A-674-91
Ruhrkohle Handel Inter GMBH
et
National Steel Corp.
et
Toutes les personnes ayant un droit sur la
cargaison du navire Federal Calumet (appelantes)
(demanderesses)
c.
Fednav Ltd.
et
Federal Pacific (Liberia) Ltd.
et
Les propriétaires du navire Federal Calumet et de
ses soutes et toutes les autres personnes ayant un
droit sur ceux-ci
et
Le navire Federal Calumet et ses soutes (intimés)
(défendeurs)
RÉPERTORIÉ.' RUHRKOHLE HANDEL INTER GMBH C. FEDERAL
CALUMET (LE) (CA.)
Cour d'appel, juges Marceau, Desjardins et Décary,
J.C.A.—Montréal, 15 mai; Ottawa, 29 mai 1992.
Pratique — Suspension d'instance — Appel contre le juge-
ment de la Section de première instance confirmant le rejet,
par le protonotaire en chef de la demande de suspension
d'instance — Interdépendance de l'art. 50(1) de la Loi sur la
Cour fédérale et des art. 8 et 9 du Code d'arbitrage commer
cial — Le juge de première instance a eu raison de ne pas
aborder la suspension de la demande reconventionnelle puis-
que les appelantes ne l'ont pas demandée — La suspension
d'instance étant exceptionnelle, il faut la demander explicite-
ment — La déclaration ne contient aucune demande formelle
d'arbitrage, contrairement à l'art. 8(1) du Code — Les appe-
lantes n'ont pas demandé la suspension de leur propre action
en temps opportun — Le juge. de première instance a exercé
correctement son pouvoir discrétionnaire en vertu de l'art. 50
de la Loi sur la Cour fédérale — La jurisprudence a été consi-
dérée — Il existe des «motifs impérieux» de refuser la suspen-
sion d'instance — Le défaut de présenter la demande dans le
délai prescrit à l'art. 8(1) du Code constitue un facteur impor
tant jouant contre la suspension.
Droit maritime — Pratique — Appel contre le jugement de
la Section de première instance confirmant le rejet, par le pro-
tonotaire en chef de la demande de suspension d'instance —
La charte-partie comprend une clause compromissoire — Le
déchargement de la cargaison n'a pas été effectué au port con-
venu pour la livraison — Action in rem et in personam — La
déclaration ne mentionne ni lâ clause compromissoire ni l'in-
tention des appelantes de soumettre la question à l'arbitrage
Les intimés ont déposé une défense et une demande recon-
ventionnelle — Les appelantes ont fait défaut de présenter une
demande d'arbitrage en temps opportun — Les conditions
essentielles de l'art. 8(1) du Code d'arbitrage commercial
n'ont pas été remplies — Le juge de première instance a exercé
correctement son pouvoir discrétionnaire — Les appelantes
n'ont entrepris aucune démarche en vue de renvoyer le diffé-
rend à l'arbitrage — Il y a des «motifs impérieux» de ne pas
accorder la suspension d'instance — Appel rejeté.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Code d'arbitrage commercial, qui constitue l'annexe à la
Loi sur l'arbitrage commercial, L.R.C. (1985) (2e
suppl.), ch. 17, art. 2f), 8, 9.
Loi sur l'arbitrage commercial, L.R.C. (1985) (2e suppl.),
ch. 17, art. 2, 4, 5.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7,
art. 50(1).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 1003
(mod. par DORS/79-57, art. 18), 1025, 1717, 1718.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Navire M/V Seapearl c. Seven Seas Dry Cargo Shipping
Corporation de Santiago (Chili), [1983] 2 C.F. 161;
(1982), 139 D.L.R. (3d) 669; 43 N.R. 517 (C.A.); Jala
Godavari (Le) c. Canada, A-112-91, le juge Hugessen,
J.C.A., jugement en date du 18-10-91, C.A.F., encore iné-
dit; Munsingwear, Inc. c. Prouvost S.A., [ 1992] 2 C.F. 541
(C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
BC Navigation S.A. (Bankrupt) c. Canpotex Shipping Ser
vices Ltd. (1987), 16 F.T.R. 79 (C.F. 1« inst.); lberfreight
S.A. et autres c. Ocean Star Container Line A.G. et autre
(1989), 104 N.R. 164 (C.A.F.); Vallorbe Shipping Co.
