90-T-706
Ronald Allan Moar (requérant)
c.
Le Commissaire à la protection de la vie privée du
Canada et le Service canadien du service du
renseignement de sécurité (intimés)
RÉPERTORIE' NMOAR C. CANADA (COMMISSAIRE A LA
PROTECTION DE IA VIE PRIVÉE) (Ire INST.)
Section de première instance, juge Reed—Ottawa, le
14 mai 1991.
Protection des renseignements personnels — Autorisation de
sécurité accordée à un employé de compagnie aérienne après
un long délai — Demande de communication des renseigne-
ments personnels contenus dans les dossiers du SCRS — Dépôt
de plainte sous le régime de la Loi sur la protection des rensei-
gnements personnels — Conclusion par le Commissaire à la
protection de la vie privée que le refus de communication du
SCRS était justifié — Recours en révision du refus — Requête
introduite par le Commissaire à la protection de la vie privée
en radiation de son nom à titre d'intimé par ce motif que l'art.
41 de la Loi prévoit le recours contre la décision de refus, et
non pas contre la recommandation du Commissaire — La déci-
sion du Commissaire à la protection de la vie privée fait partie
intégrante du processus — L'art. 41 embrasse la décision du
Commissaire qui approuve le refus au même titre que le refus
lui-même.
Interprétation des lois — Il échet d'examiner si la version
française de l'art. 41 de la Loi sur la protection des renseigne-
ments personnels définit plus fidèlement la portée du recours
judiciaire prévu — Il n'y a pas de différence de fond entre les
deux versions.
Pratique — Parties — Requête introduite par le Commis-
saire à la protection de la vie privée en radiation de son nom à
titre d'intimé dans le recours en révision du refus de communi
cation de renseignements personnels — Selon la règle géné-
rale, le demandeur peut citer comme défendeurs ceux qu'il
considère comme étant à l'origine du préjudice subi — En l'es-
pèce, le recours est dirigé en grande partie contre la manière
dont le Commissaire a effectué son enquête — Requête rejetée.
Requête, introduite par l'intimé Commissaire à la protection
de la vie privée, en radiation de son nom à titre de partie à
l' action.
Le requérant dans l'action principale, engagé en mars 1988
par Air Canada, a commencé à travailler le 3 avril 1988 à l'aé-
roport international de Vancouver. Son engagement était
subordonné à la condition qu'il obtînt l'autorisation de sécurité
nécessaire après contrôle par le Service canadien du renseigne-
ment de sécurité. Il n'obtint cette autorisation de sécurité que
le 21 novembre 1988. Il est à présumer que le requérant a
demandé à connaître les renseignements le concernant dans les
dossiers du SCRS, et que cette demande a été rejetée. 11 s'est
plaint ensuite au Commissaire à la protection de la vie privée
qui, par lettre en date du 30 mars 1990, l'a informé que d'après
les résultats de l'enquête en la matière, le refus de communica
tion était justifié. Par suite, le requérant a exercé le recours
prévu à l'article 41 de la Loi sur la protection des renseigne-
ments personnels.
Le Commissaire à la protection de la vie privée soutient que
la version française de l'article 41, qui prévoit «un recours en
révision de la décision de refus», est plus précise et plus con-
forme aux objectifs de la Loi que la version anglaise qui pré-
voit «a review of the malter» et qu'il n'est pas partie à l'action,
le refus étant le fait du SCRS.
Jugement: la requête devrait être rejetée.
