T-1924-91
Mohamed Ahmed Said (requérant)
c.
Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration
(intimé)
REPERTOR/b SAID C. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE
L'IMMIGRATION) (Ire INST.)
Section de première instance, juge en chef adjoint
Jerome—Toronto, 27 janvier; Ottawa, 23 avril 1992.
Immigration — Statut de réfugié — Demande de certiorari
et de mandamus en vue d'examiner une décision de fonction-
naires de l'Immigration — Revendication du statut de réfugié
refusée faute d'un minimum de fondement — L'agent d'immi-
gration a conclu qu'il n'existait pas suffisamment de considé-
rations d'ordre humanitaire pour surseoir au renvoi du requé-
rant — Le requérant n'a pas eu l'occasion de présenter des
arguments qui tendraient à démontrer l'existence de motifs
d'ordre humanitaire — L'art. 114(2) de la Lai sur l'immigra-
tion oblige le ministre à agir équitablement dans l'exercice du
pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré — Le degré d'équité
est en cause —11 faut au moins que le requérant ait l'occasion
d'exposer sa cause et de présenter des arguments par écrit
pour savoir s'il existe des considérations d'ordre humanitaire
— Le gouverneur en conseil n'est pas tenu de motiver sa déci-
sion par écrit — Le pouvoir discrétionnaire du ministre n'a
pas été entravé — Demande accueillie.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et
sécurité — Un citoyen du Kenya s'est vu refuser le statut de
réfugié parce que .sa revendication n'avait pas un minimum de
fondement — Définition des «considérations d'ordre humani-
taire» — Jurisprudence examinée — Il faut donner au requé-
rant l'occasion d'exposer sa cause et de présenter des argu
ments pour savoir s'il existe des considérations d'ordre
humanitaire — La «justice fondamentale» visée par l'art. 7 de
la Charte englobe l'équité procédurale — La réparation pré-
vue à l'art. 114(2) de la Lai sur l'immigration relève d'un pou-
voir discrétionnaire dont l'exercice n'a pas à être motivé par
écrit — L'expulsion d'un demandeur du statut de réfugié vérs
son pays d'origine ne constitue pas une peine cruelle ou inusi-
tée au sens de l'art. 12 de la Charte.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Lai constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), appendice II, n° 44], art. 7, 12.
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° suppl.), ch. 10,
art. 28.
Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. 1-2, art. 114(2).
Loi sur l'inunigration de /976, S.C. 1976-77, ch. 52, art.
70, 71(1).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Williams c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration,
[1985] 2 C.F. 153 (1« inst.); Re Mauger et Ministre de
l'Emploi et de l'Immigration (1980), 119 D.L.R. (3d) 54;
;36 N.R. 91 (C.A.F.); Sobrie c. Canada (Ministre de l'Em-
ploi et de l'Immigration) (1987), 3 Imm. L.R. (2d) 81
(C.F. ire inst.); Muliadi c. Canada (ministre de l'Emploi
et de l'Immigration), [1986] 2 C.F. 205; (1986), 18
Admin. L.R. 243; 66 N.R. 8 (C.A.); Yhap c. Canada
(Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] I C.F.
722; (1990), 9 Imm. L.R. (2d) 69; 29 F.T.R. 223 (1c
inst.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion, [1985] I R.C.S. 177; (1985), 17 D.L.R. (4th) 422; 12
Admin. L.R. 137; 14 C.R.R. 13; 58 N.R. 1.
DEMANDE de certiorari et de mandamus en vue
d'examiner une décision de fonctionnaires de l'Immi-
gration portant qu'il n'existait pas suffisamment de
considérations d'ordre humanitaire pour accepter une
demande de résidence permanente au Canada.
Demande accueillie.
AVOCATS:
Joyce T. C. P. Chan pour le requérant.
Donald A. Macintosh pour l'intimé.
PROCUREURS:
Tollis, Chan, Toronto, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'in-
timé.