S.A. c. Le Tropwave, [1975] C.F. 595 (1« inst.).
DOCTRINE
Rapport de la Commission des Nations Unies pour le
droit commercial international sur les travaux de la
dix-huitième session-3-21 juin 1985. Doc. off. AG
NU, 40e Bess., Supp. No. 17, Doc. NU A/40/17 (1985).
Rapport du Secrétaire général à la dix-huitième session
de la Commission des Nations Unies pour le droit com
mercial international, Vienne, 3-21 juin 1985, Doc. NU
A/CN.9/264 (1985).
Russell on the Law of Arbitration, 19th ed. by Anthony
Walton, London: Stevens & Sons, 1979.
APPEL contre le jugement de la Section de pre-
mière instance, (1991), 36 C.P.R. (3d) 521, qui a con
firmé l'ordonnance rendue par le protonotaire en chef
rejetant une demande de suspension d'instance.
Appel rejeté.
AVOCATS:
George J. Pollack pour les appelantes (deman-
deresses).
Trevor H. Bishop pour les intimés (défendeurs).
PROCUREURS:
Martineau, Walker, Montréal, pour les appe-
lantes (demanderesses).
Brisset, Bishop, Montréal, pour les intimés
(défendeurs).
Ce qui suit est la version française des motifs du
jugement rendus par
LE JUGE DÉCARY, J.C.A.: Le présent appel soulève
la question de l'interdépendance du paragraphe
50(1) 1 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985),
eh. F-7] (la Loi) et des articles 8 et 9 2 du Code d'ar-
bitrage commercial (le Code) adopté en application
Le paragraphe 50(1) de la Loi sur la Cour fédérale est
ainsi libellé:
50. (1) La Cour a le pouvoir discrétionnaire de suspendre les
procédures dans toute affaire:
a) au motif que la demande est en instance devant un autre
tribunal;
I)) lorsque, pour quelque autre raison, l'intérêt de la justice
l'exige.
2 Les articles 8 et 9 du Code d'arbitrage commercial sont
ainsi libellés:
Article 8
Convention d'arbitrage et actions intentées
quant au fond devant un tribunal
(1) Le tribunal saisi d'un différend sur une question faisant
l'objet d'une convention d'arbitrage renverra les parties à l'ar-
bitrage si l'une d'entre elles le demande au plus tard lors-
qu'elle soumet ses premières conclusions quant au fond du dif-
férend, à moins qu'il ne constate que la convention est
caduque, inopérante ou non susceptible d'être exécutée.
(Suite à la page suivante)
de la Loi sur l'arbitrage commercial, L.R.C. (1985)
(2e suppl.), ch. 17, dans le contexte d'une demande
de suspension d'instance présentée en matière mari
time.
Les faits ne sont pas contestés. L'intimée Federal
Pacific (Liberia) Ltd. (Fedpac), société libérienne
ayant un établissement en Belgique, est la proprié-
taire enregistrée du navire libérien Federal Calumet
(le navire), enregistré à Monrovia. L'intimée Fednav
Ltd. (Fednav), société canadienne ayant un établisse-
ment à Montréal (Québec), est l'affréteur à temps et
l'exploitant du navire en vertu d'une charte-partie à
long terme. Les appelantes Ruhrkohle Handel Inter
GMBH, société allemande, et National Steel Corp.,
société américaine, sont les propriétaires, expéditeurs
et consignataires, en vertu d'un connaissement, d'une
cargaison de coke métallurgique (la cargaison) char
gée à bord du navire à Emden (Allemagne) en vue
d'être transportée à Détroit (E.-U.).
