Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A-312-90
Division Shur Gain, Canada Packers Inc. (requérante)
c.
Le Syndicat national des travailleurs et travailleuses de l'automobile, de l'aérospatiale et de l'outillage agricole du Canada (TCA -Canada) (intimé)
RÉPERTORIÉ.' DIVISION SHUR GAIN, CANADA l'ACIERS INC. C. SYNDICAT NATIONAL DES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DE L'AUTOMOBILE, DE L'AÉROSPATIALE ET DE L'OUTILLAGE AGRICOLE DU CANADA (C.A.)
Cour d'appel, juges Pratte, Stone et Desjardins, J.C.A.—Halifax, 21 mai; Ottawa, 3 octobre 1991.
Droit constitutionnel Partage des pouvoirs Relations du travail Il échet d'examiner si une usine d'aliments pour les animaux en Nouvelle-Écosse relève de la compétence du CCRT Examen de la jurisprudence et de la doctrine sur l'art. 92(10) de la Loi constitutionnelle de 1867 Distinction entre «ouvrage» et «entreprise» Il échet d'examiner si les entreprises exploitées dans un ouvrage fédéral sont soumises à l'application du Code Analyse détaillée de la Loi sur la Commission canadienne du blé Il échet d'examiner si l'art. 2h) du Code canadien du travail est inconstitutionnel à l'égard des «entreprises» La compétence législative fédérale sur les ouvrages embrasse leur construction, réparation, modification et gestion Le Parlement a le pouvoir de légiférer à l'égard des relations du travail dans une entreprise ayant pour seule raison d'être d'exploiter un ouvrage fédéral.
Relations du travail Demande, fondée sur l'art. 28, de révision de la décision par laquelle le CCRT a accrédité le syndicat pour représenter des travailleurs d'une fabrique d'aliments pour les animaux en Nouvelle-Écosse Il échet d'examiner si le Conseil a excédé sa compétence Il échet d'examiner si l'usine est un ouvrage déclaré à l'avantage général du Canada sous le régime de l'art. 76 de la Loi sur la Commission canadienne du blé Il échet d'examiner si les relations du travail dans cette usine relèvent de la compétence fédérale Il échet d'examiner si la Loi s'applique à l'en- semble du Canada La moitié des immobilisations de la nou- velle usine est consacrée à la production d'aliments pour pois- sons Les aliments pour poissons ne contiennent pas de grain Il échet d'examiner si l'usine est davantage une fabrique d'aliments pour poissons, qui échappe à l'application de la Loi La Cour est liée par la conclusion du Conseil que l'utilisa- tion première et effective de l'usine est la production d'ali- ments pour le bétail Il échet d'examiner si l'art. 2h) du Code canadien du travail est inconstitutionnel à l'égard des «entreprises» Le travail des employés en cause est directe- ment et étroitement lié à l'exploitation d'un ouvrage fédéral Les employés de la requérante qui ne s'occupent pas directe-
ment de l'exploitation de l'usine demeurent sous contrôle pro vincial.
Demande, introduite en application de l'article 28, de révi- sion et d'annulation d'une décision par laquelle le Conseil canadien des relations du travail a accrédité l'intimé comme l'agent négociateur de dix-sept employés qui s'occupent direc- tement de l'exploitation de l'usine de la requérante à Truro, en Nouvelle-Écosse.
Cette usine produit des aliments pour animaux et additifs à partir de céréales et autres. Le grain provient de l'Ontario et de l'Ouest. Les aliments pour le bétail constituent à l'heure actuelle le principal produit de l'usine, mais la production des aliments destinés à l'aquaculture est en pleine croissance. À la nouvelle usine de Shur Gain à Truro, la moitié des immobilisa- tions est consacrée à la production des aliments pour poissons. Les aliments pour le bétail contiennent 65 p. 100 de grain, et les additifs, 5 p. 100; les aliments pour poissons n'en contien- nent pas. Le Conseil a conclu que par application de l'article 76 de la Loi sur la Commission canadienne du blé, l'usine est un ouvrage fédéral soumis à sa compétence pour ce qui est des relations du travail. La requérante soutient que son usine n'est pas une fabrique d'aliments pour les animaux et que la Loi s'applique uniquement aux installations de l'Ouest.
Arrêt: la demande devrait être rejetée.
Le juge Desjardins, J.C.A.: L'article 76 de la Loi sur la Commission canadienne du blé déclare toutes les fabriques d'aliments pour les animaux des ouvrages à l'avantage général du Canada. Selon le paragraphe 8(1) de la Loi d'interprétation, tout texte s'applique, sauf disposition contraire expresse, à l'ensemble du Canada. Si les parties Il, I11, V et VI (partielle- ment) sont expressément limitées à la «région désignée» de l'Ouest, l'article 76 n'est pas soumis à pareille limitation. Bien que «fabrique d'aliments pour les animaux» ne soit pas définie par la Loi, le Conseil a correctement interprété cette expression comme signifiant toute usine du grain est transformé en ali- ment pour les animaux, et il a correctement appliqué le facteur déterminant de l'utilisation première et effective de l'installa- tion, au lieu de sa destination initiale. L'usine est donc un ouvrage déclaré à l'avantage général du Canada au sens de l'alinéa 92(10)c) de la Loi constitutionnelle de 1867.
La compétence fédérale, telle que la prévoit l'alinéa 92(10)a) à l'égard des «entreprises» s'étendant au-delà des limites d'une province, ne s'applique pas aux ouvrages. L'ali- néa 2h) du Code canadien du travail est inconstitutionnel dans la mesure il vise les entreprises déclarées à l'avantage géné- ral du Canada. L'arrêt Commission du Salaire Minimum v. Bell Telephone Company of Canada, qui portait sur les conditions de travail dans une entreprise, ne s'applique pas en l'espèce. Le pouvoir du Parlement de s'attribuer la compétence législa- tive exclusive sur un ouvrage qui serait resté autrement sous contrôle provincial est un pouvoir exceptionnel. Le Conseil a conclu à tort que compétence fédérale sur un ouvrage signifie aussi compétence sur l'entreprise qui exploite cet ouvrage; cette compétence embrasse cependant la gestion de l'ouvrage lui-même ainsi que les conditions de travail de ceux qui s'oc-
cupent directement de son exploitation. Cette conclusion a pour effet de balkaniser les relations du travail au sein de l'en- treprise de Shur Gain, ses autres employés étant soumis à la compétence provinciale.
Le juge Pratte, J.C.A. (aux motifs duquel souscrit le juge Stone, J.C.A.): La plupart des dispositions de la Loi s'appli- quent à l'ensemble du pays soit d'emblée soit par extension. Selon la jurisprudence de cette Cour, le Parlement a compé- tence pour légiférer à l'égard des relations du travail entre l'en- treprise qui exploite un ouvrage fédéral et ceux de ses employés dont les fonctions sont étroitement liées à l'exploita- tion de cet ouvrage.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Acte à l'effet d'amender l'acte constitutif de la Compa- gnie Canadienne de Téléphone Bell, S.C. 1882, chap. 95.
Acte à l'effet d'incorporer la Compagnie Canadienne de Téléphone Bell, S.C. 1880, chap. 67.
Code canadien du travail, L.R.C. (1985), chap. L-2, art. 2h), 4, 22.
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 91(29), 92(10)a),b),c), 92A(1)c) (édictée par la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi, de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appen- dice II, no 44], art. 50).
Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), chap. I-21.
Loi modifiant la Loi sur les chemins de fer, L.C. 1990, chap. 6.
Loi sur Bell Canada, L.C. 1987, chap. 19, art. 2, 5.
Loi sur la Commission canadienne du blé, L.R.C. (1985), chap. C-24, art. 2 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), chap. 38 , art. 1), 3, 5, 6, 20(1), 23, 24, 25 (mod. idem, art. 7), 26, 28j), 30, 32, 33, 34, 35, 40, 45, 47, 48(2), 76.
Loi sur le contrôle de l'énergie atomique, L.R.C. (1985), chap. A-16, art. 18.
Loi sur le salaire minimum, S.R.Q. 1941, chap. 164. Loi sur les Chemins de fer nationaux du Canada, L.R.C. (1985), chap. C-19, art. 18.
Loi sur les grains du Canada, L.R.C. (1985), chap. G-10, art. 2 (mod. par L.R.C. (1985) (4° suppl.), chap. 37, art. I), 3 (mod. idem, art. 2), 13, 55, 121(1).
Loi sur les relations de travail, L.R.O. 1980, chap. 228. Règlement sur la liste des installations de la région de l'Est, DORS/89-319.
JURISPRUDENCE
DÉCISION NON SUIVIE:
Burns c. Cie du trust national Ltée, Montréal 500-09- 000728-857, 500-09-000731-851, juges Monet, Vallerant et Baudoin, jugement en date du 10-7-90, C.A. Qc, encore inédit.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Commission du Salaire Minimum v. Bell Telephone Com pany of Canada, [1966] R.C.S. 767; (1966), 59 D.L.R. (2d) 145; Bell Canada c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail), [1988] 1 R.C.S. 749; (1988), 51 D.L.R. (4th) 161; 85 N.R. 295; 15 Q.A.C. 217.
DECISIONS EXAMINÉES:
Cargill Grain Co. c. Canada (Conseil des relations du travail), [1990] 1 C.F. 511; (1989), 63 D.L.R. (4th) 174; 89 CLLC 14,053; 105 N.R. 1 (C.A.); Central Western Railway Corp. c. T.U.T., [1989] 2 C.F. 186; (1988), 47 D.L.R. (4th) 161; (1988), 84 N.R. 321 (C.A.); Travail- leurs unis des transports c. Central Western Railway Corp., [1990] 3 R.C.S. 1112; (1990), 76 D.L.R. (4th) 1; 91 CLLC 14,006; 119 N.R. 1; Ontario Hydro v. Ontario (Labour Relations Board) (1991), I O.R. (3d) 737; (1991), 77 D.L.R. (4th) 277; 91 CLLC 14,014; 43 O.A.C. 184; [1991] OLRB Rep. 115 (C.A.); Reference re Waters and Water-Powers, [1929] R.C.S. 200; [1929] 2 D.L.R. 481; C.S.P. Foods Ltd. c. Le conseil canadien des rela tions du travail, [1979] 2 C.F. 23; (1978), 25 N.R. 91 (C.A.).
