une condition essentielle devant être respectée pour qu'il leur soit permis de demeurer au Canada. En pareil cas, mettre effective- ment fin à leur droit d'y demeurer ne va nullement à l'encontre de la justice fondamentale. Dans le cas du résident permanent, seule l'expulsion permet d'atteindre ce résultat. Une ordon- nance impérative n'a rien d'intrinsèquement injuste. La viola tion délibérée de la condition prescrite par le sous-al. 27(1)d)(ii) suffit pour justifier une ordonnance d'expulsion. Point n'est besoin, pour se conformer aux exigences de la jus tice fondamentale, de chercher, au-delà de ce seul fait, des cir- constances aggravantes ou atténuantes.
La Cour suprême a donc clairement décidé que les restrictions imposées par le Parlement au droit des résidents permanents de demeurer au Canada dans les catégories énumérées au paragraphe 27(1) de la Loi ne portent pas atteinte aux principes de justice fonda- mentale mentionnés à l'article 7.
De plus, bien que la Cour suprême, en se fondant sur la justice fondamentale pour trancher la question, ait laissé pendante la question de savoir si l'expulsion résultant de la perpétration d'infractions graves peut être perçue comme une atteinte à la liberté en vertu de l'article 7, notre Cour, qui a déjà tranché dans la négative, se trouve liée par ses décisions antérieures: Hoang c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immi-
gration) (1990), 13 Imm. L.R. (2d) 35; Hurd c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'immigration), [ 1989] 2 C.F. 594.
À notre avis donc, à l'audience, les moyens fondés sur la violation de l'article 7 étaient écartés par la jurisprudence.
Nous avons conclu dans le même sens en ce qui concerne l'article 12 de la Charte relativement à la peine cruelle et inusitée.
Encore une fois, la question a été tranchée par la Cour suprême dans l'arrêt Chiarelli le juge Sopinka a dit (aux pages 46 48):
b) L'article 12
Invoquant essentiellement les mêmes raisons qu'il a avan- cées pour fonder son allégation d'une infraction à l'art. 7, l'in- timée prétend que l'art. 12 a été violé. Selon lui, le sous-al. 27(1)d)(ii) et le par. 32(2), pris ensemble, constituent une peine cruelle et inusitée en ce qu'ils exigent que l'expulsion soit ordonnée indépendamment des circonstances de l'infraction ou du contrevenant. Il soutient que l'expulsion prononcée en l'es- pèce est exagérément disproportionnée aux circonstances et que, en outre, la loi en général est exagérément disproportion- née eu égard aux nombreuses [TRADUCTION] «infractions relati- vement moins graves» visées au sous-al. 27(1)d)(ii).
Comme le juge Pratte, j'estime que l'expulsion n'est pas prononcée à titre de peine. Dans Reference re Effect of the Exercise of the Royal Prerogative of Mercy upon Deportation Proceedings, [1933] S.C.R. 269, 59 C.C.C. 301; [1933] 2 D.L.R. 348, le juge en chef Duff fait remarquer que les disposi tions en matière d'expulsion [TRADUCTION] «ne portent pas sur les conséquences pénales des actes de particuliers» la p. 278 [S.C.R.]). Voir aussi l'arrêt Hurd v. Canada (Minister of Employment & Immigration) (1988), [1989] 2 C.F. 594, 90 N.R. 31 (C.A.), aux p. 606 et 607 [R.C.S.] [sic] et Hoang v. Canada (Minister of Employment & Immigration) ... Il se peut toutefois que l'expulsion constitue un «traitement» au sens de l'art. 12. En effet, selon la définition qu'en donne le Petit Robert (1990), le terme «traitement» désigne un «[c]om- portement à l'égard de quelqu'un; actes traduisant ce compor- tement.» C'est toutefois un point qu'il n'est pas nécessaire de trancher aux fins du présent pourvoi puisque, à mon avis, l'expulsion autorisée par le sous-al. 27(1)d)(ii) et le par. 32(2) n'est ni cruelle ni inusitée.