L'article 41 doit être interprété dans le contexte global de la
Loi. L'article 12 reconnaît à l'individu le droit de se faire com-
muniquer les renseignements le concernant et versés dans les
dossiers de l'administration fédérale, et l'article 16 prévoit que
l'institution qui refuse la communication doit informer l'inté-
ressé qu'il peut s'en plaindre auprès du Commissaire à la pro
tection de la vie privée. Le paragraphe 35(5) fait à ce dernier
obligation, en cas de refus qui se poursuit, d'informer le plai-
gnant de son droit de recours en révision devant la Cour. Le
recours en justice n'est déclenché qu'après que le Commissaire
à la protection de la vie privée a rendu sa décision. Le refus de
communication est un refus qui se poursuit dans le temps et
qui est confirmé par la décision du Commissaire. Le recours
prévu à l'article 41 embrasse aussi la décision du Commissaire.
En cas de différence entre les versions française et anglaise
d'un texte de loi, celle qui est plus conforme à l'ensemble de la
législation et à ses objets l'emporte. Il n'y a cependant pas en
l'espèce différence de fond. Quand bien même ce serait le cas,
le libellé plus général du texte anglais cerne de plus près l'ob-
jectif visé par la Loi prise dans son ensemble. Le législateur
n'entendait pas exclure le Commissaire à la protection de la vie
privée du champ d'application de l'article 41.
Le demandeur a le droit de citer comme défendeur toute par-
tie qui, à son avis, a été à l'origine du préjudice visé par l'ac-
tion. En l'espèce, le recours est dirigé en grande partie contre
la manière dont le Commissaire à la protection de la vie privée
a effectué son enquête. Dans ce contexte, il est parfaitement
indiqué, voire nécessaire, de citer ce dernier dans l'action.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la protection des renseignements personnels,
L.R.C. (1985), chap. P-21, art. 12(1), 13, 19(1), 21,
22(1)b),(2), 23a), 26, 35, 41, 42.
Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985), chap. O-3,
art. 9.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 324.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Ternette c. Solliciteur général du Canada, [1984] 2 C.F.
486; (1984), 10 D.L.R. (4th) 587; [1984] 5 W.W.R. 612;
32 Alta. L.R. (2d) 310; 9 Admin. L.R. 24 (lie inst.).
DÉCISION CITÉE:
R. c. Compagnie Immobilière BCN Ltée, [1979] 1 R.C.S.
865; [1979] C.T.C. 71; (1979), 79 DTC 5068; 25 N.R.
361.
DOCTRINE
Beaupré, Remi Michael. Interprétation de la législation
bilingue, Montréal: Wilson et Lafleur Ltée, 1986.
Meagher, Arthur I. et Meagher, Ronald A. Parties to an
Action, Toronto: Butterworths, 1988.
AVOCATS:
Peter F. Pauwels pour le requérant.
John E. M. Lawrence, c. r., pour l'intimé Com-
missaire à la protection de la vie privée du
Canada.
Mary A. Humphries pour l'intimé Service cana-
dien du renseignement de sécurité.
PROCUREURS:
Lauk & Associates, Vancouver, pour le requé-
rant.
Blake, Cassels & Graydon, Vancouver, pour
l'intimé Commissaire à la protection de la vie
privée du Canada.
Le sous-procureur général du Canada pour l'in-
timé Service canadien du renseignement de
sécurité.
Ce qui suit est la version française des motifs de
l'ordonnance rendus par
LE JUGE REED: Requête a été introduite par le Com-
missaire à la protection de la vie privée en radiation
de son nom à titre d'intimé dans cette action, où le
requérant au principal exerce un recours en révision
du refus de lui communiquer des renseignements per-
sonnels sous le régime du paragraphe 12(1) de la Loi
sur la protection des renseignements personnels,
L.R.C. (1985), chap. P-21:
12. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente
loi, tout citoyen canadien et tout résident permanent, au sens de
la Loi sur l'immigration, a le droit de se faire communiquer sur
demande:
a) les renseignements personnels le concernant et versés
dans un fichier de renseignements personnels;
b) les autres renseignements personnels le concernant et
relevant d'une institution fédérale, dans la mesure où il peut
fournir sur leur localisation des indications suffisamment
précises pour que l'institution fédérale puisse les retrouver
sans problèmes sérieux.