DECISIONS CITÉES:
Maple Leaf Mills Ltd.; Master Feeds Branch, London, Ont. Re, [1974] OLRB Rep. 797; The Queen v. Thumlert (1959), 20 D.L.R. (2d) 335; (1959), 28 W.W.R. 481 (C.A. Alb.); Jorgenson c. Procureur général du Canada, [1971] R.C.S. 725; (1971), 18 D.L.R. (3d) 297; [1971] 3 W.W.R. 149; 3 C.C.C. (2d) 49; Chamney c. La Reine, [1975] 2 R.C.S. 151; (1973), 40 D.L.R. (3d) 146; [1974] 1 W.W.R. 493; 13 C.C.C. (2d) 465; Cie du trust national Ltée c. Burns, [1985] C.S. 1286 (Que.); N.V. Bocimar S.A. c. Century Insurance Co. of Canada, [1987] I R.C.S. 1247; (1987), 39 D.L.R. (4th) 465; 22 C.C.L.1. 51; 17 C.P.C. (2d) 204; 76 N.R. 212; Attorney-General for Ontario v. Winner, [1954] A.C. 541; [1954] 4 D.L.R. 657 (P.C.); Let ter Carrier's Union of Canada c. Syndicat des postiers du Canada et autre, [1975] 1 R.C.S. 178; (1973), 40 D.L.R. (3d) 105; [1974] 1 W.W.R. 452; 73 CLLC 14,190; Mon- treal City v. Montreal Street Railway Company, [1912] A.C. 333 (P.C.); In re Regulation and Control of Radio Communication in Canada, [1932] A.C. 304 (P.C.); Re Alltrans Express Ltd. and Workers' Compensation Board of British Columbia (1983), 149 D.L.R. (3d) 385; [1983] 6 W.W.R. 372; 28 B.C.L.R. (2d) 304 (C.A.C.-B.); inf. Re Alltrans Express Ltd. and Workers' Compensation Board of British Columbia (1980), 116 D.L.R. (3d) 79; 25 B.C.L.R. 22 (C.S.C.-B.); Alltrans Express Ltd. c. Colom- bie-Britannique (Workers' Compensation Board), [1988] l R.C.S. 897; (1988), 15 Q.A.C. 161; [1988] 4 W.W.R. 385; 28 B.C.L.R. (2d) 312; 85 N.R. 241; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Courtois, [1988] 1 R.C.S. 868; (1988), 15 Q.A.C. 181; 85 N.R. 260; Cana- dian Pacific Railway Company v. Notre Dame de Bonse- cours (Corporation of), [1899] A.C. 367 (P.C.).
DOCTRINE
Finkelstein, N. Laskin's Canadian Constitutional Law, Vol. 1, 5th ed., Toronto: Carswell, 1986.
Fraser, I. H. «Some Comments on Subsection 92(10) of
the Constitution Act, 1867» (1984), 29 McGill L.J. 557. Hogg, Peter W. Constitutional Law of Canada, 2nd ed.,
Toronto: Carswell Co. Ltd., 1985.
Lajoie, Andrée. Le pouvoir déclaratoire du Parlement, Montréal: Presses de l'Université de Montréal, 1969.
AVOCATS:
G. R. P. Moir et Arthur R. Donahoe, c. r., pour la
requérante.
Lewis Gottheil pour l'intimé.
Harold Doherty pour le Conseil canadien des
relations du travail.
PROCUREURS:
Burchell, MacDougall & Gruchy, Truro (Nou- velle-Écosse), pour la requérante.
TCA -Canada, Willowdale (Ontario), pour l'in- timé.
Harold Doherty, Ottawa, pour le Conseil cana- dien des relations du travail.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE DESJARDINS, J.C.A.: Il y a en l'espèce demande, introduite en application de l'article 28 [Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7], de révision et d'annulation d'une ordonnance en date du 10 avril 1990, par laquelle le Conseil canadien des relations du travail a accrédité l'agent négociateur d'un groupe d'employés de Shur Gain, division de Canada Packers Inc., qui travaillent dans une usine d'aliments pour animaux, à Truro (N.-E.). Il échet d'examiner si, par cette décision, le Conseil a excédé sa compétences.
Deux questions se posent plus précisément, savoir si l'usine d'aliments pour animaux de la requérante à Truro (N.-E.) est un ouvrage déclaré à l'avantage général du Canada par application de l'article 76 de la Loi sur la Commission canadienne du blet et, dans
1 Voir Code canadien du travail, L.R.C. (1985), chap. L-2, art. 22; Cargill Grain Co. c. Canada (Conseil des relations du travail), [1990] 1 C.F. 511 (C.A.), à lap. 515, note de bas de p. 1.
2 L.R.C. (1985), chap. C-24.
l'affirmative, si les relations du travail dans cette usine relèvent de la compétence fédérale.
LES FAITS DE LA CAUSE
Le 18 décembre 1989, l'intimé s'est fondé sur l'ar- ticle 24 du Code canadien du travail pour demander au Conseil canadien des relations du travail (le «Con- seil») de l'accréditer comme agent négociateur de dix-sept employés qui s'occupent directement de l'exploitation de l'usine d'aliments pour animaux de Shur Gain à Truro. Ces employés étaient énumérés comme suit 3 :
[TRADUCTION] Tous les employés de la division Shur -Gain de Canada Packers, dont les magasiniers, les manoeuvres, les tra- vailleurs d'usine, l'opérateur de concasseur-broyeuse, le sau- risseur, les préposés à l'entretien, le réceptionnaire-expéditeur, l'opérateur de chariot élévateur, à l'exclusion des employés de magasin et de bureau, des surveillants et du personnel de rang supérieur.
Selon le Conseil, ces employés s'occupaient tous directement de l'exploitation de l'usine d'aliments: il s'agit de commis au centre de service, de broyeurs, de mélangeurs, de mélangeurs d'aliments pour pois- sons, de préposés à l'entretien, de préparateurs de pâtées en boulettes, de manoeuvres et de chefs d'équipe 4 .
Shur Gain est l'une des nombreuses divisions de Canada Packers Inc., qui est une compagnie diversi- fiée avec des entreprises dans toutes les provinces canadiennes: conditionnement d'aliments, conserve- ries, conditionnement de la volaille, produits laitiers, provendes et conditionnement de pommes de terre. Shur Gain exploite dix-neuf usines d'aliments pour animaux au Canada, dont cinq dans les provinces de l'Atlantique, y compris celle qui se trouve à Truro (N. -E.). Chaque usine d'aliments pour animaux est une entité commerciale indépendante qui s'occupe principalement de la fabrication d'aliments pour ani- maux et de leur distribution aux clients dans la pro vince elle est située. Par exemple, les aliments produits à Truro sont vendus aux éleveurs de bétail, dont la majorité, à peu près 80 p. 100, sont établis en Nouvelle-Écosse. Le reste, à peu près 20 p. 100 du total, est envoyé à Terre-Neuve pour y être vendus.
s Dossier d'appel, à la p. 4.
4 Dossier d'appel, à la p. 195.
5 Dossier d'appel, aux p. 35, 36 et 194.
L'usine de Truro produit trois genres d'aliments: les aliments destinés au bétail et à la volaille, l' «ultra- mélange» qui est un mélange spécial d'ingrédients destiné à la production des autres usines d'aliments de Shur Gain dans les provinces de l'Atlantique, et les aliments pour poissons, qui constituent une «affaire en pleine croissance dans la région de l'At- lantique» 6 . L'aquaculture s'est développée et Shur Gain a décidé d'y prendre pied. Les aliments pour poissons, qui ne contiennent pas de céréales, sont destinés aux diverses espèces, dont le saumon, la truite, l'aiglefin et l'omble-chevalier. Ils sont produits dans l'ancienne usine de Shur Gain à Truro, à titre de projet-pilote 7 . À la nouvelle usine de Shur Gain à Truro, qui représente un investissement total de quelque 9 millions de dollars, la moitié des immobili- sations est consacrée à la production des aliments pour bétail et volaille, et la moitié restante à la pro duction des aliments pour poissons 8 . Selon la requé- rante, les aliments pour poissons pourraient devenir le principal produit de l'usine d'aliments de Truro; pour le moment cependant, les principaux produits y sont les aliments pour animaux et pour volaille 9 .
L'usine d'aliments de Truro de Shur Gain achète chaque année quelque 25 000 tonnes métriques de céréales, par l'entremise de courtiers. L'orge, le blé et l'avoine provenant des Prairies en constituent les 75 p. 100, et le maïs de l'Ontario, les 25 p. 100 restants. Une petite quantité d'orge et d'avoine est fournie par les producteurs locaux. La protéine qui est mélangée aux céréales est extraite du soja de l'Ontario, et du canola (graine de colza) provenant de l'Ontario et de l'Ouest. Presque tout le grain de l'Ontario et des pro vinces de l'Ouest est transporté par chemin de fer à l'usine de Truro même. Le grain y est parfois trans porté par camion depuis un silo situé à Halifax (N.-E.), il arrive par bateau de Thunder Bay (Ontario). En outre, quelques chargements de grain local y sont transportés par camion tous les ans.
Lorsque le grain brut arrive à Truro, on le décharge des wagons à l'aide d'un convoyeur à godets dans quatre (4) réservoirs, d'une capacité de huit mille
G Dossier d'appel, à la p. 166.
7 Dossier d'appel, à la p. 169.
8 Dossier d'appel, à la p. 167.
9 Dossier d'appel, à la p. 194.
(8 000) boisseaux chacun. De là, le grain est envoyé dans des tuyaux (alimentation par gravité) aux broyeuses, aux concasseurs, aux aplatisseurs ou aux mélangeuses, selon le produit fabriqué. On ajoute alors des additifs au grain traité pour fabriquer le pro- duit final, sous forme principalement de purée ou de granulés. Le rapport du grain aux additifs est la sui- vante dans les différents produits:
Aliments pour le bétail et pour la volaille 60 %
Ultra-mélange 5 %
Aliments pour poissons 0 %
Shur Gain dispose aussi à l'usine d'aliments pour animaux de Truro d'une boutique de vente au détail des aliments pour animaux domestiques, des vita- mines, des produits vétérinaires et des sacs de pro- vende sont à la disposition de la clientèle locale 1 o.
LA DÉCISION DU CONSEIL
Devant le Conseil, la requérante a soutenu avec force que l'usine d'aliments pour animaux de Truro relevait de la compétence provinciale. De son côté, l'intimé s'est contenté de produire les ordonnances d'accréditation précédemment rendues par le Conseil à l'égard d'autres usines d'aliments pour animaux des provinces de l'Atlantique.
