T-1427-89
T-1201-90
Alliance de la fonction publique du Canada
(demanderesse)
c.
Sa Majesté la Reine du Chef du Canada,
représentée par le procureur général du Canada
et la Commission de la fonction publique
(défenderesse)
RÉPERTORIE: AFPC C. CANADA (COMMISSION DE LA
FONCTION PUBLIQUE) (Ire INST.)
Section de première instance, juge Rouleau—Ottawa,
8 et 30 janvier 1992.
Fonction publique — Procédure de sélection — Principe du
mérite — Le gouverneur en conseil a approuvé le Décret
adopté par la Commission de la fonction publique, qui vise à
exempter les mutations des concours et des appels — Est-il
ultra vires? — Les mutations constituent des «nominations» au
sens de la Loi — L'art. 41 de la Loi sur l'emploi dans la fonc-
tion publique permet à la Commission d'exempter des per-
sonnes ou des postes avec l'approbation du gouverneur en
conseil — Le principe du mérite ne peut être facilement con-
tourné — Tout décret adopté conformément à l'art. 41 doit en
respecter strictement les dispositions — Puisqu'il est excessi-
vement général, le décret ne respecte pas l'art. 41.
Il s'agit d'une requête en vue d'obtenir un jugement décla-
rant que le Décret d'exemption concernant les mutations et le
Règlement sur les mutations, des textes réglementaires présu-
mément adoptés en vertu de la Loi sur l'emploi dans la fonc-
tion publique, sont ultra vires.
Le 15 mars 1990, sur une recommandation de la Commis
sion de la fonction publique, le gouverneur en conseil a
approuvé le Décret d'exemption concernant les mutations qui
exemptait les mutations latérales des exigences normales d'une
nomination faite suite à un concours: une personne se situant
déjà au niveau auquel le poste a été classifié pourrait, si elle
était par ailleurs compétente, être nommée à ce poste sans qu'il
soit possible d'en appeler.
Jugement: la requête devrait être accueillie.
L'article 10 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique
prévoit que les nominations internes et externes à des postes de
la fonction publique se font selon le principe du mérite. L'ar-
ticle 21 accorde un droit d'appel à l'employé qui croit que ses
chances d'avancement ont été amoindries par une nomination.
Une mutation latérale constitue une nomination. L'article 41
de la Loi permet à la Commission, avec l'approbation du gou-
verneur en conseil, d'exempter une personne ou un poste de
l'application de la Loi.
Le Décret permettrait qu'un employé soit muté à un emploi
dans un autre ministère sans qu'on l'ait désigné comme le
mieux qualifié pour l'emploi. Ce processus pourrait amoindrir
les chances d'autres employés puisqu'une mutation peut cons-
tituer un changement de carrière profitable. Le Décret déroge
considérablement du principe du mérite puisque la sélection
n'est pas faite en fonction du candidat «le mieux qualifié»,
mais plutôt en fonction du candidat «compétent». Les articles
10 et 21 de la Loi, précisément adoptés en vue de maintenir le
principe du mérite, ne peuvent être facilement contournés. Tout
décret adopté conformément à l'article 41 doit en respecter
strictement les dispositions. Le décret attaqué vise une catégo-
rie de nomination et, en théorie, il pourrait s'appliquer à tout
fonctionnaire appartenant au même groupe professionnel, sans
égard au ministère dont il relève. Puisqu'ils peuvent potentiel-
lement recevoir une application large, le Décret et le Règle-
ment ne respectent pas l'article 41 et, par conséquent, ils sont
ultra vires.
La Commission a besoin, dans certains cas, de plus de sou-
plesse, mais ce conflit relève non pas de la Commission ou de
la Cour, mais du Parlement.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Décret d'exclusion sur les langues officielles dans la
Fonction publique, DORS/81-787, art. 4.
Décret d'exemption concernant les mutations, DORS/89-
305.
