T-560-84
George Gordon Rollinson (demandeur)
c.
Sa Majesté la Reine du chef du Canada
(défenderesse)
T-245-87
Sa Majesté la Reine du chef du Canada
(demanderesse)
c.
George Gordon Rollinson (défendeur)
RÉPERTORIÉ: ROLLINSON C. CANADA (1" INST.)
Section de première instance, juge Muldoon—
Vancouver, 29 et 30 novembre, 1, 2 et 3 décembre
1988; Ottawa, 17 janvier 1991.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Procédures
criminelles et pénales — Droit, prévu à l'art. 8 , à la protection
contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives —
Des inspecteurs des douanes sont montés à bord d'un yacht
sans mandat pour chercher des boissons alcooliques de contre-
bande — Aucun article de contrebande n'a été trouvé — Saisie
de documents effectuée pour y chercher des preuves d'infrac-
tions administratives — La saisie sans mandat des documents
se trouvant à bord d'un bateau utilisé comme habitation est
inconstitutionnelle — La dérogation à l'exigence du mandat
relativement à la fouille effectuée à la frontière s'applique
seulement aux articles de contrebande et non aux papiers
personnels.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Procédures
criminelles et pénales — Une atteinte illégale au droit de
propriété sous l'apparence d'un exposé erroné de la loi et
d'autres comportements bizarres, délictueux et malhonnêtes de
la part d'agents constituent un traitement cruel et inusité au
sens de l'art. 12.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Droits à
l'égalité — La Loi sur les douanes, art. 11(1) exige du
capitaine d'un navire qui entre au Canada de se présenter en
personne à la douane — Le demandeur et d'autres bateaux de
plaisance et commerciaux ont fait des déclarations par télé-
phone seulement en vertu d'un système improvisé par la
douane — Les déclarations par téléphone reçues d'autres
personnes sont considérées comme suffisantes — Les doua-
niers ont saisi le bateau du demandeur en raison du non-res
pect de la lettre de la loi — L'acte d'exécution est inconstitu-
tionnel — Il y a déni du droit à l'égalité devant la loi prévu
par l'art. 15 lorsque l'État permet à des membres d'une
catégorie de déroger à une exigence légale générale et soumet
un autre membre à une application stricte.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et
sécurité — Des douaniers ont saisi, sans mandat, un bateau à
bord duquel vivait un citoyen pour le motif que celui-ci aurait
omis, à des occasions non spécifiées, de faire des déclarations
d'entrée — Inexistence de motifs raisonnables et probables —
Les biens visant la vie ou la sécurité de la personne (une
maison, par exemple) ne doivent être saisis qu'en conformité
avec la justice fondamentale.
Douanes et accise — Loi sur les douanes — Obligation du
capitaine de se rendre en personne à la douane — Les autorités
douanières ont érigé un écriteau sur le quai donnant aux
navires l'instruction de faire des déclarations par téléphone —
Le respect des instructions sur l'écriteau constitue une défense
valable à l'égard de l'accusation de non-déclaration — L'ap-
plication de la règle l'ignorance de la loi n'excuse personne se
limite aux actes criminels et ne s'applique pas aux infractions
réglementaires.
Pratique — Preuve — La Cour a, en common law, le
pouvoir discrétionnaire d'écarter les éléments de preuve obte-
nus par subterfuge; ou si l'objectif poursuivi dans leur utilisa
tion est préjudiciable, leur recevabilité tient à une subtilité et
leur valeur probante est insignifiante.
Le demandeur a intenté une action tendant à l'obtention et
de dommages-intérêts et d'un jugement déclarant illégales les
saisies de ses papiers, de son bateau et de ses automobiles.
L'action intentée par la Couronne visait à faire confirmer les
saisies.
Jugement: l'action du demandeur devrait être accueillie et
celle de la Couronne rejetée.
La saisie des papiers personnels constituait une violation de
l'article 8 de la Charte. Puisque la saisie du bateau a été jugée
«prématurée» par le directeur qui était responsable de façon
nominale des inspecteurs, la même remarque s'applique à la
saisie des papiers; cette saisie ne saurait être raisonnable.
Le pouvoir exceptionnel de détenir des personnes pour faire
une «fouille effectuée à la frontière», reconnu par la Cour su-
prême du Canada dans les arrêts R. c. Simmons et R. c. Jacoy,
s'applique aux articles de contrebande, et ne confère pas le
pouvoir de chercher, ou de saisir, les papiers personnels. En
l'espèce, la «fouille effectuée à la frontière» a pris fin lorsque les
inspecteurs n'ont pas trouvé de boissons alcooliques.
En common law, la Couronne est tenue d'obtenir un mandat
judiciaire avant de procéder à la saisie des papiers privés:
Entick v. Carrington. Bien que la Cour suprême ait laissé la
porte ouverte à la possibilité d'exceptions lorsque l'obtention
d'une autorisation préalable n'est pas possible, l'exigence géné-
rale selon laquelle un mandat valide est une condition préalable
à une fouille, à une perquisition et à une saisie valides est
consacrée par l'article 8 de la Charte: Hunter et autres c.
Southam Inc.
On peut conclure du comportement des inspecteurs à la barre
des témoins que la saisie des papiers n'a pas vraiment été
effectuée dans la croyance, de bonne foi, qu'ils étaient légale-
ment tenus d'effectuer la saisie. La saisie illégale a été effectuée
par voie de l'intimidation d'un couple âgé et d'exposés erronés
de la loi faits à leur intention. En conséquence, ce serait
déconsidérer la justice que d'admettre en preuve les journaux.
La Cour a le pouvoir discrétionnaire, en common law et
indépendamment du paragraphe 24(2) de la Charte, d'écarter
les éléments de preuve pertinents obtenus d'un défendeur par
subterfuge: Karuma v. The Queen. La preuve peut également
être écartée si son admission est injuste en ce sens qu'elle est
gravement préjudiciable, si sa recevabilité tient, pour d'autres
motifs, à une subtilité, et si sa valeur probante est insignifiante
à l'égard de la question fondamentale: R. c. Wray.
Bien que la Charte ne garantisse pas des droits sur les biens,
l'article 7 protège le droit des particuliers sur certains types de
biens transcendants tels que les médicaments nécessaires ou
l'abri que fournit une maison, qui visent la vie et la sécurité de
la personne. C'est une violation de l'article 7 que de leurrer, de
prendre au piège et de duper une personne de façon à la placer
dans une situation qui est le fait de l'État, dans laquelle
l'application draconnienne des dispositions législatives permet à
l'État de saisir la résidence de cette personne sans
indemnisation.
Les employés de la défenderesse ont soumis le demandeur et
Mme Rollinson à un traitement cruel et inusité, au sens de
l'article 12 de la Charte, qui s'est exprimé par ce qui suit: la
manière bizarre d'arraisonner le bateau et la saisie sans mandat
des papiers personnels effectuée avec une présentation inexacte
des obligations légales, l'interrogatoire du demandeur et l'ordre
qui lui a été fait de prouver ce qu'il n'était légalement pas tenu
de prouver, les sarcasmes du personnel douanier du poste de
Douglas lorsqu'on lui a dit d'aller demander à ces employés de
confirmer ses déclarations, la troisième saisie du Rogue, tout
juste après le paiement de la mainlevée de celui-ci, les nom-
breuses menaces à l'égard de la sécurité et de l'intégrité du
bateau lui-même; la perte des papiers personnels du demandeur
et le fait de le leurrer de façon à le placer dans une situation de
non-observance de la loi.
La saisie du Rogue pour défaut de faire des déclarations
d'entrée selon la lettre de la Loi sur les douanes constituait une
violation du droit constitutionnel du demandeur à l'égalité
devant la loi, lorsque la douane avait mis un écriteau indicateur
sur le quai exigeant des marins qu'ils suivent la procédure extra
légale de déclaration par téléphone qu'elle avait conçue. C'est
une violation du paragraphe 15(1) de la Charte que de prendre
une mesure d'exécution contre un membre d'une catégorie,
pour la non-observance alléguée d'une disposition législative,
lorsque l'État accepte le même comportement de la part d'au-
tres membres de la catégorie soumise au régime légal.
L'argument de la Couronne selon lequel, en dépit de l'écri-
teau, l'ignorance de la loi ne justifie pas que le demandeur
déroge aux exigences de la loi, doit être rejeté. La maxime
«l'ignorance de la loi n'excuse personne» s'applique aux actes
criminels entendus dans le vrai sens. Elle ne s'applique pas à
une violation des dispositons fiscales essentiellement civiles de
la Loi sur les douanes.
La Couronne est responsable lorsque ses préposés n'exercent
pas une diligence raisonnable, et elle est également responsable
des abus de pouvoir intentionnels de leur part. L'écriteau sur le
quai était ou bien un piège délibéré ou bien un exposé erroné
fait avec négligence quant à l'obligation des marins arrivants de
faire des déclarations; dans les deux cas, il y a responsabilité
délictuelle.
Il y a lieu à des dommages spéciaux pour le coût de la remise
du bateau dans son état antérieur à la saisie et tout autre
dommage infligé à la propriété. Il y a ouverture à des domma-
ges-intérêts généraux pour l'offense découlant des tracasseries
des préposés de la Couronne, de leur harcèlement du deman-
deur et de la malveillance de la part de l'un d'entre eux.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), appendice II, n° 44], art. 6(1), 7, 8,
12, 15, 24.
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 19.
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3
(R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de
1982, n° 1) [L.R.C. (1985), appendice II, n° 5], art.
92(14), 101.
Loi sur la défense nationale, S.R.C. 1970, chap. N-4, art.
128.
Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, chap. C-40, art. 11, 18,
231(1).
Loi sur les douanes, L.R.C. (1985) (2° suppl.), chap. 1.
Loi sur les douanes, S.C. 1986, chap. 1, art. 212(3).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145;
(1984), 55 A.R. 291; 11 D.L.R. (4th) 641; [1984] 6
W.W.R. 577; 33 Alta. L.R. (2d) 193; 27 B.L.R. 297; 14
C.C.C. (3d) 97; 2 C.P.R. (3d) 1; 41 C.R. (3d) 97; 9
C.R.R. 355; 84 D.T.C. 6467; 55 N.R. 241; Entick v.
Carrington (1765), 95 E.R. 807 (K.B.); Paragon Proper
ties Ltd. v. Magna Envestments Ltd. (1972), 24 D.L.R.
(3d) 156; [1972] 3 W.W.R. 106 (C.A. Alb.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
R. c. Schwartz, [1988] 2 R.C.S. 443; (1988), 55 D.L.R.
(4th) 1; [1989] 1 W.W.R. 289; 56 Man. R. (2d) 92; 45
C.C.C. (3d) 97; 66 C.R. (3d) 251; 88 N.R. 90; R. c.
Simmons, [1988] 2 R.C.S. 495; (1988), 67 O.R. (2d) 63;
55 D.L.R. (4th) 673; 45 C.C.C. (3d) 296; 66 C.R. (3d)
297; 89 N.R. 1; 30 O.A.C. 241; R. c. Jacoy, [1988] 2
R.C.S. 548; [1989] 1 W.W.R. 354; (1988), 18 C.E.R.
258; 38 C.R.R. 290; 2 T.C.T. 4120; R. v. Rao (1984), 46
O.R. (2d) 88; 9 D.L.R. (4th) 542; 12 C.C.C. (3d) 97; 40
C.R. (3d) 1; 10 C.R.R. 275; 4 O.A.C. 162 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Kuruma v. The Queen, [1955] A.C. 197 (P.C.); R. c.
Wray, [1971] R.C.S. 272; (1970), 11 D.L.R. (3d) 673;
[1970] 4 C.C.C. 1; 11 C.R.N.S. 235.
DÉCISIONS CITÉES:
R. c. Therens et autres, [1985] 1 R.C.S. 613; (1985), 18
D.L.R. (4th) 655; [1985] 4 W.W.R. 286; 38 Alta. L.R.
(2d) 99; 40 Sask. R. 122; 18 C.C.C. (3d) 481; 13 C.P.R.
193; 45 C.R. (3d) 57; 32 M.V.R. 153; 59 N.R. 122; Noor
Mohamed v. The King, [1949] A.C. 182 (P.C.); Callis v.
Gunn, [1964] 1 Q.B. 495; Nicholson c. Haldimand-Nor -
folk Regional Board of Commissioners of Police, [1979]
1 R.C.S. 311; (1978), 88 D.L.R. (3d) 671; 78 CLLC
14,181; 23 N.R. 410; Martineau c. Comité de discipline
de l'Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602; (1979),
106 D.L.R. (3d) 385; 50 C.C.C. (2d) 353; 13 C.R. (3d)
1; 15 C.R. (3d) 315; 30 N.R. 119.
DOCTRINE
Linden, Allen M., La responsabilité civile délictuelle, 4'
éd., Cowansville (Qué.), Éditions Yvon Biais Inc.,
1988.
Linden, Allen M., «Tort Law's Role in the Regulation
and Control of the Abuse of Power», dans Special
Lectures of the Law Society of Upper Canada,
Toronto: Richard De Boo, 1979.
Sopinka, John et Sidney N. Lederman, The Law of
Evidence in Civil Cases, Toronto: Butterworths, 1974.
Williams, Glanville, Textbook of Criminal Law, 2' éd.,
London: Stevens & Sons, 1983.
AVOCATS:
J. C. Blewett pour le demandeur.
Gunnar O. Eggertson pour la défenderesse.
PROCUREURS:
J. C. Blewett, White Rock (Colombie-Britan-
nique), pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MULDOON:
NOTE DE L'ARRÊTISTE
Le directeur général s'est fondé sur le paragra-
phe 58(2) de la Loi sur la Cour fédérale pour
décider que certaines parties des motifs de juge-
ment de 103 pages prononcés par Sa Seigneurie
en l'espèce présentent suffisamment d'impor-
tance pour justifier leur publication dans les
recueils officiels.
L'importance de ce jugement est due aux ques
tions relatives à la Charte soulevées dans deux
actions en dommages-intérêts découlant d'une
série de saisies des automobiles et de la rési-
dence du demandeur, c'est-à-dire le yacht à
moteur Rogue. En saisissant le bateau, les doua-
niers ont confisqué les papiers personnels du
demandeur, qui revêtaient la forme de journaux
ou «journaux de bord», et il y avait lieu pour la
Cour d'examiner la question de savoir si ceux-ci
avaient été saisis dans une «fouille effectuée à la
frontière» et s'il s'agissait là d'un acte d'exécution
de la loi nécessaire. Puisqu'il s'agissait d'une
perquisition sans mandat, le juge Muldoon a exa-
miné la jurisprudence qui avait fait date — de
l'arrêt de 1765 Entick v. Carrington à l'arrêt
Hunter et autres c. Southam Inc. — et qui portait
sur l'exigence en common law d'un mandat à titre
d'autorisation de la saisie des papiers personnels.