Le Conseil s'est en premier lieu penché sur la question de savoir si la fabrique d'aliments pour ani- maux de la requérante à Truro (N.-É.) était un ouvrage déclaré par la loi à l'avantage général du Canada. Se fondant sur l'arrêt Cargillll de cette Cour, il a conclu que l'article 76 de la Loi sur la Commission canadienne du blé s'appliquait à l'en- semble du territoire canadien et qu'en conséquence, la fabrique d'aliments pour animaux de Shur Gain à Truro (N.-É.) était un ouvrage de cette catégorie 12 . Le Conseil a tiré cette conclusion malgré l'argument avancé par la requérante, à savoir que l'établissement de Truro n'était pas une «fabrique d'aliments pour les animaux» au sens de la Loi sur la Commission cana- dienne du blé. La requérante avait fait valoir que sa diversification, passant des provendes pour le bétail et pour la volaille aux aliments pour poissons qui ne
10 Dossier d'appel, aux p. 194 et 195.
11 Cargill, précité, note 1.
12 Dossier d'appel, aux p. 203 et 204.
contiennent pas de grain, faisait que son entreprise n'avait plus rien du modèle traditionnel de fabrique d'aliments pour animaux. Le Conseil a noté que la Loi sur la Commission canadienne du blé ne définis- sait pas les «fabriques d'aliments pour les animaux», «minoteries», «entrepôts d'aliments pour les ani- maux» ou «stations de nettoiement des semences» visés à son article 76. Il a cependant adopté le critère défini dans l'affaire Maple Leaf Mills Ltd.; Master Feeds Branch, London, Ont. Re par la Commission des relations de travail de l'Ontario pour ce qui était de savoir à quelle fonction [TRADUCTION] «le bâtiment
en question est destiné au premier chef ... » 13 pour conclure 14 :
[TRADUCTION] ... à l'usine d'aliments pour animaux de Truro, Shur -Gain s'occupe principalement de moudre le grain en vue de le mélanger aux aliments pour le bétail et pour la volaille. Il nous semble que c'est le genre d'activité à laquelle songeait le législateur lorsqu'il a fait la déclaration. Nous sommes con- vaincus, compte tenu des faits dont nous avons pris connais- sance, qu'à Truro (N.-É.), Shur -Gain exploite une usine d'ali- ments pour animaux au sens de la Loi sur la CCB.
En ce qui concerne la question de savoir si la com- pétence fédérale sur l'ouvrage s'étendait aux rela tions du travail entre le personnel et la direction de cet ouvrage, le Conseil a fait une analyse minutieuse de l'arrêt Cargill ainsi que de la décision Central
Western Railway Corp. c. T. U. T. 15 de notre Cour, pour conclure 16 :
[TRADUCTION] Il ressort de l'examen des avis exprimés par les divers juges de la Cour fédérale qui ont eu l'occasion de se prononcer à ce sujet que la question des principes sur lesquels il faut se fonder pour déterminer de qui relèvent les relations de travail lorsque des ouvrages sont déclarés être de nature fédérale en vertu de l'alinéa 92(10)c) de la Loi constitution- nelle de 1867 est loin d'être réglée. Tant qu'elle ne le sera pas, il nous semble sage d'interpréter l'article 4 du Code de manière à lui donner un fondement réaliste:
«4. La présente partie s'applique aux employés dans le cadre d'une entreprise fédérale et à leurs syndicats, ainsi qu'à leurs employeurs et aux organisations patronales regroupant ceux- ci.» (C'est nous qui soulignons.)
13 [1974] OLRB Rep. 797, la p. 798.
14 Dossier d'appel, à la p. 204.
15 [1989] 2 C.F. 186 (C.A.). Il y a lieu de noter qu'au moment le Conseil prononça les motifs de sa décision le 9 avril 1990, c'est-à-dire la veille de l'ordonnance portée en appel, la Cour suprême du Canada n'avait pas encore rendu son arrêt Travailleurs unis des transports c. Central Western Railway Corp., [1990] 3 R.C.S. 1112.
16 Dossier d'appel, aux p. 210 à 212.
(En passant, nous remarquons que l'alinéa 2h) du Code parle non seulement d'«ouvrages», mais également d'«entreprises».)
Faire autrement serait remettre en question le pouvoir que le législateur fédéral a toujours exercé à l'égard du secteur céréa- lier, même dans l'Ouest du Canada les déclarations qui ont été faites en vertu de la Loi sur les grains et de la Loi sur la CCB s'appliquent à presque tout le secteur. Ce pouvoir com- prend non seulement la réglementation du transport et du con- ditionnement du grain, mais également la réglementation des relations de travail du secteur. Des exemples de cette compé- tence, qui a été acceptée par le monde de relations de travail dans le secteur céréalier, se trouvent dans les lois de «retour au travail» qui ont été adoptées par le législateur fédéral au cours des dernières années.
Il faudrait que les tribunaux donnent des directives très claires et précises pour que, le Conseil déclare que certaines entrepri- ses du secteur céréalier, ou en fait d'autres secteurs, des ouvrages ont été déclarés être de nature fédérale et qui ont tou- jours été assujettis à la Partie I du Code sur le plan des rela tions de travail, relèvent maintenant de la compétence provin- ciale. À défaut d'une telle directive, et avec tout le respect que nous devons à ceux qui peuvent avoir exprimé une opinion contraire, nous préférons adopter le jugement rendu par la majorité dans l'affaire Central Western, lequel est appuyé par la minorité dans Cargill. Strictement parlant, il semble que les entreprises, ou des divisions d'entreprises probablement identi- fiables, qui exploitent d'une manière continue des ouvrages qui ont été déclarés être des ouvrages fédéraux conformément à l'alinéa 92(10)c) de la Loi constitutionnelle de 1867 sont des «entreprises fédérales» au sens du Code. (Il semble être possi ble de donner une interprétation encore plus large, selon l'avis exprimé par les juges Lacombe et MacGuigan.)
Contrairement à ce qui s'est passé dans l'affaire Cargill, les employés visés n'étaient pas directement affectés à l'ouvrage qui avait fait l'objet de la déclaration, nous avons affaire en l'espèce à des employés qui s'occupent réellement des ouvrages qui ont été déclarés être de nature fédérale en vertu de l'article 76 de la Loi sur la CCB.
L'entreprise en cause, Shur -Gain, une division de Canada Pac kers, s'occupe uniquement de l'exploitation d'usines d'ali- ments pour animaux dans diverses parties du pays. Shur -Gain exploite l'usine de Truro (N.-g.) en tant qu'entreprise distincte de ses autres usines, et ce, d'une manière continue. Nous nous fondons sur le critère établi dans l'affaire Central Western pour conclure que le Conseil a compétence pour réglementer les relations de travail à l'usine que Shur -Gain exploite à Truro (N.-E.). Il instruira donc la demande d'accréditation au fond et les parties seront en temps et lieu informées de la décision qu'il rendra.
Le lendemain, savoir le 10 avril 1990, le Conseil a rendu une ordonnance accréditant l'intimé comme agent négociateur d'une unité comprenant»:
«tous les employés de Shur -Gain, division de Canada Packers Inc., travaillant à l'usine d'aliments pour animaux située à Truro (N.-E.), à l'exclusion des chefs d'équipe et ceux de rang supérieur» I 8 .
LES ARGUMENTS DE PART ET D'AUTRE
La requérante soutient que la déclaration de l'ar- ticle 76 de la Loi sur la Commission canadienne du blé ne s'applique qu'aux entreprises de l'Ouest et à celles qui figurent expressément à l'annexe de cette loi. Ou encore, à titre subsidiaire, que cet article ne s'applique qu'aux usines le grain est transformé en aliments pour animaux. Les mots «les fabriques ou entrepôts d'aliments pour les animaux» ou «feed mill, feed warehouse» figurant à l'article 76 de la, Loi sur la Commission canadienne du blé doivent s'interpré- ter dans leur contexte. Puisque la Loi sur la Commis sion canadienne du blé concerne le grain, elle ne s'applique qu' aux installations le grain est trans formé en aliments pour animaux. La requérante sou- tient qu'en l'espèce, l'usine de Canada Packers Inc. ne tombe pas dans le champ d'application ,de cette loi, puisque la moitié en est destinée à la production des aliments pour poissons qui ne renferment pas de céréales, et l'autre moitié à la production à la fois des aliments pour animaux qui renferment une quantité substantielle de céréales et de l'ultra-mélange, qui n'en contient pratiquement pas.
17 Dossier d'appel, à la p. 215.
18 Le rapport de l'enquêteur comprend l'énumération sui- vante des «postes exclus» ainsi que l'exposé des fonctions du «chef d'équipe» (Dossier d'appel, aux p. 114 et 115):
[TRADUCTION] Postes exclus Nombre
d'employés
directeur 1
teneur de livres 1
préposé à la saisie des données 1
secrétaire 1
surveillant des ventes
commis de vente 3
directeur de la production 1
chef d'équipe 3
Total 12
(Suite à la page suivante)
À titre d'argument constitutionnel, la requérante soutient essentiellement ce qui suit: dans Commission du Salaire Minimum v. Bell Telephone Company of Canada 19 , le juge Martland, rendant le jugement de la Cour, a souligné que les deux mots «ouvrages» et «entreprises» figurant parmi les exceptions du para- graphe 92(10) [Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]] devaient être considérés séparé-
(Suite de la page précédente) Poste de chef d'équipe
Les opinions divergent quant aux attributions du chef d'équipe. Le syndicat demandeur fait valoir que les chefs d'équipe sont connus à l'usine comme «contremaîtres» habilités à embaucher, à renvoyer du personnel, à appliquer des mesures disciplinaires et à exercer les fonctions habituelles de direction. L'employeur réplique qu'ils ne sont investis d'aucun de ces pouvoirs ou attributions, et n'ont que des fonctions de surveillance minimes. Les intéressés se disent eux-mêmes «contre- maîtres». Prière de voir au dossier le mémoire en date du 18 janvier 1990 de l'employeur.
L'enquêteur a interrogé l'un de ces chefs d'é- quipe, M. Wayne Crowe, qui a déclaré qu'ils étaient effectivement habilités à embaucher du personnel. Il fait savoir en fait que l'année der- nière, lorsqu'il s'agissait d'engager un nouvel em ployé, Shur -Gain a fait un appel de candidatures, puis a confié à M. Crowe et à M. George Chestnut une liasse de demandes pour instruction et sélec- tion d'un candidat. Les deux (2) chefs d'équipe ont sélectionné M. Darcy Doucette, qui fut alors engagé par Shur -Gain.
En matière de discipline, M. Crowe fait savoir que les chefs d'équipe peuvent, sans en référer à aucun supérieur, donner et ont effectivement donné des avertissements verbaux aux employés. Cependant, pour ce qui était des mesures de discipline plus ri- goureuses comme la suspension ou le renvoi, les chefs d'équipe rendent compte au directeur, M. Eric Murphy, qui prend alors la mesure discipli- naire qui s'impose. M. Crowe, qui reconnaît qu'il est connu à l'usine comme «contremaître», fait sa- voir qu'il décide le cas échéant des heures supplé- mentaires, avec ou sans autorisation préalable de M. Eric Murphy.
M. Crowe fait savoir qu'outre leurs fonctions de surveillance, les chefs d'équipe travaillent côte à côte avec les autres employés et partagent toutes les tâches de leurs subordonnés.