Ce qui suit est la version française des motifs de
l'ordonnance rendus par
LE JUGE EN CHEF ADJOINT JEROME: La présente
demande en vue d'obtenir une réparation de la nature
d'un certiorari et d'un mandamus a été entendue à
Toronto (Ontario), le 27 janvier 1992. Le requérant
sollicite ce qui suit:
1. une ordonnance de la nature d'un certiorari annu-
lant la décision des fonctionnaires de l'Immigration
du Service central de renvoi de, la Commission de
l'emploi et de l'immigration du Canada; ces fonction-
naires avaient décidé qu'il n'existait pas suffisam-
ment de considérations d'ordre humanitaire pour
accepter la demande de résidence permanente au
Canada du requérant;
2. une ordonnance de la nature d'un mandamus obli-
geant l'intimé à procéder à un examen complet et
équitable de la demande du requérant fondée sur des
considérations d'ordre humanitaire;
3. une ordonnance de la nature d'un mandamus obli-
geant l'intimé à examiner les arguments écrits du
requérant sur la question des considérations d'ordre
humanitaire.
Le requérant, un citoyen du Kenya, est arrivé au
Canada le 15 juillet 1989. Il a revendiqué le statut de
réfugié pour le motif que, s'il devait être renvoyé
dans son pays d'origine, il serait persécuté par le gou-
vernement à cause de ses opinions politiques. Le 9
août 1989, les fonctionnaires de l'Immigration ont
rejeté la revendication du requérant, après qu'ils
eurent conclu qu'il lui manquait un minimum de fon-
dement. Par la suite, le requérant a demandé à la
Cour d'appel fédérale l'autorisation d'intenter un
recours fondé sur l'article 28 pour que soit révisée la
décision de lui refuser le statut de réfugié. La Cour
lui a refusé cette autorisation le 15 février 1990.
En 1989 et au commencement de 1990, la situation
politique au Kenya est explosive. Les manifestations
et les arrestations se font de plus en plus nombreuses.
Amnistie internationale a donc écrit une lettre au
ministre de l'Emploi et de l'Immigration pour lui
exprimer ses inquiétudes à l'égard de la persécution
de dissidents par le gouvernement kenyan. De l'avis
d'Amnistie, ces événements, ainsi que les tensions
diplomatiques qui existaient entre le Kenya et le
Canada, pouvaient accroître le risque d'arrestation
des dissidents renvoyés du Canada dans leur pays.
Par la suite, le ministre a avisé le public que tous les
cas de refus du statut de réfugié seraient révisés pour
déterminer si des considérations d'ordre humanitaire
justifiaient d'accorder le droit d'établissement.
Deux procédures ont été établies. Si l'on jugeait
que la revendication du statut de réfugié avait un
minimum de fondement, mais qu'elle était rejetée
après une audience au fond, le chapitre IE 12.19 du
Guide de l'immigration prescrivait la procédure sui-
vante:
12.19...
1) Information de la revue pré-renvoi donnée au revendica-
teur refusé
Une lettre accompagnera la lettre de la CISR informant
les demandeurs éconduits qu'ils peuvent bénéficier d'un
examen de leur cas au regard de considérations humani-
taires. S'ils le désirent ceux-ci peuvent présenter des élé-
ments de preuve pertinents à l'appui de leur cas. Toute-
fois, les gestionnaires ne sont pas tenus de communiquer
avec le demandeur ou son conseil ni de faire subir une
entrevue à l'un d'eux pour discuter du bien-fondée [sic]
du cas. Par exemple, le demandeur ou le conseil peut
faire une déclaration au téléphone. Une décision écrite ou
des motifs écrits justifiant le refus ne sont pas néces-
saires. Il suffit simplement d'inscrire une mention indi-
quant qu'un examen du dossier a été effectué. Les direc-
teurs ne doivent pas suspendre les mesures de renvoi afin
de recevoir des représentations écrites.
Toutefois, si la revendication du statut de réfugié
avait été rejetée faute d'un minimum de fondement,
ce qui avait eu pour effet de priver l'intéressé de son
droit à une audience au fond, la procédure à suivre
n'était pas la même. Dans les cas susmentionnés, on
révisait le dossier pour voir s'il existait des considé-
rations d'ordre humanitaire, mais les revendicateurs
n'étaient pas avisés de cette démarche.