La norme générale à appliquer pour déterminer s'il y a vio lation de l'art. 12 est énoncée par le juge Lamer (maintenant Juge en chef) dans le passage suivant tiré de l'arrêt R. v. Smith, [1987] 1 R.C.S. 1045, [1987] 5 W.W.R. 1, 75 N.R. 321, 15 B.C.L.R. (2d) 273, 58 C.R. (3d) 193, 34 C.C.C. (3d) 97, 40 D.L.R. (4th) 435, 31 C.C.C. 193, à la p. 1072 [R.C.S.]:
«Le critère qui doit être appliqué pour déterminer si une peine est cruelle et inusitée au sens de l'art. 12 de la Charte consiste, pour reprendre les termes utilisés par le juge en
chef Laskin à la page 688 de l'arrêt Miller et Cockriell, pré- cité, à se demander «si la peine infligée est excessive au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine.» En d'autres termes, bien que l'État puisse infliger une peine, l'effet de cette peine ne doit pas être exagérément dispropor- tionné à ce qui aurait été approprié.»
L'expulsion d'un résident permanent qui, en commettant une infraction criminelle punissable d'au moins cinq ans de prison, a délibérément violé une condition essentielle pour qu'il lui soit permis de demeurer au Canada, ne saurait être considérée comme incompatible avec la dignité humaine. Au contraire, c'est précisément le fait de permettre que les per- sonnes ayant pu entrer au Canada sous condition violent déli- bérément et impunément ces conditions qui tendrait vers l'in- compatibilité avec la dignité humaine.
De toute évidence, la Cour suprême a conclu que l'expulsion n'était pas une peine cruelle et inusitée au sens de l'article 12 de la Charte puisqu'elle n'est ni une peine ni cruelle et inusitée. En outre, notre Cour a conclu dans les arrêts Hoang et Hurd, précités, et Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Im- migration), [1990] 2 C.F. 299, que l'expulsion est injustement conçue comme une peine. En ce qui con- cerne notre Cour cependant, la question paraît demeurer pendante quant au traitement cruel et inu- sité.
II
On peut croire que la Cour suprême a également fer- mement décidé que l'expulsion prévue au paragraphe 32(2) de la Loi n'est pas un traitement cruel et inu- sité. Certes, la Cour a conclu que cette mesure n'était ni cruelle ni inusitée. Mais, selon l'appelant, cette décision doit être interprétée compte tenu des arrêts R. c. Smith (Edward Dewey), [1987] 1 R.C.S. 1045 et R. c. Goltz, [1991] 3 R.C.S. 485 2 . Dans l'arrêt Smith, la Cour suprême, en déclarant invalide une disposi tion prévoyant une peine minimale de sept ans d'em- prisonnement, a conclu que «[1]e critère applicable à l'examen en vertu de l'art. 12 de la Charte est celui de la disproportion exagérée, étant donné qu'il vise les peines qui sont plus que simplement excessives» (motifs du juge Lamer, tel était alors son titre, à la page 1072).
Le juge Lamer a ajouté ceci (aux pages 1073 et 1074):
2 Compte tenu de l'abondance du droit canadien sur le sujet, je ne crois pas nécessaire de recourir à la jurisprudence améri- caine citée par l'appelant.
En vérifiant si une peine est exagérément disproportionnée, la cour doit d'abord prendre en considération la gravité de l'in- fraction commise, les caractéristiques personnelles du contre- venant et les circonstances particulières de l'affaire afin de déterminer quelles peines auraient été appropriées pour punir, réhabiliter ou dissuader ce contrevenant particulier ou pour protéger le public contre ce dernier. Ainsi, les autres objectifs que peut viser l'imposition d'une peine, en particulier la dis suasion d'autres contrevenants en puissance, sont sans impor tance à cette étape de l'analyse. Cela signifie non pas que le juge ou le législateur ne peut plus, en déterminant une peine, prendre en considération la dissuasion générale ou d'autres objectifs pénologiques qui vont au-delà du contrevenant parti- culier, mais seulement que la peine qui résulte ne doit pas être exagérément disproportionnée à ce que mérite le contrevenant. Si une peine exagérément disproportionnée est prescrite «par une règle de droit», alors l'objectif qu'elle vise devra faire l'objet d'une évaluation en vertu de l'article premier. L'article 12 a pour effet d'assurer que chaque contrevenant se voie infli- ger une peine appropriée, ou tout au moins non exagérément disproportionnée, à sa situation particulière, alors que l'article premier permet de passer outre à ce droit afin de réaliser un objectif social important.
