T-3127-91
Carol Nielsen (requérante)
c.
Commission canadienne des droits de la personne,
Emploi et Immigration Canada, Conseil du
Trésor du Canada et Alliance de la Fonction
publique du Canada (intimés)
RÉPERTORIE' N/ELSEN C. CANADA (COMMISSION DES DROITS
DE LA PERSONNE) (Ire INST.)
Section de première instance, juge Muldoon—
Vancouver, 12 février; Ottawa, 18 mars 1992.
Droits de la personne — La requérante allègue que le refus
de couvrir sa partenaire homosexuelle sous le régime de soins
dentaires de la fonction publique est une discrimination fondée
sur le sexe, l'orientation sexuelle, l'état matrimonial ou la
situation de famille — Il ne s'agit pas d'une discrimination
fondée sur le sexe, ni sur la situation de famille — L'orienta-
tion sexuelle n'est pas un motif de discrimination illicite —
Elles ne sont pas des conjointes de fait puisque cette notion
exige deux sexes opposés — La décision de la Commission de
suspendre la plainte jusqu'à ce que la C.S.C. se prononce dans
une affaire non reliée portant sur la situation de famille n'est
pas injuste — L'autre option est de rejeter la plainte sur-le-
champ s'il n'existe aucun motif de discrimination — La Com
mission a le pouvoir de décider du moment où la constitution
du tribunal est demandée.
Droit constitutionnel — La requérante demande les avan-
tages du régime de soins dentaires de la fonction publique
pour sa partenaire lesbienne — La convention cadre définit
«conjoint de fait» comme une personne du sexe opposé —Allé-
gation de discrimination fondée sur le sexe, l'orientation
sexuelle, l'état matrimonial, la situation de famille — L'orien-
tation sexuelle n'est pas un motif de discrimination énuméré à
l'art. 3 de la Loi canadienne sur les droits de la personne —
On a demandé à la Cour d'élargir la portée d'une loi sélective
— Une société démocratique suppose le gouvernement popu-
laire par les représentants élus — Une magistrature non élue
ne peut légitimement inventer une disposition législative afin
de servir les fins politiques recherchées par les plaideurs — La
société canadienne est partagée sur la question des droits des
homosexuels — L'activisme judiciaire ne peut aller jusqu'à
s'arroger des fonctions législatives en créant des droits nou-
veaux et controversés.
Il s'agit d'une requête visant à annuler la décision de la
Commission canadienne des droits de la personne de laisser en
suspens la plainte déposée par la requérante jusqu'à ce que la
Cour suprême du Canada se prononce, dans une affaire non
reliée, sur la question de la situation de famille, et à enjoindre
la Commission de demander la constitution d'un tribunal con-
formément aux articles 44(3)a) et 49(1) de la Loi canadienne
sur les droits de la personne. Depuis 1983, la requérante vit
avec une femme, qu'elle considère sa conjointe, et l'enfant de
cette dernière. Fonctionnaire, la requérante a da adhérer au
régime de soins dentaires et elle avait le droit d'y inscrire un
conjoint, dont un conjoint de fait, et des enfants à charge. La
réclamation pour les soins dentaires fournis à sa partenaire a
été rejetée au motif que la définition de «conjoint» de la con
vention cadre régissant l'emploi de la requérante exige que les
partenaires soient du sexe opposé. La requérante a allégué une
discrimination fondée sur le sexe, la situation de famille, l'état
matrimonial et l'orientation sexuelle. Elle a allégué que la
Commission n'était pas autorisée par sa loi à suspendre sa
plainte.
Jugement: la requête devrait être rejetée.
L'orientation sexuelle n'était pas un motif de distinction illi-
cite énuméré à la Loi canadienne sur les droits de la personne.
Le régime de soins dentaires étant offert également aux
hommes et aux femmes, on ne peut prétendre que le rejet de la
réclamation pour soins dentaires tient du sexe. De plus, l'état
matrimonial de la requérante ne constituait pas la cause de la
présumée discrimination. Peu importe que la requérante soit
célibataire, mariée, séparée ou divorcée. Elle et sa partenaire
ne sont pas des «conjointes de fait» puisque cette notion exige
une relation avec une personne du sexe opposée.
La requérante interprète mal la portée légale du geste de la
Commission. Celle-ci n'a pas agi injustement en suspendant la
plainte de la requérante. Elle ne pouvait que la suspendre ou la
rejeter sur-le-champ. La Commission n'aurait pu être convain-
cue que l'enquête sur cette plainte était justifiée puisqu'il n'y
avait pas discrimination fondée sur un motif illicite. La Com
mission aurait pu suspendre la plainte même à une étape anté-
rieure, prévue à l'alinéa 41c), pour le motif qu'elle n'était «pas
de sa compétence». La Commission n'est pas tenue par la Loi
de constituer un tribunal avec célérité si elle est convaincue
que la plainte est fondée. Bien que l'alinéa 44(3)b) prévoie que
la Commission «rejette la plainte», l'alinéa 44(3)a) prévoit que
la Commission «peut demander au président du Comité ... de
constituer ... un tribunal». L'expression «peut, à toute étape»
du paragraphe 49(I), confère à la Commission le pouvoir de
décider du moment où on demande la constitution du tribunal.
En dépit de l'absence de l'orientation sexuelle de la liste des
motifs illicites, la requérante exhorte la Cour à annuler la déci-
sion de suspendre les procédures et à enjoindre à la Commis
sion de traiter son dossier. En d'autres termes, on demande à la
Cour d'élargir ce que la requérante considère être une loi sélec-
tive. Outre le fait qu'on a déjà décidé que le refus des avan-
tages dont bénéficient les conjoints aux couples homosexuels
ne viole pas l'article 15 de la Charte ni en raison du sexe, ni en
raison des tendances sexuelles (Egan c. Canada, [1992] 1 C.F.
