T-3212-90
91-T-26
Marisol Escobar Salinas (requérante)
c.
Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration
(intimé)
RÉPERTORIA' SALINAS C. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET
DE L'IMMIGRATION) (Ire INST.)
Section de première instance, juge en chef adjoint
Jerome—Toronto, 17 décembre 1990; 12 février et
17 décembre 1991; Ottawa, 20 mars 1992.*
Compétence de la Cour fédérale — Section de première ins
tance — Art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale conférant à la
Section de première instance compétence pour réviser la déci-
sion de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié
de reprendre une audience sur la revendication du statut de
réfugié afin de recevoir des éléments de preuve relatifs aux
changements survenus dans le pays dont la requérante a la
nationalité depuis la fin de cette audience — La décision de la
Commission ne constituait ni une décision ou ordonnance
ayant un caractère judiciaire ou quasi judiciaire au sens de
l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale, ni une décision ou une
ordonnance définitive que la Commission devait rendre —
Décision de nature purement procédurale permettant à la
Commission d'examiner au fond la question du statut de réfu-
gié — La doctrine de l'intégration (droit à la révision de la
décision administrative de reprendre l'audience fondu avec le
droit de faire réviser la décision judiciaire ou quasi judiciaire
de reprendre l'audience après avoir entendu tous les argu
ments) est rejetée — Une décision n'est pas définitive pour la
seule raison qu'elle intéresse les droits de la requérante.
Immigration — Pratique — La Commission n'a pas compé-
tence pour reprendre une audience en l'absence de disposition
législative expresse en ce sens — Il est injuste de permettre à
la Commission de reprendre une audience afin de recevoir des
éléments de preuve relatifs aux changements politiques surve-
nus dans le pays dont la requérante a la nationalité après l'au-
dience — Cela équivaut à imposer à la requérante, qui peut ne
pas avoir de preuve de la persécution sous le nouveau régime,
un fardeau dont il lui est impossible de s'acquitter — Aucune
disposition ne prévoit le droit du requérant à la reprise de l'au-
dience en cas de détérioration de la situation — La Commis
sion assumerait-elle l'obligation de reprendre une audience
chaque fois qu'il y a changement de circonstances et, dans
l'affirmative, quels changements justifieraient son intervention
— Incompatibilité avec l'exigence de la Loi de fonctionner
sans formalisme et avec célérité et de rendre une décision rapi-
dement — Le recours du ministre est d'invoquer l'art. 69.2.
Il s'agit d'une demande visant à casser la décision de la
Commission de l'immigration et du statut de réfugié, section
* Note de l'arrêtiste: Cette décision de la Section de pre-
mière instance a été infirmée par un jugement de la Cour d'ap-
pel fédérale publié dans [1992] 3 C.F. 247.
du statut de réfugié, selon laquelle elle avait compétence pour
reprendre l'audience sur la revendication de la requérante afin
de recevoir des éléments de preuve relatifs aux changements
survenus au Panama, pays dont la requérante avait la nationa-
lité, qui se sont produits depuis la fin de l'audience, et à obliger
la Commission à rendre une décision fondée sur les éléments
de preuve déjà produits le 29 novembre 1989. La requérante a
revendiqué le statut de réfugié, affirmant qu'elle craignait
d'être persécutée par des agents du régime Noriega. La Com
mission a convoqué une audience le 29 novembre 1989 au
cours de laquelle la requérante a témoigné et son avocate a pré-
senté des observations. La Commission a mis la question en
délibéré parce qu'elle ne connaissait pas bien la situation au
Panama et qu'elle avait besoin d'un délai pour examiner les
documents produits. En septembre 1990, la Commission a con-
voqué de nouveau l'audience afin de recevoir des éléments de
preuve relatifs aux changements qui s'étaient produits au
Panama, savoir le renversement de Noriega par une force mili-
taire américaine. Malgré l'opposition de la requérante, la Com
mission a décidé qu'elle avait compétence pour reprendre l'au-
dience afin de recevoir de nouveaux éléments de preuve et que
le délai n'avait pas porté atteinte au droit de la requérante à
une audience pleine et entière. Les questions en litige consis-
taient à savoir (1) si la Section de première instance de la Cour
fédérale avait compétence en l'espèce; (2) dans l'affirmative, si
la décision de la Commission est sujette à révision, eu égard au
paragraphe 67(1) de la Loi .sur l'immigration (lequel confère à
la section du statut compétence exclusive pour entendre et
juger des questions de compétence à l'égard des procédures
visées aux articles 69.1 et 69.2); et enfin (3) si la Commission
a outrepassé sa compétence en reprenant l'audience.
Jugement: la demande devrait être accueillie.
(1) La Section de première instance de la Cour fédérale avait
compétence, en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédé-
rale, pour réviser la décision de la Commission. La décision
rendue par la Commission en l'espèce ne constituait ni une
décision ou ordonnance ayant un caractère judiciaire ou quasi
judiciaire au sens de l'article 28 (compétence de la Cour d'ap-
pel) ni une décision ou ordonnance définitive que la Commis
sion devait rendre. La question de savoir si la Commission
pouvait reprendre l'audience pour entendre d'autres éléments
de preuve relatifs aux changements survenus dans la situation
du pays de nationalité n'était pas une question à l'égard de
laquelle la Commission pouvait exercer sa «compétence ou ses
pouvoirs». Bien que la Commission doive se faire une opinion
sur la question, cette opinion n'a pas d'autre effet juridique que
de permettre de trancher la revendication du statut de réfugié
de la requérante. La décision de reprendre l'audience était de
nature procédurale, permettant à la Commission d'examiner la
question de fond—savoir si la requérante était une réfugiée au
sens de la Convention. Le fait que la Commission ait autorisé
la production d'observations sur un point de procédure ou
même qu'elle ait tenu une «audience» sur le sujet ne change
pas la nature de la décision. Une décision définitive n'avait pas
été rendue et la doctrine de l'intégration, selon laquelle le droit
à la révision de la décision administrative de reprendre l'au-
dience s'est fondu avec tout droit de faire réviser la décision
judiciaire ou quasi judiciaire de reprendre l'audience après
avoir entendu tous les arguments, ne s'applique pas. L'instance
initiale n'a pas pris fin et la Commission demeure saisie en ce
sens qu'elle n'a pas encore rendu une décision au sujet de la
revendication de statut de réfugié de la requérante. Enfin, une
décision n'est pas définitive pour la seule raison qu'elle inté-
resse les droits de la requérante.
(2) La question de savoir si le paragraphe 67(1) écarte la
compétence de la Cour dépend de celle de savoir si, en ne ren-
dant pas sa décision avec célérité, la Commission a outrepassé
sa compétence, ne l'a pas exercée ou a porté atteinte à un prin-
cipe de justice naturelle.
(3) La Commission n'a pas compétence pour reprendre une
audience en l'absence de toute disposition législative expresse.
Si la situation politique d'un pays change au point de compro-
mettre le statut d'un réfugié, le ministre peut, en vertu du para-
graphe 69.2(1), demander à la Commission de déterminer s'il y
a eu ou non perte du statut de réfugié au sens de la Convention.
En reprenant l'audience afin de recevoir des éléments de
preuve sur les conséquences du renversement de Noriega, la
Commission a imposé à la requérante un fardeau injuste, voire
même un fardeau dont il lui sera impossible de se décharger,
étant donné qu'il est improbable qu'elle puisse présenter une
preuve directe à l'appui de sa crainte d'être persécutée par le
nouveau régime. Il se peut qu'elle n'ait aucune idée des consé-
quences du renversement de Noriega. Il semble manifestement
injuste de permettre à la Commission de reprendre une
audience afin d'examiner de nouveaux éléments de preuve
relatifs à un changement de régime politique survenu après
l'audience initiale. La Loi ne prévoit aucun mécanisme par
lequel le requérant pourrait obtenir la reprise d'une audience,
aux termes de celle-ci mais avant que la Commission ne rende
sa décision, si la situation politique s'est détériorée au point
que la requérante aurait pu disposer de nouveaux éléments de
preuve à l'appui de sa revendication du statut de réfugié. De
même, le ministre ne peut demander la reprise de l'audience
afin de présenter de nouveaux éléments de preuve à l'encontre
de la revendication de la requérante. Le recours dont il dispose,
dans le cas où la Commission en viendrait à la conclusion que
la requérante est une réfugiée au sens de la Convention, est
celui prévu au paragraphe 69.2(1). Si la Commission peut agir
comme elle l'a fait en l'espèce, peut-elle agir de façon iden-
tique dans toutes les situations similaires? Comment détermi-
nerait-elle si les changements survenus justifient son interven
tion et comment concilierait-elle cette façon de procéder avec
l'obligation qui lui incombe, en vertu du paragraphe 68(2), de
fonctionner sans formalisme et avec célérité dans toute la
mesure possible et de rendre sa décision le plus tôt possible
après l'audience (paragraphe 69.1(9))?
