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92-T-185
Transito Membreno-Garcia (requérant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intime')
RÉPERTORIA' MEMBRENO-GARCIA C. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION (Ire INST.)
Section de première instance, juge Reed—Ottawa, 11 et 18 juin 1992.
Immigration Expulsion Demande de sursis à l'exécu- tion d'une mesure d'expulsion en attendant l'issue d'une demande fondée sur l'art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale en vue d'annuler la décision portant que la revendication n'avait pas un minimum de fondement La mesure d'expulsion a été prononcée le jour l'arbitre et le membre de la Commission ont conclu que la revendication du statut de réfugié n'avait pas un minimum de fondement La demande d'autorisation pour intenter un recours fondé sur l'art. 18 a été déposée dans les trois mois de la mesure d'expulsion et de la décision portant que la revendication n'avait pas un minimum de fondement La présente demande est fondée sur la crainte du requérant d'être tué ou torturé et emprisonné s'il était renvoyé au Salva- dor Demande accueillie Il n'est pas nécessaire de contes- ter directement la mesure d'expulsion: il suffit de contester la décision sous-jacente portant que la revendication du statut de réfugié n'a pas un minimum de fondement Si la décision portant que la revendication n'a pas un minimum de fonde- ment est invalide, la mesure d'expulsion l'est aussi La Cour est compétente pour accorder un sursis si elle juge opportun de le faire afin d'empêcher que l'exercice d'un recours devant la Cour ne soit rendu inutile par l'exécution de la mesure En vertu du nouvel art. 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale, la Section de première instance peut, lorsqu'elle est saisie d'une demande de contrôle judiciaire, prendre les mesures provi- soires qu'elle estime indiquées avant de rendre sa décision définitive Tous les critères qui permettent de décider s'il est indiqué de surseoir à l'exécution ont été remplis: cause soute- nable, préjudice irréparable et prépondérance des inconvé- nients En ce qui a trait à la prépondérance des inconvé- nients, les considérations habituelles relatives à l'intérêt public ne sont pas en cause Bien que le fait d'accorder un sursis risque de devenir une pratique qui contrecarre l'application efficace de la législation en matière d'immigration, il est légi- time de le faire lorsque tous les critères en matière de sursis ont été remplis et lorsque le requérant n'a pas tardé à contes- ter la décision ou à demander un sursis à l'exécution de la mesure d'expulsion une fois que l'autorisation a été accordée Une demande de sursis présentée à la dernière minute sera normalement refusée parce que considérée comme manœuvre dilatoire.
DEMANDE de sursis à l'exécution d'une mesure d'expulsion en attendant l'issue d'une demande fon- dée sur l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale en vue d'annuler la décision portant que la revendica- tion, par le requérant, du statut de réfugié au sens de la Convention n'avait pas un minimum de fonde- ment. Demande accueillie.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976- 77, ch. 33.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art. 18 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4), 18.2 (édicté, idem, art. 5).
Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, ch. 52.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)
(1988), 6 Imm. L.R. (2d) 123; 86 N.R. 302 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Akyampong c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immi- gration), A-533-91, juge Hugessen, J.C.A., jugement en date du 27-3-92, C.A.F., encore inédit; Okyere-Antwi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), A-413-92, juge Hugessen, J.C.A., jugement en date du 27-3-92, C.A.F., encore inédit; Lodge c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1979] 1 C.F. 775; (1979), 94 D.L.R. (3d) 326; 25 N.R. 437 (C.A.); Asumadu c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1988), 113 N.R. 150 (C.A.F.); Manitoba (Procureur général) c. Metropoli tan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110; (1987), 38 D.L.R. (4th) 321; [1987] 3 W.W.R. 1; 46 Man. R. (2d) 241; 25 Admin. L.R. 20; 87 CLLC 14,015; 18 C.P.C. (2d) 273; 73 N.R. 341.
AVOCATS:
Jonathan Chaplan pour le requérant. Howard A. Baker pour l'intimé.
PROCUREURS:
Jonathan Chaplan, Ottawa, pour le requérant. Le sous-procureur général du Canada pour l'in- timé.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendue par
LE JUGE REED: Le requérant a demandé un sursis à l'exécution de la mesure d'expulsion prise contre lui le 27 février 1992. Cette demande a été entendue par
voie de conférence téléphonique le 11 juin 1992. Une ordonnance a été rendue et j'ai fait savoir que les motifs de celle-ci seraient déposés en temps et lieu. L'intimé a plaidé que cette Cour n'avait pas compé- tence pour accorder un sursis en l'espèce, puisque le requérant ne contestait pas la validité de la mesure d'expulsion. En outre, même si une telle compétence existait, l'intimé plaide que le requérant n'a pas démontré qu'il remplissait les conditions en matière de sursis.
