A-181-90
M. A. Fish, en sa qualité de registraire minier du
district minier de Whitehorse et ministre des
Affaires indiennes et du Nord canadien (appelants)
(intimés)
c.
Laurence B. Halferdahl (intimé) (requérant)
RÉPERTORIÉ' HALFERDAHL C. CANADA (REGISTRAIRE MIMER
DU DISTRICT MINIER DE WHITEHORSE) (CA.)
Cour d'appel, juges Heald, Hugessen et Stone,
J.C.A.—Vancouver, 11 décembre 1991; Ottawa, 27
janvier 1992.
Interprétation des lois — Art. 13(1) de la Loi sur l'extrac-
tion du quartz dans le Yukon — D'autres dispositions d'excep-
tion de ce paragraphe donnent à penser que l'expression «ou
autres réserves semblables» signifie que les terres qui peuvent
être réservées sont exigées par le gouvernement fédéral pour
un usage actuel ou futur et non seulement pour un usage actuel
— Par «semblable», il faut entendre que la réserve devrait
posséder une caractéristique commune, celle d'être nécessaire
à la réalisation d'un objectif public — Le décret soustrayant
des terres à l'aliénation prévue par la Loi sur les terres territo-
riales pour faciliter la résolution des revendications territo-
riales des autochtones est visé par l'art. 13(1) — Même si les
terres réservées ne sont pas des «réserves indiennes», l'objec-
tif déclaré est semblable car les terres réservées reviendront
aux Indiens si elles font partie du règlement définitif des reven-
dications territoriales existantes — L'ordonnance annulant le
refus du registraire minier d'enregistrer les claims est annulée.
Il s'agit d'un appel d'une ordonnance annulant le refus du
registraire minier d'enregistrer des claims qui avaient été
jalonnés le long du ruisseau Burwash dans le territoire du
Yukon et accordant un bref de mandamus exigeant du regis-
traire minier qu'il enregistre les claims en question s'ils rem-
plissent les conditions prévues par la Loi sur l'extraction du
quartz dans le Yukon. L'alinéa 19a) de la Loi sur les terres
territoriales permet au gouverneur en conseil de décréter que
toute terre territoriale soit soustraite à l'aliénation prévue par la
Loi. Le paragraphe 93(1) de la Loi sur l'extraction de l'or dans
le Yukon permet au gouverneur en conseil d'interdire d'aller
sur un terrain pour y localiser un claim lorsque ce terrain est
nécessaire à une fin d'utilité publique. L'alinéa 17(2)d) prévoit
que le droit d'un particulier de faire ce que le paragraphe (1)
l'autorise à faire peut être restreint dans le cas des «ter-
rains ... mis à part et affectés par le gouverneur en conseil
pour tout objet décrit à l'alinéa 19d) de la Loi sur les terres
territoriales». L'article 12 de la Loi sur l'extraction du quartz
dans le Yukon permet à tout adulte de prospecter sur toute terre
vacante dans le Territoire. L'article 13 exempte les réserves
indiennes, les parcs nationaux et les réserves pour la défense
«ou autres réserves semblables établies par le gouvernement du
Canada». Il n'existe pas de disposition parallèle à l'alinéa
17(2)d). Pour faciliter la résolution des revendications territo-
riales des autochtones, le gouverneur en conseil a pris un
décret en application de l'alinéa 19a) de la Loi sur les terres
territoriales pour soustraire les parcelles de terre en question
de l'aliénation prévue par la Loi. Le juge des requêtes a statué
que comme le paragraphe 3(3) de la Loi sur les terres territo-
riales prévoit que cette Loi n'a pas pour effet de limiter l'appli-
cation de la Loi sur l'extraction du quartz dans le Yukon ou de
la Loi sur l'extraction de l'or dans le Yukon, le décret ne pou-
vait empêcher le requérant de faire enregistrer ses claims.
Autrement, la Loi sur les terres territoriales et son décret limi-
teraient l'application de la Loi sur l'extraction du quartz dans
le Yukon. Il a semblé significatif au juge Collier qu'il existait
un rapport entre la Loi sur l'extraction de l'or dans le Yukon et
la Loi sur les terres territoriales et qu'un tel rapport n'existait
pas entre cette dernière Loi et la Loi sur l'extraction du quartz
dans le Yukon. Les questions en litige étaient celles de savoir
(1) si le paragraphe 3(3) de la Loi sur les terres territoriales
limite l'application de la Loi sur l'extraction du quartz dans le
Yukon et (2) quelle est la signification de l'expression «ou
autres réserves semblables établies par le gouvernement du
Canada».