Le Guide de l'immigration renferme la définition
suivante de l'expression «considérations humani-
taires»:
12.19...
2) Définition des critères de «considérations humanitaires»
L'expression «considérations humanitaires» s'applique à
trois situations distinctes. Ces situations sont les sui-
vantes:
a) personnes qui se verront probablement imposer des
sanctions sévères par le gouvernement de leur pays si
elles y retournent;
b) liens de dépendance à l'égard de la famille;
c) personnes qui, en raison de leur situation personnelle
par rapport aux lois et aux pratiques en vigueur dans
leur pays d'origine, seraient injustement maltraitées si
elles y retournaient.
Le requérant en l'espèce faisait partie de la
deuxième catégorie de requérants puisque sa revendi-
cation du statut de réfugié avait été rejetée par un tri
bunal chargé de décider si sa revendication avait un
minimum de fondement et non par la Section du sta-
tut de réfugié de la Commission de l'immigration et
du statut de réfugié. Puisqu'il n'était pas admissible à
la tenue d'une audience sur le bien-fondé de sa reven-
dication du statut de réfugié, il n'avait pas le droit
d'être informé qu'un examen des considérations
d'ordre humanitaire allait être tenu conformément au
chapitre IE 12.19 du Guide de l'immigration.
Le 23 novembre 1989, le conseiller de l'Immigra-
tion du CIC de Mississauga, chargé de l'exécution de
la loi, a examiné le dossier du requérant et a décidé
qu'il n'y avait pas suffisamment de considérations
d'ordre humanitaire pour surseoir au renvoi. Cette
décision est maintenant contestée.
ARGUMENTS DU REQUÉRANT
Le requérant prétend que, n'ayant pas été informé
de son droit de bénéficier d'un examen de son cas à
la lumière de considérations d'ordre humanitaire, il
n'a pas eu, non plus, l'occasion de présenter des élé-
ments de preuve pertinents à l'appui de son cas. Le
requérant admet que, afin de se conformer aux exi-
gences de l'équité procédurale prévue à l'article 7 de
la Charte canadienne des droits et libertés [qui cons-
titue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11
(R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, n° 44]], l'intimé
n'est pas tenu de lui accorder une entrevue pour
déterminer s'il existe suffisamment de considérations
d'ordre humanitaire pour accueillir une demande de
résidence permanente au Canada. Cependant, il
incombe à l'intimé de lui fournir à tout le moins l'oc-
casion de présenter des arguments par écrit.
Le requérant plaide en outre qu'il a, conformément
à l'article 7 de la Charte, le droit de connaître les
arguments auxquels il devra répondre. En outre, les
principes de justice fondamentale et de l'équité pro-
cédurale obligent l'intimé à l'informer des motifs
pour lesquels il refuse de surseoir à son renvoi pour
des considérations d'ordre humanitaire. Le requérant
soutient qu'à défaut de connaître ces motifs, il n'aura
peut-être jamais l'occasion de contester efficacement
l'exactitude de renseignements non divulgués ou les
politiques qui sous-tendent les décisions de l'intimé.
ARGUMENTS DE L'INTIMÉ
Selon l'intimé, aucune preuve ne tend à établir que
les autorités de l'Immigration ont outrepassé leur
compétence ou qu'elles ont agi illégalement par ail-
leurs. On soutient que l'intimé n'avait aucune obliga
tion d'informer le requérant qu'il pouvait bénéficier
d'un examen au regard de considérations d'ordre
humanitaire, en application du chapitre IE 12.19 du
Guide de l'immigration. En effet, sa revendication du
statut de réfugié avait été rejetée par un tribunal
chargé de décider si sa revendication avait un mini
mum de fondement et non par la Section du statut de
réfugié de la Commission de l'immigration et du sta-
tut de réfugié. L'intimé plaide qu'il ressort clairement
du Guide même que seules les personnes dont la
revendication avait été refusée par la Commission du
statut de réfugié, du fait qu'elles n'avaient pas raison
de craindre d'être persécutées, avaient le droit de
recevoir une lettre de la Commission les informant
qu'elles pouvaient bénéficier d'un examen au regard
de considérations d'ordre humanitaire.
