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A-1323-91
Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration (appelant)
c.
Marisol Escobar Salinas (intimée)
RÉPERTORIL' SALINAS C. Canada (MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION) (CA.)
Cour d'appel, juges Stone, MacGuigan, J.C.A. et juge suppléant Henry—Toronto, 22 et 25 juin 1992.
Immigration Statut de réfugié Appel de l'ordonnance par laquelle la Section de première instance a annulé la déci- sion de la section du statut de reprendre une audience sur la revendication du statut de réfugié Cette revendication repo- sait sur une crainte de persécution alléguée de la part d'agents panaméens Le ministre a attaqué l'ordonnance de la Section de première instance en invoquant le défaut de compétence L'art. 68 de la Loi sur l'immigration confère à la section du statut des pouvoirs et lui impose des obligations se rapportant à toutes procédures («proceedings») intentées devant elle Distinction faite entre procédures («proceedings») et «audience» tenue devant la section du statut en vertu de l'art. 69.1 Les procédures («proceedings») embrassent l'affaire tout entière dont est saisie la section du statut, notamment l'audition de la revendication Le statut de «réfugié au sens de la Convention» ne protège que les demandeurs dont la sec tion du statut conclut qu'ils sont visés par la définition La section du statut n'est pas dessaisie de ses fonctions Une décision sur la revendication doit encore être rendue Une enquête sur le changement de conditions dans le pays d'ori- gine de l'intimée relève du mandat général de la section du statut lui permettant de se prononcer sur la revendication La question qui se pose en l'espèce a déjà été implicitement tranchée dans l'affaire Lawal La section du statut avait compétence et n'a pas outrepassé sa compétence en décidant de reprendre l'audience sur la revendication du statut de réfu- gié Rien ne justifie de modifier la décision de reprendre l'audience Appel accueilli.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18. Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 67
(mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18), 68
(mod., idem), 69.1 (édicté, idem), 69.2 (édicté, idem). Règles de la section du statut de réfugié, DORS/89-103,
art. 6.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1991] 1 R.C.S. 614; (1991), 80
D.L.R. (4th) 520; 48 Admin. L.R. 161; 91 CLLC 14,017; 123 N.R. 161; Lawal c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] 2 C.F. 404; (1991), 78 D.L.R. (4th) 522; 48 Admin. L.R. 152; 13 Imm. L.R. (2d) 163 (C.A.).
DECISION CITÉE:
Longia c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion), [1990] 3 C.F. 288; (1990), 44 Admin. L.R. 264; 10 Imm. L.R. (2d) 312; 114 N.R. 280 (C.A.).
APPEL de l'ordonnance, [1992] 3 C.F. 221, par laquelle la Section de première instance a annulé la décision de la section du statut de reprendre une audience sur la revendication du statut de réfugié faite par l'intimée. Appel accueilli.
AVOCATS:
Bonnie J. Boucher pour l'appelant. Brenda J. Wemp pour l'intimée.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour l'ap-
pelant.
Brenda J. Wemp, Toronto, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE STONE, J.C.A.: Appel est interjeté de l'or- donnance par laquelle la Section de première instance [[1992] 3 C.F. 221] a annulé la décision en date du 10 septembre 1990 de la section du statut de reprendre une audience sur la revendication du statut de réfugié faite par l'intimée au Canada, et a ordonné à la sec tion du statut de rendre une décision en tenant compte des éléments de preuve dont elle disposait le 29 novembre 1989, date à laquelle l'audience a appa- remment pris fin. La décision de la section du statut sur le bien-fondé de la revendication n'a pas encore été rendue.
L'intimée, citoyenne de Panama, y avait résidé jus- qu'à peu de temps avant d'entrer au Canada et de revendiquer le statut de réfugié. Sa revendication reposait sur une crainte de persécution alléguée de la part d'agents de l'État dirigé par le général Noriega. Quelque temps après le 29 novembre 1989, la situa tion politique au Panama a changé lorsque le général Noriega a été écarté du pouvoir par suite de l'inter- vention armée des États-Unis.
