A-365-91
Luke Francœur, Cana-Vid Holdings Inc., Cana-
Vid Leasing Ltd. et First Choice Video, Inc.
(appelants)
c.
Sa Majesté la Reine (intimée)
REPEJ?TORIE.' FRANCŒUR C. CANADA (C.A.)
Cour d'appel, juges Pratte, MacGuigan et Desjardins,
J.C.A.—Vancouver, 7 janvier; Ottawa, 24 février
1992.
Pratique — Plaidoiries — Modifications — Déclaration
alléguant que des observations inexactes ont été faites par
négligence et que l'on a exercé des pouvoirs avec négligence
en vertu de la Loi sur les douanes — Le juge des requêtes
s'était opposé à ce que ladite déclaration soit modifiée pour:
1) clarifier l'argumentation, 2) préciser l'allégation de négli-
gence, 3) alléguer qu'il y avait eu violation de la Charte, 4)
alléguer qu'en effectuant une saisie on avait abusé des pou-
voirs conférés par la Loi sur les douanes et 5) alléguer qu'un
mandat de perquisition n'était pas valide, étant donné que
ladite déclaration créerait une cause d'action tout à fait nou-
velle, prescrite selon la loi de prescription de la province —
L'appel a été accueilli en partie — Les motifs du juge des
requêtes ne s'appliquent pas aux motifs 1) et 2) ci-dessus
Selon les Règles 420(1), 424 et 527, un amendement qui a pour
effet d'ajouter une nouvelle cause d'action après l'expiration
d'un délai de prescription doit être admis «s'il semble juste de
le faire» et Ksi la nouvelle cause d'action naît de faits qui sont
les mêmes ou à peu près les mêmes que ceux sur lesquels se
fonde une cause d'action qui a déjà fait l'objet, dans l'action,
d'une demande de redressement présentée par la partie qui
demande la permission de faire l'amendement» — La règle
générale veut que l'on admette un amendement nécessaire
pour trancher les questions litigieuses véritables qui opposent
les parties, à la condition que cela n'occasionne pas d'injus-
tice à l'autre partie qui ne peut être indemnisée par des dépens
— Les amendements voulant qu'il y ait eu violation de la
Charte et abus de pouvoirs ont été admis parce qu'ils soulè-
vent une nouvelle cause d'action découlant toutefois des
mêmes faits — L'amendement relatif au motif 5) a été refusé à
juste titre parce qu'il soulevait une question tout à fait nouvelle
dont il n'est pas fait mention dans la déclaration.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de /982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), appendice II, n° 44], art. 24.
Limitation Act, R.S.B.C. 1979, chap. 236.
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur
le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985),
appendice 11, n° 44], art. 52.
Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, chap. C-40.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles
420(1), 424, 427.
JURISPRUDENCE
DÉCISION INFIRMÉE:
Francœur c. Canada, T-2153-87, juge Cullen, ordon-
nance en date du 16-4-91, encore inédite.
DÉCISIONS CITÉES:
Ketteman v. Hansel Properties Ltd., [1987] 1 A.C. 189
(H.L.); Baker (G.L.) Ltd. v. Medway Building & Supplies
Ltd., [1958] 1 W.L.R. 1216 (Ch.D.); Clarapede & Co. v.
Commercial Union Association (1883), 32 W.R. 262
(C.A.); Prete v. Ontario (1990), 47 C.R.R. 307
(Ont. H.C.).
AVOCATS:
Carey Linde et Christopher Harvey pour les
appelants.
John J. Reynolds pour l'intimée.
PROCUREURS:
Law Office of Carey Linde, Vancouver, pour les
appelants.
Le sous-procureur général du Canada pour l'in-
timée.
Ce qui suit est la version française des motifs du
jugement rendus par
LE JUGE PRATTE, J.C.A.: Ceci est un appel d'une
ordonnance par laquelle la Section de première ins
tance [T-2153-87, le juge Cullen, ordonnance en date
du 16-4-91, encore inédite] a rejeté une requête des
appelants, demandeurs en première instance, en vue
d'obtenir l'autorisation d'amender leur déclaration.
L'appelant, Luke Francœur, est un homme d'af-
faires qui, avec ses deux compagnies canadiennes, les
appelantes Cana-Vid Holdings Inc. et Cana-Vid Lea
sing Ltd., avait pour entreprise de louer au public, par
l'intermédiaire d'un réseau de franchisés, des films
vidéo importés des États-Unis et loués d'une autre
appelante, First Choice Video, Inc., une société amé-
ricaine que Francœur contrôlait aussi.
Dans leur déclaration, déposée le 15 octobre 1987,
les appelants allèguent qu'ils se sont lancés dans cette
entreprise en se fondant sur les observations qu'un
fonctionnaire du ministère du Revenu national avait
faites à Francceur, en octobre et en novembre 1982, à
savoir que les droits de douane à payer sur des vidéo-
cassettes louées importées au Canada pouvaient être
calculés sur la «valeur résiduelle» des cassettes plutôt
que sur leur juste valeur marchande. Les appelants
déclarent que, sur la base de ces observations, ils ont
conclu un certain nombre d'ententes commerciales et,
entre les mois de février 1983 et d'avril 1984, ont
importé des États-Unis des films vidéo à l'égard des-
quels ils ont payé des droits de douane fondés sur
leur «valeur résiduelle» plutôt que sur leur juste
valeur marchande. Les appelants reconnaissent que
les observations qu'un fonctionnaire du ministère du
Revenu national a faites à Francœur étaient fausses
puisque, en vertu de la Loi sur les douanes [S.R.C.