687 (Ire inst.)), qu'un juge non élu ajoute à une loi un élément
que le Parlement a refusé d'y inclure représenterait un geste
législatif contraire aux principes démocratiques en vertu des-
quels il appartient aux représentants élus de légiférer. La Cour
peut légitimement décider qu'une loi fondée sur une politique,
«inventée» et adoptée par le Parlement, est inconstitutionnelle,
mais il en est autrement si la Cour invente une disposition
législative non adoptée par le Parlement afin de servir des fins
politiques dans l'espoir de respecter des valeurs constitution-
nelles. Ce geste fait fi du pouvoir législatif, non seulement en
usurpant le choix politique du contenu de la loi, mais aussi en
supprimant le choix du législateur de modifier ou d'abroger de
nouvelles lois qui, constitutionnellement, et par la décision
d'une magistrature non élue, couvrent toutes les situations. Il
en serait ainsi fait du principe du gouvernement par la majorité
et de la législature. En outre, la société canadienne étant pro-
fondément partagée par la question de l'homosexualité, il con-
viendrait mal aux tribunaux de prétendre légiférer sur cette
question.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C.
(1985), ch. H-6, art. 3, 41c), 44(3) (mod. par L.R.C.
(1985) (ter suppl.), ch. 31, art. 64), 49(1).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Egan c. Canada, [1992] 1 C.F. 687 (Ire inst.); O'Grady c.
Whyte, [1983] 1 C.F. 719; (1982), 138 D.L.R. (3d) 167;
42 N.R. 608 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
R. c. Askov, [1990] 2 R.C.S. 1199; (1990), 75 O.R. (2d)
673; 74 D.L.R. (4th) 355; 59 C.C.C. (3d) 449; 79 C.R.
(3d) 273; 49 C.R.R. 1; 42 O.A.C. 81.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Mossop c. Secrétariat d'État et Conseil du Trésor (1989),
10 C.H.R.R. D/6064; 89 CLLC 17,010 (Trib.); inf. sub
nom. Canada (Procureur général) c. Mossop, [1991] 1
C.F. 18; (1990), 71 D.L.R. (4th) 661; 32 C.C.E.L. 276; 12
C.H.R.R. D/355; 90 CLLC 17,021 (C.A.); autorisation de
pourvoi en date du 25 janvier 1991, C.S.C. Bulletin, p.
157, no 22145; Syndicat des employés de production du
Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission cana-
dienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879;
(1989), 62 D.L.R. (4th) 385; 100 N.R. 241; Renvoi:
Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486;
(1985), 24 D.L.R. (4th) 536; [1986] 1 W.W.R. 481; 69
B.C.L.R. 145; 23 C.C.C. (3d) 289; 48 C.R. (3d) 289; 18
C.R.R. 30; 36 M.V.R. 240; 63 N.R. 266; O'Sullivan c.
Canada, [1992] 1 C.F. 522; [1991] 2 C.T.C. 117; (1991),
91 DTC 5491; 45 F.T.R. 284 (Ire inst.).
DÉCISION CITÉE:
Knodel v. British Columbia (Medical Services Commis
sion), [1991] 6 W.W.R. 728; (1991), 58 B.C.L.R. (2d)
356; 91 CLLC 17,023 (C.S.C.-B.).
REQUÊTE en vue d'obtenir un bref de certiorari
annulant la décision de la Commission canadienne
des droits de la personne de laisser en suspens la
plainte de la requérante et un bref de mandamus
enjoignant à la Commission de traiter la plainte.
Requête rejetée.
AVOCATS:
Gwen Brodsky pour la requérante.
Rosemary Morgan pour l'intimée la Commis
sion canadienne des droits de la personne.
Deirdre A. Rice pour les intimés Emploi el
Immigration Canada et le Conseil du Trésor du
Canada.
Personne n'a comparu pour l'Alliance de la
Fonction publique du Canada.
PROCUREURS:
B.C. Public Interest Advocacy Centre, Vancou-
ver, pour la requérante.
Commission canadienne des droits de la per-
sonne, Ottawa, pour l'intimée la Commission
canadienne des droits de la personne.
Le sous-procureur général du Canada pour les
intimés Emploi et Immigration Canada et le
Conseil du Trésor du Canada.
Soloway, Wright, Ottawa, pour l'intimée l'Al-
liance de la Fonction publique du Canada.
Ce qui suit est la version française des motifs de
l'ordonnance rendus par
LE JUGE MULDOON: L'avis introductif de requête de
la requérante, daté du 16 décembre 1991, a été
déposé le jour suivant à Vancouver, où l'audience a
été tenue le 12 février 1992. Dans son avis, la requé-
rante recherche les réparations suivantes:
[TRADUCTION] 1. Une ordonnance de la nature de certiorari
visant à annuler la décision de la Commission canadienne des
droits de la personne, rendue le 9 juillet 1991, de laisser en
suspens la plainte déposée par la requérante en vertu de la Loi
canadienne sur les droits de la personne, dans laquelle elle
allègue une discrimination en matière d'emploi, fondée sur le
sexe, l'orientation sexuelle, l'état matrimonial et la situation de
famille.
2. a) Une ordonnance de la nature de mandamus visant à
enjoindre à l'intimée de demander au président du Comité du
tribunal des droits de la personne de constituer un tribunal des
droits de la personne en application des art. 44(3)a) et 49(1) de
la Loi canadienne sur les droits de la personne.
b) Subsidiairement, une ordonnance de la nature de manda-
mus visant à enjoindre à l'intimée de déterminer si, en vertu
des éléments de preuve, il existe un motif raisonnable de
demander la constitution d'un tribunal des droits de la per-
sonne, en application des art. 44(3) et 49(1) de la Loi cana-
dienne sur les droits de la personne.
Bien que l'avis ne révèle rien des motifs de la
requête, ceux-ci ressortent suffisamment de la lecture
des documents déposés et de la déclaration d'ouver-
ture de l'avocate de la requérante.
Le motif principal vise la décision de la Commis
sion canadienne des droits de la personne (ci-après
aussi: CCDP ou la Commission) de retarder, illégale-
ment et injustement, prétend la requérante, le traite-
ment de sa plainte devant un tribunal des droits de la
personne (ci-après aussi: un, ou le tribunal) jusqu'à
ce que la Cour suprême du Canada statue dans l'af-
faire Mossop c. Secrétariat d'État et Conseil du Tré-
sor (1989), 10 C.H.R.R. D/6064 (Trib.); inf. sub nom.
