A-832-90
Canadian Cable Television Association — Asso
ciation canadienne de télévision par câble
(requérante)
c.
American College Sports Collective of Canada,
Inc., Border Broadcasters' Collective, Agence des
droits de retransmission des radiodiffuseurs cana-
diens Inc., Société collective de retransmission du
Canada, Association du droit de retransmission
canadien, Association des compositeurs, auteurs
et éditeurs du Canada Limitée, Société de percep
tion de droit d'auteur du Canada, FWS Joint
Sports Claimants, Major League Baseball Collec
tive of Canada, Inc., et Société de droits d'exécu-
tion du Canada Limitée (intimés)
RÉPERTORIÉ: Assoc. CANADIENNE DE TÉLÉVISION PAR CÂBLE
c. AMERICAN COLLEGE SPORTS COLLECTIVE OF CANADA, INC.
(CA.)
Cour d'appel, juges Mahoney, MacGuigan et
Linden, J.C.A.—Montréal, 13, 14, 15, 16 et 17
mai; Ottawa, 3 juin 1991.
Contrôle judiciaire — Demandes de révision — Demande en
vue de faire annuler la décision par laquelle la Commission du
droit d'auteur a fixé des droits annuels pour la retransmission
de signaux éloignés de télévision au Canada en raison de
l'inobservation des règles de justice naturelle — Obtention de
renseignements en dehors du cadre des audiences par le com-
missaire dissident — La règle audi alteram partem n'a pas été
violée — La possibilité qu'il existe un préjudice est détermi-
nante — Les renseignements obtenus n'étaient pas défavora-
bles à la requérante — Les renseignements n'ont pas influencé
les commissaires majoritaires — Ils ne se sont pas «fiés» aux
renseignements — Une erreur de droit sans conséquence ne
justifie pas l'annulation d'une décision — Aucune crainte
raisonnable de partialité — Le commissaire dissident n'avait
aucun intérêt dans l'issue de la cause.
Droit d'auteur — La Commission du droit d'auteur a fixé
des droits annuels pour la retransmission de signaux éloignés
de télévision et a ajouté un montant représentant de l'intérêt
aux droits exigibles conformément au pouvoir qui lui est
accordé par l'art. 70.63(1)a)(ii) de la Loi sur le droit d'auteur
de fixer les modalités afférentes aux droits — La Commission
avait implicitement le pouvoir d'inclure un montant représen-
tant de l'intérêt pour compenser le paiement tardif des droits
— Les art. 70.62 à 70.67 sont des dispositions réparatrices
dont les objets comprennent la création d'un régime pour le
versement de droits pour les retransmissions après le 1eJ jan-
vier 1990 — L'intérêt était nécessaire pour compenser le
paiement tardif des droits résultant du retard dans le proces-
sus d'homologation — Il n'était pas obligatoire que le droit
d'exiger le versement d'intérêts soit prévu expressément dans
la loi.
Interprétation des lois — L'art. 70.63(1)a)(ii) de la Loi sur
le droit d'auteur accorde à la Commission du droit d'auteur le
pouvoir de fixer les modalités afférentes aux droits — La
Commission a ajouté un montant représentant de l'intérêt aux
droits exigibles Les objets des art. 70.62 70.67 compren-
nent la création d'un régime pour le versement de droits pour
les retransmissions après le 1 eT janvier 1990 — Aux termes de
l'art. 12 de la Loi d'interprétation, un texte de loi s'interprète
de la manière la plus équitable et la plus large qui soit
compatible avec la réalisation de son objet — Les pouvoirs
d'un tribunal administratif peuvent découler implicitement du
texte de la loi, de son économie et de son objet Le
Parlement avait l'intention de faire en sorte que le régime pour
les droits de retransmission prenne effet le 1' janvier 1990,
indépendamment de la date à laquelle il serait établi La
Commission a respecté le mandat qui lui est conféré par la loi
en incluant un montant représentant de l'intérêt pour compen-
ser l'homologation tardive des droits.
La Cour a été saisie d'une demande en vue de faire annuler
la décision par laquelle la Commission du droit d'auteur a fixé
des droits annuels pour la retransmission de signaux éloignés de
télévision au Canada en raison de l'inobservation des règles de
justice naturelle. Subsidiairement, la requérante a demandé que
soit rendue une ordonnance modifiant le tarif des droits à payer
en supprimant le paiement des droits correspondant à l'intérêt.
La Loi sur le droit d'auteur a été modifiée en 1988 pour
prévoir le paiement de droits d'auteur pour la retransmission de
signaux éloignés de radio et de télévision. En 1989, des projets
de tarif ont été déposés auprès de la Commission. La requé-
rante s'est opposée à ces projets. A l'issue des audiences, le
commissaire dissident a obtenu certains renseignements à
caractère public ainsi que les opinions de fonctionnaires du
CRTC. Aucun de ces renseignements n'était défavorable à la
requérante. Deux commissaires, mais pas le président, savaient
que le commissaire dissident avait obtenu des renseignements
complémentaires, mais ils n'en connaissaient pas la teneur.
La requérante a soutenu que la règle audi alteram partem
avait été violée du fait de l'obtention, en dehors du cadre des
audiences, d'éléments de preuve dont elle n'a pris connaissance
que fortuitement, après que la Commission eut rendu sa déci-
sion, et auxquels elle n'a pas eu l'occasion de répliquer. Elle a
prétendu que l'existence d'un préjudice réel n'était pas essen-
tielle pour prouver l'inobservation de cette règle, et que la
possibilité qu'il existe un préjudice était suffisante. La requé-
rante a soutenu qu'elle avait de toute façon subi un préjudice
réel attribuable non pas à un effet défavorable, mais plutôt au
fait qu'on ne lui avait pas donné l'occasion de faire jouer en sa
faveur la preuve reçue. Pour leur part, les intimés ont soutenu
que les renseignements obtenus étaient déjà au dossier, connus
des parties ou dans le domaine public; qu'ils jouaient à l'avan-
tage de la requérante; que les commissaires majoritaires
n'étaient pas au courant des démarches du commissaire dissi
dent et n'ont pas été influencés par celles-ci; et que cette règle
ne s'appliquait pas à des renseignements qui ne concernaient
qu'un membre dissident d'un tribunal.
La requérante a par ailleurs prétendu que la Commission
avait violé la règle nemo judex in sua causa debet esse (nul ne
peut être juge dans sa propre cause), qui concerne l'impartialité
exigée des personnes appelées à rendre des décisions et qui
interdit non seulement la partialité réelle, mais aussi la crainte
raisonnable de partialité.
Exerçant le pouvoir qui lui est accordé par le sous-alinéa
70.63(1)a)(ii) de la Loi sur le droit d'auteur de fixer les
modalités afférentes aux droits, la Commission a ajouté un
montant représentant de l'intérêt aux droits exigibles parce que
la Loi prévoyait que les tarifs prendraient effet le 1e" janvier
1990 et que ceux-ci n'ont été homologués que beaucoup plus
tard. Ce montant n'a pas été fixé séparément par les tarifs à
titre de paiement d'intérêts, mais a plutôt été incorporé dans les
droits exigibles. La Commission a appliqué le taux d'escompte
de la Banque du Canada pour ne pas pénaliser les retransmet-
teurs, qui n'étaient pas responsables de l'homologation tardive
des tarifs. La requérante a soutenu qu'en exigeant le versement
d'intérêts sur les droits de retransmission accumulés avant la
publication des tarifs, la Commission outrepassait ses pouvoirs
parce que la Loi ne l'habilitait pas expressément à obliger les
retransmetteurs à verser des intérêts. Comme le droit d'exiger
le versement d'intérêts concerne le fond, il devrait être expres-
sément prévu dans la loi habilitante.
Arrêt: la demande devrait être rejetée.
La règle audi alteram partem n'a pas été violée. Même si les
actes du commissaire dissident pouvaient être imputés à la
Commission dans son ensemble, une erreur attribuable à la
Commission serait sans conséquence et ne devrait pas justifier
l'annulation de la décision. La Commission a agi équitablement
envers la requérante.
La question de la possibilité qu'il existe un préjudice était
déterminante. Il devait y avoir une possibilité réelle que le
résultat soit différent. Quant à la possibilité qu'il existe un
préjudice en l'espèce, la plupart des renseignements obtenus par
le commissaire dissident ne faisaient que répéter ou compléter
ce qui s'était dit aux audiences et ils n'ont entraîné aucun déni
de justice naturelle. La notion d'effet défavorable constitue le
pivot de la règle audi alteram partem. Même la requérante
s'est bornée à prétendre qu'on avait omis de lui donner l'occa-
sion, non pas de réfuter des renseignements défavorables, mais
d'exploiter des renseignements favorables. Aucun des rensei-
gnements obtenus par le commissaire dissident n'a eu une
influence quelconque sur la décision des commissaires majori-
taires. Celui-ci a pris l'initiative d'une démarche. Il doit être
établi que la Commission «s'est fiée au moins dans une certaine
mesure à l'information». Elle ne s'y est pas fiée en l'espèce.
L'existence d'une ou même de plusieurs erreurs de droit sans
conséquence, qui pourraient ne rien changer au résultat,
n'oblige pas la Cour à annuler une décision aux termes de
l'alinéa 28(1)b) de la Loi sur la Cour fédérale.
Il n'y avait aucune crainte raisonnable de partialité. La
crainte raisonnable de partialité due à un intérêt non pécuniaire
doit découler d'un «lien avec la cause ou les parties». Elle doit
correspondre à un «intérêt dans l'objet de la poursuite». Elle
intervient uniquement lorsqu'un membre du tribunal semble
avoir un intérêt ou une prédisposition quelconque pour une
issue particulière de la cause. Bien que le commissaire dissident
ait commis une erreur déplorable en cherchant à obtenir des
renseignements en dehors du cadre des audiences, il l'a fait avec
les meilleures intentions et il n'avait aucun intérêt dans l'issue
de la cause, si ce n'est le désir de rendre la meilleure décision
possible.
Le paiement d'intérêts sur les droits exigibles durant la
période transitoire est une question qui ressortit à l'interpréta-
tion du sous-alinéa 70.63(1)a)(ii). La jurisprudence ne va pas
jusqu'à affirmer qu'un droit semblable doit être prévu expressé-
ment dans la loi. Les articles 70.62 70.67 sont des dispositions
réparatrices dont les objets comprennent la création d'un
régime pour le versement de droits pour les retransmissions
après le 1" janvier 1990. Aux termes de l'article 12 de la Loi
d'interprétation, un texte de loi s'interprète de la manière la
plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la
réalisation de son objet. Les pouvoirs d'un tribunal administra-
tif peuvent découler implicitement du texte de la loi, de son
économie et de son objet. Tout ce qui est raisonnablement
nécessaire pour garantir l'accomplissement d'un devoir est
implicitement autorisé. L'article 149 de la Loi de mise en
oeuvre de l'Accord de libre-échange Canada—États-Unis indi-
que que le Parlement avait clairement l'intention de faire en
sorte que le régime pour les droits de retransmission prenne
effet le 1" janvier 1990, indépendamment de la date à laquelle
il serait établi. On peut seulement supposer que celui-ci a voulu
donner à la Commission le droit d'ordonner que les droits soient
versés intégralement à partir de ce jour si elle le jugeait
opportun. La Commission a estimé nécessaire de prévoir le
versement d'intérêts parce que la durée des audiences l'a empê-
chée d'homologuer les tarifs en temps voulu. Elle a inclus un
montant représentant de l'intérêt pour respecter le mandat qui
lui est conféré par la loi.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), chap. I-21, art. 12.
Loi de mise en œuvre de l'Accord de libre-échange
Canada—États-Unis, S.C. 1988, chap. 65, art. 65,
149.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art.
28.
Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. (1985), chap. C-42, art.
66 (mod. par L.R.C. (1985) (4 e suppl.), chap. 10, art.
12), 70.61 (édicté par S.C. 1988, chap. 65, art. 65),
70.63 (édicté idem).
Tarif sur la retransmission de signaux de radio, Gaz. du
Can. partie I, suppl., 6 oct. 1990, art. 14.
Tarif sur la retransmission de signaux de télévision,
Gaz. du Can. partie I, suppl., 6 oct. 1990, art. 19.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
R. v. Schiff et al., Ex parte Trustees of Ottawa Civic
Hospital, [1970] 3 O.R. 476; (1970), 13 D.L.R. (3d) 304
(C.A.); Kane c. Conseil d'administration (Université de
la Colombie-Britannique), [1980] 1 R.C.S. 1105; (1980),
110 D.L.R. (3d) 311; [1980] 3 W.W.R. 125; 18 B.C.L.R.
124; 31 N.R. 214; SITBA c. Consolidated -Bathurst
Packaging Ltd., [1990] 1 R.C.S. 282; (1990), 73 O.R.