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), appendice II, n° 44], art. 7.
Loi antidumping, S.R.C. 1970, ch. A-15.
Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, S.C.
1966-67, ch. 90, art. 11, 12, 22.
Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, S.R.C.
1970, ch. I-3, art. 11 (mod. par S.C. 1973-74, ch. 27,
art. 5).
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18,
28, 29.
Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, ch. C-40.
Loi sur les enquêtes, L.R.C. (1985), ch. I-11, art. 3.
Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. 1-2, art. 32.1
(édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 28),
46.02(2) (édicté, idem, art. 14), 67 (édicté, idem, art.
18), 68 (édicté, idem), 69.1 (édicté, idem), 82.1 (édicté,
idem, art. 19).
Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, ch. 52, art.
59.
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
Procureur général du Canada (Le) c. Cylien, [1973] C.F.
1166; (1973), 43 D.L.R. (3d) 590 (C.A.); La Loi antidum-
ping (In re) et in re Danmor Shoes Co. Ltd., [1974] 1 C.F.
22; (1974), 1 N.R. 422 (C.A.); Canada (Procureur géné-
ral) c. S.F. Enterprises Inc. (1990), 107 N.R. 100
(C.A.F.); Lutes c. Commissaire de la Gendarmerie royale
du Canada, [1985] 2 C.F. 326; (1985), 61 N.R. 1 (C.A.);
Longia c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion), [1990] 3 C.F. 288; (1990), 44 Admin. L.R. 264; 10
1mm. L.R. (2d) 312; 114 N.R. 280 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale
963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979]
2 R.C.S. 227; (1979), 25 N.B.R. (2d) 237; 97 D.L.R. (3d)
417; 51 A.P.R. 237; 79 CLLC 14,209; 26 N.R. 341.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Pringle et autres c. Fraser, [1972] R.C.S. 821; (1972), 26
D.L.R. (3d) 28; Law c. Solliciteur général du Canada,
[1985] 1 C.F. 62; (1984), 11 D.L.R. (4th) 608; 57 N.R. 45
(C.A.); Chan c. Canada (Min. de l'Emploi et de l'Immi-
gration) (1987), 2 Imm. L.R. (2d) 99 (C.F. lLe inst.).
DECISION CITÉE:
Cynamid Agricultural de Puerto Rico, Inc. c. Commis-
saire des brevets et autre (1983), 74 C.P.R. (2d) 133 (C.F.
ire inst.).
DEMANDE visant à casser la décision de la Com
mission de l'immigration et du statut de réfugié por-
tant qu'elle avait compétence pour reprendre une
audience sur la revendication du statut de réfugié afin
de recevoir des éléments de preuve relatifs aux chan-
gements survenus dans le pays dont la requérante
avait la nationalité depuis la fin de l'audience.
Demande accueillie.
AVOCATS:
Brenda Wemp pour la requérante.
Bonnie J. Boucher pour l'intimé.
PROCUREURS:
Brenda J. Wemp, Toronto, pour la requérante.
Le sous procureur général du Canada pour l'in-
timé.
Ce qui suit est la version française des motifs de
l'ordonnance rendus par
LE JUGE EN CHEF ADJOINT JEROME: Munie de l'auto-
risation voulue, la requérante demande à la Cour de
rendre l'ordonnance suivante: casser la décision de la
Commission de l'immigration et du statut de réfugié,
section du statut de réfugié (la «Commission»), selon
laquelle elle était compétente pour reprendre l'au-
dience sur la revendication de la requérante afin de
recevoir des éléments de preuve relatifs aux change-
ments survenus dans la situation du pays depuis la fin
de l'audience, soit le 29 novembre 1989; obliger la
Commission à rendre une décision fondée sur les élé-
ments de preuve déjà produits le 29 novembre 1989;
interdire à la Commission de recevoir des éléments
de preuve relatifs aux changements survenus dans la
situation du pays depuis le 29 novembre 1989 et lui
interdire d'en tenir compte; suspendre l'instance dont
la Commission est saisie. Ces questions ont été enten-
dues à Toronto, en Ontario, le 17 décembre 1990 et
ajournées pour la présentation d'autres plaidoiries le
12 février 1991. À la fin des plaidoiries le 12 février
1991, j'ai mis l'affaire en délibéré et ordonné la sus
pension de l'instance devant la Commission jusqu'à
ce qu'ait été rendue la décision sur la présente affaire.
Le 17 décembre 1991, à Toronto, j'ai prononcé à
l'audience des motifs d'ordonnance dans la présente
affaire et j'ai dit que les présents motifs écrits sui-
vraient.
La requérante, citoyenne de Panama, est arrivée au
Canada le 16 juillet 1989. Lors d'une enquête tenue
conformément à la Loi sur l'immigration de 1976,
S.C. 1976-77, ch. 52 (maintenant L.R.C. (1985), ch.
I-2, modifiée), à l'issue de laquelle il a été décidé
qu'elle n'était pas admissible au Canada, la requé-
rante a revendiqué le statut de réfugié, affirmant
qu'elle s'était enfuie du Panama parce qu'elle crai-
gnait d'y être persécutée par des agents du régime
Noriega. Il a été déterminé que sa revendication avait
un minimum de fondement et une mesure d'exclu-
sion conditionnelle a été prise en conformité avec
l'article 32.1 [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch.
28, art. 28] de la Loi sur l'immigration. Sa revendica-
tion du statut de réfugié a ensuite été déférée à la
Commission de l'immigration et du statut de réfugié
(la «Commission») en application du pararagraphe
46.02(2) [édicté, idem, art. 14] et, conformément à
l'article 69.1 [édicté, idem, art. 18], la Commission a
convoqué une audience le 29 novembre 1989 afin
d'entendre la revendication. Après avoir entendu la
requérante et les arguments de son avocate et de
l'agent d'audience, la Commission a mis la question
en délibéré. Le président de l'audience a dit qu'étant
donné que la Commission ne connaissait pas bien la
situation au Panama, pays de nationalité de la requé-
rante, un délai était nécessaire pour l'examen de la
documentation produite.
Par lettre datée du 26 avril 1990 1 , la requérante a
été informée que le président de l'audience avait
ordonné au greffier de reprendre l'audience afin de
recevoir des éléments de preuve relatifs aux change-
ments survenus dans la situation du pays depuis le 29
novembre 1989 et avant que la Commission n'ait pris
de décision. Ces changements résultaient de l'envoi
par les États-Unis d'une force militaire au Panama et
du renversement de Noriega.
Les parties ont convenu de fixer la date de la
reprise de l'audience au 10 septembre 1990 et un avis
d'audience daté du 15 juin 1990 a été envoyé à la
requérante. Au début de l'audience, le président a
déclaré:
[TRADUCTION] Ceci est la reprise de l'audience concernant la
revendication du statut de réfugié qu'a présentée Marisol
Eloisa Escobar Salinas. Cette audience a été ouverte le 29
novembre 1989 et elle est reprise aujourd'hui pour la produc
tion de nouveaux éléments de preuve ... Madame Escobar,
avant que le présent tribunal ne prenne de décision définitive
sur votre revendication, un changement s'est produit dans le
pays dont vous possédez la nationalité. Le présent tribunal
siège aujourd'hui pour recevoir des éléments de preuve tou-
chant la situation dans le pays dont vous possédez la nationa-
1 Voir l'annexe «A» de l'affidavit de Marisol Escobar Sali-
nas fait le 5 décembre 1990.
lité et pour entendre quel est l'effet de la nouvelle situation
politique dans votre pays sur votre crainte d'être persécutée, au
cas où vous retourneriez au Panama 2 .
