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A-1125-87
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration
(appelant)
c.
Mohinder Singh Lidder (intimé)
RÉPERTORIÉ: CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION) C. LIMIER (CA.)
Cour d'appel, juges Marceau, Desjardins et Décary, J.C.A.—Ottawa, 15 janvier et 10 mars 1992.
Immigration Appel formé en vertu de l'art. 84 de la Loi sur l'immigration contre la décision par laquelle la Commis sion d'appel de l'immigration a accueilli l'appel interjeté par l'intimé en vertu de l'art. 79(2) L'intimé a parrainé la demande de droit d'établissement présentée par son neveu Demande rejetée par le ministre parce que le neveu était âgé de dix-huit ans au moment du dépôt de la demande C'est la date de la demande de droit d'établissement, et non celle du dépôt de l'engagement à fournir de l'aide, qui est pertinente La question se pose de savoir s'il y a lieu d'appliquer la théo- rie de la fin de non-recevoir ou la théorie de l'expectative légi- time La condition d'âge est obligatoire et exclut l'exercice de tout pouvoir discrétionnaire La Commission n'avait pas compétence pour connaître de l'appel interjeté par le répon- dant.
Fin de non-recevoir Demande de droit d'établissement parrainée rejetée par le ministre parce que le requérant était âgé de dix-huit ans lorsque la demande a été reçue La ques tion se pose de savoir s'il y a lieu d'appliquer la théorie de la fin de non-recevoir Définition de la fin de non-recevoir fon- dée sur une assertion, qui est reconnue comme principe de droit et d'equity La fin de non-recevoir ne saurait faire obstacle à l'application régulière de la loi La condition d'âge est obligatoire et exclut l'exercice de tout pouvoir dis- crétionnaire Seule une demande dûment déposée peut être parrainée La Commission d'appel de l'immigration n'avait pas compétence pour connaître de l'appel interjeté par le répondant.
Appel est formé, en vertu de l'article 84 de la Loi sur l'im- migration, contre la décision par laquelle la Commission d'ap- pel de l'immigration a accueilli l'appel interjeté par l'intimé en vertu du paragraphe 79(2) de la Loi. En tant que citoyen cana- dien, l'intimé a, en octobre 1982, soumis un engagement à fournir de l'aide (catégorie de la famille) pour parrainer son neveu orphelin qui avait dix-sept ans à l'époque. Après que l'intimé eut déposé cet engagement, un représentant du minis- tre de l'Emploi et de l'Immigration Canada lui a dit qu'il n'avait rien d'autre à faire. De plus, on ne lui a pas dit qu'il devait obtenir un certificat selon lequel le bureau provincial de protection de l'enfance ne s'opposait pas à ce qu'il prît soin de son neveu orphelin. Il s'est rendu compte plus tard qu'un tel certificat ne pouvait plus être obtenu puisque son neveu venait
d'avoir dix-huit ans. Par lettre datée du 8 octobre 1985, on a avisé l'intimé que la demande de son neveu avait été rejetée parce que ce dernier n'était pas un parent selon la définition figurant à l'alinéa 4(1)e) du Règlement sur l'immigration de 1978, en raison du fait qu'il était âgé de dix-huit ans lorsque sa demande avait été reçue et qu'un certificat de non-opposition n'avait pas été obtenu. En vertu de l'alinéa 77(3)6) de la Loi, la Commission d'appel de l'immigration a accueilli l'appel inter- jeté de la décision du ministre, appliquant la théorie de la fin de non-recevoir pour statuer que le ministre ne pouvait rejeter la demande du neveu en invoquant le motif qu'elle avait été déposée après qu'il eut atteint l'âge de dix-huit ans. Il y a lieu d'examiner dans le présent appel la question de savoir si la théorie de la fin de non-recevoir ou celle de l'expectative légi- time peut être invoquée pour empêcher le ministre de rejeter la demande de droit d'établissement du neveu.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli.