(2d) 676 (note); 68 D.L.R. (4th) 524; 42 Admin. L.R. 1;
90 CLLC 14,007; 38 O.A.C. 321; Re la Compagnie
d'assurance Cardinal et le Ministre d'État (Finances)
(1982), 138 D.L.R. (3d) 693; [1982] I.L.R. 1-1541; 44
N.R. 428 (C.A.F.); Canadian Union of Public
Employees (Civic Employees' Union, Local 21) and
Murray v. Regina (City) et al. (1989), 81 Sask. R. 16
(B.R.); Hecla Mining Company of Canada c. Cominco
Ltd. et Canada (Ministre des Affaires indiennes et du
Nord canadien) (1988), 116 N.R. 44 (C.A.F.); Canadien
Pacifique Ltée c. British Columbia Forest Products Ltd.,
[1981] 2 C.F. 745; (1980), 34 N.R. 209 (C.A.); Schaaf c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1984] 2 C.F.
334; [1984] 3 W.W.R. 1; (1984), 52 N.R. 54 (C.A.);
Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de
Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602; (1979), 106 D.L.R. (3d)
385; 50 C.C.C. (2d) 353; 13 C.R. (3d) 1; 15 C.R. (3d)
315; 30 N.R. 119; Bateman v. McKay et al., [1976] 4
W.W.R. 129 (B.R. Sask.); Re Gooliah and Minister of
Citizenship and Immigration (1967), 63 D.L.R. (2d)
224; (1967), 59 W.W.R. 705 (C.A. Man.); Bell Canada
c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécom-
munications canadiennes), [1989] 1 R.C.S. 1722; (1989),
60 D.L.R. (4th) 682; 97 N.R. 15; Société des droits
d'exécution du Canada Ltée c. Société Radio-Canada
(1986), 7 C.P.R. (3d) 433; 64 N.R. 330 (C.A.F.); Banca
Nazionale del Lavoro of Canada Ltd. c. Lee-Shanok
(1988), 88 CLLC 14,033; 87 N.R. 178 (C.A.F.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Spence v. Spencer and Prince Albert Board of Police
Commissioners (1987), 53 Sask. R. 35; 25 Admin.
L.R. 90 (C.A.); Yukon Conservation Society c. L'Office
des eaux du territoire du Yukon et Cyprus Anvil Mining
Corp. (1982), 45 N.R. 591 (C.F. 1"° inst.); Committee for
Justice and Liberty et autres c. Office national de l'éner-
gie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369; (1976), 68 D.L.R.
(3d) 716; 9 N.R. 115.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Pfizer Co. Ltd. c. Sous -ministre du Revenu national,
[1977] 1 R.C.S. 456; (1975), 68 D.L.R. (3d) 9; 24 C.P.R.
(2d) 195; 6 N.R. 440; Cardinal et autre c. Directeur de
l'établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643; (1985), 24
D.L.R. (4th) 44; [1986] 1 W.W.R. 577; 69 B.C.L.R. 255;
16 Admin. L.R. 233; 23 C.C.C. (3d) 118; 49 C.R. (3d)
35; 63 N.R. 353; Enquête Énergie c. Commission de
contrôle de l'énergie atomique, [1985] 1 C.F. 563;
(1984), 15 D.L.R. (4th) 48; 11 Admin. L.R. 287; 13
C.E.L.R. 162; 56 N.R. 135 (C.A.); WMI Waste Mana
gement of Canada Inc. v. Municipality of Metropolitan
Toronto (1981), 34 O.R. (2d) 708; 24 L.C.R. 204; 23
R.P.R. 257 (H.C.); Northern & Central Gas Corp. Ltd.
v. Kidd Creek Mines Ltd. (1988), 66 O.R. (2d) 11; 53
D.L.R. (4th) 123; 29 C.P.C. (2d) 257; 30 O.A.C. 146
(C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Frome United Breweries Co. v. Bath Justices, [1926]
A.C. 586 (H.L.); R. v. British Columbia Labour Rela
tions Board, Ex parte International Union of Mine, Mill
& Smelter Workers (1964), 45 D.L.R. (2d) 27 (C.A.
C.-B.); In re le Tribunal antidumping et le verre à vitre
transparent, [1972] C.F. 1078; (1972), 30 D.L.R. (3d)
678 (lfe inst.); Liverpool Corporation v. Maiden
(Arthur), Ltd., [1938] 4 All E.R. 200 (K.B.D.).
DOCTRINE
Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications
canadiennes. Un plus grand choix d'émissions cana-
diennes, Ottawa, le 30 novembre 1987.
AVOCATS:
Michael K. Eisen et Stephen G. Rawson pour
la requérante Association canadienne de télé-
vision par câble.
Gilles M. Daigle pour l'intimée Border
Broadcasters' Collective.
David W. Kent pour l'intimée Agence des
droits de retransmission des radiodiffuseurs
canadiens Inc.
Hank G. Intven pour l'intimée Société collec
tive de retransmission du Canada.
Jacques R. Alleyn, c.r. et Peter E. Robinson
pour l'intimée Association du droit de retrans-
mission canadien.
Y.A. George Hynna pour les intimées Associa
tion des compositeurs, auteurs et éditeurs du
Canada Limitée et Société de droits d'exécu-
tion du Canada Limitée.
Glenn A. Hainey et Michael S. Koch pour
l'intimée Société de perception de droit d'au-
teur du Canada.
Daniel R. Bereskin, c.r. et Greg A. Piasetzki
pour l'intimé FWS Joint Sports Claimants.
Richard Storrey pour l'intimée Major League
Baseball Collective of Canada, Inc.
J. Aidan O'Neill pour Communications par
satellite canadien Inc. et C 1 Cablesystems.
Mario Bouchard pour la Commission du droit
d'auteur.
PROCUREURS:
Morris/Rose/Ledgett, Toronto, pour la requé-
rante Association canadienne de télévision par
câble.
Gowling, Strathy & Henderson, Ottawa, pour
l'intimée Border Broadcasters' Collective.
McMillan Binch, Toronto, pour l'intimée
Agence des droits de retransmission des radio-
diffuseurs canadiens Inc.
McCarthy, Tétrault, Toronto, pour l'intimée
Société collective de retransmission du
Canada.
Société Radio-Canada, Ottawa, pour l'inti-
mée Association du droit de retransmission
canadien.
Gowling, Strathy & Henderson, Ottawa, pour
les intimées Association des compositeurs,
auteurs et éditeurs du Canada Limitée et
Société de droits d'exécution du Canada
Limitée.
Smith, Lyons, Torrance, Stevenson & Mayer,
Toronto, pour l'intimée Société de perception
de droit d'auteur du Canada.
Rogers, Bereskin & Parr, Toronto, pour l'in-
timé FWS Joint Sports Claimants.
Goodman & Goodman, Toronto, pour l'inti-
mée Major League Baseball Collective of
Canada, Inc.
Johnston & Buchan, Ottawa, pour Communi
cations par satellite canadien inc. et Cl
Cablesystems.
Contentieux, Commission du droit d'auteur,
Ottawa, pour la Commission du droit
d'auteur.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN, J.C.A.: La Cour est
saisie d'une demande fondée sur l'article 28 [Loi
sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7]
présentée par la requérante, qui est un organisme à
but non lucratif qui représente plus de 545 exploi-
tants de systèmes de télédistribution titulaires
d'une licence au Canada, contre une décision
rendue le 2 octobre 1990 par la Commission du
droit d'auteur («la Commission»). Les tarifs qui
mettent en oeuvre la décision de la Commission ont
été publiés dans le Supplément à la Gazette du
Canada, Partie I, 6 octobre 1990, sous les titres
Tarif sur la retransmission de signaux de télévi-
sion et Tarif sur la retransmission de signaux de
radio.
La Commission a été mise sur pied sous le
régime de l'article 66 de la Loi sur le droit d'au-
teur («la Loi»), L.R.C. (1985), chap. C-42 [mod.
par L.R.C. (1985) (4e suppl.), chap. 10, art. 12],
disposition qui est entrée en vigueur par proclama
tion le 1" février 1989. Aux termes du paragraphe
66(3), le président de la Commission doit être un
juge en fonction ou à la retraite d'une cour supé-
rieure, d'une cour de comté ou d'une cour de
district. Les commissaires qui ont été saisis de
l'affaire étaient le président, le juge Donald Med-
hurst de la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta,
le vice-président, M. Michel Hétu («M. Hétu»),
Mme Judith Alexander («Mme Alexander») et M.
Michel Latraverse («M. Latraverse»). Ce dernier
était le seul commissaire dissident.
Suite à la conclusion de l'Accord de libre-
échange entre le Canada et les États-Unis, la Loi a
été modifiée par l'article 65 de la Loi de mise en
oeuvre de l'Accord de libre-échange Canada—
États-Unis, S.C. 1988, chap. 65, pour prévoir le
paiement de droits d'auteur pour la retransmission
de signaux éloignés de radio et de télévision. En
juin 1989, onze sociétés de gestion des droits d'au-
teur agissant comme sociétés de perception ont
déposé auprès de la Commission des projets de
tarif pour la retransmission de ces signaux, confor-
mément à l'article 70.61 [édicté par L.C. 1988,
chap. 65, art. 65] de la Loi. La requérante est
l'une des trois parties qui ont déposé auprès de la
Commission des oppositions à ces projets. Les
audiences de la Commission ont commencé le 27
novembre 1989 et se sont poursuivies pendant 57
jours. Dans sa décision du 2 octobre 1990, la
Commission a fixé des droits annuels pour la
retransmission de signaux éloignés de télévision au
Canada d'environ 51 millions de dollars pour 1990
et 1991. L'élément de comparaison (représentatif
ou analogue) que la Commission a jugé utile
d'adopter comme point de départ pour le calcul des
droits était le prix de gros demandé par le service
spécialisé américain par satellite Arts & Enter
tainment («A & E»), à condition de tenir compte
des différences qui existent entre A & E et les
signaux éloignés (Décision, aux pages 25 36):
B. LES GRANDS SYSTÈMES: 1 - LA VALEUR DES SIGNAUX
ÉLOIGNÉS
Les parties proposent quatre méthodes pour établir la valeur
des oeuvres protégées par le droit d'auteur. Trois méthodes sont
fondées soit sur la valeur économique de services semblables
offerts par les signaux éloignés, soit sur le manque à gagner
imputable à l'utilisation des signaux éloignés; la dernière
méthode établit une comparaison directe avec les conditions
prévalant aux États-Unis. La présente section est consacrée à
l'analyse de ces méthodes, à savoir:
(i) la valeur des services comparables
(ii) la valeur de la programmation potentielle écartée
(iii) la valeur des droits de licence perdus
(iv) la comparaison avec le régime américain
(i) La valeur des services comparables
Puisque la Commission doit établir la valeur des signaux éloi-
gnés, il peut être utile de connaître le prix d'un bien comparable
dans un autre marché. Si ce marché analogue est un marché
concurrentiel, on peut conclure que le prix représente bien la
valeur des signaux éloignés.
La SPDAC [Société de perception de droit d'auteur du
Canada] a prétendu que les tarifs demandés par la CANCOM
[Communications par satellite canadien Inc.] pour la revente
de services de télécommunication aux systèmes de télédistribu-
tion affiliés permettent d'évaluer l'avantage que les systèmes de
télédistribution tirent de l'accès aux signaux éloignés. Dans
certains marchés, la CANCOM demande jusqu'à 1,70 $ pour
le premier signal ...
Comme marché analogue pour la programmation sportive et,
plus précisément, pour le baseball, la MLB [Major League
Baseball Collective of Canada, Inc.] a proposé un service
américain axé sur les sports, soit ESPN.
La SCR [Société collective de retransmission] a recueilli des
données pour 1989 sur les tarifs mensuels de gros que doivent
payer les systèmes canadiens de télédistribution pour les servi
ces spécialisés. Ces prix atteignent 1,05 $ et 88 cents pour le
Réseau des sports et The Sports Network alors qu'ils s'élèvent à
peine à 8 cents pour MuchMusic; Vision TV est même offert
gratuitement. La moyenne non pondérée de ces tarifs est de 34
cents. Selon la SPDAC et la SCR, de tous les services de
programmation offerts, YTV et A & E sont ceux dont le
contenu ressemble le plus à celui des signaux éloignés. On a
prétendu que les prix de gros de 31 cents et 25 cents respective-
ment devraient être considérés comme représentatifs de la
valeur minimale des signaux éloignés. Le tarif de A & E reflète
le prix établi par le marché alors que celui de YTV est
réglementé. Par conséquent, le tarif de A & E est peut-être
plus représentatif de la valeur des signaux éloignés.
