A-686-90
Saul Vicente Ramirez (appelant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
RÉPERTORIÉ.' RAMIREZ C. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET
DE L'IMMIGRATION) (CA.)
Cour d'appel, juges Stone, MacGuigan et Linden,
J.C.A.—Toronto, 30 janvier; Ottawa, 7 février 1992.
Immigration — Statut de réfugié — Exclusion du statut de
réfugié pour crime de guerre ou crime contre l'humanité —
Norme d'exclusion: «raisons sérieuses de penser» que le
demandeur a commis un tel crime — Mesure dans laquelle les
complices aux atrocités commises devraient faire l'objet de
l'exclusion — Nécessité de la mens rea — Critère de la partici
pation personnelle et consciente aux actes, le reste devrait être
tranché en fonction des faits particuliers de l'affaire — Étant
un élément actif des forces militaires 'qui commettaient habi-
tuellement des atrocités, pleinement conscient de ces actes, le
demandeur ne peut réussir à s'en dissocier simplement en pre-
nant garde de n'être jamais celui qui infligeait la douleur ou
pressait sur la détente.
Droit international — Interprétation de l'Art. I(F) de la
Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés
(Annexe à la Loi sur l'immigration du Canada), qui prévoit
l'exclusion du statut de réfugié des demandeurs «dont on aura
des raisons sérieuses de penser» qu'ils ont commis un crime de
guerre ou un crime contre l'humanité — L'interprétation ne
doit pas tenir compte seulement de l'article du Code criminel
fondé sur la common law qui n'est qu'un seul des systèmes
juridiques du monde — Après les atrocités de la Seconde
Guerre mondiale, les signataires de la Convention ont voulu se
réserver un vaste pouvoir d'exclusion du statut de réfugié à
l'égard des auteurs de crimes de guerre — Complicité —
Nécessité de la mens rea — Critère de la participation person-
nelle et consciente aux actes de persécution, le reste devant
être tranché en fonction des faits particuliers de l'affaire.
Devant la section du statut de réfugié, l'appelant a établi
qu'il craignait avec raison d'être persécuté pour ses opinions
politiques. Elle l'a néanmoins exclu de la protection prévue
parce qu'elle a conclu qu'il y avait des raisons sérieuses de
penser que, pendant son service au sein des forces armées sal-
vadoriennes, il a commis un crime de guerre ou un crime con-
tre l'humanité au sens de la Convention des Nations Unies
relative au statut des réfugiés.
L'appelant n'a jamais été formellement accusé d'un crime et
c'est son propre témoignage que la section du statut de réfugié
a utilisé contre lui pour l'exclure. La Cour était saisie d'un
appel formé contre la décision de la section du statut de réfu-
gié.
Appel: l'appel devrait être rejeté.
Les mots «raisons sérieuses de penser» doivent être inter-
prétés comme établissant une norme de preuve moindre que la
prépondérance des probabilités. Cette solution concorde avec
l'intention des États signataires de la Convention de 1951 qui
ont voulu, après les atrocités de la Seconde Guerre mondiale,
se réserver un vaste pouvoir d'exclusion du statut de réfugié à
l'égard des auteurs de crimes de guerre. Les parties ont con-
venu que le fardeau d'établir l'existence de «raisons sérieuses
de penser» incombait au gouvernement.
En l'espèce, la question juridique la plus litigieuse porte sur
la mesure dans laquelle les complices ([TRADucnoN] «personne
qui sciemment, volontairement, et dans une intention com
mune se joint à l'auteur principal d'un crime pour la perpétra-
tion de celui-ci»—Black's Law Dictionary) doivent, tout
comme les auteurs principaux de crimes internationaux, faire
l'objet de l'exclusion car la section du statut de réfugié a con-
clu, entre autres, que l'appelant était coupable de «complicité
dans la commission de tels crimes».
La responsabilité des complices ne devait pas être tranchée
en ne tenant compte que de l'article du Code criminel traitant
des parties à l'infraction. L'article 21 du Code est issu des
règles de la common law en matière d'aide et d'encouragement
et une convention internationale ne saurait s'interpréter à la
lumière d'un seul des systèmes juridiques du monde. L'exis-
tence de la mens rea au sens d'une participation personnelle et
consciente était nécessaire.
La simple appartenance à une organisation qui commet spo-
radiquement des infractions internationales n'est pas normale-
ment suffisante pour exclure quelqu'un de l'application des
dispositions relatives au statut de réfugié. Cependant, lors-
qu'une organisation vise principalement des fins limitées et
brutales, comme celles d'une police secrète, la simple apparte-
nance à une telle organisation peut impliquer nécessairement la
participation personnelle et consciente à des actes de persécu-
tion. De la même façon, la simple présence d'une personne sur
les lieux d'une infraction ne permet pas d'établir sa participa
tion personnelle et consciente, bien que la présence jointe à
d'autres faits puisse faire conclure à une telle participation. Les
faits de l'affaire Naredo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de
l'Immigration) (dans laquelle la Section de première instance a
refusé aux membres d'une équipe qui torturait des prisonniers
les recours extraordinaires qu'ils demandaient parce qu'ils
avaient aidé à la perpétration des crimes commis ou l'avaient
encouragée) donnaient bien ouverture à la conclusion à
laquelle la Cour fédérale est arrivée mais ils ne sauraient éta-
blir une règle générale voulant que ceux qui regardent soient
toujours aussi coupables que ceux qui agissent. Il n'est pas
souhaitable, dans l'établissement d'un principe général, de
dépasser le critère de la participation personnelle et consciente
aux actes de persécution. Le reste devrait être tranché en fonc-
tion des faits particuliers de l'affaire.
Il n'est pas possible de maintenir la conclusion qu'a tirée la
section du statut de réfugié relativement à la participation de
l'appelant comme auteur principal puisqu'elle ne repose sur
aucune preuve. Comme il est impossible de discerner claire-
ment le critère juridique appliqué par la section pour statuer
que l'appelant était un complice, il nous faut conclure qu'elle a
commis une erreur de droit, annuler sa décision et lui renvoyer
l'affaire pour redétermination, à moins qu'on puisse affirmer
qu'aucun tribunal correctement instruit, utilisant la méthode
d'interprétation appropriée, n'aurait pu parvenir à une conclu
sion différente.
Compte tenu du fait que l'appelant était un élément actif des
forces militaires salvadoriennes pour lesquelles la torture et
l'exécution des captifs étaient entrées dans les mœurs et
comme il était pleinement conscient de ce qui se passait, il ne
pouvait réussir à se dissocier des actes accomplis simplement
en prenant garde de n'être jamais celui qui infligeait la douleur
ou pressait sur la détente. Sa présence pendant de très nom-
breux incidents de persécution, jointe au fait qu'il partageait
l'objectif commun des forces militaires, constitue clairement
une forme de complicité. Il n'était pas nécessaire de détermi-
ner à quel moment cette complicité a pu être établie, car cette
affaire n'était pas du tout un cas limite. Aucun tribunal correc-
tement instruit ne pourrait conclure à autre chose qu'à la parti
cipation personnelle et consciente de l'appelant aux actes de
persécution.
La contrainte invoquée comme moyen de défense ne pouvait
justifier sa complicité parce que le danger auquel il se serait
exposé en affichant sa dissidence ou en refusant de participer
était nettement moins important que le mal infligé aux vic-
times.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Code criminel, L.R.C. (1985), chap. C-46, art. 21.