Les faits de la cause et le contexte procédural
Engagé en mars 1988 par Air Canada, le requérant
a commencé à travailler le 3 avril 1988 à l'aéroport
international de Vancouver. Cet engagement était
subordonné à la condition que le requérant obtînt
l'autorisation de sécurité nécessaire, dont une partie
au moins relevait du Service canadien du renseigne-
ment de sécurité («SCRS»).
Le requérant trouvait que l'enquête de sécurité pre-
nait beaucoup trop de temps (il obtint l'autorisation
de sécurité le 21 novembre 1988). Le dossier ne per-
met pas de savoir exactement à quel moment il a
demandé à connaître les renseignements personnels
le concernant dans les dossiers du SCRS. Son
affidavit en date du 16 juillet 1990 indique
qu'[TRADucTIoN]«il a déposé le 12 septembre 1989
une plainte en application du paragraphe 12(1) de la
Loi sur la protection des renseignements personnels».
Le paragraphe 12(1) prévoit le droit de se faire com-
muniquer les renseignements, mais ne régit pas les
plaintes auprès du Commissaire à la protection de la
vie privée. Attendu que la demande dont la Cour est
saisie est fondée sur la Règle 324 [Règles de la Cour
fédérale, C.R.C., chap. 663] relative aux requêtes par
écrit et que l'ordre chronologique des faits n'est pas
crucial pour notre propos, je n'ai pas cherché à clari-
fier cette question. Je présume qu'il y a eu un refus
de la part du SCRS d'accéder à une demande faite en
application du paragraphe 12(1) et de l'article 13, ce
qui a motivé la plainte faite le 12 septembre 1989
auprès du Commissaire à la protection de la vie pri-
vée.
Quoi qu'il en soit, le Commissaire, par lettre en
date du 30 mars 1990, a informé le requérant que son
enquête l'a conduit à conclure que le refus du SCRS
de communiquer les renseignements à ce dernier était
justifié par application des articles 19(1), 21, 22(1)b),
(2), 23a) et 26 de la Loi sur la protection des rensei-
gnements personnels. Ces dispositions autorisent le
refus dans les cas suivants: les renseignements per-
sonnels concernant l'individu ont été obtenus à titre
confidentiel d'un autre ordre de gouvernement ou de
l'un de ses organismes; la divulgation risquerait vrai-
semblablement de porter préjudice à la conduite des
affaires internationales, à la défense du Canada, ou à
ses efforts de détection ou de prévention d'activités
subversives; la divulgation risquerait vraisemblable-
ment de nuire aux activités destinées à faire respecter
les lois ou au déroulement d'enquêtes licites; les ren-
seignements ont été obtenus d'une source confiden-
tielle au cours d'une enquête licite; les renseigne-
ments ont été préparés à l'intention d'un organisme
d'enquête en vue de décider s'il y a lieu de donner
l' autorisation de sécurité; les renseignements portent
aussi sur un autre individu que celui qui fait la
demande.
Ayant reçu la lettre du Commissaire à la protection
de la vie privée, le requérant a intenté cette procédure
en application de l'article 41 de la Loi sur la protec
tion des renseignements personnels. La requête ini-
tiale ne citait que le Commissaire à la protection de la
vie privée comme intimé, avec les conclusions sui-
vantes:
[TRADUCTION] 1. L'appelant tient de la Loi sur la protection des
renseignements personnels le droit de consulter son propre
dossier, lequel droit lui a été dénié par l'intimé sans motifs
satisfaisants.
2. L'intimé a pris une décision contraire à la loi en appliquant
la disposition du paragraphe 19(1) de la Loi sur la protection
des renseignements personnels sans avoir constaté que les ren-
seignements en cause ont été obtenus à titre confidentiel d'une
administration municipale.