L'avocate de la requérante a annoncé son intention
de soutenir que la Commission ne devait pas recevoir
de nouveaux éléments de preuve. Après avoir
entendu les arguments de l'avocate et après avoir
donné à l'agent d'audience la possibilité de présenter
des observations, la Commission a décidé qu'elle
était compétente pour reprendre l'audience afin de
recevoir de nouveaux éléments de preuve et décidé
de plus que le délai n'avait pas porté atteinte au droit
de la requérante à une instruction approfondie (la
«décision»). La Commission a accordé l'ajournement
au 21 décembre 1990, à la demande de l'avocate de
la requérante.
Par une requête en date du 5 décembre 1990, la
requérante a demandé que soit rendue une ordon-
nance cassant la décision de la Commission, obli-
geant la Commission à prendre une décision fondée
sur les éléments de preuve déjà produits devant elle le
29 novembre 1989 et suspendant la reprise de l'au-
dience jusqu'à ce que la Cour ait statué sur la requête.
Par une requête datée du 6 février 1991 (91-T-26) et
conformément à l'article 82.1 [édicté, idem, art. 19]
de la Loi sur l'immigration, la requérante a demandé
en outre l'autorisation d'introduire une instance aux
termes de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale,
[L.R.C. (1985), ch. F-7] afin d'obtenir une ordon-
nance interdisant à la Commission de recevoir et
d'examiner des éléments de preuve relatifs aux chan-
gements survenus dans la situation du pays après la
fin de l'audience tenue le 29 novembre 1989 et, con-
formément au paragraphe 82.1(6) de la Loi sur l'im-
migration, la prorogation du délai imparti pour dépo-
ser la demande d'autorisation. L'autorisation a été
accordée.
La requérante affirme que la Commission n'est pas
compétente pour reprendre, de sa propre initiative,
une audience qui a pris fin, dans le but de recevoir
des éléments de preuve relatifs à des changements
2 Voir la transcription de l'audience du 10 septembre 1990
tenue par la Commission de l'immigration et du statut de réfu-
gié, formant l'annexe «A» de l'affidavit de Neelam Jolly, con-
seiller juridique, contentieux des affaires civiles, ministère de
la Justice, fait le 13 décembre 1990 et voir aussi le compte
rendu de l'audience contenu dans l'affidavit de Marisol Esco-
bar Salinas fait le 5 décembre 1990.
survenus dans la situation du pays, et que, si la Com
mission est compétente, elle est empêchée d'agir
ainsi en l'espèce à cause du délai. La requérante sou-
tient qu'il y a une question sérieuse à trancher, que la
balance des inconvénients penche en faveur de la sus
pension d'instance et que la requérante subirait un
préjudice irréparable si la suspension n'était pas
accordée. Dans son affidavit daté du 5 décembre
1990, la requérante déclare sous serment que [TRA-
DUCTION] «ce changement peut porter préjudice à la
présentation continue de [s]a revendication du statut
de réfugié» et que le délai additionnel avant la déci-
sion lui a causé de l'anxiété et de l'insécurité.
La décision sur cette demande exige l'examen de
trois questions:
1. La Section de première instance de la Cour fédé-
rale est-elle compétente en l'espèce?
2. Si la présente Cour est compétente pour réviser
cette affaire, la décision de la Commission est-elle
révisable, vu le paragraphe 67(1) de la Loi sur l'im-
migration?
3. La Commission a-t-elle outrepassé sa compétence
ou, de quelque autre manière, rendu une décision
entachée d'une erreur de droit en reprenant l'au-
dience en l'espèce? Y a-t-il lieu en l'espèce de décer-
ner des ordonnances de certiorari, de mandamus et
de prohibition?
Les dispositions pertinentes sont les articles 18, 28
et 29 de la Loi sur la Cour fédérale et les articles 67
[mod., idem, art. 18] et 68 [mod., idem] et les para-
graphes 69.1(5), 69.1(9) et 69.2(1) de la Loi sur l'im-
migration:
Loi sur la Cour fédérale
18. La Section de première instance a compétence exclusive,
en première instance, pour:
a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de manda-
mus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un
jugement déclaratoire contre tout office fédéral;
b) connaître de toute demande de réparation de la nature
visée par l'alinéa a), et notamment de toute procédure enga
gée contre le procureur général du Canada afin d'obtenir
réparation de la part d'un office fédéral.
28. (1) Malgré l'article 18 ou les dispositions de toute autre
loi, la Cour d'appel est compétente pour les demandes de révi-
sion et d'annulation d'une décision ou ordonnance—exception
faite de celles de nature administrative résultant d'un processus
n'ayant légalement, aucun caractère judiciaire ou quasi judi-
ciaire—rendue par un office fédéral ou à l'occasion de procé-
dures en cours devant cet office au motif que celui-ci, selon le
cas:
a) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a de
quelque autre manière outrepassé sa compétence ou refusé
de l'exercer;
b) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une
erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du
dossier;
c) a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion
de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans
tenir compte des éléments dont il dispose.
(2) Le procureur général du Canada ou toute partie directe-
ment intéressée parla décision ou l'ordonnance peut présenter
la demande visée au paragraphe (1) en déposant à la Cour un
avis en ce sens dans les dix jours qui suivent la première com
munication, par l'office fédéral, de la décision ou ordonnance
au bureau du sous-procureur général du Canada . ou à la partie
concernée, ou dans le délai supplémentaire que la Cour d'appel
ou un de ses juges peut, avant ou après l'expiration de ces dix
jours, fixer ou accorder.
(3) La Section de première instance ne peut connaître des
demandes de révision et d'annulation de décisions ou d'ordon-
nances qui, aux termes du présent article, ressortissent à la
Cour d'appel.
(4) L'office visé par le paragraphe (1) peut, à tout stade de
ses procédures, renvoyer devant la Cour d'appel pour audition
et jugement toute question de droit, de compétence ou de pra-
tique et procédure.
(5) La Cour d'appel statue à bref délai et selon une procé-
dure sommaire sur les demandes et renvois qui lui sont faits
dans le cadre du présent article.
(6) Le paragraphe (1) ne s'applique pas aux décisions ou
ordonnances du gouverneur en conseil, du Conseil du Trésor,
d'une cour supérieure ou de la Commission d'appel des pen
sions ni aux procédures intentées pour une infraction d'ordre
militaire en vertu de la Loi sur la défense nationale.
29. Par dérogation aux articles 18 et 28, lorsqu'une loi fédé-
rale prévoit expressément qu'il peut être interjeté appel, devant
la Cour fédérale, la Cour suprême, le gouverneur en conseil ou
le Conseil du Trésor, d'une décision ou ordonnance d'un office
fédéral rendue à tout stade des procédures, cette décision ou
ordonnance ne peut, dans la mesure où elle est susceptible d'un
tel appel, faire l'objet de révision, de restriction, de prohibition,
d'évocation, d'annulation ni d'aucune autre intervention, sauf
dans la mesure et de la manière prévues dans cette loi.
Loi sur l'immigration
67. (1) La section du statut a compétence exclusive, en
matière de procédures visées aux articles 69.1 et 69.2, pour
entendre et juger sur des questions de droit et de fait, y compris
des questions de compétence.
(2) La section du statut et chacun de ses membres sont
investis des pouvoirs d'un commissaire nommé aux termes de
la partie I de la Loi sur les enquêtes. Ils peuvent notamment,
dans le cadre d'une audience:
a) par citation adressée aux personnes ayant connaissancè de
faits se rapportant à l'affaire dont ils sont saisis, leur enjoin-
dre de comparaître comme témoins aux date, heure et lieu
indiqués et d'apporter et de produire tous documents, livres
ou pièces, utiles à l'affaire, dont elles ont la possession ou la
responsabilité;
b) faire prêter serment et interroger sous serment;
c) par commission rogatoire ou requête, faire recueillir des
éléments de preuve au Canada;
d) prendre toutes autres mesures nécessaires à une instruc
tion approfondie de l'affaire.
68. (1) La section du statut siège au Canada aux lieux, dates
et heures choisis par le président en fonction de ses travaux.
(2) Dans la mesure où les circonstances et l'équité le per-
mettent, la section du statut fonctionne sans formalisme et avec
célérité.