Les conseils indiens, qui ont obtenu l'autorisation d'interve-
nir dans le présent appel, prétendent que la Constitution empê-
che le législateur fédéral d'autoriser le registraire minier à alié-
ner des droits de nature immobilière qui peuvent être
nécessaires à la résolution des revendications territoriales des
Indiens dans le territoire du Yukon. Tant les appelants que l'in-
timé contestent ce moyen au motif que l'état du dossier ne per-
met pas à la Cour d'appel de se prononcer sur une pareille
question constitutionnelle.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli.
Aucune opinion ne devrait être exprimée sur la question
constitutionnelle étant donné que l'appel peut être tranché uni-
quement sur une question étroite d'interprétation législative.
L'absence, au paragraphe 13(1) de la Loi sur l'extraction du
quartz dans le Yukon, d'un pouvoir exprès d'interdire par
règlement de se rendre sur des terres pour y localiser un claim
n'a aucune importance compte tenu du libellé du paragraphe
3(3) de la Loi sur les terres territoriales qui prévoit que «rien
dans la présente loi ne doit s'entendre comme limitant l'appli-
cation de la Loi sur l'extraction du quartz dans le Yukon». Si la
restriction prévue par le décret est du type de celles qu'envi-
sage le paragraphe 13(1) de la Loi sur l'extraction du quartz
dans le Yukon, c'est cette Loi et non la Loi sur les terres terri-
toriales qui impose la restriction. Le fait qu'il n'existe pas de
rapport entre la Loi sur l'extraction du quartz dans le Yukon et
la Loi sur les terres territoriales serait sans importance dans
les circonstances.
Bien qu'il soit difficile de saisir ce que le législateur fédéral
voulait dire par les mots «ou autres réserves semblables»,
l'emploi d'autres dispositions d'exception qui apparaissent
antérieurement dans ce paragraphe donne à penser que les
terres sont présentement utilisées ou occupées ou qu'elles sont
destinées à un usage futur. La mention des «réserves
indiennes» et des «parcs nationaux» indique un usage actuel.
Mais le sens des mots «défense» et «quarantaine» ne doit pas
nécessairement être restreint de la sorte, d'autant plus qu'ils
sont séparés des deux premières catégories par la conjonction
«et». L'expression «ou autres réserves semblables» signifie
donc que les terres qui peuvent être réservées sont exigées par
le gouvernement fédéral pour un objet qui suppose un usage
actuel ou futur plutôt qu'un usage exclusivement actuel. Par
«semblable», il faut entendre que la réserve devrait être com
parable à l'une ou plusieurs des réserves expressément men-
tionnées en ce sens qu'elle possède la caractéristique commune
à ces réserves, à savoir que le gouvernement fédéral a besoin
des terres pour réaliser un objectif public déclaré en des termes
généraux. La réserve faite dans le décret est visée par le libellé
du paragraphe 13(1) en ce sens que les terres réservées sont
nécessaires à la réalisation d'un objectif public large, «la réso-
lution des revendications des autochtones». Même si la réserve
n'est pas une réserve indienne, l'objectif déclaré est semblable
car les terres réservées reviendront aux Indiens si elles font
partie du règlement définitif des revendications territoriales
existantes.
À titre accessoire, il y a une différence sur le plan qualitatif
entre la «soustraction» de terres à l'aliénation prévue à l'alinéa
19a) de la Loi sur les terres territoriales et la «mise à part et
l'affectation» de terres dont parle l'alinéa 19d) dans le but de
remplir des obligations contractées par traité ainsi que pour
tout autre objet qui peut contribuer au bien-être des Indiens. On
ne peut soustraire des «terres territoriales» que pour un objet
déclaré: en l'espèce, pour les rendre disponibles pour faciliter
la résolution des revendications territoriales des autochtones.