Sa Seigneurie a alors discuté des exigences léga-
les de la Loi sur les douanes relativement aux
impératifs constitutionnels de la Charte. Il s'est
posé une autre question, celle de savoir si les
papiers saisis étaient recevables compte tenu des
principes de common law régissant l'exclusion
d'éléments de preuve et du paragraphe 24(2) de
la Charte. Sont également publiées dans le recueil
les remarques faites par le juge sur la question de
la responsabilité de la Couronne à l'égard des
dommages-intérêts généraux et spéciaux et
quant au fait que l'adoption de la Charte et de la
Déclaration canadienne des droits avait été
rendue nécessaire par des décennies d'«agisse-
ments déplorables de la part de l'État». De brefs
résumés ont également été faits pour indiquer la
nature des parties omises des motifs de
jugement.
Le demandeur et son épouse formaient un
couple âgé qui maintenait une adresse postale à
White Rock (Colombie-Britannique), mais qui rési-
dait à bord de leur yacht de quarante-cinq pieds,
le Rogue. Le couple avait fréquemment l'occasion
de voyager à bord du Rogue au sud de la fron-
tière américaine pour rendre visite à des amis et
pour profiter des services offerts par des marinas
de l'État de Washington qui étaient meilleurs et
moins chers que ceux disponibles dans leur port
d'attache. Des rapports d'informateurs selon les-
quels le demandeur faisait le trafic d'alcool ont
suscité les soupçons des douaniers. En même
temps, les activités douanières faisaient l'objet
d'une enquête interne tenue pour savoir si les
agents locaux s'acquittaient de façon appropriée
de leurs fonctions. Le demandeur lui-même avait
été auparavant un douanier mais ses collègues ne
l'aimaient pas beaucoup. C'est à trois reprises
que les douaniers ont saisi le Rogue, et la GRC a
saisi les deux automobiles du demandeur.
La première saisie du Rogue a eu lieu le
1 e1 février 1984. Le demandeur a amarré son
bateau au quai du gouvernement, il n'avait rien à
déclarer et a obtenu un congé de la part de
l'inspecteur des douanes en uniforme. Toutefois,
quelques minutes plus tard, quatre agents en civil
ont arraisonné le bateau de la manière des «poli-
ciers en lutte contre des gangs de criminels» —
le témoignage du demandeur selon lequel ils ont
eu un comportement violent et qui traduisait de
l'ignorance à l'égard de l'intégrité du bateau a été
cru. Aucun article de contrebande n'a été trouvé.
Néanmoins, le chef du groupe qui a arraisonné le
bateau a décidé de saisir le Rogue. lI a rempli un
reçu pour saisie, disant que la saisie du bateau en
vertu de la Loi sur les douanes était due à l'omis-
sion de déclarations d'entrée à Douanes Canada
lors de son retour au Canada. Il a été ordonné
que le bateau fût détenu au quai du gouverne-
ment en attendant les conditions de la mainlevée.
La Cour a conclu qu'il n'existait aucun motif rai-
sonnable et probable justifiant cette fouille, cette
perquisition et cette saisie et que les agents
n'avaient qu'une vague idée générale de la viola
tion alléguée. La fouille, la perquisition et la saisie
effectuées étaient en tous points disproportion-
nées et abusives. Bien qu'il n'y ait rien de mal à
ce qu'on use d'intimidation à l'égard de terroris-
tes et de trafiquants de drogues, les citoyens
décents, même si on les soupçonne d'avoir
commis une infraction à la Loi sur les douanes,
devraient être traités avec délicatesse et respect
par les préposés de l'État.
La déclaration contenait une allégation selon
laquelle, à la conclusion de la fouille, les préposés
de la défenderesse ont saisi les journaux et les
documents du demandeur, contrairement aux arti
cles 8 et 24 de la Charte. Sa Seigneurie a conclu
que l'agent chargé du groupe qui avait fait l'arrai-
sonnement «pensait avoir tenu le filon (dans le
sens de l'exécution de la loi) en prenant posses
sion des soi-disant `journaux de bord" qui, selon
lui, prouveraient les diverses déclarations omises
alléguées en l'espèce. Ayant, par une intimidation
légère mais réelle exercée durant son arraisonne-
ment, obtenu ce qui était en fin de compte sans
valeur, ou voire ce qui fait conclure à la négli-
gence de la part des douaniers du poste de
Douglas et du poste de Pacific Highway, Bori-
senko ne se laisserait pas fléchir — ne pourrait
se laisser toucher, mais allait continuer de
s'acharner contre Rollinson, et les autres témoins
de la Couronne ont bon gré mal gré et plus ou
moins participaient avec Borisenko, soit pour le
"bien du service" soit pour sauver leur poste, leur
pension ou leurs états de service».
La saisie des papiers personnels est-elle comprise
dans la saisie du bateau?
En dépit de tout ce qui précède, la Couronne
peut-elle valablement prétendre que la saisie des
papiers personnels du particulier constituait une
mesure nécessaire d'application de la loi? Elle ne
semble pas avoir été telle, même selon la preuve
examinée jusqu'à maintenant: mais il y a plus.
Bien que la Couronne ait retenu les services d'un
avocat, qu'elle ait repoussé les prétentions de M.
Rollinson et l'ait poursuivi pour confirmer la saisie
du Rogue (plus celle de deux automobiles imma-
triculées à son nom et saisies entre ses mains), la
saisie du bateau se fondant sur les actions, les
paroles et le témoignage de l'ancien agent Bori-
senko, les préposés de la Couronne n'étaient cepen-
dant pas tous aussi uniformément du même avis
qu'il peut le sembler dans les actes de procédure.
En effet, Terry Arthur Langley a qualifié de «pré-
maturée» la saisie du bateau du particulier le 1"
février 1984. Dans son interrogatoire principal par
l'avocat de la Couronne, Langley a dit ce qui suit
[transcription, à la page 487]:
[TRADUCTION] R. O.K. Le document du 1" février [pièce
2(79)] était, à mon avis, prématuré, en ce sens que M.
Rollinson n'avait pas eu la possibilité de répondre aux
allégations, d'où la réunion du 7 février.
Contre-interrogé, Langley a déposé comme suit
[transcription, aux pages 509 et 510]:
[TRADUCTION] Q. Bon, la saisie du 1" février, c'est celle
dont il est question au Document 2, *79 [pièce 2(79)], si
je puis vous y reporter. Je crois que c'est celle dont vous
avez témoigné qu'elle était prématurée?
R. Oui, il était assurément prématuré de donner suite à ce
document.
Q. Et comment cela est-il arrivé?
R. Bien, la préparation de ce document est le résultat de
l'attention apportée par l'unité mobile à la comparaison
des déclarations d'entrée du bateau d'une part aux États-
Unis, et d'autre part au Canada.
Q. Oui, cela porte la signature de M. Borisenko. Lorsque
vous dites que cette mesure était prématurée, voulez-vous
dire que M. Borisenko a agi de façon un peu précipitée en
s'empressant d'agir à ce moment-là?
R. Bien, assurément à mon avis. J'ai été enquêteur des
douanes pendant plusieurs années et j'ai régulièrement
participé à des saisies. Si je comprends bien, M. Rollin-
son a fourni certaines explications au moment où son
bateau a été arraisonné la première fois; or, j'avais pour
pratique courante de m'asseoir avec la personne censée
avoir commis les infractions à la douane pour en discuter
avec elle et lui donner la possibilité d'y répondre.
Le témoin a déposé en ce sens à plusieurs reprises,
comme en témoigne la transcription aux pages
511, 512 et 531.
Qui est Terry Arthur Langley? Le Zef janvier
1984, il était le gérant intérimaire de l'Unité des
transports maritimes et ferroviaires internationaux
des Douanes canadiennes dans la région métropoli-
taine de Vancouver. L'Unité mobile d'inspection
était un organisme secondaire au sein de l'Unité
des transports maritimes et ferroviaires internatio-
naux. Dans l'échelle hiérarchique, Langley avait
pour subordonné Charles Szalai, qui avait lui-
même pour subordonnés Borisenko, Savaia et
Tufts (transcription, aux pages 477, 480, 688 et
710). Ainsi donc, alors que la Couronne tente
énergiquement de qualifier de légale, normale et
non répréhensible la saisie du bateau du particulier
le 1 e février, cela n'a pas toujours été l'avis du
fonctionnaire supérieur de la Couronne qui était
responsable de façon nominale mais non réelle de
cette saisie. Si la saisie du navire le ler février 1984
était «prématurée» et donc inutile, même aux yeux
d'un fonctionnaire sérieux de la Couronne, à plus
forte raison la même remarque s'applique-t-elle,
avec encore plus de vigueur, à la saisie des papiers
personnels du particulier. Elle était abusive. Il y a
eu violation de l'article 8 de la Charte [Charte
canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap.
11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, n° 44]].
La façon dont l'article 8 a été violé
L'article 8 de la Charte est libellé comme suit:
8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les
perquisitions ou les saisies abusives.
Une saisie illégale est par le fait même abusive. La
saisie sans mandat des papiers personnels du parti-
culier effectuée par Borisenko, en usant de l'inti-
midation, alors qu'il a faussement prétendu être
tenu de les saisir par la loi, constituait une viola
tion du droit de Rollinson garanti à l'article 8 de la
Charte. La saisie de ces papiers par Borisenko au
nom de la Couronne était illégale. Elle était par
conséquent abusive. Il y a violation de l'article 8
du fait qu'un nombre intimidant de personnes a
passé outre à la volonté du particulier en faisant
irruption chez lui la nuit tombée en invoquant
faussement une exigence de la loi qui était illégale.
Les papiers ont-ils été saisis dans le cadre d'une
«fouille effectuée à la frontière»?
À cet égard, l'avocat de la Couronne attache
beaucoup d'importance à la notion des «fouilles
effectuées à la frontière» afin d'éviter que la Cour
ne déclare inconstitutionnelle la conduite répré-
hensible du préposé de sa cliente. On a soutenu
que les quatre costauds, tous démunis de mandat,
ont arraisonné le Rogue la nuit tombée le 1er
février 1984, afin d'y chercher des boissons alcooli-
ques de contrebande. Quoi qu'il en soit, ils n'en ont
pas trouvé. Même si cette mesure peut légitime-
ment se comparer à une seconde visite dans le but
de vérifier la déclaration «rien à déclarer» faite en
premier lieu par la personne entrant au pays, ce
que l'on cherche alors, ce sont des marchandises
non déclarées, ou des articles de contrebande, et
non les papiers personnels de la personne en cause.
Lorsque l'on dit plutôt que la saisie prématurée du
bateau est fondée sur l'omission passée (ou est-ce
les omissions passées) du particulier de faire des
déclarations à la douane, le droit écrit ordinaire, et
encore moins la loi fondamentale du pays, n'accor-
dent pas aux préposés de la Couronne l'autorité de
saisir sans mandat les papiers personnels du parti-
culier. Ces documents ne sont pas des articles de
contrebande.
Il serait absurde des agents du niveau primaire
de renvoyer le particulier au niveau secondaire
parce qu'ils le soupçonnent d'avoir des papiers
personnels et il serait, et il est, illégal pour les
agents au niveau secondaire de saisir, sans mandat,
les papiers personnels du particulier — considérés
de façon distincte des marchandises non déclarées
achetées ou acquises à l'étranger — car ni la Loi
sur les douanes [L.R.C. (1985) (2e suppl.), chap.
1], à l'époque ou aujourd'hui, ni aucune autre loi
fiscale n'associent les papiers personnels à la
notion d'articles de contrebande ou assujettis à la
douane. Ils s'assimilent au permis de conduire, au
titre de propriété d'une maison, à un journal ou à
de la correspondance, à l'avis juridique écrit de
l'avocat d'un particulier ou au diagnostic écrit ou à
l'ordonnance de son médecin. Tout fonctionnaire
de l'État désireux de saisir ce genre de papiers à la
résidence du particulier, en croyant qu'ils fourni-
ront la preuve que ce dernier a commis une infrac
tion, doit au préalable, sous serment, persuader un
juge de paix ou un autre officier de justice compé-
tent du caractère raisonnable de cette opinion, et il
ne peut y donner suite avant d'être muni d'un
mandat en bonne et due forme.
L'avocat de la Couronne soutient cependant que
la saisie des papiers personnels du particulier cons-
titue ce qui a été appelé une «border search»
(fouille effectuée à la frontière), et que cette saisie
ne viole pas le droit du particulier d'être protégé
contre les saisies abusives prévu à l'article 8 de la
Charte. À l'appui de cette prétention, l'avocat de
la Couronne a principalement cité deux récents
arrêts majoritaires de la Cour Suprême du
Canada, tous deux rendus le 8 décembre 1988: R.
c. Simmons, [ 1988] 2 R.C.S. 495; et R. c. Jacoy,
[1988] 2 R.C.S. 548.
Mme Simmons est entrée au Canada par avion
en provenance de la Jamaïque, et M. Jacoy est
entré au Canada — au poste Douglas — en auto
mobile en provenance de Seattle, États-Unis
d'Amérique, et la question s'est posée de savoir si
l'un et l'autre avaient été détenus au sens accordé
à ce mot dans l'arrêt R. c. Therens et autres,
[1985] 1 R.C.S. 613, de sorte qu'il soit possible
d'invoquer l'alinéa 10b) de la Charte, qui garantit
le droit d'avoir recours sans délai à l'assistance
d'un avocat et d'être informé de ce droit. C'est
peut-être dans le cadre d'une autre affaire qu'il y
aura lieu de décider si la personne dont les papiers
personnels sont saisis à son domicile en sa présence
est nécessairement «détenue». Selon les faits de
l'espèce, on doit conclure que les Rollinson n'ont
pas été détenus, car la recherche d'articles de
contrebande n'a rien donné. Ainsi donc, bien que
la Couronne ait réussi à échapper à la conclusion
que les inspecteurs des douanes ont violé l'alinéa
l0b) dans les circonstances en cause, celles-ci
témoignent de la perquisition sans mandat de la
résidence du particulier la nuit tombée et de la
saisie de ses papiers personnels.