Le requérant a revendiqué le statut de réfugié à son arrivée au Canada le 8 juillet 1991. Sa revendication était fondée sur sa crainte d'être tué ou torturé et emprisonné s'il était renvoyé au Salvador.
Le 27 février 1992, l'arbitre et le membre de la Commission qui présidait l'enquête de l'immigration du requérant ont décidé que sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention n'avait pas un minimum de fondement. L'arbitre a prononcé une ordonnance d'expulsion le jour même. Le 21 mai 1992, le juge Cullen a autorisé le requérant à intenter un recours fondé sur l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4]. Dans ce recours, le requérant demande l'annulation de la décision portant que sa revendication n'a pas un minimum de fondement. Le requérant demande maintenant un sursis à l'exécution de la mesure d'expulsion en attendant l'issue de cet appel.
Selon l'intimé, cette Cour n'a pas compétence pour accorder un sursis parce que le requérant ne conteste pas la validité de la mesure d'expulsion. Le requérant réplique qu'il conteste directement la validité de cette mesure puisqu'il s'oppose à la décision portant que sa revendication n'a pas un minimum de fondement et que la décision a conduit directement à la mesure d'expulsion. De fait, l'arbitre qui avait présidé l'en- quête de l'immigration d'où il était ressorti que la revendication n'avait pas un minimum de fondement avait pris cette mesure d'expulsion le jour même de la décision.
L'intimé s'appuie sur la décision de la Cour d'ap- pel fédérale rendue le 27 mars 1992 [encore inédite] dans les affaires Okyere Akyampong c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, (A-533-91) [répertorié:
Akyampong c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)] et Esther Okyere-Antwi c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, (A-413-92) [réperto- rié: Okyere-Antwi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)]. Je note que, dans cet arrêt, l'irré- gularité constatée par la Cour d'appel fédérale semble avoir été un vice des actes de procédure, puisque la Cour a autorisé les requérants à les modifier pour remédier à l'irrégularité.
En l'espèce, l'avis de requête introductif d'ins- tance pour lequel l'autorisation a été accordée vise à contester ce qui suit:
[TRADUCTION] ... la décision de l'arbitre A. Micello, en date du 27 février 1992, communiquée le jour même au requérant, d'expulser celui-ci du Canada; examiner et annuler la décision de l'arbitre susmentionné et du membre de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, K. McMillan -Haver, en date du 27 février 1992, communiquée le jour même au requé- rant, portant que sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention n'avait pas un minimum de fondement.
L'avocat de l'intimé prétend que ce qui précède ne constitue pas une contestation de la validité de la mesure d'expulsion comme telle. S'appuyant sur la décision Okyere, il fait valoir la nécessité de contester directement la validité de la mesure d'expulsion elle- même. Selon lui, il faut distinguer entre cette contes- tation et celle qui vise à attaquer la décision portant que la revendication n'a pas un minimum de fonde- ment. Il aurait fallu, par exemple, que le requérant plaide que l'arbitre avait mal exercé son pouvoir dis- crétionnaire en prononçant une mesure d'expulsion au lieu de signifier un avis d'interdiction de séjour. Un tel avis est signifié lorsque l'arbitre croit que le demandeur est susceptible de quitter le Canada de son plein gré (en l'espèce, pour retourner au Salva- dor). Il me semble que ce serait placer le requérant dans une position tout à fait insoutenable si l'on s'at- tendait à ce qu'il se dise prêt à retourner, de son pro- pre gré, dans un pays où, dit-il, il s'attend à être tué, ou torturé et emprisonné. De toute façon, si j'ai bien compris, il ne s'agit que d'un exemple parmi d'autres d'une contestation directe qui pourrait être faite à l'encontre d'une mesure d'expulsion.