Décret d'exemption concernant les mutations, DORS/90-
181.
Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985),
chap. P-33, art. 10, 21, 37(1), 41.
Règlement sur les mutations, DORS/89-305.
Règlement sur les mutations, DORS/90-181.
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
Guy c. Comité d'appel de la Commission de la Fonction
publique, [1984] 2 C.F. 369; (1984), 8 D.L.R. (4th) 628;
55 N.R. 105 (C.A.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Wilkinson c. Canada (Comité d'appel de la Commission
de la fonction publique), A-490-84, juge Hugessen,
J.C.A., jugement en date du 29-I I-84, C.A.F., non publié.
DÉCISION CITÉE:
Procureur général du Canada c. Greaves, [1982] 1 C.F.
806; (1982), 40 N.R. 429 (C.A.); autorisation d'en appeler
à la C.S.C. refusée [1982] 1 R.C.S. v; (1982), 42 N.R.
176.
AVOCATS:
Andrew J. Raven pour la demanderesse.
Edward R. Sojonky pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Soloway, Wright, Ottawa, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du
jugement rendus par
LE JUGE ROULEAU: La Commission de la fonction
publique du Canada (ci-après appelée «la Commis
sion») a approuvé une certaine «législation d'exemp-
tion concernant les mutations» visant à accorder plus
de flexibilité à l'égard des mutations dans la fonction
publique. La demanderesse s'en prend à ce Décret et
au Règlement modificatif pour le motif qu'ils sont
trop larges dans la mesure où ils privent un trop
grand nombre de fonctionnaires d'une chance
d'avancement établie sur le mérite en plus de res-
treindre considérablement le droit d'appel de ces der-
niers.
La demanderesse a introduit deux actions en vue
d'obtenir un jugement qui déclarerait que le Décret
d'exemption concernant les mutations et le Règle-
ment sur les mutations (C.P. 1990-513, DORS/90-
181) sont contraires à l'article 41 de la Loi sur l'em-
ploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), chap.
P-33, et qu'ils sont par conséquent ultra vires.
Les événements remontent au 8 juin 1989, date à
laquelle, sur une recommandation de la Commission,
le gouverneur en conseil a approuvé le Décret
d'exemption concernant les mutations et le Règle-
ment sur les mutations (C.P. 1989-1093, DORS/89-
305), entrés en vigueur le 12 juin 1989. Le 11 juillet
1989, l'Alliance de la fonction publique a introduit sa
première action devant cette Cour (no du greffe T-
1427-89), afin que le Décret et le Règlement connexe
soient déclarés ultra vires du gouverneur en conseil et
de la Commission.
La défenderesse a, en raison de l'initiative de la
demanderesse, abrogé le Décret et le Règlement, et,
le 15 mars 1990, elle a approuvé et modifié le Décret
d'exemption concernant les mutations et le Règle-
ment sur les mutations (DORS/90-181). L'objectif
des nouveaux Décret et Règlement demeurait le
même que celui des mesures abrogées, la seule diffé-
rence tenant à ce que le nouveau Décret apportait des
«précisions d'ordre technique» absentes dans la légis-
lation antérieure. L'Alliance a introduit sa deuxième
action le 4 mai 1990. Le Décret et le Règlement de
1989 étant expressément abrogés, la première action
de la présente affaire est maintenant hypothétique,
bien que les questions en litige présentées soient
techniquement les mêmes. Ce Décret porte que:
LOI SUR L'EMPLOI DANS LA FONCTION PUBLIQUE
Décret d'exemption concernant les mutations
Règlement sur les mutations
C.P. 1990-513 15 mars 1990
Attendu que la Commission de la fonction publique estime
qu'il est difficilement réalisable et contraire aux intérêts de la
fonction publique
a) d'appliquer l'article 10 de la Loi sur l'emploi dans la
fonction publique, relativement aux qualités autres que la
compétence linguistique, à tout poste auquel une personne
choisie au sein de la fonction publique est sur le point d'être
nommée ou est nommée pour une période indéterminée et la
nomination n'entraîne ou n'entraînera aucune modification
de la durée des fonctions ou du groupe ou sous-groupe pro-
