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T-1026-92
Richard Kahgee, pour son compte et pour le compte de tous les autres membres de la bande indienne des Chippewas de Saugeen, aussi appelée Première nation saugeen, laquelle constitue, avec la bande indienne des Chippewas de Nawash, aussi appelée Première nation nawash, la Nation saugeen ojibwa, aussi appelée Nation saugeen chippewa ou Nation sauking ou Nation sahgeeng;
Ralph Akiwenzie, pour son compte et pour le compte de tous les autres membres de la bande indienne des Chippewas de Nawash, aussi appelée Première nation nawash, laquelle constitue, avec la bande indienne des Chippewas de Saugeen, aussi appelée Première nation saugeen, la Nation saugeen ojibwa, aussi appelée Nation saugeen chippewa ou Nation sauking ou Nation sahgeeng;
Richard Kahgee et Ralph , Akiwenzie ensemble, pour leur compte et pour le compte de tous les autres membres de la Nation saugeen ojibwa, aussi appelée Nation saugeen chippewa ou Nation sauking ou Nation sahgeeng (demandeurs)
c.
Sa majesté la Reine du chef du Canada, le ministre des Pêches et des Océans, les «agents des pêches» et le ministre des Richesses naturelles (Ontario) (défendeurs)
RÉPERTORIA' BANDE INDIENNE DE SAUCEEN C. CANADA (MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS) (/re/NST)
Section de première instance, juge MacKay—Ottawa, 23 juin et 10 septembre 1992.
Injonctions Requête en injonction interlocutoire contre la Couronne fédérale, un ministre fédéral, un ministre provincial ainsi que des fonctionnaires fédéraux et provinciaux dans le cadre d'une action visant à obtenir un jugement déclaratoire à l'égard de droits ancestraux ou issus de traités Autochtones pratiquant la pêche commerciale dans le Lac Huron sans déte- nir de permis provincial Fonctionnaires provinciaux avisant des acheteurs de poisson de ne pas traiter avec des pêcheurs
non détenteurs de permis La question est de savoir si les défendeurs peuvent faire l'objet d'une injonction interlocutoire en Cour fédérale Les parties ne contestent pas l'existence d'un certain droit ancestral à la pêche commerciale C'est à l'instruction que seront tranchées les questions de savoir s'il y a eu atteinte à ce droit et si cette atteinte était justifiée La Couronne ne peut faire l'objet d'une ordonnance d'injonction L'exception prévue dans le cas le ministre outrepasse la compétence que la loi lui confère n'est pas applicable en l'es- pèce vu l'absence de preuve d'un acte non autorisé.
Droit constitutionnel Droits ancestraux ou issus de traités Pêcheurs autochtones pêchant dans les eaux au large de la péninsule Bruce depuis des temps immémoriaux Vente de poisson sans permis provincial Fonctionnaire provincial avertissant des acheteurs de ne pas acheter de poisson de ven- deurs ne détenant pas de permis Y a-t-il eu atteinte aux droits ancestraux ou issus de traités? Droit non contesté Requête en injonctions interlocutoires provisoires C'est à la Cour qu'il appartient de décider à l'instruction si l'exigence d'un permis constitue une atteinte et, le cas échéant, si cette atteinte était justifiée.
Droit constitutionnel Partage des pouvoirs Agents pro- vinciaux de conservation également désignés agents des pêches en vertu de la Loi fédérale Intervention visant à empêcher la vente de poisson pris par des pêcheurs ne déte- nant pas de permis commercial provincial Sont-ils, aux fins de la compétence de la Cour fédérale, des mandataires de la Couronne fédérale? Possibilité d'agir en vertu de diffé- rentes sources de pouvoir En l'espèce, les fonctionnaires ont agi en vertu de la Loi sur la chasse et la pêche, loi provinciale édictée sous le régime de la compétence sur la propriété et les droits civils dans la province Il ne s'agit pas d'un pouvoir délégué par le ministre fédéral, ce dernier n'ayant pas compé- tence à ce chapitre.
Compétence de la Cour fédérale Section de première ins tance Requête en injonctions contre la Couronne fédérale, un ministre fédéral, un ministre provincial ainsi que des fonc- tionnaires fédéraux et provinciaux La preuve n'ayant pas établi que le ministre provincial et ses fonctionnaires ont agi en vertu d'un pouvoir fédéral, ils ne sont pas les mandataires de la Couronne fédérale au sens de l'art. 17 de la Loi sur la Cour fédérale Les personnes désignées aux termes d'une loi d'une province sont expressément exclues de la compétence conférée par l'art. 18à l'égard des offices fédéraux.
Pêches Droits ancestraux ou issus de traités Un fonc- tionnaire du ministère des Richesses naturelles de l'Ontario a avisé des acheteurs de poisson de ne pas s'approvisionner auprès de pêcheurs ne détenant pas de permis Agissait-il en vertu de la Loi sur les pêches fédérale? Connaissance d'of- fice des ententes en vertu desquelles les fonctionnaires provin- ciaux appliquent la Loi fédérale Les fonctionnaires peuvent tirer leur pouvoir de différentes sources, dont la compétence provinciale en matière de vente de poisson dans la province La preuve n'établit pas qu'ils ont agi en vertu d'une délégation fédérale de pouvoir.
Il s'agit d'une requête en injonctions interlocutoires provi- soires visant à empêcher les défendeurs d'entraver la vente de poisson par les demandeurs. Ceux-ci sont des autochtones qui pêchent dans les eaux du Lac Huron, au large de la Péninsule Bruce, et qui vendent leurs prises. Entre décembre 1990 et mars 1992, il y a eu des pourparlers entre eux et le ministre des Richesses naturelles de l'Ontario au sujet de leur revendication quant à des droits de pêche ancestraux ou issus de traités. Pen dant cette période, les demandeurs ont continué à pêcher et à vendre leurs prises, sans détenir de permis de pêche commer- ciale. En mars 1992, le gestionnaire de district du ministère a écrit aux acheteurs de poisson pour les aviser qu'ils étaient passibles de poursuites s'ils s'approvisionnaient auprès de per- sonnes non titulaires de permis. Selon les demandeurs, le fonc- tionnaire provincial a agi ainsi en vertu d'un pouvoir que lui a délégué le ministre fédéral. Dans l'action qu'ils ont intentée contre les défendeurs, ils concluent, entre autres, à une déclara- tion quant à leurs droits de pêche ancestraux ou issus de traités.
Jugement: la demande devrait être rejetée.
Si l'existence d'un droit ancestral de pêche commerciale n'est pas contestée, cela ne signifie pas que ce droit soit absolu, sa portée faisant précisément l'objet du litige. Dans l'arrêt R. c. Sparrow, la Cour suprême du Canada a jugé que, même dans le cas c'est le droit de pêche à des fins de sub- sistance qui est allégué, le tribunal doit décider si le droit existe, s'il y a eu atteinte à ce droit et, le cas échéant, si l'at- teinte est justifiée. Ces questions ne seront tranchées qu'à l'instruction. La Cour prend connaissance d'office des ententes en vertu desquelles la compétence quant à l'application de la Loi sur les pêches fédérale est déléguée aux fonctionnaires pro- vinciaux. Il ne s'ensuit nécessairement, toutefois, qu'ils agis- saient en l'espèce en vertu de la compétence constitutionnelle fédérale sur les pêcheries et à titre de mandataires du gouver- nement fédéral. Leur pouvoir peut être fondé sur d'autres sources. En matière d'achat et de vente de poisson dans la pro vince, les mesures qu'ils prennent relèvent de la compétence provinciale sur la propriété et les droits civils dans la province, domaine à l'égard duquel le gouvernement fédéral n'a pas de compétence législative à déléguer. La Loi sur la chasse et la pêche de l'Ontario n'est manifestement pas, aux fins de la compétence de la Cour fédérale, une loi du Canada au sens de l'article 101 de la Constitution. Aux termes de l'article 17, cette Cour n'a compétence qu'à l'égard de la Couronne fédé- rale et de ses mandataires. Aux termes de l'article 18, seul peut faire l'objet d'un recours un office fédéral au sens du para- graphe 2(1), lequel exclut expressément toute personne dési- gnée en vertu d'une loi provinciale. Le ministre des Richesses naturelles n'est donc pas une partie compétente aux fins d'une action en Cour fédérale.