En avril 1990, le président du tribunal a avisé l'in- timée que l'audience serait reprise aux fins d'enten- dre un témoignage sur les changements récemment survenus dans son pays natal. Le 10 septembre 1990, le tribunal, après avoir entendu des observations sur la compétence de la section du statut pour reprendre l'audience, a conclu à sa compétence. En décidant ainsi, le président de l'audience s'est prononcé en ces termes, aux pages 18 et 19 de la transcription:
[TRADUCTION] Les changements survenus au Panama font, de l'avis du tribunal, partie de ces faits et renseignements qui sont du ressort de la spécialisation du tribunal.
Il ressort de la Loi et des règles que le tribunal est tout d'abord tenu de faire le nécessaire en vue d'une instruction approfondie visant à établir les faits véridiques de la revendication du statut de réfugié, et notamment d'examiner tous les éléments de preuve pertinents.
Je voudrais maintenant citer le guide de 1979 du Haut Com missariat des Nations Unies pour les réfugiés, paragraphe 196. Ce guide traite de la charge de la preuve partagée entre l'exa- minateur et le demandeur.
Ce guide met l'accent sur la façon dont un examinateur peut aider à établir la revendication, mais l'enquête vise bien entendu à déterminer la validité de la revendication. Rien dans le guide ne laisse entendre que l'examinateur doit s'en tenir à étudier seulement la preuve produite par le demandeur.
Jusqu'à ce qu'une décision ait été rendue, le tribunal peut tou- jours examiner les faits pertinents tels que les changements survenus dans le pays d'origine. Techniquement, l'audience ne prendra fin que lorsque la décision aura été rendue.
Bien entendu, dans l'intérêt de l'équité, le demandeur doit avoir la possibilité de réfuter n'importe quel nouvel élément de preuve. Et ce tribunal s'acquitte de son obligation de tenir une instruction approfondie et de maintenir l'équité de la procédure en reprenant la présente audience aujourd'hui.
Devant la Section de première instance, la requé- rante avait demandé en guise de réparation des brefs de certiorari, de mandamus et de prohibition, en application de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédé- rale [L.R.C. (1985), ch. F-7]. L'intimé avait prétendu que, en raison des dispositions du paragraphe 67(1) de la Loi sur l'immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18)], la Section de première instance n'avait pas compé- tence pour accorder la réparation particulière deman- dée, mais le juge des requêtes avait rejeté cet argu ment. Ce paragraphe est ainsi rédigé:
67. (1) La section du statut a compétence exclusive, en matière de procédures visées aux articles 69.1 et 69.2, pour
entendre et juger sur des questions de droit et de fait, y compris des questions de compétence.
Le juge des requêtes était d'avis que, bien que la décision du 10 septembre 1990 fût de nature interlo- cutoire, elle était assujettie au contrôle de la Section de première instance parce que la section du statut, en se prononçant comme elle l'a fait, avait outrepassé sa compétence ou ne l'avait pas exercée. Comme le juge l'a dit, à la page 241 du recueil:
Comme la décision porte sur une simple question de procédure qui ne dépend pas nécessairement de la sensibilité, de l'expé- rience acquise ni des larges pouvoirs conférés à la Commission pour la conduite d'instances dans un champ exceptionnel du droit, il n'est pas nécessaire de traiter avec des marques de déférence spéciales la décision rendue par la Commission sur la question. Par conséquent, la question de savoir si le para- graphe 67(1) fera effectivement obstacle à une révision par cette Cour ne pourra être tranchée en définitive que lorsque l'on saura si la Commission, en rendant sa décision, a outre- passé sa compétence, ne l'a pas exercée ou a porté atteinte à un principe de justice naturelle, comme le prétend la requérante.