Le pouvoir prévu à l'alinéa 19d) de mettre à part et d'affecter
des «étendues de territoire» semble encore plus large, peut-être
parce que les terres visées ne se limitent pas aux «terres territo-
riales». Par ailleurs, bien que la Loi sur les terres territoriales
n'autorise pas expressément le gouverneur en conseil à empê-
cher l'enregistrement de claims miniers en vertu de la Loi sur
l'extraction du quartz dans le Yukon, la soustraction de terres à
l'aliénation que permet l'alinéa 19a) a pour effet de frustrer le
registraire minier du pouvoir que cette Loi lui confère d'enre-
gistrer des claims miniers.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Décret n° 1 de 1986 sur les terres interdites d'accès,
DORS/86-1139, art. 2.
Décret n° 1 de 1986 sur les terres soustraites à l'aliéna-
tion, TR/86-220, art. 2.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art.
18.
Loi sur les terres territoriales, S.R.C. 1970, chap. T-6, art.
2, 3(3), 19a),d).
Loi sur l'extraction de l'or dans le Yukon, S.R.C. 1970,
chap. Y-3, art. 17(1),(2)d) (mod. par S.R.C. 1970 (ler
Supp.), chap. 49, art. 1), 93(1) (édicté, idem, art. 3).
Loi sur l'extraction du quartz dans le Yukon, S.R.C. 1970,
chap. Y-4, art. 12 (mod. par S.C. 1984, chap. 10, art. 1),
13, 49.
JURISPRUDENCE
DÉCISION INFIRMÉE:
Halferdahl c. District minier de Whitehorse (Registraire
minier) et autre (1990), 31 F.T.R. 303 (C.F. ire inst.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Rex v. Loxdale (1758), 1 Burr. 445; 97 E.R. 394 (K.B.).
AVOCATS:
John R. Haig, c.r. pour les appelants (intimés).
W. S. Berardino, c.r. et David C. Harris pour
l'intimé (requérant).
Thomas R. Berger et S. Walsh pour l'interve-
nant.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour les
appelants (intimés).
Russell & Dumoulin, Vancouver, pour l'intimé
(requérant).
Thomas R. Berger, Vancouver, pour l'interve-
nant.
Ce qui suit est la version française des motifs du
jugement rendus par
LE JUGE STONE, J.C.A.: La Cour statue sur l'appel
interjeté d'une ordonnance prononcée par la Section
de première instance [(1990), 31 F.T.R. 303] dans le
cadre d'une instance présentée en vertu de l'article 18
de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), chap.
F-7]. Cette instance découlait du refus du registraire
minier nommé en vertu de la Loi sur l'extraction du
quartz dans le Yukon, S.R.C. 1970, chap. Y-4, d'enre-
gistrer 80 claims miniers de quartz qui avaient été
jalonnés par l'intimé le long du ruisseau Burwash
dans la partie sud-ouest du territoire du Yukon. La
Section de première instance a accordé une répara-
tion de la nature d'un bref de certiorari en annulant
la décision du registraire minier et une réparation de
la nature d'un mandamus en exigeant du registraire
minier qu'il enregistre les claims miniers en question
si les demandes d'enregistrement remplissaient les
conditions prévues par la Loi en question.
Les intervenants, le Conseil tribal de Kluane et le
Conseil des Indiens du Yukon, ont obtenu l'autorisa-
tion d'intervenir dans le présent appel aux termes
d'une ordonnance prononcée par notre Cour le 30
janvier 1991. Depuis 1973, le gouvernement fédéral
et le Conseil des Indiens du Yukon négocient une
revendication territoriale globale. Au cours de ces
négociations, les parties se sont entendues sur la
nécessité de protéger la valeur des terres qui pour-
raient ultérieurement être concédées aux Indiens du
Yukon à titre de règlement définitif et, pour arriver à
cette fin, il a été convenu d'empêcher que d'autres
charges ne grèvent certaines terres susceptibles d'être
choisies par les Indiens du Yukon dans le cadre de ce
règlement définitif.