19 [1966] R.C.S. 767, la p. 772.
ment l'un de l'autre. Le juge Martland fait également observer que les matières relevant des catégories de compétence législative prévues à ce paragraphe débordent les installations par exemple d'un chemin de fer ou d'un réseau téléphonique. Lorsqu'il est question exclusivement d'«ouvrages» et non pas d'«entreprises», la requérante soutient que l'inverse est à peu près irréfragable: la nature fédérale des «ouvrages» ne déborde pas leur structure matérielle. La requérante cite à cet effet Laskin's Canadian Constitutional Law 20 :
[TRADUCTION] Si l'on peut tirer une conclusion quelconque de ce qui a été fait en application de l'alinéa 92(10)c) et de ce qui a été dit à ce sujet, c'est que le fait de déclarer un «ouvrage» à l'avantage général du Canada doit certainement soumettre à la compétence fédérale non seulement l'enveloppe matérielle ou l'installation, mais également l'activité intégrée qui s'y exerce; autrement dit, la déclaration s'applique à l'ou- vrage envisagé sous l'angle fonctionnel: voir R. v. Thumlert, précité.
Voici cependant l'interprétation qu'elle donne de ce passage: l'exemple cité, The Queen v. Thumlert 21 , et les deux arrêts Jorgenson c. Procureur général du Canada 22 et Chamney c. La Reine 23 cités par P. W. Hogg 24 ne jugent pas que compétence fédérale sur un ouvrage signifie compétence fédérale sur toutes les activités qui s'y exercent. Cela eût-il été le cas, il n'y aurait plus aucune distinction entre «ouvrage» et «entreprise». Ces jurisprudences ne font qu'indiquer que la compétence sur un ouvrage s'entend égale- ment du droit de regard sur les destinations possibles de cet ouvrage 25 . L'entreprise elle-même ne tombe pas dans la sphère de compétence fédérale. La requé-
20 N. Finkelstein, Vol. 1, 5e éd. (Toronto: Carswell, 1986), aux p. 628 et 629.
21 (1959), 20 D.L.R. (2d) 335 (C.A. Alb.).
22 [1971] R.C.S. 725.
23 [1975] 2 R.C.S. 151.
24 Constitutional Law of Canada, 2e éd. (Toronto: Carswell, 1985) à la p. 492, on peut lire ce qui suit:
[TRADUCTION] Il a été jugé que ces déclarations suffisent pour autoriser la réglementation fédérale de la livraison, de la réception, de l'entreposage et de la transformation du grain, c'est-à-dire les activités qui s'exercent à l'intérieur ou à proximité des «ouvrages» en question.
25 I. H. Fraser. «Some Comments on Subsection 92(10) of the Constitution Act, 1867» (1984), 29 McGill L.J. 557, la p.
(Suite à la page suivante)
rante s'appuie sur la conclusion tirée par le juge Hugessen, J.C.A. (motifs dissidents) dans Central Western 26 , savoir que «les ouvrages, étant des choses matérielles, n'ont pas de relations de travail». Elle relève en même temps la distinction à faire entre la cause en instance et la conclusion tirée par le juge Marceau, J.C.A., dans la même affaire, savoir qu'il y avait «une distinction fondamentale entre ... une entreprise ... qui se trouve [à] utiliser un tel ouvrage dans l'exercice de ses activités et ... une entreprise ayant pour seule raison d'être d'exploiter cet ouvrage fédéral». Le juge Marceau, J.C.A., conclut qu'en rai- son de sa dimension nationale, «le caractère fédéral de l'ouvrage en question entraîne la compétence fédérale sur tous les aspects essentiels de son exploi tation» 27 . La requérante soutient qu'en l'espèce, on ne peut en dire autant d'une entreprise comme celle de Shur Gain à Truro, dont le produit résulte de diverses opérations: achat et transport des intrants à l'usine (l'ouvrage), transformation des intrants sur place, puis vente et transport du produit jusqu'aux clients. On ne peut dire d'une entreprise de fabrica tion, comme on pourrait dire d'un chemin de fer, que sa seule raison d'être est d'exploiter l'ouvrage. Une entreprise de fabrication se trouve seulement à utili- ser l'ouvrage pour la conduite de ses opérations.
L'intimé réplique au premier point que l'article 76 de la Loi sur la Commission canadienne du blé, cor- rectement interprété, signifie que toutes les minote- ries et fabriques d'aliments pour animaux du Canada sont déclarées d'intérêt national. Et qu'une part sub- stantielle des activités de l'usine de Shur Gain à Truro (N.-É.) étant consacrée à la production d'ali- ments pour animaux, la production d'aliments pour poissons n'est qu'une activité incidente, ce qui fait que cette usine tombe dans le champ d'application de l'article 76 de la Loi sur la Commission canadienne du blé.
(Suite de la page précédente)
587: [TRADUCTION] «La compétence sur un ouvrage comprend forcément un élément de contrôle sur son utilisation, ... elle n'en découle pas».
26 Central Western Railway Corp. c. T.U.T., [1989] 2 C.F. 186, la p. 214.
27 Central Western Railway Corp. c. T.U.T., [1989] 2 C.F. 186, aux p. 204 et 205.
Sur le plan constitutionnel, l'intimé soutient que l'alinéa 92(10)c) de la Loi constitutionnelle de 1867, envisagé à la lumière de l'alinéa 2h) et de l'article 4 du Code canadien du travail, prévoit sauf preuve du contraire que tout ouvrage fédéral, ou les entreprises exercées dans un ouvrage fédéral, sont soumis à l'ap- plication de ce code. Il se fonde sur ce qui est à son avis une vue moderne de l'alinéa 92(10)c), laquelle, dit-il, est basée sur le principe rappelé dans Laskin's Canadian Constitutional Law, savoir que «la déclara- tion s'applique à l'ouvrage envisagé sous l'angle fonctionnel» 28 . Quoi qu'il en soit, soutient-il, l'entre- prise de Shur Gain ne se trouve pas à utiliser l'ou- vrage mais, pour reprendre les termes employés par le juge Marceau, J.C.A., dans Central Western 29 , sa raison d'être est d'exploiter cet ouvrage de façon continue. L'intimé s'appuie également sur les conclu sions du juge Lacombe, J.C.A., dans la même affaire. La ligne de chemin de fer de Central Western étant un ouvrage déclaré à l'avantage général du Canada, le juge Lacombe, J.C.A., a conclu que les employés de la compagnie étant affectés à l'exploitation quoti- dienne et continue d'une entreprise de chemin de fer au moyen d'un ouvrage fédéral, la réglementation de leurs conditions d'emploi faisait partie intégrante de la compétence fédérale exclusive sur une matière s'inscrivant dans la catégorie des sujets visés à l'ali- néa 92(10)c) de la Loi constitutionnelle de 1867 30 .
ANALYSE
Une observation s'impose en tout premier lieu au sujet de la jurisprudence Central Western.
Au moment cette affaire parvint en Cour suprême du Canada 31 , le Parlement avait déjà adopté une loi, rétroactive au ler juillet 1986, pour révoquer toute déclaration fondée sur l'alinéa 92(10)c) à l'égard de Central Western 32 . La question litigieuse qui nous intéresse en l'espèce ne se posait donc plus.
28 Finkelstein, N. Laskin's Canadian Constitutional Law, Vol. 1, 5e éd. (Toronto: Carswell, 1986), la p. 629.
29 Central Western Railway Corp. c. T.U.T., [1989] 2 C.F. 186, la p. 204.
30 Central Western Railway Corp. c. T.U.T., [1989] 2 C.F. 186, à la p. 227.
31 Travailleurs unis des transports c. Central Western Rail way Corp., [1990] 3 R.C.S. 1 1 12.
32 Loi modifiant la Loi sur les chemins de fer, L.C. 1990, chap. 6 [Sanction royale le 29 mars 1990].
Ce qu'il restait à examiner, c'était de savoir, de la législation fédérale ou de la législation provinciale en matière de relations du travail, laquelle s'appliquait à une entreprise exploitant une ligne de chemin de fer qui était entièrement située à l'intérieur de l'Alberta, avait appartenu auparavant à une compagnie natio- nale, mais appartenait maintenant à une compagnie provinciale qui l'exploitait sur une voie ayant quatre pouces de différence avec la voie nationale. Il s'agis- sait de savoir si ce chemin de fer pouvait être consi- déré comme un ouvrage ou une entreprise fédéral au sens de l'alinéa 92(10)a). Par décision majoritaire, la Cour suprême du Canada a répondu par la négative, confirmant ainsi la compétence de la province sur les employés de Central Western. Cette compagnie, qui exploitait une ligne locale, avait toujours servi et ser- vait encore au transport du grain à partir de neuf silos exploités par quatre compagnies céréalières le long
de la voie ferrée. Le Conseil canadien des relations du travail avait conclu à la compétence fédérale sur Central Western, par ce motif que le travail effectué par ses employés faisait partie intégrante de l'exploi- tation des silos situés le long de la voie ferrée. Ces silos étaient considérés comme des entreprises fédé- rales par excellence, en raison d'une déclaration fon- dée sur l'alinéa 92(10)c). Rendant le jugement de la majorité, le juge en chef Dickson a rejeté cette con clusion 33 :
A mon avis, il n'est pas nécessaire de s'attarder sur ce point. Comme l'a fait valoir l'intervenant le procureur général de l'Alberta, les élévateurs ne dépendent pas de l'exploitation sui- vie de Central Western. Les élévateurs servent à la réception, au classement, à la manutention et à l'entreposage du grain mais ne jouent aucun rôle direct dans son transport. On pour- rait en effet avoir recours à d'autres moyens, à des camions par exemple, pour assurer l'acheminement du grain depuis les élé- vateurs, sans que cela nuise à l'utilité des élévateurs se trou- vant le long du chemin de fer. Le lien entre les élévateurs à grain et le chemin de fer Central Western est donc insuffisant pour faire relever celui-ci de la compétence fédérale. [Passages non soulignés dans l'original.]
Devant notre Cour, le litige portait sur les ali- néas 92(10)a) et c) puisque Central Western utilisait une ancienne ligne ferroviaire nationale et toujours déclarée telle. Les juges Marceau, J.C.A., et Lacombe, J.C.A., en concluaient que les employés de la compagnie étaient soumis à l'application du Code
33 Travailleurs unis des transports c. Central Western Rail way Corp., [1990] 3 R.C.S. 1112, à la p. 1143.
canadien du travail. Le juge Hugessen, J.C.A., était d'avis opposé.
Je constate que les faits de la cause Central Wes tern sont différents de ceux de l'affaire en instance. Dans la première, il s'agissait de savoir quel ordre de gouvernement avait compétence sur les relations du travail intéressant tous les employés de la Central Western 34 . C'est dans ce fait qu'il faut voir l'explica- tion des motifs prononcés par les juges saisis. En l'espèce, la demande du syndicat intimé est limité aux employés directement affectés à la production à l'usine d'aliments pour animaux. Il s'agit à mon avis d'une distinction cruciale. Je n'évoquerai donc que très peu l'affaire Central Western dans le présent jugement.
J'examinerai maintenant les deux questions que le Conseil devait résoudre en l'espèce.
1. La portée de la déclaration faite à l'article 76 de la Loi sur la Commission canadienne du blé
Le Conseil note que deux déclarations faites par le législateur fédéral en application de la Loi constitu- tionnelle de 1867 s'appliquent au secteur céréalier du Canada. L'une de ces deux déclarations se trouve dans la Loi sur les grains du Canada 35 , et l'autre dans la Loi sur la Commission canadienne du blé.