(3) La section du statut n'est pas liée par les règles légales
ou techniques de présentation de la preuve. Elle peut recevoir
les éléments qu'elle juge crédibles ou dignes de foi en l'occur-
rence et fonder sur eux sa décision.
(4) La section du statut peut admettre d'office les faits ainsi
admissibles en justice de même que, sous réserve du para-
graphe (5), les faits généralement reconnus et les renseigne-
ments ou opinions qui sont du ressort de sa spécialisation.
(5) Sauf pour les faits qui peuvent être admis d'office en jus
tice, la section du statut informe le ministre, s'il est présent à
l'audience, et la personne visée par la procédure de son inten
tion d'admettre d'office des faits, renseignements ou opinions
et leur donne la possibilité de présenter leurs observations à cet
égard.
69.1... .
(5) A l'audience, la section du statut est tenue de donner à
l'intéressé et au ministre la possibilité de produire des élé-
ments de preuve, de contre-interroger des témoins et de pré-
senter des observations, ces deux derniers droits n'étant toute-
fois accordés au ministre que s'il l'informe qu'à son avis, la
revendication met en cause la section E ou F de l'article pre
mier de la Convention ou le paragraphe 2(2) de la présente loi.
(9) La section du statut rend sa décision sur la revendication
du statut de réfugié au sens de la Convention le plus tôt possi
ble après l'audience et la notifie à l'intéressé et au ministre par
écrit.
69.2 (1) Le ministre peut, par avis, demander à la section du
statut de déterminer s'il y a ou non perte du statut de réfugié au
sens de la Convention par une personne qui s'est vu recon-
naître ce statut aux termes de la présente loi ou de ses règle-
ments.
La Section de première instance de la Cour fédérale
est-elle compétente en l'espèce?
À l'audience, le 17 décembre 1990, l'intimé a sou-
tenu que la Section de première instance de la Cour
fédérale n'était pas compétente en l'espèce et les par
ties ont présenté des exposés supplémentaires des
faits et du droit.
ARGUMENTS DE LA REQUÉRANTE
La requérante affirme que la Section de première
instance est compétente pour réviser la décision de-la
Commission et pour accorder la réparation demandée
car la décision de la Commission de reprendre l'au-
dience portait sur une question de procédure et elle a
pris cette décision dans l'exercice des pouvoirs que
lui attribue la Loi sur l'immigration. La Commission
a, d'une part, refusé de remplir l'obligation que lui
impose le paragraphe 69.1(9), soit rendre sa décision
le plus tôt possible après l'audience, et, d'autre part,
de sa propre initiative, exercé une compétence qu'elle
ne possède pas. Selon le raisonnement tenu par la
Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Procureur général
du Canada (Le) c. Cylien, [1973] C.F. 1166 (C.A),
celle-ci n'est pas compétente. Au surplus, la décision
de la Commission, qui est de la nature d'une décision
interlocutoire sur la procédure ou sur la nature de ses
pouvoirs, ne constitue pas une «décision ou ordon-
nance» visée par le paragraphe 28(1) de la Loi sur la
Cour fédérale. En dernier lieu, quoique l'article 29
fasse obstacle à la révision, fondée sur les articles 18
ou 28, de la décision définitive de la Commission sur
la revendication du statut de réfugié présentée par la
requérante, il ne confère pas, à ce stade-ci, de droit de
demander la révision de la décision de la Commis-
sion devant la Cour d'appel fédérale et n'empêche
pas la requérante de demander la réparation prévue à
l'article 18.
ARGUMENTS DE L'INTIME
L'intimé reconnaît que la décision initiale de la
Commission, prise le 26 avril 1990, savoir aviser la
requérante de la réouverture de l'audience à l'initia-
tive de la Commission, était une décision administra
tive rendue sans qu'une audience ait été tenue. Toute-
fois, le droit à la révision de la décision du 26 avril
1990 conformément à l'article 18 de la Loi sur la
Cour fédérale, «s'est fondu» avec tout droit de faire
réviser la décision de reprendre l'audience qu'a prise
la Commission le 10 septembre 1990 après avoir
entendu tous les arguments sur la question, selon un
processus à caractère judiciaire ou quasi judiciaire.
La décision de reprendre l'audience est donc une
décision «définitive» en ce sens que la Commission a
épuisé sa compétence relativement à la question sur
laquelle portait sa décision, que la décision attaquée a
un effet direct et indirect sur les droits et les obliga
tions de la requérante et qu'elle lie les parties. En
outre, la décision est irrévocable une fois que l'au-
dience a été rouverte et tout retard à demander la
révision judiciaire rend toute demande de réparation
non valable. L'intimé affirme de plus que la Commis
sion n'est pas investie expressément du pouvoir de
prendre une décision interlocutoire sur sa compétence
et la décision est donc, à bon droit, susceptible d'ap-
pel devant la Cour d'appel fédérale en vertu de
l'artcle 28 de la Loi sur la Cour fédérale. Par sur-
croît, comme la procédure en cours est de nature judi-
ciaire ou quasi judiciaire, la décision en cause est, à
juste titre, susceptible de révision en vertu de l'article
28 et, conformément au paragraphe 28(3), la Section
de première instance n'est pas compétente pour con-
naître de cette affaire.
ANALYSE
À deux occasions, la Cour d'appel fédérale a étu-
dié cette question dans le contexte de circonstances
assez semblables. Dans l'arrêt Procureur général du
Canada (Le) c. Cylien, précité, la Cour d'appel fédé-
rale a été appelée à examiner une ordonnance de la
Commission d'appel de l'immigration demandant
que le dossier de l'enquête ayant abouti à l'ordon-
nance d'expulsion lui soit transmis et à déterminer si
la décision de la Commission était une «décision ou
ordonnance» au sens de l'article 28 ou si l'on devait
avoir recours aux moyens de droit prévus à l'article
18 de la Loi sur la Cour fédérale. Dans cette affaire,
après avoir considéré s'il y avait lieu de permettre
que l'appel contre une ordonnance d'expulsion suivît
son cours conformément à l'article 1 l de la Loi sur la
Commission d'appel de l'immigration, S.R.C. 1970,
ch. I-3, modifié par S.C. 1973-74, ch. 27, art. 5 3 , la
Commission avait déterminé qu'elle pouvait tenir
compte non seulement de la «déclaration» prévue au
paragraphe 11(2), mais encore du dossier de l'en-
quête effectuée par l'enquêteur spécial qui avait pris
l'ordonnance d'expulsion. Après un ajournement
3 L'article 3 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immi-
gration, modifié, est ainsi conçu:
11. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), une per-
sonne frappée d'une ordonnance d'expulsion, en vertu de la
Loi sur l'immigration, peut, en se fondant sur un motif d'appel
qui implique une question de droit, une question de fait ou une
question mixte de droit et de fait, interjeter appel devant la
Commission, si au moment où l'ordonnance d'expulsion est
prononcée contre elle, elle est
c) une personne qui prétend être un réfugié que protège la
Convention; ou
(2) Lorsqu'un appel est interjeté devant la Commission con-
formément au paragraphe (1) et que le droit d'appel se fonde
sur l'une des prétentions visées par les alinéas (1)c) ou d),
l'avis d'appel présenté à la Commission doit contenir une
déclaration sous serment énonçant
a) la nature de la prétention;
b) un énoncé suffisamment détaillé des faits sur lesquels
se fonde la prétention;
c) un résumé suffisamment détaillé des renseignements et
de la preuve que l'appelant entend présenter à l'appui de
la prétention lors de l'audition de l'appel; et
d) tout autre exposé que l'appelant estime pertinent en ce
qui concerne la prétention.
(3) Nonobstant toute autre disposition de la présente loi,
lorsque la Commission reçoit un avis d'appel et que l'appel se
fonde sur une prétention visée par les alinéas (1)c) ou d), un
groupe de membres de la Commission formant quorum doit
immédiatement examiner la déclaration mentionnée au para-
graphe (2). Si, se fondant sur cet examen, la Commission
estime qu'il existe des motifs raisonnables de croire que le
bien-fondé de la prétention pourrait être établi s'il y avait audi
tion de l'appel, elle doit permettre que l'appel suive son cours;
sinon, elle doit refuser cette autorisation et ordonner immédia-
tement, l'exécution aussi prompte que possible de l'ordon-
nance d'expulsion.
pour l'examen de la suggestion de l'avocat du minis-
tre selon laquelle la Commission était tenue, confor-
mément au paragraphe 11(3), de décider si l'appel
devait suivre son cours en se fondant seulement sur la
déclaration de l'intimé, la Commission a «décidé» de
rejeter la suggestion de l'avocat et a confirmé son
ordonnance initiale exigeant la production du dossier
de l'enquête.