C'est ce dernier élément qui distingue l'espèce
des arrêts de la Cour suprême invoqués par la
Couronne. Ils avaient trait à des personnes qui
importent au Canada «cachés sur elles, des effets
sujets à déclaration en douane, ou des articles
prohibés» selon les termes de l'article 143 de l'an-
cienne Loi [S.R.C. 1970, chap. C-40]. Les papiers
personnels d'un particulier ne sont tout simplement
pas de tels articles; ils ne le sont jamais devenus,
même si, comme c'est le cas en l'espèce, la rési-
dence du particulier est un bateau capable de
traverser la frontière. Ainsi donc, la Cour conclut
que la jurisprudence à l'appui du pouvoir des
douaniers de détenir ceux qui passent la frontière
et de chercher et saisir des effets, y compris des
articles de contrebande, n'a pas la même autorité à
l'égard de la saisie des papiers personnels.
La common law exige que les préposés de la
Couronne obtiennent un mandat valide avant de
saisir des papiers personnels
Dans le jugement de la Cour suprême qui a fait
autorité, Hunter et autres c. Southam Inc., [1984]
2 R.C.S. 145, c'est le juge Dickson, plus tard juge
en chef du Canada, qui a rédigé les motifs unani-
mes de la Cour. Il a mentionné et cité «l'arrêt
célèbre» Entick v. Carrington (1765), 95 E.R. 807
(K.B.), considérant qu'il exposait correctement la
common law applicable à la saisie des biens per-
sonnels. En plus des passages de l'arrêt Entick v.
Carrington cités par le juge Dickson, on trouve
aussi dans cet arrêt les passages très pertinents qui
suivent [aux pages 807 et 814]:
[TRADUCTION] Transgression intentionnelle: le demandeur
déclare que les défendeurs, le 11 novembre ... 1762, West-
minster ... par la force et par les armes ont fait irruption à son
domicile ... et qu'ils y sont restés quatre heures sans son
consentement et contre sa volonté ... et qu'ils ont lu, fouillé et
examiné tous ses papiers personnels, livres, etc. qu'ils ont
trouvés, de sorte que les affaires secrètes, etc. du demandeur
ont été illégalement mises à jour et rendues publiques; et les
défendeurs ont pris et emporté lesdits papiers, etc....
Le juge en chef. — Je ne donnerai aucune opinion pour
l'instant ... ; je me contenterai de mentionner un point qui a
échappé à la sagacité des avocats des deux parties, de sorte que
l'on puisse en tenir compte au cours de la prochaine plaidoi-
rie.... supposons qu'un juge de paix décerne un mandat pour
perquisitionner une maison en vue d'y trouver des objets volés,
et qu'il l'adresse à quatre de ses préposés, qui perquisitionnent
sans trouver d'objets volés, mais qui saisissent tous les livres et
les papiers des propriétaires de la maison, dans de telles cir-
constances, le juge de paix, ses préposés ou mandataires, sont-
ils visés par la loi 24, Geo 2? [Non souligné dans le texte
original.]
Dans l'arrêt Entick v. Carrington, [TRADUC-
TION] «le comte de Halifax était ... l'un des lords
du Conseil privé du Roi, et l'un de ses principaux
secrétaires d'État, et» [à la page 809] il avait
«décerné un mandat sous son seing et sceau aux
défendeurs, ... au nom du Roi, ... s'étant fait
accompagner d'un constable afin de procéder à
une perquisition soigneuse et rigoureuse» à la
recherche de «plusieurs hebdomadaires très sédi-
tieux ... contenant des réflexions et des injures
grossières et scandaleuses à l'endroit du gouverne-
ment de Sa Majesté et des deux Chambres du
Parlement ... pour appréhender, saisir et amener
[le demandeur] ainsi que ses livres et papiers sous
bonne garde devant le comte de Halifax, pour être
interrogé sur les accusations portées contre lui»
[aux pages 808 et 810] «La Cour, à l'unanimité,
s'est prononcée en faveur du demandeur» [à la
page 815] sur précisément les questions qui con-
cernent les parties en l'espèce, comme le montrent
les passages pertinents qui suivent [aux pages 817
et 818]:
[TRADUCTION] Le mandat en l'espèce [dont les juges ont dit
qu'il avait été décerné par le secrétaire d'État sans qu'il ait
compétence pour le faire] était en bref d'exécution sans assi
gnation préalable ... ni la preuve qu'il [le demandeur] était
l'auteur des soi-disant pamphlets; c'est là un pouvoir qu'aucun
autre magistrat ait jamais revendiqué . . .; l'exécution du
mandat était laissée à la discrétion de ces défendeurs ...
lorsque le demandeur n'aurait aucun témoin pour voir ce qu'ils
faisaient; car ils devaient saisir tous les documents, billets de
banque ou tous autres papiers de valeur qu'ils pourraient tenir à
emporter; personne ne les verrait ... L'un de ces messagers
nous a dit qu'il devait selon son serment rafler absolument tous
les papiers; si c'était là la loi, elle serait consignée dans nos
livres, mais aucune loi de ce genre n'a jamais existé dans notre
pays; ... [N]ous pouvons dire sans crainte d'erreur qu'aucune
loi de notre pays ne justifie les actes des défendeurs; s'il s'en
trouvait une, elle irait contre tous les agréments de la vie en
société; car les papiers sont souvent les biens les plus chers
qu'un homme puisse avoir ... [M]ais si les effets recherchés
échappent à la perquisition, il [celui qui effectue la perquisition
et la saisie] est un intrus; l'officier de justice est alors un
témoin; il n'y en a aucun dans cette affaire, aucun inventaire
n'est dressé; si la perquisition avait été légale, elle aurait été
assortie de plusieurs garanties de la propriété . . . La loi ne
contraint jamais la partie qui possède des éléments de preuve à
s'en défaire; si un adversaire est en possession de vos actes, une
action est le seul moyen légal de les récupérer. [Non souligné
dans le texte original.]
Cette formulation vieille de quelque 225 ans des
droits d'un particulier prévus par la common law,
que l'on trouve dans l'arrêt Entick v. Carrington,
peut être mise en contraste avec les actes des
quatre «messagers» contemporains sous les ordres
de Borisenko, lorsqu'ils ont saisi les papiers du
particulier en lui disant que cela était «exigé», sans
être munis même d'un faux mandat, «aucun inven-
taire n'ayant été dressé» ici non plus. Puisque
Rollinson ne s'est pas séparé de bon gré de ses
papiers, les préposés de la Couronne prétendaient
contraindre la partie (Rollinson) qui avait les élé-
ments de preuve en sa possession (sous sa garde) à
les remettre.
La Charte exige que les préposés de la Couronne
soient munis d'un mandat valide lorsqu'ils saisis-
sent des papiers personnels
Il ne faut pas croire qu'à l'époque de la Charte,
les particuliers jouissent de moins de droits qu'il y
a 225 ans. Voici ce qu'a dit le juge Dickson à ce
sujet dans la décision unanime de la Cour suprême
dans l'affaire Hunter et autres c. Southam Inc.,
précitée [à la page 158]:
À mon avis, les droits protégés par l'art. 8 ont une portée plus
large que ceux qui sont énoncés dans l'arrêt Entick v. Carring-
ton. L'article 8 est une disposition constitutionnelle enchâssée.
Les textes législatifs ne peuvent donc pas empiéter sur cet
article de la même façon que sur la protection offerte par la
common law. En outre, le texte de l'article ne le limite aucune-
ment à la protection des biens ni ne l'associe au droit applicable
en matière d'intrusion. Il garantit un droit général à la protec
tion contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives.
Le juge Dickson a alors fait une comparaison
avec les dispositions de la Constitution des États-
Unis qui sont pertinentes en l'espèce [aux pages
158 et 159]:
Le Quatrième amendement de la Constitution des États-Unis
garantit également un droit général. Il prévoit:
[TRADUCTION] Le droit des citoyens d'être garantis dans
leurs personnes, domiciles, papiers et effets, contre des per-
quisitions et saisies abusives ne sera pas violé, et aucun
mandat ne sera délivré, si ce n'est pour un motif plausible,
soutenu par serment ou affirmation, ni sans qu'il décrive avec
précision le lieu à fouiller et les personnes ou choses à saisir.
Interprétant cette disposition dans l'arrêt Katz v. United States,
389 U.S. 347 (1967), le juge Stewart qui a prononcé le
jugement de la Cour suprême des États-Unis à la majorité
déclare, à la p. 351, que [TRADUCTION] ale Quatrième amende-
ment protège les personnes et non les lieux». Il a rejeté tout lien
nécessaire entre cet amendement et le concept d'intrusion. Avec
égards, j'estime que ce point de vue est également applicable à
l'interprétation de la protection offerte par l'art. 8 de la Charte
des droits et libertés. [Non souligné dans le texte original.]
Après avoir procédé à la seconde phase d'une
fouille effectuée à la frontière sans avoir trouvé
aucun article de contrebande, l'équipe de Bori-
senko qui a arraisonné le navire n'était pas habili-
tée à saisir les papiers personnels du particulier.
Borisenko a déposé que pour autant qu'il le sache,
un mandat de perquisition n'était pas requis par la
Loi sur les douanes et ses règlements d'application
le lei février 1984, moins d'un an après l'entrée en
vigueur de la Charte. On peut lui pardonner
d'avoir pensé ainsi, car l'arrêt Hunter et autres c.
Southam Inc. n'a pas été publié par la Cour
suprême avant le 17 septembre 1984. Mais ce
pardon n'atténue pas pour autant le droit indiscu-
table du particulier, même en février 1984, d'être
protégé contre la saisie abusive de ses papiers, pas
plus qu'il ne diminue le nombre impressionnant de
douaniers qui sont montés à bord du Rogue à la
tombée du jour et qui ont «exigé» que le particulier
leur remette ses papiers, sans en fournir d'inven-
taire et en l'absence de tout témoin indépendant et
d'un mandat valide.
Le droit que doit avoir eu le particulier après
l'entrée en vigueur de la Charte, et qui existe
toujours, à l'égard tout au moins de ses papiers
personnels, peut s'apprécier à la lecture du passage
décisif suivant de l'arrêt Hunter et autres c. Sou-
tham Inc. [aux pages 160 et 161]:
L'exigence d'une autorisation préalable, qui prend habituelle-
ment la forme d'un mandat valide, a toujours été la condition
préalable d'une fouille, d'une perquisition et d'une saisie valides
sous le régime de la common law et de la plupart des lois. Une
telle exigence impose à l'État l'obligation de démontrer la
supériorité de son droit par rapport à celui du particulier.
Comme telle, elle est conforme à l'esprit apparent de la Charte
qui est de préférer, lorsque cela est possible, le droit des
particuliers de ne pas subir l'ingérence de l'État au droit de ce
dernier de poursuivre ses fins par une telle ingérence.
Je reconnais qu'il n'est peut-être pas raisonnable dans tous
les cas d'insister sur l'autorisation préalable aux fins de valider
des atteintes du gouvernement aux expectatives des particuliers
en matière de vie privée. Néanmoins, je suis d'avis de conclure
qu'une telle autorisation, lorsqu'elle peut être obtenue, est une
condition préalable de la validité d'une fouille, d'une perquisi-
tion et d'une saisie.
Il importe peu que les papiers personnels, le
soi-disant journal de bord porté à la pièce 1,
traitent de l'agréable côté popote et mondain de la
vie, comme la qualité d'un repas, [TRADUCTION]
«Doady nous a fait du rôti de boeuf pour le souper.
(Formidable)» à la page 23, ou les visites, «Visite
de Pam et bébé Courtney et d'une amie Sue
Johnston» à la page 3, parmi plusieurs autres
mentions. Il n'importe pas d'avantage que la tem-
pérature et la pression atmosphérique aient été
tirées du journal The Province, plutôt que des
indications fournies là où mouillait le Rogue. Les
papiers, comme on l'a dit en 1765, sont les biens
les plus chers d'un individu et l'article 8 de la
Charte vise essentiellement à prévenir leur saisie
abusive, et non simplement à prévoir une enquête
judiciaire après leur saisie, comme c'est le cas en
l'espèce. Même si le particulier aimait jouer le rôle
de capitaine d'un croiseur de bois de 45 pieds avec
ses divers «journaux» remplis de mentions tantôt
triviales et tantôt sérieuses, il conserve son droit
constitutionnel à la protection de l'article 8. Si les
préposés de la Couronne croyaient sincèrement,
comme c'était tout au moins le cas de Borisenko
selon lui, que les papiers personnels du particulier
allaient fournir la preuve d'infractions qu'aurait
commises le particulier, encore plus grande était
l'obligation d'obtenir l'autorisation judiciaire préa-
lable ou une autre permission régulière nécessaire
pour obtenir un mandat valide ou une autre autori-
sation légale. La Charte en exige clairement
autant.
Exigence statuaire c. Impératif constitutionnel
Borisenko a déposé (transcription aux pages 694
et 695) qu'en sa qualité d'agent des douanes, il
n'avait pas besoin de mandat, la loi l'autorisant à
faire ce qu'il a fait et qu'il prend entièrement sous
sa responsabilité (transcription, à la page 632), en
vertu des articles 11 et 231, aujourd'hui abrogés,
de la Loi sur les douanes, tels qu'ils étaient libellés
en 1984:
11. (1) Le capitaine d'un navire qui vient d'un port ou d'un
lieu situé en dehors du Canada, ou fait le cabotage, et entre
dans quelque port du Canada, que ce navire soit chargé ou sur
lest, doit se rendre sans délai, après que ce navire est mouillé ou
amarré, à la douane du port ou du lieu d'entrée où il arrive, et y
faire une déclaration, par écrit, au receveur ou autre préposé
compétent de l'arrivée et du voyage du navire.
231. (1) Tous effets embarqués ou débarqués, importés ou
exportés, portés ou transportés, contrairement à la présente loi
ou à un règlement, et tous effets ou véhicules, et tous navires à
l'égard desquels les prescriptions de la présente loi ou d'un
règlement n'ont pas été observées, ou au sujet desquels il y a eu
tentative de violer les dispositions de la présente loi ou d'un
règlement, peuvent être confisqués.
Bien que la Loi sur les douanes, S.R.C. 1970,
chap. C-40, ait été abrogée par le paragraphe
212(3) de la Loi sur les douanes, S.C. 1986, chap.
1, l'ancienne Loi représente le droit écrit en
vigueur à l'époque concernée. L'ancienne Loi sur
les douanes était une loi antérieure à la Charte.