Le juge Desjardins, J.C.A.: Le paragraphe 77(1) de la Loi sur l'immigration précise que le parrainage ne peut exister sans qu'il y ait une demande de droit d'établissement. C'est la date de la demande de droit d'établissement, et non celle de la demande de parrainage, qui est pertinente pour déterminer si une personne est un parent. Il existe différents types de fins de non-recevoir, et le type de fin de non-recevoir en litige est la fin de non-recevoir fondée sur une assertion. Ce type de fin de non-recevoir, considéré au début comme un principe d'equity, est maintenant reconnu comme étant un principe à la fois de droit et d'equity. Les assertions avaient été faites au répondant et non au neveu. Chose plus importante encore, la théorie de la fin de non-recevoir ne saurait faire obstacle à l'application régulière de la loi. La condition d'âge est obligatoire et exclut l'exercice de tout pouvoir discrétionnaire.
Quant à la question de savoir si la théorie de l'expectative légitime peut s'appliquer à l'espèce, il est vrai que la seconde lettre envoyée au neveu pouvait être interprétée comme l'offre par le ministre de traiter la demande du neveu malgré son âge. Toutefois, la théorie de l'expectative légitime fait partie des règles de procédure seulement et ne crée pas de droits fonda- mentaux. Le ministre ne saurait être réputé avoir agi contraire- ment à son obligation légale. La demande de droit d'établisse- ment n'ayant pas été présentée par un parent, la Commission d'appel de l'immigration n'avait pas compétence pour con- naître de l'appel du répondant.
Le juge Marceau, J.C.A.: Même si on acceptait la conclusion de la Commission selon laquelle il y a eu une assertion ou un comportement équivalant à une assertion destinée à provoquer un plan d'action, le raisonnement de la Commission était mal fondé sur le plan juridique. On ne saurait invoquer la théorie de la fin de non-recevoir pour empêcher l'exercice d'une obli gation prévue par la loi ni pour conférer un statut défini par la loi à une personne qui n'est pas visée par la définition légale. La théorie connexe de «l'expectative raisonnable ou légitime», qui connaît la même limite restreignant la théorie de la fin de non-recevoir, ne saurait non plus s'appliquer. Une autorité publique se trouve peut-être liée par ses engagements quant à la procédure qu'elle va suivre, mais elle ne peut en aucun cas
se mettre en situation de conflit avec ses obligations et faire fi des exigences de la loi.
Rien ne saurait porter sur la date du dépôt de l'engagement à fournir de l'aide puisqu'il a été jugé que la date d'entrée en vigueur d'une demande parrainée doit être la date du dépôt de la demande elle-même. Le texte de la loi précise que seule une demande dûment déposée peut être parrainée.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 77(1),(3) (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 10, art. 6; idem (4e suppl.), ch. 28, art. 33), 83 (mod. idem, art. 19).
Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, ch. 52, art.
79(2) (mod. par S.C. 1986, ch. 13, art. 6), 84.
Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, art. 4(1)(e) (mod. par DORS/84-140, art. 1), 6(1)(c) (mod.
par DORS/85-225, art. 4; DORS/91-157, art. 1).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Renvoi relatif au Régime d'assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525; (1991), 83 D.L.R. (4th) 297; [1991] 6 W.W.R. 1; 58 B.C.L.R. (2d) 1; 127 N.R. 161; O'Grady c. Whyte, [1983] 1 C.F. 719; (1982), 138 D.L.R. (3d) 167; 42 N.R. 608 (C.A.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Bendahmane c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Im- migration), [1989] 3 C.F. 16; (1989), 61 D.L.R. (4th) 313; 26 F.T.R. 122 (note); 8 Imm. L.R. (2d) 20; 95 N.R. 385 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Granger c. Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada, [1986] 3 C.F. 70; (1986), 29 D.L.R. (4th) 501; 69 N.R. 212 (C.A.); confirmé par [1989] 1 R.C.S. 141; (1989), 91 N.R. 63; Assoc. des résidents du Vieux St- Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170; (1990), 75 D.L.R. (4th) 385; [1991] 2 W.W.R. 145; 2 M.P.L.R. (2d) 217; 69 Man. R. (2d) 134; 46 Admin. L.R. 161; 116 N.R. 46.
DOCTRINE
Halsbury's Laws of England, 4th ed., vol. 16, London: Butterworths, 1976.