fessionnel et aucune augmentation du niveau de cette per-
sonne;
b) d'appliquer l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la
fonction publique aux personnes qui, si ce n'était du présent
décret, auraient un droit d'appel relativement à la nomina
tion proposée pour une période indéterminée de toute per-
sonne à un poste où la nomination n'entraîne ou n'entraînera
aucune modification de la durée des fonctions ou du groupe
ou sous-groupe professionnel et aucune augmentation du
niveau de cette personne;
A ces causes,
a) sur avis conforme du Secrétaire d'État, il plaît à Son
Excellence le Gouverneur général en conseil d'approuver
l'abrogation, en vertu du paragraphe 41(2) de la Loi sur
l'emploi dans la fonction publique, par la Commission de la
fonction publique, du Décret visant à exempter de l'applica-
tion de l'article 10, sauf dans la mesure où la compétence
linguistique constitue un critère d'évaluation pour la sélec-
tion en vue d'une nomination, et de l'article 21 de la Loi sur
l'emploi dans la fonction publique des fonctionnaires qui ne
font pas partie de la catégorie de la gestion lors de leur
nomination pour une période indéterminée lorsque cette
nomination n'entraîne aucune modification de la durée de
leurs fonctions ou de leur groupe ou sous-groupe profession-
nel et aucune augmentation de leur niveau approuvé par le
décret C.P. 1989-1093 du 8 juin 1989 (DORSI89-305,
Gazette du Canada Partie II, 1989, p. 3017) et en consé-
quence d'abroger ledit décret; et il plaît à Son Excellence le
Gouverneur général en conseil de prendre en remplacement,
en vertu du paragraphe 41(1) de la Loi sur l'emploi dans la
fonction publique, le Décret approuvant l'exemption par la
Commission de la fonction publique de certains postes de
l'application de l'article 10 relativement aux qualités autres
que la compétence linguistique, et de certaines personnes de
l'application de l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la
fonction publique, ci-après;
b) sur avis conforme du Secrétaire d'État et de la Commis
sion de la fonction publique, il plaît à Son Excellence le
Gouverneur général en conseil d'abroger, en vertu du para-
graphe 37(1) de la Loi sur l'emploi dans la fonction
publique le Règlement concernant la nomination pour une
période indéterminée des fonctionnaires qui ne font pas par-
tie de la catégorie de la gestion, lorsque cette nomination
n'entraîne aucune modification de la durée des fonctions ou
du groupe ou sous-groupe professionnel et aucune augmen
tation du niveau de ces fonctionnaires, C.P. 1989-1093 du 8
juin 1989 (DORS/89-305, Gazette du Canada Partie II,
1989, p. 3017); et il plaît à Son Excellence le Gouverneur
général en conseil de prendre en remplacement, en vertu du
paragraphe 37(1) de la Loi sur l'emploi dans la fonction
publique, le Règlement concernant la nomination ou la
nomination proposée pour une période indéterminée d'une
personne à un poste où la nomination n'entraîne ou n'entraî-
nera ..
Le Résumé de l'étude d'impact de la réglementa-
tion accompagnant le Décret précise l'effet de ce
décret d'exemption:
Le Décret d'exemption concernant les mutations et le règle-
ment connexe exemptent certains postes et certaines personnes
de l'application de certaines dispositions de la Loi sur l'emploi
dans la fonction publique. L'objet du décret est de simplifier
l'approche en matière de déplacement des fonctionnaires, au
sein du même groupe et sous-groupe professionnel, à des pos-
tes de niveau équivalent ou inférieur. Ces mutations peuvent
alors être effectuées sans droit d'appel pour les autres fonction-
naires et sans qu'il soit nécessaire de comparer la compétence
relative des divers intéressés. Les fonctionnaires en question
doivent accepter d'être mutés et satisfaire aux exigences du
poste, y compris les exigences linguistiques et celles relatives à
l'examen médical, à l'enquête de sécurité et à l'accréditation
professionnelle. [C'est moi qui souligne.]