Dans les observations écrites de la Couronne,
déposées le 9 mars 1989, l'onglet 8, page 133, on
trouve notamment ce qui suit:
[TRADUCTION] [T]oute question sur la constitutionnalité de
la Loi sur les douanes telle qu'elle existait au moment des
incidents en cause, qui font l'objet des deux actions, est désor-
mais dépourvue d'intérêt pratique puisqu'une nouvelle Loi sur
les douanes est entrée en vigueur. On avance qu'aucune des
trois lois mentionnées ne viole la Charte canadienne des droits
et libertés, que ce soit comme on le prétend ou d'une façon
quelconque.
Cet argument est insoutenable et il forcerait réelle-
ment la Cour à tenir pour acquis soit qu'à l'époque
concernée il n'y avait aucune loi applicable, soit
que la Charte, bien que pleinement en vigueur,
était inopérante.
La Couronne a cité plusieurs dispositions draco-
niennes de l'ancienne Loi. Elles n'ont pas à être
reproduites ici. Après les avoir lues attentivement,
la Cour conclut qu'aucune d'elles ne l'emporte sur
l'impératif constitutionnel de l'article 8 de la
Charte de façon à autoriser la saisie sans mandat
des papiers personnels du particulier. Les disposi
tions de l'ancienne Loi sont inopérantes dans la
mesure où elles prétendent autoriser une saisie
aussi abusive.
La saisie par Borisenko et/ou sa bande des
papiers personnels du particulier, appelés «journal
de bord» le 1" février 1984, a violé le droit garanti
au particulier par l'article 8 de la Charte, droit
auquel il n'a jamais renoncé.
La saisie de ces papiers ne constituait pas une
«fouille effectuée à la frontière» dont il est question
dans les arrêts R. c. Simmons (précité) et R. c.
Jacoy. La «fouille effectuée à la frontières> a eu lieu
lorsque le groupe de Borisenko, après être monté à
bord du bateau, y a cherché en vain des articles de
contrebande. La Charte régissait obligatoirement
la situation créée par l'ancien agent Borisenko et
son équipe, le 1" février 1984, en ce qui concerne
la saisie des papiers.
L'article 24 de la Charte
L'article 24 de la Charte prévoit la situation en
l'espèce. En voici le libellé:
24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation
des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente
charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la
réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard
aux circonstances.
(2) Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1), le
tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus
dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés
garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont
écartés s'il est établi, eu égard aux circonstances, que leur
utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la
justice.
La Cour a conclu que le droit de Rollinson d'être
protégé contre les saisies abusives avait été violé.
Ce particulier s'est adressé à la Cour, au moyen de
ces deux actions régulièrement formées, pour obte-
nir réparation, c'est-à-dire des dommages-intérêts
et l'exclusion des éléments de preuve, quels qu'ils
soient, fournis par la saisie abusive de ses papiers
personnels, en application du paragraphe 24(2).
La prochaine question à laquelle il faut répondre
tient à savoir si, selon le paragraphe 24(2) de la
Charte, l'«utilisation dans ces procédures des
papiers illégalement saisis est susceptible de décon-
sidérer l'administration de la justice».
L'expression «administration de la justice» ne se
restreint pas aux procédures criminelles, car selon
l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867
[30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi
de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, n° 1)
[L.R.C. (1985), appendice II, n° 5]] et ses modifi
cations, ces procédures civiles sont fondées sur
l'idée que se fait le législateur de «la meilleure
administration des lois du Canada», «nonobstant
toute disposition contraire énoncée dans [la Loi
constitutionnelle de 1867]» [soulignement ajouté].
Ces mots dans la partie de la Constitution adoptée
en premier lieu sont capables d'accepter et d'em-
brasser, ce qu'ils font d'ailleurs, l'expression posté-
rieure «l'administration de la justice» aussi naturel-
lement que le fait le libellé de la rubrique 14 de
l'article 92 des mêmes documents constitutionnels,
même si la dernière expression se confine à l'admi-
nistration «dans la province» alors que la même
expression à l'article 101 peut s'appliquer nonob-
stant toute disposition contraire énoncée dans la
Constitution.
Déconsidération de l'administration de la justice
L'avocat de la Couronne soutient que même si,
comme a conclu la Cour, la façon dont la saisie a
été effectuée a violé les droits garantis au particu-
lier par la Charte, l'utilisation en preuve des
papiers personnels de ce dernier ne déconsidérerait
pas l'administration de la justice. En avançant cet
argument, l'avocat de la Couronne renvoie encore,
à la page 141 de ses observations écrites, à l'arrêt
Jacoy de la Cour suprême du Canada, et à la
notion des «fouilles effectuées à la frontière». À cet
égard, l'avocat de la Couronne a écrit ce qui suit:
[TRADUCTION] La Cour [suprême] a statué que la preuve (la
cocaïne) n'aurait pas dû être exclue en vertu du paragraphe
24(2) de la Charte. La preuve que constituaient les stupéfiants
était une preuve matérielle qui existait indépendamment de la
violation de la Charte et son utilisation en preuve ne serait pas
susceptible de porter atteinte l'équité du procès. Les agents
des douanes avaient agi de bonne foi. L'infraction dont était
accusé l'inculpé était la source de nombreux maux pour la
société. L'administration [sic] de la preuve ne déconsidérerait
pas l'administration de la justice.
On soutient que des critères semblables s'appliquent en l'es-
pèce. La pièce 1 est une preuve matérielle. Une nation souve-
raine doit être capable de contrôler l'accès à ses frontières. La
preuve existait indépendamment de la violation de la Charte.
Cet argument passe complètement à côté du
grief du particulier. Tout d'abord, des papiers
personnels sont tout à' fait différents de la cocaïne,
et ne peuvent d'aucune façon être considérés
comme des articles de contrebande. Ils ne sont
généralement pas, et bien que le particulier ait
joué au capitaine de navire, ils n'étaient pas en
l'espèce, quoi que ce soit qui ressemblât à des
«papiers d'affaires», prétention que la Couronne
n'a pas fait valoir en l'espèce. La Cour qualifie de
la sorte le particulier parce que ce qu'il a dit être le
véritable «journal de bord» n'a pas été produit,
ayant été perdu, ou tout au moins jamais rendu,
par Borisenko. Ce qui fait figure de pièce n° 1 n'a
pas le caractère professionnel d'un véritable «jour-
nal de bord». De plus, il n'y a sûrement aucun «mal
pour la société» dans la tenue et la possession par
le particulier de papiers personnels, dont la
common law elle-même protège le caractère confi-
dentiel depuis des siècles des regards indiscrets des
sous-fifres de l'État. Loin d'être un «mal pour la
société», le caractère confidentiel des papiers est
parfaitement en harmonie avec ce que le droit
appelle l'ordre public.
L'avocat de la Couronne soutient que [TRADUC-
TION] «les agents des douanes agissaient de bonne
foi». On peut le concéder dans la mesure où ils
concevaient avoir le droit primordial d'effectuer
une fouille secondaire à la frontière à la recherche
d'articles de contrebande, mais comme il n'y en
avait pas, la bonne foi qu'on peut leur prêter
diminue abruptement à ce point. Dans son appré-
ciation de la crédibilité des témoins, compte tenu
de leurs dépositions assermentées contradictoires,
la Cour a préféré le témoignage du particulier. La
Cour conclut que même si Borisenko, dans son
premier exposé écrit de la saisie des papiers, a
indiqué, à la pièce 2(77), qu'il avait dit à Rollinson
que les agents des douanes étaient «tenus» d'em-
porter ses papiers — un exposé erroné de la loi,
fait par erreur ou de façon délibérée — dont le
particulier s'est bien souvenu dans sa déposition,
Borisenko a tenté de camoufler cette saisie abusive
en parlant du concours de Rollinson et de son
empressement à lui remettre ces papiers. Aucun
des deux ou trois douaniers présents à bord du
Rogue qui ont témoigné ne se souvenait qu'aucun
propos du genre ait été échangé entre Borisenko et
Rollinson. Celui-ci le nie et son témoignage est
préféré. La déclaration trompeuse de la loi est
reprise dans la déposition de Borisenko. Ses belles
histoires fastidieuses et répétitives sur l'empresse-
ment de Rollinson à remettre ses papiers est un
exposé parfaitement erroné des faits, dont la Cour
tire la conclusion naturelle que Borisenko était
conscient d'avoir mal agi. Bien que l'ancien inspec-
teur ait affirmé qu'il se croyait habilité à saisir le
bateau et tout ce qui s'y trouvait, il savait que le
Rogue était la résidence ou le domicile de Rollin-
son, et la Cour, par inférence, conclut qu'il savait
mal agir en affirmant qu'il était «tenu» d'emporter
les papiers en cause, puis en les emportant sans
même donner au particulier un récépissé détaillé à
leur égard. La Cour rejette par conséquent l'argu-
ment qui fait état de la «bonne foi» des douaniers.
Il ne fait aucun doute qu'une nation souveraine
doit contrôler l'accès à sa frontière, mais ce noble
principe semble superflu quand on l'applique aux
papiers personnels du particulier. En effet, au
paragraphe 6(1) de la Charte, notre nation souve-
raine garantit à tout citoyen canadien «le droit de
demeurer au Canada, d'y entrer ou d'en sortir»,
avec ses papiers personnels et tout le reste.
Dans la réponse écrite du procureur général aux
observations écrites de l'avocat de Rollinson, dépo-
sée le 4 avril 1989, l'avocat de la Couronne plaide
pratiquement la cause du particulier. Citant l'arrêt
R. v. Rao (1984), 46 O.R. (2d) 88, un jugement de
la Cour d'appel de l'Ontario dans lequel il est dit
qu'en matière de perquisitions sans mandat, des
critères différents s'appliquent aux véhicules, aux
navires et aux aéronefs en raison de leur mobilité,
l'avocat de la Couronne a dit ce qui suit à la page
48:
[TRADUCTION] À la page 121 [de l'arrêt Rao]: Le droit
légitime d'un individu de s'attendre au respect de sa vie privée
chez lui et à son bureau est l'un des droits les plus précieux que
protège une société démocratique. Comme l'a dit le juge
Lamer, qui s'exprimait pour la Cour suprême du Canada, dans
l'arrêt Descoteaux et autre c. Mierzwinski et autre, [1982] 1
R.S.C. 860 la page 889, 70 C.C.C. (2d) 385 la page 410,
141 D.L.R. (3d) 590 la page 615: «La perquisition est une
exception aux principes les plus anciens et les plus fondamen-
taux de la common law et le pouvoir de perquisition doit être
contrôlé strictement.0
À cela, la Cour répond «amen». L'équipe de Bori-
senko qui a arraisonné le Rogue savait que le
navire était la résidence de ce couple presqu'âgé.
Les membres de l'équipe savaient également, ou
auraient dû savoir, à la suite de leur recherche
documentaire et des confidences anonymes des
informateurs qui, disent-ils, ont prétendu que les
Rollinson faisaient la contrebande de boissons
alcooliques des États-Unis, que White Rock était
le port d'attache du couple.
Puisque la common law, depuis au moins 225
ans (et plus), a consacré le droit de l'individu de
s'attendre au respect de sa vie privée, on pourrait
croire que ceux qui appliquent la loi, y compris la
Loi sur les douanes, connaissent ce droit. En effet,
la Cour conclut que Borisenko ne l'ignorait pas
autant qu'il l'a plus tard affirmé, et que le 1"
février 1984, il savait mal agir en «exigeant» que le
particulier lui remette ses papiers personnels.
Après avoir reconnu la distinction entre une
résidence et un simple moyen de transport, l'avocat
de la Couronne, toujours à la page 48 de ladite
réponse, a souligné précisément la différence entre
la saisie d'articles de contrebande et celle de
papiers personnels, même sur un navire faisant
office de résidence, en citant ce passage de l'arrêt
Rao à la page 125:
[TRADUCTION] En outre, la perquisition sans mandat des
véhicules, des navires et des aéronefs, qui peuvent partir rapide-
ment, peut être raisonnable lorsqu'il existe des motifs raisonna-
bles de croire qu'il s'y trouve des stupéfiants. [Non souligné
dans le texte original.]
Avant de saisir les papiers du particulier, Bori-
senko savait de première main que le navire ne
contenait aucun stupéfiant, ni aucune autre sorte
d'articles de contrebande. Cela ne l'a quand même
pas empêché d'excéder ses pouvoirs et de violer les
droits du particulier, sachant qu'il agissait mal.
L'administration de la justice serait déconsidérée,
par conséquent la preuve doit être écartée
La façon dont s'est effectuée la violation du
droit garanti au particulier par l'article 8 de la
Charte — l'intimidation exercée par quatre robus-
tes gaillards qui sont montés à bord de son bateau
et résidence la nuit tombée pour y perquisitionner,
l'exposé erroné de l'exigence de la loi, la cons
cience qu'avait l'agent des douanes de violer le
droit du particulier reflétée par la dissimulation et
par d'autres exposés erronés auxquels il a recouru,
et toutes les autres circonstances déjà énumérées
— tout cela est tel que permettre à la Couronne de
faire utiliser ces papiers en preuve dans les présen-
tes procédures aurait pour effet de déconsidérer
l'administration de la justice. La Cour n'est saisie
que de ces procédures, les deux actions portant les
numéros de greffe T-560-84 et T-245-87. Cepen-
dant, pour en revenir à l'intimidation infligée à ce
couple presqu'âgé, les Rollinson, on peut présumer
que l'agressivité de l'équipe de Borisenko qui a
arraisonné leur bateau a pu leur indiquer que
Borisenko était prêt à les poursuivre pour les
infractions alléguées aux dispositions de la Loi sur
les douanes. Tout cela leur est arrivé dans le cadre
d'une saisie que le surintendant Langley a quali-
fiée de prématurée. Borisenko ne peut avoir raison-
nablement cru que les Rollinson allaient prendre
fuite en mer et ne plus jamais réapparaître à
White Rock ni dans aucun autre port canadien.
Les faits susmentionnés établissent que les papiers
saisis doivent être écartés en vertu du paragraphe
24(2) de la Charte.
Subsidiairement, les éléments de preuve doivent
être écartés en application des règles de la common
law
Dans l'éventualité où il serait statué que la
réparation prévue au paragraphe 24(2) de la
Charte ne s'applique pas dans les circonstances,
néanmoins et subsidiairement, les papiers
devraient être et seront écartés dans les actions en
cause en vertu des règles de la common law. De
fait, une telle décision est prise en application de
règles qui sont elles-mêmes des exceptions à la
règle générale.