Le présent appel soulève deux points litigieux. Le
premier point est défendu par les appelants avec l'ap-
pui des intervenants. Il porte sur la question de savoir
si le juge des requêtes a mal interprété les disposi
tions législatives pertinentes en statuant qu'elles n'in-
terdisaient pas au registraire minier d'enregistrer les
claims miniers de l'intimé. L'autre point litigieux est
soulevé à titre subsidiaire par les intervenants. Ceux-
ci prétendent que la Constitution empêche le législa-
teur fédéral d'autoriser tout fonctionnaire, y compris
le registraire minier, à procéder à l'aliénation de
terres ou de droits de nature immobilière qui peut être
nécessaire pour permettre au gouvernement du
Canada de remplir son obligation de régler les reven-
dications territoriales des Indiens conformément à
certains «principes d'équité» dans ce qui constitue
maintenant le territoire du Yukon, et que nous
devrions déclarer les dispositions législatives perti-
nentes inconstitutionnelles dans la mesure où c'est ce
qu'il prétend faire. Tant les appelants que l'intimé
s'opposent à ce que ce moyen soit invoqué à cette
étape-ci au motif qu'en général, l'état du dossier ne
permet pas à la Cour de connaître tous les faits perti-
nents de caractère historique qui pourraient avoir une
incidence sur la question constitutionnelle.
Comme je me contente de trancher l'affaire uni-
quement sur la question étroite de l'interprétation
législative, je préfere ne pas exprimer d'opinion sur
la question constitutionnelle.
Pour bien comprendre la question de l'interpréta-
tion législative et la façon dont le juge des requêtes
l'a analysée, il y a lieu de s'arrêter sur les disposi
tions pertinentes des trois lois fédérales et du décret
fédéral qui ont été portés à la connaissance du juge
des requêtes. Les dispositions législatives se trouvent
à l'alinéa 19a) de la Loi sur les terres territoriales,
S.R.C. 1970, chap. T-6, au paragraphe 93(1) [édicté
par S.R.C. 1970 (le r Supp.), chap. 49, art. 3] de la Loi
sur l'extraction de l'or dans le Yukon, S.R.C. 1970,
chap. Y-3 et à l'article 12 [mod. par S.C. 1984, chap.
10, art. 1] et au paragraphe 13(1) de la Loi sur l'ex-
traction du quartz dans le Yukon. Voici le libellé de
ces dispositions:
Loi sur les terres territoriales
19. Le gouverneur en conseil peut
a) en en énonçant les raisons dans l'ordonnance, décréter
que toute parcelle ou toutes parcelles de terres territoriales
soient soustraites à l'aliénation prévue par la présente loi;
Loi sur l'extraction de l'or dans le Yukon
93. (1) Chaque fois que le gouverneur en conseil est d'avis
qu'un terrain du Territoire est nécessaire à un port, un aéro-
drome, une route, un pont ou à d'autres travaux publics ou à un
parc national, un site historique, un emplacement urbain ou à
une autre fin d'utilité publique, il peut par décret, interdire
d'aller sur ce terrain aux fins de localiser un claim ou de pros-
pecter pour découvrir de l'or ou d'autres minéraux précieux ou
pierres précieuses si ce n'est selon les modalités qu'il peut
prescrire.
Loi sur l'extraction du quartz dans le Yukon
12. Toute personne âgée d'au moins dix-huit ans peut péné-
trer dans les terres suivantes, y localiser des claims, prospecter
et creuser pour en extraire les minéraux:
a) toutes terres territoriales vacantes dans le Territoire;
b) toutes terres dans le Territoire à l'égard desquelles le droit
d'y pénétrer, de prospecter et d'en extraire les minéraux est
réservé à la Couronne.
13. (1) Sont exempts de l'application des dispositions de
l'article 12, un terrain occupé par un bâtiment, et un terrain
compris dans les limites des dépendances d'une maison d'habi-
tation, et un terrain propice à l'exploitation des forces hydrau-
liques, ou alors réellement en culture, à moins du consente-
ment par écrit du propriétaire ou locataire ou de la personne à
qui le droit légitime de succession à ce terrain est dévolu, et
tout terrain sur lequel est situé une église ou un cimetière, et
tout terrain légalement occupé pour fins d'exploitation
minière, et aussi les réserves indiennes, les parcs nationaux et
les réserves pour la défense et de quarantaine ou autres
réserves semblables établies par le gouvernement du Canada,
sauf les dispositions de l'article 14.