APPEL de la décision par laquelle la Commission d'appel de l'immigration, (1987), 3 Imm. L.R. (2d) 284 (C.A.I.), a accueilli l'appel interjeté par l'intimé en vertu du paragraphe 79(2) de la Loi sur l'immigra- tion. Appel accueilli.
AVOCATS:
Donald A. Macintosh pour l'appelant. Robin G. LeFevre pour l'intimé.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour l'ap- pelant.
Lette, McTaggart, Biais, Martin, Ottawa, pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU, J.C.A.: L'espèce ne peut que susciter de la sympathie. Comme l'a expliqué Madame le juge Desjardins, la demande de droit d'établissement présentée par le neveu a été rejetée pour le motif que, au moment du dépôt de celle-ci, il était âgé de quelques mois en trop pour être visé par la définition de la catégorie de la famille; et il semble que la seule raison du dépôt tardif effectué par l'éventuel immigrant parrainé était que, des deux for- mules de demande que lui avaient envoyées des agents du Haut commissariat du Canada à New Delhi, seule la seconde lui était parvenue et ce, dix jours après son dix-huitième anniversaire. La consé- quence est certainement dure et regrettable, mais j'es- time, comme ma collègue, qu'elle était inévitable et que la Commission d'appel de l'immigration a eu tort d'essayer de l'éviter.
La Commission a tenté de s'appuyer sur la théorie de la fin de non-recevoir. D'après . les éléments de preuve dont elle disposait, la Commission a conclu que l'intimé, l'oncle répondant, «comme l'agent d'immigration lui avait dit qu'il n'avait plus rien à faire, ... a omis, à son détriment, de prendre les mesures nécessaires pour garantir que la demande serait déposée à temps»'. De cette décision, la Com mission a conclu que le ministre ne pouvait rejeter la demande pour le seul motif qu'elle avait été déposée après que le neveu eut atteint l'âge de dix-huit ans.
Lors même que nous accepterions la conclusion de la Commission selon laquelle il y a eu en l'espèce une observation ou un comportement équivalant à une observation destinée à provoquer un plan d'ac- tion—conclusion à laquelle il m'est difficile de sous-
(1987), 3 Imm. L.R. (2d) 284 (C.A.L), à la p. 287.
crire—il est clair, pour moi comme pour ma collègue, que le raisonnement de la Commission était mal fondé sur le plan juridique. On ne saurait invoquer la théorie de la fin de non-recevoir pour empêcher l'exercice d'une obligation prévue par la loi—en l'occurrence, l'obligation pour l'agent de traiter la demande présentée—ni pour conférer un statut défini par la loi à une, personne qui n'est pas, à l'évidence, visée par la définition légale. En fait, le bon sens dic- terait qu'on ne puisse omettre d'appliquer la règle en raison de la déclaration fausse, de la négligence ou de la simple présentation inexacte des faits de la part d'un fonctionnaire gouvernemental.
Au cours du débat, on a laissé entendre que si la théorie de la fin de non-recevoir ne pouvait s'appli- quer, la théorie connexe de «l'expectative raisonnable ou légitime» le pourrait peut-être. Cette proposition était vaine parce que cette théorie connaît la même limite qui restreint la théorie de la fin de non-rece- voir. Une autorité publique se trouve peut-être liée par ses engagements quant à la procédure qu'elle va suivre, mais elle ne peut en aucun cas se mettre en situation de conflit avec ses obligations et faire fi des exigences de la loi. Comme l'a récemment répété le juge Sopinka lorsqu'il a rédigé l'arrêt de la Cour suprême Renvoi relatif au Régime d'assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525, aux pages 557 et 558:
Or, ni la jurisprudence canadienne, ni celle d'Angleterre, n'appuient la position suivant laquelle la théorie de l'expecta- tive légitime peut créer des droits fondamentaux. Cette théorie fait partie des règles de l'équité procédurale auxquelles peu- vent être soumis les organismes administratifs. Dans les cas elle s'applique, elle peut faire naître le droit de présenter des observations ou d'être consulté. Elle ne vient pas limiter la portée de la décision rendue à la suite de ces observations ou de cette consultation.