Cette règle générale est bien connue au Canada.
Elle veut que les éléments qui constituent des
preuves pertinentes et probantes relativement aux
questions en litige soient recevables et que leur
obtention par des moyens irréguliers n'affecte ni
l'applicabilité ni la crédibilité de la preuve. Le
pouvoir discrétionnaire du juge d'exclure une telle
preuve est négligeable. Les savants auteurs du livre
The Law of Evidence in Civil Cases, Butterworths,
Toronto, 1974, traitent de cette règle au chapitre 3
de leur œuvre sous la rubrique de [TRADUCTION]
«la preuve obtenue illégalement» aux pages 335 et
suivantes. Les auteurs traitent de ce sujet avec une
ironie et une répugnance considérables car il n'évo-
que ni la justice ni la logique. Tout d'abord, cepen-
dant, les auteurs, Sopinka et Lederman, remar-
quent à la page 335:
[TRADUCTION] Tout examen du droit actuel doit nécessaire-
ment traiter des décisions en matière criminelle, car ce sont les
arrêts de principe et leur impact sur l'admissibilité de cette
preuve en matière civile a été considérable.
La première exception: le document obtenu par
duperie
Premièrement, en ce qui concerne les exceptions,
les savants auteurs citent la décision mal considé-
rée et attristante de la section judiciaire du Conseil
Privé dans l'affaire Kuruma v. The Queen, [1955]
A.C. 197. On peut affirmer à bon droit que l'arrêt
Kuruma a donné naissance sans le vouloir à
l'article 24 de la Charte qui, comme on l'a analysé
plus haut, est l'antithèse de la règle générale qui a
été énoncée avec une déplorable rigidité dans l'ar-
rêt Kuruma. Le pouvoir discrétionnaire négligea-
ble qu'a le juge d'écarter les éléments de preuve
obtenus illégalement a toutefois été illustré par le
juge en chef, lord Goddard (à la page 204) de la
façon suivante:
[TRADUCTION] Si, par exemple, l'utilisation en preuve d'un
élément de preuve, c'est-à-dire d'un document, avait été obte-
nue d'un défendeur par subterfuge, sans doute le juge pour-
rait-il à bon droit l'écarter.
Cette Cour estime que dans l'exemple ci-dessus
d'une exception à la règle de l'utilisation insou-
ciante des éléments de preuve pertinents mais
obtenus illégalement, il faut voir la common law.
Sopinka et Lederman laissent entendre à la page
347 de leur œuvre que le pouvoir discrétionnaire
du juge au Canada était largement douteux, en
1974. En l'espèce, le doute ne saurait subsister
mais doit être dissipé. La Cour revendique ce
pouvoir.
L'exception prévue par la common law à la règle
générale, et exposée plus haut, est le fondement de
la décision de la Cour d'«écarter» le contenu de la
pièce 1, les papiers personnels, les soi-disant «jour-
naux de bord», qui ont été enlevés au citoyen par
l'ancien inspecteur Borisenko en se fondant sur son
exposé erroné de la loi selon lequel il était «tenu»
de le prendre. La Cour a déjà conclu que Bori-
senko savait mal agir lorsqu'il a fait au particulier
un exposé erroné de la loi, qui l'aurait obligé à
saisir les papiers. La quintessence d'une superche-
rie, dans la mesure où elle dépend d'une communi
cation orale ou écrite, réside dans un exposé erroné
délibéré, ou dans la déception. Donc, en raison du
pouvoir discrétionnaire exceptionnel mais négli-
geable des juges énoncé par le juge en chef, lord
Goddard pour une cour unanime dans l'arrêt
Kuruma, la Cour «écarte» ou exclut en l'espèce le
contenu de la pièce 1, soit les «journaux de bord»
ou les journaux saisis, chaque fois qu'il est pré-
senté de façon supplémentaire dans les deux
actions en l'espèce.
La seconde exception: la preuve fortement préjudi-
ciable, dont la recevabilité tient à une subtilité, et
la force probante est insignifiante
Cette question a été fort étudiée par une Cour
suprême du Canada profondément partagée dans
l'arrêt R. c. Wray, [1971] R.C.S. 272, dans lequel
les arrêts Kuruma et Noor Mohamed v. The King,
[1949] A.C. 182 (P.C.), aussi bien que l'arrêt
Callis v. Gunn, [1964] 1 Q.B. 495, à la page 501,
ont été soigneusement étudiés et soupesés. Rédi-
geant les motifs pour ce qui semble être la majorité
dans l'arrêt Wray, le juge Martland (à la page
293) a exprimé les pensées suivantes:
Cette évolution de la notion d'un pouvoir discrétionnaire
illimité d'écarter une preuve recevable n'est pas justifiée par la
jurisprudence sur laquelle elle prétend s'appuyer. L'aphorisme
de Lord Goddard dans l'affaire Kuruma paraît fondé sur
l'affaire Noor Mohamed et on l'a, à mon avis, beaucoup trop
élargi dans certaines affaires subséquentes. Il reconnaît un
pouvoir discrétionnaire d'écarter une preuve lorsque l'applica-
tion stricte des règles de recevabilité serait inéquitable envers
l'accusé. Même si l'on accepte cet énoncé, de la façon dont il est
formulé, il n'y a lieu pour le juge de première instance d'exercer
ce pouvoir discrétionnaire que s'il y est inéquitable de recevoir
la preuve. Recevoir une preuve pertinente à la question en litige
et de grande force probante peut avoir un effet défavorable à
l'accusé, sans être inéquitable. C'est seulement le fait de rece-
voir une preuve fortement préjudiciable à l'accusé et dont la
recevabilité tient à une subtilité, mais dont la valeur probante à
l'égard de la question fondamentale en litige est insignifiante,
qui peut être considéré comme inéquitable.
Dans les actions en cause, l'utilisation en preuve
du soi-disant journal de bord — les papiers person-
nels du particulier — aurait sans aucun doute un
effet inéquitable pour l'accusé. L'objectif poursuivi
par l'ancien agent Borisenko, et maintenant par
l'avocat de la Couronne, en tentant d'utiliser en
preuve les papiers constituant la pièce 1 serait
fortement préjudiciable, car en réalité leur valeur
probante à l'égard de la question des déclarations
d'entrée du particulier est insignifiante, parce
qu'ensemble et séparément, ces papiers sont peu
utiles à cette fin, ce qui fait tenir leur recevabilité
à une subtilité. Du point de vue de la Couronne, la
valeur probante du contenu de la pièce 1 n'est pas
seulement nulle, elle est même défavorable, car
elle tend à corroborer la déposition de Rollinson
(bien que les papiers aient été rédigés plus ou
moins de façon irrégulière, mais aussi parfois régu-
lièrement au cours des quelque quatorze mois qui
ont précédé leur saisie par Borisenko), et elle tend
aussi à corroborer certaines des observations consi-
gnées des préposés du gouvernement, qui sont
défavorables à la position de la Couronne en
l'espèce.
Sa Seigneurie a expliqué que les douaniers
chargés de l'enquête croyaient que, en compa-
rant les notations du journal de bord concernant
les entrées aux É.-U. avec celles concernant les
retours au Canada, l'allégation de non-déclaration
se trouverait justifiée. Mais cette idée dépendait
de certaines présomptions, et toutes ces pré-
somptions étaient fausses.
On a beaucoup discuté de la formule E-99 —
document qui devait être établi par l'agent des
douanes et délivré à ceux qui faisaient des décla-
rations d'entrée. Le demandeur a déposé que,
parfois, les agents ne s'étaient pas présentés au
quai et que, à ces occasions, une formule E-99
n'avait pas été reçue. L'avocat de la Couronne a
prétendu qu'il appartenait au demandeur de réfu-
ter les allégations de non-déclaration en produi-
sant une formule E-99 à chaque occasion. La
Couronne n'a toutefois indiqué aucune obligation
légale de retenir les formules E-99. Il n'existe
aucune analogie entre la formule E-99 et le certifi-
cat d'enregistrement pour une arme à autorisation
restreinte examiné dans l'arrêt La Reine c.
Schwartz, [1988] 2 R.C.S. 443. Ce qui était certi-
fié en vertu du Code criminel — la possession
d'une arme à autorisation restreinte — pourrait
être pour une longue durée alors que ce qui était
permis par la formule E-99 était l'acte transitoire
d'entrer au Canada. On ne saurait, légalement ou
logiquement, exiger qu'un citoyen retienne toutes
les formules E-99 qui lui sont délivrées.
Le juge Muldoon a conclu selon la preuve que
le demandeur avait été victime de la trop grande
charge de travail ou du laxisme des inspecteurs
des douanes, qui s'ajoutait au zèle de la part de
la direction. Les agents étaient ou bien négligents
ou bien débordés, les cadres moyens ont affirmé
que les fonctions étaient exercées de façon
appropriée, et lorsque l'enquête a été tenue, per-
sonne n'a admis l'existence de difficultés. Ceux
qui étaient dans le service douanier de la côte
ouest pensaient qu'il serait préférable «si la
hache devait tomber seulement sur le cou de
Rollinson». La Cour a considéré le témoignage du
demandeur comme crédible toutes les fois qu'il
était en conflit avec celui des témoins de la
Couronne. Cette préférence reposait sur le com-
portement des divers témoins, sur la preuve
objective et sur les conclusions raisonnables
tirées de celle-ci. La Cour a conclu qu'il était de
fait que le demandeur avait déclaré chaque
entrée aux douanes mais que, à un grand nombre
d'occasions, les agents ne s'étaient pas acquittés
de leur obligation de se présenter au quai pour
préparer une formule E-99.
Le 21 février 1984, le Rogue a été saisi pour
une deuxième fois. La raison en était que des
réparations avaient été effectuées sur le bateau
aux É.-U. et n'avaient pas été déclarées à Doua-
nes Canada. L'avocat du demandeur a payé la
somme demandée «en attendant le règlement de
la question».
Le 13 mars 1984, le bateau du particulier a de
nouveau été saisi par des agents qui ont ordonné
qu'il ne füt pas déplacé du quai de White Rock
sans y être autorisé. Pendant que le Rogue était
ainsi amarré par suite de la saisie, un violent
orage a eu lieu et a emporté l'épouse du deman-
deur à la mer, mais ce dernier a pu la sauver. Le
Rogue a été endommagé dans cet orage. De
plus, des agents ont menacé le demandeur de
faire remorquer le Rogue par un navire qui n'était
pas en état de tenir la mer.
Dommages-intérêts spéciaux et généraux
Cette troisième saisie du Rogue, fondée sur des
documents obtenus de façon inconstitutionnelle et
qui sont irrecevables et entièrement inadaptés aux
fins poursuivies, savoir les papiers personnels du
particulier, c'est-à-dire la saisie fondée sur des
preuves incertaines d'infractions à la Loi, que le
particulier nie de façon crédible, est dès le départ
une saisie illégale et elle ne saurait être fondée en
droit ni être approuvée par la Cour. Elle a été
effectuée de façon délictueuse par les préposés de
la Couronne, qui est tenue envers le particulier à
des dommages-intérêts spéciaux et généraux à cet
égard, avec intérêts s'ils sont légalement payables
à tout autre plaideur sui generis majeur qui
obtient gain de cause. Les dommages-intérêts spé-
ciaux, exigeant d'autres preuves, viseront sans
doute le coût de la remise du bateau dans son «état
antérieur à la saisie» et tout autre préjudice ou
dommage infligés à la propriété du particulier, y
compris toute perte économique prouvable mais
peu probable. Des dommages-intérêts généraux
seront accordés en guise d'indemnisation à l'égard
des tracasseries des préposés de la Couronne, sans
oublier le harcèlement, la saisie sciemment abu
sive, l'intention de nuire de la part de Borisenko,
qui en sus de tout le reste a déployé des efforts
pour susciter les préventions de l'arbitre Marilyn
Maskell et empoisonner son esprit contre le parti-
culier dans son rapport (pièce 2(108)) accompagné
d'une lettre débutant par les mots «Chère Mari-
lyn», rapport qui énonce ce qui suit: [TRADUC-
TION]: «Il s'agit-là d'accusations TRÈS sérieuses, et
il incombe à celui qui en fait l'objet d'y accorder
une grande attention. Elles résultent toutes du
refus flagrant de ROLLINSON de respecter les lois
du Canada!» Borisenko est ici à la fois enquêteur et
juge, et il se mêle en plus de donner des directives
à une personne, Maskell, qui est juge et jury. Il y
aura aussi lieu à des dommages-intérêts généraux
pour le traitement désinvolte du particulier et le
recours abusif des douanes canadiennes lorsqu'el-
les ont saisi le bateau tout d'abord le 1" février
1984, sur la foi d'une unique allégation imprécise
de non-déclaration que les préposés de la Cou-
ronne ont trouvé commode d'oublier pour l'occul-
ter dans l'allégation visant les réparations qui, une
fois réglée, a été suivie d'une troisième saisie
fondée sur l'allégation relative à quelque 22 décla-
rations omises lorsque le particulier a suivi la
propre méthode de déclaration des douaniers,
inventé par eux et non prévue par la loi, alors qu'il
dépendait d'eux que cette méthode ait si souvent
échoué. Ainsi donc, les susceptibilités froissées par
les agissements tyranniques et malveillants de
Borisenko et de son équipe, largement établis, le
harcèlement général, la crainte de la tempête, et la
violation générale des droits du particulier donne-
ront tous lieu à des dommages-intérêts généraux,
qui une fois évalués par la Cour, seront payables
au particulier par la Couronne.
La position de la Couronne
L'avocat de la Couronne a procédé à l'interroga-
toire principal du témoin de la Couronne Deszcz
relativement à la méthode de déclaration d'entrée
à l'égard de laquelle le bateau a été saisi et la
somme de $1,100 imposée pour sa mainlevée. (Piè-
ce 2(129)A; transcription, à la page 95.) Voici le
passage au volume 1 dans lequel Deszcz a expliqué
ce qui suit [transcription, aux pages 96 et 97]:
Q. J'en viens maintenant à ... la pièce 2, document 130,
censé être une recommandation du sous-ministre ... par
Mme Maskell en vertu des dispositions de l'article 162 de
la Loi sur les douanes, visant la saisie du 13 mars 1984,
est-ce exact?
R. C'est exact.
Q. Et savez-vous si d'autres enquêtes ont eu lieu, outre celle
dont il est question dans la documentation présentée soit
par les douanes, soit pour le compte de M. Rollinson?