Le juge en chef Jackett a déterminé (aux pages
1174 et 1175) que «ce que la Commission a fait en
prononçant ses motifs le 16 octobre, si on les inter-
prète bien» constituait soit un refus de s'acquitter de
ses obligations, soit une déclaration erronée de com-
pétence, ou à la fois l'un et l'autre.
Par conséquent, il a dit [à la page 1175] qu'«il
[était] clair qu'il s'agit d'un cas où il y aurait lieu de
demander un bref de mandamus ou un bref de prohi
bition, ou les deux, afin de déterminer la nature
exacte des obligations de la Commission en l'espèce,
à moins que l'article 28(3) [de la Loi sur la Cour
fédérale] n'empêche ce recours». Il a cependant con-
clu que [à la page 1177] «l'opinion de la Commission
sur la nature de ses obligations prévues par la loi à
l'article 11(3) n'est pas une décision rendue en vertu
de sa "compétence ou de ses pouvoirs" de rendre des
décisions et n'est donc pas une "décision" que cette
Cour a le pouvoir d'annuler en vertu de l'article 28(1)
de la Loi sur la Cour fédérale». Il a tenu le raisonne-
ment suivant (à la page 1176):
C'est une question de droit que la Commission n'a pas «la
compétence ni les pouvoirs» de trancher. Elle doit, bien sûr, se
faire une opinion sur cette question, mais cette opinion n'a
aucun effet juridique. (La loi ne confère pas à la Commission,
comme elle aurait pu le faire, le pouvoir de déterminer sa pro-
pre compétence.)
Il existe une différence manifeste entre une «décision» de la
Commission dont l'objet relève de «sa compétence ou de ses
pouvoirs» et une décision par laquelle elle détermine la nature
des pouvoirs qu'elle va utiliser. Une fois que la Commission,
dans une affaire donnée, a rendu une décision relevant de «sa
compétence ou de ses pouvoirs», cette décision a un effet juri-
dique et la Commission a épuisé ses pouvoirs à l'égard de cette
affaire. Cependant, lorsque la Commission prend position sur
la nature des pouvoirs qu'elle a l'intention d'utiliser, cette
«décision» n'a aucun effet juridique. Dans un tel cas, il n'y a
pas eu de décision en droit. La Commission elle-même, quelle
que soit sa composition, peut, au cours de l'affaire où elle a
pris position, changer d'avis avant de traiter de cette affaire et
même poursuivre en se fondant sur cette nouvelle opinion.
Dans l'arrêt La Loi antidumping (In re) et in re
Danmor Shoe Co. Ltd., [1974] 1 C.F. 22, la Cour
d'appel fédérale a décidé que la déclaration de la
Commission du tarif selon laquelle elle n'était pas
compétente pour traiter de la validité de règlements
ne pouvait faire l'objet d'une demande fondée sur
l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale. La déci-
sion a été rendue au cours d'une audition devant la
Commission du tarif visant à déterminer la «valeur
imposable» des marchandises importées en vertu de
la Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, ch. C-40, et la
«valeur normale» des marchandises importées en
vertu de la Loi antidumping, S.R.C. 1970, ch. A-15.
La Commission a refusé d'examiner les règlements
pris par le ministre, déclarant qu'elle n'était pas com-
pétente pour traiter de la validité des «directives». Le
juge en chef Jackett, suivant le même raisonnement
que dans l'arrêt Cylien, a conclu que la Cour d'appel
n'était pas compétente en vertu du paragraphe 28(1)
pour annuler la déclaration de la Commission du tarif
[aux pages 28 et 29]:
En l'espèce, le problème est différent [de l'exercice ou du
prétendu exercice «d'une compétence ou des pouvoirs» con-
férés par une loi du Parlement]. La Commission du tarif a la
compétence ou les pouvoirs de trancher les appels interjetés
d'une évaluation de la «valeur imposable» et d'une évaluation
de la «valeur normale». Cependant elle n'a encore en aucune
façon statué sur ces appels. Le problème soulevé devant la
Commission du tarif à ce stade préliminaire, et au sujet duquel
elle a fait une «déclaration» préliminaire, est de savoir si, en se
prononçant sur la valeur imposable ou la valeur normale, elle
est autorisée à décider que les «directives» sont inopérantes
parce que non valables. Décider si elle y est autorisée est une
question de droit que la Commission n'a pas la compétence ni
le pouvoir de trancher indépendamment des appels sur lesquels
il lui incombe de se prononcer. Bien sûr, pour pouvoir statuer,
la Commission doit prendre position sur cette question, ce qui
se reflétera dans sa décision; mais, à mon avis, toute déclara-
tion de la Commission sur une question avant qu'elle ait réelle-
ment tranché un appel, et donc séparément de celui-ci, n'a
aucun effet juridique. (Les lois ne confèrent pas à la Commis
sion, comme elles auraient pu le faire, le pouvoir de déterminer
sa propre compétence.)
Récemment, dans l'arrêt Canada (Procureur géné-
ral) c. S.F. Enterprises Inc. (1990), 107 N.R. 100
(C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a estimé que la
décision de la Cour canadienne de l'impôt selon
laquelle deux actionnaires d'une société contribuable
avaient qualité pour en appeler d'une cotisation d'im-
pôt était une décision préliminaire, clairement inter-
locutoire, et, par conséquent, n'était pas une décision
«finale» donnant lieu à révision en vertu de l'article
28 de la Loi sur la Cour fédérale. Le juge MacGui-
gan, J.C.A., a fait remarquer ce qui suit (aux pages
102 et 103):
De prime abord, l'arrêt Lutes c. Commissaire de la Gen-
darmerie royale du Canada, [1985] 2 C.F. 326; 61 N.R. 1
(C.A.F.), semble servir le requérant; dans cet arrêt, cette Cour a
révisé et annulé la décision du Commissaire de la G.R.C. d'or-
donner une nouvelle révision d'une recommandation de licen-
ciement. Toutefois, la lecture attentive des motifs de jugement
du juge Heald, J.C.A., sur ce point montre clairement que ce
qui était décisif était le fait que le Commissaire avait pleine-
ment exercé les pouvoirs qu'il tient de la loi, et que ce qui sui-
vrait serait en réalité une nouvelle révision. Le juge Heald,
J.C.A., a écrit (à la p. 340):
«Si l'on applique le critère énoncé dans l'arrêt Danmor,
peut-on dire que la «décision» du Commissaire en l'espèce
est une décision qu'il a été expressément autorisé à prendre?
Je conclus que la réponse à cette question est affirmative.»
Il est clair que lorsqu'il y a eu plein exercice des pouvoirs con-
férés par la loi, aucune autre décision ne reste à prendre. Il est
vrai que l'affaire pourrait en dernier lieu être renvoyée au com-
missaire comme étape finale de la révision qu'il avait ordon-
née, mais ce serait dans le cadre d'une nouvelle instance.
L'instance initiale avait pris fin avec la décision du commis-
saire.
C'est pourquoi il a conclu (à la page 103) qu'«[e]n
l'espèce, la décision du juge de la Cour de l'impôt
selon laquelle les deux particulières intimées
[avaient] qualité pour agir n'[était] qu'une affirma
tion préliminaire permettant à la Cour de procéder à
l'étude du fond de l'appel interjeté contre la cotisa-
tion d'impôt».
En l'espèce, comme dans les affaires Cylien et
Danmor Shoe Co., la question de savoir si la Com
mission peut reprendre l'audience pour entendre
d'autres éléments de preuve relatifs aux changements
survenus dans la situation du pays de nationalité n'est
pas une question à l'égard de laquelle la Commission
peut exercer sa «compétence [ou] ses pouvoirs». Bien
que la Commission doive se faire une opinion sur la
question, cette opinion n'a pas d'autre effet juridique
que de permettre de trancher la revendication du sta-
tut de réfugié de la requérante.
