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T-3127-91
Carol Nielsen (requérante) c.
Commission canadienne des droits de la personne, Emploi et Immigration Canada, Conseil du Trésor du Canada et Alliance de la Fonction publique du Canada (intimés)
RÉPERTORIE' N/ELSEN C. CANADA (COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE) (Ire INST.)
Section de première instance, juge Muldoon— Vancouver, 12 février; Ottawa, 18 mars 1992.
Droits de la personne La requérante allègue que le refus de couvrir sa partenaire homosexuelle sous le régime de soins dentaires de la fonction publique est une discrimination fondée sur le sexe, l'orientation sexuelle, l'état matrimonial ou la situation de famille Il ne s'agit pas d'une discrimination fondée sur le sexe, ni sur la situation de famille L'orienta- tion sexuelle n'est pas un motif de discrimination illicite Elles ne sont pas des conjointes de fait puisque cette notion exige deux sexes opposés La décision de la Commission de suspendre la plainte jusqu'à ce que la C.S.C. se prononce dans une affaire non reliée portant sur la situation de famille n'est pas injuste L'autre option est de rejeter la plainte sur-le- champ s'il n'existe aucun motif de discrimination La Com mission a le pouvoir de décider du moment la constitution du tribunal est demandée.
Droit constitutionnel La requérante demande les avan- tages du régime de soins dentaires de la fonction publique pour sa partenaire lesbienne La convention cadre définit «conjoint de fait» comme une personne du sexe opposé —Allé- gation de discrimination fondée sur le sexe, l'orientation sexuelle, l'état matrimonial, la situation de famille L'orien- tation sexuelle n'est pas un motif de discrimination énuméré à l'art. 3 de la Loi canadienne sur les droits de la personne On a demandé à la Cour d'élargir la portée d'une loi sélective Une société démocratique suppose le gouvernement popu- laire par les représentants élus Une magistrature non élue ne peut légitimement inventer une disposition législative afin de servir les fins politiques recherchées par les plaideurs La société canadienne est partagée sur la question des droits des homosexuels L'activisme judiciaire ne peut aller jusqu'à s'arroger des fonctions législatives en créant des droits nou- veaux et controversés.
Il s'agit d'une requête visant à annuler la décision de la Commission canadienne des droits de la personne de laisser en suspens la plainte déposée par la requérante jusqu'à ce que la Cour suprême du Canada se prononce, dans une affaire non reliée, sur la question de la situation de famille, et à enjoindre la Commission de demander la constitution d'un tribunal con- formément aux articles 44(3)a) et 49(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Depuis 1983, la requérante vit
avec une femme, qu'elle considère sa conjointe, et l'enfant de cette dernière. Fonctionnaire, la requérante a da adhérer au régime de soins dentaires et elle avait le droit d'y inscrire un conjoint, dont un conjoint de fait, et des enfants à charge. La réclamation pour les soins dentaires fournis à sa partenaire a été rejetée au motif que la définition de «conjoint» de la con vention cadre régissant l'emploi de la requérante exige que les partenaires soient du sexe opposé. La requérante a allégué une discrimination fondée sur le sexe, la situation de famille, l'état matrimonial et l'orientation sexuelle. Elle a allégué que la Commission n'était pas autorisée par sa loi à suspendre sa plainte.
Jugement: la requête devrait être rejetée.
L'orientation sexuelle n'était pas un motif de distinction illi- cite énuméré à la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le régime de soins dentaires étant offert également aux hommes et aux femmes, on ne peut prétendre que le rejet de la réclamation pour soins dentaires tient du sexe. De plus, l'état matrimonial de la requérante ne constituait pas la cause de la présumée discrimination. Peu importe que la requérante soit célibataire, mariée, séparée ou divorcée. Elle et sa partenaire ne sont pas des «conjointes de fait» puisque cette notion exige une relation avec une personne du sexe opposée.
La requérante interprète mal la portée légale du geste de la Commission. Celle-ci n'a pas agi injustement en suspendant la plainte de la requérante. Elle ne pouvait que la suspendre ou la rejeter sur-le-champ. La Commission n'aurait pu être convain- cue que l'enquête sur cette plainte était justifiée puisqu'il n'y avait pas discrimination fondée sur un motif illicite. La Com mission aurait pu suspendre la plainte même à une étape anté- rieure, prévue à l'alinéa 41c), pour le motif qu'elle n'était «pas de sa compétence». La Commission n'est pas tenue par la Loi de constituer un tribunal avec célérité si elle est convaincue que la plainte est fondée. Bien que l'alinéa 44(3)b) prévoie que la Commission «rejette la plainte», l'alinéa 44(3)a) prévoit que la Commission «peut demander au président du Comité ... de constituer ... un tribunal». L'expression «peut, à toute étape» du paragraphe 49(I), confère à la Commission le pouvoir de décider du moment on demande la constitution du tribunal.