R. Mme Maskell s'est renseignée au téléphone avant de faire
cette recommandation sur la méthode de déclaration
d'entrée des bateaux, la déclaration en question. Il est
ressorti de cette conversation téléphonique que les décla-
rations d'entrée ne pouvaient se faire par téléphone,
c'est-à-dire qu'elles ne pouvaient s'effectuer par téléphone
mais qu'un agent se rendait au quai en cause à chaque
occasion et faisait un rapport.
LA COUR: Savez-vous quelque chose sur cette méthode en
votre qualité officielle, M. Deszcz?
R. Non, monsieur, je n'en sais rien.
LA COUR: Alors, vous ne savez pas ce que ferait ou
pourrait faire la personne qui déclare sa pré-
sence si l'agent des douanes ne se rendait pas au
quai? Elle pourrait difficilement amener son
bateau au poste Douglas?
R. C'est exact. Je ne puis vous donner une réponse précise à
ce sujet, Votre Seigneurie. Je ne me fie qu'aux renseigne-
ments fournis lorsque nous nous sommes informés par
téléphone à l'époque. Et j'étais persuadé que c'était une
confirmation suffisante de la méthode applicable.
Il est peu nécessaire que la Cour cite d'autres
témoignages sur la méthode non prévue par la loi,
inventée par les douanes et soi-disant officielle,
applicable aux déclarations d'entrée des bateaux
qui était en vigueur pendant toute la période con-
cernée au quai de White Rock. Ce qu'il faut
maintenant citer pour l'apprécier est l'exposé que
l'avocat de la Couronne a fait dans ses observa
tions écrites de la stupéfiante position de la Cou-
ronne à cet égard.
Dans la plaidoirie initiale de Sa Majesté la
Reine, aux pages 95 et 96, son avocat a écrit ce qui
suit:
[TRADUCTION] La Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, chap.
40, prévoit aux articles 11 et 18 que le responsable d'un navire
ou d'un véhicule entrant au Canada doit se rendre à la douane
du port ou du lieu d'entrée et y faire une déclaration.
La douane a mis en place une méthode au quai de White
Rock pour faciliter les choses aux bateaux entrants. La
politique des douanes d'envoyer des douaniers au quai pour
examiner les bateaux et leur donner leur congé n'enlève pas
l'obligation de faire une déclaration. Pour contrôler les arri
vées, on a mis sur pied un système selon lequel la formule
E99 était remplie à l'arrivée d'un bateau, une copie étant
remise au capitaine du bateau et l'autre conservée par la
douane. En même temps, une inscription était faite sur une
autre formule des douanes, soit la formule E63. Si l'agent des
douanes ne se rendait pas sur le bateau, la formule E99 était
tout de même remplie et le numéro de cette formule était
donné au capitaine pour lui fournir un point de référence
pour permettre à la douane, ou à la G.R.C. de vérifier que le
bateau était entré légalement au Canada.
Rollinson soutient que le capitaine, lui-même en l'occurrence,
avait rempli l'obligation que lui impose la Loi sur les doua-
nes de faire une déclaration d'entrée en faisant un simple
appel téléphonique.
Il connaissait, ou aurait dû connaître, la bonne façon de
procéder et les exigences de la Loi sur les douanes.
«Il n'est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir.»
L'important de la plaidoirie tient évidemment à la
contradiction inhérente entre l'assertion d'une
part, que le capitaine du bateau «doit se rendre à la
douane» et d'autre part, l'acceptation de la suppo
sition suivante: «Si l'agent des douanes ne se ren-
dait pas sur le bateau.»
Après avoir étudié les observations écrites de
l'avocat du particulier, l'avocat de la Couronne a
riposté en exposant de nouveau la position de la
Couronne, à partir de la page 22 de la réponse, de
la façon suivante:
[TRADUCTION] L'article 11(1) dit clairement que l'obligation
du capitaine tel que Rollinson qui entrait au port de White
Rock était la suivante:
1. Se rendre sans délai à la douane du port d'entrée où le
bateau mouillait ou était amarré.
2. Faire une déclaration écrite à la douane.
Il est clair que Rollinson n'a pas respecté l'article 11 chaque
fois qu'il n'aurait pas fait de déclaration.
— Il ne s'est pas rendu à la douane du port d'entrée
Douglas.
— Il n'y a pas fait la déclaration écrite exigée.
Pour ce qui est de savoir si les douaniers peuvent dispenser des
dispositions de la Loi sur les douanes, et d'autres points, l'arrêt
R. c. Sun Parlor (C.F. 1f» inst.) 1973 R.C.F. (sic) 1055 est
pertinent.
Les dispositions semblent dures mais elles sont, à mon avis,
claires et sans ambiguïté, et bien que j'éprouve quelque
sympathie à l'égard des défendeurs, il est clair que leur
défaut de déclarer à l'entrée les articles importés comme
l'exigent les articles 18, 20, 21 et 22 ... est la cause de leurs
ennuis.
On avance que le raisonnement suivi dans l'arrêt Sun Parlor,
précité, s'applique au M.V. «Rogue» dont la Couronne affirme
qu'il a été confisqué faute de la déclaration d'entrée exigée à
l'article 11 de la Loi sur les douanes de 1970, et en application
de l'article 231 de la Loi sur les douanes reproduit ci-dessous:
(1) Tous effets embarqués ou débarqués, importés ou exportés,
portés ou transportés, contrairement à la présente loi ou à
un règlement, et tous effets ou véhicules, et tous navires à
l'égard desquels les prescriptions de la présente loi ou d'un
règlement n'ont pas été observées, ou au sujet desquels il y
a eu tentative de violer les dispositions de la présente loi ou
d'un règlement, peuvent être confisqués. [Soulignements
ajoutés.]
Voir l'arrêt Kong et autre c. La Reine (1984), 10 D.L.R. (4th)
226 (C.F. 1" inst.), motifs du juge Collier, aux pages 235 à
238:
En termes simples: tous les effets, de quelque nature que ce
soit, sans égard à l'endroit, à la date ou à la manière dont ils
ont été achetés, qu'ils aient été déclarés par écrit cent fois
auparavant, doivent être déclarés par écrit chaque fois qu'une
personne arrive au Canada de l'étranger.
De plus, l'obligation de déclarer ces effets n'est pas soumise à
un interrogatoire ou à une incitation du préposé des douanes
au sujet des marchandises apportées. L'article exige que
toute personne trouve un agent des douanes et lui fasse
«connaître par écrit».
Dans l'affaire Glisic c. La Reine (1988), [sic] 8 [sic] D.L.R.
(4th) 90 [(1984), 3 D.L.R., et [1984] 1 C.F. 797] ... [m]on
confrère, le juge Strayer, a dit aux pages 92-94
Ainsi, le ministère public fait valoir que, même si l'on
accepte le témoignage du demandeur qu'il était proprié-
taire de ces bijoux depuis au moins 1967, il aurait dû les
déclarer lorsqu'il est arrivé la première fois au Canada et à
chaque occasion subséquente, y compris le 7 avril 1980,
lorsqu'il revenait au Canada en les ayant en sa possession.
L'omission de le faire a pour effet que ces bijoux sont
susceptibles d'être confisqués en vertu du paragraphe
180(1)...
L'article 18 de la Loi sur les douanes exige un rapport écrit
volontaire et non sollicité (une «déclaration» en termes
contemporains).
J'examinerai maintenant le cas de Grace Kong.
On a prétendu qu'elle s'était conformée aux exigences de la
Loi lorsqu'elle était retournée au Canada en 1975. Elle a
franchement dit qu'elle ne pouvait pas se rappeler si elle avait
fait une déclaration écrite. Malheureusement, il lui incombe
d'établir qu'elle l'a fait.
En l'absence de preuve, ses prétentions doivent subir le même
sort que celles de sa mère. [Soulignements ajoutés.]
On soutient que l'article 11 doit être interprété de la même
façon que l'article 18.
Les responsables au port Douglas ont tenté de trouver une
solution à la difficulté que présentait le respect des dispositions
de l'article 11 au port d'entrée Douglas, la douane se trouvant à
plusieurs milles du quai de White Rock.
Les responsables au port Douglas ont mis en place une méthode
de déclaration susceptible de satisfaire l'administration. Cela
impliquait l'utilisation de la formule E99 des douanes comme
méthode de vérification des déclarations d'entrée au Canada
requises à l'article 11. Un inspecteur des douanes se rendait sur
le bateau au quai de White Rock, faisait un rapport oral et
délivrait la formule E99, dont copie était remise au capitaine ou
au responsable du bateau. Il arrivait parfois qu'un inspecteur
des douanes ne puisse être présent et alors, la formule E99 était
délivrée et son numéro d'ordre était fourni à la personne
désireuse de faire sa déclaration. Cette méthode permettait à la
personne désireuse d'entrer au pays de faire sa déclaration, et à
la douane de recevoir une déclaration jugée acceptable.
Si cette Cour ne convient pas que Rollinson a, à certaines
reprises, omis de se conformer au paragraphe 11(1), on soutient
subsidiairement que Rollinson n'a pas respecté la politique
administrative exposée plus haut qui aurait permis à la douane
de constater qu'il avait déclaré l'arrivée de son bateau.
En vertu de la méthode administrative en vigueur à l'époque
concernée, la personne désireuse de faire une déclaration dispo-
sait soit de la formule E99 ou du numéro de cette formule qui
permettait à la douane de vérifier que le bateau avait accompli
les formalités douanières.
On fait valoir que Rollinson n'a pas respecté les dispositions de
l'article 11 de la Loi sur les douanes. Si Rollinson s'était
conformé à la politique exposée à la pièce 12 et dans les
dépositions de vive voix mentionnées au paragraphe précédent,
sans doute la saisie du bateau n'aurait-elle pas eu lieu. Cette
politique n'ayant pas été observée, des mesures ont été prises.
On soutient que Rollinson a clairement enfreint l'article 11
chaque fois qu'il est allégué qu'il n'a pas fait de déclaration.
Les moyens de la Couronne feraient des fourbes
et des oppresseurs endurcis des préposés de la
douane au poste Douglas et de leurs supérieurs
jusqu'aux cadres moyens, sinon au-delà. Ils ne
méritent pas de telles épithètes, car ils ont élaboré
par pure nécessité cette méthode que la loi ne
prévoit pas, c'est-à-dire celle d'exiger des marins
entrants de téléphoner au poste Douglas. En ten-
tant de l'appliquer, ils ont failli de temps à autre,
en raison de la pression du travail au poste routier
et de la distance à parcourir pour recevoir les
navires entrants, comme l'a décrit Toomey. Ils ont
failli à l'occasion, en raison de la négligence, du
laxisme, de l'impatience ou de la fatigue de cer-
tains d'entre eux. Menacés comme ils ont bien pu
l'être par leurs supérieurs de poursuites en vertu de
la Loi, point soulevé par l'avocat de la Couronne
dans ses moyens, ou encore menacés de voir leur
carrière compromise ou de s'exposer à d'autres
mesures disciplinaires évoquées par les enquêtes de
Langley et de l'enquêteur des affaires internes,
Wincherook, il n'est pas étonnant qu'aucun des
inspecteurs des douanes ait fourni spontanément
des renseignements ou des dépositions au sujet des
22 occasions où personne ne se serait présenté
pour recevoir la déclaration de Rollinson, et la
couple d'occasions où la même chose se serait
produite à l'égard de Clarke.
Il n'est pas clair ici si la Couronne accuse le
particulier de ne s'être pas conformé aux prescrip
tions de l'écriteau indicateur ou à celles de la loi.
Toutefois, c'est un abus de pouvoir de la part de la
Couronne que de placer un écriteau officiel quoi-
que non prévu par la loi indiquant la nécessité et
même intimant l'ordre au particulier et à tous les
autres de téléphoner, pour ensuite répudier cette
méthode élaborée par ses préposés, et saisir le
bateau du particulier pour violation de la Loi alors
qu'il s'est efforcé d'obéir aux prescriptions de
l'écriteau. Dans les moyens de son avocat, la Cou-
ronne prétend pouvoir, impunément, faire oublier
la loi au particulier et aux autres marins avec
l'écriteau officiel de ses préposés, et ensuite saisir
le bateau du particulier parce qu'il s'est conformé
aux prescriptions de l'écriteau et non aux strictes
dispositions de la Loi!
On trouve dans les notes sténographiques,
volume 2, pages 273 et 274, le passage dans lequel
l'avocat de Sa Majesté la Reine a affiché cet abus
de pouvoir en procédant au contre-interrogatoire
du particulier:
Q. Bien, je vous demande si vous connaissiez bien la Loi sur
les douanes?
R. Non, monsieur.
Q. Vous connaissiez les pouvoirs que la Loi sur les douanes
donne à un agent des douanes?
R. En général, oui.
Q. Vous connaissiez l'obligation de se rendre à la douane en
arrivant au Canada avec un bateau?
R. Pour ce qui est d'un bateau, je savais que l'on devait
téléphoner et déclarer le bateau et ses passagers, et tous
articles introduits au Canada.
Q. Bon, j'ai ici un exemplaire de la Loi sur les douanes, M.
Rollinson. Je ne connais certainement pas cette disposi
tion disant que vous pouvez téléphoner votre déclaration.
Si vous voulez le feuilleter, allez-y.
R. Merci monsieur, mais tout ce que j'en sais est affiché sur
un écriteau au bout du quai, qui avise les navires entrants
d'appeler la douane en composant le numéro de téléphone
donné. [Les soulignements ne figurent pas dans la
transcription.]
La Cour conclut que le particulier a [TRADUC-
TION] «invariablement et sans exception» (trans-
cription, à la page 277) fait une déclaration à la
douane en application de l'écriteau officiel de la
douane qui lui commandait de le faire.
Voilà que la Couronne prétend faire jouer le
piège. Elle dit maintenant qu'il ne suffit pas
d'obéir à son écriteau officiel, mais que le particu-
lier aurait dû traverser le quai et remonter la route
afin de faire une déclaration écrite officielle et
spontanée au poste Douglas, en application des
dispositions de l'ancienne Loi sur les douanes. S'il
s'agissait là des prétentions et de l'écriteau d'un
particulier ou d'une firme ou société et non de
ceux de la Couronne, on ne serait pas long à
qualifier de tels agissements de fraude et de faus-
ses déclarations. Il s'agit sans l'ombre d'un doute
de fausses déclarations assimilables à la provoca
tion illégale. Après tout, les préposés de la Cou-
ronne, en l'espèce, n'étaient pas et ne prétendent
pas avoir été engagés dans des affaires de contre-
espionnage ou des activités relatives à un état
d'urgence ou à la sécurité de l'État. On n'allègue
pas non plus l'existence de trafic illégal de la
drogue. A cet égard, et étant donné l'absence des
considérations susmentionnées, la position de la
Couronne dans ces affaires est d'autant plus
étrange et stupéfiante. Dans ses moyens, la Cou-
ronne se déclare disposée, apparemment en toute
tranquillité d'esprit, à commettre des abus de
pouvoir.