Voici la définition que l'article 2 de la Loi sur les
terres territoriales donne de l'expression «terres ter-
ritoriales»: «les terres ... dans le territoire du Yukon
qui sont dévolues à la Couronne ou dont le gouverne-
ment du Canada a le pouvoir de disposer». Le même
article prévoit que sont compris dans les terres «les
mines, minéraux, servitudes et tous autres intérêts
dans des biens réels». Cette définition semble englo-
ber les droits comme celui que possède le détenteur
d'un claim minier qui, avant la signature d'un bail,
est, aux termes de l'article 49 de la Loi sur l'extrac-
tion du quartz dans le Yukon, «censé [être] un intérêt
sur biens meubles, équivalant à la location ... des
minéraux souterrains». L'article 2 définit un «daim
minéral» dans les termes suivants: «lopin de terre
jalonné et acquis sous les dispositions de la présente
loi» ou en vertu de règlements ou de décrets pris
antérieurement.
Les dispositions du paragraphe 3(3) et de l'alinéa
19d) de la Loi sur les terres territoriales et l'alinéa
17(2)d) de la Loi sur l'extraction de l'or dans le
Yukon [mod. par S.R.C. 1970 (ler Supp.), chap. 49,
art. 1] ont également été invoquées lors du débat.
Aux termes de ce dernier alinéa, le droit d'un particu-
lier de faire ce que le paragraphe 17(1) de la Loi sur
l'extraction de l'or dans le Yukon l'autorise à faire
peut être restreint dans le cas des «terrains ... mis à
part et affectés par le gouverneur en conseil pour tout
objet décrit à l'alinéa 19d) de la Loi sur les terres ter-
ritoriales». Bien que la Loi sur l'extraction du quartz
dans le Yukon ne contienne pas de dispositions paral-
lèles, les appelants et les intervenants prétendent
qu'aucune disposition de ce genre n'était nécessaire
parce que les derniers mots du paragraphe 13(1) de
cette Loi prévoient en fait la possibilité pour le gou-
vernement de prendre des mesures au moyen d'un
décret, y compris celui qui est autorisé par l'article 19
de la Loi sur les terres territoriales.
J'aimerais traiter ici de deux questions accessoires
qui ont été soulevées lors du débat sur l'interprétation
de la Loi sur les terres territoriales. Premièrement,
j'estime qu'il y a une différence sur le plan qualitatif
entre la «soustraction» de terres à l'aliénation dont il
est question à l'alinéa 19a) et «la mise à part et l'af-
fectation» de terres dont parle l'alinéa 19d) dans le
but de remplir des obligations contractées par traité
ainsi que pour tout autre objet qui peut contribuer au
bien-être des Indiens. On ne peut soustraire des
«terres territoriales» que pour un objet déclaré; en
l'espèce, par exemple, pour les rendre disponibles
pour faciliter la résolution des revendications territo-
riales des autochtones. D'autre part, le pouvoir prévu
à l'alinéa 19d) de mettre à part et d'affecter des
«étendues de territoire» semble encore plus large,
peut-être parce que les terres visées ne se limitent pas
aux «terres territoriales». En second lieu, bien que la
Loi sur les terres territoriales n'autorise pas expres-
sément le gouverneur en conseil à empêcher l'enre-
gistrement de claims miniers en vertu de la Loi sur
l'extraction du quartz dans le Yukon, il me semble
que la soustraction de terres à l'aliénation que permet
l'alinéa 19a) a pour effet de frustrer le registraire
minier du pouvoir que cette Loi lui confère d'enregis-
trer des claims miniers et qu'elle l'empêche de ce fait
de le faire.