En dépit de l'absence de l'orientation sexuelle de la liste des motifs illicites, la requérante exhorte la Cour à annuler la déci- sion de suspendre les procédures et à enjoindre à la Commis sion de traiter son dossier. En d'autres termes, on demande à la Cour d'élargir ce que la requérante considère être une loi sélec- tive. Outre le fait qu'on a déjà décidé que le refus des avan- tages dont bénéficient les conjoints aux couples homosexuels ne viole pas l'article 15 de la Charte ni en raison du sexe, ni en raison des tendances sexuelles (Egan c. Canada, [1992] 1 C.F. 687 (Ire inst.)), qu'un juge non élu ajoute à une loi un élément que le Parlement a refusé d'y inclure représenterait un geste législatif contraire aux principes démocratiques en vertu des- quels il appartient aux représentants élus de légiférer. La Cour peut légitimement décider qu'une loi fondée sur une politique, «inventée» et adoptée par le Parlement, est inconstitutionnelle, mais il en est autrement si la Cour invente une disposition législative non adoptée par le Parlement afin de servir des fins
politiques dans l'espoir de respecter des valeurs constitution- nelles. Ce geste fait fi du pouvoir législatif, non seulement en usurpant le choix politique du contenu de la loi, mais aussi en supprimant le choix du législateur de modifier ou d'abroger de nouvelles lois qui, constitutionnellement, et par la décision d'une magistrature non élue, couvrent toutes les situations. Il en serait ainsi fait du principe du gouvernement par la majorité et de la législature. En outre, la société canadienne étant pro- fondément partagée par la question de l'homosexualité, il con- viendrait mal aux tribunaux de prétendre légiférer sur cette question.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 3, 41c), 44(3) (mod. par L.R.C. (1985) (ter suppl.), ch. 31, art. 64), 49(1).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Egan c. Canada, [1992] 1 C.F. 687 (Ire inst.); O'Grady c. Whyte, [1983] 1 C.F. 719; (1982), 138 D.L.R. (3d) 167; 42 N.R. 608 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
R. c. Askov, [1990] 2 R.C.S. 1199; (1990), 75 O.R. (2d) 673; 74 D.L.R. (4th) 355; 59 C.C.C. (3d) 449; 79 C.R. (3d) 273; 49 C.R.R. 1; 42 O.A.C. 81.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Mossop c. Secrétariat d'État et Conseil du Trésor (1989), 10 C.H.R.R. D/6064; 89 CLLC 17,010 (Trib.); inf. sub nom. Canada (Procureur général) c. Mossop, [1991] 1 C.F. 18; (1990), 71 D.L.R. (4th) 661; 32 C.C.E.L. 276; 12 C.H.R.R. D/355; 90 CLLC 17,021 (C.A.); autorisation de pourvoi en date du 25 janvier 1991, C.S.C. Bulletin, p. 157, no 22145; Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission cana- dienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879; (1989), 62 D.L.R. (4th) 385; 100 N.R. 241; Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486; (1985), 24 D.L.R. (4th) 536; [1986] 1 W.W.R. 481; 69 B.C.L.R. 145; 23 C.C.C. (3d) 289; 48 C.R. (3d) 289; 18 C.R.R. 30; 36 M.V.R. 240; 63 N.R. 266; O'Sullivan c. Canada, [1992] 1 C.F. 522; [1991] 2 C.T.C. 117; (1991), 91 DTC 5491; 45 F.T.R. 284 (Ire inst.).
DÉCISION CITÉE:
Knodel v. British Columbia (Medical Services Commis sion), [1991] 6 W.W.R. 728; (1991), 58 B.C.L.R. (2d) 356; 91 CLLC 17,023 (C.S.C.-B.).
REQUÊTE en vue d'obtenir un bref de certiorari annulant la décision de la Commission canadienne des droits de la personne de laisser en suspens la
plainte de la requérante et un bref de mandamus enjoignant à la Commission de traiter la plainte. Requête rejetée.
AVOCATS:
Gwen Brodsky pour la requérante.
Rosemary Morgan pour l'intimée la Commis sion canadienne des droits de la personne. Deirdre A. Rice pour les intimés Emploi el Immigration Canada et le Conseil du Trésor du Canada.
Personne n'a comparu pour l'Alliance de la Fonction publique du Canada.
PROCUREURS:
B.C. Public Interest Advocacy Centre, Vancou- ver, pour la requérante.
Commission canadienne des droits de la per- sonne, Ottawa, pour l'intimée la Commission canadienne des droits de la personne.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés Emploi et Immigration Canada et le Conseil du Trésor du Canada.
Soloway, Wright, Ottawa, pour l'intimée l'Al- liance de la Fonction publique du Canada.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MULDOON: L'avis introductif de requête de la requérante, daté du 16 décembre 1991, a été déposé le jour suivant à Vancouver, l'audience a été tenue le 12 février 1992. Dans son avis, la requé- rante recherche les réparations suivantes:
[TRADUCTION] 1. Une ordonnance de la nature de certiorari visant à annuler la décision de la Commission canadienne des droits de la personne, rendue le 9 juillet 1991, de laisser en suspens la plainte déposée par la requérante en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, dans laquelle elle allègue une discrimination en matière d'emploi, fondée sur le sexe, l'orientation sexuelle, l'état matrimonial et la situation de famille.
2. a) Une ordonnance de la nature de mandamus visant à enjoindre à l'intimée de demander au président du Comité du tribunal des droits de la personne de constituer un tribunal des droits de la personne en application des art. 44(3)a) et 49(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
b) Subsidiairement, une ordonnance de la nature de manda- mus visant à enjoindre à l'intimée de déterminer si, en vertu des éléments de preuve, il existe un motif raisonnable de
demander la constitution d'un tribunal des droits de la per- sonne, en application des art. 44(3) et 49(1) de la Loi cana- dienne sur les droits de la personne.
Bien que l'avis ne révèle rien des motifs de la requête, ceux-ci ressortent suffisamment de la lecture des documents déposés et de la déclaration d'ouver- ture de l'avocate de la requérante.
Le motif principal vise la décision de la Commis sion canadienne des droits de la personne (ci-après aussi: CCDP ou la Commission) de retarder, illégale-
ment et injustement, prétend la requérante, le traite- ment de sa plainte devant un tribunal des droits de la personne (ci-après aussi: un, ou le tribunal) jusqu'à ce que la Cour suprême du Canada statue dans l'af- faire Mossop c. Secrétariat d'État et Conseil du Tré- sor (1989), 10 C.H.R.R. D/6064 (Trib.); inf. sub nom. Canada (Procureur général) c. Mossop, [1991] 1 C.F. 18 (C.A.), autorisation de pourvoi accordée le 25 janvier 1991 (C.S.C. Bulletin, page 157, 22145).