Les demandeurs invoquent les droits ancestraux que leur garantit la Constitution et se réclament du caractère inopérant, aux termes de l'article 52, de toute règle de droit contraire à la Constitution. Quoique l'article 52 puisse être soulevé à l'ins- truction, il n'a pas, à cette étape interlocutoire, d'incidence sur l'application de l'article 22 de la Loi sur la responsabilité de l'Etat est reconnue l'immunité de la Couronne à l'égard des ordonnances d'injonction. Cette dernière n'est par conséquent
pas une partie compétente aux fins de la requête en injonction interlocutoire. Il ne peut y avoir lieu à injonction contre le ministre fédéral que s'il est établi qu'il a excédé la compétence que la loi lui confère. Or cette preuve n'a pas été faite. Même si l'on considérait que les agents des pêches de l'Ontario ont agi en vertu d'une délégation de pouvoir découlant de la com- pétence fédérale, rien ne permet, d'ici l'instruction, de con- clure qu'ils ont, sur le plan constitutionnel, excédé cette com- pétence. Le ministre fédéral n'est donc pas une partie compétente aux fins de la requête en injonction interlocutoire. Non plus par ailleurs que les agents des pêches fédéraux et pro- vinciaux innommés tant pour les motifs susmentionnés que parce que, sans moyen d'identifier les personnes, une ordon- nance rendue contre eux ne pourrait être exécutée. Or, la Cour ne rendas d'ordonnances qui ne sont pas susceptibles d'exé- cution. E s tant donné la possibilité que l'action mette en cause la constitutionnalité d'une loi du Parlement ou d'une législature provinciale, les avocats devront, avant que l'affaire ne soit ins- crite au rôle pour instruction, informer la Cour s'il y a lieu de donner aux procureurs généraux l'avis prévu à l'article 57 de la Loi sur la Cour fédérale et, le cas échéant, l'aviser des moda- lités de cet avis et à la date à laquelle il devra être donné.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1) [L.R.C. (1985), appendice II, 5], art. 92(13),(14), 101.
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. I1 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appen- dice II, 44], art. 35(1), 52.
Loi sur la chasse et la pêche, L.R.O. 1990, ch. G.1, art. 72.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 2(1) (mod. par L.C. 1990, chap. 8, art. 1), 17 (mod., idem, art. 3), 18 (mod., idem, art. 4), 57 (mod., idem, art. 19).
Loi sur la responsabilité de l'État, L.R.C. (1985), ch. C-50 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 20), art. 22 (édicté, idem, art. 28).
Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14, art. 2 (mod. par L.C. 1991, ch. 1, art. 1(2)), 5 (mod., idem, art. 2), 33 (mod., idem, art. 8), 43 (mod. par L.R.C., 1985 (ler suppl.), ch. 35, art. 3, 7; L.C. 1991, ch. 1, art. 12).
Règlement de pêche de l'Ontario de 1989, DORS/89-93, art. 2, 3, 4, 36 (mod. par DORS/90-229, art. 13).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 321.1 (édictée par DORS/88-221, art. 7), 332, 419(1).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075; (1990), 70 D.L.R. (4th) 385; [1990] 4 W.W.R. 410; 46 B.C.L.R. (2d) 1; 56 C.C.C. (3d) 263; [1990] 3 C.N.L.R. 160; 111 N.R. 241.
DECISIONS EXAMINÉES:
Re Peralta et al. and The Queen in right of Ontario et al. (1985), 49 O.R. (2d) 705; 16 D.L.R. (4th) 259; 7 O.A.C. 283 (C.A.); conf. sub nom. Peralta c. Ontario, [1988] 2 R.C.S. 1045; (1988), 66 O.R. (2d) 543; 56 D.L.R. (4th) 575; 89 N.R. 323; 31 O.A.C. 319.
DECISIONS CITÉES:
R. c. Thomas Fuller Construction Co. (1958) Ltd et al., [1980] 1 R.C.S. 695; (1979), 106 D.L.R. (3d) 193; 12 C.P.C. 248; 30 N.R. 249; Roberts c. Canada, [1989] 1 R.C.S. 322; [1989] 3 W.W.R. 117; (1989), 35 B.C.L.R. (2d) 1; 25 F.T.R. 161; 92 N.R. 241; Varnam c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1988] 2 C.F. 454; (1988), 50 D.L.R. (4th) 44; 17 F.T.R. 240; 84 N.R. 163 (C.A.); La Reine du chef du Canada c. Chef William Joe et autres, [ 1984] 1 C.N.L.R. 96; (1983), 49 N.R. 198 (C.A.F.); conf. sub nom. Joe c. Canada, [1986] 2 R.C.S. 145; (1986), 69 N.R. 318; Le Grand Council of the Crees (of Quebec) c. R., [ 1982] 1 C.F. 599; (1981), 124 D.L.R. (3d) 574; 41 N.R. 257 (C.A.); autori- sation de pourvoi à la C.S.C. refusée [1982] 1 R.C.S. viii; (1982), 41 N.R. 354; Attorney -General for the Dominion of Canada v. Attorneys -General for the Provinces of Ontario, Quebec, and Nova Scotia, [1898] A.C. 700 (P.C.); Attorney -General for Canada v. Attorney -General for British Columbia, [1930] A.C. 111 (P.C.); New- foundland Inshore Fisheries Association et autres c. Canada (Ministre de l'Environnement) et autres (1990), 37 F.T.R. 230 (C.F. ire inst.); Lodge c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1979] 1 C.F. 775; (1979), 94 D.L.R. (3d) 326; 25 N.R. 437 (C.A.); Baxter Foods Ltd. c. Canada (Ministre de l'Agriculture) (1988), 25 C.P.R. (3d) 21; 21 F.T.R. 15 (C.F. Ire inst.); Pacific Sal mon Industries Inc. c. La Reine, [1985] 1 C.F. 504 (1984), 3 C.P.R. (3d) 289 (Ire inst.); Esquimalt Anglers' Associa tion et al. c. Canada (Ministre des Pêches et Océans) (1988), 21 F.T.R. 304 (C.F. Ire inst.).
REQUÊTE en injonctions provisoires et interlocu- toires. Requête rejetée.
AVOCATS:
Remi C. Smith pour les demandeurs.
Dogan Akman pour le défendeur, le ministre des
Pêches et des Océans.
Elaine Atkinson pour le défendeur, le ministre
des Richesses naturelles.
PROCUREURS:
Nahwegahbow, Jones, Hawken, Ottawa, pour les demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada, pour le défendeur, le ministre des Pêches et des Océans.
Procureur général de l'Ontario, pour le défen- deur, le ministre des Richesses naturelles.
Ce qui suit est la version française des motifs des ordonnances rendus par
LE JUGE MACKAY: Les présents motifs se rappor- tent aux ordonnances prononcées en ce jour relative- ment à certaines questions juridictionnelles soulevées par la requête qu'ont présentée les demandeurs en vue d'obtenir une réparation de la nature d'une injonction provisoire et interlocutoire.
Les demandeurs sont des Chippewas des bandes indiennes de Saugeen et de Nawash, descendants directs de la Nation saugeen ojibwa. Il s'agit de pêcheurs qui revendiquent, en leur nom et au nom de tous les membres de leur bande respective, le droit de pêche à des fins de subsistance, y compris le com merce et le troc du poisson, droit qu'ils prétendent avoir exercé de temps immémoriaux au large de la Péninsule Bruce, dans les eaux du Lac Huron en la province d'Ontario.