Canada (Procureur général) c. Mossop, [1991] 1
C.F. 18 (C.A.), autorisation de pourvoi accordée le
25 janvier 1991 (C.S.C. Bulletin, page 157, n°
22145).
La requérante entretient une «relation familiale»
avec une autre femme dont l'enfant à charge vit avec
elles. La requérante considère cette autre femme
comme sa conjointe, une affirmation en grande partie
identique ou semblable à la question en litige dans
l'affaire Mossop. La CCDP préfère attendre le résul-
tat final de cette affaire devant la Cour suprême du
Canada avant de donner suite à la plainte de discrimi
nation déposée par la requérante.
Le passage suivant est une transcription de la
déclaration d'ouverture de l'avocate de la
requérante:
[TRADUCTION] A titre de question préliminaire, j'aimerais
préciser que la requérante ne demande pas à cette Cour de tran-
cher sa cause au fond. Nous comprenons très bien que cette
compétence relève d'un tribunal. Nous tenons également pour
acquis que les décisions de la Commission canadienne des
droits de la personne sur la constitution d'un tribunal sont de
nature administrative et non judiciaire.
Nous demanderons à cette Cour non pas d'entendre la cause
de la requérante au fond, mais plutôt d'empêcher la Commis
sion d'agir au-delà de sa loi habilitante en laissant une plainte
en suspens jusqu'à ce qu'un litige non relié, mettant en cause
des questions en grande partie différentes, soit tranché. Nous
soutenons que ce choix n'appartient pas à la Commission puis-
que sa loi habilitante ne l'autorise pas à agir ainsi. Nous
demanderons à cette Cour de rendre une ordonnance enjoi-
gnant à la Commission de respecter ses obligations statutaires.
La requérante a annexé à son affidavit, assermenté
le 16 décembre 1991, un exposé des faits (et du
droit), produit sous la pièce «A» et à l'onglet X, et
qui débute à la page 000199 du dossier de requête de
la requérante. Les avocates respectives des intimés
(soit la CCDP et le procureur général pour les
«intimés représentant le gouvernement») semblent en
général très satisfaites de l'exposé des faits de la
requérante. Par conséquent, la Cour reproduit certains
passages qui faciliteront le récit:
[TRADUCTION] 1. A toutes les époques concernées, la requérante
était à l'emploi de la Commission de l'Emploi et de l'Immigra-
tion du Canada. A différents moments, elle a occupé le poste
d'agence des programmes des autochtones, de superviseur des
services d'emploi et de coordonnatrice de l'intégration profes-
sionnelle. En raison de son emploi, la requérante était membre
de l'unité de négociation représentée par l'Alliance de la Fonc-
tion publique du Canada.
2. A toutes les époques concernées, l'emploi de la requérante
était régi par les modalités de la convention cadre négociée
entre le Conseil du Trésor du Canada et l'Alliance de la Fonc-
tion publique du Canada, en vigueur du ler juillet 1988 au 20
juin 1991.
3. Conformément à la convention cadre, la requérante a dû
adhérer au régime de soins dentaires de la Fonction publique.
Elle avait aussi le droit d'y inscrire un conjoint, dont un con
joint de fait, et des enfants à charge.
4. [La relation familiale avec l'autre femme, (sa partenaire),
existe depuis 1983.]
5. Le 13 juillet 1988, la requérante a soumis une formule où
elle demandait l'inscription de sa partenaire au régime de soins
dentaires. La section de la paye et des avantages sociaux d'Em-
ploi et Immigration Canada avait déjà accepté de couvrir l'en-
fant à charge.
6. Le ou vers le 18 juillet 1988, la requérante a été avisée par la
même section que le Conseil du Trésor refusait les avantages
du régime de soins dentaires à sa partenaire. On l'a informée
que le règlement final de son cas attendrait le résultat de la
demande de James Watson, un autre employé à qui on a refusé,
pour son partenaire masculin, la couverture sous le même
régime de soins dentaires. Dans une lettre du 10 mai 1989, la
requérante a demandé une confirmation de l'état de sa
demande. La réponse de son employeur est datée du 17 mai
1989.
7. En octobre 1989, la requérante a soumis une réclamation
pour les soins dentaires fournis à sa partenaire. Le 19 octobre
1989, elle a été avisée par la Great-West, Compagnie d'Assu-
rance-Vie, qui couvre le régime de soins dentaires, qu'en vertu
de la définition du terme «conjoint» de la convention cadre, la
réclamation pour les soins dentaires fournis à sa partenaire
était rejetée, et aucune demande à l'égard de son enfant ne
serait à l'avenir accueillie.
8. L'article M-2, paragraphe (M) de la convention cadre, défi-
nit ainsi la relation de conjoint de fait:
Il existe des liens de «conjoint de fait» lorsque, pendant une
période continue d'au moins une année, un employé-e a
cohabité avec une personne du sexe opposé et l'a présentée
publiquement comme son conjoint et continue à vivre avec
cette personne comme si elle était son conjoint.
9. Le 29 septembre 1989, la requérante a déposé une plainte
écrite à la Commission canadienne des droits de la personne,
alléguant la discrimination fondée sur le sexe, l'état matrimo
nial et la situation de famille.
10. Le 27 novembre 1989, la requérante a de nouveau déposé
sa plainte, utilisant les formules courantes requises par la Com
mission, où elle a nommé, à titre d'intimés: Emploi et Immi
gration Canada (CCDP dossier # W06978); le Conseil du Tré-
sor du Canada (CCDP dossier # W06974); l'Alliance de la
Fonction publique du Canada (CCDP dossier # W06977).
11. Le 3 octobre 1990, la requérante a ajouté l'orientation
sexuelle aux motifs de discrimination de sa plainte.
12. Dans une lettre du 26 février 1990, Bob Fagan, agent des
droits de la personne de la Commission, a avisé l'avocate de la
requérante de la suspension de sa plainte jusqu'à ce que la
Cour d'appel fédérale statue dans l'affaire Mossop c. Secréta-
riat d'État et Conseil du Trésor (1989), 10 C.H.R.R. D/6064
(Trib. féd.); (1990) 12 C.H.R.R. D/355 (C.A.F.); l'autorisation
d'en appeler à la Cour suprême du Canada a été accordée le 25
janvier 1991.