L'avocat du requérant soutient que le genre de contestation directe décrit par l'avocat de l'intimé n'est pas nécessaire. J'accepte cet argument. En l'es-
pèce, la mesure d'expulsion est prononcée parce qu'il a été décidé que la revendication du statut de réfugié du requérant n'avait pas un minimum de fondement. La validité de la mesure en dépend. Si cette décision est invalide pour le motif qu'elle a été rendue sans tenir compte de la preuve, ou à cause d'une violation des règles de la justice naturelle, la mesure d'expul- sion est elle aussi invalide. À mon avis, dans un tel cas, la validité de la mesure d'expulsion a fait l'objet d'une contestation. Il se peut que cette contestation soit indirecte plutôt que directe. Cependant, à mon sens, la décision de la Cour d'appel fédérale dans les affaires Okyere n'exige pas que la mesure d'expul- sion soit plus directement contestée qu'elle ne l'est en l'espèce.
Au soutien de sa thèse, l'avocat de l'intimé a invoqué les arrêts Lodge c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1979] 1 C.F. 775 (C.A.) et Asu- madu c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1988), 113 N.R. 150 (C.A.F.). Dans l'affaire Lodge, les appelants avaient demandé le sursis à l'exécution d'une mesure d'expulsion en attendant qu'il soit sta- tué sur une plainte formulée sous l'empire de la Loi canadienne sur les droits de la personne [S.C. 1976- 77, ch. 33]. Dans leur plainte, ils alléguaient que les procédures d'expulsion prises contre eux consti- tuaient un acte discriminatoire. Dans l'affaire Asu- madu, le requérant avait demandé le sursis à l'exécu- tion d'une mesure d'expulsion en attendant la fin d'une enquête qui visait à déterminer s'il pouvait être dispensé, pour des raisons d'ordre humanitaire, des exigences de la Loi sur l'immigration de 1976 [S.C. 1976-77, ch. 52] voulant qu'une personne doive demander le droit d'établissement pendant qu'elle se trouve à l'extérieur du Canada.
Dans l'arrêt Lodge, la Cour a affirmé qu'il fallait appliquer le même principe que lorsqu'il s'agit de décider si une injonction permanente doit être accor- dée pour interdire à un ministre de la Couronne d'exécuter une fonction prévue par la loi. La Cour a noté que la Loi sur l'immigration imposait au minis- tre l'obligation légale d'exécuter une mesure d'expul- sion dès que possible après son adoption. Tant que la validité de cette mesure d'expulsion n'avait pas été contestée avec succès, la Cour ne devait pas interve- nir pour en empêcher l'exécution. Dans l'affaire Asu- madu, les motifs étaient brefs. Cependant, à mon
sens, ils étaient fondés sur la conclusion selon laquelle la Cour ne devait pas interdire l'exécution d'une mesure d'expulsion tant que la validité de celle-ci n'avait pas été contestée.
L'arrêt Lodge a été rendu avant la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 6 Imm. L.R. (2d), 123, et avant l'ajout de l'article 18.2 à la Loi sur la Cour fédérale. L'arrêt Asumadu a été rendu le même jour que l'arrêt Toth, mais par une for mation différente de la Cour. Dans l'arrêt Toth, il a été jugé que la Cour était compétente pour accorder un sursis si elle jugeait opportun de le faire afin d'empêcher qu'un moyen de contrainte ordonné par la Cour ne soit rendu inopérant par l'exécution de l'ordonnance à laquelle il est demandé sursis. La Cour a sursis à l'exécution d'une mesure d'expulsion en attendant l'issue de l'appel d'une décision de la Commission d'appel de l'immigration. Depuis cet arrêt, la compétence de la Section de première ins tance à cet égard a été précisée davantage. L'article 18.2 a été ajouté à la Loi sur la Cour fédérale, par L.C. 1990, ch. 8, art. 5:
18.2. La Section de première instance peut, lorsqu'elle est saisie d'une demande de contrôle judiciaire, prendre les mesures provisoires qu'elle estime indiquées avant de rendre sa décision définitive.
L'article 18.2 exige simplement que le juge estime la mesure provisoire «indiquée». Il se peut très bien qu'en l'absence de toute contestation d'une mesure d'expulsion, même indirecte, la Cour n'estimerait pas indiqué d'ordonner un sursis. Cependant, il semble clair qu'une contestation directe de la mesure, comme le voudrait l'avocat de l'intimé, ne soit pas nécessaire. En effet, comme je l'ai déjà mentionné, je ne crois pas que la Cour d'appel fédérale ait exigé une contestation «directe» dans l'arrêt Okyere non plus. Bien entendu, la Cour d'appel fédérale n'a pas tenu compte de l'article 18.2, puisque cette disposi tion n'intéresse que la Section de première instance.