3. L'intimé a pris une décision contraire à la loi en appliquant
la disposition du paragraphe 19(1) de la Loi sur la protection
des renseignements personnels sans avoir constaté que les ren-
seignements en cause, obtenus d'une administration munici-
pale, n'ont pas été communiqués parce que, ayant été pleine-
ment et objectivement informée de la nature de la demande du
requérant, cette administration n'a pas consenti à leur commu
nication.
4. Étant donné que les documents visés par la demande ont un
effet sur l'engagement du requérant, il y a lieu de conclure que
les motifs invoqués par le Commissaire à la protection de la
vie privée en application de l'alinéa 22(1)b) de la Loi sur la
protection des renseignements personnels sont déraisonnables,
inapplicables et étrangers à la demande présentée par le requé-
rant en application du paragraphe 12(1) de la Loi sur la protec
tion des renseignements personnels.
5. L'intimé a commis une erreur de droit soit en appliquant la
mauvaise norme soit en n'appliquant aucune norme pour ce
qui est de sa conclusion relative à ce qui «risquerait vraisem-
blablement de porter préjudice» au sens de l'article 21 et de
l'alinéa 22(1)b).
6. L'intimé a commis une erreur de droit soit en appliquant la
mauvaise norme soit en n'appliquant aucune norme pour ce
qui est de sa conclusion sur ce qui «risquerait vraisemblable-
ment de divulguer» au sens de l'alinéa 23a).
7.- Étant donné que les documents visés à la demande concer-
nent le requérant lui-même et personne d'autre, il y a lieu de
conclure que les motifs invoqués par le Commissaire à la pro
tection de la vie privée en application de l'article 26 sont dérai-
sonnables, inapplicables et étrangers à la demande présentée
par le requérant en application du paragraphe 12(1) de la Loi
sur la protection des renseignements personnels.
8. L'intimé a commis une erreur de droit soit en appliquant la
mauvaise norme soit en n'appliquant aucune norme pour ce
qui est de sa conclusion relative à ce qui constitue des «rensei-
gnements personnels concernant un autre individu que celui
qui fait la demande» dans le cas prévu à l'article 26.
9. Le requérant a été privé de son droit à la justice naturelle ou
à l'équité par:
a. la décision de l'intimé de ne pas communiquer suffisam-
ment de renseignements qui permettraient au requérant de
lui présenter, oralement ou par écrit, des arguments en
faveur de la divulgation,
b. le fait que l'intimé ne s'est pas conformé aux impératifs
de la Loi sur la protection des renseignements personnels en
répondant en temps voulu et dans les délais prévus à la Loi,
c. le fait que l'intimé n'a pas pleinement divulgué les motifs
du refus, si ce n'était qu'il était «convaincu que ces excep
tions ont été invoquées à bon droit, conformément à la loi».
L'avocat du requérant a été informé par la suite
qu'il y avait lieu d'impliquer également le SCRS à
titre d'intimé. L'intitulé de la cause a donc été modi-
fié en conséquence.
Requête en radiation du Commissaire à la protection
de la vie privée
C'est en cet état de la cause que le Commissaire à
la protection de la vie privée introduit une requête en
radiation de son nom comme intimé dans l'action
principale. Son principal argument est, d'après ce que
j'ai pu en juger, fondé sur le texte de l'article 41 de la
Loi sur la protection des renseignements personnels:
41. L'individu qui s'est vu refuser communication de rensei-
gnements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1)
et qui a déposé ou fait déposer une plainte à ce sujet devant le
Commissaire à la protection de la vie privée peut, dans un délai
de quarante-cinq jours suivant le compte rendu du Commis-
saire prévu au paragraphe 35(2), exercer un recours en révision
de la décision de refus devant la Cour. La Cour peut, avant ou
après l'expiration du délai, le proroger ou en autoriser la proro-
gation. [Passages non soulignés dans l'original.]