Le prix d'un service peut être représentatif de la valeur d'un
service comparable s'il est effectivement offert dans un marché
actif, mais cela ne suffit pas. Le prix de A & E est établi pour
un marché actif; il présente cependant des faiblesses qui faus-
sent la comparaison de ce service avec les signaux éloignés.
(ii) La valeur de la programmation potentielle écartée
La SCR a proposé la valeur des services de programmation
possiblement écartés, comme moyen d'évaluer le préjudice subi
par les sociétés de perception. La SCR conclut que l'importa-
tion des signaux éloignés empêche la création d'au moins un
autre service national de télédiffusion.
(iii) La valeur des droits de licence perdus
La SCR prétend également qu'une émission se déprécie chaque
fois que le public a l'occasion de la regarder à nouveau. Comme
déjà dit, la diffusion simultanée ne fait subir aucun préjudice
aux titulaires du droit d'auteur. Toute autre répétition d'une
émission réduit les droits de licence pour sa diffusion et peut
même nuire aux ventes projetées. La SCR a évalué ce préjudice
à 4 000 $ par heure de diffusion en soulignant que cette
évaluation demeurait très raisonnable.
(iv) La comparaison avec le régime américain
Aux États-Unis, les droits d'auteur pour la retransmission
projetés pour 1990 sont d'environ 200 millions de dollars
américains. L'ACTC [Association canadienne de télévision par
câble, soit la partie requérante en l'espèce] a proposé la règle de
la «division par dix'; puisque la population des Etats-Unis est
approximativement dix fois celle du Canada, les droits d'auteur
au Canada devraient se chiffrer à 10 pour cent de ce qu'ils sont
aux États-Unis, soit à environ 24 millions de dollars canadiens.
Les droits fixés par la Commission ne s'appliquent qu'aux
retransmetteurs situés au Canada, bien qu'ils soient versés aux
titulaires du droit d'auteur où qu'ils se trouvent. En essayant de
faire des comparaisons entre différents pays, on se bute à
d'innombrables obstacles. Il existe des différences sur le plan de
la structure de l'industrie, des prix relatifs, des échelles de
revenus et de la culture. Voici quatre différences entre les
marchés des deux pays qu'il est possible de quantifier.
(v) Les conclusions de la Commission
La Commission conclut que l'utilisation des services compara-
bles est une méthode fiable pour établir la valeur des signaux
éloignés. De plus, la Commission considère que le prix de gros
demandé par A & E est utile comme point de départ, à
condition de tenir compte des différences qui existent entre ce
service et les signaux éloignés.
Il y a substitution simultanée des émissions transmises par les
signaux éloignés alors que ce n'est pas le cas de celles que
diffuse A & E. Par conséquent, la Commission détermine qu'il
y a lieu de réduire de 20 pour cent la valeur des signaux
éloignés.
Vu sous l'angle du recouvrement des coûts, le marché des
signaux éloignés fait appel à d'autres considérations que le
marché des abonnements aux services spécialisés. Il s'ensuit que
le vendeur d'un signal éloigné accepterait un prix moindre pour
son produit dans ce marché.
Le niveau de pénétration du marché par les signaux éloignés est
plus élevé que celui de A & E. Pour que ce service atteigne le
même niveau, il faudrait en baisser le prix.
La variété de combinaisons des signaux éloignés en vue de leur
mise en marché a peut-être un impact sur leur valeur. Même si
on arrivait à la conclusion que le prix de A & E correspond à la
valeur du premier signal éloigné, il est possible que ce prix
excède la valeur des autres signaux qui font partie du même
groupe de signaux fournis en bloc aux abonnés.
Compte tenu de toutes ces différences, la Commission conclut
qu'il est raisonnable de fixer le prix moyen d'un signal éloigné à
15 cents.
La disposition législative qui habilitait la Com
mission à rendre sa décision est l'article 70.63
[édicté par L.C. 1988, chap. 65, art. 65] de la Loi,
qui est ainsi libellé:
70.63 (1) Lorsqu'elle a terminé l'examen de tous les projets
de tarif, la Commission:
a) établit, compte tenu notamment des critères réglementai-
res, la formule tarifaire qui permet de déterminer les droits à
payer par chaque catégorie de retransmetteurs et fixe, à son
appréciation, les modalités afférentes aux droits;
b) détermine la quote-part de chaque société de perception
dans ces droits;
c) modifie en conséquence chacun des projets de tarif;
d) certifie ceux-ci qui sont dès lors les tarifs homologués
applicables à chaque société en cause.
(2) Il demeure entendu que ni la formule tarifaire, même
modifiée au titre du paragraphe 70.67(1), ni la quote-part ne
peuvent établir une discrimination entre les titulaires de droit
d'auteur fondée sur leur nationalité ou leur résidence.
(3) La Commission fait publier dès que possible les tarifs
homologués dans la Gazette du Canada et en communique un
double, accompagné des motifs de sa décision, à la société de
perception en cause ainsi qu'aux opposants.
(4) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, fixer des
critères, dont la Commission doit tenir compte, pour l'applica-
tion de l'alinéa (1)a) en vue de la fixation de droits justes et
équitables'.
La requérante, qui, comme les motifs de la
décision de la Commission l'indiquent, avait pro-
posé la quatrième méthode pour établir la valeur
des oeuvres protégées par le droit d'auteur, c'est-à-
dire la comparaison avec le régime américain, a
demandé que la décision de la Commission soit
annulée en raison de l'inobservation des règles de
justice naturelle. Subsidiairement, la requérante a
demandé que soit rendue une ordonnance modi-
fiant le tarif des droits à payer pour la retransmis-
sion des signaux éloignés de radio et de télévision
au Canada en 1990 et 1991 en supprimant l'article
19 du Tarif sur la retransmission de signaux de
télévision, l'article 14 du Tarif sur la retransmis-
sion de signaux de radio, et toute obligation con-
nexe, annulant de ce fait le paiement des droits
correspondant à l'intérêt couru avant la publica
tion du tarif.
Il est reconnu que la Commission doit agir de
manière quasi judiciaire et est donc tenue de res-
pecter toutes les exigences de la justice naturelle.
' Le gouverneur en conseil n'a pris aucun règlement de cet
ordre.
Il est également reconnu que postérieurement à
la clôture des audiences de la Commission, le
commissaire Latraverse a cherché à se renseigner
sur les services spécialisés canadiens et américains
auprès d'employés du Conseil de la radiodiffusion
et des télécommunications canadiennes («CRTC»),
et a utilisé une partie des renseignements qu'il a
obtenus. Le 15 août 1990, M. Latraverse a rencon-
tré, à sa demande, des employés du CRTC, à
savoir Wayne Charman («M. Charman»), Janet
Yale («Mme Yale») et Randolph Hutson («M.
Hutson»), afin d'obtenir des renseignements et des
documents sur les services spécialisés. Les quatre
personnes qui ont assisté à cette réunion ont toutes
fait une déclaration sous serment; celles des trois
employés du CRTC ont été présentées par la
requérante. Tous les affidavits concordaient sur
tous les points importants. Par ailleurs, Mme Yale
a fait l'objet d'un contre-interrogatoire au sujet du
contenu de son affidavit.
Lors de la réunion du 15 août 1990, M. Char-
man a remis à M. Latraverse un exemplaire d'une
publication du CRTC en date du 30 novembre
1987 intitulée Un plus grand choix d'émissions
canadiennes («Choix d'émissions»). Postérieure-
ment à cette réunion, MM. Charman et Latraverse
se sont téléphonés à trois reprises pour clarifier des
questions soulevées au cours de la réunion, et M.
Latraverse a par la suite reçu un tableau indiquant
les tarifs payés aux États-Unis pour les services
spécialisés.
Il ressort de toute cette preuve que ces conversa
tions avec le CRTC ont porté sur trois questions
seulement, à savoir (1) les services spécialisés au
Canada, (2) les services spécialisés aux États-Unis,
et (3) l'utilisation des services spécialisés comme
élément de comparaison. M. Latraverse a averti
les commissaires Hétu et Alexander qu'il avait
obtenu ces documents. Il n'a cependant pas pré-
venu le président Medhurst, qui aurait pu voir d'un
mauvais oeil cette façon de procéder.
En plus d'avoir eu ces conversations et d'avoir
obtenu ces documents, M. Latraverse a recueilli de
son côté des statistiques sur l'industrie de la télé-
distribution plus complètes que celles qui figu-
raient dans les pièces. Dans ses motifs dissidents, il
a mentionné qu'il avait «pu constater qu'un pour-
centage très substantiel, mais non établi par la
preuve, de la programmation de A & E [faisait]
l'objet de plusieurs passages à l'intérieur d'un
même mois» (Décision, à la page 112). Comme
c'est une constatation à la portée de quiconque
feuillette le guide de programmation mensuel de A
& E et, assurément, de tout abonné de ce service,
je ne puis accorder aucune importance, sur le plan
juridique, à son utilisation par M. Latraverse. Ce
dernier a par ailleurs mentionné «qu'un autre pour-
centage de sa programmation, également non
établi par la preuve, ne passe pas au Canada parce
que les droits canadiens de diffusion n'auraient pu
être obtenus par A & E» (ibid.). Là encore, je ne
puis accorder aucune importance, sur le plan juri-
dique, au fait que la preuve ne révélait pas quel
pourcentage de la programmation ne passait pas
au Canada, étant donné qu'une preuve inexistante
n'ajoute rien d'un côté comme de l'autre.
Enfin, pendant que le groupe d'exploitants de
systèmes de télédistribution représentés par
l'ACTC [Association canadienne de télévision par
câble] témoignait, M. Latraverse a téléphoné à son
courtier afin de l'interroger sur certains éléments
de preuve fournis par des membres du groupe. Il
s'est ensuite servi des renseignements financiers
qu'il avait, semble-t-il, obtenus de son courtier
pour interroger deux membres du groupe. Durant
l'interrogatoire, M. Latraverse a adressé les com-
mentaires suivants à M. Linton de Rogers Cable
TV:
[TRADUCTION] a) «Vous n'avez pas cessé de dire que les
emprunts bancaires totalisaient 37 millions de dollars dans le
bilan consolidé, ce qui est trois fois rien [pour Rogers
Communications]».
b) «Voici ce que je tiens à souligner: étant donné vos chiffres, et
comme vous êtes un exploitant exceptionnel et avisé et que vous
gérez fort bien vos affaires, il m'est très difficile de prendre en
pitié Rogers Communications à cause de l'importance de sa
dette bancaire».
c) «Vous venez tout juste de mentionner que vous avez perdu 25
millions de dollars dans la chaîne de télé-achat. C'est peu
d'argent pour [Rogers Communications]».
d) «Vous [Rogers Communications ou M. Linton] êtes peut-
être un homme d'affaires exceptionnel, mais il y a quelque
chose de mystérieux dans votre approche». [Transcription, v.
45, 22 février 1990, aux p. 7815 7838.]
À mon sens, le fait que des renseignements
obtenus à titre privé aient servi à formuler des
remarques aussi évidentes est trop insignifiant
pour mériter un examen attentif 2 , et je n'ai pas
l'intention de m'y attarder plus longuement. En
revanche, il convient d'examiner les questions rela
tives à la justice naturelle au regard des autres
incidents.
Le concept de justice naturelle de la common
law comprend deux règles qui sont habituellement
exprimées sous forme de maximes latines: il y a la
règle audi alteram partem (entends l'autre partie),
selon laquelle on doit mettre les parties au courant
des arguments qui sont invoqués contre elles et
leur donner l'occasion d'y répliquer, et la règle
nemo judex in sua causa debet esse (nul ne peut
être juge dans sa propre cause), qui concerne
l'impartialité exigée des personnes appelées à
rendre des décisions, et qui interdit non seulement
la partialité réelle, mais aussi la crainte raisonna-
ble de partialité. La requérante en l'espèce a invo-
qué ces deux règles, que j'examinerai successive-
ment.