Si des agissements aussi déplorables de la part
de l'État n'étaient pas notoires dans notre pays
depuis la Confédération, il serait difficile d'expli-
quer l'adoption de la Déclaration canadienne des
droits, S.C. 1960, chap. 44, aujourd'hui L.R.C.
(1985), appendice III, ou la consécration de la
Charte canadienne des droits et libertés, qui cons-
titue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, édictée par la Loi de 1982 sur le Canada,
1982, chap. 11 (R.-U.). Quoi d'autre que les abus
de pouvoirs de la part de l'État ont donné lieu aux
décisions fondées uniquement sur des règles de
common law, depuis l'arrêt Entick v. Carrington
(précité) jusqu'aux arrêts Nicholson c. Haldi-
mand-Norfolk Regional Board of Commissioners
of Police, [1979] 1 R.C.S. 311; et Martineau c.
Comité de discipline de l'Institution de Matsqui,
[1980] 1 R.C.S. 602?
Les Special Lectures of the Law Society of
Upper Canada, en 1979, ont traité de la question
de l'abus de pouvoirs. Le juge Linden a rédigé un
exposé intitulé «Tort Law's Role in the Regulation
and Control of the Abuse of Power», publié à
partir de la page 67 de la publication de De Boo
Limited. Nous citons ici des extraits tirés du cha-
pitre 3, rédigés quelque trois ans avant que la
Charte ne fasse partie de notre Constitution. «Con-
trol of Governmental Officials» (aux pages 73 à
82):
[TRADUCTION] Bien qu'ils aient déjà échappé à toute responsa-
bilité, les gouvernements en sont graduellement venus à être
tenus civilement responsables de leurs actes illégitimes en dépit
de quelques problèmes de procédure qui subsistent ... Puisque
les méthodes habituelles de contrôle de ces employés (la forma
tion, les mesures disciplinaires, les congédiements, etc.) se sont
révélées plutôt imparfaites, on a eu recours au droit des délits
comme l'une des méthodes de combattre la prévarication de
certains fonctionnaires publics. Le droit des torts a reconnu que
le public compte sur la protection et se fie aux avis des
employés du gouvernement, et qu'il a droit de recevoir un
service compétent.
Depuis qu'a été rendu l'arrêt Hedley Byrne & Co. Ltd. v.
Heller & Partners Ltd., [1964] A.C. 465, et qu'il a pris de
l'extension, les fonctionnaires publics ont aussi été tenus res-
ponsables de leurs avis négligents, causes de pertes écono-
miques... Autre arrêt semblable est l'arrêt Windsor Motors
Ltd. v. Corporation of Powell River (1969), 68 W.W.R. 173
(C.A.C.-B.), qui a conclu à la responsabilité d'un inspecteur de
permis municipaux qui avait avisé négligemment le demandeur
qu'un certain endroit convenait à un commerce d'automobiles
alors que les règlements de zonage interdisaient un tel com
merce... Un autre arrêt étonnamment semblable est l'arrêt
Gadutsis v. Milne et al., [1973] 2 O.R. 503 (voir H.L. & M.
Shoppers Ltd. v. Town of Berwick (1977), 82 D.L.R. (3d) 23),
qui a conclu à la responsabilité d'une municipalité qui avait
négligemment délivré un permis de construire, révoqué par la
suite, à une personne qui avait commencé à construire sur la foi
de ce permis. Le juge Parker a dit ce qui suit (à la page 507):
«... les employés du département de zonage de la municipa-
lité avaient pour fonction de donner des renseignements sur
le zonage. [Ils] devaient savoir que ceux qui s'adressaient à
eux allaient se fier à leurs renseignements. [L'employé con
cerné] a donné de mauvais renseignements dans l'exercice de
ses fonctions à la personne qui s'est adressée à lui. Dans ces
circonstances, je statue que la municipalité avait une obliga
tion de vigilance ... , qu'elle a failli à cette obligation et
qu'en conséquence, les demandeurs ont subi un préjudice.»
De la même façon, dans l'arrêt Couture v. The Queen (1972),
28 D.L.R. (3d) 301 (Cour fédérale), il a été décidé que si la
négligence d'un fonctionnaire du C.R.T.C. amène une personne
à croire qu'elle a un permis alors qu'elle n'en a pas un, et
qu'elle se fie à cela à son détriment, on pourra conclure à la
négligence (voir [1972] C.F. 1137).
Le rôle du droit de la négligence doit donc se limiter princi-
palement à l'examen des actes des fonctionnaires subalternes et
de la façon dont ils vaquent aux affaires ordinaires. Il aura peu
d'incidence sur les fonctions discrétionnaires ou quasi-judiciai-
res des fonctionnaires publics supérieurs, qui resteront suscepti-
bles de faire l'objet d'autres recours. À l'appui de cette opinion,
le juge Laskin a laissé entendre que «le risque de perte par suite
de l'exercice d'un pouvoir législatif ou déclaratoire est un risque
couru par le public en général et non un risque à l'égard duquel
on peut réclamer une indemnité en se fondant sur l'existence
d'une obligation particulière de diligence. La situation n'est pas
la même lorsqu'une action en dommages-intérêts pour négli-
gence est fondée sur des actes accomplis en conformité d'une loi
ou d'un acte déclaratoire ou pour y donner suite.» [Welbridge
Holdings Ltd. c. Metropolitan Corp'n of Greater Winnipeg,
[1971] R.C.S. 957; (1972), 22 D.L.R. (3d) 470 (C.S.C.).]
Si des hauts fonctionnaires, y compris même des ministres de la
Couronne, abusent délibérément de leurs pouvoirs, et ce faisant,
lèsent les citoyens, ils peuvent avoir à répondre du tort qu'ils
ont causé.
L'arrêt le plus célèbre en la matière est peut-être l'arrêt
Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121... La Cour a dit
qu'un fonctionnaire public «est responsable des actes qu'il a
faits sans justification légale». Bien que l'on se soit quelque peu
référé à l'article 1053 du Code civil, les juges ont considéré le
principe comme s'il faisait aussi partie de la common law.
Une autre affaire bien connue est l'affaire Farrington v.
Thompson, [1959] V.R. 286, dans laquelle des policiers, pré-
tendant exercer les pouvoirs que leur conférait la Licensing Act,
qui prévoyait qu'une troisième violation entraînerait la révoca-
tion du permis, ont ordonné au demandeur de fermer son hôtel.
Selon le juge, le demandeur n'a pas été reconnu coupable d'une
troisième violation, et le jury a conclu que les défendeurs
n'avaient pas fait preuve de suffisamment de diligence en
cherchant à savoir s'il y avait eu une troisième condamnation.
La Cour a conclu, néanmoins, que les défendeurs devaient
répondre à l'accusation d'«abus de pouvoir dans l'exercice d'une
charge publique.» Le juge Smith a dit que «si un fonctionnaire
public fait un acte qui, à sa connaissance, constitue un abus de
pouvoir, et cause de la sorte un préjudice à une autre personne,
il y aura alors lieu à une action délictuelle pour abus de pouvoir
dans l'exercice d'une charge publique (ibid.; voir aussi l'ouvrage
de Molot, «Tort Remedies Against Administrative Tribunals
for Economic Loss», Law Society of Upper Canada Special
Lectures on New Developments in the Law of Torts (1973), à
la page 425). Il semble que les défendeurs aient été suffisam-
ment conscients d'agir sans compétence pour convaincre la
Cour que leur responsabilité était engagée.
Ce ne sont là que quelques arrêts qui obligent les fonctionnai-
res publics à exercer leurs pouvoirs à tout le moins honnêtement
et de bonne foi, et au mieux légalement et avec soin. Une
grande latitude devrait être accordée aux fonctionnaires gou-
vernementaux dans l'exercice de leurs fonctions, mais les tribu-
naux semblent de plus en plus enclins à les tenir responsables
sensiblement de la même façon que les autres professionnels.
Saisir le bateau d'une personne, particulière-
ment s'il s'agit de sa résidence, et saisir aussi ses
automobiles, et les retenir contre le versement
imposé d'une amende ou les confisquer purement
et simplement, ce n'est sûrement pas là lui confé-
rer un avantage, mais plutôt lui infliger un préju-
dice ou un tort, même si cela est permis par une loi
ou un jugement. Ce sont des actions qui appauvris-
sent celui qu'elles visent et partant, qui font tort à
ses biens et à sa sécurité. Pour agir ainsi à l'égard
de quelqu'un, il faut y être légalement autorisé.
Le même auteur cité plus haut, le juge Linden,
environ dix ans plus tard, soit en 1988, ouvre le
second chapitre de la quatrième édition de son
ouvrage La responsabilité civile délictuelle avec
les propos suivants (aux pages 39 41):
La responsabilité délictuelle a son premier fondement dans le
préjudice causé intentionnellement. Le droit de la responsabilité
délictuelle exige généralement que celui qui cause délibérément
un préjudice à une autre personne répare le préjudice. En
imposant une responsabilité civile à tous les auteurs de délits
intentionnels, le droit de la responsabilité délictuelle cherche à
promouvoir ses différents objets. Ceux qui sont lésés dans leurs
droits par des actes intentionnels doivent être dédommagés de
leurs pertes.
Enfin, en tenant les auteurs des délits intentionnels responsa-
bles de leurs actions, on attire l'attention de la société sur ces
actions et, par le fait même, on permet aux citoyens et aux
autorités d'y réagir, le cas échéant.
Un acte est intentionnel si son auteur désire produire les
conséquences qui en découlent ... L'intention est donc un
concept qui relie un acte à son effet.
Un acte peut être considéré comme intentionnel s'il est virtuel-
lement certain que les conséquences de l'acte se produiront,
malgré qu'elles n'aient pas en fait été voulue ... Dans ces cas,
on dit parfois que l'intention résulte de l'interprétation ou que
l'intention a été «imputée» au défendeur. En d'autres termes,
ces actes sont considérés comme intentionnels même s'ils ne le
sont pas en fait, parce que le droit n'accepte pas que l'on traite
avec plus d'indulgence l'auteur de pareils actes. Ce principe est
semblable à celui du droit pénal suivant lequel une personne est
réputée avoir voulu les conséquences naturelles et probables de
ses actes.
Étant donné l'argument de la Couronne selon
lequel le particulier aurait dû connaître les disposi
tions littérales de l'ancienne Loi sur les douanes et
s'y conformer, que faut-il penser de l'écriteau de la
Couronne placé à un endroit visible sur le quai de
White Rock, qui ordonnait aux marins de télépho-
ner à la douane à Douglas ou à Vancouver? Cela
démontre-t-il l'intention des préposés de la Cou-
ronne de prendre au piège ces marins de sorte que
leurs biens puissent être saisis? Est-ce là à quoi se
résume la position de la Couronne dans les présen-
tes? Ou ce comportement manifeste-t-il une inten
tion présumée, dont les conséquences devaient
suivre inévitablement parce qu'il était naturel que
les marins entrants téléphonent plutôt que de par-
courir la distance considérable (à supposer qu'ils
trouvent le bon chemin) qui les séparait de la
douane? La Couronne pourrait alors dire, lorsque
ses préposés ne se sont pas présentés à l'arrivée
d'un bateau, que le capitaine a commis une faute
en ne se rendant pas à la douane. En insistant sur
cette position, la Couronne n'encourage et n'ad-
met-elle pas les actes délictuels de ses préposés à
l'égard du particulier? Les procédures en l'espèce
sont de type accusatoire. La Couronne peut renon-
cer à cette position si elle le veut, avant la pro-
chaine étape de ce litige, dont elle a convenu avec
le particulier: l'évaluation des dommages-intérêts.
On comprendra aisément que le montant des dom-
mages-intérêts spéciaux relatifs à ce seul moyen,
qui démontre une conduite délictuelle, serait la
valeur de tout ce que la Couronne a enlevé au
particulier en exerçant ses pouvoirs légaux, parce
qu'elle l'a induit en erreur, ou elle l'a pris au piège,
en l'amenant à ne pas se conformer aux strictes
dispositions de la loi. Cette façon d'agir, selon
l'opinion même de la Couronne sur ces affaires,
engage la responsabilité de la Couronne, par l'in-
termédiaire de ses fonctionnaires et préposés.
La règle de droit criminel, ignorantia juris non
excusas, ne peut être invoquée contre le particulier
en l'espèce. Comme l'a dit Glanville Williams dans
son ouvrage Textbook of Criminal Law, (Stevens
& Sons, Londres, 1983) la page 456, la limite la
plus importante attachée à cette règle, c'est qu'elle
ne s'applique qu'en matière de droit criminel. Il y
a lieu en outre de noter que le législateur n'a
attaché aux articles 11 et 18 de l'ancienne Loi sur
les douanes aucune disposition semblable à l'arti-
cle 19 du Code criminel [S.R.C. 1970, chap. C-34]
en vigueur à l'époque ou semblable à l'article 128
de la Loi sur la défense nationale [S.R.C. 1970,
chap. N-4], aussi en vigueur à l'époque concernée.
Par conséquent, l'écriteau de la Couronne sur le
quai de White Rock qui a induit en erreur le
particulier et aussi, comme la preuve le démontre
largement, tous les autres marins entrants, fournit
une bonne riposte aussi bien qu'une excellente
excuse à l'égard de l'étonnante répudiation subsé-
quente par la Couronne de l'écriteau trompeur,
qu'elle avait elle-même affiché, lorsqu'elle a dûre-
ment invoqué l'application littérale des dispositions
des articles 11 et 18 de la Loi sur les douanes.
Déni des droits garantis par la Charte
Cette duperie du particulier, cette conduite
délictueuse de la part des préposés de la Couronne,
compte tenu des moyens que celle-ci a invoqués en
l'espèce, pourraient peut-être ne pas avoir été tolé-
rées même avant que la Charte ne fasse partie de
notre constitution, et à plus forte raison ne pou-
vaient-elles assurément l'être à compter de 1984,
en pleine ère de la Charte. Les dispositions de la
Charte qui, en leur qualité de «loi suprême du
Canada» ont pour effet d'innocenter le particulier
en l'espèce, à la fois directement, et subsidiaire-
ment en ce qui concerne les droits contre les abus
des pouvoirs de l'État qu'il tient de la common
law, sont les suivantes:
7. Chacun a droit à ... la sécurité de sa personne; il ne peut
être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes
de justice fondamentale.