Convention des Nations Unies relative au statut des réfu-
giés, 28 juillet 1951, [1969] Can. T.S. no 6, Art. 1 (F).
Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), chap. I-2, art. 2(1),
19 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), chap. 30,
art. 3), 27(1)g),h), 46.01(1)d)(i) (édicté par L.R.C.
(1985) (4e suppl.), chap. 28, art. 14), 82.3 (édicté, idem,
art. 19).
Statut du tribunal militaire international de Londres,
annexé à l'Accord concernant la poursuite et le châti-
ment des grands criminels de guerre des puissances
européennes de l'Axe (Statut du Tribunal militaire
international de Londres), le 8 août 1945, 82 R.T.N.U.
279, art. 6.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Grewal c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration du
Canada, A-972-82, juge Pratte, J.C.A., jugement en date
du 23-2-83, C.A.F., non publié; Schaaf c. Ministre de
l'Emploi et de l'Immigration, [1984] 2 C.F. 334; [1984] 3
W.W.R. 1; (1984), 52 N.R. 54 (C.A.); Laipenieks v.
I.N.S., 750 F. 2d 1427 (9th Cir. 1985).
DÉCISION NON SUIVIE:
Naredo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion) (1990), 11 Imm. L.R. (2d) 92 (C.F. Ire inst.).
DÉCISIONS CITÉES:
Fedorenko v. United States, 449 U.S. 490 (S.C. 1981);
Fernando Alfonso Naredo (Arduengo) & Neives del Car-
men San Martin Salazar Arduengo c. Ministre de l'Emploi
et de l'Immigration (1980), CLIC 27.13 (C.A.I.).
DOCTRINE
Black's Law Dictionary, 5th ed., St Paul, Minn.: West
Publishing Co., 1979, «accomplice».
Goodwin-Gill, Guy S. The Refugee in International Law,
Oxford: Clarendon Press, 1983.
Grahl-Madsen, A. The Status of Refugees in International
Law, vol. 1, Leyden: A. W. Sijthoff, 1966.
Hathaway, James C. The Law of Refugee Status, Toronto:
Butterworths, 1991.
Jowitt 's Dictionary of English Law, 2nd ed., John Burke,
London: Sweet & Maxwell Ltd., 1977, «accomplice».
Linden, Allen M. La responsabilité civile délictuelle, 4e
éd., Éditions Yvon Biais, 1988.
Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés,
Guide des procédures et critères à appliquer pour
déterminer le statut de réfugié au regard de la Conven
tion de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut
des réfugiés, Genève, septembre 1979.
Williams, Glanville. Criminal Law: The General Part,
2nd ed., London: Stevens & Sons Ltd., 1961.
AVOCATS:
Michael F. Loebach pour l'appelant.
Donald A. Macintosh pour l'intimé.
PROCUREURS:
Brown, Beattie, O'Donovan, London (Ontario),
pour l'appelant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'in-
timé.
Ce qui suit est la version française des motifs du
jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN, J.C.A.: La Cour est saisie
d'un appel interjeté en vertu de l'article 82.3 [édicté
par L.R.C. (1985) (4e suppl.), chap. 28, art. 19] de la
Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), chap. I-2 (la
«Loi») à l'encontre d'une décision de la section du
statut de réfugié de la Commission de l'immigration
et du statut de réfugié. Ladite section avait déterminé,
le 14 mars 1990, que l'appelant n'était pas un réfugié
au sens de la Convention.
La décision revêt un aspect inhabituel en ce que la
section du statut de réfugié a jugé que le demandeur
avait prouvé qu'il craignait avec raison d'être persé-
cuté pour ses opinions politiques, mais elle l'a quand
même exclu de la protection prévue en invoquant la
section F de l'Article premier de la Convention des
Nations Unies relative au statut des réfugiés (la
«Convention»). La définition de réfugié au sens de la
Convention contenue au paragraphe 2(1) [mod.,
idem, art. 1] de la Loi renferme la disposition sui-
vante:
2. (1)...
«réfugié au sens de la Convention» ...
Sont exclues de la présente définition les personnes sous-
traites à l'application de la Convention par les sections E ou
F de l'article premier de celle-ci dont le texte est reproduit à
l'annexe de la présente loi.
L'extrait pertinent de la section F de l'Article premier
de la Convention reproduite dans l'annexe prévoit ce
qui suit:
F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas appli-
cables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de
penser:
a) Qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de
guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instru
ments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions
relatives à ces crimes;
En l'espèce, le crime dont il est question est un crime
de guerre ou un crime contre l'humanité. Il ne s'agit
certainement pas d'un crime contre la paix et, norma-
lement, il entrerait dans la catégorie des crimes contre
l'humanités. Toutefois, comme les faits qui nous
occupent ont rapport à des crimes commis au cours
de ce qui est soit une guerre soit une insurrection
civile et qu'il n'est pas nécessaire de déterminer
quelle est la catégorie la plus pertinente, j'ai résolu
d'employer l'expression «crimes internationaux»
pour désigner indifféremment les deux catégories de
crimes.
Le professeur James C. Hathaway, dans son ouvrage The
Law of Refugee Status paru en 1991, inclut dans cette catégorie
le génocide, l'esclavage, la torture et l'apartheid (à la p. 217).
Guy S. Goodwin-Gill écrit, dans The Refugee in International
Law, 1983, aux p. 59 et 60: [TRADUCTION] «La notion de crime
contre l'humanité a directement inspiré la Convention sur le
génocide de 1948, dont l'article II définit le "crime selon le
droit international"».
En appliquant la disposition susmentionnée aux
actions de l'appelant, la section du statut de réfugié
est parvenue à la conclusion suivante (dossier d'ap-
pel, vol. II, à la page 402):
Le demandeur n'est pas un grand criminel de guerre. Nous
ne connaissons pas les dates, les lieux et les détails des actes
qu'il a posés. Nous n'avons pas de témoins. Nous disposons
cependant de son propre témoignage et nous croyons qu'il
satisfait au critère des «raisons sérieuses de penser» énoncé à
la section F.
Par conséquent, la Section du statut de réfugié conclut que,
même si le demandeur a prouvé qu'il avait une crainte justifiée
de la persécution fondée sur son opinion politique, ses activités
pendant son service au sein des forces armées salvadoriennes
entrent clairement dans les limites de la clause d'exclusion de
l'alinéa Fa) de l'article premier de la Convention.
I
Peu d'auteurs ou de tribunaux se sont penchés sur
l'interprétation à donner à la Convention. La clause
introductive de celle-ci renferme l'expression
ambiguë «raisons sérieuses de penser» mentionnée
par la section du statut de réfugié. A. Grahl-Madsen a
écrit ce qui suit, sur ce sujet, dans son ouvrage The
Status of Refugees in International Law (1966), aux
pages 289 et 290:
[TRADUCTION] Les mots «raisons sérieuses de penser» établis-
sent sans équivoque que l'application de l'alinéa I F b) n'est
pas conditionnelle à la condamnation ou à l'inculpation for-
melle de la personne visée à l'égard d'un crime donné. L'aveu
de cette dernière, le témoignage d'autres personnes ou d'autres
renseignements dignes de foi peuvent suffire. Par ailleurs, le
libellé de cette disposition indique qu'une personne peut être
admise à réfuter les accusations portées contre elle, même si
elle a été condamnée par un jugement définitif. Si elle est en
mesure d'établir son innocence, il est clair que rien ne s'op-
pose à ce qu'elle obtienne le statut de réfugié.