J'ai pensé pendant un moment qu'une approche heureuse pourrait reposer sur la date du dépôt de l'en- gagement à fournir de l'aide donné par l'oncle le 25 octobre 1982, puisque le neveu avait alors seulement dix-sept ans et relevait donc toujours de la définition de la catégorie de la famille. Il s'agit d'une approche qui a paru au début logiquement attrayante en ce que l'engagement à fournir de l'aide est une condition préalable à la véritable demande et est, dans une grande mesure, révélateur de l'intention. Je me suis vite rendu compte que cette voie était condamnée. La
Cour a déjà décidé que la date d'entrée en vigueur d'une demande parrainée doit être la date du dépôt de la demande elle-même (O'Grady c. Whyte, [1983] 1 C.F. 719 (C.A.)), conclusion qui était, rétrospective- ment, inévitable. Le texte de la loi précise dans un grand nombre de dispositions, notamment le para- graphe 77(1) de la Loi [Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-21 et l'alinéa 4(1)e) 2 du Règlement [Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78- 172 (mod. par DORS/84-140, art. 1)], que seule une demande dûment déposée peut être parrainée. Donc, seule une demande dûment déposée peut attribuer un sens et une existence légaux à l'engagement à fournir de l'aide.
En fin de compte, je suis d'accord avec Madame le juge Desjardins et je statuerais sur l'appel de la façon qu'elle propose.
LE JUGE DÉCARY, J.C.A.: Je souscris aux motifs ci- dessus.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE DESJARDINS, J.C.A.: Le présent appel, inter- jeté en vertu de l'article 84 de la Loi sur l'immigra- tion de /976 3 (la «Loi»), vise la décision par laquelle la Commission d'appel de l'immigration (la «Corn-
2 Ces dispositions sont ainsi rédigées:
77. (1) L'agent d'immigration ou l'agent des visas, selon le cas, peut rejeter une demande parrainée d'établissement présentée par un parent pour l'un ou l'autre des motifs sui- vants—dont doit être alors informé le répondant:
a) le répondant ne remplit pas les conditions fixées par les règlements;
b) le parent ne remplit pas les conditions fixées par la pré- sente loi et ses règlements.
4. (1) Sous réserve des paragraphes 2 et 3, tout citoyen canadien ou résident permanent âgé d'au moins dix-huit ans et résidant au Canada peut parrainer une demande de droit d'établissement présentée par
e) son frère, sa soeur, son neveu, sa nièce, son petit-fils ou sa petite-fille, orphelins, âgé de moins de dix-huit ans et non marié;
3 S.C. 1976-77, ch. 52 (maintenant l'article 83 de la Loi sur l'Immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 [mod. par L.R.C. (1985) (4C suppl.), ch. 28, art. 19]).
mission») a, le 15 juillet 1987, accueilli l'appel inter- jeté par l'intimé en vertu du paragraphe 79(2) [mod. par S.C. 1986, ch. 13, art. 6] de la Loi 4 .
L'intimé, citoyen canadien, a promis à sa soeur mourante qu'il prendrait soin de ses enfants à la mort de celle-ci qui est survenue en 1982. Il a soumis un engagement à fournir de l'aide (catégorie de la famille) le 25 octobre 1982 pour parrainer son neveu maintenant orphelin qui vivait en Indes. L'intimé fournissait de l'aide financière à son neveu depuis le moment de la mort de sa mère. Au moment l'in- timé a soumis l'engagement à fournir de l'aide, son neveu avait dix-sept ans.
Après que l'intimé eut déposé son engagement à fournir de l'aide, un représentant du ministre de l'Emploi et de l'Immigration Canada (le «ministre») lui a dit [TRADUCTION] «Votre rôle prend fin. Cela dépend du bureau de Delhi, ils doivent prendre con tact avec l'autre partie» 6 . Le représentant a également dit à l'intimé que le ministre enverrait tous les docu ments à New Delhi, et que le bureau de Delhi com- muniquerait avec son neveu 7 .
Le ministre a envoyé au neveu de l'intimé une pre- mière lettre datée du 17 novembre 1982. Il semble que le neveu n'ait jamais reçu cette lettre. Elle avait incorrectement été adressée parce qu'elle n'avait pas mentionné le nom du père du neveu. On n'allègue toutefois aucune faute de la part des autorités gouver- nementales. Il semblerait que l'adresse incomplète
4 S.C. 1976-77, ch. 52 (maintenant le paragraphe 77(3) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. l-2 [mod. par L.R.C. (1985) (2 e suppl.), ch. 10, art. 6; idem (4e suppl.), ch. 28, art.