En ce qui a trait à l'obligation de fournir les motifs
de la décision, l'intimé plaide que la validité de la
décision rendue le 23 novembre 1989 ne saurait être
touchée par le défaut de l'agent d'avoir fourni des
motifs. Dans sa décision, le conseiller de l'Immigra-
tion affirme avoir tranché après avoir examiné tous
les facteurs dont les fonctionnaires devaient tenir
compte, à l'époque, avant de rendre leurs décisions.
La justice fondamentale et l'équité procédurale n'exi-
gent pas que le requérant reçoive les motifs de sa
décision.
ANALYSE
Bien que celui qui revendique le statut de réfugié
ait le droit, aux termes de la loi, à ce que sa revendi-
cation soit tranchée par un tribunal, l'examen au
regard de considérations d'ordre humanitaire relève
d'un autre régime. En effet, il appartient au gouver-
neur en conseil de décider, en vertu de son pouvoir
discrétionnaire, s'il y a lieu d'accorder une dispense
d'application des conditions habituelles prévues dans
la Loi sur l'immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2] pour
des raisons d'ordre humanitaire ou pour d'autres
motifs discrétionnaires. Le paragraphe 114(2) de la
Loi dispose:
114... .
(2) Pour des raisons d'intérêt public ou d'ordre humanitaire,
le gouverneur en conseil peut, par règlement, accorder une dis-
pense d'application d'un règlement pris aux termes du para-
graphe (I) ou faciliter l'admission de toute autre manière.
Essentiellement, le requérant plaide que son cas
n'a pas été régulièrement examiné puisqu'il n'a pas
eu l'occasion de présenter des arguments qui ten-
draient à démontrer l'existence de motifs d'ordre
humanitaire. L'intimé soutient que le ministre n'est
nullement tenu de considérer d'autres arguments du
requérant avant de rendre sa décision à cet égard.
L'intimé plaide que cette décision relève exclusive-
ment d'un pouvoir discrétionnaire qui n'engendre
aucun droit en faveur du requérant.
À mon avis, le requérant a gain de cause sur cette
question. Bien que le paragraphe 114(2) ne lui
accorde aucun droit, il oblige néanmoins le ministre à
agir équitablement dans l'exercice du pouvoir discré-
tionnaire qui lui est conféré. Il s'agit de déterminer le
degré d'équité applicable en l'espèce. Dans Williams
c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 2
C.F. 153 (1 re inst.), la Cour a statué qu'on ne doit exi-
ger du ministre qu'un minimum d'équité lorsqu'il
exerce son pouvoir discrétionnaire. Cependant, dans
l'arrêt Re Mauger et Ministre de l'Emploi et de l'Im-
migration (1980), 119 D.L.R. (3d) 54 (C.A.F.), la
Cour a jugé que l'obligation d'agir équitablement
avait été respectée, mais seulement parce qu'il était
clair que l'appelant avait eu amplement l'occasion de
présenter sa version des faits. Par conséquent, bien
que les exigences de l'obligation d'agir équitable-
ment puissent varier d'un cas à l'autre, il faut au
moins que le requérant ait l'occasion d'exposer sa
cause.
L'espèce rappelle étrangement l'affaire Sobrie c.
Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)
(1987), 3 Imm. L.R. (2d) 81 (C.F. 1 re inst.). Dans
cette affaire, le requérant avait revendiqué le statut de
réfugié au sens de la Convention. La revendication a
été rejetée par la Commission de l'immigration, par
la Commission d'appel de l'immigration et par la
Cour d'appel fédérale. M. Sobrie a ensuite demandé
au ministre de réexaminer son cas. Celui-ci a répondu
que son cas avait été réexaminé, qu'il n'était pas un
réfugié au sens de la Convention et qu'on n'avait
prouvé aucune considération d'ordre humanitaire jus-
tifiant une dispense. Le requérant n'avait jamais
fourni de renseignements détaillés ou précis relative-
ment à des considérations d'ordre humanitaire. Il a
institué une demande fondée sur l'article 18 pour
obtenir la réparation appropriée. Les passages sui-
vants sont tirés des pages 86 et 89 de ce jugement:
Je ne suis pas convaincu qu'on lui ait jamais donné la possibi-
lité de faire valoir l'existence des considérations d'ordre huma-
nitaire prévues au paragraphe 115(2) [le paragraphe 114(2)
actuel]. Les agents d'immigration ont présumé, fort logique-
ment, que le dossier considérable qu'ils détenaient sur Sobrie
contenait tous les renseignements pouvant être pertinents à la
décision à prendre. Cette présomption n'est pas justifiée et
n'est pas conforme aux principes d'équité.
Il est évident que le but sous-jacent aux dispositions du para-
graphe 115(2) n'est pas simplement de reprendre l'évaluation
d'un immigrant sur les bases ordinaires indiquées dans la Loi.
L'esprit de ces dispositions est de fournir un nouveau point de
vue du cas de l'immigrant à partir d'une nouvelle perspective.
Il s'ensuit que pour que le ministre examine équitablement une
demande présentée en vertu du paragraphe précité, il doit être
capable d'imaginer ce que le requérant estime constituer, dans
son cas, des circonstances d'ordre humanitaire. Celles-ci peu-
vent être sans rapport avec les faits consignés dans le dossier
de la procédure d'immigration antérieure.
Le paragraphe 115(2) ne prescrit pas que le gouverneur en
conseil doive examiner seulement ce que les agents d'immigra-
tion estiment être des considérations d'ordre humanitaire, ni
les seuls motifs déjà contenus dans le dossier du requérant. Si
le Parlement avait entendu ainsi restreindre les considérations
prévues dans ce paragraphe, il aurait facilement pu le faire.
Je ne dis pas, bien entendu, que le requérant a droit
à une instruction orale approfondie. Cependant,
comme l'intimé doit agir équitablement lorsqu'il exa
mine les considérations d'ordre humanitaire, en
application du chapitre IE 12.19 du Guide de l'immi-
gration, il doit autoriser le requérant à présenter des
arguments pour faire valoir d'éventuelles considéra-
tions d'ordre humanitaire, et ce, avant que les fonc-
tionnaires de l'Immigration ne rendent de décision à
cet égard.
En ce qui a trait à l'omission d'avoir fourni des
motifs, le requérant invoque l'arrêt Singh et autres c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1
R.S.C. 177, de la Cour suprême du Canada. Dans
cette affaire, le ministre a décidé, après avoir reçu
l'avis du comité consultatif sur le statut de réfugié,
que les appelants n'étaient pas admissibles à titre de
réfugiés au sens de la Convention. Les appelants ont
alors demandé à la Commission d'appel de l'immi-
gration de réexaminer leurs revendications, confor-
mément à l'article 70 de la Loi [Loi sur l'immigration
de 1976, S.C. 1976-77, ch. 52]. Conformément au
paragraphe 71(1) de la Loi, la Commission a refusé
de donner suite aux demandes. Les appelants ont
demandé à la Cour d'appel fédérale d'examiner la
décision de la Commission, conformément à l'article
28 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e
suppl.), ch. 10]. Ces demandes ont été rejetées.
La Cour suprême a conclu que les appelants
avaient droit à la protection de l'article 7 de la
Charte. Elle a également statué que la notion de «jus-
tice fondamentale», visée par l'article 7, englobait au
moins la notion d'équité procédurale. Du point de
vue du requérant, l'arrêt Muliadi c. Canada (Ministre
de l'Emploi et de l'Immigration), [ 1986] 2 C.F. 205,
de la Cour d'appel fédérale, est probablement plus
utile. Dans cette affaire, la Cour d'appel fédérale a
statué qu'avant qu'on ne puisse donner suite à l'ap-
préciation négative d'une demande à titre d'entrepre-
neur, le requérant devait avoir l'occasion de la réfu-
ter.