II
La requérante a soutenu que M. Latraverse et la
Commission ont contrevenu à la règle audi alte-
ram partem en recevant, en dehors du cadre des
audiences, des éléments de preuve dont la requé-
rante n'a pris connaissance que fortuitement, après
que la Commission eut rendu sa décision, au cours
d'une conversation que l'un de ses dirigeants a eue
avec M. Charman, et qu'elle n'a donc pas eu
l'occasion de répliquer à cette preuve. À mon sens,
même si M. Latraverse était bien intentionné en
voulant mieux se préparer en prévision de la déci-
sion à rendre, il a commis une grave erreur de
jugement en cherchant à obtenir ces renseigne-
ments en dehors du cadre des audiences, et cette
erreur aurait certainement p entraîner la nullité
de la décision prise par la Commission à cause
d'un manquement à l'équité. S'il n'en fut rien en
l'espèce, ce ne pouvait être qu'en raison de circons-
tances fortuites, comme l'ont fait valoir les
intimés.
Selon les intimés, (1) les renseignements obtenus
par M. Latraverse étaient déjà au dossier, connus
des parties ou dans le domaine public; (2) ils
jouaient en réalité à l'avantage de la requérante,
pas à son détriment; (3) les commissaires majori-
2 Ces renseignements ont aussi, semble-t-il, été divulgués aux
audiences et aucune objection n'a été soulevée à ce moment.
taires n'étaient pas au courant des démarches de
M. Latraverse et n'ont pas été influencés par
celles-ci; et (4) cette règle ne s'applique pas à des
renseignements qui ne concernent qu'un membre
dissident d'un tribunal. Les trois premières préten-
tions sont des questions de fait, tandis que la
quatrième est une question de droit.
Comme je l'ai indiqué, la preuve issue des diver-
ses sources concordait quant aux questions débat-
tues. Premièrement, en ce qui a trait aux services
spécialisés au Canada, M. Latraverse avait
apporté avec lui à la réunion une copie d'un
tableau (mis en preuve durant les audiences de la
Commission par le témoin expert Peter Grant («M.
Grant»)) qui portait sur les prix payés au Canada
pour les services spécialisés. Les données qui figu-
raient dans ce tableau étaient extraites de politi-
ques et de décisions du CRTC, et M. Latraverse
avait des questions au sujet du contexte et de la
raison d'être, des règles de distribution et des prix
(alinéa 4b) de l'affidavit de M. Charman, alinéa
6a) de l'affidavit de Mme Yale et alinéas 8 et 11
de l'affidavit de M. Latraverse). La plupart des
réponses se trouvaient dans un énoncé de politique
exhaustif du CRTC intitulé Choix d'émissions,
qui a été remis à M. Latraverse, et que des partici
pants de l'industrie de la télédistribution comme
les quelque cinq cents membres représentés par la
requérante pouvaient se procurer car ils en con-
naissaient tous l'existence. Même si ce document
n'a pas été officiellement mis en preuve au cours
des audiences de la Commission, il a servi de base
aux questions qui ont été posées durant les audien
ces et M. Grant y a fait directement allusion
(Transcription, aux pages 2626 et 2637).
En ce qui concerne les services spécialisés aux
États-Unis, il est ressorti de la preuve que M.
Latraverse était particulièrement intéressé à savoir
comment étaient fixés les prix pour ces services
(alinéas 4c) et 6 de l'affidavit de M. Charman,
alinéas 2, 3a) et 3b) de l'affidavit de M. Hutson,
alinéa 6b) de l'affidavit de Mme Yale, alinéas 8,
12, 17, 18 et 19 de l'affidavit de M. Latraverse).
L'explication donnée par M. Latraverse dans son
affidavit a été entièrement corroborée par les
autres:
[TRADUCTION] 12. Au cours de la réunion, M. Charman a
déclaré, à propos du deuxième but de ma démarche, qui était de
savoir s'il existait des décisions ou des politiques du CRTC sur
le prix payé par les câblodistributeurs canadiens pour les
signaux spécialisés américains, que le CRTC ne s'occupait pas
de la fixation de ces tarifs. Il m'a offert de vérifier pour moi s'il
existait d'autres documents à ce sujet.
19. Notre dernier entretien remonte au 21 ou au 22 août 1990.
M. Charman m'a alors confirmé qu'il n'avait trouvé aucune
publication sur le prix payé par les câblodistributeurs canadiens
pour les signaux spécialisés américains, ces renseignements
étant fournis par les entreprises de câblodistribution sous forme
de montant global plutôt que pour chaque service pris indivi-
duellement. Il a également déclaré que ces renseignements
avaient été fournis à Statistique Canada à titre confidentiel. M.
Charman m'a offert de m'envoyer par télécopieur un tableau
tiré du numéro du 30 avril 1990 d'un bulletin américain intitulé
Cable TV Programming, que le public peut consulter à la
bibliothèque du CRTC. Ce tableau précise les tarifs payés aux
États-Unis pour les services spécialisés. J'ai reçu ce tableau
dans la matinée du 23 août 1990; il constitue la pièce «C» jointe
à mon affidavit.
Il ressort de ce qui précède que les seuls rensei-
gnements nouveaux que M. Latraverse a pu obte-
nir à ce sujet étaient le tableau produit sous la cote
C. Il était dans une large mesure dénué de perti
nence en ce qui a trait aux questions examinées
par la Commission. Les quelques renseignements
pertinents qu'il contenait avaient déjà été fournis à
la Commission durant les audiences, en particulier
le droit de base mensuel du réseau de câble de
onze pour cent par abonné demandé en 1989 par A
& E aux États-Unis; c'est un chiffre que la requé-
rante elle-même a fourni à la Commission et qu'un
témoin a également mentionné (interrogatoire de
Kain, 19 mars 1990, aux pages 9256 et 9257).
M. Charman a refusé de se prononcer sur l'utili-
sation des services spécialisés comme élément de
comparaison (alinéa 4d) de son affidavit), tandis
que M. Hutson (alinéas 4c) et 4d) de son affida
vit) et Mme Yale (alinéa 6c) de son affidavit) ont
exprimé des opinions défavorables. Mme Yale a
dit à M. Latraverse que [TRADUCTION] «les prix
demandés pour les services spécialisés ne seraient
pas très représentatifs à ce chapitre parce qu'ils
avaient été fixés dans un but autre que celui
d'établir la valeur des œuvres protégées par le
droit d'auteur». Selon M. Hutson, l'utilisation des
prix demandés pour les services spécialisés améri-
cains tant aux Etats-Unis qu'au Canada [TRADUC-
TION] «équivaudrait à comparer des pommes et
des oranges».
M. Latraverse a probablement été influencé par
ces opinions, car il a écrit dans sa dissidence
(Décision, à la page 132):
Mes collègues ne retiennent comme unité de mesure que le taux
du service facultatif A & E, un service marginal, non repré-
sentatif par son contenu, et donc de la valeur des signaux
éloignés généralement retransmis au Canada.
Quoi qu'il en soit, si M. Latraverse a rejeté la
solution retenue par la majorité, il n'a pas pour
autant retenu l'élément de comparaison proposé
par la requérante. Il a plutôt opté pour une solu
tion fondée sur les coûts équivalents d'émissions
canadiennes, qui l'a amené à proposer des droits
annuels globaux pour 1990 et 1991 dépassant de
quelque 36 millions de dollars les droits fixés par
la majorité.
Par ailleurs, M. Latraverse a clairement
reconnu qu'il avait utilisé les statistiques supplé-
mentaires fournies par Statistique Canada. Dans
ses motifs de dissidence, il a déclaré (Décision, à la
page 102):
L'une des sociétés, SDE-CAPAC, nous a fourni au cours de
l'audience la documentation du CRTC sur les coûts de pro-
grammation de la télévision privée, de la télévision payante et
de l'industrie de la câblodistribution. [SDE-CAPAC-TV-8].
Pour compléter les statistiques sur l'industrie du câble, j'ai
obtenu de Statistique Canada les informations requises pour les
quelques années manquantes dans la documentation fournie. Il
est à noter que je n'ai pas tenu compte des données concernant
la CBC/SRC: l'eussent-ils été que le pourcentage de coût serait
considérablement plus élevé mais aurait biaisé les statistiques.
La requérante a soutenu que M. Latraverse
pourrait bien avoir obtenu, en dehors du cadre des
audiences, d'autres renseignements que ceux que
lui-même ou les autres ont formellement mention-
nés. Toutefois, pour ce qui est de la réunion du 15
août 1990, cette prétention va à l'encontre non
seulement du contenu de tous les affidavits, mais
aussi du témoignage fourni par Mme Yale lors de
son contre-interrogatoire (Contre-interrogatoire,
29 avril 1991, aux pages 7 et 8):
[TRADUCTION] Q. D'accord. Permettez-moi maintenant de
vous poser une autre question. Après avoir fait le tour des
trois questions dont vous avez discuté [à savoir les servi
ces spécialisés au Canada, les services spécialisés aux
États-Unis et l'utilisation des services spécialisés comme
élément de comparaison], vous dites à l'alinéa cinq que
vous n'arrivez pas à vous souvenir de tout, qu'il y a des
choses dont vous ne pouvez pas vous rappeler à propos du
contenu de la discussion. Je voudrais savoir s'il est possi
ble que la discussion ait porté sur quelque chose d'autre,
quelque chose d'important en plus des trois questions que
vous avez énumérées.
R. Autant que je sache, ces trois questions sont celles dont
nous avons discuté la majeure partie du temps.
Q. Et—
R. Et je tiens à préciser que s'il y avait eu d'autres aspects
dignes de mention, je crois que je m'en serais souvenue.
Ce serait une hypothèse tout à fait gratuite de
supposer qu'il y avait autre chose.
La requérante a également tenté de prouver que
M. Latraverse (et, partant, les renseignements
obtenus en dehors du cadre des audiences) avait
influencé les délibérations de ses collègues; elle a
même été jusqu'à plaider, à un moment donné
dans son argumentation orale, la partialité de fait.
Le premier élément de cette prétention repose sur
l'affirmation qu'a faite M. Latraverse au paragra-
phe 3 de son affidavit au sujet de sa participation à
la décision:
3. J'ai participé à la décision de la Commission qui fait l'objet
de la présente affaire.
La traduction anglaise jointe à l'affidavit est cor-
rectement rédigée en ces termes:
3. I participated in the decision which is the object of these
proceedings.
Cette affirmation suit immédiatement ces deux
déclarations:
1. Je suis un commissaire de la Commission du droit d'auteur
(«la Commission»).
2. Je suis au courant des questions ci-après déclarées sous
serment.
Par conséquent, dans ce contexte, je pense que le
terme anglais «participated» veut simplement dire
que M. Latraverse a entendu l'affaire, mais n'a
pas, d'une manière inavouée, collaboré avec la
majorité à l'élaboration d'une décision partielle-
ment collective. À mon avis, le texte français
original aurait la même signification.
Il est vrai, comme l'a fait valoir la requérante,
que M. Latraverse s'est rallié, dans une faible
mesure, à l'opinion de ses collègues. Il a en effet
déclaré (Décision, à la page 98):
DISSIDENCE DU COMMISSAIRE LATRAVERSE
Préambule
Je ne partage pas l'avis de mes collègues à propos des principes
directeurs choisis pour établir le montant global des royautés,
ni sur leur analyse et leurs conclusions sur la preuve, telles
qu'exprimées dans la partie 3B de la décision majoritaire, «Les
droits à payer pour la retransmission des signaux de télévision;
Les grands systèmes 1; La valeur des signaux éloignés». Égale-
ment je suis d'opinion que la réclamation pour la compilation
devrait être agréée, en principe, pour une allocation minimale.
La formulation du tarif et des autres parties de la décision fut
préparée conjointement par tous les membres de la Commission
et j'en suis parfaitement satisfait, sauf quant aux montants
eux-mêmes, et des remarques que je fais sous le titre de la
compilation. [C'est moi qui souligne.]
En se disant d'accord avec la formule tarifaire,
etc., M. Latraverse se bornait en réalité à confir-
mer l'exactitude arithmétique de la conclusion de
la majorité eu égard à ses hypothèses, auxquelles il
ne souscrivait pas. Selon moi, rien ne permet de
penser qu'il y a eu une mise en commun des efforts
en vue de la rédaction de la décision de la majorité,
du moins pas en ce qui a trait à l'aspect dont est
saisie la présente Cour en l'espèce. Enfin, la requé-
rante a affirmé (exposé des faits et du droit, alinéa
31):
[TRADUCTION] 31. Dans son affidavit, M. Latraverse ne nie
pas qu'il a été influencé par les renseignements et les docu
ments qu'il a obtenus du CRTC, ou qu'il s'y est fié. D'autre
part, M. Latraverse ne nie pas que les autres commissaires de la
Commission du droit d'auteur ont été influencés par ces rensei-
gnements et ces documents, ou qu'ils s'y sont fiés.