En l'occurrence, l'appelant n'a jamais été formelle-
ment accusé d'un crime, et c'est son propre témoi-
gnage que la section du statut de réfugié a utilisé pour
l'exclure, une démarche permise par la Convention.
Je crois aussi, comme l'intimé l'a soutenu, que les
mots «raisons sérieuses de penser» ont pour effet
d'établir une norme de preuve moindre que la pré-
pondérance des probabilités. L'intimé a effective-
ment soutenu que cette expression avait le même sens
que les mots «dont on peut penser, pour des motifs
raisonnables» qui sont constamment utilisés à l'ar-
ticle 19 de la Loi à propos des catégories de per-
sonnes non admissibles. La catégorie la plus perti-
nente est celle qui est décrite à, l'alinéa 19(1)j) [édicté
par L.R.C. (1985) (3 e suppl.), chap. 30, art. 3], lequel
s'applique de façon générale à tous les demandeurs
en matière d'immigration:
19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégo-
rie non admissible:
j) celles dont on peut penser, pour des motifs raisonnables,
qu'elles ont commis, à l'étranger, un fait constituant un
crime de guerre ou un crime contre l'humanité ...
D'autres dispositions de la Loi aboutissent au même
résultat: les alinéas 27(1)g) et h), pour ce qui est des
personnes qui sont déjà résidents permanents, et le
sous-alinéa 46.01(1)d)(i) [édicté par L.R.C. (1985)
(4e suppl.), chap. 28, art. 14), pour celles qui revendi-
quent le statut de réfugié au sens de la Convention.
Ces dispositions font simplement mention des per-
sonnes visées à l'alinéa 19(1)j): et incorporent, de ce
fait, la notion de «motifs raisonnables».
Il ne me semble pas y avoir de différences impor-
tantes entre les mots «raisons sérieuses de penser» et
«dont on peut penser, pour des motifsraisonnables»
et, du reste, je ne crois pas qu'il faille établir un
parallèle exact entre les deux expressions. J'estime
toutefois qu'elles exigent toutes deux une norme
moindre que la prépondérance de preuve. Les mots
«raisons sérieuses de penser» sont ceux qu'emploie la
Convention; leur sens est évident. Cependant, on
voit, lorsqu'on les compare avec l'alinéa 19(1)j), que
le Parlement était prêt à envisager, pour ce type de
cas, une norme moins exigeante que la norme civile
habituelle. Cette comparaison nous amène en outre à
penser qu'il serait extrêmement embarrassant d'exi-
ger d'un côté une norme civile ordinaire et de l'autre,
pour ce qui constitue essentiellement la même chose,
une norme inférieure.
Par conséquent, en dépit des nombreuses décisions
internationales citées par l'appelant, - qui insistaient
sur la nécessité de donner une interprétation restric
tive à la disposition d'exclusion 2 , il appert qu'à la
2 Le Guide des procédures et critères à appliquer pour
déterminer le statut de réfugié, Haut Commissariat des Nations
Unies pour les réfugiés (1979), énonce au para. 149: «Cepen-
dant, compte tenu de leurs conséquences graves pour les inté-
ressés, les clauses d'exclusion doivent être interprétées restric-
(Suite à la page suivante)
suite des atrocités commises pendant la Seconde
Guerre mondiale, les États signataires de la Conven
tion de 1951 ont voulu se réserver un vaste pouvoir
d'exclusion du statut de réfugié à l'égard des auteurs
de crimes internationaux.
Le Guide du Haut Commissariat des Nations Unies
pour les réfugiés (supra) énonce à la page 38:
147. Les instruments internationaux antérieurs à la Seconde
Guerre mondiale qui définissaient différentes catégories de
réfugiés ne contiennent aucune disposition excluant les crimi-
nels de leur champ d'application. C'est immédiatement après
la guerre que, pour la première fois, des dispositions spéciales
ont été élaborées en vue d'exclure du bénéfice de l'assistance
alors accordée aux nombreux réfugiés certaines personnes qui
étaient jugées indignes de la protection internationale.
148. Au moment où la Convention a été élaborée, le souvenir
des procès des grands criminels de guerre était encore très pré-
sent et les États se sont accordés à reconnaître que les crimi-
nels de guerre ne devaient pas être protégés. En outre, les États
voulaient être à même de refuser l'accès à leur territoire à des
criminels qui seraient un danger pour la sécurité et l'ordre
public.
149. C'est à l'État contractant sur le territoire duquel l'inté-
ressé demande la reconnaissance de son statut de réfugié qu'il
appartient de décider si celui-ci tombe sous le coup de l'une ou
l'autre de ces clauses d'exclusion.
Hathaway, dans son ouvrage précité, fournit des
détails plus précis concernant l'intention des rédac-
teurs de la Convention (aux pages 215 et 216):
[TRADUCTION] L'unanimité des rédacteurs de la Convention
sur le fait que les criminels de guerre ne devaient pas avoir le
droit de revendiquer le statut de réfugié ne les empêchait pas
de différer d'avis sur deux points. D'abord, les États-Unis sou-
tenaient que les pays devaient avoir la possibilité, mais non
l'obligation, de traiter les criminels de guerre comme des réfu-
giés. La plupart des représentants, toutefois, exprimaient la
ferme opinion qu'une telle discrétion pourrait porter atteinte à
l'intégrité du statut de réfugié.
Le compromis qui prit forme consistait en l'exclusion obli-
gatoire d'une catégorie non définie de personnes ayant commis
un «crime contre la paix ... ». La majorité des délégués, qui
souhaitaient une position ferme contre l'octroi du droit d'asile
aux criminels de guerre, furent satisfaits; les États-Unis se
réjouirent de ce que la définition était suffisamment vague
pour permettre l'exercice d'une discrétion interne ... [Les ren-
vois ont été omis.]
(Suite de la page précédente)
tivement». Goodwin-Gill écrit, à la p. 62 de son ouvrage
précité: [TRADUCTION] «Une personne qui craint avec raison
d'être l'objet de très graves actes de persécution pouvant, par
exemple, menacer sa vie ou sa liberté, ne devrait être exclue
que pour les raisons les plus sérieuses».
Je ne considère pas, toutefois, qu'un fardeau de
preuve inférieur à la norme prévue en droit civil équi-
vaille à l'exercice d'une «discrétion interne», car
j'estime que ce fardeau est conforme à la norme
internationale et qu'il attribue approximativement la
même importance aux mots «sérieuses» et «penser»
employés dans l'énoncé de ce critère.
La question de savoir qui assume le fardeau de la
preuve n'est pas en litige. Les deux parties s'enten-
dent sur le fait que c'est à la partie qui invoque l'exis-
tence de raisons sérieuses de penser que des infrac
tions internationales ont été commises qu'il incombe
de les prouver, c'est-à-dire l'intimé. En plus d'éviter
aux demandeurs d'avoir à prouver un élément néga-
tif, cette attribution du fardeau est également con-
forme à l'alinéa 19(1)j) de la Loi, qui impose au gou-
vernement la charge de démontrer qu'il a des motifs
raisonnables d'exclure les demandeurs. Pour toutes
ces raisons, la procédure appliquée au Canada exige
que le gouvernement assume la charge de la preuve et
que la norme de preuve soit moindre que la prépon-
dérance des probabilités.