La décision prise par la Commission de reprendre
l'audience est de nature procédurale. L'intimé sou-
tient que cette décision revêt un caractère judiciaire
ou quasi judiciaire parce qu'elle a été suivie par une
audience portant sur la compétence de la Commission
de reprendre l'audience. Je ne puis accepter cette pro
position. Il est permis de se demander si les événe-
ments du 10 septembre 1990 constituaient une
«audience» sur le sujet. Quoi qu'il en soit, le fait
qu'une Commission autorise la production d'observa-
tions sur un point de procédure ou même qu'elle
décide d'aller jusqu'à tenir une «audience» sur le
sujet, ne change pas la nature de la décision qu'elle
doit rendre. Par conséquent, je rejette l'argument de
l'intimé voulant que le droit de réviser la décision
administrative rendue le 26 avril 1990 fasse «partie»
de la décision quasi judiciaire de reprendre l'audience
prise le 10 septembre 1990.
L'avocat de l'intimé s'appuie sur la décision que
j'ai rendue dans l'affaire Chan c. Canada (Min. de
l'Emploi et de l'Immigration) (1987), 2 Imm. L.R.
(2d) 99 (C.F. lre inst.). Dans cette affaire, la Commis
sion d'appel de l'immigration a rejeté l'appel formé
par le requérant contre une ordonnance d'exclusion.
Une demande d'autorisation d'interjeter appel devant
la Cour d'appel fédérale avait été rejetée et l'appelant
cherchait à faire annuler le rapport sur lequel l'ordon-
nance d'exclusion était fondée. D'après le raisonne-
ment suivi dans l'affaire Cynamid Agricultural de
Puerto Rico, Inc. c. Commissaire des brevets et autre
(1983), 74 C.P.R. (2d) 133 (C.F. ]re inst.), à la
page 136, j'ai décidé (à la page 108) qu'une fois que
la Commission d'appel de l'immigration a rendu une
décision définitive quant à sa juridiction, sa décision
quant à la validité du rapport doit en être considérée
comme partie intégrante.
En l'espèce, une décision définitive n'a pas été
rendue et la doctrine de «l'intégration» ne s'applique
tout simplement pas. Comme dans l'affaire Lutes
[Lutes c. Commissaire de la Gendarmerie royale du
Canada, [1985] 2 C.F. 326 (C.A.)], l'instance initiale
n'a pas pris fin et la Commission demeure functus
officio en ce sens qu'elle n'a pas encore rendu une
décision au sujet de la revendication de statut de réfu-
gié de la requérante*. À l'instar du juge MacGuigan,
J.C.A. dans l'affaire S.F. Enterprises Inc., je conclus
* Note de l'arrêtiste: Pour ce qui concerne la question de
savoir si la section du statut était functus officio en l'espèce,
voir les motifs du jugement de la Cour d'appel fédérale, [1992]
3 C.F. 219, la p. 253.
que la décision rendue par la Commission en l'espèce
n'est qu'une décision de procédure permettant à la
Commission de procéder à l'étude de la question de
fond dont elle est saisie—savoir si la requérante est
une réfugiée au sens de la Convention.
Bien que la décision de la Commission ne puisse
peut-être pas être considérée comme «préliminaire»
puisqu'elle n'a pas été rendue avant que la Commis
sion ne procède à l'examen de la revendication du
statut de réfugié de la requérante, il s'agit néanmoins
d'une décision «préliminaire» à la résolution de la
question dont est effectivement saisie la Commission,
savoir si la requérante est une réfugiée. Dans ce sens,
la décision rendue par la Commission est une déci-
sion «incidente prise au cours de l'audition»,
laquelle, rappelons-le, ne vise pas à produire un effet
juridique. Enfin, je rejette la proposition mise de
l'avant par l'intimé voulant que la décision ou l'or-
donnance soit définitive pour la seule raison qu'elle
intéresse les droits de la requérante. Chaque décision
ou ordonnance, qu'elle soit procédurale, interlocu-
toire ou définitive, aura, dans une certaine mesure du
moins, une incidence sur les droits de toute partie
visée par la décision.
Selon moi, la décision rendue par la Commission
en l'espèce ne constitue pas une décision ou ordon-
nance ayant un caractère judiciaire ou quasi judi-
ciaire, et il ne s'agit pas d'une décision ou d'une
ordonnance définitive que la Commission doit ren-
dre. Par conséquent, elle peut faire l'objet d'une révi-
sion en application de l'article 18 de la Loi sur la
Cour fédérale.
Si la Cour est compétente pour réviser la présente
affaire, la décision attaquée peut-elle faire l'objet
d'une révision eu égard à la clause privative formulée
au paragraphe 67(1) de la Loi sur l'immigration?
Subsidiairement, l'intimé prétend que la «compé-
tence exclusive» conférée au paragraphe 67(1) de la
Loi sur l'immigration fait obstacle à la révision de la
décision par une autre cour ou tribunal, sauf si en ren-
dant sa décision la Commission a outrepassé sa com-
pétence ou refusé de l'exercer, n'a pas observé les
principes de justice naturelle ou de l'équité procédu-
rale ou a porté atteinte aux droits de la requérante qui
sont garantis par l'article 7 de la Charte [Charte
canadienne des droits et libertés, qui constitue la Par-
tie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), appendice II, n° 44]]. Selon l'intimé,
il a été décidé que les termes «compétence exclusive
pour entendre et décider toutes questions de fait ou de
droit y compris les questions de compétence» fai-
saient obstacle à la révision par une cour ou un tribu
nal des questions relevant exclusivement de la Com
mission.
Dans l'affaire Pringle et autres c. Fraser, [1972]
R.C.S. 821, la Cour a examiné l'unique question de
savoir si la Cour suprême de l'Ontario pouvait con-
naître d'une requête sollicitant un bref de certiorari
pour annuler une ordonnance d'expulsion rendue en
vertu de la Loi sur l'immigration, eu égard au régime
établi aux articles 11, 12 et 22 de la Loi sur la Com
mission d'appel de l'immigration, S.C. 1966-67,
ch. 90 (S.R.C. 1970, ch. I-3) 4 . Le juge Laskin (alors
juge puîné), a fait remarquer que le pouvoir du Parle-
ment de refuser ou de retirer aux cours supérieures
provinciales la compétence en matière de demandes
de certiorari à l'égard des ordonnances d'expulsion
n'était pas contesté, et il a décidé ce qui suit (à la
page 826):
Je suis convaincu que, dans le contexte du programme géné-
ral de l'administration des politiques en matière d'immigra-
tion, les termes de l'art. 22 («compétence exclusive pour
entendre et décider toutes questions de fait ou de droit, y com-
pris les questions de compétence») suffisent non seulement à
revêtir la Commission de l'autorité déclarée mais encore à
4 Les art. 11, 12 et 22 sont ainsi libellés:
11. Une personne frappée d'une ordonnance d'expulsion, en
vertu de la Loi sur l'immigration, peut, en se fondant sur un
motif d'appel qui implique une question de droit ou une ques
tion de fait ou une question mixte de droit et de fait, interjeter
appel à la Commission.
12. Le Ministre, en se fondant sur un motif d'appel qui
implique une question de droit ou de fait ou une question mixte
de droit et de fait, peut interjeter appel à la Commission d'une
décision d'un enquêteur spécial portant qu'une personne à
l'égard de qui a été tenue une audition n'est pas dans une caté-
gorie interdite ou n'est pas sujette à l'expulsion.
22. Sous réserve de la présente loi et sauf ce que prévoit la
Loi sur l'immigration, la Commission a compétence exclusive
pour entendre et décider toutes questions de fait ou de droit, y
compris les questions de compétence, qui peuvent se poser à
l'occasion de l'établissement d'une ordonnance d'expulsion ou
de la présentation d'une demande d'admission au Canada d'un
parent conformément aux règlements édictés sous le régime de
la Loi sur l'immigration.
empêcher toute autre cour ou tout autre tribunal d'être saisi de
tout genre de procédures, que ce soit par voie de certiorari ou
autrement, relativement aux matières ainsi réservées exclusive-
ment à la Commission. [Non souligné dans le texte original.]