Il est probable que M. Latraverse a été influencé
par les renseignements qu'il a reçus en dehors du
cadre des audiences et qu'il s'y est fié, mais comme
ce n'était guère son rôle de se prononcer sur l'état
d'esprit de la majorité, on ne saurait se fonder sur
le fait qu'il s'est abstenu de faire allusion à une
question au sujet de laquelle on ne l'a pas interrogé
(bien qu'il eût pu l'être, au moyen de son affidavit)
pour tirer une conclusion même sur ce qu'il pensait
que les commissaires majoritaires savaient, encore
moins sur ce que ces derniers savaient. À mon
sens, il n'y a absolument rien qui permette de
supposer que les commissaires majoritaires con-
naissaient la teneur des renseignements que M.
Latraverse avait obtenus (quant au président, il
ignorait tout de l'obtention, par M. Latraverse, de
ces renseignements en dehors du cadre des audien
ces). S'ils savaient quelque chose, il ne pouvait
s'agir que de ce que contenaient les documents
précités, à savoir Choix d'émissions et le tableau.
La situation est donc la suivante: le commissaire
dissident a reçu un rapport dont la requérante et
lui-même avaient peut-être appris l'existence
durant les audiences, un tableau dont le passage
pertinent avait été cité au cours des audiences, des
statistiques qui semblent n'avoir aucune valeur
particulière et deux opinions qui ont incité M.
Latraverse à rejeter la solution de la majorité et,
en ce sens, à prendre parti pour la requérante,
même s'il est arrivé, en dernière analyse, à un
résultat encore plus défavorable à la requérante.
Tous ces renseignements (sauf les opinions)
avaient un caractère public. Il n'y avait rien de
défavorable à la requérante, même pas les
opinions.
La requérante n'a pas, en fait, prétendu que la
preuve obtenue en dehors du cadre des audiences
lui avait été défavorable. Elle a plutôt soutenu
qu'un tribunal saisi d'une plainte fondée sur des
éléments de preuve reçus en dehors du cadre des
audiences ne cherchera pas à savoir si la preuve a
de fait joué au détriment de l'une des parties; il
suffit que cette possibilité existe. Un tribunal a
déjà dit qu'il n'était pas concerné par la preuve de
l'existence d'un préjudice réel, mais plutôt par la
possibilité ou la probabilité qu'aux yeux des gens
raisonnables, il existe un préjudice.
La requérante a par ailleurs prétendu qu'elle
avait véritablement subi, dans les circonstances, un
préjudice attribuable non pas à un effet défavora-
ble, mais plutôt au fait qu'on ne lui avait pas
donné l'occasion de faire jouer en sa faveur la
preuve reçue. On ne lui a pas donné la chance
d'utiliser et d'approfondir l'opinion de deux hauts
fonctionnaires du CRTC qui ont jugé inconve-
nante l'utilisation du prix de gros payé pour les
services spécialisés comme élément de comparai-
son pour établir la valeur des signaux éloignés de
diffusion protégés par le droit d'auteur.
Ces arguments nécessitent un examen de la
jurisprudence.
Plusieurs décisions traitent de certains aspects
de la question soulevée dans la présente espèce.
Dans l'arrêt R. v. Schiff et al., Ex parte Trustees
of Ottawa Civic Hospital, [1970] 3 O.R. 476
(C.A.), un organisme chargé de rendre une sen
tence arbitrale s'était fié, sans en aviser les parties,
à des documents qu'il avait obtenus en faisant ses
propres recherches et que les parties à l'arbitrage
n'avaient pas produits directement. Le juge Ayles-
worth de la Cour d'appel a dit, au nom de la Cour,
aux pages 479 et 480:
[TRADUCTION] Enfin, et il s'agit là d'une autre raison de
refuser le redressement demandé, il est indéniable que les
documents litigieux auxquels le conseil a eu recours de son
propre chef, en quelque sorte, provenaient de sources gouverne-
mentales connues du public et complétaient, vu leur nature, les
documents que les parties elles-mêmes avaient fournis au con-
seil. Le conseil s'était plaint du caractère fragmentaire des
documents fournis par les parties, qui comprenaient des statisti-
ques, des conventions collectives conclues avec d'autres hôpi-
taux, etc., et il était naturel qu'il veuille prendre connaissance
d'autres documents semblables et qu'il cherche à le faire, vu
i qu'il avait fait part de son mécontentement aux parties et qu'il
leur avait clairement dit qu'il allait poursuivre les recherches de
son côté. Comme les parties ont adopté une procédure très
informelle durant l'audition de l'affaire devant le conseil d'arbi-
trage et, comme je l'ai mentionné, vu la nature des documents
et le genre de présentation dont ils ont fait l'objet, et vu la
nature des documents à caractère public auxquels le conseil a
eu recours, nous ne voyons pas où réside le déni de justice
naturelle envers les fiduciaires dans la conduite du conseil à cet
égard.
Il serait peut-être souhaitable d'ajouter, bien que ce ne soit pas
nécessaire, que compte tenu des circonstances particulières de
l'espèce, ce que le conseil a fait pour obtenir les documents en
question après l'audition de l'affaire, de même que l'utilisation
qu'il en a faite, s'apparente vraiment beaucoup à la démarche
que font fréquemment les cours de justice ordinaires lorsqu'el-
les prennent connaissance d'office de faits et de renseignements
qui sont de notoriété publique. Nous pensons que ce qui précède
illustre cette similitude et montre qu'il n'y a eu, de fait, aucun
déni de justice naturelle en l'espèce.
Il semble donc que le fait pour un organisme
d'utiliser des documents provenant de sources gou-
vernementales connues du public qui complètent,
vu leur nature, les documents que les parties elles-
mêmes ont fournis à l'organisme ne constitue pas
en soi une violation des règles de justice naturelle.
Dans Canadien Pacifique Liée c. British
Columbia Forest Products Ltd., [1981] 2 C.F. 745
(C.A.), affaire dans laquelle la Commission cana-
dienne des transports n'avait pas donné à une
partie l'occasion de réfuter des éléments de preuve
obtenus après la clôture de l'instruction, la pré-
sente Cour a dit (à la page 757):
Le paragraphe 23(4) de la Loi nationale sur les transports
exige qu'il y ait une audition avant que la Commission puisse
juger qu'un «taux» nuit à l'intérêt public. Selon nous, une telle
audition requiert au moins que l'on observe les éléments mini
mums de justice naturelle relatifs au droit de se faire entendre.
Or les appelantes n'ont pas eu l'occasion d'exprimer leur point
de vue face aux résultats de l'enquête que la Commission a
menée sur le détournement de Duncan Bay après l'audition.
Ces exigences minimums n'ont donc pas été observées. Il y a
donc eu non seulement déni de justice naturelle, mais aussi
inobservation de la prescription légale de procéder par voie
d'audition. Il s'ensuit que la décision de la Commission est
nulle.
Il semblerait ressortir de ce dernier fait important
qu'un tribunal doit s'être fié à la preuve reçue
après l'instruction.
Les décisions qui sont les plus favorables à la
requérante sont Pfizer Co. Ltd. c. Sous-ministre
du Revenu national, [1977] 1 R.C.S. 456 et Kane
c. Conseil d'administration (Université de la
Colombie-Britannique), [1980] 1 R.C.S. 1105.
Dans l'arrêt Pfjzer, le juge Pigeon a déclaré suc-
cinctement pour la Cour (à la page 463): «[i]1 est
nettement contraire à ces règles [aux règles de
justice naturelle] de s'en rapporter à des renseigne-
ments obtenus après la fin de l'audience sans en
avertir les parties et leur donner la possibilité de
les réfuter». Dans l'arrêt Kane, qui concernait la
suspension de nature disciplinaire d'un professeur
d'université, la question a été examinée plus lon-
guement. Le président de l'université, qui avait
infligé la suspension, a ensuite assisté à l'audition
de l'appel comme membre du conseil d'administra-
tion et a fourni des renseignements supplémentai-
res au conseil en réponse à des questions qui lui
avaient été posées après la clôture de l'audition,
bien qu'il n'eût pas participé aux délibérations ni
pris part au vote. Le conseil a entériné la
suspension.
Après avoir énoncé le principe selon lequel
«[u]ne justice de haute qualité est exigée lorsque le
droit d'une personne d'exercer sa profession ou de
garder son emploi est en jeu» (à la page 1113), le
juge Dickson (alors juge puîné) a ajouté ceci (aux
pages 1113 1116):
5. C'est un principe fondamental de notre droit qu'à moins
d'être autorisée à agir ex parte de façon expresse ou nettement
implicite, une juridiction d'appel ne doit pas avoir d'entretiens
privés avec les témoins ... ou, a fortiori, entendre des témoi-
gnages en l'absence de la partie dont la conduite contestée fait
l'objet de l'examen. Cette partie doit, selon lord Denning dans
Kanda v. Government of the Federation of Malaya ([1962]
A.C. 322), à la p. 337 [TRADUCTION] « ... connaître la preuve
réunie contre [elle]. [Cette dernière] doit être informé[e] des
témoignages et des déclarations qui l'intéressent et avoir la
possibilité de les rectifier ou de les contredire ... quiconque
appelé à rendre une décision ne doit pas recueillir des témoigna-
ges ou entendre des arguments d'une partie dans le dos de
l'autre.» ...
6. La Cour ne cherchera pas à savoir si la preuve a de fait
joué au détriment de l'une des parties; il suffit que cette
possibilité existe. Voir Kanda v. Government of the Federation
of Malaya, précité, à la p. 337. En l'espèce, la Cour ne peut
conclure qu'aucun préjudice n'était possible car elle ne sait pas
quels éléments de preuve ont réellement été fournis par le
président Kenny après l'ajournement pour le dîner.... Nous ne
sommes pas concernés ici par la preuve de l'existence d'un
préjudice réel mais plutôt par la possibilité ou la probabilité
qu'aux yeux des gens raisonnables, il existe un préjudice.
Il semble clair qu'on ne peut donner à la pre-
mière affirmation contenue au point 6 dans l'ex-
trait précité toute sa portée, et que les deux parties
de la première phrase sont conçues pour être rap-
prochées. Un tribunal ne cherchera pas à savoir si
la preuve a de fait joué au détriment de l'une des
parties lorsqu'elle pourrait l'avoir fait. En d'autres
termes, il cherchera à savoir si la preuve pourrait
avoir joué au détriment de l'une des parties.
L'existence d'un préjudice réel ou d'une possibilité
de préjudice suffit à constituer une violation de la
règle audi alteram partem. Cela semble effective-
ment être l'élément sur lequel la Cour suprême a
fondé sa décision dans l'arrêt Kane: «[e]n l'espèce,
la Cour ne peut conclure qu'aucun préjudice
n'était possible car elle ne sait pas quels éléments
de preuve ont réellement été fournis par le prési-
dent Kenny». Comme le juge Ritchie (dissident)
l'a souligné dans l'analyse des faits, l'appelant a
estimé que les faits relatés dans la déclaration du
président «pourraient être interprétés à son encon-
tre sans qu'il ait eu la possibilité de les réfuter» (à
la page 1121, c'est moi qui souligne).
La notion d'effet défavorable constitue le pivot
de la règle audi alteram partem. Comme l'a dit le
juge Gonthier, qui s'exprimait au nom de la majo-
rité, dans l'arrêt SITBA c. Consolidated -Bathurst
Packaging Ltd., [1990] 1 R.C.S. 282, la page
339:
Depuis sa première formulation, la règle audi alteram
partem vise essentiellement à donner aux parties une [TRADUC-
TION] «possibilité raisonnable de répliquer à la preuve présentée
contre [elles]»: Evans, de Smith's Judicial Review of Adminis
trative Action [4' éd., 1980], précité, à la p. 158. Il est vrai que
relativement aux questions de fait, les parties doivent obtenir
une [TRADUCTION] «possibilité raisonnable [...] de corriger ou
de contredire tout énoncé pertinent qui nuit à leur point de
vue»: Board of Education v. Rice, [1911] A.C. 179, la p. 182;
voir également Local Government Board v. Arlidge, [1915]
A.C. 120, aux pp. 133 et 141, et Kane c. Conseil d'administra-
tion de l'Université de la Colombie-Britannique, précité, à la p.
1113. [C'est moi qui souligne.]