Historiquement, le principe du mérite est le fonde-
ment de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique.
La Commission est responsable de la dotation de la
fonction publique fédérale et, dans l'exercice de cette
fonction, elle agit à titre de mandataire du Parlement
en voyant au respect du principe du mérite.
La Loi renferme deux articles adoptés dans le but
d'apporter des garanties à cet effet. L'article 10 de la
Loi sur l'emploi dans la fonction publique prévoit
que les nominations internes ou externes à des postes
de la fonction publique doivent se faire sur la base
d'une sélection fondée sur le mérite afin que le candi-
dat le mieux qualifié et le mieux adapté soit nommé.
Il porte que:
10. Les nominations internes ou externes à des postes de la
fonction publique se font sur la base d'une sélection fondée sur
le mérite, selon ce que détermine la Commission, et à la
demande de l'administrateur général intéressé, soit par con-
cours, soit par tout autre mode de sélection du personnel fondé
sur le mérite des candidats que la Commission estime le mieux
adapté aux intérêts de la fonction publique.
L'article 21 de la Loi accorde un droit d'appel à
l'employé qui croit que le principe du mérite n'a pas
été appliqué lors d'une nomination particulière. Il
porte que:
21. (1) Tout candidat non reçu à un concours interne ou, s'il
n'y a pas eu concours, toute personne dont les chances d'avan-
cement sont, selon la Commission, amoindries par une nomi
nation interne, déjà effective ou en instance, peut, dans le délai
imparti par la Commission, en appeler devant un comité chargé
par celle-ci de faire une enquête, au cours de laquelle l'appe-
lant et l'administrateur général en cause, ou leurs représen-
tants, ont l'occasion de se faire entendre.
(Remarque: Dans l'arrêt Wilkinson c. Canada
(Comité d'appel de la Commission de la fonction
publique) (A-490-84, juge Hugessen, J.C.A., juge-
ment en date du 29-11-84, non publié), la Cour d'ap-
pel a statué qu'une «mutation latérale» visant à com-
bler un poste vacant au sein de la fonction publique
constitue une «nomination» au sens de la Loi sur
l'emploi dans la fonction publique.)
Outre les articles accordant une certaine protection
aux fonctionnaires, le Parlement a également jugé
opportun d'accorder à la Commission une certaine
flexibilité atteinte par l'entremise des décrets
d'exemption et des règlements autorisés conformé-
ment aux articles 37 et 41 de la Loi, ainsi libellés:
37. (I) Sur recommandation de la Commission, le gouver-
neur en conseil peut, par règlement, statuer sur le sort des pos-
tes ou des personnes qui tombent sous le coup de l'exemption
totale ou partielle prévue à l'article 41.
41. (1) Avec l'approbation du gouverneur en conseil, la
Commission peut exempter un poste, une personne ou une
catégorie de postes ou de personnes de l'application de tout ou
partie de la présente loi, si elle estime pareille application diffi-
cilement réalisable et contraire aux intérêts de la fonction
publique.
(2) La Commission peut, avec l'approbation du gouverneur
en conseil, annuler, en tout ou partie, les exemptions accordées
au titre du paragraphe (1). [C'est moi qui souligne.]
