T-830-91
Banque canadienne impériale de commerce
(requérante)
c.
Earl Bateman et Graham Leslie (arbitre) (inti-
més)
RÉPERTORIÉ: BANQUE CANADIENNE IMPÉRIALE DE COM
MERCE C. BATEMAN (1" INST.)
Section de première instance, juge Cullen—
Vancouver, 24 avril; Ottawa, 8 mai 1991.
Relations du travail — Le Code canadien du travail, Section
XIV, prévoit une procédure de règlement de griefs pour les
travailleurs fédéraux non syndiqués — L'art. 167(3) du Code
exclut les «directeurs» — L'arbitre a déclaré qu'il était com-
pétent parce que le directeur du Centre régional de données de
la Banque n'était pas un «directeur» — L'intimé était chargé
d'un service comptant 200 employés et ayant un budget de
10 000 000 $ — La Section a pour objet de fournir aux
travailleurs non syndiqués une protection semblable à celle que
procurent les conventions collectives — Les classifications
utilisées dans les relations de travail ordinaires s'appliquent
— Il n'est pas nécessaire que le pouvoir d'administrer soit
indépendant d'un examen extérieur, que l'autonomie soit
absolue — L'intimé jouissait d'une grande autonomie pour
administrer un service de grande envergure.
Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative — Prohibition
— Une clause privative prévoit qu'une ordonnance d'un arbitre
n'est pas «susceptible de recours judiciaires» Elle n'empê-
che pas d'effectuer une révision pour cause de manque de
compétence — Il n'est pas nécessaire que la décision soit
manifestement déraisonnable — La décision par laquelle un
tribunal d'instance inférieure interprète une disposition qui
confère une compétence est susceptible de révision à cause
d'une simple erreur.
Il est question en l'espèce d'une demande de bref de prohibi
tion ayant pour but d'empêcher qu'un arbitre désigné en vertu
du paragraphe 242(1) du Code canadien du travail entende une
plainte de congédiement injuste. L'arbitre a conclu qu'il était
compétent pour entendre la plainte parce que le plaignant
n'était pas un «directeur» au sens du paragraphe 167(3) du
Code, qui exclut expressément les directeurs du régime légal de
l'arbitrage des griefs.
L'intimé avait été directeur du Centre régional de données de
la Banque canadienne impériale de commerce. Dans la hiérar-
chie de cette dernière, il y avait trois cadres entre l'intimé et le
président du conseil. Le centre de données, qui est chargé des
besoins de traitement des informations de la Banque dans toute
la région, emploie 200 personnes et a un budget annuel de
10 000 000 $. L'intimé avait le pouvoir d'embaucher et de
promouvoir 85 % de son personnel sans consulter le siège de la
Banque. Pour les 15 % d'employés de niveau supérieur du
centre de données, c'est la direction de la Banque à Toronto qui
prenait les décisions, à la suite de recommandations de l'intimé.
A l'époque où M. Bateman dirigeait le centre de données, il
n'était arrivé qu'une fois seulement que la direction de la
Banque embauche un employé malgré ses objections vigoureu-
ses. Il était chargé de fixer les salaires, dans les limites des
échelles qu'avait prescrites le siège social pour chaque poste, et
celles-ci étaient déterminées sans consulter l'intimé ou ses
homologues d'autres centres de données. Ce n'était qu'avec
l'accord du siège social qu'il pouvait payer des salaires excédant
les échelles; cet accord était habituellement donné, mais pas
toujours sans discussions. Le siège social déterminait le nombre
d'employés dont M. Bateman disposerait après avoir pris con-
naissance des recommandations de ce dernier.
Jugement: la demande devrait être accueillie.
La clause privative de l'article 243, selon laquelle l'ordon-
nance de l'arbitre n'est pas «susceptible de recours judiciaires»,
ne fait pas obstacle à la tenue d'une révision pour cause
d'erreur juridictionnelle. Il n'est pas nécessaire que la décision
de l'arbitre soit manifestement déraisonnable pour qu'il y ait
prohibition. Lorsque la question en cause est le sens d'une
disposition législative qui limite les pouvoirs d'un tribunal, une
simple erreur d'interprétation lui fera perdre sa compétence et
donnera ouverture à une révision. Il importe d'adopter une
approche pragmatique et fonctionnelle pour déterminer si l'in-
terprétation de la disposition législative confère la compétence
au tribunal. Cette approche tient compte du libellé de la
disposition, de l'objet de la loi qui crée le tribunal, de la raison
d'être de ce tribunal, du domaine d'expertise de ses membres et
de la nature du problème soumis au tribunal.
Le paragraphe 167(3) exclut expressément les directeurs de
l'application de la Section XIV du Code. Il est évident que le
législateur envisageait que cette disposition définisse et circons-
crive l'examen qu'un arbitre a le droit d'effectuer. Même si le
mot «directeur» n'est pas défini, en laisser la définition au soin
de l'arbitre permettrait d'étendre sa compétence bien au-delà
de ce que le législateur envisageait.