La présente Cour a pour sa part conclu dans
l'arrêt Re la Compagnie d'assurance Cardinal et
le Ministre d'État (Finances) (1982), 138 D.L.R.
(3d) 693 qu'il était essentiel qu'on ait porté préju-
dice à une partie. Dans cette affaire, le ministre
avait convoqué, en l'absence d'une compagnie d'as-
surance, une réunion avec une compagnie de réas-
surance en vue d'en arriver à un règlement. Immé-
diatement après avoir cité le cinquième point
mentionné par le juge Dickson dans l'arrêt Kane,
précité, le juge Urie de la Cour d'appel a écrit au
nom de la Cour aux pages 706 et 707:
On ne peut certes pas contester ce principe, mais, à mon avis,
le ministre n'a violé aucun principe de justice naturelle en
l'espèce. Aucun témoignage n'a été recueilli à la réunion et rien
de ce qui s'y est passé n'a porté préjudice à Cardinal. Comme
indiqué plus haut, il s'agissait d'un effort visant à convaincre
L'Union de respecter ses engagements ou de conclure un règle-
ment avec Cardinal de façon à éviter une intervention du
ministre. Celui-ci avait déjà entendu les témoignages et les
observations de tous les intéressés. Selon le dossier, L'Union a
simplement répété à cette réunion les arguments qu'elle avait
présentés auparavant. Le défaut du ministre d'inviter Cardinal
à participer aux discussions portant sur le règlement ne vicie
pas, selon moi, l'ensemble de la réunion.
À l'opposé de l'affaire Pfizer Co. Ltd. c. Sous-ministre du
Revenu national pour les douanes et l'accise (1975), 68 D.L.R.
(3d) 9, [1977] R.C.S. 456, 24 C.P.R. (2d) 195, où la Commis
sion du tarif citait dans sa décision deux documents qui
n'avaient pas été ni versés au dossier ni mentionnés à l'au-
dience, aucune nouvelle preuve, ignorée de Cardinal, n'a été
administrée en l'espèce.
La même remarque s'applique à R. v. Deputy Industrial
Inquiries Com'r, Ex p. Jones, [1962] 2 Q.B. 677, et à Kanda v.
Government of Federation of Malaya, [1962] 2 A.C. 322,
affaires dans lesquelles le tribunal administratif a admis une
preuve préjudiciable à l'intéressé sans que ce dernier le sache et
sans lui donner la possibilité de la réfuter. Si le ministre a
entendu des nouvelles preuves à la réunion du 16 février, ce qui
n'est manifestement pas le cas, elles n'ont pas eu pour effet de
préjudicier à Cardinal. En fait, ce serait plutôt le contraire. Le
ministre et les fonctionnaires du ministère ont concentré leurs
efforts sur la négociation d'un compromis. Ils ont effectivement
obtenu de L'Union une offre de règlement qu'ils ont transmise
à Cardinal, mais que cette dernière a rejetée. On ne peut
qualifier ces efforts de préjudiciables.
La Cour a donc conclu que la règle audi alteram
partem n'avait pas été violée.
Une cour de la Saskatchewan semble avoir
donné une interprétation similaire de l'arrêt Kane:
Canadian Union of Public Employees (Civic
Employees' Union, Local 21) and Murray v.
Regina (City) et al. (1989), 81 Sask. R. 16 (B.R.).
Dans cette affaire, le juge Armstrong a déclaré (à
la page 21):
[TRADUCTION] À mon avis, il se pourrait bien que les
éléments de preuve obtenus de façon irrégulière aient été
préjudiciables à Murray en l'espèce. En fait, si l'opinion du Dr
Abdulla a le sens que les requérants lui prêtent (et je ne sais pas
si c'est le cas), le Tribunal doit avoir été influencé par les
éléments de preuve qui lui ont été soumis de façon irrégulière,
pour se prononcer comme il l'a fait.
C'est également la conclusion à laquelle est arrivée
la présente Cour dans Hecla Mining Company of
Canada c. Cominco Ltd. et Canada (Ministre des
Affaires indiennes et du Nord canadien) (1988),
116 N.R. 44 où le juge Hugessen de la Cour
d'appel a écrit (à la page 45):
Nous avons effectivement demandé aux intimés de présenter
leurs observations relativement à l'allégation de la requérante
selon laquelle le ministre avait omis de suivre les règles de
justice naturelle. Nous trouvons que l'allégation est bien
fondée. Il ressort du dossier que, après que les parties eurent
fourni leurs observations, le ministre a reçu une lettre du
registraire minier contenant un certain nombre d'allégations de
faits et d'avis que le ministre a inclus dans sa décision presque
textuellement. Cette lettre n'a jamais été transmise aux parties
avant la prise de la décision. Elle était grandement défavorable
aux prétentions de la requérante.
Dans les circonstances, suite à l'arrêt Cardinal et
autre c. Directeur de l'établissement Kent, [1985]
2 R.C.S. 643, la Cour a refusé de chercher à
conclure que la décision du ministre pourrait de
toute façon avoir été la même et l'a, par consé-
quent, annulée.
À mon sens, cet examen de la jurisprudence fait
ressortir le caractère erroné de l'argument de la
requérante. Celle-ci a prétendu qu'un tribunal ne
se penchera pas sur la question du préjudice; or il
ressort de toutes les décisions qui traitent de la
question que la possibilité qu'il existe un préjudice
est déterminante: Kane, Consolidated -Bathurst,
Cardinal Insurance, Civic Employees' Union, et
Hecla Mining.
Puisqu'il faut se demander s'il est possible qu'il
existe un préjudice, que révèlent alors les faits de
la présente espèce? Les renseignements que M.
Latraverse a obtenus ne faisaient, pour la plupart,
que répéter ou compléter ce qui s'était dit aux
audiences et, comme dans l'arrêt Schiff ils n'ont
entraîné aucun déni de justice naturelle. Même la
requérante s'est bornée à prétendre qu'on avait
omis de lui donner l'occasion, non pas de réfuter
des renseignements défavorables, mais d'exploiter
des renseignements favorables. En outre, le terme
«préjudiciable» a reçu le sens d'«effet défavorable»
dans ces décisions.
Le principal facteur qui milite contre l'argument
de la requérante réside toutefois dans le fait qu'il
n'y a pas la moindre preuve que les renseignements
obtenus par M. Latraverse ont eu une influence
quelconque sur la décision de la Commission,
c'est-à-dire sur la décision des commissaires majo-
ritaires. Deux des commissaires majoritaires ont
semblé savoir que M. Latraverse avait obtenu des
renseignements complémentaires, sans pour autant
en connaître la teneur. Dans la décision de la
Commission, on ne fait pas la moindre allusion,
directe ou indirecte, à des éléments de preuve
obtenus en dehors du cadre des audiences. M.
Latraverse a tout simplement pris l'initiative d'une
démarche qui ne semble nullement avoir influencé
l'opinion de la majorité.
Non seulement aucun tribunal n'a statué que les
activités indépendantes d'un commissaire dissident
peuvent, pour cette seule raison, vicier les délibéra-
tions de la majorité, mais je pense que la décision
rendue par la présente Cour dans l'arrêt Canadien
Pacifique appuie la thèse selon laquelle une partie
requérante doit établir que la Commission «s'est
fiée au moins dans une certaine mesure à l'infor-
mation> en question (à la page 757). En l'occur-
rence, rien ne permet de tirer cette conclusion,
bien au contraire.
Une dernière précision mérite peut-être d'être
donnée: l'existence d'une ou même de plusieurs
erreurs de droit sans conséquence, qui pourraient
ne rien changer au résultat, n'oblige pas la Cour à
annuler une décision aux termes de l'alinéa
28(1)b) de la Loi sur la Cour fédérale. Dans
l'arrêt Schaaf c. Ministre de l'Emploi et de l'Im-
migration, [1984] 2 C.F. 334, la page 342, le
juge Hugessen de la Cour d'appel, après avoir cité
le paragraphe 28(1), a fait le commentaire suivant:
À mon avis, il s'agit là de rien d'autre qu'une disposition
attributive de compétence. Elle confère à la Cour le pouvoir
d'annuler les décisions entachées de l'un des vices mentionnés,
sans pour autant lui imposer l'obligation de le faire dans chaque
cas.
C'est ce qui se dégage aussi, d'après moi, de la formulation
de l'article 52 qui énonce les possibilités qui s'offrent à la Cour
dans le cadre d'une demande fondée sur l'article 28. L'article
52 débute de la façon suivante: «La Cour d'appel peut ...». Ces
mots créent manifestement une faculté et rien n'indique que la
Cour est tenue d'agir chaque fois qu'elle conclut à l'existence
d'une erreur de droit.
Ce n'est pas là dire que la Cour peut refuser d'exercer la
compétence que lui attribuent les articles 28 et 52; c'est simple-
ment que les termes de la Loi ne l'obligent pas à accorder le
redressement sollicité s'il n'y a pas lieu de le faire. On peut sans
doute prétendre que la Loi confère certains droits au requérant,
mais elle le fait par l'attribution de pouvoirs à la Cour et il
appartient exclusivement à celle-ci de déterminer si, dans un
cas d'espèce, ces pouvoirs doivent être exercés.
Selon moi, la Commission n'a commis aucune
erreur de droit en contrevenant à la règle audi
alteram partem en l'espèce, mais dans l'hypothèse
où les actes de M. Latraverse pourraient, pour une
raison ou pour une autre, être imputés à la Com
mission dans son ensemble, je pense qu'une erreur
attribuable à la Commission serait sans consé-
quence, constituerait un simple manquement à la
procédure, et ne devrait pas justifier l'annulation
de la décision. Dans toutes les causes citées, il
fallait qu'il y ait une réelle possibilité que le résul-
tat soit modifié.
Comme l'a dit le juge Dickson (alors juge puîné)
dans Martineau c. Comité de discipline de l'Insti-
tution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602, la page
631:
8. En conclusion, la simple question à laquelle il faut répon-
dre est celle-ci: compte tenu des faits de ce cas particulier, le
tribunal a-t-il agi équitablement à l'égard de la personne qui se
prétend lésée? Il me semble que c'est la question sous-jacente à
laquelle les cours ont tenté de répondre dans toutes les affaires
concernant la justice naturelle et l'équité.
Il ne fait aucun doute que dans la présente espèce,
la Commission a agi équitablement envers la
requérante.
III
La requérante a d'autre part prétendu que la
Commission avait enfreint la règle de justice natu-
relle relative à la crainte raisonnable de partialité
en raison de l'obtention par M. Latraverse de
renseignements en dehors du cadre des audiences.
Le principal arrêt invoqué à l'appui de cette pré-
tention est Spence v. Spencer and Prince Albert
Board of Police Commissioners (1987), 53 Sask.
R. 35 (C.A.).
Dans cette affaire, un agent de police avait été
congédié après avoir été reconnu coupable, lors de
deux audiences séparées, premièrement d'avoir fal-
sifié une demande de surtemps et, deuxièmement,
d'avoir commis divers manquements à la discipline
reliés à l'alcool. Les deux réunions avaient été
présidées par le maire. Après le dépôt des accusa
tions, l'un des principaux témoins relativement à la
deuxième série d'accusations s'était rendu dans le
bureau du maire pour lui exposer les raisons pour
lesquelles elle avait porté plainte et avait répondu
par l'affirmative à la question que lui avait posée
le maire quant à savoir si le policier avait effective-
ment commis les actes qu'on lui reprochait. Un
autre membre de la Commission de police s'était
abstenu de siéger à la deuxième audience parce
que sa fille devait témoigner contre le policier au
sujet de la deuxième infraction, mais avait conti-
nué de siéger à la première audience.
Le juge Vancise de la Cour d'appel a déclaré au
nom de la Cour (aux pages 41 à 43):
[TRADUCTION] Il est bien établi en droit qu'un tribunal
quasi-judiciaire comme la Commission de police doit respecter
les règles de justice naturelle, ce qui équivaut, après tout, «à
jouer franc jeu»: (Ridge v. Baldwin, [1962] 1 All E.R. 834, la
p. 850). La règle concernant la partialité est l'un des éléments
les plus fondamentaux de la justice naturelle. Tout inculpé a le
droit d'exiger que sa cause fasse l'objet d'une décision impar-
tiale, qui ne soit pas viciée par des facteurs susceptibles de
modifier le résultat comme la connaissance de faits par le
tribunal ou une prédisposition de celui-ci à un point de vue
particulier. Le fondement de ce principe, c'est que non seule-
ment justice doit être rendue, mais il doit aussi être manifeste
et indubitable qu'elle a été rendue: voir R. v. Sussex Justices
Ex parte McCarthy, [1924] 1 K.B. 256.) L'inobservation de la
règle concernant la partialité fait généralement en sorte que le
titulaire du pouvoir délégué par la loi perd sa compétence, et
que la décision administrative devient nulle et sujette au con-
trôle judiciaire. Les intimés prétendent qu'il n'y a pas de
partialité réelle, ni de crainte de partialité parce que le prési-
dent n'a pas discuté des allégations «spécifiques» formulées
contre l'appelant.