Le Commissaire soutient que la version française
de l'article 41 est plus précise et plus conforme aux
objectifs de la Loi sur la protection des renseigne-
ments personnels, et qu'elle indique clairement que
c'est la décision de refuser la communication des
documents qui est susceptible de révision en applica
tion de l'article 41 et non pas les recommandations
du Commissaire à la protection de la vie privée. Ce
refus était le fait du SCRS.
Les règles de droit sont constantes en la matière.
En cas de différence entre les versions française et
anglaise d'un texte de loi, celle qui est plus conforme
à l'ensemble de la législation et à ses objets l'em-
porte: Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985),
chap. O-3, article 9; R. c. Compagnie Immobilière
BCN Ltée, [1979] 1 R.C.S. 865, aux pages 871 et
872; Beaupré R. M., Interprétation de la législation
bilingue, Montréal: Wilson et Lafleur Ltée, 1986, à la
page 189:
Il convient, pour notre propos, de rappeler certains
passages du mémoire de l'intimé à ce sujet:
[TRADUCTION] 22. La version anglaise de l'article 41 de la Loi
sur la protection des renseignements personnels prévoit ce
droit «to apply to the Court for a review of the mattes (mot
non souligné dans l'original) pour quiconque s'est vu refuser
communication de renseignements personnels et s'en est plaint
auprès du Commissaire à la protection de la vie privée.
23. La version française de l'article 41 de la Loi sur la protec
tion des renseignements personnels prévoit le droit d'«exercer
un recours en révision de la décision de refus devant la Cour»
(mots non soulignés dans l'original) pour quiconque s'est vu
refuser communication de renseignements personnels et s'en
est plaint auprès du Commissaire à la protection de la vie pri-
vée.
24. L'intimé fait respectueusement observer que la version
française de l'article 41 de la Loi sur la protection des rensei-
gnements personnels est plus précise que la version anglaise.
L'intimé fait respectueusement observer en outre que la ver
sion française de l'article 41 est plus conforme à l'objet et à
l'esprit de la Loi sur la protection des renseignements person-
nels, qui investit le responsable de toute institution fédérale de
la responsabilité, sous réserve de toutes les dispositions de
cette loi, d'autoriser ou de refuser la communication des ren-
seignements personnels demandés par des individus, et le
Commissaire à la protection de la vie privée du mandat, entre
autres, de recevoir les plaintes de la part d'individus auxquels
une institution fédérale a refusé de communiquer les rensei-
gnements personnels demandés, d'instruire l'affaire et de faire
des recommandations en la matière à l'institution concernée.
25. L'intimé conclut donc respectueusement que le mot «mat-
ter» figurant dans la version anglaise de l'article 41 de la Loi
sur la protection des renseignements personnels doit être consi-
déré comme signifiant «décision de refus», et que l'article 41
prévoit ainsi pour l'individu qui s'est vu refuser communica
tion de renseignements personnels le droit de se pourvoir en
contrôle judiciaire de ce refus. Comme le Commissaire à la
protection de la vie privée n'est pas habilité par la Loi sur la
protection des renseignements personnels à prendre cette déci-
sion, il ne peut être cité dans le cadre d'un recours exercé en
application de l'article 41.
Analyse
Je ne partage pas l'interprétation donnée par l'in-
timé de l'article 41. Il est important, comme il le fait
valoir, de placer cet article dans le contexte global de
la Loi. L'article 12, à certaines exceptions près,
reconnaît à l'individu le droit de se faire communi-
quer les renseignements personnels le concernant et
versés dans les dossiers de l'administration fédérale.
L'article 13 prévoit que quiconque veut se faire com-
muniquer ces renseignements doit en faire la
demande par écrit à l'institution fédérale dont ils relè-
vent. Si le responsable de cette institution refuse la
communication, il doit notifier à l'intéressé ce refus
et le fait que ce dernier peut s'en plaindre auprès du
Commissaire à la protection de la vie privée (article
16). Aucune disposition ne prévoit expressément le
droit pour l'individu de formuler cette plainte, par
exemple en précisant que «quiconque s'est vu refuser
... peut porter plainte auprès de ... ». Ce droit se
dégage implicitement de l'obligation de notification
prévue à l'article 16 et de l'article 29. Celui-ci fait au
Commissaire à la protection de la vie privée l'obliga-
tion de recevoir et d'instruire les plaintes émanant
d'individus qui se sont vu refuser communication des
renseignements personnels les concernant.