La Loi sur les grains du Canada crée la Commis sion canadienne des grains 36 qui a pour mission «de fixer et de faire respecter ... des normes de qualité pour le grain canadien et de régir la manutention des grains au pays afin d'en assurer la fiabilité sur les marchés intérieur et extérieur» 37 . Cette loi divise le Canada en deux régions: la «région de l'Ouest» 38 qui s'entend de «la partie du Canada située à l'ouest du méridien qui coupe la limite est de la ville de Thun der Bay, y compris toute la province du Manitoba», et la «région de l'Est» 39 qui s'entend des «parties du
34 Il y en avait huit, dont le président et le vice-président. Central Western Railway Corp. c. T.U.T., [1989] 2 C.F. 186, à la p. 206.
35 L.R.C. (1985), chap. G-10.
36 Art. 3 de la Loi sur les grains du Canada [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), chap. 37, art. 2].
37 Art. 13 de la Loi sur les grains du Canada.
38 Art. 2 de la Loi sur les grains du Canada.
39 Art. 2 de la Loi sur les grains du Canada.
Canada non visées par la définition de «région de l'Ouest»». Voici la déclaration de l'article 55:
55. (1) Toutes les installations du Canada, actuelles et futures, à l'exception de celles visées aux paragraphes (2) ou (3), constituent, collectivement et séparément, des ouvrages à l'avantage général du Canada.
(2) Les installations actuelles et futures de la région de l'Est, décrites à l'alinéa d) de la définition de «installation» à l'ar- ticle 2, constituent, collectivement et séparément, des ouvrages à l'avantage général du Canada.
(3) Les installations actuelles et futures de la région de l'Est, décrites à l'alinéa e) de la définition de «installation» à l'article 2, constituent, collectivement et séparément, des ouvrages à l'avantage général du Canada.
L'article 121 de la Loi, intitulé «Entrée en vigueur», prévoit ce qui suit:
121. (1) Les alinéas d) et e) de la définition de «installation» à l'article 2 ainsi que les paragraphes 55(2) et (3), ou telle de ces dispositions, entrent en vigueur à la date ou aux dates fixées par proclamation.
Il n'y a eu jusqu'ici aucune proclamation en la matière.
Il s'ensuit que le paragraphe 55(1) de la Loi ne peut être envisagé qu'à la lumière des alinéas a), b) et c) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), chap. 37, art. 1] de la définition du terme «installation» à l'article 2. Les alinéas a) ou b) n'ayant pas application en l'espèce, il nous faut invoquer l'alinéa c) de cet arti cle 2, qui porte:
«installation» ou «silo» Les installations suivantes ... :
c) la partie servant à stocker du grain des établisse- ments de la région de l'Est désignée par règlement d'aplication du paragraphe 116(3).
Les installations de stockage de Shur Gain à Truro ne figurent pas au Règlement sur la liste des installa tions de la région de l'Est 40 , pris en application du paragraphe 116(3) de la Loi sur les grains du
Canada.
Le Conseil a donc conclu à juste titre que le para- graphe 55(1) de la Loi sur les grains du Canada ne s'appliquait pas à l'usine d'aliments pour animaux de Shur Gain à Truro (N.-E.).
40 DORS/89-319, 21 juin 1989.
Il lui fallait donc se tourner vers la Loi sur la Com mission canadienne du blé.
Cette loi crée la Commission canadienne du blé 41 qui a «pour mission d'organiser, dans le cadre du marché interprovincial et de l'exportation, la com mercialisation du grain cultivé au Canada» 42 . Sont compris parmi les grains «le blé, l'avoine, l'orge, le seigle, la graine de lin et la graine de colza» 43 .
La Loi ne divise pas le Canada en deux régions, mais prévoit que certaines de ses parties ne s'appli- quent qu'à une certaine «région désignée», dont voici la définition à l'article 2:
2. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.
«région désignée» La région formée des provinces du Mani- toba, de la Saskatchewan et d'Alberta, des parties de la province de la Colombie-Britannique connues sous les noms de district de Peace River et de régions Cres- ton-Wynndel, ainsi que des régions éventuellement incluses dans cette région en application du para- graphe (3).
Selon le paragraphe 2(3) de la Loi, la Commission peut étendre la région désignée comme suit:
(3) La Commission peut, par ordonnance, inclure dans la région désignée des parties de la province de la Colombie-Bri- tannique—à l'exception du district de Peace River et des régions Creston-Wynndel--et des parties de la province d'On- tario comprises dans la région de l'Ouest.
Il y a eu une certaine confusion quant à la question de savoir si l'application de l'article 76 de cette Loi est limitée à la «région désignée» définie à l'article 2 ou s'étend à l'ensemble du Canada. L'article 76, qui se trouve sous le titre «Déclaration» dans la partie VII intitulée «Dispositions générales» de la Loi, porte:
76. Sans préjudice de la portée générale de toute déclaration faite dans le cadre de la Loi sur les grains du Canada et por- tant que des silos constituent des ouvrages à l'avantage général du Canada, les minoteries, les fabriques ou dépôts d'aliments pour les animaux et les stations de nettoiement des semences, actuels notamment ceux qui figurent à l'annexe et futurs, constituent collectivement et séparément des ouvrages à l'avantage général du Canada.
41 Art. 3 de la Loi sur la Commission canadienne du blé.
42 Art. 5 de la Loi sur la Commission canadienne du blé.
43 Art. 2 de la Loi sur la Commission canadienne du blé [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), chap. 38, art. 1].
Dans Cargill, la majorité de la Cour a adopté l'ana- lyse faite par le juge MacGuigan, J.C.A., qui, bien que prononçant des motifs dissidents sur un autre point, conclut que l'article 76 de la Loi sur la Com mission canadienne du blé visait «dans leur totalité, les minoteries, les fabriques ou entrepôts d'aliments pour les animaux et les stations de nettoiement des semences» situés au Canada 44 . Le juge MacGuigan, J.C.A., a fondé sa conclusion sur l'interprétation de la Loi dans son contexte législatif tel qu'il avait été évoqué par Madame le juge Mailhot (tel était alors son titre) dans Cie du trust national Ltée c. Burns 45 et auquel il souscrivait.
Le juge MacGuigan, J.C.A., note que les divisions territoriales respectivement définies par la Loi sur les grains du Canada et la Loi sur la Commission cana- dienne du blé ne sont pas identiques et que ces deux lois ne portent pas sur des questions analogues et ne sont pas d'interprétation semblable. Même si on tient compte du pouvoir d'extension de la région désignée, que la Commission canadienne du blé tient du para- graphe 2(3) de sa loi organique, cette «région dési- gnée» ne pourrait jamais correspondre à la région de l'Ouest prévue à la Loi sur les grains du Canada, puisque certaines parties de la Colombie-Britannique sont exemptées de cette désignation. Après avoir évoqué l'historique de la législation, le juge MacGui- gan, J.C.A., a tiré cette conclusion 46 :
... entre 1950 et 1971, la Loi sur les grains du Canada s'ap- pliquait à l'ensemble du pays, tout comme la Loi sur la Com mission canadienne du blé. Par la suite, la Loi sur les grains du Canada a été modifiée de façon à viser tous les silos de la région de l'Ouest, quelques-uns de la région des Grands Lacs et les silos de l'Est énumérés à l'annexe II. La Loi sur la Com mission canadienne du blé n'ayant pas été ainsi modifiée, il faut présumer que le Parlement entendait maintenir la large portée de la déclaration antérieure.
Il est vrai que la décision de Madame le juge Mail- hot a été infirmée en appel 47 . Mais, pour les raisons
44 Cargill, précité, à la p. 532.
45 [1985] C.S. 1286 (Que.).
46 Cargill, précité, à la p. 531.
47 Voir Burns c. Cie du trust national bée (10 juillet 1990), Montréal 500-09-000728-857, 500-09-000731-851 (C.A.), juges Monet, Vallerant et Baudoin, encore inédit.
que j'exposerai ci-dessous, je pense que notre Cour a décidé à bon droit dans Cargill.
Il ressort d'une lecture attentive de la Loi sur la Commission canadienne du blé qu'elle comprend six parties. L'article 2 précise que les définitions de la Loi sur les grains du Canada sont incorporées dans la Loi sur la Commission canadienne du blé, excep tion faite de la définition de «silo» qui est propre à cette dernière et qui s'entend également de «fabrique» 48 .
La partie I de la Loi n'est pas limitée à la région désignée à l'article 2 reproduit autre part. Elle porte constitution de la Commission canadienne du blé, personne morale mandataire de Sa Majesté du chef du Canada, avec pour mission d'organiser, dans le cadre du marché interprovincial et de l'exportation, la «commercialisation» du grain cultivé au Canada. Cette commercialisation consiste en l'achat, le stoc- kage, la vente, l'expédition, la manutention du grain, etc 49 . Aux termes du paragraphe 20(1), seuls la Com mission et ses mandataires peuvent exploiter les silos, «sauf disposition contraire de la présente loi».
20. (1) Sauf disposition contraire de la présente loi, seuls la Commission et ses mandataires peuvent exploiter des silos que celle-ci n'a pas, par ordonnance, soustraits à l'application de la présente loi; les silos non soustraits à cette application et qui sont exploités autrement que par la Commission ou l'un de ses mandataires sont réputés l'être en contravention avec la pré- sente loi.
La partie II de la Loi, intitulée «Contrôle des silos et des chemins de fer», ne s'applique, selon son arti-
48 Voici l'art. 2(2) et la définition de «silo» à l'art. 2(1) de la Lai sur la Commission canadienne du blé:
2....
(2) Sauf disposition contraire, les termes de la présente loi s'entendent au sens de la Loi sur les grains du Canada, sauf que, pour les définitions de ces termes figure le mot «silo», celui-ci a le sens que lui donne le paragraphe (1).
2. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la pré- sente loi.
«silo» Ouvrage silo, entrepôt ou fabrique destiné aux grains et déclaré par le Parlement être à l'avantage général du Canada.
49 Art. 6 de la Loi sur la Commission canadienne du blé.
de 23, qu'à la «région désignée» 50 . L'article 24 pré- voit un contrôle strict de la livraison de grains: qua- lité de la personne habilitée à livrer du grain, inscription dans le carnet de livraison ] , quantité de grains livrée en fonction du système de contingente- ment établi par la Commission. Des interdictions rigoureuses sont prévues à l'égard du personnel des chemins de fer dans la manutention du grain 52 . L'ar- ticle 30 prévoit l'extension possible du champ d'ap- plication de la partie II 53 en investissant le gouver- neur en conseil du pouvoir de l'appliquer, par voie de règlement, au grain produit dans une région du Canada qui se trouve à l'extérieur de la région dési- gnée et aux producteurs de ce grain. Ce pouvoir n'a cependant pas été exercé jusqu'à ce jour. La partie III, intitulée «Organisation du marché interprovincial et de l'exportation du blé», est limitée à la région désignée 54 . Le paragraphe 40(1) prévoit que le gou- verneur en conseil peut étendre l'application de la partie III au blé produit dans une région du Canada se trouvant à l'extérieur de la zone désignée 55 . Aucun règlement n'a été pris non plus pour l'application de cette disposition. La partie IV, intitulée «Réglementa- tion du commerce interprovincial ou de l'exportation du blé», n'est pas limitée à la région désignée. L'ar-
5() 23. Sous réserve de l'art. 30, «grains» et «producteur» s'entendent, respectivement, pour l'application de la présente partie, des grains produits dans la région désignée et du pro- ducteur de ces grains. [Mot non souligné dans l'original.]