33]):
77....
(3) S'il est citoyen canadien ou résident permanent, le répondant peut en appeler devant la section d'appel en invo- quant les moyens suivants:
a) question de droit, de fait ou mixte;
b) raisons d'ordre humanitaire justifiant l'octroi d'une mesure spéciale.
5 D.A., à la p. 12.
6 D.A., à la p. 47.
7 Ibid.
provenait de la demande de parrainage déposée par l'intimé lui-même 8 . Le neveu a reçu une deuxième lettre datée du 15 juillet 1983, correctement adressée cette fois-ci. La lettre lui demandait de remplir une demande de résidence permanente y jointe (la «demande») et d'envoyer certains documents. Au moment le neveu a reçu cette deuxième lettre, il avait déjà dix-huit ans.
Vers le 28 juillet 1983, le neveu de l'intimé a pré- senté sa demande au Haut commissariat du Canada à New Delhi 9 . Le 24 novembre 1983, un agent d'immi- gration lui a fait passer une entrevue. Le ministre n'a reçu son certificat de naissance que le 9 juillet 1984, et le processus de vérification de la documentation n'a pas été achevé avant le 21 février 1985. Le l l mars 1985, le ministre a examiné la question de savoir si un certificat de non-opposition avait été déposé par l'intimé afin de prouver que le bureau de protection de l'enfance de la province compétente ne s'opposait pas à ce que l'intimé prît soin de son neveu orphelin. Le ministre n'avait jamais dit à l'in- timé qu'il lui fallait obtenir un tel certificat. On a informé le ministre qu'un certificat de non-opposi tion ne pouvait plus être obtenu puisque le neveu de l'intimé avait atteint l'âge de dix-huit ans.
Par lettre en date du 8 octobre 1985, on a avisé l'intimé que la demande, de son neveu avait été reje- téeee. Pour le rejet, on a invoqué le motif que le neveu n'était pas un parent selon la définition figu- rant à l'alinéa 4(1)e) du Règlement sur l'immigration de. 1978 11 (le «Règlement») en raison du fait qu'il était âgé de dix-huit ans lorsque sa demande a été reçue et que, contrairement à l'alinéa 6(1)c) [mod. par DORS/85-225, art. 4; DORS/91-157, art. 1] du Règlement, un certificat de non-opposition n'avait pas été obtenu du bureau de protection de l'enfance provincial compétent. Le jour même, l'intimé a inter- jeté appel de la décision du ministre devant la Com mission d'appel de l'immigration.
La Commission a appliqué la théorie de la fin de non-recevoir pour statuer que le ministre ne pouvait rejeter la demande du neveu en invoquant le motif qu'elle avait été déposée après qu'il eut atteint l'âge
K D.A., à la p. 56.
9 D.A., à la p. 4.
10 D.A., à la p. 25.
11 DORS/78-172, mod. par DORS/84-140, art. L
de dix-huit ans 12 . La Commission a en outre accueilli l'appel pour des raisons d'équité en application de l'alinéa 77(3)b) de la Loi 13 .
Il échet d'examiner en l'espèce la question de savoir si la théorie de la fin de non-recevoir ou, peut- être, la théorie de l'expectative légitime peut être invoquée pour empêcher le ministre de rejeter la demande de droit d'établissement du neveu bien que ce dernier ait été âgé de dix-huit ans au moment de la présentation de sa demande.
Selon l'appelant, la théorie de la fin de non-rece- voir ne saurait s'appliquer pour empêcher l'exercice d'une obligation légale, ni pour conférer un statut défini par la loi à une personne qui n'est pas visée par une définition légale. Puisque, en l'espèce, l'agent d'immigration avait, en application de l'article 77 de la Loi, l'obligation légale de trancher initialement la question de savoir si le neveu était un parent, et puis- que, à l'évidence, le neveu ne l'était pas, selon la définition figurant à l'alinéa 4(1)e) du Règlement, l'agent d'immigration ne pouvait faire autrement que de rejeter sa demande de droit d'établissement. La théorie de la fin de non-recevoir ne saurait s'appli- quer pour empêcher l'exercice valide de l'obligation légale de l'agent d'immigration. L'appelant prétend en conséquence que le neveu n'étant pas un parent, la Commission n'avait pas compétence pour connaître de l'appel de l'intimé.