La demanderesse soutient que ce décret d'exemp-
tion (DORS/90-181) permettrait des mutations laté-
rales sans concours et pourrait ne pas tenir compte du
principe du candidat le «mieux qualifié» et que, si la
candidature du fonctionnaire «compétent» ou le
«mieux qualifié» était rejetée, ce dernier perdrait
alors la protection des garanties reconnues dans la
Loi conformément aux articles 10 et 21. La demande-
resse prétend également que le libellé du Décret
d'exemption concernant les mutations est délibéré-
ment général et imprécis. Compte tenu de l'article 41,
il omet de définir précisément un «poste» ou une
«personne» ou une «catégorie de postes» ou «de per-
sonnes»; en fait, il confère à la Commission un pou-
voir discrétionnaire illimité.
L'avocat de la défenderesse a prétendu que le
Décret d'exemption concernant les mutations était
précis et qu'il respectait l'article 41 de la Loi. Il a
soutenu que selon les règles d'interprétation législa-
tive, les termes «un» ou «une» dans le contexte de
l'article 41 pouvaient signifier «tout» ou «chaque». À
l'appui de cette prétention, il a mentionné que la
Cour d'appel fédérale, dans l'arrêt Guy c. Comité
d'appel de la Commission de la Fonction publique,
[1984] 2 C.F. 369 (C.A.), a permis à la Commission
d'exempter toute personne ou tout poste de l'applica-
tion de la Loi au moyen d'un décret d'exemption
d'application générale. Il soutient qu'à des fins pra-
tiques, et pour qu'elle puisse faire preuve d'une cer-
taine flexibilité, la Commission devrait recevoir un
pouvoir de mutation étendu puisqu'il est dans l'inté-
rêt de la fonction publique que ce pouvoir discrétion-
naire soit accordé.
Je ne peux partager l'avis de la défenderesse à
l'égard de la flexibilité, de l'interprétation législative
ou de la prétention selon laquelle la Cour d'appel a
accordé à la Commission un pouvoir aussi étendu
dans les motifs de son jugement prononcés dans l'af-
faire Guy c. Comité d'appel de la Commission de la
Fonction publique, précitée. Il existe un principe
d'interprétation législative bien connu selon lequel la
disposition d'une loi du Parlement doit être interpré-
tée en fonction de l'objectif général de la législation.
Si j'acceptais la prétention selon laquelle «un» ou
«une» peut signifier «tout» dans le contexte de l'ar-
ticle 41, j'irais alors à l'encontre de l'objectif général
de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique qui
vise à assurer l'application du principe du mérite lors
des nominations dans la fonction publique. La Com
mission pourrait alors adopter un seul décret
d'exemption général qui risquerait de bafouer le prin-
cipe du mérite et de contourner complètement les
garanties que le Parlement désirait accorder.
J'aimerais maintenant faire mention de ce que je
crois être la juste analyse de l'arrêt Guy c. Comité
d'appel de la Commission de la Fonction publique,
précité. Dans cette affaire, une personne s'est portée
candidate à un concours restreint pour un poste dans
la fonction publique coté «Bilingue, nomination non
impérative». Les dispositions pertinentes du Décret
d'exclusion sur les langues officielles dans la Fonc-
tion publique [DORS/81-787] applicables dans cette
affaire étaient les suivantes:
4. (1) Est exclue de l'application de l'article 10 de la Loi,
dans les cas où une norme de sélection fondée sur la compé-
tence linguistique constitue un critère d'évaluation en vue
d'une nomination non impérative faite selon une sélection éta-
blie au mérite, toute personne ayant la connaissance et l'usage
d'une seule langue officielle au niveau de compétence requis
pour le poste bilingue visé et
a) qui est admissible aux cours de langue et remet un enga
gement à la Commission;
(2) Aux fins de l'alinéa (1)a), une personne est admissible
aux cours de langue en vue d'accéder à un poste bilingue, si
a) elle démontre à la Commission son aptitude à acquérir la
connaissance et l'usage de l'autre langue officielle au niveau
de compétence requis pour ce poste, et que
b) depuis le ICr janvier 1974, le nombre total d'heures de
cours de langues qu'elle a suivies est inférieur au maximum
autorisé,
et si
d) elle n'a pas atteint, à la suite de cours de langue, un
niveau de compétence linguistique semblable ou supé-
rieur, ... [C'est moi qui souligne.]