Le juge en chambre qui a été saisi de l'affaire a constaté
qu'aucune partialité réelle n'avait été établie et a conclu qu'il
n'y avait «pas de probabilité réelle de partialité». Il est arrivé à
cette conclusion après avoir pris en considération divers fac-
teurs, dont ceux-ci:
(1) M. Spencer ne siégeait pas seul. Il faisait partie d'un
comité.
(2) Il n'a pas cherché à rencontrer Mlle Ahenakew.
(3) Cette dernière n'est pas entrée dans les détails.
(4) C'est Mlle Ahenakew qui a engagé la conversation avec
le président et ce fut une «rencontre fortuite».
(5) Le président n'a pas véritablement participé à l'examen
des allégations formulées contre l'appelant.
(6) I1 ne ressort de la preuve ni prédisposition, ni partialité,
ni préjudice.
En toute déférence, cette approche élude la question.
Il n'est pas nécessaire d'établir que le président était réelle-
ment partial. Le critère est de savoir s'il y a une crainte
raisonnable de partialité.
Le• critère est de savoir si une personne raisonnable peut penser
qu'il y a un danger réel de partialité ou s'il peut exister une
crainte raisonnable de partialité, quelque involontaire qu'elle
soit. Comme le juge en chef l'a déclaré, «[c]e critère se fonde
sur la préoccupation constante qu'il ne faut pas que le public
puisse douter de l'impartialité des organismes ayant un pouvoir
décisionnel ...». Le facteur d'intérêt public qui exige l'appa-
rence de justice est fondé sur des perceptions. La perception
d'une crainte raisonnable de partialité, même en l'absence de
toute probabilité réelle de partialité, suffit à faire perdre à la
Commission de police sa compétence. En l'espèce, la personne
qui a fourni l'information au service de police qui a commencé
l'enquête, à savoir le principal témoin qui a comparu devant la
Commission, a rencontré le président en privé avant l'audience.
Durant cet entretien, elle a parlé en termes généraux des
allégations contenues dans l'accusation, mais ce qu'il est impor
tant de noter, c'est que lorsque le président lui a demandé si les
allégations étaient vraies, elle a répondu par l'affirmative. Selon
moi, les faits de la présente espèce constituent en droit une
crainte raisonnable de partialité. Une personne raisonnable-
ment bien informée aurait une crainte raisonnable de partialité
si elle savait que le président a parlé en privé avec un témoin
important dans une cause. Le juge Dickson, qui parlait pour la
Cour dans l'arrêt Kane c. Conseil d'administration de l'Univer-
sité de la Colombie-Britannique, ... a étudié la question.
Il a conclu qu'il y avait eu un manquement aux règles de
justice naturelle et que la Cour n'avait pas à chercher à savoir
si la preuve obtenue durant l'entretien privé avait joué au
détriment de l'une des parties. Il suffisait que cette possibilité
existe. Dans la présente espèce, nous ne savons pas exactement
ce que Mlle Ahenakew a dit au président parce que son
témoignage était imprécis et qu'elle ne pouvait pas se souvenir
de ce qu'elle avait dit. Il est évident, toutefois, qu'elle a parlé de
la plainte et qu'elle a déclaré que les allégations contenues dans
l'accusation étaient vraies. A mon sens, le juge en chambre a
commis une erreur en statuant qu'il n'y avait pas de crainte
raisonnable de partialité et qu'il n'y avait eu aucun manque-
ment aux règles de justice naturelle.
Selon l'appelant, le fait que le président et Norman McCal-
lum aient participé à la première audience, compte tenu du fait
que la fille de M. McCallum devait témoigner durant la
deuxième audience, que le maire s'était entretenu en privé avec
le principal témoin de la deuxième audience, et que les deux
décisions avaient été rendues le même jour, soulève une crainte
raisonnable de partialité en ce qui a trait aussi bien à la
première décision qu'à la deuxième décision.
Comme je l'ai déjà mentionné, il n'est pas nécessaire de
prouver que la participation de ces deux membres, ou de l'un
d'eux, a modifié les résultats. Il suffit qu'on puisse craindre que
le «juge» n'a pas agi avec impartialité. M. McCallum s'est
déclaré inhabile à siéger à la deuxième audience, vraisembla-
blement parce que sa fille devait être citée comme témoin.
Même si elle ne devait pas témoigner durant la première
audience et que la question était différente, on débattait quand
même la conduite professionnelle de l'appelant. On peut raison-
nablement craindre que la participation de la fille de M.
McCallum à la faute reprochée à l'appelant a pu entacher la
décision de M. McCallum de partialité. Les mêmes remarques
s'appliquent au président. L'appelant prétend qu'il y a une
crainte raisonnable que les deux commissaires ne l'ont pas jugé
de manière équitable et impartiale à cause de ce qu'ils savaient
déjà. Il soutient qu'il y a une [TRADUCTION] «probabilité ou
une crainte raisonnable de partialité dans le jugement, quelque
involontaire qu'elle soit» (le juge Rand dans Szilard c. Szasz,
supra, p. 373). Je partage cet avis. Dans les deux cas, la
possibilité que ces deux membres de la Commission de police
aient obtenu, avant la comparution de ces témoins, des rensei-
gnements sur l'appelant qui pourraient nuire à leur apprécia-
tion impartiale des questions, suffit à donner naissance à une
crainte raisonnable de partialité et à entraîner un déni de
justice naturelle.
Je suis convaincu que la décision rendue dans
l'arrêt Spence v. Spencer est la bonne, mais j'es-
time nécessaire de faire deux mises en garde.
Premièrement, les remarques du juge Dickson
dans l'arrêt Kane semblent se rapporter à la règle
audi alteram partem plutôt qu'au principe nemo
judex 3 . Deuxièmement, comme je l'ai déjà établi,
le juge Dickson a voulu dire que les tribunaux
doivent examiner la possibilité qu'il existe un pré-
judice. Dans Spence v. Spencer, en ce qui concerne
le maire (dont le cas s'apparente davantage aux
faits de la présente espèce), l'affirmation du
témoin selon laquelle le policier avait commis
l'acte qu'on lui reprochait était une déclaration qui
était très préjudiciable à ce dernier puisqu'elle
allait au coeur même de l'affaire. Dans ces circons-
tances, comme le principe de la crainte raisonnable
de partialité n'exige qu'une opinion fondée sur les
apparences aux yeux d'une personne raisonnable,
f la Cour a décidé à bon droit qu'il existait une
crainte raisonnable de partialité même en l'ab-
sence de toute preuve quant à l'incidence de cette
déclaration sur le maire. À mon sens, toutefois,
cette conclusion repose sur l'existence d'une preuve
' préjudiciable.
Les parties savaient toutes deux que la partialité
n'a pas besoin d'être due à un intérêt pécuniaire.
r Comme l'a dit le juge Hugues dans l'arrêt Bate-
man v. McKay et al., [1976] 4 W.W.R. 129 (B.R.
Sask.), aux pages 143 et 144, qui citait le juge
3 Le juge Dickson a mentionné (à la p. 1110) que durant
l'instruction, «le principal argument invoqué au nom de M.
Kane [était] que nul ne peut être juge dans sa propre
cause ...». La cour d'appel a confirmé la décision du juge en
chambre de rejeter un argument fondé sur ce principe. Le juge
Dickson a poursuivi en disant (aux p. 1110 et 1111):
[La Cour d'appel] a également rejeté une seconde allégation
qui n'a apparemment pas été expressément soutenue devant
le tribunal de première instance, et qui attaquait la présence
et la conduite du président de l'Université au cours des
délibérations du conseil, après que M. Kane et son avocat se
sont retirés. Cet argument était fondé sur le fait que le
président aurait témoigné au cours de la séance tenue après
le repas en l'absence de M. Kane. On allégue que cela
équivaut à une violation des principes de justice naturelle et à
l'inobservation de la règle exprimée dans la maxime audi
alteram partem. Je vais étudier cet argument dès maintenant
car, à mon avis, il s'agit d'un argument auquel l'Université ne
peut répondre de façon irrésistible. Si ce moyen d'appel est
recevable, comme je pense qu'il l'est, il sera inutile d'exami-
ner l'argument fondé sur le double rôle du président, la
maxime nemo judex in causa sua et les ramifications des
arrêts King, French et Ringrose.
Freedman de la Cour d'appel (alors juge puîné)
dans Re Gooliah and Minister of Citizenship and
Immigration (1967), 63 D.L.R. (2d) 224 (C.A.
Man.), aux pages 227 et 228:
[TRADUCTION] «La partialité peut être de deux ordres. Elle
peut découler d'un intérêt dans la poursuite. C'est, de fait, le
genre de partialité que l'on voit le plus souvent dans les causes
entendues par les tribunaux. Parfois, c'est un intérêt direct
d'ordre pécuniaire ou venant d'un droit de propriété dans l'objet
de la poursuite. Une personne qui possède un tel intérêt est
inhabile à siéger comme juge dans la cause en question. Parfois,
l'intérêt n'est pas de nature financière, mais découle d'un lien
avec la cause ou les parties, lien dont la nature est telle qu'il
révèle l'existence d'une probabilité réelle de partialité.
Cela nous amène au deuxième genre de partialité, à savoir la
partialité de fait».
La crainte raisonnable de partialité due à un inté-
rêt non pécuniaire' doit découler d'un [TRADUC-
TION] «lien avec la cause ou les parties». Elle doit
correspondre à un [TRADUCTION] «intérêt dans
l'objet de la poursuite». En d'autres termes, elle
peut intervenir uniquement lorsqu'un membre du
tribunal semble avoir un intérêt ou une prédisposi-
tion quelconque pour une issue particulière de la
cause. Dans l'arrêt Bateman, le membre du tribu
nal a été exonéré parce que [TRADUCTION] «la
partie qui s'était entretenue avec le président
ultime n'était pas directement touchée par l'af-
faire» (à la page 142). Dans cette affaire, l'infor-
mation était tout au plus suffisante [TRADUC-
TION] «pour lui permettre de se forger
provisoirement une opinion pendant qu'il se tenait
sur le seuil de la salle d'audience» (à la page 145).
Cette exigence identifiée dans l'arrêt Bateman
est complètement absente des faits de l'espèce.
Bién que M. Latraverse ait commis une erreur
déplorable en cherchant à obtenir des renseigne-
ments en dehors du cadre des audiences, il l'a fait
avec les meilleures intentions et il n'avait aucun
intérêt dans l'issue de la cause, si ce n'est le désir
de rendre la meilleure décision possible. Tout ce
que l'on pourrait dire en faveur de la requérante,
' Dans Enquête Énergie c. Commission de contrôle de l'éner-
gie atomique, [1985] 1 C.F. 563 (C.A.), à la p. 580, le juge
Marceau de la Cour d'appel (qui a rendu des motifs concor-
dants) inclut dans la partialité due à un intérêt non pécuniaire
des «intérêts de type émotionnel ... comme la parenté, l'amitié,
la partialité, des relations professionnelles ou commerciales
particulières avec l'une des parties, l'animosité envers une
personne ayant un intérêt dans l'affaire, une opinion arrêtée sur
la question en litige, etc.».
c'est que les opinions exprimées par les deux
employés du CRTC ont pu fournir à M. Latra-
verse ce que j'appellerais un motif a posteriori de
rejeter l'utilisation des services spécialisés comme
élément de comparaison, mais elles ne l'ont pas
prédisposé à rendre cette décision. C'est toutefois
un motif a posteriori qui est favorable à la thèse de
la requérante et, à mon sens, celle-ci ne saurait s'y
opposer.
Je serais d'accord avec la requérante pour dire
que si un membre d'un tribunal est inhabile à
siéger à l'audience à cause de sa partialité, la
décision du tribunal doit être annulée même si les
autres membres sont impartiaux. Ce principe a été
établi dans Frome United Breweries Co. v. Bath
Justices, [1926] A.C. 586 (H.L.). C'est aussi ce
qui ressort des arrêts R. v. British Columbia
Labour Relations Board, Ex parte International
Union of Mine, Mill & Smelter Workers (1964),
45 D.L.R. (2d) 27 (C.A. C.-B.) et In re le Tribu
nal antidumping et le verre â vitre transparent,
[1972] C.F. 1078 (i re inst.). Dans l'arrêt British
Columbia Labour Relations Board, la Cour s'est
attachée au fait que le membre en cause [TRADUC-
TION] «s'était retiré avec les autres membres et
était demeuré avec eux pendant qu'ils discutaient
et prenaient leur décision» (à la page 29).