51 Voir l'art. 26 de la Loi sur la Commission canadienne du blé.
52 Voir l'art. 25 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), chap. 38, art. 7] et l'art. 28j) de la Loi sur la Commission canadienne du blé.
53 Voici l'art. 30 de la Loi sur la Commission canadienne du blé:
30. Le gouverneur en conseil peut, par règlement, appliquer la présente partie au grain produit dans une région du Canada qui se trouve à l'extérieur de la région désignée et aux producteurs de ce grain. Le cas échéant et tant que s'ap- plique ce règlement, «grain» s'entend, dans le cadre de la présente partie, du grain produit dans la région désignée et dans la région mentionnée dans le règlement et «producteur> s'entend du producteur de ce grain.
54 Voir les art. 32, 33, 34, 35 de la Loi sur la Commission canadienne du blé.
55 Voici l'art. 40(1) de la Loi sur la Commission canadienne du blé:
40. (1) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, éten- dre l'application de la présente partie au blé produit dans telle région du Canada se trouvant à l'extérieur de la région désignée.
ticle 45 de la Loi prévoit que seule la Commission peut acheter et vendre, transporter et exporter ou importer du blé, sur le marché interprovincial comme sur le marché d'exportation. La partie V est intitulée «Orge et avoine», «Extension du champ d'application des parties III et IV». Selon l'article 47 de cette par- tie, le gouverneur en conseil peut, par règlement, étendre l'application de la partie III, qui est limitée à la région désignée, ou de la partie IV, qui ne l'est pas, ou des deux, à l'avoine et à l'orge, ou à l'un des deux. La partie VI, intitulée «Plans de commerciali sation» prévoit l'établissement de plans de commer cialisation uniquement à l'égard du grain produit dans la région désignée 56 . Aucune disposition ne pré- voit l'extension possible de l'application de cette par- tie. C'est dans la partie VII, intitulée «Dispositions générales», que se trouve l'article 76 sous le titre «Déclaration».
Le paragraphe 8(1) de la Loi d'interprétation 57 porte:
8. (1) Sauf disposition contraire y figurant, un texte s'ap- plique à l'ensemble du pays.
Il n'y a limitation de l'application de la Loi sur la Commission canadienne du blé à la «région dési- gnée» que dans les cas expressément prévus dans cette loi, savoir dans les parties II, III, V (partielle- ment) et VI. La possibilité d'extension de l'applica- tion des parties II et III signifie clairement que dans l'esprit du législateur, de nombreuses dispositions de la Loi pourraient avoir un champ d'application géo- graphique plus large que la «région désignée». Cette extension serait indéfendable sur le plan constitution- nel si la déclaration prévue à l'article 76 ne couvrait pas les ouvrages visés tels qu'ils se trouvent au Canada. Autrement dit, ce n'est qu'une fois l'ouvrage déclaré à l'avantage général du Canada que le législa- teur peut lui appliquer les dispositions de la Loi sur la Commission canadienne du blé. L'ouvrage qui n'a pas été déclaré tel demeure un ouvrage local soumis à la compétence provinciale, et il ne saurait y avoir aucune application valide de la loi fédérale à son égard. Bien que les mots «du Canada» qui figurent à l'article 55 de la Loi sur les grains du Canada soient absents de l'article 76, ce fait n'a aucune importance
56 Voir l'art. 48(2) de la Loi sur la Commission canadienne du blé.
57 L.R.C. (1985), chap. 1-21.
vu la volonté clairement exprimée du législateur aux articles 30 et 40 de la Loi sur la Commission cana- dienne du blé. Il découle de cette interprétation qu'à l'heure actuelle, il y a, à l'extérieur de la région dési- gnée, des minoteries exploitées par des mandataires de la Commission mais qui ne sont pas soumises aux contrôles rigoureux prévus aux parties II et III de la Loi. La Commission est cependant, dans toutes les régions du pays, seule habilitée à vendre et à trans porter du grain sur le marché interprovincial et le marché d'exportation.
Je conclus que l'article 76 s'applique également à l'extérieur de la région désignée.
Il reste à examiner si le Conseil a eu raison de reje- ter l'argument subsidiaire de la requérante, selon lequel son usine de Truro (N.-É.) est davantage une usine d'aliments pour poissons et, par conséquent, n'est pas une fabrique visée par la Loi sur la Com mission canadienne du blé.
J'accueille l'interprétation de la Loi par la requé- rante, selon laquelle «fabrique d'aliments pour les animaux» signifie usine du grain est transformé en aliments pour les animaux. Le Conseil était du même avis, mais, à son sens, ce qu'il fallait prendre en considération, c'était l'utilisation première et effective de la fabrique, et non pas sa destination ini- tiale. Il a constaté que l'activité première de l'usine de la requérante consistait à moudre du grain à utili- ser dans les aliments pour le bétail et pour la volaille. Cette conclusion sur les faits n'est pas susceptible d'infirmation 58 . Le critère adopté par le Conseil revient à répondre à cette question: «Quelle est l'en- treprise qui s'exerce en fait?» 59 Le Conseil est sans reproche à cet égard.
2. Une déclaration faite en application de l'ali- néa 92(10)c) de la Loi constitutionnelle de /867 peut- elle soumettre au pouvoir législatif fédéral les rela-
58 Voir N.V. Bocimar S.A. c. Century Insurance Co. of Canada, [1987] 1 R.C.S. 1247.
59 Attorney -General for Ontario v. Wiener, [ 1954] A.C. 541; [1954] 4 D.L.R. 657 (P.C.); Letter Carrier's Union of Canada c. Syndicat des postiers du Canada et autre, [1975] 1 R.C.S. 178, aux p. 188 et 189; C.S.P. Foods Ltd. c. Le conseil cana- dien des relations du travail, [1979] 2 C.F. 23 (C.A.), aux p. 29 et 30.
tions du travail entre l'employeur et les employés directement affectés à l'exploitation de l'ouvrage?
Dans Cargill, aucun des employés en cause ne s'occupait directement de l'exploitation des silos qui avaient été déclarés à l'avantage général du Canada; il s'agissait tous d'employés de bureau au siège de la région de l'Est à Chatham. Cependant, ce bureau, tout en servant de siège à partir duquel la compagnie exploitait son commerce du grain, assurait des ser vices de soutien essentiels, en particulier en matière de comptabilité et de déclaration dans l'exploitation des silos 60 . La majorité de la Cour concluait que les relations du travail intéressant ce bureau relevaient de la compétence provinciale. La question qui nous inté- resse en l'espèce n'était pas en cause dans cette affaire.
Les alinéas 92(10)a),6) et c) de la Loi constitution- nelle de 1867 portent:
92....
(10) Les ouvrages et entreprises d'une nature locale, autres que ceux énumérés dans les catégories suivantes:
a. Lignes de bateaux à vapeur ou autres bâtiments, chemins de fer, canaux, télégraphes et autres travaux et entreprises reliant la province à une autre ou à d'autres provinces, ou s'étendant au-delà des limites de la province;
b. Lignes de bateaux à vapeur entre la province et tout pays dépendant de l'empire britannique ou tout pays étranger;
e. Les ouvrages qui, bien qu'entièrement situés dans la pro vince, seront avant ou après leur exécution déclarés par le parlement du Canada être pour l'avantage général du Canada, ou pour l'avantage de deux ou d'un plus grand nombre des provinces.
De son côté, le paragraphe 91(29) porte:
91. Il sera loisible à la Reine, de l'avis et du consentement du Sénat et de la Chambre des communes, de faire des lois pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement du Canada, relati- vement à toutes les matières ne tombant pas dans les catégories de sujets par la présente loi exclusivement assignés aux législa- tures des provinces; mais, pour plus de garantie, sans toutefois restreindre la généralité des termes ci-haut employés dans le présent article, il est par la présente déclaré que (nonobstant toute disposition contraire énoncée dans la présente loi) l'auto- rité législative exclusive du parlement du Canada s'étend à toutes les matières tombant dans les catégories de sujets ci-des- sous énumérés, savoir:
29. Les catégories de sujets expressément exceptés dans l'énu- mération des catégories de sujets exclusivement assignés par la présente loi aux législatures des provinces.
Cargill, précité, le juge Hugessen, J.C.A., à la p. 515.
Il est constant que l'alinéa 92(10)c) porte sur les «ouvrages» et non pas les «entreprises», et que le pouvoir de déclaration a pour effet de soustraire tel ou tel «ouvrage» au domaine de compétence législa- tive provinciale et de le soumettre au pouvoir législa- tif fédéral en vertu du paragraphe 91(29) tout comme s'il avait été expressément visé à l'article 91. Les ouvrages sont [TRADUCTION] «des choses matérielles, non pas des services» 61 . Une entreprise n'est pas [TRADUCTION] «une chose matérielle, mais un arrange ment dans le cadre duquel ... des choses matérielles sont utilisées» 62 .
L'alinéa 2h) du Code canadien du travail 63 est donc inconstitutionnel dans la mesure il vise les «entreprises» 64 . Mais qu'en est-il de l'article 4 du Code canadien du travail 65 : s'applique-t-il aux ouvrages déclarés fédéraux? Cette question soulève à son tour la question constitutionnelle: la compétence fédérale sur un ouvrage déclaré à l'avantage général du Canada s'étend-elle aux relations du travail entre
61 Montreal City v. Montreal Street Railway Company, [1912] A.C. 333 (P.C.), à la p. 342.
62 1n re Regulation and Control of Radio Communication in Canada, [1932] A.C. 304 (P.C.), à la p. 315. Fraser, précité, renvoi 25, de la p. 567, écrit:
[TRADUCTION] Une entreprise n'est pas quelque chose de con- cret ou de tangible, elle n'est qu'une construction de l'esprit du juriste. Alors qu'un ouvrage fait partie du monde phy sique qui nous entoure, l'entreprise n'est à vrai dire qu'un produit de la théorie juridique.
J'inclinerais à penser qu'un arrangement dans le cadre duquel des choses matérielles sont utilisées sont tout autant une réalité que, par exemple, la clientèle d'un commerce. Dans un sens, cet arrangement est justement ce qui fait de l'ouvrage une entreprise active.