En l'espèce, la question juridique la plus litigieuse
porte sur la mesure dans laquelle les complices 3 doi-
vent, tout comme les auteurs principaux de crimes
internationaux, faire l'objet de l'exclusion. En effet,
la section du statut de réfugié a conclu, entre autres,
3 Dans la version anglaise de mes motifs, j'utilise le mot
«accomplice» dans son sens américain de [TRADUCTION] «per-
sonne qui sciemment, volontairement, et dans une intention
commune se joint à l'auteur principal d'un crime pour la per-
pétration de celui-ci» (Black's Law Dictionary, 5e éd., 1979)
plus que dans son sens anglais, où il semble désigner l'auteur
principal aussi bien que les complices (Jowitt's Dictionary of
English Law, 2e éd., 1977). Glanville Williams écrit ce qui suit
aux p. 346 353 de Criminal Law: The General Part, 2e éd.,
1961:
[TRADUCTION] Il existe quatre modalités de participation à
l'égard d'une felony: le principal au premier degré, le principal
au second degré, le complice avant le fait et le complice après
le fait.
Tous les participants, quel que soit leur degré de participa
tion (y compris, donc, le principal au premier degré) sont qua-
lifiés de complices ...
Un principal au second degré ... peut être défini comme la
personne (autre que le principal au premier degré) qui «aide et
encourage (aids and abets)» au cours de la commission du
crime ... [L]e terme abettor constitue donc [en anglais] un
synonyme commode de principal au second degré.
que l'appelant était coupable de «complicité dans la
commission de tels crimes» (dossier d'appel, à la
page 401), et c'est cette conclusion qui, nous le ver-
rons, doit fonder l'argumentation de l'intimé.
La Convention fait mention des «instruments inter-
nationaux élaborés pour prévoir des dispositions rela
tives à ces crimes». L'Accord de Londres/Tribunal
militaire international est l'un de ces instruments.
L'article 6 de ce document prévoit, entre autres, ce
qui suit [reproduit par Grahl-Madsen, à la page 274]:
Les dirigeants, organisateurs, provocateurs ou complices qui
ont pris part à l'élaboration ou à l'exécution d'un plan concerté
ou d'un complot pour commettre l'un quelconque des crimes
ci-dessus définis sont responsables de tous les actes accomplis
par toutes personnes en exécution de ce plan.
Je crois que cet élément indique de façon concluante
que les complices sont visés au même titre que les
auteurs principaux. Mais il reste à déterminer le
degré de participation requis pour être un complice.
Les deux parties ont convenu, pendant leur argu
mentation, que la Cour ne peut analyser la responsa-
bilité des complices aux termes de la Convention en
ne tenant compte que du seul article 21 du Code cri-
minel [L.R.C. (1985), chap. C-46] canadien, traitant
des parties à une infraction. En effet, cet article est
issu des règles traditionnelles de la common law en
matière d'aide et d'encouragement 4 . Or, une conven
tion internationale ne saurait s'interpréter à la lumière
d'un seul des systèmes juridiques du monde.
Hathaway (supra) fait état de l'exigence de l'exis-
tence de la mens rea, ce qui implique une connais-
sance. Il écrit (à la page 220):
[TRADUCTION] La dernière question qui se pose est celle du
degré de participation requis pour entraîner la responsabilité
criminelle. Il se peut que la simple présence sur les lieux d'un
crime ne soit pas sanctionnable (Fedorenko v. United States,
449 U.S. 490 (U.S.S.C., 1981)), mais il faut appliquer l'exclu-
sion «lorsque la preuve établit que la personne visée a person-
nellement ordonné l'acte de persécution, a incité à le commet-
tre, a aidé à la perpétration ou y a autrement participé» ...
(Laipenieks v. /.N.S., 750 F. 2d 1427, à la p. 1431 (U.S.C.A.,
9th Cir. 1985)).
4 11 faut reconnaître que l'intimé paraît être arrivé à cette
conclusion à cause, principalement, de la différence des far-
deaux de preuve prévus par le Code criminel et par la Conven
tion.
Les deux décisions américaines citées par Hathaway
en matière d'expulsion peuvent nous aider dans
l'évaluation du degré approprié de participation,
même si elles interprètent des lois internes connexes.
Ainsi, dans l'affaire Laipenieks, la Court of Appeals
du neuvième circuit a analysé le droit américain
applicable de la façon suivante (à la page 1431):
[TRADucTioN] On a affirmé, dans Fedorenko, que l'analyse à
laquelle il convenait de se livrer en application de la loi consis-
tait à déterminer si les actes accomplis par la personne en
cause équivalaient à aider à persécuter des civils:
Une personne qui n'a rien fait de plus que de couper les che-
veux des prisonnières avant leur exécution ne peut être
reconnue coupable d'avoir aidé à persécuter des civils. Par
ailleurs, il ne fait aucun doute qu'un gardien à qui on avait
donné un uniforme, une carabine et un pistolet, qui touchait
une solde, obtenait régulièrement l'autorisation de quitter le
camp de concentration pour se rendre au village voisin et qui
a avoué avoir tiré sur des prisonniers en fuite, sur les ordres
du commandant du camp, correspond à la définition que
donne la loi des personnes qui aident à la persécution des
civils. Il peut arriver, dans d'autres cas, que la distinction
soit plus difficile à faire, mais la Cour n'a à statuer que sur
la présente espèce.
Dans l'affaire Osidach, 513 F.Supp., à la p. 70, la Cour a
considéré que le texte précité exigeait, pour établir la «partici-
pation» ou «l'aide», que l'acte participatif fasse intervenir
«une forme d'activité personnelle de persécution»
Cette interprétation s'impose, d'abord, à cause du libellé
même de l'alinéa 1251a)(19), qui affirme clairement que l'ex-
pulsion est applicable lorsqu'il est établi que l'«étranger» a
ordonné un acte de persécution, a incité à le commettre, a aidé
à sa perpétration ou y a autrement participé. Le simple acquies-
cement ou la simple appartenance à un organisme ne suffit pas
à rendre quelqu'un passible d'expulsion en vertu de l'alinéa
1251a)(19).
Deuxièmement, l'objet de la loi démontre qu'il faut prouver
une participation personnelle active aux actes de persécution
pour qu'il y ait ouverture à l'expulsion.
Je n'ignore pas le danger qu'il y a à interpréter une
convention internationale à l'aide de l'interprétation
que les tribunaux américains ont fait de leur droit
interne et je ne propose pas de procéder ainsi. La
jurisprudence américaine peut, néanmoins, fournir un
point de départ utile à l'analyse de la signification du
mot «commis» employé dans la Convention. En par-
tant de la prémisse qu'une interprétation faisant inter-
venir la mens rea est nécessaire, j'estime que le cri-
tère de la «forme d'activité personnelle de
persécution», pris comme comportant un élément
moral ou une connaissance, constitue une indication
utile de la mens rea dans ce contexte. À l'évidence,
personne ne peut avoir «commis» des crimes interna-
tionaux sans qu'il n'y ait eu un certain degré de parti
cipation personnelle et consciente.