La charte-partie signée à Greenwich, (Connecticut)
le 18 janvier 1989 comprend une clause compromis-
soire (la clause compromissoire) ainsi libellée:
[TRADUCTION] 5. Les litiges ou différends découlant de la pré-
sente Charte sont soumis à trois arbitres à New York; chaque
partie aux présentes nomme un arbitre, le troisième étant
nommé par les deux premiers. Leur décision, ou celle de deux
d'entre eux, est finale et obligatoire, et la présente entente peut,
aux fins de son exécution, revêtir le caractère d'une ordon-
nance de la cour. Les trois arbitres doivent être des hommes
d'affaires. Si les deux arbitres choisis ne s'entendent pas sur le
troisième, la Society of Maritime Arbitration, Inc. (N.Y.),
effectue la nomination;
Le recto du connaissement mentionne qu'il est
applicable [TRADUCTION] «sous réserve des modalités
et réserves de la charte-partie signée le 18 janvier
1989 à Greenwich, dont la clause compromissoire».
(Suite de la page précédente)
(2) Lorsque le tribunal est saisi d'une action visée au para-
graphe 1 du présent article, la procédure arbitrale peut néan-
moins être engagée ou poursuivie et une sentence peut être ren-
due en attendant que le tribunal ait statué.
Article 9
Convention d'arbitrage et mesures provisoires
prises par un tribunal
La demande par une partie à un tribunal, avant ou pendant la
procédure arbitrale, de mesures provisoires ou conservatoires
et l'octroi de telles mesures par un tribunal ne sont pas incom
patibles avec une convention d'arbitrage.
Peu après le départ, le navire, qui n'était plus
maître de son gouvernail, a été remorqué à Brest pour
y être réparé. Il y est demeuré trois mois et demi. Ce
retard et la fermeture de la voie maritime du St-Lau-
rent pour l'hiver l'ont empêché de se rendre à
Détroit; il s'est plutôt dirigé vers la Nouvelle-Orléans
où il est arrivé le 31 janvier 1990. La cargaison a été
transportée par péniche jusqu'en Illinois où l'appe-
lante, National Steel Corp., devait en prendre livrai-
son.
Le 11 janvier 1991, les appelantes, par l'entremise
de leurs procureurs newyorkais, ont demandé aux
intimés, par écrit, [TRADUCTION] «une prorogation de
délai, du ler février 1991 au ler mai 1991, ... pour
entamer une poursuite et/ou un arbitrage en vertu des
documents de transit pertinents».
Le 15 janvier 1991, Fednav a répliqué au nom des
intimés en accordant [TRADUCTION] «une prorogation
de délai, jusqu'au ler mai 1991 inclusivement, pour
entamer l'arbitrage à New York comme le stipule la
charte-partie ... ». Les intimés n'ont donc accordé
aucune prorogation pour engager une poursuite.
Le 30 janvier 1991, les appelantes ont déposé une
action in rem et une action in personam contre les
intimés devant la Cour fédérale du Canada, réclamant
une somme de 551 000 $ pour le préjudice qu'elles
auraient subi à la suite du déchargement de la cargai-
son du navire à la Nouvelle-Orléans plutôt qu'à
Détroit, port convenu de livraison. La déclaration ne
mentionne ni la clause compromissoire ni l'intention
des appelantes de soumettre la question à l'arbitrage.
Le même jour, les appelantes ont déposé un affida
vit en vue d'obtenir un mandat de saisie contre le
navire. Ce mandat fut décerné par le greffe de la Cour
à Montréal.
Le 27 février 1991, le navire a été saisi au port de
Bécancour (Québec).
Le ler mars 1991, il y a eu mainlevée de la saisie.
Le 5 mars 1991, les intimés ont déposé une
défense et une demande reconventionnelle, confor-
mément à laquelle ils demandent 132 191,50 $ aux
appelantes pour contribution d'avarie commune.