Le 11 décembre 1986, deux décrets ont été pris: le
décret C.P. 1986-2764 [Décret no 1 de 1986 sur les
terres soustraites à l'aliénation, TR/86-220] et le
décret C.P. 1986-2796 [Décret n°1 de 1986 sur les
terres interdites d'accès, DORS/86-1139]. Voici le
dispositif du décret C.P. 1986-2764 pris en applica
tion de l'alinéa 19a) de la Loi sur les terres territo-
riales:
2. En vertu de l'alinéa 19a) de la Loi sur les terres territo-
riales et en raison du fait que les parcelles de terres territoriales
décrites à l'annexe sont nécessaires à la résolution des revendi-
cations des autochtones, sous réserve de l'article 3, lesdites
parcelles de terres, y compris les mines et les minéraux solides,
liquides ou gazeux qu'elles renferment, sauf le gravier et le
sable qui peuvent être aliénés conformément au Règlement sur
l'exploitation de carrières territoriales, sont soustraites à
l'aliénation prévue par la Loi sur les terres territoriales, durant
la période se terminant le 31 mai 1988, sans préjudice aux
droits des détenteurs
a) d'un claim minier enregistré qui a été acquis conformé-
ment à la Loi sur l'extraction du quartz dans le Yukon ou à
la Loi sur l'extraction de l'or dans le Yukon;
b) d'un permis, d'un permis avec clause spéciale de renou-
vellement ou d'une concession, accordés en vertu du Règle-
ment sur les terres pétrolifères et gazifères du Canada;
c) de droits accordés en vertu de la Loi sur le pétrole et le
gaz du Canada;
d) d'un bail ou d'une convention de vente conclus en vertu
du Règlement sur les terres territoriales; ou
e) d'autres droits de superficie accordés en vertu de l'article
4 de la Loi sur les terres territoriales.
Voici un extrait du décret C.P. 1986-2796 pris en
application de l'article 93 de la Loi sur l'extraction
de l'or dans le Yukon:
2. En vertu de l'article 93 de la Loi sur l'extraction de l'or
dans le Yukon et en raison du fait que les terres décrites à l'an-
nexe sont nécessaires à la résolution des revendications des
autochtones, il est interdit durant la période se terminant le 31
mai 1988 de pénétrer sur lesdites terres aux fins de localiser un
claim ou de prospecter pour découvrir de l'or ou d'autres
minéraux précieux ou pierres précieuses.
Il est acquis aux débats que le décret C.P. 1986-
2796 n'est pas pertinent à la question de l'interpréta-
tion législative.
Pour accorder la réparation sollicitée par l'intimé,
le juge des requêtes a déclaré, aux pages 307 et 308
des motifs de son ordonnance:
D'abord, il est clair, d'après le par. 3(3) de la Loi sur les
terres territoriales, qu'aucune mesure prise en vertu de cette
Loi ne peut avoir d'incidence sur la Loi sur l'extraction du
quartz dans le Yukon ou sur la Loi sur l'extraction de l'or
dans le Yukon. Le paragraphe 3(3) de la Loi sur les terres
territoriales dispose:
«(3) La présente loi n'a pas pour effet de limiter l'application
de la Loi sur l'extraction du quartz dans le Yukon, de la
Loi sur l'extraction de l'or dans le Yukon, de la Loi sur
les forces hydrauliques du Canada ou de la Loi sur les
parcs nationaux.»
Il s'ensuit que le décret 1986-2764 ne peut empêcher le requé-
rant de faire enregistrer ses claims. Prétendre le contraire signi-
fierait que la Loi sur les terres territoriales et son décret
pourraient limiter l'application de la Loi sur l'extraction du
quartz dans le Yukon.
A mon avis, une «autre réserve semblable», aux fins du par.
13(1) de la Loi sur l'extraction du quartz dans le Yukon,
doit s'entendre d'un règlement pris directement en vertu de ce
paragraphe. L'article 93 de la Loi sur l'extraction de l'or
dans le Yukon fonctionne d'ailleurs selon ce principe, comme
le fait voir le décret 1986-2796.
En outre, si l'on compare le par. 13(1) de la Loi sur l'ex-
traction du quartz dans le Yukon au par. 17(2) de la Loi sur
l'extraction de l'or dans le Yukon, nous voyons que la Loi
sur les terres territoriales peut avoir un effet sur cette der-
nière, mais non sur la première. La lecture de ces deux para-
graphes permet de constater qu'il existe un rapport entre la Loi
sur l'extraction de l'or dans le Yukon et la Loi sur les terres
territoriales. Un tel rapport n'existe pas entre cette dernière et
la Loi sur l'extraction du quartz dans le Yukon.
Selon l'avocat des intimés, je devrais interpréter ces trois
lois comme si elles formaient un tout. Par conséquent, estime-
t-il, une réserve créée sous le régime de la Loi sur les terres
territoriales constituerait par le fait même une réserve sous
l'empire de la Loi sur l'extraction du quartz dans le Yukon.