On avait offert le poste au requérant, mais comme
il n'a pas satisfait aux exigences linguistiques, on lui
a refusé la nomination. Il avait déjà suivi des cours de
langue et avait atteint le niveau de compétence requis
avant de retomber à un niveau inférieur. Il a demandé
une ordonnance déclarant l'alinéa 4(2)d) ultra vires
parce qu'il violait le principe du mérite. La Cour
d'appel a rejeté la requête pour les motifs que le
Décret avait été valablement adopté conformément à
l'article 39 [S.R.C. 1970, chap. P-32] de la Loi
(maintenant l'article 41). Le juge Hugessen, J.C.A.,
se prononçant au nom de la majorité de la Cour, a
statué que l'alinéa 4(2)d) du Décret exemptait le
requérant. Il a conclu que, par son libellé, le Décret
d'exemption visait à ce que la personne qui a suivi
des cours dispensés aux frais de l'État afin d'attein-
dre un certain niveau de compétence linguistique,
mais qui tombe par la suite à un niveau inférieur, ne
devrait pas avoir le droit de bénéficier de l'exclusion
quant aux exigences linguistiques d'un poste pendant
qu'elle suit d'autres cours de langue dispensés aux
frais de l'État. Si je comprends bien le raisonnement
de la Cour, c'est en raison de la précision du libellé
du Décret d'exemption qu'elle a conclu qu'il se
situait dans les limites de l'article 39 d'alors, mainte-
nant 41, de la Loi.
Des douzaines de décrets d'exemption ont été
déposés lors de cette instance, et il n'y a aucun doute
que dans tous les cas, ils renvoient à des personnes ou
à des postes précis, ce qui permet à la Commission
d'approuver des nominations en les exemptant de
l'application de la Loi.
Il ressort clairement de la lecture du présent Décret
que celui-ci permettrait à la Commission de muter un
fonctionnaire d'un emploi à un autre dans un autre
ministère, sans qu'on l'ait désigné comme le «mieux
qualifié» pour l'emploi. Aucun droit d'appel ne serait
disponible à aucun autre employé ni à quiconque
croyant que ses chances d'avancement en ont été
amoindries. On m'a cité l'exemple d'un commis à la
paye, membre de la catégorie CR, au service de l'Of-
fice national de l'énergie, qui pourrait facilement être
muté au ministère du Revenu.
D'après les faits et la preuve présentée, j'estime
qu'il est fort possible que des employés aient le senti
ment que leurs chances ont été amoindries par une
telle mutation. Il faut se rappeller qu'une mutation
peut constituer un changement de carrière profitable
nonobstant le fait qu'il n'y a aucune modification du
groupe professionnel, du niveau, des conditions
d'emploi ou de la rémunération. Le témoin de la
Couronne a lui-même admis lors de son contre-inter-
rogatoire qu'une mutation pourrait, dans certains cas,
[TRADUCTION] «augmenter les chances de promotion».
À mon avis, le Décret d'exemption concernant les
mutations en l'espèce déroge considérablement du
principe du mérite. Selon le Décret, la sélection n'est
pas faite en fonction du candidat «le mieux qualifié»,
mais plutôt en fonction du candidat «compétent». Il
prive tous les fonctionnaires du droit d'en appeler de
la nomination.
Je suis sensible aux tentatives de la Commission
visant à assouplir le système. Néanmoins, au cours
des dix dernières années, la Cour a de façon cons-
tante soutenu le principe du mérite. Elle a toujours
maintenu que les articles 10 et 21 ne pouvaient être
facilement contournés, puisque ces dispositions ont
été précisément adoptées en vue de protéger les fonc-
tionnaires et en vue de promouvoir et de maintenir le
principe du mérite.