1970, chap. C-401, les droits à payer sur des cassettes
louées importées devaient être calculés en prenant
pour base la juste valeur marchande de ces articles.
Ils ajoutent cependant qu'en conséquence, on a soup-
çonné Francœur et ses compagnies d'avoir enfreint la
Loi sur les douanes, qu'un mandat de perquisition a
été émis au début du mois de mai 1984 et que les
locaux qu'occupait Cana-Vid Holdings Inc. ont été
l'objet d'une perquisition, à la suite de laquelle 200
nouveaux films vidéo ont été saisis. Il est de plus
indiqué dans la déclaration que, le 31 août 1984, plus
de 8 000 films ont été saisis chez les franchisés de
l'appelante en exécution de la Loi sur les douanes,
qu'une autre saisie de 1 000 films est survenue le 5
juin 1985 et, enfin, que toutes ces saisies ont occa-
sionné aux appelants un grave préjudice financier
pour lequel ils demandent que l'intimée les indemni-
sent aux motifs suivants:
a) le préjudice en question résulte directement des
observations erronées que le fonctionnaire du
ministère du Revenu national a faites par négli-
gence à Francœur; et
b) ce préjudice, en tout état de cause, résulte direc-
tement du fait que des fonctionnaires du ministère
du Revenu national ont exercé avec négligence
leurs pouvoirs en vertu de la Loi sur les douanes,
étant donné que les saisies effectuées selon leurs
instructions étaient injustifiées et, autant qu'ils le
savaient, feraient beaucoup de tort aux appelants.
Le 28 février 1991, les appelants ont déposé une
requête visant à obtenir l'autorisation d'amender la
déclaration qu'ils avaient produite le 15 octobre
1987, et qu'ils avaient déjà amendée à une reprise, le
29 janvier 1988. Les nouveaux amendement qu'ils
souhaitaient apporter peuvent être classées en cinq
groupes:
1) Des amendements d'ordre administratif dont
l'unique but était de clarifier la déclaration; c'était
le cas des modifications proposées aux para-
graphes nos 27, 35, 43 et 49;
2) Des amendements ayant pour but de préciser
l'allégation de négligence formulée plus tôt en
termes généraux; c'était le cas des nouveaux para-
graphes nos 56 62 que les appelants souhaitaient
ajouter;
3) Des amendements alléguant qu'il y avait eu vio
lation de la Charte canadienne des droits et
libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitu-
tionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appen-
dice II, no 44]] et visant à obtenir un redressement
en vertu des articles 24 et 52 [Loi constitutionnelle
de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada,
1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice
II, no 44]]; c'était le cas des nouveaux paragraphes
n OS 54 et 55 proposés;
4) Des amendements ayant pour objet d'alléguer
que, en saisissant les produits des appelants, les
fonctionnaires du ministère du Revenu national
avaient non seulement fait preuve de négligence,
ainsi qu'il a été allégué plus tôt, mais qu'ils avaient
aussi abusé des pouvoirs que leur confère la Loi
sur les douanes; les amendements proposés aux
paragraphes n° 5 37, 41, 45, 46 et 48 s'inscrivaient
dans cette catégorie;
5) Un amendement par lequel les appelants allè-
guent que le fonctionnaire des Douanes qui a
attesté sous serment la dénonciation ayant mené à
la délivrance d'un mandat de perquisition en mai
1984 à omis de faire état d'un motif raisonnable et
probable ainsi que de divulguer de manière juste et
complète tous les faits pertinents, rendant ainsi le
mandat de perquisition invalide et la saisie illégale;
tel était l'objet du nouveau paragraphe n° 34 pro-
posé.
La requête des appelants a été rejetée pour des rai-
sons que le juge des requêtes a exprimées en ces
termes [aux pages 1 et 2 des motifs]:
Si elles sont autorisées, toutes ces «modifications» créeraient à
mon avis une action entièrement nouvelle, qui est prescrite à
l'heure actuelle en Colombie-Britannique. Cette action était
clairement fondée sur la faute, et maintenant les demandeurs
cherchent à l'élargir et à y ajouter une action en «agissements
abusifs» de la part des préposée de la défenderesse, et en viola
tion des droits qu'eux-mêmes tiennent de l'article 8 de la
Charte. Pareilles conclusions n'ont aucun rapport avec celles
de la déclaration primitive ou de la déclaration modifiée.
Je ne suis pas de cet avis.