Il faut également évaluer l'effet de la peine qui est effective- ment infligée. Si cet effet est exagérément disproportionné à ce qui aurait été approprié, alors elle viole l'art. 12. L'effet de la peine est souvent le produit de plusieurs facteurs et ne se limite pas à l'importance ou à la durée de cette peine, mais comprend sa nature et les circonstances dans lesquelles elle est imposée. C'est parfois en raison de sa seule longueur ou de sa nature même que la peine est exagérément disproportionnée à l'objec- tif poursuivi. Dans d'autres cas, c'est le résultat d'une combi- naison de facteurs qui pris isolément n'engendreraient pas en soi une disproportion exagérée. À titre d'exemple, une peine de vingt années pour une première infraction contre la pro- priété serait exagérément disproportionnée, mais il en serait de même d'une peine de trois mois d'emprisonnement dans le cas les autorités pénitentiaires décideraient qu'elle doit être pur gée dans une cellule d'isolement. Enfin, je dois ajouter que certaines peines ou certains traitements seront toujours exagé- rément disproportionnés et incompatibles avec la dignité humaine: par exemple, l'imposition d'un châtiment corporel comme la peine du fouet, sans égard au nombre de coups de fouet imposé ou, à titre d'exemple de traitement, la lobotomie de certains criminels dangereux, ou la castration d'auteurs de crimes sexuels.
Le juge Gonthier exprimant l'opinion majoritaire dans l'arrêt Goltz, a maintenu une sentence minimale de sept ans d'emprisonnement pour conduite durant une interdiction, a expressément approuvé le point de vue du juge en chef Lamer. Il a dit (aux pages 505 et 506):
L'analyse de l'invalidité faite en vertu de l'art. 12 comporte deux aspects. L'un d'eux concerne l'appréciation de la peine ou de la sanction contestée dans l'optique de la personne à qui elle a en fait été infligée, en soupesant la gravité de l'infraction
elle-même d'une part et les circonstances particulières de cette infraction et les caractéristiques personnelles du contrevenant d'autre part. Si l'on décide que la disposition contestée prévoit, et infligerait en réalité au contrevenant, une sanction à ce point excessive ou exagérément disproportionnée qu'elle irait à l'en- contre de ce qui est acceptable dans ces circonstances réelles et particulières, elle constituera alors à première vue une viola tion de l'art. 12 et fera l'objet d'un examen visant à déterminer si elle peut se justifier aux termes de l'article premier de la Charte. Il peut ne pas s'avérer nécessaire d'étudier des situa tions hypothétiques ou des contrevenants imaginaires. Tel n'a pas été le cas dans l'affaire Smith. C'est pourquoi la Cour s'est trouvée dans l'obligation d'examiner d'autres circonstances raisonnablement imaginables dans lesquelles la disposition contestée pourrait violer l'art. 12.
Si les faits particuliers de l'espèce ne justifient pas une con clusion de disproportion exagérée, il peut y avoir un autre aspect à examiner, savoir, une contestation fondée sur la Charte ou une question constitutionnelle concernant la validité d'une disposition législative fondée sur la disproportion exagé- rée démontrée par des circonstances hypothétiques raison- nables, par opposition à des situations invraisemblables ou dif- ficilement imaginables. (Voir d'une manière générale C. Robertson, «The Judicial Search for Appropriate Remedies Under the Charter: The Examples of Overbreadth and Vague ness», dans R. Sharpe, Charter Litigation (1987).)