La requérante entretient une «relation familiale» avec une autre femme dont l'enfant à charge vit avec elles. La requérante considère cette autre femme comme sa conjointe, une affirmation en grande partie identique ou semblable à la question en litige dans l'affaire Mossop. La CCDP préfère attendre le résul- tat final de cette affaire devant la Cour suprême du Canada avant de donner suite à la plainte de discrimi nation déposée par la requérante.
Le passage suivant est une transcription de la déclaration d'ouverture de l'avocate de la requérante:
[TRADUCTION] A titre de question préliminaire, j'aimerais préciser que la requérante ne demande pas à cette Cour de tran- cher sa cause au fond. Nous comprenons très bien que cette compétence relève d'un tribunal. Nous tenons également pour acquis que les décisions de la Commission canadienne des droits de la personne sur la constitution d'un tribunal sont de nature administrative et non judiciaire.
Nous demanderons à cette Cour non pas d'entendre la cause de la requérante au fond, mais plutôt d'empêcher la Commis sion d'agir au-delà de sa loi habilitante en laissant une plainte en suspens jusqu'à ce qu'un litige non relié, mettant en cause des questions en grande partie différentes, soit tranché. Nous soutenons que ce choix n'appartient pas à la Commission puis- que sa loi habilitante ne l'autorise pas à agir ainsi. Nous
demanderons à cette Cour de rendre une ordonnance enjoi- gnant à la Commission de respecter ses obligations statutaires.
La requérante a annexé à son affidavit, assermenté le 16 décembre 1991, un exposé des faits (et du droit), produit sous la pièce «A» et à l'onglet X, et qui débute à la page 000199 du dossier de requête de la requérante. Les avocates respectives des intimés (soit la CCDP et le procureur général pour les «intimés représentant le gouvernement») semblent en général très satisfaites de l'exposé des faits de la requérante. Par conséquent, la Cour reproduit certains passages qui faciliteront le récit:
[TRADUCTION] 1. A toutes les époques concernées, la requérante était à l'emploi de la Commission de l'Emploi et de l'Immigra- tion du Canada. A différents moments, elle a occupé le poste d'agence des programmes des autochtones, de superviseur des services d'emploi et de coordonnatrice de l'intégration profes- sionnelle. En raison de son emploi, la requérante était membre de l'unité de négociation représentée par l'Alliance de la Fonc- tion publique du Canada.
2. A toutes les époques concernées, l'emploi de la requérante était régi par les modalités de la convention cadre négociée entre le Conseil du Trésor du Canada et l'Alliance de la Fonc- tion publique du Canada, en vigueur du ler juillet 1988 au 20 juin 1991.
3. Conformément à la convention cadre, la requérante a adhérer au régime de soins dentaires de la Fonction publique. Elle avait aussi le droit d'y inscrire un conjoint, dont un con joint de fait, et des enfants à charge.
4. [La relation familiale avec l'autre femme, (sa partenaire), existe depuis 1983.]
5. Le 13 juillet 1988, la requérante a soumis une formule elle demandait l'inscription de sa partenaire au régime de soins dentaires. La section de la paye et des avantages sociaux d'Em- ploi et Immigration Canada avait déjà accepté de couvrir l'en- fant à charge.
6. Le ou vers le 18 juillet 1988, la requérante a été avisée par la même section que le Conseil du Trésor refusait les avantages du régime de soins dentaires à sa partenaire. On l'a informée que le règlement final de son cas attendrait le résultat de la demande de James Watson, un autre employé à qui on a refusé, pour son partenaire masculin, la couverture sous le même régime de soins dentaires. Dans une lettre du 10 mai 1989, la requérante a demandé une confirmation de l'état de sa demande. La réponse de son employeur est datée du 17 mai 1989.
7. En octobre 1989, la requérante a soumis une réclamation pour les soins dentaires fournis à sa partenaire. Le 19 octobre
1989, elle a été avisée par la Great-West, Compagnie d'Assu- rance-Vie, qui couvre le régime de soins dentaires, qu'en vertu de la définition du terme «conjoint» de la convention cadre, la réclamation pour les soins dentaires fournis à sa partenaire était rejetée, et aucune demande à l'égard de son enfant ne serait à l'avenir accueillie.
8. L'article M-2, paragraphe (M) de la convention cadre, défi- nit ainsi la relation de conjoint de fait:
Il existe des liens de «conjoint de fait» lorsque, pendant une période continue d'au moins une année, un employé-e a cohabité avec une personne du sexe opposé et l'a présentée publiquement comme son conjoint et continue à vivre avec cette personne comme si elle était son conjoint.
9. Le 29 septembre 1989, la requérante a déposé une plainte écrite à la Commission canadienne des droits de la personne, alléguant la discrimination fondée sur le sexe, l'état matrimo nial et la situation de famille.
10. Le 27 novembre 1989, la requérante a de nouveau déposé sa plainte, utilisant les formules courantes requises par la Com mission, elle a nommé, à titre d'intimés: Emploi et Immi gration Canada (CCDP dossier # W06978); le Conseil du Tré- sor du Canada (CCDP dossier # W06974); l'Alliance de la Fonction publique du Canada (CCDP dossier # W06977).
11. Le 3 octobre 1990, la requérante a ajouté l'orientation sexuelle aux motifs de discrimination de sa plainte.
12. Dans une lettre du 26 février 1990, Bob Fagan, agent des droits de la personne de la Commission, a avisé l'avocate de la requérante de la suspension de sa plainte jusqu'à ce que la Cour d'appel fédérale statue dans l'affaire Mossop c. Secréta- riat d'État et Conseil du Trésor (1989), 10 C.H.R.R. D/6064 (Trib. féd.); (1990) 12 C.H.R.R. D/355 (C.A.F.); l'autorisation d'en appeler à la Cour suprême du Canada a été accordée le 25 janvier 1991.