Le 6 mars 1991, les appelantes ont demandé une
ordonnance, conformément à l'article 50 de la Loi et
de l'article 8 du Code, afin [TRADUCTION] «que la pré-
sente action soit suspendue». La demande et l'affida-
vit déposé à son appui sont muets quant à la demande
reconventionnelle.
Dans une ordonnance rendue le 30 avril 1991, le
protonotaire en chef a rejeté la demande de suspen
sion d'instance. Le 3 juillet 1991, le juge Pinard a
confirmé cette ordonnance [(1991), 36 C.P.R. (3d)
521].
Je me prononcerai d'abord sur la prétention des
appelantes selon laquelle le protonotaire et le juge de
première instance ont commis une erreur en n'abor-
dant pas la suspension de la demande reconvention-
nelle. Cette prétention est sans fondement. Les appe-
lantes, qui se sont contentées de demander la
suspension de 1'«action», n'ont tout simplement pas
demandé la suspension de la demande reconvention-
nelle. Celle-ci est essentiellement une action dis-
tincte, greffée, du point de vue procédural, à l'action
existante (voir la Règle 1717 des Règles de la Cour
fédérale [C.R.C., ch. 663] et l'alinéa 2f) du Code), à
tel point que la suspension de l'action n'entraîne pas
celle de la demande reconventionnelle (voir la Règle
1718). La suspension d'instance est tellement excep-
tionnelle qu'il faut la demander explicitement. En
outre, une demande orale présentée lors de l'audition
de l'appel en vue de modifier la demande, comme l'a
donné à entendre l'avocat des appelantes, est tardive.
Le Code d'arbitrage commercial
Les appelantes soutiennent principalement qu'en
vertu de l'article 8 du Code, elles ont droit à la sus
pension d'instance de plein droit, la Cour n'ayant pas
le pouvoir discrétionnaire de refuser de renvoyer les
parties à l'arbitrage.
Pour obtenir gain de cause, les appelantes doivent
démontrer qu'elles ont effectivement demandé l'arbi-
trage et que cette demande a été soumise en temps
opportun, soit au plus tard lorsqu'elles ont soumis
leurs premières conclusions quant au fond du diffé-
rend (voir BC Navigation S.A. (Bankrupt) c. Canpo-
tex Shipping Services Ltd. (1987), 16 F.T.R. 79 (C.F.
lre inst.). Les appelantes ont échoué sur les deux
tableaux.
Selon elles, il n'est pas nécessaire de présenter à la
Cour la demande d'arbitrage mentionnée à l'article
8(1); il suffit qu'une partie l'ait présentée à l'autre
partie sans saisir le tribunal, avant d'intenter l'action.
Cette prétention est sans fondement. Il ressort claire-
ment de l'article 8(1) que la demande en cause est
une demande adressée au tribunal saisi de l'action
visant le renvoi des parties à l'arbitrage. Il est fort
possible qu'une partie ait déjà demandé l'arbitrage au
moment où l'action est intentée, mais à moins que
cette partie ne demande formellement au tribunal de
renvoyer la question à l'arbitrage, l'article 8(1) ne
s'applique pas (voir Iberfreight S.A. et autres c.
Ocean Star Container Line A.G. et autre (1989), 104
N.R. 164 (C.A.F.)). En l'espèce, la déclaration n'in-
clut aucune demande d'arbitrage.
Même si j'avais conclu que la demande visée à
l'article 8(1) pouvait être extrajudiciaire, j'aurais dif-
ficilement pu, en l'espèce, voir une telle demande
dans la lettre envoyée par l'avocat des appelantes le
11 janvier 1991. Il s'agissait d'une demande de pro-
rogation de délai et non d'une demande d'arbitrage,
et cette demande était faite en vue d'engager une
«poursuite et/ou un arbitrage», les appelantes n'ayant
de toute évidence pas pris leur parti à ce moment là.