Dans une déclaration déposée le 5 mai 1992, les demandeurs ont institué contre les défendeurs une action visant la reconnaissance de droits traditionnels de pêche à titre de droits ancestraux ou issus de traités. Les demandeurs y concluent à un certain nombre de déclarations, dont certaines à titre subsi- diaire, concernant l'existence des droits ancestraux ou issus de traités revendiqués et les conséquences en découlant eu égard aux articles 35 et 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44]], et concernant les obligations fidu- ciaires qu'assumeraient envers eux Sa Majesté du chef du Canada ainsi que le ministre des Pêches et des Océans et ses délégués. Le ministre provincial ainsi que les fonctionnaires de son Ministère classés dans la catégorie générale des «agents des pêches» sont joints à titre de défendeurs parce qu'ils auraient agi en vertu d'une délégation de pouvoir du ministre des Pêches et des Océans en omettant de protéger et, de fait, en entravant les présumés droits ancestraux ou issus de traités des demandeurs, en contravention avec les lois du Canada.
Le jour même de l'introduction de l'action, les demandeurs ont déposé un avis de requête en vue d'obtenir une injonction provisoire et interlocutoire, vraisemblablement applicable en cours d'instance, afin de faire cesser toute entrave à leur présumé droit ancestral ou issu de traités de prendre et de commer- cialiser le poisson pris dans les eaux traditionnelles et d'empêcher l'application de l'article 33 de la Loi sur les pêches [L.R.C. (1985), ch. F-14 (mod. par L.C. 1991, ch. 1, art. 8)] et l'article 4 du Règlement de pêche de l'Ontario de 1989 [DORS/89-93] aux ache- teurs de poisson des demandeurs, et en particulier à quatre personnes ou entreprises désignées. Seraient visés par les ordonnances d'injonction demandées:
[TRADUCTION] 1) Sa Majesté la Reine du chef du Canada, «tel que prévu par ... l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982»;
2) le ministre des Pêches et des Océans défendeur, ainsi que les fonctionnaires et les «agents des pêches» du ministère des Pêches et des Océans;
3) le ministre des Richesses naturelles (Ontario) défendeur, ainsi que les fonctionnaires, agents de conservation et «agents des pêches» du ministère des Richesses naturelles (Ontario).
Les requérants demandent également la permission d'abréger le délai de signification de l'avis de requête et une ordonnance leur permettant de déroger à la Règle 321.1 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663 (édictée par DORS/88-221, art. 7)] prévoyant le dépôt du dossier du requérant, conformément au paragraphe 6 de cette Règle. À l'audition de cette requête le 7 mai 1992, le ministre des Richesses natu- relles (Ontario) a indiqué son intention de contester la compétence de cette Cour à son égard quant à l'ac- tion des demandeurs. La compétence de la Cour a également été mise en question à ce moment en ce qui a trait aux défendeurs anonymement désignés comme «agents des pêches». L'avocat des deman- deurs, celui de Sa Majesté la Reine du chef du Canada et du ministre des Pêches et des Océans ainsi que l'avocat du ministre provincial ont tous souscrit pour le compte de leurs clients respectifs aux termes d'une ordonnance d'ajournement sine die de la requête en injonction provisoire et interlocutoire, les demandeurs étant autorisés à demander la fixation d'une ou de plusieurs dates spéciales pour l'audition des questions préliminaires concernant la compétence
de la Cour à l'égard du ministre de l'Ontario et des «agents des pêches» de son Ministère, ainsi que pour l'audition de la requête en injonction interlocutoire. De consentement, il a de plus été ordonné que les documents déjà déposés par les demandeurs soient réputés constituer un dossier suffisant aux fins de la requête en injonction interlocutoire, et on a fixé la date de dépôt des défenses.
À la suite de quoi, sur requête au juge en chef adjoint, il a été ordonné que l'audition des questions relatives à la compétence de la Cour soit fixée au 23 juin 1992. Le 15 juin 1992, les avocats des défen- deurs Sa Majesté la Reine du chef du Canada, le ministre des Pêches et des Océans (Canada) ainsi que les «agents des pêches» agissant sous l'autorité du ministre fédéral en vertu de la Loi sur les pêches et ses règlements d'application, ont présenté une requête visant à obtenir:
1) une ordonnance fondée sur les alinéas a), c) et f) de la Règle 419(1) radiant les noms des défendeurs fédéraux de la déclaration;
2) une ordonnance ajournant sine die l'audition de cette requête en radiation, les défendeurs fédéraux devant, moyennant avis de trois jours francs, pré- senter à la Cour une demande de fixation d'une date spéciale d'audience; et
3) une ordonnance en vertu des alinéas a), c) et f) de la Règle 419(1) radiant les noms des défendeurs fédéraux de la requête en injonction des deman- deurs.
Sans objection ou commentaire de la part des deman- deurs, la demande d'ajournement de la première de ces requêtes a été accueillie verbalement et est confir- mée en ce jour par ordonnance écrite. Quant à la troi- sième demande d'ordonnance visant à faire radier les défendeurs fédéraux des intimés de la requête en injonction, elle a été, suivant entente, débattue dans la réponse des défendeurs fédéraux aux arguments des demandeurs sur la question juridictionnelle, ainsi que dans la réplique de ces derniers lors de l'audition de ces questions préliminaires, auxquelles se rapportent les présents motifs.
Après l'audition des questions juridictionnelles préliminaires, les demandeurs ont déposé un avis de requête, sans l'affidavit requis à l'appui, par lequel ils demandaient la permission de rouvrir l'audition,
moyennant un bref délai, pour présenter des éléments de preuve additionnels. Devant l'opposition des défendeurs fédéraux, l'avocat des demandeurs a indiqué qu'il ne donnerait pas suite à la requête qui fût, de fait, retirée.
Le contexte
L'action des demandeurs et leur requête en injonc- tion interlocutoire doivent être replacées dans le con- texte des discussions entre les demandeurs ou leurs représentants et le ministre provincial des Richesses naturelles (Ontario) défendeur, discussions entrepri- ses en décembre 1990 et qui n'avaient pas encore débouché sur une entente satisfaisante lorsque ce ministre a pris, en mars 1992, des mesures qui, pré- tendent les demandeurs, vont à l'encontre de leurs droits ancestraux ou issus de traités. On indique dans la déclaration que ces discussions visaient [TRADUC- TION] «l'établissement d'un accord global de coges- tion des pêches dans les lieux traditionnels de pêche des demandeurs et la collaboration à des fins de con servation et de gestion des ressources de pêche qui s'y trouvent». Depuis décembre 1990, soit pendant les discussions et jusqu'à maintenant, les demandeurs ont continué à pêcher dans les eaux qu'ils disent tra- ditionnelles et à commercialiser le poisson pris, sans permis, jusqu'au printemps de 1992. Avant décembre 1990, les demandeurs et leurs prédécesseurs auraient à l'occasion, sinon de façon constante pendant quelques années, été titulaires de permis, bien qu'il n'y ait aucune preuve au dossier quant aux ententes existant avant cette date.
En février 1992, les chefs et les conseils des terri- toires des nations Saugeen ojibwa, représentant les Chippewas de Saugeen et de Nawash, ont approuvé et ratifié par résolution le Règlement de pêche provi- soire des territoires des Nations saugeen ojibwa, applicable à compter de la saison 1991. Subséquem- ment le 27 mars 1992, le gestionnaire intérimaire du district d'Owen Sound, apparemment du ministère des Richesses naturelles (Ontario), a fait parvenir aux acheteurs de poisson du district une lettre circulaire ainsi rédigée:
[TRADUCTION] Veuillez noter qu'en vertu des articles 33 de la Loi sur les pêches et 72 de la Loi sur la chasse et la pêche, il est illégal d'acheter sur le marché du poisson qui n'a été pris à
l'origine par le titulaire d'un permis de pêche commerciale autorisant la prise de cette espèce particulière de poisson.