13. Dans une lettre du 7 mars 1990, l'avocate de la requérante s'est opposée à cette suspension.
14. Dans une lettre du 13 mars 1990, Paul Leroux, Directeur de la région de l'Ouest pour la Commission, a indiqué que deux possibilités s'offraient au personnel de la Commission, soit conserver la plainte de la requérante en attendant la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Mossop ou la déférer aux commissaires pour examen.
15. Dans une lettre du 19 mars 1990, l'avocate de la requérante s'est opposée à la suspension de la plainte de celle-ci, en expli- quant que l'issue de l'affaire Mossop ne déciderait pas néces- sairement des réclamations de la requérante puisque celles-ci et celles de Brian Mossop sont tout à fait différentes sous d'im- portants aspects; elle a demandé que la plainte de la requérante soit soumise aux commissaires.
16. Dans une lettre du 4 juin 1990, l'avocate de la requérante a offert un aperçu de l'argumentation juridique appuyant les motifs de discrimination sur lesquels repose la plainte de la requérante, et elle a demandé que cette plainte soit entendue dès que possible.
17-18. [Le jugement de la Cour d'appel fédérale, défavorable à Mossop, a été rendu le 29 juin 1990, mais le 9 octobre 1990, M. Leroux a écrit que la plainte de la requérante serait laissée en suspens jusqu'à ce que la Cour suprême se prononce dans l'affaire Mossop.]
19. Dans une lettre du 22 octobre 1990, l'avocate de la requé- rante s'est opposée à la suspension de la plainte de sa cliente pour le motif que l'arrêt Mossop de la Cour d'appel fédérale ne traitait que de la discrimination fondée sur la situation de famille, alors que la plainte de la requérante est fondée sur trois autres motifs de discrimination non soulevés dans cet arrêt, soit le sexe, l'orientation sexuelle et l'état matrimonial.
20. Dans un rapport d'enquête du 28 novembre 1990, Bob Fagan et Paul Leroux ont recommandé la suspension de la plainte de la requérante. Dans le rapport, on a conclu qu'aucun désaccord ne séparait les parties à l'égard des faits qui ont motivé la plainte. Dans une lettre du 16 avril 1991, Paul Leroux a confirmé qu'il recommanderait aux commissaires de laisser la plainte en suspens.
21. Le 29 mai 1991, dans ses observations écrites à l'intention des commissaires, l'avocate de la requérante a demandé la constitution d'un tribunal et elle s'est opposée à la suspension de la plainte de la requérante. Elle a fourni aux commissaires un aperçu de l'argumentation juridique appuyant les motifs de discrimination sur lesquels repose la plainte.
22. Dans une lettre du 9 juillet 1991, la requérante a été avisée de la suspension de sa plainte par les commissaires jusqu'à ce que la Cour suprême du Canada statue dans l'affaire Mossop. Rien n'indique que les commissaires aient étudié les faits reliés à la plainte de la requérante et le motif de discrimination sur lequel elle repose, dans le contexte du droit applicable.
Le sous-procureur général du Canada nie les allé- gations contenues au paragraphe 22 ci-dessus. Son avocate expose, à la page 3 du dossier de requête des intimés représentant la Couronne, que:
[TRADUCTION] La Commission a étudié le rapport d'enquête portant sur votre plainte ... telle que modifiée, vous allé- guez la discrimination dans le cadre de votre emploi, fondée sur la situation de famille, l'état matrimonial, le sexe et l'orien- tation sexuelle. La Commission a également étudié les obser vations du 29 mai 1991, signées par Shona A. Moore [l'avo- cate de la requérante dans l'affaire de la plainte devant la CCDP].
La Commission a décidé de laisser la plainte en suspens jus- qu'à ce que la Cour suprême du Canada se prononce dans l'af- faire Brian Mossop et le Secrétariat d'État et le Conseil du Tré- sor. Une fois le jugement rendu, l'affaire sera de nouveau soumise à l'examen de la Commission.
L'enquêteur communiquera avec vous bientôt afin de discuter de la question plus amplement.
À l'appui de ces passages, l'avocate cite une lettre du 9 juillet 1991, écrite par Lucie Veillette, secrétaire de la CCDP, à la requérante, pièce «T», annexée à l'affi- davit de Connie Gauvin assermentée à Vancouver le 12 décembre 1991, et l'onglet W, page 000198 du dossier de requête de la requérante.
En outre, à l'égard du paragraphe 21 de la requé- rante, l'auteur néglige quelque peu l'importance de certaines observations contenues dans la lettre. Ainsi, (non souligné dans le texte original), à la page 3 de la lettre du 29 mai 1991, il est écrit (dossier de requête, page 000190):
[TRADUCTION] Par conséquent, la plaignante soutient que la Commission devrait décider de laisser la plainte en suspens à l'égard de la situation de famille jusqu'à la décision finale dans l'affaire Mossop ... la Cour suprême, étant donné la date de cette lettre], mais elle devrait l'entendre immédiatement à l'égard de l'état matrimonial, du sexe et de l'orientation sexuelle.
L'avocate du sous-procureur général, dans son
exposé du droit et dans sa plaidoirie, à la page 12 de la partie III de son dossier de requête, (intimés repré- sentant la Couronne) conteste ainsi les prétentions de la requérante:
[TRADUCTION] 24. Bien que l'«orientation sexuelle» ne soit pas un motif énuméré à l'article 3 de la Loi, la requérante demande à la Commission d'étudier le bien-fondé de sa plainte à l'égard de ce motif. Elle demande également à la Commission d'en étudier le bien-fondé à l'égard du motif de la «situation de famille». Il ressort clairement de sa plainte qu'elle s'appuie sur les articles 9 et 10 de la Loi et que les actes discriminatoires dont elle se plaint visent la situation dans laquelle se trouvent deux personnes qui entretiennent une relation homosexuelle.