Dans quels cas, donc, une ordonnance de sursis sera-t-elle «indiquée»? Les deux avocats ont fait valoir qu'il y a lieu d'examiner les critères énoncés dans l'arrêt Toth: le requérant avait-il une cause sou- tenable? subirait-il un préjudice irréparable si le sur- sis n'était pas accordé? la prépondérance des incon- vénients le favorisait-elle?
En l'espèce, vu que le requérant a été autorisé à en appeler de la décision portant que sa revendication n'avait pas un minimum de fondement, l'avocat de l'intimé a admis que le requérant avait établi l'exis- tence d'une cause soutenable. Cependant, selon lui, le requérant n'avait pas établi qu'il subirait un préjudice irréparable, puisqu'il n'avait pas fourni de preuve objective (c'est-à-dire aucune preuve autre que son propre témoignage) de ce qu'il allait vraisemblable- ment être maltraité à son retour au Salvador. L'intimé a soutenu qu'il ne fallait pas tenir compte de la lettre d'un psychiatre selon laquelle le requérant souffrait d'un état de stress post-traumatique et montrait des affects qui sont des mécanismes de défense caracté- ristiques contre la peur chronique, puisqu'elle avait été écrite [TRADUCTION] «pour aider ce jeune homme du Salvador dans ses démarches». Il m'est difficile d'accepter ces arguments. Dans le présent cas, je suis disposée à accepter la preuve par affidavit du requé- rant. Force m'est donc de conclure qu'il subira un préjudice irréparable s'il est renvoyé au Salvador.
En ce qui a trait à la prépondérance des inconvé- nients, l'avocat de l'intimé invoque des décisions comme Manitoba (Procureur général) c. Metropoli tan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110. Dans cette affaire, l'intimé demandait une injonction pour sus- pendre l'application d'une loi au motif qu'elle était inconstitutionnelle. La Cour a statué qu'il y avait un important intérêt public à ce que la loi soit appliquée et à ce que l'injonction empêchant un fonctionnaire d'exercer son pouvoir prévu dans une loi soit refusée en l'absence d'une décision définitive portant que cette loi était ultra vires. Le juge Beetz a affirmé ce qui suit à la page 135:
Qu'elles soient ou non jugées constitutionnelles, les lois dont les plaideurs cherchent à obtenir la suspension, ou de l'application desquelles ils demandent d'être exemptés par voie d'injonction interlocutoire, ont été adoptées par des législa- tures démocratiquement élues et visent généralement le bien commun ... Il semble bien évident qu'une injonction interlo- cutoire dans la plupart des cas de suspension et, jusqu'à un cer tain point, comme nous allons le voir plus loin, dans un bon nombre de cas d'exemption, risque de contrecarrer temporaire- ment la poursuite du bien commun.
À la page 146, la Cour a conclu en ces termes:
Il se dégage de ce qui précède que les cas de suspension et les cas d'exemption sont régis par la même règle fondamentale selon laquelle, dans les affaires constitutionnelles, une suspen sion interlocutoire d'instance ne devrait pas être accordée à
moins que l'intérêt public ne soit pris en considération dans l'appréciation de la prépondérance des inconvénients en même temps que l'intérêt des plaideurs privés.
Si les cas d'exemption sont assimilés aux cas de suspension, cela tient à la valeur jurisprudentielle et à l'effet exemplaire des cas d'exemption. Suivant la nature des affaires, du moment qu'on accorde à un plaideur une exemption sous la forme d'une suspension d'instance, il est souvent difficile de refuser le même redressement à d'autres justiciables qui se trouvent essentiellement dans la même situation et on court alors le ris- que de provoquer une avalanche de suspensions d'instance et d'exemptions dont l'ensemble équivaut à un cas de suspension de la loi.
Je ne crois pas que le critère exposé dans les déci- sions comme l'arrêt Metropolitan Stores Ltd. soit per tinent en l'espèce. Dans cette affaire, la validité d'un article de loi était contestée. Par conséquent, le fait de décerner une injonction interlocutoire en faveur d'une partie conduirait implicitement à trancher de la même manière dans le cas de tous les particuliers visés par l'article de loi dont l'inconstitutionnalité était alléguée. Cet article lui-même serait effective- ment rendu inopérant, c'est-à-dire que son effet serait totalement suspendu, en attendant qu'il soit statué sur sa validité.