Les appelantes soutiennent qu'en tout état de
cause, au sens de l'article 8(1), leur demande en sus
pension d'action du 6 mars 1991 a été présentée à la
Cour en temps opportun. Leur déclaration déposée le
30 janvier 1991 ne représentait pas, soutiennent-elles,
leurs «premières conclusions quant au fond du diffé-
rend» puisqu'elles ne demandaient alors que la saisie
du navire à titre de mesure provisoire ou conserva-
toire en vertu de l'article 9 du Code.
Encore une fois, j'éprouve quelque difficulté à
accepter cette proposition, d'autant plus que l'action
déposée le 30 janvier 1991 était à la fois in rem et in
personam. Il est vrai que dans le cas de procédures
soumises à la Cour fédérale du Canada, la saisie d'un
navire qui, devant un tribunal différent, pourrait être
obtenue à titre de mesure provisoire ou conservatoire,
ne peut être autorisée à moins qu'une action in rem
contre le navire soit régulièrement intentée, ce qui
présuppose le dépôt d'une déclaration (Règle 1003
[mod. par DORS/79-57, art. 18]) et par conséquent
une conclusion quant au fond du différend, mais cela,
à mon avis, n'a aucun effet sur l'interprétation du
Code.
Le Code est un document international fondé sur la
loi type adoptée par la Commission des Nations
Unies pour le droit commercial international le 21
juin 1985 (voir l'article 2 de la Loi sur l'arbitrage
commercial), qui a force de loi au Canada (voir l'ar-
ticle 5) et qui peut être interprété en fonction du Rap
port de la Commission des Nations Unies pour le
droit commercial international sur les travaux de sa
dix-huitième session, tenue du 3 au 21 juin 1985, et
du commentaire analytique figurant dans le Rapport
du Secrétaire général à la dix-huitième session de la
Commission des Nations Unies pour le droit commer
cial international (voir l'article 4).
Le Code, à titre de principe de droit et de commo-
dité pour la communauté internationale, a établi, à
l'article 8(1), un échéancier qui se situe au-delà et au-
dessus des subtilités procédurales des tribunaux des
états participants. Pour que le Code soit efficace, les
parties doivent savoir que, pour retirer au tribunal,
quel qu'il soit, toute discrétion, la demande de renvoi
à l'arbitrage doit être faite au plus tard au moment
même où elles soumettent à ce tribunal leurs pre-
mières conclusions sur le fond du différend. Ce
moment précis peut varier d'une juridiction à une
autre, mais il constitue la norme objective précise
qu'il faut respecter dans toute juridiction. Le passage
suivant de la page 24 du commentaire analytique déjà
mentionné appuie mon interprétation:
L'élément temps a été introduit dans le texte puisque la
demande doit être présentée au plus tard soit en même temps
que les premières conclusions quant au fond du différend, soit
même dans les premières conclusions. Nous proposons que ce
délai soit entendu au sens strict et appliqué dans tous les sys-
tèmes juridiques, y compris dans ceux où l'on considère nor-
malement une telle demande comme une exception devant être
soulevée préalablement à tout débat quant au fond.
En l'espèce, les appelantes, soit les demanderesses,
ont pris la mesure exceptionnelle qui consiste à
demander la suspension de l'instance qu'elles avaient
elles-mêmes engagée seulement après que les défen-
deurs aient eu déposé leur défense. Il est absolument
impossible de considérer qu'une telle demande a été
présentée en temps opportun. Je remarque également
que la demande, qui aurait dû être présentée en vertu
des Règles 1025 et suivantes des Règles de la Cour
fédérale, conclut à la suspension de l'action et non,
tel que requis à l'article 8(1) du Code, au renvoi des
parties à l'arbitrage. Cela, à mon avis, constitue plus
qu'une simple faute procédurale, et il est fort possible
que la Cour, en tout état de cause, n'aurait pu rendre
l'ordonnance prévue à ce paragraphe.