Je ne puis souscrire à cet argument. Si le législateur voulait que
ces trois lois aient des effets semblables, il l'aurait précisé.
C'est exactement ce qu'il a fait au par. 17(2) de la Loi sur
l'extraction de l'or dans le Yukon. Cependant, il ne l'a pas
fait dans la Loi sur l'extraction du quartz dans le Yukon.
Les intimés ont prétendu que les termes employés dans le
décret 1986-2764, «sans préjudice aux droits des déten-
teurs ... d'un claim minier enregistré qui a été acquis confor-
mément à la Loi sur l'extraction du quartz dans le Yukon
ou à la Loi sur l'extraction de l'or dans le Yukon», signi-
fiaient que d'autres claims sous le régime de ces lois ne pour-
raient être acceptés après la date du décret. Je n'accepte pas cet
argument. Cette disposition vise à rassurer les détenteurs de
claims enregistrés. En outre, elle sanctionne le fait que la Loi
sur les terres territoriales et le décret pris sous son empire
n'ont pas pour effet de limiter l'application d'autres lois.
Pour toutes ces raisons, j'en conclus que la réserve établie en
application de la Loi sur les terres territoriales n'empêche
pas l'enregistrement d'un claim minier sous le régime de la
Loi sur l'extraction du quartz dans le Yukon. Le décret
1986-2764 ne peut servir de fondement au refus d'enregistrer
les claims du requérant.
L'appelant prétend que les trois lois peuvent et
doivent être interprétées in pari materia et il se fonde
spécialement sur ce que lord Mansfield a déclaré
dans le jugement Rex. v. Loxdale (1758), 1 Burr. 445
(K.B.), à la page 447 [97 E.R. 394, à la page 395]:
[TRADUCTION] Lorsqu'il existe différentes lois portant sur la
même matière, il faut les considérer et les interpréter ensemble,
comme un système, comme s'expliquant l'une par l'autre,
même si elles remontent à des époques différentes, même si
certaines ont expiré et même si elles ne renvoient pas les unes
aux autres.
Compte tenu de l'opinion que j'ai de l'affaire dont
nous sommes saisis, je ne juge pas nécessaire d'exa-
miner le bien-fondé de cette prétention.
La véritable question qui se pose est celle de savoir
si le juge a bien interprété les dispositions de la Loi
sur les terres territoriales et de la Loi sur l'extraction
du quartz dans le Yukon qu'il a examinées dans le
passage que je viens de reproduire. Il me semble qu'il
y a lieu en l'espèce d'examiner deux questions dis-
tinctes. La première question est celle de savoir si les
dispositions du paragraphe 3(3) de la Loi sur les
terres territoriales limitent l'application de la Loi sur
l'extraction du quartz dans le Yukon de la manière
qu'a estimée le juge. Il lui a semblé significatif que le
paragraphe 13(1) de la Loi sur l'extraction du quartz
dans le Yukon ne confère pas au gouverneur en con-
seil le pouvoir exprès d'interdire par règlement de se
rendre sur des terres pour y localiser un claim comme
le fait l'article 93 de la Loi sur l'extraction de l'or
dans le Yukon et qu'«il existe un rapport [explicite]
entre» le paragraphe ] 7(2) de cette dernière Loi et «la
Loi sur les terres territoriales [et qu'un] tel rapport
n'existe pas entre cette dernière et la Loi sur l'extrac-
tion du quartz dans le Yukon». À mon humble avis,
l'absence d'un tel pouvoir exprès au paragraphe
13(1) n'a aucune importance compte tenu du libellé
même du paragraphe 3(3) de la Loi sur les terres ter-
ritoriales qui prévoit que «Rien dans la présente loi
ne doit s'entendre comme limitant l'application de la
Loi sur l'extraction du quartz dans le Yukon ... »
(C'est moi qui souligne.) Il me semble que les appe-
lants et les intervenants ont raison de prétendre que,
si la restriction prévue par le décret C.P. 1986-2764
est effectivement du type de celles qu'envisage le
paragraphe 13(1) de la Loi sur l'extraction du quartz
dans le Yukon, c'est cette Loi et non la Loi sur les
terres territoriales qui impose la restriction. En con-
séquence, le fait que, pour reprendre l'expression du
juge des requêtes, «il [n]'existe [pas] de rapport»
entre la Loi sur l'extraction du quartz dans le Yukon
et la Loi sur les terres territoriales serait sans impor
tance dans les circonstances.