13. Dans une lettre du 7 mars 1990, l'avocate de la requérante
s'est opposée à cette suspension.
14. Dans une lettre du 13 mars 1990, Paul Leroux, Directeur de
la région de l'Ouest pour la Commission, a indiqué que deux
possibilités s'offraient au personnel de la Commission, soit
conserver la plainte de la requérante en attendant la décision de
la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Mossop ou la déférer
aux commissaires pour examen.
15. Dans une lettre du 19 mars 1990, l'avocate de la requérante
s'est opposée à la suspension de la plainte de celle-ci, en expli-
quant que l'issue de l'affaire Mossop ne déciderait pas néces-
sairement des réclamations de la requérante puisque celles-ci et
celles de Brian Mossop sont tout à fait différentes sous d'im-
portants aspects; elle a demandé que la plainte de la requérante
soit soumise aux commissaires.
16. Dans une lettre du 4 juin 1990, l'avocate de la requérante a
offert un aperçu de l'argumentation juridique appuyant les
motifs de discrimination sur lesquels repose la plainte de la
requérante, et elle a demandé que cette plainte soit entendue
dès que possible.
17-18. [Le jugement de la Cour d'appel fédérale, défavorable à
Mossop, a été rendu le 29 juin 1990, mais le 9 octobre 1990,
M. Leroux a écrit que la plainte de la requérante serait laissée
en suspens jusqu'à ce que la Cour suprême se prononce dans
l'affaire Mossop.]
19. Dans une lettre du 22 octobre 1990, l'avocate de la requé-
rante s'est opposée à la suspension de la plainte de sa cliente
pour le motif que l'arrêt Mossop de la Cour d'appel fédérale ne
traitait que de la discrimination fondée sur la situation de
famille, alors que la plainte de la requérante est fondée sur
trois autres motifs de discrimination non soulevés dans cet
arrêt, soit le sexe, l'orientation sexuelle et l'état matrimonial.
20. Dans un rapport d'enquête du 28 novembre 1990, Bob
Fagan et Paul Leroux ont recommandé la suspension de la
plainte de la requérante. Dans le rapport, on a conclu qu'aucun
désaccord ne séparait les parties à l'égard des faits qui ont
motivé la plainte. Dans une lettre du 16 avril 1991, Paul
Leroux a confirmé qu'il recommanderait aux commissaires de
laisser la plainte en suspens.
21. Le 29 mai 1991, dans ses observations écrites à l'intention
des commissaires, l'avocate de la requérante a demandé la
constitution d'un tribunal et elle s'est opposée à la suspension
de la plainte de la requérante. Elle a fourni aux commissaires
un aperçu de l'argumentation juridique appuyant les motifs de
discrimination sur lesquels repose la plainte.
22. Dans une lettre du 9 juillet 1991, la requérante a été avisée
de la suspension de sa plainte par les commissaires jusqu'à ce
que la Cour suprême du Canada statue dans l'affaire Mossop.
Rien n'indique que les commissaires aient étudié les faits reliés
à la plainte de la requérante et le motif de discrimination sur
lequel elle repose, dans le contexte du droit applicable.
Le sous-procureur général du Canada nie les allé-
gations contenues au paragraphe 22 ci-dessus. Son
avocate expose, à la page 3 du dossier de requête des
intimés représentant la Couronne, que:
[TRADUCTION] La Commission a étudié le rapport d'enquête
portant sur votre plainte ... telle que modifiée, où vous allé-
guez la discrimination dans le cadre de votre emploi, fondée
sur la situation de famille, l'état matrimonial, le sexe et l'orien-
tation sexuelle. La Commission a également étudié les obser
vations du 29 mai 1991, signées par Shona A. Moore [l'avo-
cate de la requérante dans l'affaire de la plainte devant la
CCDP].
La Commission a décidé de laisser la plainte en suspens jus-
qu'à ce que la Cour suprême du Canada se prononce dans l'af-
faire Brian Mossop et le Secrétariat d'État et le Conseil du Tré-
sor. Une fois le jugement rendu, l'affaire sera de nouveau
soumise à l'examen de la Commission.
L'enquêteur communiquera avec vous bientôt afin de discuter
de la question plus amplement.
À l'appui de ces passages, l'avocate cite une lettre du
9 juillet 1991, écrite par Lucie Veillette, secrétaire de
la CCDP, à la requérante, pièce «T», annexée à l'affi-
davit de Connie Gauvin assermentée à Vancouver le
12 décembre 1991, et l'onglet W, page 000198 du
dossier de requête de la requérante.
En outre, à l'égard du paragraphe 21 de la requé-
rante, l'auteur néglige quelque peu l'importance de
certaines observations contenues dans la lettre. Ainsi,
(non souligné dans le texte original), à la page 3 de la
lettre du 29 mai 1991, il est écrit (dossier de requête,
page 000190):
[TRADUCTION] Par conséquent, la plaignante soutient que la
Commission devrait décider de laisser la plainte en suspens à
l'égard de la situation de famille jusqu'à la décision finale dans
l'affaire Mossop ... [à la Cour suprême, étant donné la date
de cette lettre], mais elle devrait l'entendre immédiatement à
l'égard de l'état matrimonial, du sexe et de l'orientation
sexuelle.
•
L'avocate du sous-procureur général, dans son
exposé du droit et dans sa plaidoirie, à la page 12 de
la partie III de son dossier de requête, (intimés repré-
sentant la Couronne) conteste ainsi les prétentions de
la requérante:
[TRADUCTION] 24. Bien que l'«orientation sexuelle» ne soit pas
un motif énuméré à l'article 3 de la Loi, la requérante demande
à la Commission d'étudier le bien-fondé de sa plainte à l'égard
de ce motif. Elle demande également à la Commission d'en
étudier le bien-fondé à l'égard du motif de la «situation de
famille». Il ressort clairement de sa plainte qu'elle s'appuie sur
les articles 9 et 10 de la Loi et que les actes discriminatoires
dont elle se plaint visent la situation dans laquelle se trouvent
deux personnes qui entretiennent une relation homosexuelle.