En l'espèce, les dispositions de la loi ne sont pas contestées. Le requérant conteste une décision rendue par un organisme doté du pouvoir de statuer agissant en vertu de la loi dans le cas d'un individu en particu- lier. Le fait d'accorder une injonction (ou une ordon- nance de sursis) dans un tel cas n'aura pas pour effet de rendre inopérante une partie de la loi. Par consé- quent, les considérations relatives à l'intérêt public exprimées dans l'arrêt Metropolitan Stores Ltd. ne sont pas en cause.
Cependant, d'après la prépondérance des inconvé- nients, il faut se demander à quel point le fait d'ac- corder des sursis risque de devenir une pratique qui contrecarre l'application efficace de la législation en matière d'immigration. Chacun sait que la procédure actuelle a été mise en place parce qu'une pratique s'était développée par laquelle de très nombreuses demandes, tout à fait dénuées de fondement, étaient introduites devant la Cour et encombraient les rôles, uniquement pour permettre aux appelants de demeu- rer plus longtemps au Canada. Il y va de l'intérêt public d'avoir un régime qui fonctionne de façon effi- cace, rapide et équitable, et qui, dans la mesure du
possible, ne se prête pas aux abus. Tel est, à mon avis, l'intérêt public qu'il faut soupeser par rapport au préjudice que pourrait éventuellement subir le requérant si un sursis n'était pas accordé.
Je ne suis pas convaincue que le fait d'accorder des sursis dans tous les cas comme celui-ci, il existe manifestement une cause soutenable et la revendication du requérant est entièrement fondée sur la proposition qu'il subira un préjudice irréparable s'il est renvoyé dans son pays d'origine, nuirait au fonctionnement du régime d'immigration au point d'être contraire à l'intérêt public voulant que le régime fonctionne de façon équitable et efficace.
À cet égard, la situation peut être tout à fait diffé- rente de celle où, par exemple, un requérant demande que son cas soit examiné à la lumière de considéra- tions d'ordre humanitaire, surtout la veille de l'exé- cution d'une mesure d'expulsion, puis plaide qu'il y a lieu d'accorder un sursis du fait que l'examen n'est pas encore terminé. Une telle situation risque de don- ner lieu à une pratique susceptible de miner la bonne application de la loi.
De toute manière, il ne convient pas de tenter de répertorier tous les cas l'intérêt public voulant que soit maintenu un régime juste et efficace pourrait l'emporter sur l'opportunité d'accorder un sursis, de sorte qu'il y aurait lieu de le refuser. Cependant, il est probable qu'un facteur important, dans presque tous les cas, serait le temps qui s'est écoulé, le cas échéant, avant que le requérant n'interjette appel.
Si le requérant avait connaissance, déjà depuis un certain temps, de la décision sous-jacente à la contes- tation de la mesure d'expulsion (ou de l'avis d'inter- diction de séjour), mais n'a cherché à obtenir l'auto- risation d'intenter un recours fondé sur l'article 18 qu'au tout dernier moment, il y a donc lieu de présu- mer que la demande d'autorisation en vue de contes- ter la mesure d'expulsion constitue principalement une manoeuvre dilatoire. Si tous les éléments perti- nents ont été déposés à l'égard de la demande d'auto- risation et si la date d'expulsion est connue, l'avocat du requérant (ou le requérant lui-même, selon le cas) devrait avertir le greffe de la Cour fédérale pour que le dossier puisse être soumis à un juge pour juge- ment, le plus tôt possible, afin que la Cour ne soit pas
saisie de demandes de sursis la veille de l'exécution d'une mesure d'expulsion. À mon avis, le fait de pré- senter une demande de sursis à la toute dernière minute constitue en soi, dans bien des cas, un motif pour refuser la demande.
En l'espèce, le requérant a établi qu'il avait une cause soutenable. Il a prétendu qu'il subira un préju- dice irréparable s'il est renvoyé au Salvador. Il n'a pas tardé à contester la décision en cause ou à deman- der un sursis à l'exécution de la mesure d'expulsion une fois que l'autorisation a été accordée. Je suis con- vaincue que la prépondérance des inconvénients favorise le requérant. Le préjudice qu'il pourrait subir l'emporterait sur toute atteinte au fonctionnement juste et ordonné du régime d'immigration qui pour- rait se produire si tous les requérants, dans le même cas que lui, obtenaient un sursis à l'exécution des mesures d'expulsion prises contre eux.
Par ces motifs, la Cour ordonne le sursis à l'exécu- tion de la mesure d'expulsion.
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