L'appelant a étayé sa thèse en recourant à l'article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, [[1976] R.T. Can. no 47], une convention ratifiée par le Canada, et à la jurisprudence découlant de la Convention européenne des droits de l'homme: Berrehab (3/1987/126/177), Djeraud (3 4 / 1 990/225/289), et Moustaquim (31/1989/191/291), la Cour européenne des droits de l'homme s'est prononcée. Bien que le Canada ne soit pas partie à la Convention européenne, les déci- sions de la Cour européenne portant sur une charte des droits de la personne semblable à celle du Canada est présumée revêtir une certaine valeur de persua sion. La Cour suprême a également décidé dans l'ar- rêt National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324, à la page 1371, qu'«il est raisonnable de se référer à une con vention internationale dès l'ouverture de l'enquête pour déterminer si la loi nationale renferme une ambiguïté, fût-elle latente» (motifs du juge Gonthier).
Je suis disposé à présumer, pour les fins de la dis cussion, que la question de savoir si l'expulsion pré- vue au paragraphe 32(2) de la Loi sur l'immigration de 1976 constitue un traitement cruel et inusité au sens de l'article 12 de la Charte, est toujours sans
réponse et qu'elle devrait d'abord être étudiée dans l'optique de la personne visée, comme l'a précisé le juge Gonthier dans l'arrêt Goltz.
Si, dans cette optique, on concluait que la mesure d'expulsion prise en vertu du paragraphe 32(2) de la Loi contrevient à l'article 12, et que les dispositions statutaires ne se justifient pas en vertu de l'article premier de la Charte, on présume que la mesure d'ex- pulsion recevrait une «exemption constitutionnelle» ou qu'on en ferait «abstraction», ce qui laisserait le paragraphe 32(2) en vigueur, comme l'a suggéré cette Cour dans les arrêts Grewal c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 581; et Kaur c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Im- migration), [1990] 2 C.F. 209, bien que la notion d'exemption constitutionnelle soit mise en doute par le juge McLachlin dans l'arrêt R. c. Seaboyer; R. c. Gayme, [1991] 2 R.C.S. 577 aux pages 627 630.
Voici à nouveau le libellé du paragraphe 32(2) de la Loi, sur lequel je porte maintenant mon attention:
32....
(2) L'arbitre, après avoir conclu que la personne faisant l'objet d'une enquête est un résident permanent visé au para- graphe 27(1), doit, sous réserve des paragraphes 45(1) et 47(3), en prononcer l'expulsion.
Les paragraphes 45(1) et 47(3) renvoyant aux deman- deurs de statut de réfugié au sens de la Convention, ils n'ont aucune application en l'espèce.
Le paragraphe 32(2) doit être lu conjointement avec le paragraphe 72(1) de la Loi de 1976 [mod. par L.C. 1988, ch. 35, art. 18] (maintenant le paragraphe 70(1)), ainsi libellé:
72. (1) Sous réserve du paragraphe (3), toute personne frap- pée d'une ordonnance de renvoi ou de renvoi conditionnel et qui est soit un résident permanent, soit un titulaire de permis de retour valable et délivré conformément aux règlements, peut interjeter appel devant la section d'appel en invoquant l'un des deux motifs suivants ou les deux:
a) un moyen d'appel comportant une question de droit ou de fait ou une question mixte de droit et de fait;
b) le fait que, compte tenu des circonstances de l'espèce, elle ne devrait pas être renvoyée du Canada.
Pour évaluer le processus auquel l'appelant a été assujetti, il est nécessaire de citer une certaine partie des motifs unanimes des trois membres de la Section
d'appel de la Commission d'appel de l'Immigration (Dossier d'appel aux pages 279 281):
[TRADUCTION] L'appelant, ses parents, trois autres membres de sa famille et son agent de probation ont témoigné. Selon les témoignages, l'appelant a réussi à se défaire de sa dépendance de la drogue, son comportement à l'égard du travail s'est amé- lioré et il a miraculeusement changé sa vie. On a également témoigné de l'affliction et du bouleversement émotifs que son expulsion du Canada causerait à sa famille étroitement liée.