L'appelant conteste l'ordonnance de l'instance inférieure en invoquant l'absence de compétence de la Section de première instance. En effet, l'avocate de l'appelant prétend que le pouvoir de déterminer s'il y a lieu de reprendre l'audience relève uniquement et exclusivement de la section du statut en application du paragraphe 67(1), et que la Section de première instance n'était pas en droit d'intervenir. Elle soutient également que la section du statut n'a pas excédé sa compétence lorsqu'elle a décidé de reprendre l'au- dience parce que sa décision sur le fond n'avait pas encore été rendue. Elle fait également valoir que, à tout le moins, une décision de ce genre ne saurait être examinée par la Section de première instance en vertu de l'article 18, à moins qu'on ne rapporte la preuve qu'elle était manifestement déraisonnable: Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonc- tion publique du Canada, [1991] 1 R.C.S. 614, le juge Sopinka, aux pages 628 et 629.
Sans nous prononcer sur la question de savoir si la Section de première instance avait compétence pour rendre l'ordonnance dont appel, laquelle question est essentielle selon nous, nous sommes tous d'avis, avec égards, que le présent appel doit être accueilli au motif que la section du statut n'a pas outrepassé sa compétence. En parvenant à cette conclusion, nous avons tenu compte des dispositions suivantes de la
Loi sur l'immigration [paragraphe 67(2) (mod., idem), article 68 (mod., idem), article 69.1 (édicté, idem)]:
67....
(2) La section du statut et chacun de ses membres sont investis des pouvoirs d'un commissaire nommé aux termes de la partie I de la Loi sur les enquêtes. Ils peuvent notamment, dans le cadre d'une audience:
d) prendre toutes autres mesures nécessaires à une instruc tion approfondie de l'affaire.
68. (1) La section du statut siège au Canada aux lieux, dates et heures choisis par le président en fonction de ses travaux.
(2) Dans la mesure les circonstances et l'équité le per- mettent, la section du statut fonctionne sans formalisme et avec célérité.
(3) La section du statut n'est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve. Elle peut recevoir des éléments qu'elle juge crédibles ou dignes de foi en l'occur- rence et fonder sur eux sa décision.
(4) La section du statut peut admettre d'office les faits ainsi admissibles en justice de même que, sous réserve du para- graphe (5), les faits généralement reconnus et les renseigne- ments ou opinions qui sont du ressort de sa spécialisation.
(5) Sauf pour les faits qui peuvent être admis d'office en jus tice, la section du statut informe le ministre, s'il est présent à l'audience, et la personne visée par la procédure de son inten tion d'admettre d'office des faits, renseignements ou opinions et leur donne la possibilité de présenter leurs observations à cet égard.
69.1.. .
(5) A l'audience, la section du statut est tenue de donner à l'intéressé ... la possibilité de produire des éléments de preuve, de contre-interroger des témoins et de présenter des observations,
(9) La section du statut rend sa décision sur la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention le plus tôt possi ble après l'audience et la notifie à l'intéressé et au ministre par écrit.
L'avocate de l'intimée s'appuie également sur l'ar- ticle 6 des Règles de la section du statut de réfugié, DORS/89-103, qui est ainsi rédigé:
6. Les présentes règles ne sont pas exhaustives et lorsque, au cours d'une procédure, survient une question non prévue par les présentes règles, la section du statut peut prendre les mesures voulues pour la régler dans les meilleurs délais, y compris une instruction approfondie de l'affaire.
En général, les dispositions de l'article 68 confè- rent à la section du statut des pouvoirs et lui impose des obligations se rapportant à toutes procédures («proceedings») intentées devant elle. Il est manifeste que le législateur a ainsi fait une distinction entre procédures («proceedings») et une audience («hearing») devant la section du statut, laquelle audience doit être tenue de la manière requise par l'article 69.1 de la Loi. Une «audience» n'est qu'une étape, si importante soit-elle, dans une procédure («proceeding») qui est un terme d'une portée plus grande embrassant l'affaire tout entière dont est saisie la section du statut, notamment l'audition de la reven- dication elle-même.