25. Nous soutenons que les questions soulevées par la requé- rante ont, de toute évidence, été étudiées par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Mossop et que la décision finale dans cette affaire est évidemment pertinente à l'espèce. En outre, la perti nence de l'affaire Mossop aux circonstances particulières de la situation de la requérante a été reconnue par son avocate dans une lettre du 29 mai 1991. Comme on l'a remarqué précédem- ment, la Commission était au courant de cette constatation lorsqu'elle a laissé la plainte de la requérante en suspens en attendant la décision de la Cour suprême du Canada dans l'af- faire Mossop.
L'article 3 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, telle que modifiée, (ci-après aussi appelée la Loi) est ainsi libellé:
3. (1) Pour l'application de la présente loi, les motifs de dis tinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.
(2) Une distinction fondée sur la grossesse ou l'accouche- ment est réputée être fondée sur le sexe.
Manifestement, l'orientation sexuelle, comme la requérante cherche à la rattacher à sa situation de famille, n'est pas un motif de distinction illicite décrit comme tel à l'article 3 ou ailleurs dans la Loi. Bien qu'il ne soit pas du ressort de cette Cour de rendre un jugement au fond sur la plainte de la requérante, elle doit, en l'occurrence, examiner minutieusement et étudier le comportement de la CCDP dans cette affaire, notamment la raison de ce comportement.
Il semble tout à fait manifeste, ou visible, sans pour autant trancher formellement ce point, que le rejet de la réclamation de la requérante pour les soins dentaires fournis à sa partenaire ne tient pas de son sexe. Après tout, le régime de soins dentaires étant, semble-t-il, offert également aux femmes et aux hommes, le sexe de la requérante n'est pas un motif de la présumée discrimination. De plus, l'état matri monial de la requérante ne semble pas, sans toutefois statuer sur ce point, être la cause de la présumée dis crimination. Suivant les documents déposés pour le compte de la requérante, il apparaît qu'aucun des intimés, dont la Great-West, Compagnie d'Assu- rance-Vie, ne se soucie qu'elle soit célibataire, mariée, veuve, séparée ou divorcée. La requérante est frustrée dans sa réclamation pour les soins dentaires fournis à sa partenaire parce qu'elle affirme que leur orientation sexuelle, lorsqu'elles vivent ensemble, leur confère un statut de famille bien qu'elles ne soient pas, semble-t-il, autrement liées. La requérante et sa partenaire ne sont pas des «conjoints de fait», puisque cette notion exige une relation avec une per- sonne du sexe opposé.
En dépit du fait qu'en l'espèce, l'orientation sexuelle ou l'homosexualité ne fassent pas partie des motifs de distinction illicite de la Loi, l'avocate de la requérante exhorte néanmoins la Cour à annuler la décision de la CCDP de suspendre les procédures dans la cause de la requérante, et à enjoindre à la
Commission de traiter son dossier. La requérante, par l'entremise de son avocate, interprète mal la portée légale du geste de la CCDP. Celle-ci se comporte plus à l'avantage de la requérante que cette dernière ne semble comprendre.
La Commission ne peut, à ce moment-ci, choisir entre suspendre la cause de la requérante ou la traiter: elle ne peut que la suspendre ou la rejeter sur-le- champ. L'orientation sexuelle n'est le motif d'aucune distinction illicite. Pour cette raison, la Commission aurait difficilement pu être convaincue que l'enquête sur cette plainte est justifiée en vertu des sous-alinéas 44(3)a)(1) et (ii) [mod. par L.R.C. (1985) (ler suppl.), ch. 31, art. 64] puisqu'aucun motif de distinction illi- cite n'est allégué. En fait, la Commission aurait très bien pu suspendre l'affaire à une étape précédente, prévue à l'alinéa 41c) de la Loi, pour le motif qu'elle n'était «pas de sa compétence».
Le juge Sopinka de la Cour suprême du Canada décrit cette situation au nom de la majorité dans l'ar- rêt Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) [l'arrêt S.E.P.Q.A.], [1989] 2 R.C.S. 879, aux pages 898 et 899, cité par la requé- rante.
Le paragraphe 36(3) [maintenant le paragraphe 44(3) de la Loi] prévoit deux possibilités sur réception du rapport. La Commission peut adopter le rapport si elle est «convaincue» que la plainte est fondée ou bien rejeter la plainte si elle «est convaincue [ ... ] que la plainte n'est pas fondée». Je présume que, dans l'hypothèse de l'adoption du rapport, un tribunal est alors constitué en vertu de l'art. 39, à moins qu'intervienne un règlement de la plainte. J'arrive à cette conclusion parce qu'aucun autre redressement n'est prévu pour le plaignant à la suite de l'adoption du rapport. Cet aspect de la procédure devant la Commission a été élucidé par des modifications apportées à la Loi (S.C. 1985, chap. 26, art. 69). La version actuelle du par. 36(3) se trouve au par. 44(3) des L.R.C. (1985), chap. H-6 (modifié par chap. 31 (1e 1 supp.), art. 64) qui dispose que, sur réception du rapport de l'enquêteur, la Com mission peut demander la constitution d'un tribunal si elle est convaincue que, compte tenu des circonstances, l'examen de la plainte est justifié.
L'autre possibilité est le rejet de la plainte. [Non souligné dans le texte original.]
Certes, probablement qu'un tribunal sera constitué si l'arrêt Mossop se montre suffisamment favorable à une interprétation de la Loi qui inclurait l'«orienta-
tion sexuelle» comme motif de distinction illicite pour que la CCDP s'y range; et, probablement qu'un tribunal ne sera pas constitué si cet arrêt tranche dans un autre sens. Aucun lien rationnel ne relie l'espèce aux circonstances de l'arrêt R. c. Askov, [ 1990] 2 R.C.S. 1199.