25. Nous soutenons que les questions soulevées par la requé-
rante ont, de toute évidence, été étudiées par la Cour d'appel
fédérale dans l'arrêt Mossop et que la décision finale dans cette
affaire est évidemment pertinente à l'espèce. En outre, la perti
nence de l'affaire Mossop aux circonstances particulières de la
situation de la requérante a été reconnue par son avocate dans
une lettre du 29 mai 1991. Comme on l'a remarqué précédem-
ment, la Commission était au courant de cette constatation
lorsqu'elle a laissé la plainte de la requérante en suspens en
attendant la décision de la Cour suprême du Canada dans l'af-
faire Mossop.
L'article 3 de la Loi canadienne sur les droits de la
personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, telle que modifiée,
(ci-après aussi appelée la Loi) est ainsi libellé:
3. (1) Pour l'application de la présente loi, les motifs de dis
tinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine
nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe,
l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne
graciée ou la déficience.
(2) Une distinction fondée sur la grossesse ou l'accouche-
ment est réputée être fondée sur le sexe.
Manifestement, l'orientation sexuelle, comme la
requérante cherche à la rattacher à sa situation de
famille, n'est pas un motif de distinction illicite décrit
comme tel à l'article 3 ou ailleurs dans la Loi. Bien
qu'il ne soit pas du ressort de cette Cour de rendre un
jugement au fond sur la plainte de la requérante, elle
doit, en l'occurrence, examiner minutieusement et
étudier le comportement de la CCDP dans cette
affaire, notamment la raison de ce comportement.
Il semble tout à fait manifeste, ou visible, sans
pour autant trancher formellement ce point, que le
rejet de la réclamation de la requérante pour les soins
dentaires fournis à sa partenaire ne tient pas de son
sexe. Après tout, le régime de soins dentaires étant,
semble-t-il, offert également aux femmes et aux
hommes, le sexe de la requérante n'est pas un motif
de la présumée discrimination. De plus, l'état matri
monial de la requérante ne semble pas, sans toutefois
statuer sur ce point, être la cause de la présumée dis
crimination. Suivant les documents déposés pour le
compte de la requérante, il apparaît qu'aucun des
intimés, dont la Great-West, Compagnie d'Assu-
rance-Vie, ne se soucie qu'elle soit célibataire,
mariée, veuve, séparée ou divorcée. La requérante est
frustrée dans sa réclamation pour les soins dentaires
fournis à sa partenaire parce qu'elle affirme que leur
orientation sexuelle, lorsqu'elles vivent ensemble,
leur confère un statut de famille bien qu'elles ne
soient pas, semble-t-il, autrement liées. La requérante
et sa partenaire ne sont pas des «conjoints de fait»,
puisque cette notion exige une relation avec une per-
sonne du sexe opposé.
En dépit du fait qu'en l'espèce, l'orientation
sexuelle ou l'homosexualité ne fassent pas partie des
motifs de distinction illicite de la Loi, l'avocate de la
requérante exhorte néanmoins la Cour à annuler la
décision de la CCDP de suspendre les procédures
dans la cause de la requérante, et à enjoindre à la
Commission de traiter son dossier. La requérante, par
l'entremise de son avocate, interprète mal la portée
légale du geste de la CCDP. Celle-ci se comporte
plus à l'avantage de la requérante que cette dernière
ne semble comprendre.
La Commission ne peut, à ce moment-ci, choisir
entre suspendre la cause de la requérante ou la traiter:
elle ne peut que la suspendre ou la rejeter sur-le-
champ. L'orientation sexuelle n'est le motif d'aucune
distinction illicite. Pour cette raison, la Commission
aurait difficilement pu être convaincue que l'enquête
sur cette plainte est justifiée en vertu des sous-alinéas
44(3)a)(1) et (ii) [mod. par L.R.C. (1985) (ler suppl.),
ch. 31, art. 64] puisqu'aucun motif de distinction illi-
cite n'est allégué. En fait, la Commission aurait très
bien pu suspendre l'affaire à une étape précédente,
prévue à l'alinéa 41c) de la Loi, pour le motif qu'elle
n'était «pas de sa compétence».
Le juge Sopinka de la Cour suprême du Canada
décrit cette situation au nom de la majorité dans l'ar-
rêt Syndicat des employés de production du Québec
et de l'Acadie c. Canada (Commission canadienne
des droits de la personne) [l'arrêt S.E.P.Q.A.], [1989]
2 R.C.S. 879, aux pages 898 et 899, cité par la requé-
rante.
Le paragraphe 36(3) [maintenant le paragraphe 44(3) de la
Loi] prévoit deux possibilités sur réception du rapport. La
Commission peut adopter le rapport si elle est «convaincue»
que la plainte est fondée ou bien rejeter la plainte si elle «est
convaincue [ ... ] que la plainte n'est pas fondée». Je présume
que, dans l'hypothèse de l'adoption du rapport, un tribunal est
alors constitué en vertu de l'art. 39, à moins qu'intervienne un
règlement de la plainte. J'arrive à cette conclusion parce
qu'aucun autre redressement n'est prévu pour le plaignant à la
suite de l'adoption du rapport. Cet aspect de la procédure
devant la Commission a été élucidé par des modifications
apportées à la Loi (S.C. 1985, chap. 26, art. 69). La version
actuelle du par. 36(3) se trouve au par. 44(3) des L.R.C.
(1985), chap. H-6 (modifié par chap. 31 (1e 1 supp.), art. 64) qui
dispose que, sur réception du rapport de l'enquêteur, la Com
mission peut demander la constitution d'un tribunal si elle est
convaincue que, compte tenu des circonstances, l'examen de la
plainte est justifié.
L'autre possibilité est le rejet de la plainte. [Non souligné
dans le texte original.]