Quel est, alors, le degré de complicité requis? La
première conclusion à laquelle je parviens est, que la
simple appartenance à une organisation qui commet
sporadiquement des infractions internationales ne
suffit pas, en temps normal, pour exclure quelqu'un
de l'application des dispositions relatives au statut de
réfugié. De fait, cette conclusion concorde avec l'in-
tention des États signataires, ainsi qu'il appert du Tri
bunal militaire international de l'après-guerre, men-
tionné plus haut. Grahl-Madsen affirme (supra, à la
page 277):
[TRADUCTION] Il importe de signaler que le Tribunal militaire
international a exclu de la responsabilité collective «les per-
sonnes qui ignoraient les fins criminelles des actes commis par
l'organisation et les personnes qui ont été conscrites par l'État,
à moins qu'elles n'aient personnellement pris part, en qualité
de membres de l'organisation, à la perpétration des actes
déclarés criminels par l'article 6 de la Charte. La simple appar-
tenance n'est pas suffisante pour être visée par ces déclarations
[Tribunal militaire international, i. 256].
Toutefois, lorsqu'une organisation vise principale-
ment des fins limitées et brutales, comme celles
d'une police secrète, il paraît évident que la simple
appartenance à une telle organisation puisse impli-
quer nécessairement la participation personnelle et
consciente à des actes de persécution.
De la même façon, la simple présence d'une per-
sonne sur les lieux d'une infraction ne permet pas
d'établir sa participation personnelle et consciente
(pas plus qu'elle n'entraînerait sa responsabilité
pénale aux termes de l'article 21 du Code criminel du
Canada), bien que, encore une fois, la présence jointe
à d'autres faits puisse faire conclure à une telle parti
cipation. Selon moi, le simple fait de regarder,
comme c'est le cas, par exemple, lors d'exécutions
publiques, sans entretenir de rapports intrinsèques
avec le groupe se livrant aux actes de persécution, ne
peut jamais, quelque humainement répugnant qu'il
nous paraisse, constituer une forme de participation
personnelle. Cependant, un associé des auteurs prin-
cipaux ne pourrait jamais, à mon avis, être qualifié de
simple spectateur. Les membres d'un groupe peuvent
à bon droit être considérés comme des participants
personnels et conscients, suivant les faits.
Je crois que, dans de tels cas, la complicité dépend
essentiellement de l'existence d'une intention com
mune et de la connaissance que toutes les parties en
cause en ont. Ce principe est conforme au droit
interne (p. ex. le paragraphe 21(2) du Code criminel)
et, selon moi, il constitue la meilleure interprétation
possible du droit international.
La décision canadienne portant sur ce point,
Naredo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Im-
migration) (1990), 11 Imm. L.R. (2d) 92 (C.F. ire
inst.) 5 , n'a pas traité de la Convention comme telle.
Dans cette affaire, le juge Muldoon a refusé les brefs
de certiorari, de prohibition et de mandamus
demandés par un couple qui avait fait partie du ser
vice de renseignements de la police chilienne et qui
avait fait l'objet d'une ordonnance d'expulsion. La
preuve avait établi que les requérants étaient
membres d'une équipe de quatre personnes qui tortu-
rait des prisonniers, souvent jusqu'à la mort, mais
qu'ils n'avaient eux-mêmes brutalisé aucun des pri-
sonniers; ils ne faisaient qu'agir comme gardiens ou
comme témoins des déclarations arrachées des pri-
sonniers. La Cour a refusé les recours extraordinaires
demandés parce qu'il ressortait des faits que les
requérants avaient aidé à la perpétration des crimes
commis ou l'avait encouragée.
À mon avis, les faits donnaient bien ouverture à
une telle conclusion, mais celle-ci repose en grande
partie sur la définition que l'article 21 du Code crimi-
nel du Canada donne des parties à l'infraction. Une
telle démarche ne suffit pas en l'espèce, car il faut
interpréter un document international de nature
essentiellement non pénale.
J'estime en outre que, dans l'affaire Naredo, la
Cour a trop généralisé lorsqu'elle a dit (à la
page 112):
Le seul fait d'assister à la torture est aussi coupable que le
fait de l'infliger. Tous les êtres humains en détresse ont natu-
5 Hathaway cite la décision de la Commission d'appel de
l'immigration (C.A.I.) dans cette affaire (80-9159,
CLIC 27.13, 20 novembre 1980, D. Davey) tout de suite après
les décisions américaines Fedorenko et Laipenieks. Sur cette
question, la C.A.I. a en fait rendu des décisions en faveur de
l'une ou l'autre position.
rellement tendance à solliciter l'aide d'autrui. Ce principe a été
reconnu en jurisprudence. En 1921, dans l'arrêt américain
Wagner v. International Railroad, 133 N.E. 147, 19 A.L.R. 1
(N.Y.), le regretté juge Cardozo, bien que dans un contexte dif-
férent, a exprimé ce qui pourrait être un principe humain uni-
versel:
[TRADUCTION] Le danger est une invitation au sauvetage. Un
cri de détresse représente un appel à la délivrance. Le droit
tient compte de ces réactions de l'esprit lorsqu'il établit les
conséquences d'une conduite ... La possibilité de sauve-
tage, pourvu qu'il ne soit pas injustifié, naît de l'occasion.
Ainsi, le seul fait de regarder un autre être humain se faire tor
turer est tellement pervers et répréhensible, que l'attitude ou
l'expression du spectateur en soit une de joie ou simplement
d'indifférence, que les spectateurs qui ne font rien pour venir
en aide à la victime, sont tout aussi immoralement criminels
que ceux qui manipulent les électrodes, les pinces, les mégots
de cigarette ou les instruments de suffocation. Celui qui se fait
infliger, délibérément par autrui, une douleur atroce en la pré-
sence d'autres êtres humains qui ne lui viendront pas en aide,
subit une double torture, car il ressent un sentiment de déses-
poir absolu. Le «simple» spectateur est un tortionnaire aussi
coupable que celui qui inflige la souffrance physique 6 .
Dans cette affaire, quatre membres d'un service de
police qui avaient librement choisi leur occupation
étaient seuls dans une pièce avec une victime dans le
but exclusif de torturer collectivement celle-ci. Il ne
fait pas de doute, dans ces circonstances, que les gar-
diens, les témoins et les observateurs sont tous égale-
ment coupables d'avoir personnellement et sciem-
ment participé aux actes de persécution. J'estime,
cependant, qu'une telle conclusion ne peut être tirée
que dans un contexte factuel particulier et qu'elle ne
peut donner lieu à l'énoncé d'une règle générale vou-
lant que ceux qui regardent soient toujours aussi cou-
pables que ceux qui agissent. En fait, je crois que
ceux qui regardent n'engagent leur responsabilité que
s'il est possible de conclure qu'ils étaient des partici
pants conscients.