Selon la preuve soumise à la Commission, l'appelant a offi- ciellement résidé chez ses parents presque toute sa vie, à l'ex- ception d'une période il entretenait une relation avec une amie. Au cours de la longue période il s'adonnait à des acti- vités criminelles, il quittait la maison de ses parents et y reve- nait par intervalles pour finalement s'y fixer de façon perma- nente environ deux ans avant l'audition de l'appel. Dans son témoignage, son père a déclaré qu'il tenait de première main la consommation de drogues de son fils, mais sa mère a men- tionné qu'il n'en était rien pour elle, bien qu'elle l'ait appris de la police. Ni l'un ni l'autre n'ont réussi à exercer la maîtrise nécessaire sur leur fils pour qu'il réprime sa consommation de drogues ou son comportement criminel. Compte tenu de ses périodes d'emprisonnement, le dossier de travail de l'appelant est naturellement irrégulier; la preuve a démontré qu'il tra- vaille maintenant à titre d'ouvrier non spécialisé dans le domaine de la construction, mais qu'il espère obtenir un emploi plus rémunérateur afin, un jour, d'acquérir une maison et une automobile.
La Cour avait ordonné à l'appelant de recourir à des services de consultation en matière de drogues, mais ce dernier a quitté le programme, croyant avoir surmonté sa dépendance et ne pas avoir besoin de l'aide d'une agence de consultation en matière de drogues. Aucune preuve indépendante d'une telle agence n'est donc venue confirmer sa prétention selon laquelle il aurait réussi à surmonter sa toxicomanie.
Il incombe à l'appelant de démontrer la raison pour laquelle, compte tenu des circonstances de l'affaire, il ne doit pas être expulsé du Canada. Outre son dossier criminel effroyable, l'ap- pelant a commis, même après la mesure d'expulsion prise con- tre lui, une autre infraction criminelle, soit le trafic de la cocaïne. De plus, la Commission prend connaissance judiciaire du fait que plusieurs des infractions d'introduction par effrac- tion dont il a été déclaré coupable visaient des maisons des environs de la rue St-Clair à Toronto, à proximité de l'endroit l'appelant a grandi et il a fréquenté de mauvais compa- gnons. Il ressort du dossier que l'appelant a carrément terrorisé son voisinage pendant une longue période. Selon la Commis sion, il est raisonnable de conclure à partir de la preuve que vu les allées et venues de l'appelant, ses fréquentations dans son voisinage, le nombre important de ses infractions et de ses déclarations de culpabilité et la longue période au cours de laquelle il s'est adonné à ses activités, l'appelant n'a pu qu'ac- quérir une certaine réputation au sein de ses pairs.
Dans ce genre d'affaire, la Commission doit soigneusement soupeser les intérêts de la société canadienne et ceux de la per- sonne en cause. La Commission ne peut que savoir l'effet
dévastateur de la culture de la drogue sur la santé, les res- sources financières et la fibre morale de la société canadienne. Bien que dans le passé, l'appelant ait aidé ses parents financiè- rement lorsque ceux-ci en avaient besoin, ils ne dépendent pas de lui. Il n'a aucun parent proche en Italie, mais il est un homme de la rue, endurci, âgé de vingt-six ans, qui se trouve dans la même situation que de nombreux immigrants qui émi- grent au Canada. Il ne parle pas l'italien couramment, mais il a résidé dans un environnement familial l'italien est parlé et il devrait pouvoir acquérir une certaine facilité à parler cette lan- gue peu après son retour en Italie.
En résumé, donc: le long dossier criminel de l'appelant en matière de drogues et les circonstances particulières l'entou- rant, la perpétration d'une infraction grave en matière de drogues même après la mesure d'expulsion, l'absence de per- sonnes à charge, la preuve moins que convaincante qu'il a sur- monté complètement sa dépendance de la drogue et qu'il ne retournerait pas à ses activités criminelles et l'absence de qua- lités qui rachètent sa conduite pendant ses vingt ans au Canada l'emportent de loin sur l'affliction et le bouleversement que l'expulsion causerait certainement à l'appelant et à sa famille.
Ces motifs, qui révèlent un examen prudent et équilibré de la demande de l'appelant de demeurer au Canada, se placent sur le plan équitable plutôt que légal. Il me semble qu'il s'agit précisément du genre d'examen que le juge Gonthier a ordonné dans l'arrêt Goltz la page 505], et qui suppose «l'appréciation de la peine ou de la sanction contestée dans l'optique de la personne à qui elle a en fait été infligée, en sou- pesant la gravité de l'infraction elle-même d'une part et les circonstances particulières de cette infraction et les caractéristiques personnelles du contrevenant d'autre part». Je n'y vois rien de si «exagérément dis- proportionné [que cela] irait à l'encontre de ce qui est acceptable dans ces circonstances réelles et particu-
lières».