La CCDP se comporte-t-elle injustement envers la requérante en laissant subsister sa plainte alors qu'elle aurait bien pu la rejeter? Sûrement pas, car la Commission n'est pas tenue par la loi d'agir avec célérité en optant pour la première possibilité men- tionnée par le juge Sopinka. En fait, il est tout à fait remarquable qu'en imposant ces possibilités, le Parle- ment prévoit, à l'alinéa 44(3)b) [mod., idem], que la Commission «rejette la plainte» dans les circons- tances décrites, alors qu'à l'alinéa 44(3)a), il prévoit que la Commission «peut demander au président du Comité ... de constituer ... un tribunal». Pour cette Cour, ces dispositions dissemblables signifient que si, par exemple, conformément à l'alinéa 41c), la CCDP conclut qu'elle n'est pas compétente, elle doit rejeter la plainte sur-le-champ, et elle ne peut agir autrement en droit. Toutefois, si la CCDP conclut que la plainte est justifiée, elle peut demander la constitution d'un tribunal «en application de l'article 49 [mod., idem, art. 66]», qui prévoit que la CCDP peut, «à toute étape postérieure au dépôt de la plainte, [présenter cette demande] . ..» [soulignements ajoutés]. Pour emprunter les termes du juge Sopinka dans l'arrêt S.E.P.Q.A., l'on «présume ... qu'un tribunal est alors constitué», mais pas nécessairement sur-le-champ, puisque l'expression «peut, à toute étape» du para- graphe 49(1) paraît conférer à la CCDP le pouvoir de décider du moment (mais toujours dans des limites raisonnables) on demandera effectivement la constitution d'un tribunal. L'autre possibilité, comme le juge l'a conclu au nom de la majorité dans l'arrêt S.E.P.Q.A., «est le rejet de la plainte». On ne peut déceler aucune injustice de la part de la CCDP à l'en- droit de la requérante.
On pourrait penser que la requérante, plutôt que «griffer» la main qui conserve vie à sa plainte, ne (pour ajouter une métaphore féline) réveillerait pas le chat qui dort.
Ce qui précède n'est pas la position de la requé- rante, par l'entremise des observations de son avo-
cate. En toute justice pour la requérante, il n'est pas déraisonnable de reproduire les passages pertinents de l'exposé des faits et du droit de son dossier de requête. La Cour se contente de noter, sans la blâmer nécessairement, la nature polémique des observa tions, qui ne laissent aucun doute sur l'opinion de l'auteur. À partir de la page 000203:
[rnnoucrtoN] 30. Nous soumettons que le sexe est le fait d'être une femme ou un homme dans une société donnée, et que la sexualité est l'une des dimensions sociales importantes du sexe.
31. L'hétérosexualité est l'orientation ou l'identité sexuelle tra- ditionnelle dans le contexte social de l'inégalité des sexes. Par conséquent, en vertu du rôle traditionnel des sexes, les femmes doivent notamment être socialement et sexuellement soumises aux hommes seulement. L'homosexualité, le lesbianisme en particulier, remet en question à la fois l'hétérosexualité comme institution particulière et les rôles sociaux, sexués et inégaux, sur lesquels elle repose.
32. La discrimination fondée sur l'orientation ou l'identité sexuelle lesbienne est une discrimination fondée sur le sexe. Dans son sens le plus simple, l'homosexuel(le) victime de dis crimination en raison de son homosexualité est victime de dis crimination fondée sur le sexe: n'était-ce de son sexe, ou de celui de sa préférence sexuelle ou de son partenaire, il(elle) ne serait pas traité(e) ainsi. Dans un sens plus profond, l'orienta- tion ou l'identité sexuelle lesbienne, en particulier, remet en question une institution fondée sur le sexe—l'hétérosexualité —qui, au moyen de certaines de ses normes et pratiques, offre un véhicule important à l'inégalité entre les hommes et les femmes. Refuser au moyen de la loi des droits et des possibi- lités aux homosexuels parce qu'ils violent les normes de l'iné- galité des sexes, c'est consacrer légalement cette inégalité, contrairement à l'article 15 de la Charte.
33. Non seulement la discrimination fondée sur l'orientation ou l'identité sexuelle lesbienne constitue-t-elle une discrimina tion fondée sur le sexe, selon une certaine jurisprudence elle serait un motif analogue ou illicite de discrimination prévu à l'article 15 de la Charte.
Knodel v. AGBC (30 août 1991), inédit, C.S.C.-B., Vancou- ver, de greffe A893414
Haig and Birch v. The Queen (1992) 5 O.R. (3d) 245 Veysey c. Service correctionnel du Canada (1989) 29 F.T.R. 74 (C.F. Ire inst.)
Veysey c. Service correctionnel du Canada (1990) 109 N.R. 300 (C.A.F.)
34. À cet égard, l'absence de l'orientation sexuelle de la liste des motifs illicites à l'article 3 de la Lai canadienne sur les droits de la personne, qui, en droit, rend légitime la discrimina tion à l'endroit des lesbiennes, est contraire à l'article 15 de la Charte.
Haig and Birch v. The Queen (1992) 5 O.R. (3d) 245
35. En outre, nous alléguons que le refus des soins dentaires à la partenaire de la requérante, fondé sur une définition restric-
tive du terme «conjoint», constitue une discrimination fondée sur l'état matrimonial.
Schapp. c. Canada (Forces armées canadiennes) (1990) 12 C.H.R.R. D/451 (C.A.F.)