Une fois l'enquête effectuée, le Commissaire à la
protection de la vie privée en rend compte au plai-
gnant (article 35). Si le rapport conclut au bien-fondé
de la plainte, l'institution fédérale concernée en est
informée en premier lieu (article 35) et se voit accor-
der un délai pour communiquer les renseignements
au plaignant avant que celui-ci ne soit mis au courant
du rapport. Si le Commissaire conclut au bien-fondé
de la plainte et que le responsable de l'institution
fédérale concernée persiste à refuser la communica-
tion ou si le Commissaire conclut que le refus initial
était justifié, le plaignant peut se pourvoir devant la
Cour fédérale conformément au paragraphe 35(5) que
voici:
35....
(5) Dans les cas où l'enquête portait sur un refus de commu
nication et que, à l'issue de l'enquête, communication n'est pas
donnée au plaignant, le Commissaire à la protection de la vie
privée informe celui-ci de l'existence de son droit de recours
en révision devant la Cour.
Le paragraphe 35(5) prévoit la notification au plai-
gnant en cas de refus de communication et, comme
noté plus haut, l'article 41 prévoit le droit de recours
en révision devant la Cour fédérale pour le plaignant
frustré.
Si le Commissaire à la protection de la vie privée a
recommandé la communication et que l'institution
fédérale concernée refuse de se conformer à cette
recommandation, le Commissaire peut, dans certains
cas, saisir la Cour fédérale d'un recours en révision
du refus de communication (article 42). Il n'y a
aucune disposition expresse sur le rôle du Commis-
saire à la protection de la vie privée devant la Cour
fédérale dans le cas où c'est lui-même qui a recom-
mandé le refus de communication et où le demandeur
se pourvoit en contrôle judiciaire.
Je ne pense pas que le contexte législatif exposé ci-
dessus permette de conclure qu'en cas de recours en
révision, exercé par le requérant en application de
l'article 41, à la suite de la décision du Commissaire
à la protection de la vie privée d'approuver le refus
de communication, ce recours ne concerne pas le
Commissaire. Je tire de ce contexte la conclusion
opposée à celle qu'a tirée l'intimé. Cela tient en par-
tie à ce que le recours en justice n'est déclenché
qu'après que le Commissaire à la protection de la vie
privée a rendu sa décision, laquelle fait partie inté-
grante du processus dans son ensemble. Je ne suis pas
convaincue que la différence de formulation entre les
versions française et anglaise soit une différence de
fond, ou une différence qui justifie la conclusion que
l'intimé en l'espèce cherche à faire valoir. Le refus
de communication est un refus qui se poursuit dans le
temps. À l'issue de l'enquête du Commissaire, ce
refus devient, en partie tout au moins, déterminé par
le fait que celui-ci n'a pas recommandé la communi-
cation. Le refus est confirmé par la décision du Com-
missaire. Le recours en révision contre le refus, que
prévoit l'article 41, embrasse aussi la décision du
Commissaire qui confirme ou approuve ce refus, au
même titre que le refus lui-même.