Nous sollicitons donc à nouveau cette année votre concours en vous demandant de ne pas acheter de poisson de personnes non titulaires de permis. Pour de plus amples informations ou explications, il vous suffit de communiquer avec Brett Hods - don, superviseur intérimaire des pêches et de la faune à Owen Sound (519) 376-3860.
M. Tom Howell, l'un de ceux qui achètent réguliè- rement du poisson des Chippewas de la bande nawash, représentée en l'espèce par le demandeur Ralph Akiwenzie, affirme avoir reçu la lettre circu- laire du 27 mars, ou une lettre similaire. Il dit aussi avoir eu ultérieurement des conversations avec le superviseur des pêches et de la faune, fonctionnaire provincial du ministère des Richesses naturelles (Ontario), [TRADUCTION] «concernant le fait qu'il lui était impossible d'acheter du poisson de quiconque n'est pas titulaire d'un permis commercial et la possi- bilité que des accusations soient portées en cas de contravention». D'après les demandeurs, d'autres acheteurs réguliers par le passé ont également reçu la lettre circulaire précitée, dont les trois personnes ou entreprises désignées qu'outre M. Howell les deman- deurs veulent protéger de possibles poursuites par le biais d'ordonnances d'injonction interlocutoire.
D'où l'action des demandeurs et la demande de réparation par voie d'injonction interlocutoire en attendant l'issue du litige. Il est allégué que le minis- tre des Richesses naturelles (Ontario) et les fonction- naires de son ministère agissant en vertu d'une délé- gation de pouvoir du ministre fédéral, ont de fait interdit la vente de poisson pris par les demandeurs dans leurs eaux de pêche traditionnelles, mesure qui contreviendrait au droit de pêche ancestral ou issu de traités des demandeurs, dont le droit de pêche com- merciale. Les demandeurs en subiraient un préjudice irréparable, ce qui justifierait le prononcé d'une injonction à ce stade, en cours d'instance.
Les demandeurs soutiennent que cette action sou- lève un certain nombre de questions relevant de la compétence de la Cour fédérale en vertu des para- graphes 17(1) et (4) et de l'alinéa 17(5)b) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, modi- fiée [L.C. 1990, ch. 8, art. 3]. Ces dispositions confè- rent à la présente Cour compétence concurrente dans les cas de demande de réparation contre la Couronne,
de procédures visant à régler les différends mettant en cause la Couronne à propos d'une obligation réelle ou éventuelle pouvant faire l'objet de demandes con- tradictoires, ainsi qu'à l'égard des actions intentées contre un fonctionnaire, préposé ou mandataire de la Couronne pour des faits—actes ou omissions—surve- nus dans le cadre de ses fonctions. Parmi les ques tions soulevées, on cite les droits ancestraux, la pêche, les Indiens et les terres indiennes, les droits issus de traités, la responsabilité fédérale pour les actes des mandataires ou préposés désignés en vertu de pouvoirs délégués à des fins administratives, la responsabilité fiduciaire de la Couronne fédérale envers les Indiens ainsi que le pouvoir provincial de réglementer la vente de poisson par les autochtones. Soulignons que la compétence de cette Cour dans un cas donné ne dépendra pas seulement du caractère général des questions soulevées, mais également des questions particulières découlant des faits de l'es- pèce, du type de réparation demandé et des parties ayant institué le recours ou été constituées défende- resses.
L'avocat des défendeurs fédéraux, soutenu par l'avocat du ministre provincial, ont fait valoir que plusieurs des affidavits produits à l'appui de la requête ne respectent pas, du moins sous divers aspects, les exigences de la Règle 332 de la Cour fédérale, à savoir que les affidavits doivent se res- treindre aux faits qui sont à la connaissance du décla- rant. Notons que la Règle comporte une réserve à l'égard des requêtes interlocutoires, pour lesquelles peuvent être admises des déclarations fondées sur ce que le déclarant croit et indiquant pourquoi il le croit. Selon l'avocat des défendeurs fédéraux, les affidavits présentés en l'espèce ne peuvent à plusieurs égards bénéficier de l'exception car les raisons de croire des déclarants n'y sont pas exposées. On allègue égale- ment que certains affidavits ne sont pas pertinents quant à la principale question soulevée par la déclara- tion et la requête en injonction, soit le droit des demandeurs de vendre le poisson pris sans permis. Pour l'essentiel, les questions relatives à la nature et à la pertinence de la preuve par affidavit sont des ques tions touchant le bien-fondé de la demande d'injonc- tion interlocutoire, demande dont je ne suis pas direc- tement saisi et qui n'a pas été débattue à l'audition. Celle-ci et les présents motifs ont trait aux questions préliminaires de compétence de cette Cour à l'égard
des divers défendeurs visés par la demande d'injonc- tion en cours d'instance et, dans le cas du ministre ontarien, à l'égard de son statut de défendeur ainsi que celui des fonctionnaires de son Ministère dans l'action instituée par les demandeurs. Ainsi, aux fins des présents motifs, il est pour l'essentiel présumé que le fondement factuel de la réparation demandée est, ou sera, établi.
Il y a toutefois une exception. Il semble en effet essentiel de prendre en considération, dans les pré- sents motifs, les éléments de preuve concernant le statut du ministre provincial des Richesses naturelles (Ontario) et des fonctionnaires de son Ministère en leur qualité de délégués du ministre fédéral des Pêches et des Océans, qualité qui constituerait le fon- dement de leur assignation à titre de défendeurs et de la demande de réparation interlocutoire. J'y revien- drai après avoir exposé les dispositions législatives pertinentes.
Dispositions législatives pertinentes
On trouvera ci-après le texte de certaines disposi tions législatives en cause en l'espèce. La Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14, modifiée [art. 2 (mod. par L.C. 1991, ch. 1, art. 1(2)), 5 (mod., idem, art. 2), 33 (mod., idem, art. 8)], dispose:
2....
«agent des pêches» Personne désignée à ce titre en vertu du paragraphe 5(1).
5. (1) Le ministre peut désigner toute personne ou catégorie de personne à titre d'agents des pêches ... pour l'application de la présente loi et peut restreindre, de la façon qu'il estime indiquée, les pouvoirs qu'un agent des pêches ... est autorisé à exercer sous le régime de cette loi ou de toute autre loi fédé- rale.
(2) Les personnes désignées à titre d'agents des pêches ou de gardes-pêche reçoivent un certificat de désignation dont la forme est approuvée par le ministre; celles dont les pouvoirs sont restreints reçoivent un certificat sont énumérés ceux qu'elles sont autorisées à exercer.
33. 11 est interdit d'acheter, de vendre ou d'avoir en sa pos session du poisson qui a été pêché en contravention avec la présente loi ou les règlements.
43. Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements d'application de la présente loi, notamment:
a) concernant la gestion et la surveillance judicieuses des pêches en eaux côtières et internes;
j) concernant la délivrance, la suspension et la révocation des licences, permis et baux;
g) concernant les conditions attachées aux licences, permis et baux; ...
Le Règlement de pêche de l'Ontario de 1989, pris par le gouverneur en conseil en vertu de l'article 43 de la Loi sur les pêches [mod. par L.R.C. 1985 (lei suppl.), ch. 35, art. 3, 7; L.C. 1991, ch. 1, art. 12], prévoit entre autres [art. 2, 3, 4, 36 (mod. par DORS/90-229, art. 13)]:
2. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent au présent règlement.
«Loi provinciale» La loi de l'Ontario intitulée Game and Fish Act, chapitre 182 des lois révisées de l'Ontario de 1980.
«ministre provincial» Le ministre des richesses naturelles de l'Ontario.
«permis» Permis visé à l'annexe XV qui est délivré conformé- ment à la Loi provinciale
(4) Tout permis est assujetti à la Loi ainsi qu'au présent règlement.