Il ne faut pas oublier que les arrêts Smith et Goltz étaient tous deux relatifs à des affaires criminelles les peines minimales étaient sans appel. La mesure d'expulsion prévue au paragraphe 32(2) n'est qu'un minimum apparent. Le fait que l'alinéa 70(1)b) de la présente Loi prévoit un appel pour des motifs d'équité rend la mesure révocable, compte tenu préci- sément de l'appréciation des mérites et des torts per- sonnels de l'appelant. C'est ce que la loi ordonne, et c'est le traitement qui a été infligé à l'appelant. À mon avis, loin d'être un traitement cruel et inusité, il ne peut donc porter atteinte à l'article 12.
III
L'appelant a soulevé deux autres objections à l'en- contre de la décision de la Commission, la première portant sur la connaissance judiciaire et l'autre sur le défaut de la Commission de se pencher sur la ques tion devant être tranchée en appel.
La prétention relative à la connaissance judiciaire repose sur le fait que la Commission a pris «connais- sance judiciaire du fait que plusieurs des infractions d'introduction par effraction dont il a été déclaré cou- pable visaient des maisons des environs de la rue St- Clair à Toronto, à proximité de l'endroit l'appelant a grandi et il a fréquenté de mauvais compa- gnons.» De ce qui précède, on a conclu que non seu- lement l'appelant était un criminel, mais qu'il avait en fait terrorisé son propre voisinage et sa collectivité pendant de nombreuses années. L'appelant a soutenu que la Commission avait commis une erreur de droit en prenant connaissance judiciaire d'une question qui nécessitait une preuve stricte, puisqu'il ne s'agissait pas d'un renseignement de nature générale acquis en commun avec le grand public. L'appelant a soutenu qu'il s'agissait d'un déni de justice naturelle et que la Commission avait le devoir de l'informer de son intention de prendre connaissance judiciaire du ren- seignement pour qu'il puisse y répondre correcte- ment: Gonzalez c. Le ministre de l'Emploi et de l'Im- migration, [1981] 2 C.F. 781 (C.A.).
Que la Commission ait ou non utilisé le terme «connaissance judiciaire» correctement, il me semble qu'elle n'est pas allée au-delà de la connaissance générale de tout Torontois bien informé des rues de Toronto. La Commission a simplement tiré une con clusion de ce fait notoire, ce qu'elle avait le droit de faire sans avis.
La deuxième objection concerne la déclaration de la Commission selon laquelle «dans ce genre d'af- faire, la Commission doit soigneusement soupeser les intérêts de la société canadienne et ceux de la per- sonne en cause». Il s'agit, soutient l'appelant, d'un critère différent de celui prescrit par la loi, c'est-à- dire la question de savoir si «compte tenu des cir- constances de l'espèce, [la personne] ne devrait pas être renvoyée du Canada».
Je ne peux croire que la phrase «compte tenu des circonstances de l'espèce» signifie qu'un tribunal devrait, pour tirer une telle conclusion, détacher l'ap- pelant de la société au sein de laquelle il vit. Le libellé législatif ne renvoie pas seulement aux cir- constances de la personne, mais plutôt aux circons- tances de l'affaire. Cette expression comprend certai- nement la personne dans son contexte global et elle fait intervenir le bien de la société et celui de la per- sonne en particulier. Je ne peux concevoir que les considérations d'ordre social aient été envisagées de façon définitive par la mesure d'expulsion elle- même. À mon avis, l'alinéa 70(1)b) de la Loi exige qu'elles soient considérées de nouveau, mais cette fois-ci, de pair avec toutes les circonstances atté- nuantes pouvant être invoquées en faveur de l'ex- pulsé. Tant la loi que le traitement infligé par son application répondent, à mon avis, aux normes de l'article 12.
IV
En conséquence, l'appel doit être rejeté.
LE JUGE MAHONEY, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE LINDEN, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
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