Je suis donc entièrement d'accord avec le juge
Pinard lorsqu'il exprime l'opinion suivante [aux
pages 523 et 524]:
En effet, les demanderesses, qui ont opté pour les procédures
devant la Cour fédérale du Canada à l'égard d'une question
pour laquelle elles avaient convenu de recourir à l'arbitrage
à New York, n'ont nullement fait mention de la convention
d'arbitrage dans leur déclaration et elles ont attendu que les
défendeurs déposent leur défense et leur demande reconven-
tionnelle pour demander une suspension d'instance. En dif-
férant ainsi leur demande de suspension d'instance, les
demanderesses ont omis de se conformer à une exigence
fondamentale du paragraphe 8(1) du Code d'arbitrage com
mercial; en conséquence, à une date aussi tardive, la Cour
n'a plus l'obligation impérative de renvoyer l'affaire à l'ar-
bitrage à leur demande. [Renvoi omis.]
L'article 50 de la Loi sur la Cour fédérale
Nonobstant l'observation figurant à la page 24 du
commentaire analytique selon laquelle
En ce qui concerne le cas où une partie n'invoquerait pas la
convention d'arbitrage par une demande effectuée dans le
délai prévu, il semble clair qu'en application de l'article 8.1,
ladite partie ne pourrait plus invoquer la convention d'arbi-
trage à un stade ultérieur de la procédure judiciaire.
on peut voir dans la décision du Groupe de travail
... de ne pas introduire dans le texte une disposition ayant un
effet aussi général car il aurait été impossible d'élaborer une
règle simple qui traitât de manière satisfaisante de tous les
aspects de cette question complexe. [Idem.]
une invitation à ne pas adopter une interprétation
aussi large de l'article 8(1) et à ne pas écarter le pou-
voir discrétionnaire de «suspendre les procédures
dans toute affaire» soumise à la Cour en application
de l'article 50 de la Loi. Je n'ai toutefois pas à tran-
cher cette question puisque, comme nous le verrons,
je suis d'avis que le juge de première instance a, en
tout état de cause, exercé correctement son pouvoir
discrétionnaire.
Les appelantes soutiennent que le juge de première
instance a refusé d'exercer son propre pouvoir discré-
tionnaire conformément à l'article 50 de la Loi en
concluant qu'elles n'avaient pas démontré que le pro-
tonotaire en chef avait exercé son pouvoir discrétion-
naire «en se fondant sur un principe erroné, en appli-
quant la loi de manière erronée ou en se méprenant
totalement sur les faits» [à la page 523]. Hors con-
texte, ces mots, qui traduisent un principe géné-
ralement adopté alors par la Section de première
instance, ne sauraient résister aux déclarations
subséquentes de cette Cour dans les arrêts
Jala Godavari (Le) c. Canada (A-112-91, le juge
Hugessen, J.C.A., 18 octobre 1991, encore inédit) et
Munsingwear, Inc. c. Prouvost S.A., [1992] 2 C.F.
541 (C.A.), dans lesquels on a conclu que le juge
saisi d'un appel d'une décision du protonotaire sur
une question mettant en cause l'exercice d'un pou-
voir discrétionnaire doit exercer son propre pouvoir
discrétionnaire et n'est pas lié par l'opinion du proto-
notaire. Mais je considère qu'en l'espèce, le juge de
première instance, après s'être exprimé dans ces
termes inexacts, n'en a pas moins formé sa propre
opinion, et les appelantes ne m'ont pas convaincu
qu'il s'agit ici d'un cas où la Cour d'appel devrait
intervenir à l'égard du pouvoir discrétionnaire exercé
par le juge de première instance.