3. (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (4), le présent règlement s'applique à la pêche dans la province d'Ontario ainsi qu'au transport et au transfert du poisson vivant pris dans les eaux de cette province.
4. Il est interdit à quiconque n'y est pas autorisé par le per- mis approprié:
a) de pêcher à la ligne ou par un autre moyen;
b) d'expédier ou de transporter, ou de tenter d'expédier ou de transporter, du poisson vivant autre que du poisson-appât;
c) de déposer ou de tenter de déposer dans une étendue d'eau du poisson vivant pris dans une autre étendue d'eau.
36. (1) Le ministre provincial peut, dans tout permis de pêche commerciale, fixer des conditions non incompatibles avec le présent règlement, en ce qui concerne:
a) les eaux le poisson peut être pris;
b) l'espèce, la taille et la quantité du poisson qui peut être pris;
c) les engins de pêche qui peuvent être utilisés;
d) les personnes qui peuvent pêcher aux termes du permis;
e) le chargement, le débarquement, la manutention et le transport du poisson.
f) la période—du jour ou de l'année—au cours de laquelle la pêche est interdite.
(2) Il est interdit au titulaire d'un permis de pêche commer- ciale d'enfreindre les conditions de son permis.
Quant à la Loi sur la chasse et la pêche, L.R.O. 1990, ch. G.1, elle dispose à l'article 72:
72. (1) Nul ne doit vendre, mettre en vente, acheter ou tro- quer du saumon de l'Atlantique (connu également sous le nom de ouananiche) pris dans les eaux de la province, de l'achigan à petite bouche, de l'achigan à grande bouche, du maskinongé, de la truite mouchetée, de la truite brune, de la truite arc-en- ciel, de la truite aurore ou une partie de ces poissons, y compris leurs veufs, ni être intéressé à la vente, à l'achat ou au troc de ces poissons ou d'une de leurs parties, y compris leurs veufs. Toutefois, sous réserve des conditions prescrites par les règle- ments [une vente peut être faite en vertu d'un permis]..
(2) Nul ne doit vendre, mettre en vente, acheter ou troquer du doré jaune (connu également sous le nom de doré), du bro- chet commun, de la truite de lac, de l'esturgeon, du doré noir pêchés dans les eaux de l'Ontario ou pris d'une autre façon par quiconque n'est pas titulaire d'un permis de pêche, ou une par- tie de ces poissons, ni être intéressé à la vente, à l'achat ou au troc de ces poissons ou d'une de leurs parties.
Les fonctionnaires provinciaux en qualité de délégués du pouvoir fédéral
Soulignons que la requête en injonction conclut notamment à ce qu'il soit interdit au ministre provin cial ainsi qu'aux fonctionnaires et agents de conser vation de son Ministère d'appliquer l'article 33 de la Loi sur les pêches ainsi que l'article 4 du Règlement de pêche de l'Ontario de 1989. Le premier interdit la pêche, la vente ou la possession de poisson pris en violation de la Loi ou des règlements, tandis que le second interdit la pêche sans le permis approprié. Rien dans la requête ne vise l'application de l'article 72 de la Loi sur la chasse et la pêche de l'Ontario, aux termes duquel sont interdits la vente, l'achat ou le troc de poisson, sauf en conformité avec les règle- ments, lorsque ce poisson est pris par une personne qui n'est pas titulaire d'un permis de pêche commer- ciale. Cette dernière loi, la Loi provinciale, y est pourtant clairement désignée comme étant l'une de celles qu'ont invoquées les fonctionnaires provin-
ciaux pour mettre les acheteurs en garde contre l'achat et la vente de poisson.
Les demandeurs soutiennent qu'étant donné qu'elle annihile leur capacité de vendre du poisson en anéantissant leur marché, l'interdiction frappant les acheteurs quant à la vente commerciale de poisson constitue en réalité une interdiction de pêche com- merciale sans un permis délivré par la province en conformité avec le pouvoir délégué de réglementer la pêche en vertu du Règlement de pêche de l'Ontario de 1989, d'origine fédérale. Cette interdiction, pré- tend-on, contrevient au droit ancestral ou issu de traités des demandeurs, droit que reconnaîtrait le ministre de l'Ontario. S'il semble clair, toutefois, que dans le cadre des négociations avec les demandeurs, le ministre ne conteste pas la revendication d'un droit ancestral de pêche commerciale, cela ne saurait être considéré comme la reconnaissance d'un droit illi- mité. De fait, la définition ou la limitation de ce droit paraît être un des points importants des pourparlers. Pour des raisons différentes, les avocats des deman- deurs et des défendeurs fédéraux se sont tous deux reportés à l'arrêt de la Cour suprême du Canada R c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075. À mon sens, cette décision reconnaît au défendeur en l'espèce un droit ancestral de pêche à des fins de subsistance, mais on y indique qu'en cas de contravention alléguée, le tri bunal doit décider si le droit existe, s'il a été enfreint et, le cas échéant, si la loi y portant atteinte peut être justifiée dans les circonstances. Ainsi, de façon impli- cite, même un droit ancestral de pêche à des fins de subsistance peut être assujetti à des exigences en matière de permis dans la mesure ces exigences ne portent pas atteinte à ce droit ou, si elles le font, dans la mesure elles peuvent être justifiées. Dans tous les cas, ces questions exigent un examen attentif de la preuve et des arguments, examen auquel se prête mal un recours interlocutoire. En l'espèce, les questions se rapportant à la reconnaissance d'un droit ancestral de pêche à des fins commerciales et, le cas échéant, aux restrictions auxquelles ce droit serait assujetti, sont soulevées par l'action des demandeurs mais ne seront tranchées qu'à l'instruction.
Mises à part ces questions difficiles, je ne suis pas convaincu que, dans la mesure ils sont fondés sur l'article 72 de la Loi provinciale, les agissements des fonctionnaires ontariens en l'espèce relèvent de la
législation en matière de permis de pêche plutôt qu'en matière d'achat et de vente de poisson dans la province. On n'a pas fait valoir d'arguments de fond quant à l'objet ou à l'effet de cette disposition. Vu cette absence d'arguments, je ne suis pas persuadé que l'article 72 de la Loi sur la chasse et la pêche de l'Ontario soit une disposition relative aux permis de pêche bien qu'il puisse servir de fondement à une réglementation en cette matière. Dans les circons- tances, on doit présumer qu'il s'agit, selon ses propres termes, d'une disposition relative à l'achat et à la vente de poisson dans la province, sujet qui relève de la compétence provinciale en vertu du para- graphe 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, 5]].
Selon les avocats des défendeurs fédéraux et du ministre provincial, rien dans la preuve n'établit que le ministre provincial ou les agents de conservation de son Ministère aient agi à titre de délégués du ministre ou du gouvernement fédéral en mettant les acheteurs en garde contre le fait d'acheter du poisson de pêcheurs qui ne sont pas titulaires d'un permis de pêche commerciale valide. Je souscris à cet argu ment. Je souscris également à la prétention du minis- tre provincial suivant laquelle rien n'indique qu'il ait agi à ce titre quant à toute négociation avec les demandeurs, toute reconnaissance d'un droit de pêche ancestral à des fins commerciales ou tout recours à la législation provinciale; de fait, il n'est aucunement allégué dans la déclaration qu'il a agi à ce titre dans ces domaines.
La déclaration met pourtant le ministre provincial et les agents de conservation de son Ministère en cause à titre de délégués du pouvoir fédéral dans les termes suivants:
[TRADUCTION] 4. Le ministre des Richesses naturelles défendeur a reçu du ministre des Pêches défendeur le pouvoir délégué d'appliquer le Règlement de pêche de l'Ontario dans la pro vince d'Ontario et pour elle.
5. Les «agents des pêches» défendeurs sont ... les agents de conservation que le ministre des Richesses naturelles défen- deur a désignés par certificat en vertu de son pouvoir délégué aux fins de l'application des dispositions de ladite Loi [sur les pêches] et le Règlement.