63 Voici ce que prévoit l'art. 2h) du Code canadien du tra vail:
2....
h) les ouvrages ou entreprises qui, bien qu'entièrement situés dans une province, sont, avant ou après leur réalisa- tion, déclarés par le Parlement être à l'avantage général du Canada ou de plusieurs provinces.
64 Le juge Hugessen, J.C.A., par motifs dissidents, a tiré la même conclusion dans Central Western, précité, note 14 en bas de la p. 214.
65 L'art. 4 du Code canadien du travail porte:
4. La présente partie s'applique aux employés dans le cadre d'une entreprise fédérale et à leurs syndicats, ainsi qu'à leurs employeurs et aux organisations patronales regroupant ceux- ci.
les employés directement affectés à l'exploitation de cet ouvrage et leur employeur?
La requérante cite l'arrêt Commission du salaire minimum c. Bell Telephone Co. (appelé également l'arrêt Bell Canada de 1966) 66 . Il y a lieu de faire ici une observation en raison du vocabulaire employé dans cette décision. Bell Canada est une entreprise qui s'étend au-delà des limites d'une province et ses ouvrages ont été déclarés à l'avantage général du Canada 67 . Il s'agissait de savoir si la Loi sur le salaire minimum du Québec s'appliquait à une entre- prise visée par les alinéas 92(10)a) et c). Au début du jugement rendu au nom de la Cour, le juge Martland a fait cette remarque 68 :
[TRADUCTION] Il a été également reconnu que la Loi sur le salaire minimum s'inscrit bien dans les limites de la compé- tence de la législature du Québec. La seule question qu'il reste à examiner c'est de savoir si elle peut s'appliquer à une entre- prise visée par les alinéas a), b) et c) du paragraphe 10 de l'ar- ticle 92 de la Loi sur l'Amérique du Nord britannique. [Mot non souligné dans l'original.]
Et de se prononcer en ces termes 69 :
[TRADUCTION] A mon avis, la réglementation des relations du travail dans le cadre d'une entreprise comme celle de, l'intimée, tout comme la réglementation du tarif qu'elle pratique auprès de ses clients, est bien une «matière» tombant dans la catégorie des sujets visés à l'alinéa 92(10)a), et par voie de conséquence, relève de la compétence législative exclusive du Parlement du Canada. [Mots non soulignés dans l'original.]
Bien que le juge Martland envisage la question en termes plus généraux au début de son jugement (en parlant d'entreprise visée aux alinéas 92(10)a),b) ou c)), il ressort de sa conclusion qu'il n'a retenu l'ali- néa 92(10)a) qu'à titre de considération possible. La question de savoir si la Loi sur le salaire minimum s'appliquait à un ouvrage (non pas une entreprise)
66 Voir Bell Canada c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail), [1988] 1 R.C.S. 749.
67 Voir la loi dite Acte à l'effet d'incorporer la Compagnie Canadienne de Téléphone Bell, S.C. 1880, chap. 67; la loi dite Acte à l'effet d'amender l'acte constitutif de la Compagnie Canadienne de Téléphone Bell, S.C. 1882, chap. 95, abrogée par la Loi sur Bell Canada, L.C. 1987, chap. 19; cf. l'art. 2, le mot «compagnie» et l'art. 5.
68 Commission du Salaire Minimum, précité, à la p. 770.
69 Commission du Salaire Minimum, précité, à la p. 777.
visé par l'alinéa 92(10)c) n'était donc pas examinée dans la décision Bell Canada de 1966 70 .
Cette question a-t-elle été examinée dans Bell Canada c. Québec (CSST) 71 ?
La Cour d'appel de l'Ontario a, par jugement majoritaire dans Ontario Hydro v. Ontario (Labour Relations Board) 72 , répondu par l'affirmative à cette question.
Il s'agissait dans cette dernière affaire de savoir si, par application de l'alinéa 92(10)c) et du para- graphe 91(29) de la Loi constitutionnelle de 1867, les relations du travail du personnel d'une centrale nucléaire d'Hydro Ontario relevaient de la compé- tence fédérale ou si, au contraire, elles relevaient de la compétence provinciale par suite de l'alinéa 92A(1)c) introduit par l'article 50 de la Loi constitu- tionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]. La demande d'accréditation, faite sous le régime de la Loi sur les relations de tra vail 73 de l'Ontario, s'est heurtée à l'opposition d'un groupe d'employés qui invoquaient la déclaration de l'article 18 de la Loi sur le contrôle de l'énergie ato- mique 74 , savoir que les ouvrages et entreprises du domaine de l'énergie atomique et des substances «réglementées» connexes «sont déclarés à l'avantage général du Canada». Ces employés se sont fondés sur cette déclaration pour soutenir que leurs relations du travail relevaient des dispositions du Code canadien du travail.
Le juge Tarnopolsky, de la Cour d'appel de l'Onta- rio, a conclu avec le juge Lacourcière, J.C.A., que les centrales nucléaires d'Hydro Ontario étaient régies par la législation fédérale. Voici la constatation qu'il a faite à ce sujet 75 :
[TRADUCTION] Il est bien établi que, par application du para- graphe 91(29) et de l'alinéa 92(10)c), les ouvrages et entrepri-
70 Voir le commentaire consacré à ce sujet par A. Lajoie. Le pouvoir déclaratoire du Parlement, (Montréal: Presses de l'Université de Montréal, 1969), la p. 91.
71 Bell Canada, précité, à la p. 749.
72 (1991), 1 O.R. (3d) 737 (C.A.). Demande d'autorisation de pourvoi en Cour suprême du Canada accueillie le 4 juillet 1991, [1991] 3 R.S.C. X.
73 L.R.O. 1980, chap. 228.
74 L.R.C. (1985), chap. A-16.
75 Ontario Hydro, précité, à la p. 761.
ses déclarés à l'avantage général du Canada sont soustraits à la compétence législative provinciale: Reference re Waters and Water -powers, précité, à la page 220 R.C.S.
Il a ensuite conclu en ces termes 76 :
[TRADUCTION] Le fait de déclarer des ouvrages à l'avantage général du Canada les soumet à la compétence législative exclusive du Parlement par application du paragraphe 91(29). Il s'ensuit qu'on ne saurait dire que la compétence fédérale sur ces ouvrages n'est qu'auxiliaire ou incidente; au contraire, elle s'exerce au premier chef.
Le premier paragraphe de l'article 91 prévoit que l'autorité législative exclusive du Parlement du Canada s'étend à toutes les matières tombant dans les catégories de sujets visés dans cet article. Ce qui comprend les catégories de sujets soumis à la compétence législative du Parlement par des voies détour- nées, c'est-à-dire par l'alinéa 92(10)c). Vu le libellé de l'article 91, il serait illogique de conclure que le Parlement n'a d'auto- rité législative qu'à l'égard de certaines matières tombant dans le champ d'application du paragraphe 91(29), alors que l'ar- ticle 91 indique clairement, par son libellé même, que le Parle- ment a compétence sur toutes les matières qui y sont énumé- rées.
Il a été jugé depuis longtemps que la compétence législative sur les ouvrages et entreprises embrasse le pouvoir de régle- menter les questions touchant l'emploi des personnes employées dans ces ouvrages ou entreprises (le juge Duff dans Reference re Legislative Jurisdiction over Hours of Labour, supra), bien qu'en règle générale, les relations du travail relè- vent de la compétence provinciale par application du para- graphe 92(13)—propriété et droits civils: voir Northern Tele- com Ltd. c. Les Travailleurs en communication du Canada, [1980] 1 R.C.S. 115, 79 C.L.L.C. [14,211], 98 D.L.R. (3d) 1, 28 N.R. 107, pages 131-33 R.C.S., le juge Dickson. Ce prin- cipe a été confirmé par la Cour suprême du Canada dans la trilogie d'arrêts susmentionnée: Bell Canada c. Québec, supra; Chemins de fer nationaux du Canada c. Courtois, supra; et Alltrans Express Ltd. c. Colombie-Britannique (Workers Com pensation Board), supra. Ces jurisprudences portaient toutes principalement sur la question de savoir si les lois provinciales en matière de santé et de sécurité au travail s'appliquaient à une entreprise fédérale.
Pour notre propos, le juge Beetz a, dans Bell Canada, ana- lysé en détail l'évolution du droit en la matière, analyse qu'il n'est pas nécessaire de reprendre dans les présents motifs. Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada a conclu à l'unanimité qu'à l'égard des entreprises fédérales au sens des alinéas 92(10)(a, b et c), les conditions de travail et les rela tions du travail étaient des matières tombant dans les catégo- ries de sujets visés au paragraphe 91(29) et qu'à ce titre, elles étaient soumises à la compétence exclusive du législateur fédé- ral.
76 Ontario Hydro, précité, aux p. 765 à 767.
Je ne partage pas pareille interprétation de la déci- sion Bell Canada de 1988.
Dans cette dernière affaire, il s'agissait de savoir si la Loi sur la santé et la sécurité du travail du Québec était applicable à l'égard de Bell Canada. Prononçant le jugement de la Cour, le juge Beetz a fait une syn- thèse fort impressionnante des règles jurispruden- tielles qui se sont imposées dans ce domaine du droit constitutionnel.
En pages 761 et 762, se prononçant sur ce qu'il appelait la troisième proposition, le juge Beetz a tiré cette conclusion:
Par dérogation au principe énoncé dans la deuxième propo sition, le Parlement est investi d'une compétence législative exclusive sur les relations de travail et les conditions de travail ou d'emploi lorsque cette compétence fait partie intégrante de sa compétence principale et exclusive sur une autre catégorie de sujets, comme c'est le cas pour les relations et conditions de travail des entreprises fédérales visées par les par. 91(29) et 92(10)a., b. et c. de la Loi constitutionnelle de 1867, soit des entreprises telles Alltrans Express Ltd., les Chemins de fer nationaux et Bell Canada. [Passage non souligné dans l'origi- nal.]
Comme il l'a clairement indiqué, le juge Beetz se prononçait sur des entreprises fédérales visées par le paragraphe 91(29) et les alinéas 92(10)a),b) et c). Les trois exemples qu'il donnait et qui correspondaient aux affaires citées dans cette instance, étaient trois entreprises. Alltrans Express Ltd., compagnie onta- rienne autorisée à exercer en Colombie-Britan- nique 77 , exploite un service de camionnage interpro- vincial et international, ce qui la soumet à l'application du paragraphe 91(29) et de l'alinéa 92(10)a) 78 . La Compagnie des Chemins de fer natio- naux est une entreprise interprovinciale dont les ouvrages ont été déclarés à l'avantage général du Canada 79 . Bell Canada est également une entreprise interprovinciale dont les ouvrages ont été déclarés à l'avantage général du Canada. L'une et l'autre sont
77 Re Alltrans Express Ltd. and Workers' Compensation Board of British Columbia (1983), 149 D.L.R. (3d) 385 (C.A.C.-B.), à la p. 386; Re Alltrans Express Ltd. and Workers' Compensation Board of British Columbia (1980), 116 D.L.R. (3d) 79 (C.S.C.-B.), à la p. 80.