36. À l'égard du motif de la situation de famille, la requérante soutient que le fait de rendre le droit à des avantages, tels que les soins dentaires, conditionnel au respect d'une conception étroite et de plus en plus anachronique de la famille, constitue une discrimination fondée sur la situation de famille. Cette injustice favorise les employés hétérosexuels, alors qu'elle pénalise les employées qui entretiennent des relations les- biennes et leurs enfants.
37. Le tribunal administratif qui a reçu le pouvoir d'interpréter une loi détient le pouvoir concomitant de déterminer la consti- tutionnalité de cette loi.
Cuddy Chicks c. Ontario (Commission des relations de tra vail) (1991), 81 D.L.R. (4th) 121 (C.S.C.)
38. Une législation sélective peut être élargie, conformément à l'article 24 de la Charte, lorsqu'il est approprié et juste. de le faire et lorsque le droit positif à l'égalité doit être garanti par une réparation positive.
Schachter c. Canada (1990), 66 D.L.R. (4th) 635 (C.A.F.)
L'arrêt Knodel [Knodel v. British Columbia (Medi- cal Services Commission), [1991] 6 W.W.R. 728 (C.S.C.-B.)], mentionné dans les passages reproduits précédemment, a été étudié et finalement rejeté par le juge Martin de cette Cour dans l'arrêt Egan c. Canada, [1992] 1 C.F. 687 (1 re inst.). Il a conclu la page 705], comme cette Cour, et pour les mêmes motifs, que le refus des avantages dont bénéficient les conjoints aux couples ayant choisi de vivre une rela tion homosexuelle «ne porte pas atteinte aux droits
que garantit aux demandeurs le paragraphe 15(1) [de la Charte] ni en raison de leur sexe ni en raison de leurs tendances sexuelles».
On peut se demander pourquoi cette Cour étudie ce qu'on a décidé dans les arrêts Knodel et Egan, alors que ces considérations, en l'occurrence, sont plus près des délibérations de la CCDP ou d'un tribunal. En fait, on demande à la Cour d'élargir la portée de ce que la requérante considère être une loi sélective, en concluant que, en dépit de l'absence de l'orienta- tion sexuelle de l'article 3 de la Loi, il faut enjoindre à la Commission de constituer un tribunal dès main- tenant, même si, en l'occurrence, cette compétence ne lui appartient pas. À l'audition, l'avocate de la requérante a indiqué ceci:
[TRADUCTION] ... la mesure dans laquelle les tribunaux et, en fait, les cours ... peuvent, si vous voulez, remédier à une législation sélective de façon à la rendre conforme à la Charte, pour exercer ce que la jurisprudence américaine qualifie de réparation par extension, demeure quelque peu indécise.
L'arrêt Schachter de la Cour suprême ... qui porte sur le caractère sélectif des avantages offerts par l'assurance-chô- mage, sera important sur ce point. Il pose cette question même, soit celle du pouvoir de donner de l'extension. [Transcription, pages 39 et 40.]
Dans l'arrêt Schachter, on a reconnu qu'un tribunal peut donner de l'extension à une loi, conformément à l'article 24, lorsqu'il est approprié et juste de le faire.
Si la présente affaire était soumise à un tribunal, ... , l'avo- cate de la requérante aurait à sa disposition, et souhaiterait faire valoir, divers moyens portant sur l'interaction entre la Charte et les lois sur les droits de la personne. Elle pourrait notam- ment prétendre que si le tribunal a le pouvoir de reconnaître et de déclarer que sa loi est sélective parce qu'elle n'inclut pas expressément l'orientation sexuelle au nombre des motifs de discrimination sans toutefois avoir le pouvoir d'inclure ce motif, il peut néanmoins et, en fait, en vertu de l'interprétation statutaire, il doit étendre ou accorder aux homosexuel(le)s le même bénéfice des motifs qui figurent dans la Loi. [Transcrip- tion, pages 41 et 42.]
Ces questions visent la recherche de la meilleure garantie des droits de la femme et des minorités dans le contexte d'un cadre démocratique dans lequel on accorde beaucoup de valeur aux décisions prises par la majorité.
J'alléguerais que la question en cause, une Commission, tou- tefois, la façon dont cette question sera tranchée finalement par la Cour suprême du Canada est-elle ambiguë? Car il est évi- dent que la jurisprudence portant sur la Charte et sur les droits de la personne évolue à un rythme très rapide depuis les dix dernières années, phénomène qui se maintiendra encore longtemps. [Non souligné dans le texte original.] [Transcrip- tion, page 43.]
Ce dialogue des plus fascinants (puisqu'il s'agit d'un dialogue) avec l'avocate ne serait pas très perti nent aux questions en litige si ce n'était de deux con- sidérations. En premier lieu, malgré sa plaidoirie brève et intelligente, l'avocate n'a pas convaincu cette Cour que la CCDP doit, sans délai, déférer à un tribunal la plainte douteuse de la requérante. En deuxième lieu, comme on l'a mentionné précédem- ment, l'avocate prie la Cour d'enjoindre à la CCDP de demander à un tribunal d'enquêter sur une plainte mettant en cause une orientation sexuelle, alors que ce motif n'est pas mentionné à la Loi. Si la Cour accédait à cette demande, elle se trouverait à légiférer
à la place du Parlement. La Loi est peut-être sélec- tive, mais le Parlement ne paraît pas l'avoir considé- rée telle.