Toutefois, je note qu'aucun de ces arrêts ne permet
de conclure que le droit du requérant de connaître les
arguments auxquels il devra répondre puisse impli-
quer, d'une façon quelconque, une obligation de four-
nir des motifs par écrit. Dans l'une de ces affaires, les
décisions avaient été rendues par un agent des visas,
tandis que dans l'autre, elles avaient été prises par un
tribunal de la Commission d'appel de l'immigration
chargé de réexaminer le cas. En l'espèce, le requérant
veut être dispensé des exigences juridiques habi-
tuelles en matière d'immigration. La réparation est de
nature discrétionnaire et elle n'oblige probablement
pas le gouverneur en conseil à motiver sa décision, et
encore moins à le faire par écrit. Par conséquent, en
l'absence de toute prescription législative claire au
soutien des arguments du requérant à cet égard, la
demande doit être rejetée sous ce rapport.
Le requérant a fait valoir deux autres arguments
qui peuvent être tranchés rapidement. Premièrement,
il a plaidé que le ministre avait entravé son pouvoir
discrétionnaire en ne lui donnant pas l'occasion de
présenter des éléments de preuve pertinents à l'appui
de son cas et en omettant ,d'obtenir les renseigne-
ments qui étaient pertinents quant à l'exercice de son
pouvoir discrétionnaire. Je ne puis admettre que le
ministre ait entravé son pouvoir discrétionnaire en
l'espèce. Dans le jugement Yhap c. Canada (Ministre
de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 1 C.F. 722
(lfe inst.), aux pages 739 et 740, j'ai fait les commen-
taires suivants sur le caractère approprié des lignes
directrices relatives à l'examen à caractère humani-
taire énoncées au chapitre 9 du Guide de l'immigra-
tion:
Le chapitre 9 du Guide de l'immigration aide un agent à
évaluer les situations et à examiner les questions d'ordre
humanitaire soulevées par ces situations, à savoir les pro-
blèmes concernant les conjoints, les situations de dépendance
familiale, les difficultés créées par le retour au pays d'origine,
les résidents illégaux de facto, et les cas d'échec du mariage.
Ce chapitre donne des conseils généraux aux agents d'immi-
gration:
Des motifs d'ordre humanitaire peuvent être invoqués lors-
que des difficultés inhabituelles, injustes ou indues seraient
causées à la personne sollicitant l'examen de son cas, ou aux
personnes, au Canada, avec lesquelles l'immigrant a des
liens, si la personne en cause n'est pas autorisée à demeurer
au Canada pendant l'examen de son droit d'établissement.
Je n'ai pas à me prononcer sur le bien-fondé des lignes
directrices relatives à l'examen à caractère humanitaire figu-
rant au chapitre 9 du Guide de l'immigration. Je dirai toutefois
que ces lignes directrices semblent constituer une sorte de
«politique générale» ou de «règles empiriques grossières» qui
sont une structuration appropriée et licite du pouvoir discré-
tionnaire conféré par le paragraphe 114(2).
Enfin, le requérant prétend que l'intimé, en le ren-
voyant du Canada, lui fait subir un traitement ou une
peine cruel et inusité, contrairement à l'article 12 de
la Charte. En toute déférence, cet argument traduit
une mauvaise compréhension des procédures en
matière d'immigration, lesquelles sont de nature
civile et n'ont aucun rapport avec les procédures cri-
minelles. La jurisprudence a clairement établi que
l'expulsion ne vise pas à imposer des sanctions
pénales à un individu, mais vise plutôt à renvoyer du
Canada une personne indésirable. À mon avis, l'on
ne saurait assimiler à une peine cruelle ou inusitée
l'expulsion, vers son pays d'origine, d'une personne
dont le statut de réfugié a été refusé.
En conséquence, la Cour ordonnera l'annulation de
la décision portant refus d'appliquer des considéra-
tions d'ordre humanitaire à la revendication du
requérant. Elle ordonnera également que l'affaire soit
traitée conformément à la loi, quand le requérant aura
fourni au moins des arguments par écrit. Le requérant
a droit aux dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.