Certes, probablement qu'un tribunal sera constitué
si l'arrêt Mossop se montre suffisamment favorable à
une interprétation de la Loi qui inclurait l'«orienta-
tion sexuelle» comme motif de distinction illicite
pour que la CCDP s'y range; et, probablement qu'un
tribunal ne sera pas constitué si cet arrêt tranche dans
un autre sens. Aucun lien rationnel ne relie l'espèce
aux circonstances de l'arrêt R. c. Askov, [ 1990] 2
R.C.S. 1199.
La CCDP se comporte-t-elle injustement envers la
requérante en laissant subsister sa plainte alors
qu'elle aurait bien pu la rejeter? Sûrement pas, car la
Commission n'est pas tenue par la loi d'agir avec
célérité en optant pour la première possibilité men-
tionnée par le juge Sopinka. En fait, il est tout à fait
remarquable qu'en imposant ces possibilités, le Parle-
ment prévoit, à l'alinéa 44(3)b) [mod., idem], que la
Commission «rejette la plainte» dans les circons-
tances décrites, alors qu'à l'alinéa 44(3)a), il prévoit
que la Commission «peut demander au président du
Comité ... de constituer ... un tribunal». Pour cette
Cour, ces dispositions dissemblables signifient que si,
par exemple, conformément à l'alinéa 41c), la CCDP
conclut qu'elle n'est pas compétente, elle doit rejeter
la plainte sur-le-champ, et elle ne peut agir autrement
en droit. Toutefois, si la CCDP conclut que la plainte
est justifiée, elle peut demander la constitution d'un
tribunal «en application de l'article 49 [mod., idem,
art. 66]», qui prévoit que la CCDP peut, «à toute
étape postérieure au dépôt de la plainte, [présenter
cette demande] . ..» [soulignements ajoutés]. Pour
emprunter les termes du juge Sopinka dans l'arrêt
S.E.P.Q.A., l'on «présume ... qu'un tribunal est alors
constitué», mais pas nécessairement sur-le-champ,
puisque l'expression «peut, à toute étape» du para-
graphe 49(1) paraît conférer à la CCDP le pouvoir de
décider du moment où (mais toujours dans des
limites raisonnables) on demandera effectivement la
constitution d'un tribunal. L'autre possibilité, comme
le juge l'a conclu au nom de la majorité dans l'arrêt
S.E.P.Q.A., «est le rejet de la plainte». On ne peut
déceler aucune injustice de la part de la CCDP à l'en-
droit de la requérante.
On pourrait penser que la requérante, plutôt que
«griffer» la main qui conserve vie à sa plainte, ne
(pour ajouter une métaphore féline) réveillerait pas le
chat qui dort.
Ce qui précède n'est pas la position de la requé-
rante, par l'entremise des observations de son avo-
cate. En toute justice pour la requérante, il n'est pas
déraisonnable de reproduire les passages pertinents
de l'exposé des faits et du droit de son dossier de
requête. La Cour se contente de noter, sans la blâmer
nécessairement, la nature polémique des observa
tions, qui ne laissent aucun doute sur l'opinion de
l'auteur. À partir de la page 000203:
[rnnoucrtoN] 30. Nous soumettons que le sexe est le fait d'être
une femme ou un homme dans une société donnée, et que la
sexualité est l'une des dimensions sociales importantes du
sexe.
31. L'hétérosexualité est l'orientation ou l'identité sexuelle tra-
ditionnelle dans le contexte social de l'inégalité des sexes. Par
conséquent, en vertu du rôle traditionnel des sexes, les femmes
doivent notamment être socialement et sexuellement soumises
aux hommes seulement. L'homosexualité, le lesbianisme en
particulier, remet en question à la fois l'hétérosexualité comme
institution particulière et les rôles sociaux, sexués et inégaux,
sur lesquels elle repose.
32. La discrimination fondée sur l'orientation ou l'identité
sexuelle lesbienne est une discrimination fondée sur le sexe.
Dans son sens le plus simple, l'homosexuel(le) victime de dis
crimination en raison de son homosexualité est victime de dis
crimination fondée sur le sexe: n'était-ce de son sexe, ou de
celui de sa préférence sexuelle ou de son partenaire, il(elle) ne
serait pas traité(e) ainsi. Dans un sens plus profond, l'orienta-
tion ou l'identité sexuelle lesbienne, en particulier, remet en
question une institution fondée sur le sexe—l'hétérosexualité
—qui, au moyen de certaines de ses normes et pratiques, offre
un véhicule important à l'inégalité entre les hommes et les
femmes. Refuser au moyen de la loi des droits et des possibi-
lités aux homosexuels parce qu'ils violent les normes de l'iné-
galité des sexes, c'est consacrer légalement cette inégalité,
contrairement à l'article 15 de la Charte.
33. Non seulement la discrimination fondée sur l'orientation
ou l'identité sexuelle lesbienne constitue-t-elle une discrimina
tion fondée sur le sexe, selon une certaine jurisprudence elle
serait un motif analogue ou illicite de discrimination prévu à
l'article 15 de la Charte.
Knodel v. AGBC (30 août 1991), inédit, C.S.C.-B., Vancou-
ver, n° de greffe A893414
Haig and Birch v. The Queen (1992) 5 O.R. (3d) 245
Veysey c. Service correctionnel du Canada (1989) 29 F.T.R.
74 (C.F. Ire inst.)
Veysey c. Service correctionnel du Canada (1990) 109 N.R.
300 (C.A.F.)
34. À cet égard, l'absence de l'orientation sexuelle de la liste
des motifs illicites à l'article 3 de la Lai canadienne sur les
droits de la personne, qui, en droit, rend légitime la discrimina
tion à l'endroit des lesbiennes, est contraire à l'article 15 de la
Charte.
Haig and Birch v. The Queen (1992) 5 O.R. (3d) 245
35. En outre, nous alléguons que le refus des soins dentaires à
la partenaire de la requérante, fondé sur une définition restric-
tive du terme «conjoint», constitue une discrimination fondée
sur l'état matrimonial.
Schapp. c. Canada (Forces armées canadiennes) (1990) 12
C.H.R.R. D/451 (C.A.F.)