La Section a pour objet de procurer aux travailleurs non
syndiqués une procédure sommaire de règlement des griefs,
semblable à celle que comportent habituellement les conven
tions collectives. Même si le paragraphe 167(3) n'était pas
destiné à exclure toutes les personnes qui exercent quelques
fonctions de direction, il ne faudrait pas juger que cette disposi
tion s'écarte trop loin des classifications utilisées dans les
relations de travail normales.
L'arbitre a interprété erronément le paragraphe 167(3) en
déclarant que pour qu'un employé soit considéré comme un
«directeur» il fallait que son degré d'autonomie soit, sinon
absolu, alors très considérable. En tant que membre de la haute
direction de la CIBC, M. Bateman jouissait d'une grande
autonomie et d'importants pouvoirs discrétionnaires pour admi-
nistrer un 'service de grande envergure. L'arbitre s'est trompé
en exigeant que le pouvoir d'administrer devait être indépen-
dant d'un examen de l'extérieur. Même le président du conseil
d'une grande société doit rendre compte au conseil d'adminis-
tration.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Code canadien du travail, L.R.C. (1985), chap. L-2, art.
167(2),(3), 240(1) (mod. par L.R.C. (1985) (1»'
suppl.), chap. 9, art. 15), 242 (mod., idem, art. 16),
243.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Sedpex, Inc. c. Canada (Un arbitre nommé sous le
régime du Code canadien du travail), [1989] 2 C.F. 289;
(1988), 34 Admin. L.R. 23; 25 F.T.R. 3 (1' inst.);
Lee-Shanok c. Banque Nazionale del Lavoro du Canada,
[1987] 3 C.F. 578; (1987), 26 Admin. L.R. 133; 76 N.R.
359 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Bell c. Ontario Human Rights Commission, [1971]
R.C.S. 756; 18 D.L.R. (3d) 1; U.E.S., Local 298 c.
Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048; (1988), 35 Admin. L.R.
153; 95 N.R. 161.
DÉCISIONS CITÉES:
Avalon Aviation Ltd. c. Desgagné (1981), 42 N.R. 337
(C.A.F.); Le syndicat canadien de la Fonction publique,
section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-
Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227; Syndicat des employés
de Production du Québec et de l'Acadie c. Conseil cana-
dien des relations de travail, [1984] 2 R.C.S. 412;
(1984), 14 D.L.R. (4th) 457; 55 N.R. 321; 14 Admin.
L.R. 72; 84 CLLC 14 069; Caimaw v. Paccar of Canada
Ltd., [1989] 2 R.C.S. 983; (1989), 62 D.L.R. (4th) 437;
[1989] 6 W.W.R. 673; 102 N.R. 1; Canada (Procureur
général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada,
[1991] 1 R.C.S. 614.
AVOCATS:
Kitty J. Heller pour la requérante.
F. A. Schroeder pour l'intimé Earl Bateman.
PROCUREURS:
Owen, Bird, Vancouver, pour la requérante.
Schroeder, Pidgeon, Vancouver, pour l'intimé
Earl Bateman.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE CULLEN: Il est question dans cette
affaire d'une demande de bref de prohibition ayant
pour but d'empêcher que M. Graham Leslie, un
arbitre désigné en vertu de l'article 242 du Code
canadien du travail, L.R.C. 1985, chap. L-2 [mod.
par L.R.C. (1985) (1" suppl.), chap. 9, art. 16]
(ci-après appelé le «Code»), continue d'entendre la
plainte de Earl Bateman, qui prétend avoir été
congédié injustement par la requérante, la Banque
canadienne impériale de commerce (ci-après appe-
lée la «CIBC» ou la «Banque»). La requérante
tente aussi d'obtenir une ordonnance de certiorari
annulant la décision préliminaire de l'arbitre selon
laquelle M. Bateman n'occupait pas un poste de
«directeur» auprès de la requérante au sens du
paragraphe 167(3) du Code. En outre, la requé-
rante tente d'obtenir une injonction interlocutoire
ou, subsidiairement, une suspension des procédures
pour empêcher l'arbitre de trancher la plainte de
congédiement injustifié de M. Bateman avant que
la présente Cour se prononce sur l'affaire.
RAPPEL DES FAITS
M. Bateman a été au service de la CIBC en tant
que directeur du Centre régional de données (ci-
après appelé le «CRD») de la Banque à Vancouver,
jusqu'au 12 mars 1990, date à laquelle il fut
congédié. Estimant que la Banque l'avait injuste-
ment congédié, M. Bateman déposa une plainte en
vertu du paragraphe 240(1) [mod. par L.R.C.
(1985) (ler suppl.), chap. 9, art. 15] du Code. Aux
termes du paragraphe 242(1), le ministre du Tra
vail désigna un arbitre pour entendre la plainte. À
l'audience, la requérante souleva une objection
préliminaire, à savoir que l'arbitre était incompé-
tent pour entendre l'affaire parce que M. Bateman
était un «directeur» au sens du paragraphe 167(3)
du Code. Selon ce paragraphe, la section XIV du
Code, où figurent les dispositions applicables aux
cas de congédiement injustifié, «ne s'applique pas
aux employés qui occupent le poste de directeur».