Il faut prendre particulièrement soin de ne pas con-
damner automatiquement quiconque est mêlé à un
conflit en situation de guerre. Dans la plupart des
guerres de l'histoire de l'humanité, la plupart des
combattants ont probablement vu leur propre armée
se livrer à des actes qu'ils auraient normalement
trouvés répréhensibles mais qu'ils se sont sentis abso-
6 Il faut mentionner, par contre, le fait que notre droit ne
reconnaît généralement pas d'obligation de porter secours, sauf
en des circonstances particulières (A. M. Linden, La responsa-
bilité civile délictuelle, 4e éd., Éditions Yvon Blais, 1988, aux
p. 316 et ss.).
lument incapables d'arrêter, du moins sans courir de
risques graves. Bien que la loi puisse obliger ceux qui
reçoivent l'ordre de commettre des crimes internatio-
naux à faire un choix, elle ne requiert pas des gens se
trouvant sur les lieux d'un tel crime qu'ils se portent
immédiatement au secours des victimes à leurs
propres risques. La loi n'a pas habituellement pour
effet d'ériger l'héroïsme en norme.
À mon avis, il n'est pas souhaitable, dans l'établis-
sement d'un principe général, de dépasser le critère
de la participation personnelle et consciente aux actes
de persécution. Le reste devrait être tranché en fonc-
tion des faits particuliers de l'affaire.
II
En l'espèce, la section du statut de réfugié a trouvé le
témoignage de l'appelant généralement crédible, à
une importante exception près (dossier d'appel, vol.
II, à la page 398):
Sauf pour ce qui est des affirmations concernant la participa
tion du demandeur à la torture et à l'exécution de civils, les
commissaires considèrent que le témoignage de celui-ci est
digne de foi.
La section a par la suite expliqué les motifs de la
réserve qu'elle avait exprimée à l'égard de la crédibi-
lité de l'appelant quant à la question de la torture et
de l'exécution de civils (dossier d'appel, vol. II, à la
page 400):
De son propre aveu, le demandeur a participé à ce que les
commissaires qualifieraient d'atrocités contre la population
civile. Les documents déposés en preuve dans cette affaire
montrent bien l'existence de telles atrocités commises par les
militaires contre des non-combattants. Nous avons déjà sou-
ligné, dans les présents motifs, l'évolution du témoignage du
demandeur. La première affirmation, tout en manquant de
détails, semble frapper droit au coeur du sujet. Les commis-
saires ne croient pas qu'il s'agisse de simple machisme.
La section mentionne l'aveu de l'appelant en
employant les termes «la première affirmation». Il ne
peut s'agir d'autre chose que de la déclaration qu'elle
avait reproduite plus haut dans ses motifs (dossier
d'appel, vol. II, à la page 397):
Tout au long de son témoignage, le demandeur a décrit sa
participation personnelle aux combats. Dans le premier cas, il a
affirmé ce qui suit:
Q.: Racontez-nous maintenant votre service.
R.: Après mon engagement, j'ai commencé ma formation de
soldat. Au début, j'aimais ça. Cela m'attirait. Cela m'a
en quelque sorte permis de devenir un homme et je
savais que l'armée avait besoin de jeunes hommes,
comme moi, mais tous les jeunes gens... sans quoi il
manquerait de soldats et personne ne pourrait défendre la
terre de nos ancêtres.
Ensuite, j'ai commencé à faire de plus en plus d'entraîne-
ment et à progresser dans l'armée. C'est ainsi que j'ai fait mon
service pendant près de deux ans. Je me battais, j'ai fait beau-
coup de choses que les gens considèrent peut-être comme mau-
vaises. J'ai été appelé à tuer et le temps a passé, mais ces cho-
ses ont continué aussi.
Q.: Parlez-vous de combats ordinaires?
R.: Oui, je parle de combats ordinaires. Je parle aussi de
prendre des personnes désarmées, de les torturer et de
les tuer.
À une autre occasion, le demandeur a décrit ... [C'est moi
qui souligne.]
La phrase clé de ce passage, les mots qui ont
amené la section du statut de réfugié à refuser de
croire l'appelant quand il a subséquemment nié avoir
joué un rôle de premier plan dans les séances de tor
tures étaient manifestement «j'ai fait beaucoup de
choses que les gens considèrent peut-être comme
mauvaises». [C'est moi qui souligne].
Comme nous avons pu obtenir une meilleure tra-
duction de la déposition originalement donnée en
espagnol, nous savons à présent que ce que l'appelant
a effectivement dit dans ce passage n'était pas «j'ai
fait», mais «j'ai vu».
L'appelant a produit à cette fin l'affidavit de
Rafael Lopez Moreno (dossier d'appel, annexe I), qui
a statut de résident permanent au Canada et parle
couramment l'anglais et l'espagnol, de même que le
texte original espagnol et la traduction qu'il en a
faite. L'intimé a reconnu que la bande magnétique
d'où provenait le texte espagnol et le texte même
avaient été déposés devant la section du statut de
réfugié. Il n'y a donc pas lieu de se demander si la
Cour procède à l'examen de la question en se fondant
sur d'autres faits que la section. L'intimé a reconnu
aussi que l'interprétation correcte est «j'ai vu» et non
«j'ai fait». Ainsi, la section du statut de réfugié, sans
avoir commis de faute, s'est vu priver de la totalité du
fondement de sa conclusion voulant que l'appelant ait
été lui-même un auteur principal dans la perpétration
des crimes internationaux.
L'intimé a bien tenté de soutenir que plusieurs
autres passages, y compris la dernière partie de
l'échange reproduit ci-dessus, pouvaient permettre de
tirer la même conclusion. La section du statut de
réfugié, toutefois, ne s'est appuyée sur aucune autre
affirmation et, en outre, le «j'ai vu» initial empêche
en toute logique de donner une interprétation con-
traire à l'un quelconque des autres passages. Chaque
fois qu'il a dû répondre à une question portant direc-
tement sur sa participation, l'appelant a donné des
réponses franches, comme dans l'extrait qui suit
(dossier d'appel, vol. I, aux pages 158 et 160):
[TRADUCTION] Q: Avez-vous déjà reçu et exécuté des ordres de
cette nature?
R: Non, parce qu'on sait ce qui s'en vient et on essaie de
s'éloigner de l'endroit où les choses se passent.
Q: Avez-vous déjà commis, même si vous estimiez que
vous n'en étiez pas responsable, avez-vous déjà commis
ce que vous pourriez considérer comme des actes de bru-
talité, sur les ordres de quelqu'un d'autre.
R: Non, je ne l'aurais pas fait.
Q: Non, je ne l'aurais pas fait. J'ai demandé s'il l'avait fait,
pas s'il l'aurait fait.
INTERPRÈTE: Oh! Vous avez demandé s'il l'avait fait?
Q: C'est ça.
INTERPRÈTE: Oh! Très bien.
R: Non, je ne l'ai jamais fait.
Il n'est donc pas possible de maintenir la première
conclusion qu'a tirée la section du statut de réfugié
relativement à la participation de l'appelant comme
auteur principal puisqu'elle ne repose sur aucune
preuve.
Il faut, par conséquent, examiner la deuxième con
clusion de la section, portant sur la participation de
l'appelant en tant que complice (dossier d'appel, vol.
II, aux pages 400 à 402):
La première affirmation, tout en manquant de détails, semble
frapper droit au coeur du sujet. Les commissaires ne croient pas
qu'il s'agisse de simple machisme. Mais même si c'était le cas,
le demandeur a aussi reconnu qu'il avait assisté à de tels actes
et servi de gardien.
Même si la participation du demandeur s'était limitée à la
complicité [aiding and abetting] dans la commission de tels
crimes, comme il l'a dit lors de sa deuxième affirmation, les
commissaires pensent qu'il ne serait pas moins coupable.