36. À l'égard du motif de la situation de famille, la requérante
soutient que le fait de rendre le droit à des avantages, tels que
les soins dentaires, conditionnel au respect d'une conception
étroite et de plus en plus anachronique de la famille, constitue
une discrimination fondée sur la situation de famille. Cette
injustice favorise les employés hétérosexuels, alors qu'elle
pénalise les employées qui entretiennent des relations les-
biennes et leurs enfants.
37. Le tribunal administratif qui a reçu le pouvoir d'interpréter
une loi détient le pouvoir concomitant de déterminer la consti-
tutionnalité de cette loi.
Cuddy Chicks c. Ontario (Commission des relations de tra
vail) (1991), 81 D.L.R. (4th) 121 (C.S.C.)
38. Une législation sélective peut être élargie, conformément à
l'article 24 de la Charte, lorsqu'il est approprié et juste. de le
faire et lorsque le droit positif à l'égalité doit être garanti par
une réparation positive.
Schachter c. Canada (1990), 66 D.L.R. (4th) 635 (C.A.F.)
L'arrêt Knodel [Knodel v. British Columbia (Medi-
cal Services Commission), [1991] 6 W.W.R. 728
(C.S.C.-B.)], mentionné dans les passages reproduits
précédemment, a été étudié et finalement rejeté par le
juge Martin de cette Cour dans l'arrêt Egan c.
Canada, [1992] 1 C.F. 687 (1 re inst.). Il a conclu [à la
page 705], comme cette Cour, et pour les mêmes
motifs, que le refus des avantages dont bénéficient les
conjoints aux couples ayant choisi de vivre une rela
tion homosexuelle «ne porte pas atteinte aux droits
que garantit aux demandeurs le paragraphe 15(1) [de
la Charte] ni en raison de leur sexe ni en raison de
leurs tendances sexuelles».
On peut se demander pourquoi cette Cour étudie ce
qu'on a décidé dans les arrêts Knodel et Egan, alors
que ces considérations, en l'occurrence, sont plus
près des délibérations de la CCDP ou d'un tribunal.
En fait, on demande à la Cour d'élargir la portée de
ce que la requérante considère être une loi sélective,
en concluant que, en dépit de l'absence de l'orienta-
tion sexuelle de l'article 3 de la Loi, il faut enjoindre
à la Commission de constituer un tribunal dès main-
tenant, même si, en l'occurrence, cette compétence
ne lui appartient pas. À l'audition, l'avocate de la
requérante a indiqué ceci:
[TRADUCTION] ... la mesure dans laquelle les tribunaux et, en
fait, les cours ... peuvent, si vous voulez, remédier à une
législation sélective de façon à la rendre conforme à la Charte,
pour exercer ce que la jurisprudence américaine qualifie de
réparation par extension, demeure quelque peu indécise.
L'arrêt Schachter de la Cour suprême ... qui porte sur le
caractère sélectif des avantages offerts par l'assurance-chô-
mage, sera important sur ce point. Il pose cette question même,
soit celle du pouvoir de donner de l'extension. [Transcription,
pages 39 et 40.]
Dans l'arrêt Schachter, on a reconnu qu'un tribunal peut
donner de l'extension à une loi, conformément à l'article 24,
lorsqu'il est approprié et juste de le faire.
Si la présente affaire était soumise à un tribunal, ... , l'avo-
cate de la requérante aurait à sa disposition, et souhaiterait faire
valoir, divers moyens portant sur l'interaction entre la Charte
et les lois sur les droits de la personne. Elle pourrait notam-
ment prétendre que si le tribunal a le pouvoir de reconnaître et
de déclarer que sa loi est sélective parce qu'elle n'inclut pas
expressément l'orientation sexuelle au nombre des motifs de
discrimination sans toutefois avoir le pouvoir d'inclure ce
motif, il peut néanmoins et, en fait, en vertu de l'interprétation
statutaire, il doit étendre ou accorder aux homosexuel(le)s le
même bénéfice des motifs qui figurent dans la Loi. [Transcrip-
tion, pages 41 et 42.]
Ces questions visent la recherche de la meilleure garantie
des droits de la femme et des minorités dans le contexte d'un
cadre démocratique dans lequel on accorde beaucoup de valeur
aux décisions prises par la majorité.
J'alléguerais que la question en cause, une Commission, tou-
tefois, la façon dont cette question sera tranchée finalement par
la Cour suprême du Canada est-elle ambiguë? Car il est évi-
dent que la jurisprudence portant sur la Charte et sur les droits
de la personne évolue à un rythme très rapide depuis les dix
dernières années, phénomène qui se maintiendra encore
longtemps. [Non souligné dans le texte original.] [Transcrip-
tion, page 43.]
Ce dialogue des plus fascinants (puisqu'il s'agit
d'un dialogue) avec l'avocate ne serait pas très perti
nent aux questions en litige si ce n'était de deux con-
sidérations. En premier lieu, malgré sa plaidoirie
brève et intelligente, l'avocate n'a pas convaincu
cette Cour que la CCDP doit, sans délai, déférer à un
tribunal la plainte douteuse de la requérante. En
deuxième lieu, comme on l'a mentionné précédem-
ment, l'avocate prie la Cour d'enjoindre à la CCDP
de demander à un tribunal d'enquêter sur une plainte
mettant en cause une orientation sexuelle, alors que
ce motif n'est pas mentionné à la Loi. Si la Cour
accédait à cette demande, elle se trouverait à légiférer
à la place du Parlement. La Loi est peut-être sélec-
tive, mais le Parlement ne paraît pas l'avoir considé-
rée telle.