La question cruciale, à mon avis, est celle de la
signification qu'il convient d'attribuer aux mots qui
se trouvent à la fin du paragraphe 13(1) de la Loi sur
l'extraction du quartz dans le Yukon, à savoir:
13. (1) ... et aussi les réserves indiennes, les parcs natio-
naux et les réserves pour la défense et de quarantaine ou autres
réserves semblables établies par le gouvernement du Canada,
sauf les dispositions de l'article 14. [Soulignements ajoutés.]
et particulièrement aux mots que j'ai soulignés. Je
formule la question de cette façon parce qu'il me
semble que si l'on conclut que les mots en question
démontrent que le législateur fédéral avait l'intention
de créer une exception au moyen d'une ordonnance
gouvernementale comme celle que contient le décret
C.P. 1986-2764, il ne serait pas nécessaire que le
paragraphe 13(1) de la Loi sur l'extraction du quartz
dans le Yukon autorise lui-même la prise de ce genre
de décret.
Il est difficile de saisir exactement ce que le légis-
lateur fédéral voulait dire par les mots «ou autres
réserves semblables» au paragraphe 13(1). Il me
semble toutefois que d'autres dispositions d'excep-
tion qui apparaissent antérieurement dans ce para-
graphe jettent un peu de lumière sur le problème.
L'emploi des mots «occupé» et «situé» et des expres
sions «réellement en culture», «légalement occupé»
et «terrain propice à l'exploitation des forces hydrau-
liques» donne à penser que les terres sont présente-
ment utilisées ou occupées ou qu'elles sont destinées
à un usage futur. De plus, la mention des «réserves
indiennes» et des «parcs nationaux» indique un usage
actuel. Le sens des mots «défense» et «quarantaine»
ne doit pas nécessairement être restreint de la sorte,
d'autant plus qu'ils sont séparés des deux premières
catégories par la conjonction «et». L'expression «ou
autres réserves semblables» signifie donc que les
terres qui peuvent être réservées sont exigées par le
gouvernement fédéral pour un objet qui suppose un
usage actuel ou futur plutôt qu'un usage exclusive-
ment actuel.
Il nous reste à déterminer la nature de la réserve
visée par l'expression «ou autres réserves sem-
blables». Manifestement, il n'est pas nécessaire
qu'elle soit «pareille» ou «identique» à celles qui
sont énumérées, c'est-à-dire «les réserves indiennes,
les parcs nationaux et les réserves pour la défense de
quarantaine», car le législateur fédéral n'a employé
aucun de ces mots. Par «semblable», il faut entendre
que la réserve devrait être analogue ou comparable â
l'une ou plusieurs des réserves expressément men-
tionnées en ce sens qu'elle possède la caractéristique
commune à ces réserves. Cette caractéristique com
mune est que le gouvernement fédéral a besoin des
terres pour réaliser un objectif public déclaré en des
termes généraux. Seule une réserve de ce genre peut
être visée par l'expression «autres réserves sem-
blables», selon moi.
Je suis d'avis que la réserve faite dans le décret
C.P. 1986-2764 est visée par le libellé du paragraphe
13(1) de la Loi sur l'extraction du quartz dans le
Yukon, en ce que les terres réservées sont nécessaires
à la réalisation d'un objectif public large, «la résolu-
tion des revendications des autochtones». Par ail-
leurs, même si la réserve n'est pas une «réserve
indienne», l'objectif déclaré est semblable car les
terres réservées reviendront aux Indiens si elles font
partie du règlement définitif des revendications terri-
toriales existantes.
Je suis d'avis d'accueillir l'appel et d'annuler l'or-
donnance prononcée par la Section de première ins
tance le 12 février 1990, avec dépens tant devant
notre Cour que devant la Section de première ins
tance.
LE JUGE HEALD, J.C.A.: Je suis du même avis.
LE JUGE HUGESSEN, J.C.A.: Je suis du même avis.
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