On fait valoir, au nom des demandeurs, que cette Cour devrait prendre note du fait que la compétence aux fins de l'application de la Loi sur les pêches et du Règlement de pêche de l'Ontario de 1989 est, aux termes de cette Loi et du Règlement, effectivement déléguée aux fonctionnaires provinciaux, relation qui a été reconnue dans l'arrêt Re Peralta et al. and The Queen in right of Ontario et al. (1985), 49 O.R. (2d) 705 (C.A.), pourvoi à la C.S.C. refusé avec commen- taires, [1988] 2 R.C.S. 1045. Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada a rejeté le pourvoi essen- tiellement pour les motifs donnés par le juge en chef adjoint de l'Ontario MacKinnon, tout en ajoutant le commentaire suivant la page 1046):
Toutefois on dit dans les motifs que les provinces n'ont pas les pouvoirs de réglementer la pêche à des fins commerciales. C'est indubitablement vrai de la législation d'application géné- rale à cette fin. Nous ne voulons toutefois pas que cette affir mation soit interprétée comme une acceptation de la proposi tion que les provinces n'ont pas compétence pour adopter des règlements relatifs aux pêcheries appartenant aux provinces dans le cadre de leur pouvoir d'administration de leur domaine public. Il va toutefois de soi que pareille réglementation serait assujettie à la législation fédérale prépondérante.
Les arrangements intergouvernementaux visant l'application générale de la Loi sur: les pêches et du Règlement de pêche de l'Ontario ,de 1989 par les fonctionnaires provinciaux ne soulèvent aucune diffi culté réelle et j'accepte d'en prendre note comme le souhaitent les demandeurs. Toutefois, je n'accepte pas d'en tirer le postulat que, si je ne m'abuse, ils souhaitent me voir tirer. Il me semble en effet que les demandeurs voudraient que je conclue que toutes les mesures que prennent les fonctionnaires provinciaux touchant la pêche dans la province découlent d'un pouvoir délégué conformément à la législation fédé- rale. Or au contraire, à mon sens, les fonctionnaires provinciaux en cause en l'espace peuvent agir en vertu de pouvoirs fondés sur des sources différentes. (Voir Re Peralta and The Queen, précité). En matière de permis et autres questions relatives à l'application de la législation fédérale, ils peuvent être les délégués du gouvernement fédéral agissant en vertu de son autorité législative relativement aux pêcheries des côtes de la mer et de l'intérieur, sous le régime du paragraphe 91(12) de la Loi constitutionnelle de 1867. En matière de conservation des ressources pro- vinciales ou encore d'achat et de vente de poisson dans la province, ils agissent en vertu du pouvoir
législatif de la province à l'égard de la propriété et des droits civils dans la province ou des matières d'une nature locale ou privée dans la province, sui- vant les paragraphes 92(13) et (16) de la Loi constitu- tionnelle de 1867. À ce dernier titre, ils ne sont pas les délégués du Parlement du Canada puisque le gou- vernement fédéral n'a pas de pouvoir législatif sus ceptible d'être délégué. En l'espèce, dans sa lettre du 27 mars, le fonctionnaire provincial renvoie tant à des dispositions fédérales que provinciales sur lesquelles, selon toute apparence, il s'appuie pour justifier les conseils donnés aux acheteurs de poisson.
J'en viens aux questions de compétence soulevées à l'audition des questions préliminaires en examinant d'abord la question de la compétence de cette Cour à l'égard du ministre provincial dans l'instance insti- tuée par les demandeurs, puis celle de la compétence pour prononcer une ordonnance de la nature d'une injonction contre Sa Majesté la Reine, le ministre fédéral et les «agents des pêches».
Compétence à l'égard du ministre provincial
La déclaration ne conclut à aucun redressement précis à l'encontre du ministre des Richesses natu- relles (Ontario), bien qu'il y soit constitué défendeur parce qu'il aurait agi en vertu d'une délégation de pouvoir du ministre fédéral. La demande interlocu- toire comprend une injonction enjoignant au ministre provincial et à ses fonctionnaires de cesser d'entraver le droit ancestral ou issu de traités des demandeurs de prendre et de commercialiser le poisson pris dans les eaux traditionnelles et de ne pas appliquer l'article 33 de la Loi sur les pêches et l'article 4 du Règlement de pêche de l'Ontario de 1989 aux acheteurs du poisson des demandeurs.
Le ministre des Richesses naturelles (Ontario) demande le rejet de l'action à son égard pour défaut de compétence. Il fait valoir qu'il n'appert d'aucun affidavit ni d'aucune allégation qu'il a agi, dans le cadre des activités ayant donné lieu à l'instance, à titre de délégué du pouvoir fédéral; que le rôle qu'il a joué en l'espèce est pour l'essentiel fondé sur la com- pétence que lui confère la législation provinciale valide; que l'article 17 de la Loi sur la Cour fédérale, modifiée, ne confère en aucun cas à cette Cour com- pétence à l'égard du ministre provincial; et enfin que les lois sous le régime desquelles il a agi ne sont pas
exclusivement des lois du Canada au sens de l'ar- ticle 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.
Bien que les demandeurs allèguent avoir constitué le ministre provincial défendeur en sa qualité de délégué du pouvoir fédéral, il est loin d'être évident que les mesures qu'il a prises l'ont été en vertu d'un pouvoir délégué par la Loi sur les pêches ou ses règlements d'application. De plus, la mesure ayant donné lieu à l'institution de la présente action, savoir l'envoi de la lettre du 27 mars, est manifestement fondée, du moins en partie, sur l'article 72 de la Loi sur la chasse et la pêche, disposition qui, faut-il pré- sumer à ce stade, relève de la compétence législative de la législature provinciale. Il ne s'agit manifeste- ment pas d'une loi du Canada au sens de l'ar- ticle 101 de la Loi constitutionnelle de 1867, condi tion préalable à l'exercice de la compétence de cette Cour (voir R. c. Thomas Fuller Construction Co. (1958) Ltd. et al., [1980] 1 R.C.S. 695; Roberts c. Canada, [1989] 1 R.C.S. 322, le juge Wilson, à la page 330). Dans la mesure la lettre du 27 mars renvoie à l'article 33 de la Loi sur les pêches, les fonctionnaires du ministre provincial peuvent être réputés agir à titre de délégués du pouvoir fédéral lorsqu'ils attirent l'attention des acheteurs de poisson sur la législation fédérale qu'ils jugent applicable. Mais la poursuite pour violation d'une interdiction imposée par une loi fédérale peut fort bien être une question relevant de l'administration de la justice dans la province au sens du paragraphe 92(14) de la Loi constitutionnelle de /867, point qui n'a pas été débattu en l'espèce.
Enfin, il est bien établi que cette Cour n'a, aux termes de l'article 17 de la Loi sur la Cour fédérale visant les causes générales d'action, d'autre compé- tence que celle qui lui est reconnue à l'égard de la Couronne (Sa Majesté du chef du Canada), ses prépo- sés ou mandataires. Dans le cas d'une demande d'in- jonction ou de jugement déclaratoire fondée sur l'ar- ticle 18 [mod. par L.C. 1990, ch. 8 art. 4], seul peut être visé un office fédéral au sens du paragraphe 2(1) [mod., idem, art. 1] de la Loi. Sont expressément exclus de la définition du terme «office fédéral» «un organisme constitué sous le régime d'une loi provin- ciale ou ... une personne ou ... un groupe de per- sonnes nommées aux termes d'une loi provinciale» (Loi sur la Cour fédérale, précitée, paragraphe 2(1)).