Une société démocratique suppose le gouverne-
ment populaire, c'est-à-dire, lorsque la population est
importante et le territoire immense, le gouvernement
par la majorité des représentants élus par la popula
tion. Aussi, qu'un juge non élu ajoute à une loi un
élément que le Parlement a refusé d'y inclure repré-
sente donc un geste législatif contraire aux principes
démocratiques et à la volonté de la majorité. Il est à
tout le moins différent, du point de vue notionnel, de
déclarer une loi déjà adoptée contraire aux valeurs et
aux impératifs constitutionnels qui ont à l'origine été
mis en place par le législateur parlementaire. Il con-
vient de se rappeler les termes du juge Lamer (main-
tenant juge en chef du Canada) qui s'est prononcé au
nom de la majorité (au sein d'une formation una-
nime, quant au résultat) de la Cour suprême du
Canada dans Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B.,
[1985] 2 R.C.S. 486, la page 497:
Il ne faut pas oublier que la décision historique d'enchâsser la
Charte dans notre Constitution a été prise non pas par les tribu-
naux, mais par les représentants élus de la population cana-
dienne. Ce sont ces représentants qui ont étendu la portée des
décisions constitutionnelles et confié aux tribunaux cette res-
ponsabilité à la fois nouvelle et lourde. On doit aborder les
décisions en vertu de la Charte en se libérant de tout doute qui
peut subsister quant à leur légitimité.
La Cour peut légitimement décider qu'une loi fon-
dée sur une politique, «inventée» et adoptée par le
Parlement, entre en conflit avec les valeurs et les
impératifs constitutionnels; mais il en est autrement si
la Cour elle-même invente une disposition législative
non adoptée par le Parlement afin de servir les fins
politiques recherchées par les plaideurs, vraisembla-
blement dans l'espoir de respecter des valeurs et des
impératifs constitutionnels. Ce geste fait fi du pou-
voir législatif, non seulement en usurpant le choix
politique du contenu de la loi, mais aussi en suppri-
mant effectivement le choix du législateur de modi
fier ou d'abroger de nouvelles lois qui, constitution-
nellement, et par la décision d'une magistrature non
élue, couvrent toutes les situations, comme si la
Constitution l'exigeait. Il en serait ainsi fait du prin-
cipe du gouvernement par la majorité et de la législa-
ture.
La société devrait être régie par des lois, et non
simplement par des juges. Tout le monde sait, et la
Cour en tient compte, que la société canadienne est
profondément partagée sur la question de l'homo-
sexualité, le cours et la direction de l'orientation
sexuelle de la requérante. Certains considèrent ferme-
ment une telle orientation sexuelle comme un sacri-
lège scandaleux et une perversité irrachetable, alors
que d'autres la jugent moralement neutre et normale.
Aux yeux de certains, on ne devrait pas lui accorder
une reconnaissance ou un statut en droit parce que
cela semble légitimer un exemple malsain pour la
jeunesse influençable: on la voit toujours comme un
des germes obscènes de la décadence sociale, même
si elle n'est plus criminelle depuis deux décennies
seulement. Pour d'autres, une telle orientation
sexuelle est l'expression d'une préférence sexuelle,
sinon d'une tendance immuable; et, à l'égard de la
protection juridique, les unions homosexuelles ont le
même statut social que les unions hétérosexuelles,
unités familiales normales et fondamentales de la
société. Pour la plupart, le Parlement a, à juste titre,
décriminalisé l'homosexualité, mais pour certains, il
serait erroné de lui accorder une place égale à l'hété-
rosexualité; pour d'autres, elle possède déjà un statut
égal tant dans la nature que parmi les êtres humains,
et elle doit être reconnue comme telle en droit.
Ces faits notoires démontrent bien qu'il s'agit
d'une question à l'égard de laquelle il conviendrait
mal aux tribunaux de prétendre légiférer. Il ne sied
pas à la Cour d'agir à titre d'enquêteur péripatétique.
Manifestement, toute prise de position en droit doit
être maintenue ou consacrée par la législature (non
pas la magistrature), conformément aux impératifs
démocratiques de la Constitution. À l'égard des
impératifs de la démocratie par la volonté de la majo-
rité, la situation de la requérante est, du point de vue
constitutionnel, tout à fait semblable à celle du
demandeur dans l'arrêt O'Sullivan c. Canada, [ 1992]
1 C.F. 522 (ire inst.), telle que démontrée aux pages
539 et 540, et 544 à 548. Sans doute un soupçon
d'activisme judiciaire a-t-il sa place dans notre
société en vertu de la primauté du droit. Toutefois,
lorsqu'il s'agit d'alimenter cet activisme en créant
des droits nouveaux et très controversés, même par
analogie avec des droits existants, la Cour doit évi-
demment éviter de s'arroger des fonctions législa-
tives. Dans notre pays de suffrage universel adulte, il
appartient à l'élément démocratiquement élu de la
législature de dissiper la controverse. En fait, dans le
contexte du système contradictoire de la jurispru
dence, les positions adoptées par les plaideurs tendent
irrémédiablement à se durcir. Le «dernier recours»
apparent qu'est le litige s'oppose nettement aux pro-
cédures non contentieuses, dont les négociations
menées à l'extérieur des tribunaux permettent à une
société libre et démocratique de profiter de la pers
pective de l'évolution des mentalités. À maintes
reprises au cours du siècle, la hâte à modifier l'allure
des législatures démocratiquement élues n'a conduit
qu'à la tyrannie et la violence, et non à la primauté du
droit.
À ce moment-ci, les plaidoiries sont soumises à la
Cour suprême. Constitutionnellement suprême, elle
peut, dans sa sagesse, choisir de légiférer ou non sur
l'orientation sexuelle. Jusqu'à ce que la décision de la
Cour suprême soit rendue, le présent juge préfère
laisser tout geste législatif à la législature, c'est-à-dire
au Parlement.
En conséquence, la Cour, dans les présentes
demandes de redressement discrétionnaire, n'annu-
lera pas la décision de la CCDP ni n'ordonnera à
celle-ci de traiter le dossier de la requérante comme si
l'«orientation sexuelle» ou la «situation de famille»
fondée sur l'orientation homosexuelle particulière de
la requérante et de sa partenaire avait été insérée par
le Parlement dans la Loi. Les règles d'application du
mandamus énoncées par la Section d'appel de cette
Cour dans l'arrêt O'Grady c. Whyte, [1983] 1 C.F.
719, demeurent applicables. La requête, à l'égard de
tous les motifs exprimés, sera rejetée avec les frais
entre parties en faveur seulement des intimés repré-
sentant la Couronne, si l'un ou l'autre d'eux les
demandent.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.