Une société démocratique suppose le gouverne- ment populaire, c'est-à-dire, lorsque la population est importante et le territoire immense, le gouvernement par la majorité des représentants élus par la popula tion. Aussi, qu'un juge non élu ajoute à une loi un élément que le Parlement a refusé d'y inclure repré- sente donc un geste législatif contraire aux principes démocratiques et à la volonté de la majorité. Il est à tout le moins différent, du point de vue notionnel, de déclarer une loi déjà adoptée contraire aux valeurs et aux impératifs constitutionnels qui ont à l'origine été mis en place par le législateur parlementaire. Il con- vient de se rappeler les termes du juge Lamer (main- tenant juge en chef du Canada) qui s'est prononcé au nom de la majorité (au sein d'une formation una- nime, quant au résultat) de la Cour suprême du Canada dans Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486, la page 497:
Il ne faut pas oublier que la décision historique d'enchâsser la Charte dans notre Constitution a été prise non pas par les tribu- naux, mais par les représentants élus de la population cana- dienne. Ce sont ces représentants qui ont étendu la portée des décisions constitutionnelles et confié aux tribunaux cette res- ponsabilité à la fois nouvelle et lourde. On doit aborder les décisions en vertu de la Charte en se libérant de tout doute qui peut subsister quant à leur légitimité.
La Cour peut légitimement décider qu'une loi fon- dée sur une politique, «inventée» et adoptée par le Parlement, entre en conflit avec les valeurs et les impératifs constitutionnels; mais il en est autrement si la Cour elle-même invente une disposition législative non adoptée par le Parlement afin de servir les fins politiques recherchées par les plaideurs, vraisembla- blement dans l'espoir de respecter des valeurs et des impératifs constitutionnels. Ce geste fait fi du pou- voir législatif, non seulement en usurpant le choix politique du contenu de la loi, mais aussi en suppri- mant effectivement le choix du législateur de modi fier ou d'abroger de nouvelles lois qui, constitution- nellement, et par la décision d'une magistrature non élue, couvrent toutes les situations, comme si la Constitution l'exigeait. Il en serait ainsi fait du prin- cipe du gouvernement par la majorité et de la législa- ture.
La société devrait être régie par des lois, et non simplement par des juges. Tout le monde sait, et la Cour en tient compte, que la société canadienne est profondément partagée sur la question de l'homo- sexualité, le cours et la direction de l'orientation sexuelle de la requérante. Certains considèrent ferme- ment une telle orientation sexuelle comme un sacri- lège scandaleux et une perversité irrachetable, alors que d'autres la jugent moralement neutre et normale. Aux yeux de certains, on ne devrait pas lui accorder une reconnaissance ou un statut en droit parce que cela semble légitimer un exemple malsain pour la jeunesse influençable: on la voit toujours comme un des germes obscènes de la décadence sociale, même si elle n'est plus criminelle depuis deux décennies seulement. Pour d'autres, une telle orientation sexuelle est l'expression d'une préférence sexuelle, sinon d'une tendance immuable; et, à l'égard de la protection juridique, les unions homosexuelles ont le même statut social que les unions hétérosexuelles, unités familiales normales et fondamentales de la société. Pour la plupart, le Parlement a, à juste titre, décriminalisé l'homosexualité, mais pour certains, il serait erroné de lui accorder une place égale à l'hété- rosexualité; pour d'autres, elle possède déjà un statut égal tant dans la nature que parmi les êtres humains, et elle doit être reconnue comme telle en droit.
Ces faits notoires démontrent bien qu'il s'agit d'une question à l'égard de laquelle il conviendrait mal aux tribunaux de prétendre légiférer. Il ne sied pas à la Cour d'agir à titre d'enquêteur péripatétique. Manifestement, toute prise de position en droit doit être maintenue ou consacrée par la législature (non pas la magistrature), conformément aux impératifs démocratiques de la Constitution. À l'égard des impératifs de la démocratie par la volonté de la majo- rité, la situation de la requérante est, du point de vue constitutionnel, tout à fait semblable à celle du demandeur dans l'arrêt O'Sullivan c. Canada, [ 1992] 1 C.F. 522 (ire inst.), telle que démontrée aux pages 539 et 540, et 544 à 548. Sans doute un soupçon d'activisme judiciaire a-t-il sa place dans notre société en vertu de la primauté du droit. Toutefois, lorsqu'il s'agit d'alimenter cet activisme en créant des droits nouveaux et très controversés, même par analogie avec des droits existants, la Cour doit évi- demment éviter de s'arroger des fonctions législa- tives. Dans notre pays de suffrage universel adulte, il
appartient à l'élément démocratiquement élu de la législature de dissiper la controverse. En fait, dans le contexte du système contradictoire de la jurispru dence, les positions adoptées par les plaideurs tendent irrémédiablement à se durcir. Le «dernier recours» apparent qu'est le litige s'oppose nettement aux pro- cédures non contentieuses, dont les négociations menées à l'extérieur des tribunaux permettent à une société libre et démocratique de profiter de la pers pective de l'évolution des mentalités. À maintes reprises au cours du siècle, la hâte à modifier l'allure des législatures démocratiquement élues n'a conduit qu'à la tyrannie et la violence, et non à la primauté du droit.
À ce moment-ci, les plaidoiries sont soumises à la Cour suprême. Constitutionnellement suprême, elle peut, dans sa sagesse, choisir de légiférer ou non sur l'orientation sexuelle. Jusqu'à ce que la décision de la Cour suprême soit rendue, le présent juge préfère laisser tout geste législatif à la législature, c'est-à-dire au Parlement.
En conséquence, la Cour, dans les présentes demandes de redressement discrétionnaire, n'annu- lera pas la décision de la CCDP ni n'ordonnera à celle-ci de traiter le dossier de la requérante comme si l'«orientation sexuelle» ou la «situation de famille» fondée sur l'orientation homosexuelle particulière de la requérante et de sa partenaire avait été insérée par le Parlement dans la Loi. Les règles d'application du mandamus énoncées par la Section d'appel de cette Cour dans l'arrêt O'Grady c. Whyte, [1983] 1 C.F. 719, demeurent applicables. La requête, à l'égard de tous les motifs exprimés, sera rejetée avec les frais entre parties en faveur seulement des intimés repré- sentant la Couronne, si l'un ou l'autre d'eux les demandent.
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