Ce principe n'est cependant d'aucune utilité si
aucun membre d'un tribunal n'est déclaré inhabile
à siéger à cause de sa partialité. Dans l'arrêt
Yukon Conservation Society c. L'Office des eaux
du territoire du Yukon et Cyprus Anvil Mining
Corp. (1982), 45 N.R. 591 (C.F. 1" inst.), cinq
membres d'un tribunal avaient eu des réunions de
caractère privé avec une compagnie qui désirait
faire modifier des accords d'octroi de licence, et
avaient de ce fait participé à la préparation de la
demande dont ils devaient ultérieurement établir le
bien-fondé. Le juge Addy a conclu (à la page 599):
Les cinq membres ont participé de façon si étroite à la prépara-
tion de la demande qu'on pourrait presque les considérer
comme des experts-conseils à titre gratuit de Cyprus Anvil et
que la demande, dans une certaine mesure, devient leur
demande. On pourrait considérer qu'il s'agit d'un cas où s'ap-
plique le principe que nul ne doit être juge dans sa propre
cause.
C'est l'une des situations dans lesquelles les tribu-
naux ont conclu à l'existence d'une crainte raison-
nable de partialité, c'est-à-dire une situation où un
membre d'un tribunal a rencontré l'une des parties
concernées et a discuté de la question débattue à
l'audience. Le résultat est le même si la rencontre
a lieu avec un témoin important, comme dans
Spence v. Spencer. L'autre genre de situation, c'est
celle où un membre d'un tribunal a déjà eu, ou a
encore, des liens avec une partie qui comparaît
devant le tribunal: Committee for Justice and
Liberty et autres c. Office national de l'énergie et
autres, [1978] 1 R.C.S. 369. La présente espèce
n'entre dans ni l'une ni l'autre de ces catégories,
pour les motifs que j'ai donnés. Compte tenu des
faits de l'espèce, je constate donc qu'il n'existe
aucune crainte raisonnable de partialité.
Iv
Le paiement d'intérêts sur les droits exigibles
durant la période transitoire du Pr janvier au 31
août 1990 est une question qui ressortit à l'inter-
prétation du sous-alinéa 70.63 (1)a) (ii), qui est
ainsi libellé:
70.63 (1) Lorsqu'elle a terminé l'examen de tous les projets
de tarif, la Commission:
a) ... fixe, à son appréciation, les modalités afférentes aux
droits;
Exerçant le pouvoir qui lui est accordé de fixer les
modalités afférentes aux droits qu'elle avait déter-
minés, la Commission a jugé opportun de prévoir
des dispositions transitoires (Décision, aux pages
87 et 88):
(xv) Les dispositions transitoires [Tarif pour la télévision,
article 19; tarif pour la radio, article 14]
Les dispositions transitoires sont nécessaires du fait que la Loi
prévoit qu'ils prennent effet le premier janvier 1990 alors que,
dans les faits, ils ne sont homologués que beaucoup plus tard.
Ces dispositions reflètent essentiellement deux principes.
Premièrement, l'objet des dispositions est de tenir compte du
coût d'opportunité qui résulte du versement tardif de droits. Un
montant, représentant de l'intérêt, a été ajouté aux droits; ce
montant est établi à partir de la date à laquelle un montant
donné aurait été échu si le retransmetteur avait connu les
dispositions des tarifs. Cet intérêt est égal au taux d'escompte
de la Banque du Canada: les retransmetteurs ne sont pas
responsables de l'homologation tardive des tarifs. La Commis
sion croit que cette mesure indemnise les sociétés de perception
de façon équitable, sans pénaliser les retransmetteurs.
Deuxièmement, la Commission entendait éviter que chaque
retransmetteur ait à établir le montant de l'intérêt qu'il aurait à
payer pour la période d'application rétroactive du tarif. Cette
exigence aurait imposé un fardeau inutile et aurait nécessaire-
ment entraîné des erreurs de calcul. Pour ces motifs, la Com-
mission a établi à l'avance un pourcentage de majoration du
montant total dû pour la période d'effet rétroactif. Ce facteur
convient à la majorité des retransmetteurs; seuls ceux qui ne
sont pas des petits systèmes et qui n'ont pas retransmis un
signal éloigné de télévision durant toute cette période auront à
calculer le montant de l'intérêt qu'ils doivent. Même ces der-
niers trouveront reproduits dans le tarif pour la télévision les
taux d'intérêt applicables aux mois concernés.
Les pourcentages indiqués ne tiennent pas compte des fluctua
tions du nombre de locaux desservis par un retransmetteur
durant cette période. La Commission croit que les imprécisions
qui pourraient en découler sont, dans l'ensemble, de peu
d'importance.
Les montants représentant l'intérêt que la Com
mission a décidé d'établir tant pour la radio que
pour la télévision n'ont pas été fixés séparément
par les tarifs à titre de paiements d'intérêts, mais
ont plutôt été incorporés dans les droits exigibles.
La requérante a admis que la décision de la
Commission d'exiger le versement d'intérêts sur les
droits de retransmission non acquittés à la date
d'échéance pouvait constituer un exercice appro-
prié du pouvoir conféré par cette disposition, mais
elle a soutenu que le paiement d'intérêts sur les
droits accumulés avant la publication des tarifs
correspondait à l'exercice d'un pouvoir régissant le
fond qui outrepassait la compétence de la
Commission.
Cet argument repose, en partie, sur l'ancien
principe selon lequel on ne doit imposer aucune
obligation financière à un sujet sauf lorsqu'une
disposition législative claire et distincte l'autorise:
Liverpool Corporation v. Maiden (Arthur), Ltd.,
[1938] 4 All E.R. 200 (K.B.D.). Cependant, il
s'agit d'après moi d'un principe de droit qui s'ap-
plique entre un souverain et un sujet plutôt qu'en-
tre deux sujets. Il repose aussi, en partie, sur le fait
que la Loi ne contient aucune disposition autori-
sant expressément la Commission à obliger les
retransmetteurs à verser des intérêts. Il faudrait
que ce pouvoir soit implicite, et comme le droit
d'exiger le versement d'intérêts concerne le fond, il
devrait, selon la requérante, être expressément
prévu dans la loi habilitante.
La jurisprudence ne va toutefois pas jusqu'à
affirmer qu'un droit semblable doit être prévu
expressément dans la loi. C'est ce que l'arrêt WMI
Waste Management of Canada Inc. v. Municipa
lity of Metropolitan Toronto (1981), 34 O.R. (2d)
708 (H.C.) pourrait donner à croire, mais le sens
de cet arrêt est précisé dans Northern & Central
Gas Corp. Ltd. v. Kidd Creek Mines Ltd. (1988),
66 O.R. (2d) 11 (C.A.): lorsqu'une loi contient un
code complet sur les intérêts à payer, on doit
considérer que le fait de prévoir expressément le
versement d'intérêts à l'égard de l'indemnité
accordée et de ne rien dire au sujet des frais exclut
que ceux-ci puissent porter intérêt.
De fait, les articles 70.62 à 70.67 sont des
dispositions réparatrices dont les objets compren-
nent la création d'un régime pour le versement de
droits pour les retransmissions après le 1" janvier
1990. La Commission a estimé nécessaire de pré-
voir des dispositions transitoires pour la simple
raison que la durée des audiences l'empêchait
d'homologuer les tarifs en temps voulu; elle a donc
tenté de respecter le mandat qui lui est conféré par
la loi en incluant un montant d'intérêt pour com-
penser le paiement tardif des droits résultant du
retard dans le processus d'homologation. Aux
termes de l'article 12 de la Loi d'interprétation,
L.R.C. (1985), chap. I-21, un texte de loi s'inter-
prète de la manière la plus équitable et la plus
large qui soit compatible avec la réalisation de son
objet.
Dans l'arrêt Bell Canada c. Canada (Conseil de
la radiodiffusion et des télécommunications cana-
diennes), [1989] 1 R.C.S. 1722, la page 1756, le
juge Gonthier a dit:
Les pouvoirs d'un tribunal administratif doivent évidemment
être énoncés dans sa loi habilitante, mais ils peuvent également
découler implicitement du texte de la loi, de son économie et de
son objet. Bien que les tribunaux doivent s'abstenir de trop
élargir les pouvoirs de ces organismes de réglementation par
législation judiciaire, ils doivent également éviter de les rendre
stériles en interprétant les lois habilitantes de façon trop
formaliste.
En conséquence, dans cette affaire, la Cour
suprême a conclu que le pouvoir de rendre des
ordonnances provisoires comportait nécessaire-
ment le pouvoir de réexaminer la période pendant
laquelle les taux provisoires étaient en vigueur. La
présente Cour a donné une interprétation tout
aussi générale dans Société de droits d'exécution
du Canada Liée c. Société Radio-Canada (1986),
7 C.P.R. (3d) 433 (C.A.F.); la majorité de la Cour
a en effet adopté le point de vue selon lequel tout
ce qui est raisonnablement nécessaire pour garan-
tir l'accomplissement d'un devoir est implicitement
autorisé. Dans l'arrêt Banca Nazionale del Lavoro
of Canada Ltd. c. Lee-Shanok (1988), 88 CLLC
14,033 (C.A.F.), la présente Cour a statué que le
pouvoir d'accorder des intérêts découlait implicite-
ment du pouvoir de faire toute autre chose jugée
équitable pour remédier à un congédiement ou
pour en contrebalancer les effets.
La Commission a fixé le taux d'intérêt pour la
période de transition à un pour cent au-dessous du
taux habituellement fixé dans le tarif pour les
paiements tardifs, afin de tenir compte du fait que
les retransmetteurs n'étaient pas responsables du
retard dans les paiements.
Le Parlement avait clairement l'intention de
faire en sorte que le régime pour les droits de
retransmission prenne effet le ler janvier 1990,
indépendamment de la date à laquelle il serait
établi. À cet égard, l'article 149 de la Loi de mise
en ouvre de l'Accord de libre-échange Canada—
États-Unis dispose que:
149. Il demeure entendu que, peu importe la date à laquelle
la Commission certifie pour la première fois un tarif au titre de
l'alinéa 70.63(1)d) de la Loi sur le droit d'auteur, la prise
d'effet de celui-ci est le ler janvier 1990.
Les dispositions de l'article 149 sont décrites dans
la rubrique comme les dispositions transitoires de
la Loi. Vu l'intention manifeste du Parlement d'or-
donner la prise d'effet du régime en question le ler
janvier 1990, on peut seulement supposer que
celui-ci aurait voulu que les droits soient versés
intégralement à partir de ce jour ou, tout au
moins, que la Commission ait le droit d'en ordon-
ner ainsi si elle le jugeait opportun, surtout si l'on
considère que le sous-alinéa 70.63(1)a)(ii) a égale-
ment été édicté par la Loi de mise en oeuvre de
l'Accord de libre-échange Canada—États-Unis.
La requérante a finalement soutenu que l'impo-
sition par la Commission d'une pénalité d'intérêt
pour les paiements en retard était inutile puisque
la Loi dispose que tous les utilisateurs du droit
d'auteur engagent leur responsabilité s'ils violent le
droit d'auteur ou s'exposent à une action en recou-
vrement des droits impayés, et que cette mesure va
à l'encontre du but recherché à cause de la diffi
culté que soulève la détermination du moment où
un retransmetteur a manqué à ses obligations. La
requérante a soutenu que si le versement d'intérêts
ne fait pas partie intégrante du tarif des droits de
retransmission, les intérêts ne devraient pas être
considérés comme un aspect des «modalités affé-
rentes aux droits». Il m'apparaît toutefois que la
prise en considération du fait que les retransmet-
teurs n'étaient pas responsables du retard dans
l'homologation des tarifs vicie cet argument.
Je dois donc conclure que la requérante n'a pas
réussi à établir que la Commission a commis une
erreur de droit ou un excès de compétence.
V
Tout compte fait, la demande fondée sur
l'article 28 doit être rejetée.
LE JUGE MAHONEY, J.C.A.: Je souscris à ces
motifs.
LE JUGE LINDEN, J.C.A.: Je soucris à ces
motifs.
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