Suivant l'article 17, des mesures ne peuvent être pri ses qu'à l'encontre de la Couronne fédérale et cette Cour n'a pas compétence dans les cas de recours con- tre une province (Varnam c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1988] 2 C.F. 454 (C.A.), à la page 462 et La Reine du chef du Canada c. Chef William Joe et autres, [1984] 1 C.N.L.R. 96 (C.A.F.), à la page 97, confirmé par [1986] 2 R.C.S. 145). Il en va de même dans le cas d'un recours contre un ministre provincial, les demandes d'injonction ou de jugement déclaratoire s'exerçant expressément, aux termes de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, à l'encontre des man- dataires du gouvernement fédéral.
Pen conclus, en conséquence, que le ministre des Richesses naturelles (Ontario) n'est pas une partie compétente aux fins de la présente action et partant, aux fins de la demande d'injonction interlocutoire. Je souscris donc à l'argument suivant lequel il y a lieu, quant à lui, de rejeter l'action pour défaut de compé- tence de cette Cour.
L'injonction et les autres défendeurs
1) L'injonction et Sa Majesté la Reine
On demande que soit décernée contre Sa Majesté la Reine une injonction interlocutoire, tel que prévu par les dispositions de l'article 52 de la Loi constitu- tionnelle de 1982, enjoignant à la Couronne de cesser d'entraver le droit ancestral ou issu de traités des demandeurs
[ ADucr[oN] ... de prendre et de commercialiser le poisson pris dans les eaux traditionnelles et, de plus, ... de ne pas appliquer l'article 33 de la Loi sur les pêches et l'article 4 du Règlement de pêche de l'Ontario aux acheteurs du poisson des demandeurs, et plus particulièrement [aux quatre acheteurs désignés] ...
Parmi les dispositions de la Loi constitutionnelle de 1982 invoquées dans la présente action ainsi que dans la requête en injonction interlocutoire, figurent les articles 35 et 52, lesquels disposent:
35. (1) Les droits existants—ancestraux ou issus de traités— des peuples autochtones du Canada sont reconnus et con firmés.
52. (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.
(2) La Constitution du Canada comprend:
a) la Loi de 1982 sur le Canada, y compris la présente loi;
b) les textes législatifs et les décrets figurant à l'annexe;
c) les modifications des textes législatifs et des décrets men- tionnés aux alinéas a) ou b).
L'article 52, prétend-on, permettrait d'annuler une loi ou un règlement incompatible, entre autres, avec les droits ancestraux reconnus par le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. On fait valoir en l'occurrence que le ministre des Richesses naturelles de l'Ontario a reconnu le droit ancestral revendiqué par les demandeurs. Ainsi, les affidavits de membres de l'Église unie du Canada et de la Coalition pour les droits des autochtones (Projet nordique) font état de lettres similaires dans lesquelles le ministre reconnaît que, dans le cadre des négociations de pêche avec la Nation saugeen ojibwa, le gouvernement de l'Ontario [TRADUCTION] «ne conteste ni la revendication autoch- tone en faveur d'un droit ancestral de pêche, ni la revendication autochtone en faveur d'un droit ances tral de pêche commerciale».
Bien que l'application de l'article 52 puisse être une question susceptible d'être prise en considération à l'instruction au fond, on ne peut à mon avis l'invo- quer à ce stade à l'appui d'une demande d'injonction interlocutoire. Les demandeurs ne l'ont pas fait valoir, et je ne suis pas convaincu que, directement ou indirectement, l'article 52 ait, aux termes mêmes de son libellé, une incidence sur l'application de l'ar- ticle 22 de la Loi sur la responsabilité de l'État, L.R.C. (1985), ch. C-50, modifiée [par L.C. 1990, ch. 8, art. 20]. Cet article dispose:
22. (1) Le tribunal ne peut, lorsqu'il connaît d'une demande visant l'État, assujettir celui-ci à une injonction ou à une ordonnance d'exécution, mais dans les cas ces recours pour- raient être exercés entre particuliers, il peut, pour en tenir lieu, déclarer les droits des parties.
(2) Le tribunal ne peut, dans aucune poursuite, rendre contre un préposé de l'État de décision qu'il n'a pas compétence pour rendre contre l'État.
Édictée par l'article 28 des L.C. 1990, ch. 8, et mise en vigueur le 1 er février par le TR 92-6, cette disposi tion reflète l'immunité que la common law reconnaît
traditionnellement à l'État et à ses préposés en matière d'ordonnance d'injonction. Elle n'a pas pour effet de la réduire.
Aux termes du paragraphe 22(1) de la Loi sur la responsabilité de l'État, aucun tribunal ne peut accor- der une réparation de cette nature. De plus, la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, modifiée, d'où la présente Cour tire son origine et en vertu de laquelle elle agit, ne lui confère pas le pouvoir d'ac- corder une injonction à l'encontre de l'État. (Voir Le Grand Council of the Crees (of Quebec) c. R., [1982] 1 C.F. 599, (CA.) le juge Pratte, à la page 600; auto- risation d'appeler à la C.S.C. refusée [1982] 1 R.C.S. viii; sous l'intitulé: Le Grand Council of the Crees (of Quebec) c. Procureur générale du Québec et autres.) Sa Majesté la Reine du chef du Canada n'est donc pas une partie défenderesse pertinente aux fins de la requête en injonction interlocutoire.
2) L'injonction et le ministre fédéral
En ce qui concerne la compétence de la Cour pour décerner une injonction interlocutoire contre le ministre des Pêches et des Océans, l'avocat des défendeurs fédéraux affirme que rien dans la preuve soumise n'établit que, dans la lettre envoyée aux acheteurs de poisson en mars 1992, les fonctionnaires ontariens agissaient à titre de délégués du ministre fédéral, malgré le renvoi qui y est fait à l'article 33 de la Loi sur les pêches. Que ce renvoi ait été ou non une erreur, il est allégué que les fonctionnaires onta- riens dont le ministre des Richesses naturelles ne pouvaient agir, compte tenu du partage des pouvoirs législatifs, que relativement aux sujets relevant de la compétence législative de la province. Ces sujets comprennent les lois relatives aux droits de propriété en matière de pêcheries et en matière de vente de poisson dans la province, lesquelles, ne relèvent pas de la compétence législative fédérale. (Voir Attorney - General for the Dominion of Canada v. Attorneys - General for the Provinces of Ontario, Quebec and Nova Scotia, [1898] A.C. 700 (P.C.) et Attorney - General for Canada v. Attorney -General for British Columbia, [1930] A.C. 111 (P.C.).) Les arguments ainsi évoqués et ceux concernant le bien-fondé de questions soulevées par la déclaration déposée par les demandeurs se rapportent en majeure partie à des
points qui n'ont pas été pleinement débattus, et qui ne m'ont pas été soumis dans l'examen des questions préliminaires relatives à la compétence de la Cour. Aussi conviendra-t-il d'en disposer à une autre occa sion.
Afin de décider s'il y a lieu, à ce stade prélimi- naire, de décerner l'injonction demandée contre le ministre fédéral, l'argument important est l'inexis- tence d'éléments de preuve ou d'allégations d'inter- vention directe du ministre. Dans la mesure il agit en vertu d'une législation valide, il ne peut y avoir d'injonction contre un ministre fédéral ou autre fonc- tionnaire agissant à titre de préposé ou de mandataire de Sa Majesté et dans l'exercice des fonctions attri- buées par la législature dans le cadre de sa compé- tence législative. Avant l'édiction du paragraphe 22(2) de la Loi sur la responsabilité de l'État, modi- fiée, il était bien établi qu'en règle générale, une injonction ne pouvait être décernée pour empêcher un ministre de la Couronne d'exercer les fonctions que la loi lui confère. (Voir Newfoundland Inshore Fishe ries Association et autres c. Canada (Ministre de l'environnement) et autre (1990), 37 F.T.R. 230 (C.F. Ire inst.); Grand Council of the Crees (of Quebec) c. R., précité). On a reconnu une exception à cette immunité dans le cas le ministre ou autre fonc- tionnaire de la Couronne censé agir en vertu d'une loi outrepasse manifestement le pouvoir qui lui est con- féré. (Voir Lodge c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1979] 1 C.F. 775 (C.A.); Baxter Foods Ltd. c. Canada (Ministre de l'Agriculture) (1988), 21 F.T.R. 15 (C.F. lre inst.); Pacific Salmon Industries Inc. c. La Reine, [1985] 1 C.F. 504 (lre inst.); Esquimalt Anglers' Association et al. c. Canada (Ministre des Pêches et Océans) (1988), 21 F.T.R. 304 (C.F. ire inst.).)