78 Alltrans Express Ltd. c. Colombie-Britannique (Workers' Compensation Board), [1988] 1 R.C.S. 897.
79 Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Courtois, [1988] 1 R.C.S. 868; Loi sur les Chemins de fer nationaux du Canada, L.R.C. (1985), chap. C-19, art. 18.
donc soumises à l'application des alinéas 92(10)a) et c). Le mot «entreprise» a donc été bien choisi par le juge Beetz au regard des alinéas 92(10)a),6) et c). C'est cependant un «ouvrage» qui nous intéresse en l'espèce.
Un peu plus loin, répondant aux critiques de la décision Bell Canada de 1966, le juge Beetz est de nouveau très précis$°:
Les lois d'application générale relatives à la gestion des entre- prises et aux conditions de travail sont des lois relatives à des matières qui tombent dans la catégorie de matières de la pro- priété et des droits civils. Mais des lois particulières relatives à la gestion des entreprises fédérales et à leurs conditions de tra vail, comme celles que l'on trouve en l'espèce dans le Code canadien du travail, sont des lois relatives à des matières qui tombent dans une catégorie de sujets exclusivement fédérale, celle des entreprises fédérales. [Mots non soulignés dans l'ori- ginal.]
Le juge Tarnopolsky de la Cour d'appel de l'Onta- rio avait ainsi raison de citer, en pages 761 et 766 de l'arrêt Ontario Hydro, la décision Reference re Waters and Water-Powers 81 où, rendant le jugement de la Cour, le juge Duff a tiré cette conclusion à pro- pos de l'alinéa 92(10)c):
[TRADUCTION] Le pouvoir créé par l'alinéa 92(10c) est un pouvoir des plus inusités. C'est le pouvoir donné au Parlement du Dominion de s'attribuer la compétence—qui est exclu- sive—sur des sujets qui seraient demeurés sous le contrôle exclusif des provinces, n'eût été cette action de la part du Par- lement. Celui-ci est investi du pouvoir de soustraire à ce con- trôle les matières qui tombent dans cette catégorie de sujets et d'en assumer lui-même la compétence. Il exerce ainsi un pou- voir qui l'habilite en fait à redistribuer les pouvoirs législatifs, par le jeu direct de la Loi, et, aux yeux de certains commenta- teurs, à opérer des changements les plus radicaux dans la distri bution de ces pouvoirs; le fondement de même que la condition de cette action doit être la décision par le Parlement que «l'ou- vrage ou l'entreprise» ou la catégorie d'ouvrages ou d'entrepri- ses touchées par cette action sont «à l'avantage général du Canada», ou de deux ou d'un plus grand nombre des pro vinces, laquelle décision doit se manifester par une déclaration solennelle en ce sens par le Parlement lui-même. [Mots non soulignés dans l'original.]
Cependant, il n'est nullement question d'«entre- prise» à l'alinéa 92(10)c). Qui plus est, la décision Reference re Waters and Water -Powers est antérieure à l'arrêt Regulation and ControlÀ 2 du Comité judi- ciaire du Conseil privé, la distinction entre
Bell Canada, précité, à la p. 841.
81 [1929] R.C.S. 200, à la p. 220.
82 [1932] A.C. 304 (P.C.), à la p. 315.
«ouvrage» (défini dans Montreal City 83 ) et «entre- prise» ressort avec clarté. D'ailleurs, la Cour suprême du Canada n'était pas, en 1929, la juridiction de der- nier ressort du pays.
À mon avis donc, la question litigieuse qui se pose en l'espèce n'a jamais été tranchée par une juridiction de dernier ressort.
Je conclus que le Code canadien du travail s'ap- plique aux travailleurs dont s'agit. La compétence législative fédérale sur un ouvrage embrasse entre autres, la construction, la réparation et la modifica tion de cet ouvrage, et aussi, il me semble, sa ges- tion 84 .
Tout en convenant avec la requérante qu'un ouvrage n'a pas de relations du travail et que celles-ci ne sont censées exister qu'entre le chef de l'entre- prise et ses employés, je dois conclure, à la lumière de la règle, reconnue par la jurisprudence et selon laquelle le Parlement est habilité à contrôler le mou- vement du grain passant par les silos par suite de sa compétence législative sur l'utilisation de ces instal lations, que la législation fédérale peut régir valide- ment les conditions de travail de ceux qui s'occupent directement de l'exploitation de l'ouvrage, puisque l'employeur comme les employés ont des attributions et des responsabilités dans l'installation. La compé- tence législative du Parlement sur l'«ouvrage» visé au paragraphe 91(29) est totale. Les relations du tra vail intéressant un ouvrage déclaré sont par consé- quent une «matière» tombant dans la catégorie des sujets visés au paragraphe 91(29) de la Loi constitu- tionnelle de 1867.
Cette conclusion a pour effet de balkaniserRS les relations du travail à l'usine de Shur Gain à Truro (N.-É.), étant donné que ceux de ses employés qui ne s'occupent pas directement de l'exploitation de l'usine, demeurent soumis à la compétence provin- ciale. Je ne saurais cependant accepter que le Parle- ment ait compétence sur un «ouvrage» tout en étant
83 Montreal City, précité, à la p. 342.
84 Ces termes ont été employés dans un autre contexte dans Canadian Pacifie Railway Company v. Notre Danse de Bonse- cours (Corporation of), [1899] A.C. 367 (P.C.), à la p. 372.
85 J'emprunte, pour notre propos, l'emploi de ce mot au juge Galligan de la Cour d'appel de l'Ontario (motifs dissidents) dans Ontario Hydro, précité, à la p. 770.
incapable d'adopter une loi spéciale pour forcer le retour au travail, de façon à rendre cet ouvrage «fonc- tionnel». Le contrôle effectif de l'ouvrage entraîne le contrôle effectif de ceux qui participent directement à son exploitation.
Je ne peux cependant convenir avec ceux qui entendent se fonder sur le mot «fonctionnel» pour soutenir que la compétence fédérale s'exerce sur l'en- treprise à travers l'ouvrage. Le pouvoir déclaratoire est un pouvoir exceptionnel et ce qu'acquiert le Par- lement, par l'exercice de ce pouvoir, c'est la compé- tence législative sur l'ouvrage, non pas sur l'entre- prise.
Je conclus que l'article 4 du Code canadien du tra vail s'applique uniquement aux employés de la requérante que vise l'ordonnance en date du 10 avril 1990 du Conseil, et que celui-ci s'est prononcé à bon droit sur l'affaire dont il fut saisi.
Je me prononce pour le rejet de la demande fondée sur l'article 28.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE, J.C.A.: Je souscris à la conclusion tirée par ma collègue le juge Desjardins, ainsi qu'à la majeure partie des motifs de son jugement. Sur deux points cependant, mon point de vue serait un peu dif- férent.
L'argument de la requérante selon lequel l'article 76 de la Loi sur la Commission canadienne du blé doit être, malgré la généralité de son libellé, inter- prété comme ne s'appliquant qu'aux fabriques d'ali- ments pour animaux situées dans l'Ouest du Canada (ou plus exactement, dans la «région désignée» défi- nie à l'article 2), est fondé sur le postulat, accepté par la Cour d'appel du Québec dans Burns c. Cie du trust national LtéeR 6 , que les autres dispositions de la même loi ne s'appliquent pas à l'extérieur de cette région. Ce postulat est faux. La plupart des autres dis
86 Voir Burns c. Cie du trust national Ltée (10 juillet 1990), Montréal 500-09-000728-857, 500-09-000731-851 (C.A.), les juges Monet, Vallerant et Baudoin, encore inédit.
positions de cette loi s'appliquent à l'ensemble du pays soit d'emblée soit par décision du gouverneur en conseil.
Quant à l'argument constitutionnel avancé par la requérante, je conviens avec le Conseil qu'il faut le rejeter par ce motif qu'il va à l'encontre de la juris prudence de cette Cour.
Dans C.S.P. Foods Ltd. c. Le conseil canadien des relations du travail 87 , cette Cour a refusé d'annuler pour cause d'incompétence une décision par laquelle le Conseil canadien des relations du travail avait accrédité un syndicat à titre d'agent négociateur pour certains employés d'une compagnie propriétaire exploitante d'une fabrique d'aliments pour animaux (laquelle fabrique était un ouvrage fédéral par appli cation de la déclaration contenue dans la Loi sur la Commission canadienne du blé), par ce motif que rien dans le dossier n'indiquait que le travail fait par les employés en question n'était pas étroitement lié à l'exploitation de cette fabrique. Bien qu'il n'y fût pas du tout question de la distinction qu'on peut faire entre ouvrages fédéraux et entreprises fédérales dans le contexte de la compétence législative fédérale en matière de relations du travail, cette décision était indubitablement fondée sur la présomption que le Parlement avait compétence pour légiférer à l'égard des relations du travail entre l'entreprise qui exploi- tait un ouvrage fédéral et ceux de ses employés dont les fonctions étaient étroitement liées à l'exploitation de cet ouvrage.
Dans Central Western Railway Corp. c. T. U.T. 8 R, la Cour était saisie de la question de savoir si le Par- lement pouvait légiférer à l'égard des relations du tra vail intéressant une compagnie dont la seule activité et «raison d'être» était d'exploiter un petit chemin de fer qui avait été déclaré ouvrage fédéral. Dans cette affaire, mon collègue le juge Hugessen, J.C.A. était d'avis que si la compétence législative du Parlement sur les entreprises fédérales comprenait certainement le pouvoir de légiférer à l'égard des relations du tra vail intéressant ces dernières, sa compétence législa- tive sur les ouvrages fédéraux ne comprenait pas le pouvoir de réglementer les relations du travail inté- ressant les entreprises qui les exploitaient. Cette vue,
87 [1979] 2 C.F. 23.
88 [1989] 2 C.F. 186.
bien qu'exprimée avec la clarté et la force de persua sion dont il est coutumier, a été rejetée par la majorité de la Cour, qui a conclu que le Parlement avait le pouvoir de légiférer à l'égard des relations du travail intéressant une entreprise dont la seule activité con- sistait à exploiter un ouvrage fédéral.
La décision Cargill Grain Co. c. Canada 89 de cette Cour, telle que je la comprends, ne modifie pas cette jurisprudence. Par cette décision, la Cour a annulé la décision par laquelle le Conseil canadien des rela tions du travail avait accrédité un syndicat à titre d'agent négociateur pour certains employés d'une entreprise exploitant un ouvrage fédéral, par ce motif que le lien entre le travail fait par ces employés et l'ouvrage fédéral en question était trop ténu pour jus- tifier la compétence fédérale. En l'espèce, ce pro- blème ne se pose pas puisque le travail fait par les employés dont il s'agit a indubitablement un rapport direct et étroit avec l'exploitation d'un ouvrage fédé- ral.
LE JUGE STONE J.C.A.: Je souscris aux motifs ci- dessus.
89 [1990] 1 C.F. 511.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.