[Il est vrai que l'application de l'article 7 peut sembler faible,
mais la saisie du domicile du particulier porte assurément
atteinte à la «sécurité de sa personneu.l
8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les
perquisitions ou les saisies abusives.
12. Chacun a droit à la protection contre tous traitements ...
cruels et inusités.
15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique
également à tous, et tous ont droit à la même protection et au
même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimina
tion, ...
Pour ce qui est de l'article 7, il est vrai qu'il ne
garantit pas des droits sur les biens et à leur égard.
Il existe cependant certains types de biens qui, de
par leur nature, transcendent ce principe général
salutaire et se rapportent directement à la sécurité
de la personne: les drogues et les médicaments
nécessaires; les régulateurs cardiaques avec leurs
piles et les autres pièces essentielles de l'appareil;
les respirateurs; et, naturellement, la propriété
matérielle qui fournit chaleur et abri et que l'État
est tenu de respecter et de n'y pénétrer qu'avec une
autorisation judiciaire préalable, c'est-à-dire le
domicile d'une personne; et enfin, les vêtements
personnels nécessaires appropriés à la saison. Cer-
tains de ces biens visent à la fois la «vie» et la
«sécurité de la personne». En tout état de cause, il
ne peut être porté atteinte à ces types transcen-
dants de biens lorsqu'ils assurent aussi bien la «vie»
que la «sécurité de la personne», si ce n'est en
conformité avec les principes de justice fondamen-
tale. Or, il est manifestement contraire à tous les
principes de justice fondamentale de leurrer, pren-
dre au piège et duper une personne de façon à la
placer dans une situation qui n'est pas de son fait
mais de celui de l'État, et dans laquelle l'applica-
tion draconienne des dispositions législatives ou
réglementaires permet à l'État de saisir la rési-
dence de cette personne non seulement sans indem-
nisation, mais en lui imposant une amende. Cette
application de l'article 7 semble nouvelle, mais
non sans fondement.
On a examiné plus haut les violations des droits
garantis au particulier par l'article 8 de la Charte,
à savoir: la saisie illégale et sans mandat de ses
papiers personnels; les première et troisième saisies
tracassières, injustifiées et sporadiques de son
bateau pour défaut de déclaration alors que selon
les dépositions des témoins et toute la preuve, et les
inférences raisonnables qu'en a tirées la Cour, le
particulier avait établi, non seulement selon la
prépondérance des probabilités mais aussi en s'ac-
quittant de tout fardeau de la preuve en matière
civile, qu'il avait scrupuleusement et invariable-
ment suivi les prescriptions de l'écriteau affiché
par la Couronne au quai de White Rock; et la
possibilité au sujet de laquelle on entendra d'autres
moyens sinon d'autres dépositions, que la Cou-
ronne lui doive le remboursement, avec intérêt, de
ses $312.58 afférents à la seconde «saisie modifiée»
et peut-être abusive du Rogue.
Les violations de l'article 12 de la Charte sont
les suivantes: le bizarre arraisonnement effectué
par Borisenko et son équipe et la saisie sans
mandat des papiers personnels du particulier; l'in-
terrogatoire à la suite duquel le particulier s'est vu
accorder deux semaines pour prouver ce qu'il
n'était pas tenu légalement de prouver ni de décla-
rer et qui, faute de lui faire crédit, ne pouvait se
démontrer — une négation impliquant une affir
mation — dont on lui a conseillé de rechercher la
preuve au poste douanier Douglas où les autres
préposés de la Couronne se sont moqués de ses
efforts; la troisième saisie de son bateau après que
les préposés de la Couronne lui eussent dit qu'il y
avait eu mainlevée; les menaces de faire remorquer
le Rogue par le Deep Six, inadéquat et innavigable
piloté par son répugnant capitaine; les froides
menaces de faire hisser le bateau à terre par des
moyens inappropriés et susceptibles de causer des
dommages; les menaces abusives de faire entrepo-
ser le bateau à terre dans un endroit inaccessible;
les multiples saisies du bateau; la perte de certains
papiers du particulier, y compris, probablement,
quelques formules E-99 qui aaraient pu prouver
l'existence d'une ou de plusieurs déclarations d'en-
trée reconnues par les préposés de la Couronne,
conformément aux directives non légales de l'écri-
teau public de la Couronne à l'intention des
bateaux qui entraient au quai de White Rock; les
tracasseries de la Couronne infligées au particulier
en raison du défaut des préposés de la Couronne de
se conformer à son propre système non prévu par
la Loi; et la duperie délictueuse, la provocation et
les fausses déclarations des préposés de la Cou-
ronne, qu'elles aient été délibérées ou dues à la
négligence, et qui se sont révélées telles après coup
lorsque la Couronne a refusé de reconnaître la
façon dont a procédé le particulier, en invoquant
précisément la Loi à laquelle les directives de la
Couronne incitaient à désobéir.
La violation du paragraphe 15(1) tient au fait
que la Couronne a imposé au particulier un étalon
différent (sinon double) de celui qui s'est appliqué
au fil des ans à tous les autres marins entrants qui,
comme le particulier, ont téléphoné au poste Dou-
glas pour y faire leur déclaration d'entrée. Alors
que les préposés de la Couronne, chargés de l'ap-
plication de l'ancienne Loi sur les douanes, ont
toujours considéré que le respect des directives non
légales de leur écriteau public ostensiblement offi-
ciel constituait le respect de la Loi en question et
qu'ils ont agi en ce sens, ils ont refusé au particu-
lier la même protection et le même bénéfice de la
loi en changeant les règles dans son cas. La Cou-
ronne n'a pas le droit dans ces circonstances de
créer un système extra-légal et de l'imposer pour
ensuite, lorsqu'il se révèle insatisfaisant en raison
du laxisme ou de la fatigue et de la trop lourde
charge de travail de ses préposés, appliquer la loi
non pas à tous les marins entrants, mais seulement
de façon sélective à Rollinson. Elle n'avait pas le
droit de donner libre cours à sa frustration et à sa
rage aux dépens du particulier lorsque dans son
cas sa méthode non prévue par la loi a failli à 22
occasions, et de continuer à l'appliquer au bénéfice
(assurément un «bénéfice» douteux et dangereux)
de tous les autres dans la même catégorie de
marins que le particulier. Prendre ce dernier pour
bouc émissaire (même si le personnage déplaisait
aux douaniers), c'était violer le droit que lui garan-
tit le paragraphe 15(1) de la Charte dans les
circonstances que révèlent en l'espèce la preuve et
les conclusions qu'on peut en tirer. Rollinson a fait
l'objet d'un traitement particulier lorsqu'on l'a
privé de son «droit à la même protection et au
même bénéfice de la loi, indépendamment de toute
discrimination».
La Cour conclut qu'il y a eu viol ou déni des
droits précités du particulier, constitutionnelle-
ment reconnus par la Charte. Comme elle est un
tribunal supérieur compétent établi conformément
à l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867,
cette Cour est tenu d'accorder au particulier la
réparation qu'elle estime convenable et juste eu
égard aux circonstances.
Réparations accordées en application de l'article
24 de la Charte
À l'égard des saisies du navire, le Rogue, rési-
dence du particulier, la Cour accorde les répara-
tions suivantes qu'elle estime convenables et justes
eu égard aux circonstances:
1) La conclusion et la déclaration portant que les
papiers personnels du particulier (les soi-disant
«journaux de bord» de toutes sortes et de tous
genres) qui ont été saisis le 1e' février 1984, l'ont
été de façon délictueuse, illégale et inconstitution-
nelle, en violation des droits que lui confère l'arti-
cle 8 de la Charte, et qu'ils sont irrecevables dans
les présentes procédures;
2) La conclusion et la déclaration portant que
Borisenko et son unité mobile d'enquête, à l'occa-
sion de la saisie du 1e. février 1984 et par diverses
autres actions et menaces postérieures à cette date,
ainsi que Toomey par ses railleries à l'endroit du
particulier, et la Couronne, par la provocation et
ses fausses déclarations, imputables aussi bien à la
négligence de ses inspecteurs des douanes, qu'aux
actes délibérés de ses cadres moyens et de ses
avocats, ont amené délictueusement le particulier,
par fraude et supercherie, à ne pas se conformer
aux dispositions de l'ancienne Loi sur les douanes
en matière de déclaration d'entrée à son détriment
et préjudice lorsque la Couronne a, à deux occa
sions distinctes, le 1e. février 1984 et le 13 mars
1984, prétendu saisir son bateau; et que tout ce qui
précède constitue notamment un traitement cruel
et inusité;
3) La conclusion et la déclaration portant que les
première et troisième saisies susmentionnées du
bateau étaient illégales et qu'elles seront annulées
de sorte qu'il y ait mainlevée du bateau en cause et
qu'il soit rendu, libre et quitte, au particulier ou
selon ses ordres; et que toutes les dispositions de
l'ancienne Loi sur les douanes sur lesquelles la
Couronne a fondé ses saisies du bateau sont et
étaient, dans les circonstances en cause, inopéran-
tes et sans effet à l'égard du particulier; ou subsi-
diairement, au choix de la Couronne, portant que
la Loi s'applique et que la Couronne est tenue en
raison de la conduite délictuelle de ses préposés de
dédommager pleinement le particulier pour la
valeur de remplacement de son bateau saisi et
confisqué, soit sa résidence, à compter du moment
où il en a perdu possession et contrôle;
4) La conclusion et la déclaration portant que
relativement aux saisies du Rogue, la Couronne est
tenue d'indemniser pleinement le particulier au
moyen de dommages-intérêts spéciaux et géné-
raux, et des dommages-intérêts exemplaires que la
Cour pourra évaluer à l'égard de ce qui suit:
a) la violation et le déni des droits du particulier
garantis par les articles 7, 8, 12 et 15 de la
Charte;
b) le harcèlement, l'angoisse mentale, l'humilia-
tion et les tracasseries délictueusement infligés
au particulier par les préposés de la Couronne
comme l'indiquent les éléments de preuve dont
dispose la Cour, et les inférences qui en décou-
lent, dans les deux actions en l'espèce, jugées
ensemble; et
c) les intérêts sur ces dommages-intérêts qui sont
exigibles de tout auteur ordinaire d'un délit,
majeur et compétent en Colombie-Britannique,
à compter du ler février 1984 ou de la date
postérieure à laquelle la loi applicable rend ces
intérêts exigibles.
Il y a lieu, de mentionner deux autres points
relatifs à l'évaluation des dommages-intérêts en
l'espèce. Premièrement, dans l'éventualité où
l'équipe de Borisenko qui a arraisonné le navire le
l er février 1984 effectuait une fouille à la frontière,
point sur lequel la Cour entendrait d'autres plai-
doiries, sinon aussi d'autres dépositions, à l'occa-
sion de l'évaluation des dommages-intérêts, la
Cour statue néanmoins que cette équipe ne procé-
dait pas à une deuxième inspection ordinaire,
laquelle ne donnerait pas nécessairement lieu à des
dommages-intérêts. L'inspecteur Shukin a nette-
ment juré (transcription, à la page 821) que le
douanier qui visite un navire en vue de sa déclara-
tion d'entrée effectue aussi bien la première et la
seconde inspections. La seule intrusion intimidante
de l'équipe qui a arraisonné le navire suffit, dans
les circonstances, à donner lieu à des dommages-
intérêts. Le second point à souligner est que des
dommages-intérêts exemplaires peuvent être
accordés, si le demandeur n'en réclame pas dans
ses conclusions. La décision faisant autorité à cet
égard est l'arrêt de la Cour d'appel de l'Alberta,
Paragon Properties Ltd. v. Magna Envestments
Ltd. (1972), 24 D.L.R. (3d) 156.
Sa Seigneurie a par la suite saisi l'occasion
pour examiner la preuve produite lors du proces-
sus d'arbitrage au ministère du Revenu national
«dans l'intérêt des parties et, incidemment, dans
celui du public également». La Cour a conclu que
plusieurs facteurs avaient gâché le processus
d'arbitrage et avaient sérieusement compromis
son équité. L'arbitre, en statuant sur la troisième
saisie du Rogue, s'appuyait sur un aide-mémoire,
rédigé par un agent gouvernemental, qui conte-
nait des erreurs flagrantes et des renseignements
qui étaient de nature à induire en erreur.
La saisie par la Couronne de l'automobile Pon-
tiac Parisienne du demandeur devrait être annu-
lée. Le demandeur avait conduit jusqu'à la pre-
mière inspection du poste de Douglas. Selon
l'inspectrice des douanes, elle lui a dit d'ouvrir
son coffre, mais il a démarré. La sirène a été
déclenchée, mais le demandeur a continué son
chemin. D'après la version du demandeur, il n'a
entendu ni la demande de l'inspectrice des doua-
nes, ni la sirène. Après avoir parcouru une brève
distance, le demandeur a reçu un message de
radio PB selon lequel on voulait qu'il retourne au
poste douanier. Il y est retourné, mais on lui a
donné un reçu de détention et on lui a imposé une
pénalité de $800. À l'instruction, l'inspectrice a
déposé d'une voix si basse qu'on l'entendait à
peine, ce qui tendait à corroborer la déposition du
demandeur selon laquelle il n'avait pas entendu
sa demande lorsqu'il remplissait les formalités
douanières.
L'action du demandeur relative à la saisie de
son automobile New Yorker Chrysler devrait être
rejetée. En l'espèce, le demandeur n'a pas
déposé pour contredire le témoignage de l'ins-
pectrice des douanes qui a fait l'objet d'un con-
tre-interrogatoire tenu de façon décousue et qui
n'a fait que confirmer son témoignage principal.
Son témoignage, selon lequel le demandeur a
désobéi à son ordre de se présenter à la
deuxième inspection, a été corroboré par d'autres
témoins.
Le demandeur s'est vu adjuger les frais sur la
base procureur et client avec une réduction de
6 % des honoraires d'avocat puisqu'il n'a pas eu
gain de cause quant à la saisie de son automobile
Chrysler.
Une demande peut être présentée devant le
juge en chef adjoint pour ce qui est de l'évaluation
des dommages-intérêts, à moins que les parties
ne puissent s'entendre à ce sujet, auquel cas la
Cour donnerait sa ratification.
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