Je ne dispose d'aucun élément de preuve établis- sant que le ministre fédéral a outrepassé en l'espèce les responsabilités qui lui incombent dans l'exercice d'une autorité législative fédérale valide. Les deman- deurs font valoir que s'il n'a pas agi lui-même direc- tement ou par l'entremise des fonctionnaires de son ministère, ce sont les fonctionnaires ontariens qui, en vertu d'une délégation de pouvoir, agissait pour son compte.
Suivant la conclusion à laquelle j'en suis venu pré- cédemment, ce n'est pas en se référant à l'article 72 de la Loi sur la chasse et la pêche provinciale que les fonctionnaires provinciaux pouvaient agir à titre de délégués du gouvernement fédéral ou du ministre fédéral. Et dans la mesure ils avertissent les ache- teurs de poisson de la possibilité de poursuites en cas de contravention à l'article 33 de la Loi sur les pêches, il n'est pas sûr qu'ils soient censés agir à titre de délégués du ministre fédéral, puisque l'engage- ment de poursuites dans la province en cas de contra vention à une loi fédérale peut fort bien être une mesure relative à l'administration de la justice dans la province, matière qui relève clairement de la compé- tence provinciale. Toutefois, même si une telle mesure devait être considérée comme relevant d'une délégation de pouvoir émanant de l'autorité fédérale, rien ne permet, à ce stade préliminaire à l'instruction la Cour se prononcera sur l'existence du droit ancestral ou issu de traités revendiqué, sur l'atteinte alléguée à ce droit par l'article 33 de la Loi sur les pêches ainsi que, s'il y a lieu, sur la justification de cette atteinte suivant les critères énoncés dans l'arrêt R, c. Sparrow, précité, de conclure qu'une mesure prise par des agents de conservation provinciaux en vertu d'une délégation de pouvoir fédérale excéderait la compétence fédérale sur le plan constitutionnel.
Je ne suis pas convaincu que les demandeurs aient établi la base sur laquelle il pourrait être enjoint au ministre fédéral des Pêches et des Océans de s'abste- nir de toute mesure prise ou projetée. À mon avis donc, ce ministre n'est pas une partie défenderesse compétente aux fins de la requête en injonction inter- locutoire.
3) L'injonction et les «agents des pêches»
Les «agents des pêches» constitués défendeurs ne sont pas nommés ou de quelque autre façon identifiés personnellement. Dans la déclaration introductive d'instance, on les décrit comme étant [TRADUCTION] «les agents des pêches désignés par certificat par le ministre des Pêches défendeur, au sens de la défini- tion de la Loi sur les pêches ou, subsidiairement... les agents de conservation désignés par certificat par le ministre des Richesses naturelles défendeur en vertu de l'autorité qui lui est déléguée aux fins de l'application des dispositions de la Loi et des règle-
ments». Dans la requête en ordonnances d'injonction interlocutoire, ils sont, quant à la demande visant le ministre des Pêches et des Océans, désignés comme [TRADUCTION] «les fonctionnaires et les agents des pêches du ministère des Pêches et Océans». De plus, quant à la demande visant le ministre des Richesses naturelles (Ontario), ils sont décrits comme [TRADUC- TION] «les fonctionnaires et agents des pêches du ministre des Richesses naturelles», mandataires du ministre des Pêches, étant présumé qu'ils ont été désignés agents des pêches par le ministre fédéral en vertu de l'article 5 de la Loi sur les pêches.
Ni les fonctionnaires fédéraux innommés ni les fonctionnaires provinciaux ne sont des défendeurs compétents en ce qui concerne l'injonction deman- dée. Cette conclusion est fondée sur les motifs déjà exposés quant à la compétence pour accorder la répa- ration recherchée contre les ministres fédéral et pro vincial désignés, ainsi que sur des principes d'ordre général.
Sans moyen d'identifier les défendeurs individuels, il ne saurait y avoir de signification ou d'exécution efficace d'une ordonnance d'injonction. La Cour ne rend pas d'ordonnance qui ne soit pas susceptible d'exécution, et même si l'ordonnance demandée pourrait être signifiée à certains «agents des pêches» décrits par les demandeurs, cette Cour estime qu'il ne convient pas qu'elle exerce en l'espèce son pouvoir discrétionnaire d'accorder pareille réparation extraor- dinaire à l'encontre de défendeurs innommés. Les «agents des pêches» innommés, que la description vise les fonctionnaires fédéraux ou provinciaux, ne sont donc pas des parties compétentes aux fins de la demande d'injonction.
Conclusions
Voici en résumé quelles sont mes conclusions quant aux aspects juridictionnels soulevés et débattus à l'audition des questions préliminaires auxquelles ont donné lieu la déclaration et la demande de répara- tion interlocutoire de la nature d'ordonnances d'in- jonction.
Cette Cour n'a pas compétence pour accorder répa- ration contre le ministre des Richesses naturelles (Ontario) défendeur/intimé et c'est à tort que celui-ci a été constitué partie à l'action, laquelle est rejetée
quant à lui. Il y a donc lieu de rectifier l'intitulé de la cause en l'espèce de façon à ce que soit rayé tout ren- voi à ce ministre à titre de partie défenderesse. Adve- nant une demande d'adjudication de dépens, ceux-ci seront à la charge des demandeurs sur la base habi- tuelle des frais entre parties.
Cette Cour n'a pas compétence pour décerner l'in- jonction interlocutoire demandée en l'espèce contre Sa Majesté la Reine. De plus, au vu des affidavits présentés à l'appui de la requête en ordonnances d'in- jonction interlocutoire ainsi que des arguments avancés, la Cour n'est pas convaincue d'avoir les élé- ments lui permettant de décerner l'injonction recher- chée contre le ministre des Pêches et des Océans. De plus, la Cour refuse d'exercer son pouvoir discrétion- naire de décerner une ordonnance d'injonction contre des «agents des pêches» innommés.
Étant donné ma conclusion, pour les motifs expo- sés, que cette Cour n'a pas compétence quant à cer- tains défendeurs et qu'il n'y a pas lieu de décerner une injonction contre tous les autres défendeurs à l'action qui sont intimés à la requête, il convient de rejeter la requête des demandeurs, avec dépens sui- vant l'issue de la cause entre les demandeurs et les défendeurs fédéraux, à l'exception des dépens du ministre des Richesses naturelles (Ontario) s'il en fait la demande. La requête des défendeurs fédéraux en vue de faire radier leurs noms de la requête en injonc- tion des demandeurs est donc accueillie, conformé- ment à une ordonnance distincte.
Enfin, bien que ce point n'ait pas été débattu à l'audition, il me semble que l'action soulève des questions qui peuvent en définitive concerner «la validité, l'applicabilité ou l'effet, sur le plan constitu- tionnel» de lois fédérales ou provinciales ou de leurs textes d'application, au sens de l'article 57 de la Loi sur la Cour fédérale, modifiée. Cela étant, les avocats des demandeurs et des défendeurs fédéraux devront se consulter en ce qui a trait aux exigences de l'ar- ticle 57 et informer la Cour, au plus tard à la date à laquelle sera présentée la demande de fixation de la date du procès en l'espèce, quant à l'opportunité de donner aux procureurs généraux l'avis prévu à cet article et, le cas échéant, quant aux modalités de cet avis et à la date à laquelle il devra être donné.
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