Il est clair que les amendements d'ordre adminis-
tratif aux paragraphes nos 27, 35, 43 et 49 devraient
être admis, comme l'avocat de l'intimé l'a concédé à
l'audience. Et je traiterais de la même façon le
deuxième groupe d'amendements que j'ai mentionné
plus tôt, soit les nouveaux paragraphes nos 56 à 62
proposés. Les motifs qu'a donnés le juge des requêtes
à l'appui de sa décision ne s'appliquent pas à ces
deux catégories d'amendements.
Les autres amendements proposés sont différents.
Comme l'a dit le juge des requêtes, ces amendements
peuvent ajouter de nouvelles causes d'action après
l'expiration du délai de prescription applicable.
Cependant, contrairement à ce que le juge semble
avoir supposé, ce motif n'est pas suffisant pour les
rejeter. Selon les Règles 420(1), 424 et 427 [Règles
de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663], un amende-
ment qui a pour effet d'ajouter une nouvelle cause
d'action après l'expiration de tout délai de prescrip
tion doit quand même être admis «s'il semble juste de
le faire» et «si la nouvelle cause d'action naît de faits
qui sont les mêmes ou à peu près les mêmes que ceux
sur lesquels se fonde une cause d'action qui a déjà
fait l'objet, dans l'action, d'une demande de redresse-
ment présentée par la partie qui demande la permis
sion de faire l'amendement».
Il est impossible d'énumérer tous les facteurs dont
un juge doit tenir compte lorsqu'il détermine s'il est
juste, dans une action donnée, d'autoriser un amende-
mentt. Cependant, la règle générale est la suivante:
un amendement doit être admis [TRADUCTION] «afin
de trancher les questions litigieuses véritables qui
1 Ketteman v. Hansel Properties Ltd., [1987] A.C. 189
(H.L.), à la p. 220, lord Griffiths.
opposent les parties» 2 à la condition que cette admis
sion n'occasionne pas d'injustice à l'autre partie que
l'on ne peut indemniser par l'adjudication de
dépensa.
L'avocat de l'intimée n'a pas fait valoir que l'ad-
mission desdits amendements causerait à Sa Majesté
un préjudice quelconque, sinon, peut-être, celui de la
priver d'un moyen de défense en vertu de la Limita
tion Act [R.S.B.C. 1979, chap. 236] de la Colombie-
Britannique. L'unique point qu'il faut donc exami
ner, en ce qui concerne les trois derniers groupes
d'amendements proposés, est celui de savoir si les
nouvelles causes d'action que les appelants cherchent
à faire ajouter à la déclaration naissent «de faits qui
sont les mêmes ou à peu près les mêmes» que les
causes d'action déjà plaidées.
Les amendements de la troisième catégorie, selon
lesquels il y aurait eu violation de la Charte, soulè-
vent une nouvelle cause d'action contre laquelle l'in-
timée pourrait peut-être invoquer un moyen de
défense reposant sur la Loi de prescription 4 . Il est
toutefois évident que cette nouvelle cause d'action
découle des mêmes faits que ceux qui ont déjà été
allégués. Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait
admettre ces amendements.
Les amendements du quatrième groupe, qui font
état d'«abus» de pouvoir, ajouteraient aussi une nou-
velle cause d'action parce que les allégations de cette
nature laissent supposer que les fonctionnaires de
l'intimée ont agi illégalement dans l'intention de cau-
ser un préjudice. Cependant, comme il est déjà dit
dans la déclaration que les fonctionnaires de l'intimée
savaient pertinemment que leur mesure causerait
vraisemblablement un grave préjudice aux appelants,
ces nouvelles allégations ne semblent pas être grand-
chose de plus qu'une nouvelle façon de décrire des
faits déjà allégués. Pour ce motif, il aurait fallu faire
droit à ces amendements.
Le juge des requêtes a refusé à juste titre d'autori-
ser l'ajout d'un nouveau paragraphe no 34 où il est
allégué que le mandat de perquisition délivré au
2 Baker (G.L.) Ltd. v. Medway Building and Supplies Ltd.,
[1958] 1 W.L.R. 1216 (Ch.D.), à la p. 1231, lord juge Jenkins.
3 Clarapede & Co. v. Commercial Union Association
(1833), 32 W.R. 262 (C.A.), à la p. 263, Brett, M.R.
4 Prete v. Ontario (1990), 47 C.R.R. 307 (H.C. Ont.).
début du mois de mai 1984 avait été obtenu de façon
irrégulière. Cette allégation soulève une question tout
à fait nouvelle à laquelle il n'est même pas fait allu
sion dans la déclaration.
En conséquence, je suis d'avis de faire droit en
partie à l'appel, d'infirmer l'ordonnance de la Sec
tion de première instance et d'autoriser les appelants
à faire les amendements proposés, sauf celui qui
ajouterait un nouveau paragraphe n° 34. Je suis d'avis
aussi d'accorder aux appelants leurs frais de l'appel,
mais de leur ordonner de payer à l'intimée les frais
qu'elle a engagés pour la requête devant la Section de
première instance, ainsi que tous les frais déjà
engagés que les amendements rendront superflus.
LE JUGE MACGUIGAN, J.C.A.: Je suis d'accord.
LE JUGE DESJARDINS, J.C.A.: J'y souscris.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.