L'appelant soutient subsidiairement que si la théo- rie de la fin de non-recevoir peut être invoquée pour empêcher le rejet d'une demande de droit d'établisse- ment, cette théorie ne s'applique pas étant donné les faits de l'espèce. Il n'y a pas eu preuve qu'une asser tion ou promesse a été faite au neveu de l'intimé rela- tivement à la catégorie de la famille; il n'y a pas eu preuve non plus que le neveu s'est appuyé sur les déclarations que l'agent d'immigration avait faites à l'intimé. Les conditions essentielles à l'application de la théorie de la fin de non-recevoir ne sont pas rem- plies en l'espèce.
L'intimé fait valoir que la théorie de la fin de non- recevoir s'applique. Cette théorie peut être invoquée pour empêcher les autorités publiques de s'appuyer sur des détails techniques figurant dans la loi lors-
12 D.A., aux p. 207 et 208.
13 D.A., à la p. 208.
qu'elles ont manqué à une obligation légale. Le ministre était tenu d'aviser l'intimé qu'il avait eu de la difficulté à communiquer avec son neveu. Puis- qu'il a manqué à son obligation envers l'intimé, il ne pouvait s'appuyer sur des détails techniques figurant dans le Règlement pour décider que le neveu n'était pas un parent. L'intimé fait valoir en dernier lieu que la décision de la Commission reposant sur la théorie de la fin de non-recevoir servait à l'exercice de son pouvoir de rendre une décision reposant sur des rai- sons d'ordre humanitaire.
Le paragraphe 77(1) de la Loi précise que le par- rainage ne peut exister sans qu'il y ait une demande de droit d'établissement. La date de la demande de droit d'établissement, et non la date de la demande de parrainage, est la date pertinente permettant de déter- miner si une personne est un parent 14 .
Voici la définition de la théorie de la fin de non- recevoir' 5 :
[TRADUCTION] ... une incapacité empêchant une partie d'allé- guer ou de prouver dans une action judiciaire qu'un fait n'est pas ce que laisse supposer la question donnant lieu à cette inca- pacité.
Il existe quatre types de fins de non-recevoir: la fin de non-recevoir fondée sur l'autorité de la chose jugée, la fin de non-recevoir fondée sur un acte, la fin de non-recevoir fondée sur une assertion et la fin de non-recevoir fondée sur une promesse 16 . Le type de fin de non-recevoir en litige en l'espèce est la fin de non-recevoir fondée sur une assertion.
Bien que la fin de non-recevoir fondée sur une assertion ait au début été considérée comme un prin- cipe d'equity, elle est maintenant reconnue comme étant également un principe de droit et d'equity 17 . Elle a fait l'objet de la définition suivante 18 :
[TRADUCTION] Lorsqu'une personne a, par ses paroles ou son comportement, fait à une autre une assertion claire et sans équivoque concernant un fait, ou bien en sachant qu'elle était fausse ou bien en voulant qu'on y donne suite, ou s'est com- portée de façon à amener l'autre, en tant que personne raison- nable, à comprendre qu'on devait donner suite à une certaine assertion concernant un fait, ce que l'autre a fait en modifiant
14 O'Grady c. Whyte, [1983] I C.F. 719 (C.A.).
15 Halsbury's Laws of Engla,td, 4e éd., vol. 16 (London: Butterworths, 1976), à la p. 1008.
16 Ibid., à la p. 1008.
17 Ibid., à la p. 1068.
18 Ibid., à la p. 1010.
sa position à son détriment, il y a lieu à fin de non-recevoir contre la partie qui a fait l'assertion, et elle n'est pas autorisée à affirmer que le fait est autre que ce qui a été présenté. [C'est moi qui souligne.]