À mon avis, le juge Pinard a très certainement tiré
la bonne conclusion compte tenu des faits de l'es-
pèce. Les appelantes demandent à la Cour fédérale du
Canada de suspendre l'instance qu'elles ont elles-
mêmes introduite devant cette Cour (voir Vallorbe
Shipping Co. S.A. c. Le Tropwave, [1975] C.F. 595
(ire inst.)). À compter de la date de la prétendue
perte, soit le 31 janvier 1990, jusqu'à l'envoi de la
lettre demandant une prorogation de délai le 11 jan-
vier 1991, elles n'ont entrepris aucune démarche en
vue de renvoyer le différend à l'arbitrage. En aucun
temps, de février 1990 au 10 janvier 1991 inclusive-
ment ont-elles avisé les intimés de la possibilité
qu'elles présentent une réclamation. Elles ont attendu
jusqu'à la dernière minute, et même alors, elles hési-
taient entre le tribunal et l'arbitrage. Elles ont choisi
d'introduire leurs actions in rem et in personam au
Canada. Elles n'ont pas fait mention de la clause
compromissoire dans leurs procédures et elles n'ont
pas réservé leur droit à l'arbitrage dans la déclaration.
Elles ont attendu que les intimés déposent leur
défense pour demander une suspension d'instance à
la Cour. Puisqu'elles n'ont pas demandé une suspen
sion d'instance à l'égard de la demande reconven-
tionnelle, la même question, de par leur propre
volonté, aurait entraîné des procédures judiciaires au
Canada et un arbitrage aux États-Unis (voir Russell
on the Law of Arbitration, 19e ed. (Londres: Stevens
& Sons, 1979), à la page 202). Dans leur demande de
suspension de leur propre action, elles ne se sont pas
dites prêtes et disposées à faire tout ce qui était
nécessaire à la bonne marche de l'arbitrage. Il
n'existe aucun endroit «naturel» pour le règlement du
litige: l'intimée Fednav, qui dispose véritablement du
navire et qui est la défenderesse contractante dans
l'action, a son bureau principal à Montréal et c'est de
Montréal qu'elle dirige ses opérations; les appelantes
comptent une société américaine et une société alle-
mande. Les appelantes n'ont produit aucun élément
de preuve sur les avantages et les désavantages res-
pectifs de la procédure judiciaire au Canada et de la
procédure arbitrale à New York. La demande ne men-
tionne pas que les appelantes et les intimés sont tous
parties aux modalités du connaissement et de la
charte-partie ou qu'ils sont tous liés par ces dernières.
En refusant d'intervenir et d'accorder la suspen
sion demandée, je n'ai pas omis de tenir compte de la
décision de cette Cour dans l'arrêt Navire MN Sea-
pearl c. Seven Seas Dry Cargo Shipping Corporation
de Santiago (Chili), [1983] 2 C.F. 161, où le juge
Pratte, J.C.A. a dit, à la page 176, qu'«[e]n règle
générale, il est certainement dans l'intérêt de la jus
tice que les engagements conventionnels soient
honorés». À mon avis, les facteurs que j'ai énumérés
ci-dessus constituent des «motifs impérieux», pour
emprunter les termes du juge Pratte, J.C.A., à la page
177, qui invitent la Cour à écarter cette règle et qui
permettent de conclure qu'il ne serait ni raisonnable
ni juste, en l'espèce, de suspendre l'instance. J'aime-
rais ajouter en passant que les motifs de l'arrêt Le
Seapearl ont été prononcés avant l'entrée en vigueur
de la Loi sur l'arbitrage commercial et que la règle
générale exprimée par le juge Pratte de la Cour d'ap-
pel pourrait bien avoir été renversée (en présumant,
encore une fois, que la Cour a un pouvoir dicrétion-
naire en vertu de l'article 50 de la Loi) dans le cas où
la partie qui demande la suspension n'a pas présenté
sa demande à la Cour dans le délai prescrit à l'article
8(1) du Code. En d'autres termes, le défaut de pré-
senter la demande en temps utile pourrait très bien
constituer, en l'absence de motifs sérieux dans le sens
contraire, un facteur important jouant contre la sus
pension.
Je rejetterais donc l'appel avec dépens.
LE JUGE MARCEAU, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
LA JUGE DESJARDINS, J.C.A.: Je souscris à ces
motifs.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.