L'intimée soutient que le juge des requêtes a eu raison de rendre l'ordonnance dont appel, parce que la décision du 10 septembre 1990 entraîne des consé- quences peu souhaitables pour le processus qui régit la détermination du statut de réfugié par la section du statut. Un demandeur qui a déjà témoigné à une audience pour étayer une revendication devra faire face à une nouvelle prétention selon laquelle sa crainte n'a plus raison d'être en raison d'un change- ment de conditions dans le pays d'origine. Cette situation porterait atteinte au droit d'un demandeur, parce qu'elle pourrait encourager la section du statut à retarder ses décisions plutôt que de les rendre «le plus tôt possible» comme l'exige la loi. Si la section du statut, fondant sa décision sur les éléments de preuve qu'elle a déjà entendus, se prononçait plutôt en faveur d'un demandeur, le ministre serait toujours en mesure d'entamer les procédures prévues au para- graphe 69.2(1) de la Loi étant donné le changement de conditions intervenu. Ce paragraphe est ainsi
conçu:
69.2 (1) Le ministre peut, par avis, demander à la section du statut de déterminer s'il y a ou non perte du statut de réfugié au sens de la Convention par une personne qui s'est vu recon- naître ce statut aux termes de la présente loi ou de ses règle- ments.
D'autre part, comme le souligne l'appelant, la Loi vise à accorder la protection du statut de «réfugié au
sens de la Convention» seulement aux demandeurs dont la section du statut peut conclure qu'ils sont visés par la définition compte tenu des éléments de preuve produits et des faits qui sont admis conformé- ment aux paragraphes 68(4) et (5) de la Loi. Cela étant, il est allégué que la preuve du changement de conditions devrait être examinée dans le cadre des mêmes procédures plutôt que dans de nouvelles pro- cédures engagées par le ministre ultérieurement à la décision de la section du statut. Il nous semble que ces arguments soient fondés.
Nous estimons que la section du statut n'était pas non plus dessaisie de ses fonctions. Elle n'avait pas encore statué sur la revendication. Jusqu'à ce qu'elle l'ait fait, les procédures étaient toujours pendantes et il n'y avait pas encore irrévocabilité. Pour rendre sa décision, la section du statut pouvait exercer les pou- voirs qu'elle tenait de la Loi, pourvu qu'elle le fît de façon appropriée en donnant à l'intimée la possibilité de se faire entendre à la reprise de l'audience, ce qui a été fait. Il relève du mandat général de la section du statut, lorsqu'elle se prononce sur une revendication, de faire enquête sur le changement de conditions sur- venu dans le pays d'origine de l'intimée. On devrait lui permettre de remplir cette fonction que lui confère la Loi.
À notre avis, la question a déjà été implicitement tranchée pour cette Cour dans l'affaire Lawal c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] 2 C.F. 404, le juge Hugessen, J.C.A., a sta- tué au nom de la Cour que la section du statut, après la fin d'une audience mais avant sa décision, ne pou- vait examiner de nouveaux éléments de preuve outre ceux qu'il lui était loisible d'admettre d'office qu'en rouvrant l'audience, et qu'elle devait le faire. L'arrêt rendu par cette Cour dans l'affaire Longia c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 3 C.F. 288, sur laquelle le juge des requêtes s'est appuyé, s'applique seulement lorsque la section du statut est déjà parvenue à une décision. En résumé, nous estimons nullement fondée la conclusion que la section du statut n'avait pas compétence ou a outre- passé sa compétence lorsqu'elle a décidé de repren- dre l'audience portant sur la revendication de l'inti- mée pour entendre des éléments de preuve concernant un changement de conditions au Panama.
En bref, rien ne justifie que la Cour modifie la déci- sion de reprendre l'audience.
Par ces motifs, l'appel sera accueilli avec dépens, l'ordonnance en date du 17 décembre 1991 de la Sec tion de première instance sera annulée, et la revendi- cation du statut de réfugié au sens de la Convention faite par l'intimée sera renvoyée à la section du statut pour que celle-ci en poursuive l'audition conformé- ment à sa décision du 10 septembre 1990, en vue d'une décision conforme aux dispositions de la Loi sur l'immigration et de son règlement d'application.
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