Je ne pense pas qu'on puisse attacher grande
importance au fait que le Commissaire à la protection
de la vie privée ne fait que recommander la commu
nication, mais ne l'ordonne pas (c'est-à-dire qu'il se
prononce sur le bien-fondé de la plainte de l'inté-
ressé). La règle générale est que le demandeur (ou
requérant) a le droit de citer comme défendeur (ou
intimé) toute partie qui, à son avis, a été à l'origine
du préjudice visé par l'action (ou la requête), Meag-
her et Meagher, Parties to an Action (Toronto: But-
terworths, 1988), à la page 13. En l'espèce, le recours
est en grande partie dirigé contre la manière dont le
Commissaire à la protection de la vie privée a effec-
tué son enquête. Dans ce contexte, j'estime qu'il est
parfaitement indiqué, voire nécessaire, de citer ce
dernier dans l'action.
De même, je ne pense pas qu'on puisse attacher
une signification particulière à l'absence dans la Loi
d'une disposition expresse sur le rôle du Commis-
saire à la protection de la vie privée dans les recours
exercés en application de l'article 41. Comme noté
plus haut, il n'est pas nécessaire, pour ce qui est du
droit de l'individu de porter plainte, de prévoir en
détail toutes les éventualités pour qu'elles tombent
dans le champ d'application de la Loi. Par exemple,
si l'action était soumise à l'application des règles de
procédure de droit civil du Québec, je pense qu'on
pourrait facilement régler le problème par la mise en
cause du Commissaire et personne ne songerait à
contester pareille solution.
Finalement, même si je me trompe dans mon inter-
prétation du sens de «recours en révision de la déci-
sion de refus» et que l'expression correspondante de
la version anglaise, «a review of the rnatter», soit bien
différente de la version française et ait un sens plus
large, je pense que le texte anglais cerne de plus près
l'objectif visé par la Loi prise dans son ensemble. Je
ne pense pas que le législateur ait voulu exclure le
Commissaire à la protection de la vie privée du
champ d'application de l'article 41. Il y a lieu de rap-
peler à ce sujet cette observation incidente du juge
Strayer dans Ternette c. Solliciteur général du
Canada, [1984] 2 C.F. 486 (i f e inst.), aux pages 491
et 492, au sujet du rôle du Commissaire à la protec
tion de la vie privée dans les affaires touchant l'ar-
ticle 41:
A l'audience, le requérant, qui n'était pas représenté par un
avocat, a ajouté à sa demande générale certaines plaintes préci-
ses contre le Commissaire à la protection de la vie privée. Il a
allégué que la lettre du Commissaire indiquait que celui-ci
n'avait pas effectué d'enquête; qu'il avait omis de faire savoir
au requérant si de tels renseignements le concernant étaient
classés dans ce dossier inconsultable et qu'il avait omis de
demander à la Cour d'examiner le dossier du requérant (s'il y
en avait un dans ce fichier) comme il était autorisé à le faire en
vertu de l'article 43 de la Loi. Dans la mesure où ces dernières
plaintes devraient être considérées comme la demande d'un
redressement précis contre le Commissaire à la protection de la
vie privée, tel le mandamus, je ne crois pas qu'elles puissent
être entendues sans que le Commissaire à la protection de la
vie privée soit partie aux procédures.
Toutefois, je crois que, compte tenu de la Loi et de l'avis de
requête, la présente demande devrait être traitée comme fondée
sur l'article 41 de la Loi selon lequel «L'individu qui s'est vu
refuser communication de renseignements personnels
demandés en vertu du paragraphe 12(1) et qui a déposé ou fait
déposer une plainte à ce sujet devant le Commissaire à la pro
tection de la vie privée peut ... exercer un recours en révision
de la décision de refus devant la Cour.» Il me semble que le
caractère général des mots «révision de la décision» est suffi-
sant pour me permettre, à l'intérieur des limites qui sont autre-
ment imposées par la Loi, d'examiner la conduite du gouver-
neur en conseil, du solliciteur général, de la GRC et du
Commissaire à la protection de la vie privée en ce qui a trait au
refus de communiquer au requérant les renseignements qu'il
cherche à obtenir. [Passages non soulignés dans l'original.]
Je partage cette vue.
Décision
Par ces motifs, la requête de l'intimé sera rejetée.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.