Cependant, il convient de noter que le juge Laskin
n'a pas pris en considération l'effet de la Loi sur la
Cour fédérale nouvellement en vigueur. Il a précisé
(à la page 824) que «cette Cour n'est pas saisie en
l'espèce de l'effet de la Loi sur la Cour fédérale,
1970-71-72 (Can.), ch. 1, qui est entrée en vigueur le
ler juin 1971.»
Néanmoins, dans l'arrêt Law c. Solliciteur général
du Canada, [1985] 1 C.F. 62 (C.A.), la Cour d'appel
fédérale a examiné l'effet de l'article 59 de la Loi sur
l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, ch. 52, qui dis-
posait que la Commission d'appel de l'immigration
avait «compétence exclusive ... pour entendre et
juger sur des questions de droit et de fait, y compris
des questions de compétence, relatives à la confec
tion d'une ordonnance de renvoi». Dans un jugement
minoritaire concourant, le juge Hugessen, J.C.A., a
dit ce qui suit (à la page 66):
Bien qu'il puisse être tentant de dire que la compétence exclu
sive de la Commission ne saurait s'étendre aux questions con-
cernant l'étendue de sa propre compétence, puisque c'est là
uniquement l'attribut d'une cour supérieure, le faire serait aller
contre l'arrêt de la Cour suprême Pringle et autre c. Fraser,
[1972] R.C.S. 821.
Dans la décision Chan c. Canada (Min. de l'Em-
ploi et de l'Immigration), j'ai étudié les jugements
Pringle c. Fraser et Law et j'ai conclu [à la page 107]
que «même si la Commission n'avait pas tranché ces
questions [relatives à la validité du rapport sur lequel
était fondée l'ordonnance d'exclusion], je n'aurais
pas compétence à le faire par voie de contrôle judi-
ciaire» eu égard à la décision de la Commission d'ap-
pel de l'immigration de rejeter l'appel de la requé-
rante formé contre l'ordonnance d'exclusion et à la
clause privative formulée à l'article 59 de la Loi sur
l'immigration.
Cependant, si comme le prétend la requérante, la
Commission a outrepassé sa compétence en reprenant
l'audience ou si elle ne l'a pas exercée en ne rendant
pas une décision avec célérité à la suite de l'audience
tenue le 29 novembre 1989, il ne fait aucun doute que
la clause privative ne fera pas obstacle à la révision
de la décision rendue par la Commission. Je
remarque que dans les causes Cylien et Danmor Shoe
Co., une «disposition privative» similaire énoncée à
l'article 22 de la Loi sur la Commission d'appel de
l'immigration n'a pas fait obstacle à la révision pré-
vue par l'article 18 des «décisions» visées dans ces
jugements. Au surplus, contrairement à l'arrêt Syndi-
cat canadien de la Fonction publique, section locale
963 c. Société des-alcools du Nouveau-Brunswick,
[1979] 2 R.C.S. 227, [à la page 236], en l'espèce, la
question ne se situe pas «[l]ogiquement ... au cœur
de la compétence spécialisée conférée à la Commis
sion». Comme la décision porte sur une simple ques
tion de procédure qui ne dépend pas nécessairement
de la sensibilité, de l'expérience acquise ni des larges
pouvoirs conférés à la Commission pour la conduite
d'instances dans un champ exceptionnel du droit, il
n'est pas nécessaire de traiter avec des marques de
déférence spéciales la décision rendue par la Com
mission sur la question. Par conséquent, la question
de savoir si le paragraphe 67(1) fera effectivement
obstacle à une révision par cette Cour ne pourra être
tranchée en définitive que lorsque l'on saura si la
Commission, en rendant sa décision, a outrepassé sa
compétence, ne l'a pas exercée ou a porté atteinte à
un principe de justice naturelle, comme le prétend la
requérante.
La Commission a-t-elle outrepassé sa compétence ou,
de quelque autre manière, rendu une décision enta-
chée d'une erreur de droit en reprenant l'audience en
l'espèce? Y a-t-il lieu de décerner des ordonnances
de certiorari, de mandamus et de prohibition?
ARGUMENTATION DE LA REQUÉRANTE
La requérante fait valoir que la Commission,
tenant son existence de la loi, n'a que les pouvoirs
que lui confère expressément la Loi sur l'immigra-
tion, en particulier aux articles 67, 69.1 et 69.2, et
qu'elle ne possède pas de compétence inhérente en
matière de revendication du statut de réfugié. Or, la
Commission ne s'est pas conformée au para-
graphe 69.1(9) qui exige qu'elle rende sa décision le
plus tôt possible après l'audience. Le 29 novembre
1989 en effet, il y avait eu «fin» de l'audience en ce
sens que tous les éléments de preuve avaient été pro-
duits, les arguments présentés et qu'il y avait eu
«conclusion» de l'audience par le président. Le refus
de la Commission de se conformer à l'obligation qui
lui incombe en vertu du paragraphe 69.1(9) constitue
donc une erreur juridictionnelle. Le processus de
détermination du statut de réfugié n'en est pas un qui
se prolonge dans le temps et le rôle de la Commission
consistant, dans ce processus, à rendre une décision,
cette dernière doit être rendue «le plus tôt possible
après l'audience».
La requérante nie que la Commission ait, de par la
loi, le pouvoir de reprendre, de son propre chef, une
audience ayant pris fin dans le but de recevoir de
nouveaux éléments de preuve. Le paragraphe 68(4),
qui permet à la Commission d'admettre d'office les
faits généralement reconnus ainsi que les renseigne-
ments ou opinions qui sont du ressort de sa spéciali-
sation, ne lui confère pas en effet une compétence
illimitée dans le temps pour surveiller les change-
ments qui se produisent dans le pays de nationalité du
requérant, particulièrement lorsque l'audience a pris
fin. Bien que la Commission puisse, aux termes de
l'alinéa 67(2)d), «prendre toutes autres mesures
nécessaires à une instruction approfondie de l'af-
faire», cette disposition ne s'applique plus une fois
que la procédure visée à l'article 69.1 a pris fin. Une
éventuelle compétence implicite de reprendre une
audience terminée doit être interprétée restrictive-
ment, en conformité avec les principes de justice
naturelle ainsi qu'avec les dispositions de la Charte
canadienne des droits et libertés. Étant donné que le
droit en ce qui a trait au statut de réfugié est fondé sur
des principes humanitaires et qu'il vise par nature à
procurer un soulagement, toute interprétation de la
compétence de la Commission doit être compatible
avec la nécessité de traiter équitablement le deman-
deur du statut de réfugié.
La requérante soutient que le droit du ministre de
demander à la Commission, en vertu de l'article 69.2,
de déterminer s'il y a eu ou non perte du statut de
réfugié au sens de la Convention au motif que des
changements se sont produits dans le pays où l'inté-
ressé dit craindre la persécution, vient étayer son
argument suivant lequel la Commission n' a pas com-
pétence pour reprendre l'audience lorsque celle-ci a
pris fin. Elle souligne que la personne qui revendique
le statut de réfugié n'a pas de droit équivalent une
fois la décision rendue et que le fait de reprendre
l'audience au lieu de présenter une demande fondée
sur le paragraphe 69.2(1) constitue une violation de
l'équité procédurale. En vertu de ce paragraphe, c'est
au ministre qu'incombe la charge d'établir l'exis-
tence de changements à ce point fondamentaux qu'ils
ont fait disparaître tout motif de craindre la persécu-
tion, alors que dans le cas de la reprise d'une
audience dans le simple but de recevoir de nouveaux
éléments de preuve, c'est toujours au requérant qu'il
appartient d'établir le bien-fondé de sa demande.
ARGUMENTATION DE L'INTIMÉ
L'intimé fait valoir que la décision de reprendre
l'audience ne donne pas lieu à révision en ce que la
Commission n'a pas outrepassé sa compétence ou, de
quelque autre manière, rendu une décision entachée
d'une erreur de droit. En vertu de la Loi sur l'immi-
gration, la Commission a pour mandat de décider si
le requérant est un réfugié au sens de la Convention.