La Commission a reçu un certain pouvoir discré-
tionnaire lui permettant d'exempter certaines per-
sonnes ou postes de l'application stricte du principe
du mérite en vertu des articles 37 et 41 de la Loi. Il
s'ensuit que tout décret adopté conformément à l'ar-
ticle 41 doit en respecter strictement les dispositions.
L'avocat de la demanderesse soutient que le Décret
ne respecte pas l'article 41 en ce qu'il ne traite pas
précisément de certains «postes ou personnes» ou
«catégories de postes ou de personnes». Il vise incon-
testablement une catégorie de nomination, soit celle
des «mutations latérales».
À l'heure actuelle, lorsqu'un emploi est vacant, le
gestionnaire hiérarchique décide de la façon dont ce
poste sera comblé, avec ou sans concours. Dans ces
cas, tout candidat non reçu ou toute personne dont les
chances ont été amoindries peut en appeler. Il résulte
de ce nouveau Décret d'exemption concernant les
mutations que s'il est urgent de combler un poste
vacant, mais qu'il n'est pas important d'engager «le
mieux [qualifié]» , le gestionnaire hiérarchique peut
décider de combler le poste par mutation latérale. Il
n'a alors qu'à se demander: «Le candidat est-il com-
pétent et est-il du même niveau?» Le seul recours
offert au fonctionnaire qui a le sentiment d'être
mieux qualifié, ou dont les chances d'avancement ont
été amoindries, est de déposer un grief ou de deman-
der une enquête, deux recours généralement reconnus
comme inefficaces.
L'avocat a souligné que, puisqu'il revient généra-
lement au gestionnaire hiérarchique de décider com
ment un poste vacant dans son ministère sera comblé,
il serait possible que toutes les vacances dans la fonc-
tion publique fédérale soient comblées au moyen
d'une mutation latérale. En théorie, le Décret
d'exemption concernant les mutations pourrait s'ap-
pliquer à tout fonctionnaire appartenant au même
groupe professionnel ou au même niveau, sans égard
au ministère dont il relève.
À mon avis, puisque le Décret peut potentiellement
recevoir une application large, il ne respecte pas l'ar-
ticle 41 et, par les présentes, je déclare que le Décret
d'exemption concernant les mutations et le Règle-
ment sur les mutations (DORS/90-181) sont ultra
vires des pouvoirs de la Commission et du gouver-
neur en conseil.
Compte tenu de cette conclusion, j'estime inutile
d'étudier la prétention de l'avocat selon laquelle l'ef-
fet du Décret était de sous-déléguer aux gestionnaires
hiérarchiques le pouvoir conféré exclusivement à la
Commission.
Après avoir étudié la jurisprudence qui, de façon
constante, maintient le principe du mérite; après avoir
lu attentivement des douzaines de décrets d'exemp-
tion précis en eux-mêmes; après avoir étudié l'objec-
tif général de la législation habilitante et étant con-
vaincu que la Commission a besoin, dans certains
cas, de plus de souplesse, j'estime que la source de
conflit se situe non pas au niveau de la Commission
ou de la Cour, mais au niveau du Parlement.
Ma conclusion me rappelle les mots du juge Le
Dain, J.C.A., dans l'arrêt Procureur général du
Canada c. Greaves, [1982] 1 C.F. 806 (C.A.) (autori-
sation d'appeler à la C.S.C. refusée, [1982] 1 R.C.S.
y), à la page 812:
Je suis conscient du fait que la conclusion en l'espèce peut
limiter sérieusement la flexibilité que permet le pouvoir de
mutation au sein de la Fonction publique, dans la mesure où
une mutation précise constitue une nomination au sens de la
Loi, mais si on a besoin de plus à cet égard, il faudrait le pré-
voir expressément dans la loi. [C'est moi qui souligne.]
Les dépens sont adjugés à la demanderesse.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.