Selon la définition ci-dessus, pour que la théorie de la fin de non-recevoir fondée sur une assertion s'ap- plique, il doit y avoir les éléments suivants:
une assertion concernant un fait faite avec l'in- tention qu'on y donne suite ou qu'une personne raisonnable présume qu'on devait y donner suite;
celui que visait l'assertion y a donné suite;
celui que visait l'assertion a modifié sa position par suite de l'assertion et a par subi un préju- dice.
En l'espèce, c'est au répondant et non au neveu que les assertions ont été faites; selon celles-ci, le répondant n'avait pas à s'en faire. Il est difficile, en l'absence d'éléments de preuve, de présumer que le répondant aurait fait quelque chose pour éveiller l'at- tention de son neveu. Mais, chose plus importante encore, la théorie de la fin de non-recevoir ne saurait faire obstacle à l'application régulière de la loi 19 .
Le paragraphe 77(1) de la Loi sur l'immigration prévoit les motifs pour lesquels les demandes de droit d'établissement parrainés peuvent être rejetées:
77. (1) L'agent d'immigration ou l'agent des visas, selon le cas, peut rejeter une demande parrainée d'établissement pré- sentée par un parent pour l'un ou l'autre des motifs suivants— dont doit être informé le répondant:
a) le répondant ne remplit pas les conditions fixées par les règlements;
b) le parent ne remplit pas les conditions fixées par la pré- sente loi et ses règlements. [C'est moi qui souligne.]
La définition de «neveu» figure dans la définition de la catégorie de la famille qu'on trouve à l'alinéa 4(1)e) du Règlement sur l'immigration de 1978:
19 Granger c. Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada, [1986] 3 F.C. 70 (C.A.); confirmé par [1989] 1 R.C.S. 141.
4. (1) ... tout citoyen canadien ou résident permanent âgé d'au moins dix-huit ans et` résidant au Canada peut parrainer une demande de droit d'établissement présentée par
e) son frère, sa soeur, son neveu, sa nièce, son petit-fils ou sa petite-fille, orphelins, âgé de moins de dix-huit ans et non marié; [C'est moi qui souligne.]
La condition d'âge est certainement obligatoire et exclut l'exercice de tout pouvoir discrétionnaire.
J'ai examiné la question de savoir si la théorie de l'expectative légitime peut s'appliquer à l'espèce étant donné que, au moment la deuxième lettre a été envoyée au neveu, le bureau de Delhi savait déjà que le neveu avait atteint l'âge de dix-huit ans, ainsi qu'il ressort de l'engagement à fournir de l'aide, et a néanmoins poursuivi l'examen de l'affaire, donnant ainsi lieu à quelque «expectative» que la demande pouvait suivre son cours. Dans l'arrêt Bendahmane c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) 20 , le juge Hugessen, J.C.A., a pu, au nom de la majorité, conclure que la lettre du ministre en question dans cette affaire n'était pas en conflit avec son pouvoir prévu par la loi. Toutefois, en l'espèce, la difficulté relative à l'idée que la lettre des autorités pouvait être interprétée comme l'offre par le ministre de traiter la demande du neveu, malgré son âge, provient des dis positions du Règlement lui-même. La théorie de l'ex- pectative légitime fait partie des règles de procédure et ne crée pas de droits substantifs 21 . Le ministre ne saurait être réputé avoir agi contrairement à son obli gation légale.
La demande de droit d'établissement n'ayant pas été présentée par un parent, la Commission d'appel de l'immigration n'avait pas compétence pour con- naître de l'appel du répondant.
Je suis d'avis d'accueillir l'appel, d'infirmer la décision en date du 15 juillet 1987 de la Commission d'appel de l'immigration et de confirmer le rejet du ministre en date du 8 octobre 1985.
En application de l'article 84 de la Loi sur l'immi- gration, je déclarerais que sa Majesté doit payer tous
20 [1989] 3 C.F. 16 (C.A.)
21 Assoc. des résidents du Vieux St-Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170 la p. 1204; Renvoi relatif au Régime d'assistance publique du Canada, (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525, aux p. 557 et 558.
les dépens du présent appel et tous les frais acces- soires à celui-ci sur la base procureur-client.
LE JUGE DÉCARY, J.C.A.: Je souscris aux motifs ci- dessus.
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