Le demandeur a défendu ses actions en affirmant:
[TRADUCTION] Je ne me sens pas responsable parce que je
n'ai pas donné les ordres. Je me suis contenté de les suivre,
comme un soldat ordinaire.
Les commissaires reconnaissent que le demandeur s'est joint à
l'armée salvadorienne à un âge impressionnable et que c'est
pour assouvir une vengeance contre le meurtre d'une de ses
soeurs et le viol d'une autre qu'il a agi ainsi. Les commissaires
reconnaissent également que le demandeur a reçu l'ordre de
ses supérieurs de participer à des actes violents contre des non-
combattants soupçonnés d'être complices des guerilleros. Tou-
tefois, cette défense est inacceptable.
Le demandeur semble éprouver un certain remords à l'égard
de sa conduite; selon lui, il a commencé à éprouver du remords
pour la première fois quand il gisait, grièvement blessé, dans
un hôpital militaire. Nous ne doutons pas que ce genre de trau-
matisme physique puisse provoquer un changement d'opinion.
Cependant, bien que ce changement d'opinion et les croyances
religieuses du demandeur aient pu avoir une certaine influence
sur sa décision de déserter l'armée, les commissaires sont plu-
tôt enclins à croire que c'est son incapacité physique de fonc-
tionner comme soldat combattant et, par conséquent, l'abrége-
ment de son éventuelle carrière militaire qui ont eu plus de
poids dans la prise de cette décision.
Le demandeur n'est pas un grand criminel de guerre. Nous
ne connaissons pas les dates, les lieux et les détails des actes
qu'il a posés. Nous n'avons pas de témoins. Nous disposons
cependant de son propre témoignage et nous croyons qu'il
satisfait au critère des «raisons sérieuses de penser» énoncé à
la section F.
Par conséquent, la section du statut de réfugié conclut que,
même si le demandeur a prouvé qu'il avait une crainte justifiée
de la persécution fondée sur son opinion politique, ses activités
pendant son service au sein des forces armées salvadoriennes
entrent clairement dans les limites de la clause d'exclusion de
l'alinéa Fa) de l'article premier de la Convention.
Le passage précité ne permet pas de discerner clai-
rement le critère juridique appliqué par la section
pour statuer que l'appelant était un complice. Dans la
version anglaise de ses motifs, la section emploie les
mots «aiding and abetting» de la common law, qui
sont des termes consacrés de ce système de droit mais
qui, par le fait même, ne constituent pas une voie
d'interprétation adéquate pour une convention inter-
nationale. La section, toutefois, a invoqué cette
notion de façon si générale et appliqué une norme si
vague qu'il nous faut conclure qu'elle a commis une
erreur de droit, annuler sa décision et lui renvoyer
l'affaire pour redétermination, à moins qu'il ne soit
possible d'affirmer qu'aucun tribunal correctement
instruit, utilisant la méthode d'interprétation appro-
priée, n'aurait pu parvenir à une conclusion diffé-
rente 7 .
La section du statut de réfugié a fondé sa décision
sur le fait que l'appelant «avait assisté à de tels actes
et servi de gardien». Elle aurait pu aussi, compte tenu
de la preuve, juger que les actions de l'appelant dans
la capture des membres supposés de la guérilla cons-
tituaient une participation personnelle aux infractions
commises contre eux par la suite, mais elle a proba-
blement accepté l'explication qu'il lui a fournie,
selon laquelle, les deux fois où il a avoué avoir parti-
cipé à ces captures, il pensait que les prisonniers
seraient remis à la Croix Rouge (dossier d'appel, vol.
I, aux pages 103 et 104).
En ce qui concerne le rôle de gardien joué par l'ap-
pelant, il m'est impossible d'affirmer qu'aucun tribu
nal correctement instruit ne serait parvenu à une autre
conclusion que celle de la participation personnelle.
L'appelant a déclaré dans son témoignage (dossier
d'appel, vol. I, à la page 97):
[TRADUCTION] Nous ne faisions que monter la garde, faire le
guet dans les environs, ou alors nous ne faisions qu'assister à
ce qui se passait, mais nous n'avons jamais tué nous-mêmes.
Les mots «dans les environs» peuvent laisser enten-
dre simplement qu'ils montaient la garde ou faisaient
le guet au sens militaire habituel de ces termes, c'est-
à-dire qu'ils gardaient le campement, et qu'ils
n'avaient rien à voir avec ce qui arrivait aux prison-
niers. La section du statut de réfugié a interprété cette
affirmation dans le sens de la garde des prisonniers
ou de la protection des malfaiteurs. Étant donné cette
ambiguïté, je ne puis considérer qu'il s'agisse de la
seule interprétation que pourrait donner un tribunal
correctement instruit.
Il ne reste donc que la question de la présence de
l'appelant à de nombreuses séances de torture et
d'exécution menées par d'autres soldats obéissant
aux ordres de supérieurs communs. Résumant son
expérience, l'appelant a témoigné de ce qu'il avait vu
(dossier d'appel, vol. I, à la page 20):
7 La Cour a utilisé ce critère à l'occasion (voir Grewal c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration du Canada, 23 février
1983 (A-972-82), juge Pratte, J.C.A.. Il appert clairement de
l'opinion majoritaire exprimée dans Schaaf c. Ministre de
l'Emploi et de l'Immigration, [1984] 2 C.F. 334 (C.A.) que ce
ne sont pas toutes les erreurs de droit qui auront pour effet de
vicier une décision administrative.
[TRADUCTION] Oui, je parle de combats ordinaires. Je parle
aussi de prendre des personnes désarmées, de les torturer et de
les tuer.
Le let février 1985, l'appelant s'est engagé volontai-
rement dans l'armée salvadorienne pour un terme de
deux ans, dans le but initial de venger le meurtre de
l'une de ses soeurs et de son mari et le viol d'une
autre par les guérilleros (dossier d'appel, vol. I, aux
pages 20 à 27). Il était un soldat si efficace qu'il a été
promu caporal puis sous-officier. Pendant cette
période, il a pris part à des combats 130 160 fois
(dossier d'appel, vol. I, à la page 31). Deux mois
avant la fin de son engagement, il a été blessé au
pied, à la jambe et à la tête au cours d'une embus-
cade. Pendant qu'il récupérait, il a renouvelé son
engagement pour deux autres années, afin que l'ar-
mée paie son hospitalisation et sa convalescence et
continue à lui verser sa solde (dossier d'appel, vol. I,
aux pages 35 à 38).
Il a déclaré dans son témoignage que ce à quoi il
avait pris part lui causait, à cette époque, des pro-
blèmes de conscience (dossier d'appel, vol. I, aux
pages 35 et 36):
[TRADUCTION] Q: Y avait-il d'autres raisons pour que vous
renouveliez votre contrat?
R: Non, il n'y avait pas d'autres raisons. Je ne voulais pas
rester plus longtemps dans l'armée à cause des choses
qui s'y passaient. Je ne voulais que me rétablir et après,
demander d'être réformé et m'en aller.
Q: De quelles choses parlez-vous, des choses que vous
voyiez, à cause de ce que vous voyiez, vous vouliez être
réformé. De quelles choses parlez-vous?