Or, tant qu'une décision définitive n'a pas été rendue
sur cette question précise, la Commission reste saisie
de la demande et a le pouvoir discrétionnaire et
implicite de reprendre l'audience après la fin de
celle-ci. Chacun des membres de la section du statut
est investi des pouvoirs d'un commissaire nommé
aux termes de la Loi sur les enquêtes, L.R.C. (1985),
ch. I-11, article 3, et peut assigner des témoins et leur
enjoindre de déposer oralement ou par écrit et de pro-
duire les documents et autres pièces jugées néces-
saires «en vue de procéder d'une manière approfon-
die à l'enquête dont [il] [est] charg[é]». De plus,
précisément aux fins de l'audience, la Commission
est investie, aux termes du paragraphe 67(2) de la Loi
sur l'immigration, du pouvoir de prendre toutes les
mesures nécessaires à une instruction approfondie de
l'affaire, ainsi que celui d'enjoindre à toute personne
ayant connaissance des faits se rapportant à l'affaire
de comparaître comme témoin.
En outre, en vertu des paragraphes 68(4) et (5), la
Commission peut admettre d'office les faits générale-
ment reconnus et les renseignements ou opinions qui
sont du ressort de sa spécialisation, pourvu qu'elle
informe le ministre et le requérant de son intention et
leur donne la possibilité de présenter leurs observa
tions à cet égard. Par conséquent, si les renseigne-
ments que souhaite recueillir la Commission sont per-
tinents quant à la décision qu'elle a, de par la loi, le
mandat de rendre et que le requérant a eu la possibi-
lité de présenter des éléments de preuve s'y rappor-
tant, la décision de la Commission de reprendre l'au-
dience relève de sa compétence et ne contrevient pas
aux règles de justice naturelle. Afin de veiller à ce
que le requérant bénéficie d'une instruction appro-
fondie de sa demande, la Commission peut, ajoute
l'intimé, demander à l'agent d'audience de présenter
des arguments sur la question des changements sur-
venus dans le pays de nationalité du requérant, même
si ce dernier choisit de garder le silence à ce sujet.
L'avocate conclut donc que la Commission n'a pas
outrepassé sa compétence en ce qu'elle n'a pas agi de
mauvaise foi ni mal interprété la compétence que lui
confere la Loi sur l'immigration. En rendant sa déci-
sion, elle n'a pas refusé d'exercer sa compétence,
contrevenu aux règles de justice naturelle ou violé les
droits que l'article 7 de la Charte garantit à la requé-
rante. Rien dans la preuve n'indique que la Commis
sion ait exercé son pouvoir discrétionnaire de repren-
dre l'audience de façon arbitraire, illégale ou qu'elle
ait agi de mauvaise foi ou en se fondant sur des con-
sidérations non pertinentes. Or, non seulement les
conséquences d'un changement politique survenant
dans le pays dont le demandeur du statut de réfugié
possède la nationalité sont-elles des considérations
pertinentes, mais c'est précisément la question sur
laquelle la Commission doit statuer dans chaque cas
d'espèce.
ANALYSE
En l'absence de toute disposition législative per-
mettant expressément à la Commission de reprendre
une audience, je ne suis pas prêt à conclure qu'elle a
le pouvoir de le faire, particulièrement dans les cir-
constances. Si les changements survenus dans le cli-
mat politique d'un pays sont tels qu'ils compromet-
tent le statut d'un réfugié, le ministre peut, en vertu
du paragraphe 69.2(1) de la Loi sur l'immigration,
demander à la Commission de déterminer s'il y a eu
ou non perte du statut de réfugié au sens de la Con
vention. On présume que le ministre ne présentera
cette demande qu'après avoir évalué l'effet des chan-
gements politiques dans le pays en cause.
En l'espèce, la Commission a pris l'initiative de
reprendre l'audience afin de recevoir des éléments de
preuve sur les conséquences du renversement de
Noriega au Panama. A l'ouverture de l'audience, le
président s'est expliqué dans ces termes:
[TRADUCTION] Le présent tribunal siège aujourd'hui pour rece-
voir des éléments de preuve touchant la situation dans le pays
dont vous possédez la nationalité et pour entendre quel est l'ef-
fet de la nouvelle situation politique dans votre pays sur votre
crainte d'être persécutée, au cas où vous retourneriez au
Panama.
Manifestement, la requérante se voit ainsi imposer un
fardeau injuste, voire même un fardeau dont il lui
sera impossible de se décharger étant donné qu'elle
ne pourra vraisemblablement pas présenter de preuve
directe à l'appui de sa crainte d'être persécutée par le
nouveau régime. Il se peut d'ailleurs fort bien qu'elle
n'ait aucune idée des conséquences du renversement
du régime Noriega au Panama.
Les commentaires qu'a faits le juge Marceau de la
Cour d'appel dans l'arrêt Longia c. Canada (Ministre
de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 3 C.F. 288
(C.A.), viennent étayer ma conclusion suivant
laquelle la Commission a commis une erreur en
reprenant l'audience en l'espèce. Dans cette affaire,
la Cour a examiné la question de savoir si la Com
mission d'appel de l'immigration a le pouvoir de rou-
vrir, de réentendre ou de reconsidérer une demande
d'examen de la revendication du statut de réfugié
qu'elle a examinée et rejetée une première fois. Le
juge Marceau, J.C.A., a réitéré la position selon
laquelle une Commission n'a pas le pouvoir inhérent
ou illimité dans le temps de rouvrir une demande
d'examen de la revendication du statut de réfugié sur
laquelle il a déjà été statué, au seul motif d'entendre
la preuve de faits nouveaux. En réponse à l'argument
voulant que le processus de détermination du statut
de réfugié en soit un qui se prolonge dans le temps, il
a souligné, à la page 292:
Les réfugiés politiques ont désormais le droit d'être reconnus
comme tels, et le rôle de la Commission consiste à se pronon-
cer sur ce droit. Je ne suis pas d'avis que la décision de la
Commission à cet égard s'inscrit dans un processus qui se pro-
longe dans le temps. C'est au moment où la demande du réfu-
gié est étudiée que doit être évalué le bien-fondé des craintes
de persécution qu'il allègue, afin d'y donner effet conformé-
ment à la loi. Il est indéniable que la situation peut changer et
que peuvent survenir des événements politiques pouvant porter
à croire que des craintes qui n'étaient pas fondées sont deve-
nues raisonnables. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas en reprenant
l'audition de la première demande qu'on peut vérifier ces faits;
c'est seulement en autorisant et en jugeant une deuxième
demande à cet effet.
Dans la présente espèce, même si la situation poli-
tique au Panama s'était détériorée au point que la
requérante aurait pu disposer, après l'audience mais
avant que la Commission ne rende sa décision, de
nouveaux éléments de preuve à l'appui de sa revendi-
cation du statut de réfugié, elle n'aurait pu se préva-
loir d'aucun mécanisme de la Loi pour obtenir la
reprise de l'audience. De même, le ministre ne peut
demander la reprise de l'audience afin de présenter
de nouveaux éléments de preuve à l'encontre de la
revendication de la requérante. Le recours dont il dis
pose, dans le cas où la Commission en viendrait à la
conclusion que la requérante est une réfugiée au sens
de la Convention, est celui prévu au para-
graphe 69.2(1). Il semble donc manifestement injuste
de permettre à la Commission de reprendre une
audience afin d'examiner de nouveaux éléments de
preuve relatifs à un changement de régime politique
survenu après l'audience initiale.
Enfin, dans l'hypothèse où la Commission pourrait
prendre une telle décision sans y être invitée par les
parties en cause ou sans leur consentement, je me
demande si elle n'assumerait pas ainsi l'obligation
d'agir de façon identique dans toutes les situations
similaires. Comment déterminerait-elle si les change-
ments survenus justifient son intervention et, surtout,
comment concilierait-elle cette obligation avec celle
qui lui incombe, en vertu du paragraphe 68(2), de
fonctionner sans formalisme et avec célérité dans la
mesure où les circonstances et l'équité le permettent,
et avec le paragraphe 69.1(9) exigeant qu'elle rende
sa décision le plus tôt possible après l'audience?
En conséquence, pour les motifs prononcés orale-
ment à l'audience à Toronto (Ontario), le 17 décem-
bre 1991, j'ai ordonné que la décision de la Commis
sion de reprendre l'audience en l'espèce afin de
recevoir des éléments de preuve concernant les chan-
gements survenus dans la situation au Panama soit
cassée et qu'il lui soit enjoint de rendre une décision
fondée sur les éléments de preuve déjà produits le 29
novembre 1989. Avec dépens en faveur de la requé-
rante.
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