R: De torturer des gens, de tuer des gens. Il arrivait qu'au
combat, l'ennemi épuise toutes ses munitions et que
nous les capturions vivants, et certains soldats qui étaient
très, qui avaient beaucoup de caractère ou qui étaient très
durs, très féroces les torturaient tout simplement et, à la
fin, les tuaient. Avant d'être tués, les prisonniers nom-
maient d'autres personnes et, alors, les soldats se ren-
daient chez elles et faisaient des rafles.
Q: Oui, mais continuez je vous prie.
R: Ils emmenaient ces personnes qui n'étaient pas armées,
les torturaient puis les tuaient.
Q: Vous ne pensiez pas que cela était justifiable?
R: Oui, je pensais que ce n'était pas correct du tout parce
que autant moi que les autres, nous avons tous le droit à
la vie.
Dans le même sens, il a affirmé (dossier d'appel,
vol. I, à la page 37):
[TRADUCTION] Q: Attendez une minute. Je crois que je m'égare
ici. Ce que je veux savoir, ici, c'est, vous avez clairement,
vous avez affirmé avoir renouvelé votre engagement, mais il
semble que vous n'en ayez pas eu tellement envie et je veux
savoir quel était votre état d'esprit à la fin de votre premier
contrat.
R. Je pensais que ce que je voyais n'était pas correct. C'est
pourquoi, je voulais commencer une nouvelle vie. Je
voulais changer de mode de vie. Je voulais un avenir, au
moins avoir un foyer et mener ma propre vie, parce que
je n'avais pas de métier à ce moment-là et je ne savais
pas comment vivre en dehors de l'armée. Je savais que
j'étais blessé et que je ne pourrais plus monter en grade
et c'est pourquoi j'ai pensé que, peut-être, il vaudrait
mieux pour moi que je quitte les rangs de l'armée.
Il ressort clairement de cet extrait et d'autres pas
sages du témoignage de l'appelant, ainsi que des élé-
ments de preuve documentaire, que la torture et
l'exécution des captifs étaient entrées dans les moeurs
militaires au Salvador. Il faut reconnaître que l'appe-
lant en a conçu de graves problèmes de conscience
qui l'ont tenaillé au point qu'après avoir demandé
trois fois sans succès d'être réformé, au cours de son
deuxième contrat, il a fini par déserter au mois de
novembre 1987 (dossier d'appel, vol. I, aux pages 41
et 47), en grande partie à cause de ses remords de
conscience. Il me faut aussi dire, cependant, qu'il
n'est pas à son honneur d'avoir continué pendant si
longtemps de prendre part à des opérations militaires
qui menaient à de tels résultats. Il était un élément
actif des forces militaires responsables de ces atro-
cités; il était pleinement conscient de ce qui se pas-
sait, et il ne pouvait réussir à se dissocier de ces
actions simplement en prenant garde de n'être jamais
celui qui infligeait la douleur ou pressait sur la
détente.
Compte tenu du critère des «raisons sérieuses de
penser ... [q]u'elles ont commis un crime contre la
paix, un crime de guerre ou un crime contre l'huma-
nité», le cas de l'appelant ne peut même pas être qua-
lifié de cas limite. Pendant ses vingt mois de service
actif, il était conscient du très grand nombre d'inter-
rogatoires menés par l'armée, peut-être aussi souvent
que deux fois par semaine (après 130à 160 engage-
ments militaires). Il ne pourrait jamais entrer dans la
catégorie des simples spectateurs. Il était chaque fois
un membre actif et conscient d'une force armée dont
l'un des objectifs communs était la torture de prison-
niers pour en obtenir des renseignements. De son
propre aveu, c'était l'une des activités auxquelles son
armée se livrait régulièrement et de façon répétée. Il
faisait partie de l'opération même si, personnelle-
ment, il n'applaudissait pas les actions accomplies.
Autrement dit, sa présence pendant les incidents de
persécution, jointe au fait qu'il partageait l'objectif
commun des forces militaires, constitue clairement
une forme de complicité. Il n'est pas nécessaire, pour
les fins de la présente espèce, de déterminer à quel
moment cette complicité a pu être établie, car cette
affaire n'est pas du tout un cas limite. L'appelant
n'était pas un spectateur innocent. Il faisait partie
intégrante, même si c'était à son corps défendant, de
l'entreprise militaire responsable de ces terribles
moments d'inhumanité collective délibérée.
Pour reconnaître l'appelant criminellement respon-
sable des actions qu'il a accomplies, il faudrait, bien
sûr, appliquer une norme de preuve tout à fait diffé-
rente. Mais étant donné que les nations du monde et
le Canada ont adopté, en regard de l'admission des
réfugiés lorsqu'il est question de crimes internatio-
naux, une norme de preuve inférieure à celle du droit
civil, il ne fait pas de doute qu'aucun tribunal correc-
tement instruit ne pourrait conclure à autre chose
qu'à la participation personnelle et consciente de
l'appelant aux actes de persécution.
L'appelant n'a pas invoqué les ordres donnés par
ses supérieurs comme moyen de défense, et les argu
ments qu'il a fait valoir à l'égard de la contrainte et
du remords ne sont pas suffisants pour l'exonérer. À
propos de la contrainte, Hathaway (précité), résumant
le projet de Code des crimes contre la paix et la sécu-
rité de l'humanité sur lequel la Commission du droit
international travaille depuis 1947, écrit (à la
page 218):
[TRADUCTION] Deuxièmement, il est possible d'invoquer la
coercition, l'état de nécessité ou la force majeure [en défense].
Cette exception reconnaît essentiellement que, lorsqu'une per-
sonne agit dans le but d'éviter un péril grave et imminent, il
n'y a pas d'intention. Il faut que le danger soit de nature «à
inspirer à un homme raisonnable la crainte d'un péril corporel
imminent tel qu'il se trouve privé de sa liberté de choisir ce qui
est juste ou de s'abstenir de ce qui est illicite». Le danger ne
doit pas non plus résulter du fait de la personne qui se prévaut
de l'exception ou découler de sa volonté. Plus important
encore, les torts causés ne doivent pas excéder ceux que cette
personne aurait subis. [Les renvois ont été omis.]
En supposant que l'auteur ait exprimé l'état actuel du
droit international, comme le soutient l'appelant, il
serait possible de considérer que la contrainte exercée
sur l'appelant était suffisante pour justifier des infrac
tions moins graves. Mais il me faut conclure, en l'oc-
currence, que le danger auquel il se serait exposé en
affichant sa dissidence ou en refusant de participer
était nettement moins important que le mal effective-
ment infligé aux victimes. L'appelant lui-même a
affirmé ce qui suit à l'égard de la peine appliquée aux
déserteurs (dossier d'appel, vol. I, à la page 49):
[TRADUCTION] R: C'est-à-dire, ils imposent d'abord un entraîne-
ment extrêmement rigoureux, puis ils vous jettent en prison
pour cinq à dix ans.
Le châtiment, je le reconnais, est sévère, mais il est
beaucoup moins grave que la torture et la mort qui
attendaient les victimes des forces militaires aux-
quelles il s'était joint.
Pour ce qui est du remords que, je n'en doute pas,
il ressent véritablement, il ne peut annuler sa pré-
sence constante et participative.
L'appel est, en conséquence, rejeté.
LE JUGE STONE, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE LINDEN, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
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