L'arbitre entendit les éléments de preuve des par
ties au sujet de la question de savoir si M. Bate-
man était un «directeur» ou non. Dans la décision
écrite qu'il rendit au sujet de l'objection prélimi-
naire, le 22 mars 1991, l'arbitre conclut que M.
Bateman n'était pas un «directeur» au sens du
paragraphe 167(3) et qu'il était compétent pour
entendre la plainte de ce dernier. C'est à ce
moment que la CIBC formula la présente
demande de bref de prohibition et autres mesures
pour empêcher l'arbitre d'entendre la plainte en
question.
LA DÉCISION DE L'ARBITRE
Dans sa décision préliminaire, l'arbitre a tout
d'abord examiné la jurisprudence concernant le
sens du mot «directeur», car ce dernier n'est pas
défini dans le Code. Après avoir analysé plusieurs
décisions de la Cour d'appel fédérale et d'autres
arbitres, l'arbitre a conclu que le mot «directeur»
n'englobe pas tous les employés qui exécutent des
fonctions de direction. Adoptant le raisonnement
du juge Heald, J.C.A., dans l'arrêt Avalon Avia-
tion Ltd. c. Desgagné (1981), 42 N.R. 337
(C.A.F.), l'arbitre a déclaré qu'au paragraphe
167(3) le mot «directeur» est utilisé dans un sens
restrictif et que l'on ne peut se fonder en bloc sur
la distinction qui est habituellement faite entre les
«directeurs» et les «employés» dans le contexte d'un
régime de négociation collective pour déterminer si
une personne est un «directeur» au sens du para-
graphe 167(3). L'arbitre a noté l'observation du
juge Heald, J.C.A., selon laquelle l'emploi du mot
«directeur» au paragraphe 167(3) fait contraste
avec ce qui est indiqué juste avant, à l'alinéa a) du
paragraphe 167(2), qui a trait à l'application de la
Section I du Code («ceux qui occupent un poste de
directeur ou de chef ou qui exercent des fonctions
de direction ...»). Le juge Heald, J.C.A., a conclu
que le mot «directeur», au paragraphe 167(3),
englobe plus que l'exercice de fonctions de direc
tion, car le paragraphe 167(2) distingue les per-
sonnes «qui occupent un poste de directeur» de
celles «qui exercent des fonctions de direction» et
«qui occupent un poste de chef».
L'arbitre a ainsi conclu que
[TRADUCTION] «Le législateur a délibérément choisi de faire
une distinction entre «ceux qui occupent un poste de directeur»,
«ceux qui occupent un poste de chef» et les employés qui
«exercent des fonctions de direction» dans le but exprès de faire
profiter tous les employés n'appartenant pas à une unité de
négociation des avantages de la Section XIV du Code, à
l'exception des personnes qui font partie des échelons les plus
élevés de la direction.»
Comme M. Bateman exerçait manifestement cer-
taines fonctions de direction, l'arbitre a déterminé
que le point en litige consistait à déterminer si le
requérant était un «chef», et donc admissible à
l'arbitrage, ou s'il était un «directeur». Après avoir
comparé les définitions de ces deux termes données
dans des dictionnaires, il a conclu son analyse
comme suit:
[TRADUCTION] Lorsque l'on compare le sens du mot «direc-
teur» et celui du mot «chef», on constate que les deux se
recoupent dans une grande mesure. Les deux impliquent l'exer-
cice d'une direction et d'un contrôle sur d'autres personnes. Les
deux envisagent que cette direction et ce contrôle sont exercés
sur une entité d'une taille appréciable. Il est très important
dans une affaire comme celle dont j'ai été saisi que le mot
«chefu englobe la charge de chef, ainsi que la direction et le
contrôle exercés sur une entreprise, un établissement ou des
travaux.
Lorsque l'on cherche les caractéristiques distinctives, c'est le
facteur de l'autonomie qui, manifestement, semble 'être le plus
important, sinon le seul qui soit important. Ma conclusion
repose sur la définition que donne le Oxford English Dictionary
du mot «(to) manage», qui signifie diriger le cours des affaires
par ses propres actions. Pour qu'un employé soit considéré
comme un «directeur» plutôt que comme un «chef», il fait à mon
avis que le degré d'autonomie dont un employé jouit doit être,
s'il n'est pas absolu, très considérable. Ma décision dans cette
affaire reposera sur cette conclusion.
L'arbitre a ensuite passé en revue plusieurs
aspects des rapports entre M. Bateman et la
Banque afin de déterminer si l'on pouvait considé-
rer que le poste qu'occupait M. Bateman était un
élément de la direction de la CIBC. Les aspects
qu'a examinés l'arbitre pour déterminer si M.
Bateman était habilité à agir avec «indépendance
et autonomie» au sujet de questions importantes
pour la CIBC étaient, notamment les suivants: a)
la structure générale de la Banque, b) le pouvoir
d'engager et de muter des employés, c) le contrôle
exercé sur les salaires, d) la détermination des
besoins de personnel et e) le pouvoir de prendre
des mesures disciplinaires à l'endroit des employés.
Structure générale:
La CIBC compte en tout 48 500 employés à
temps plein et à temps partiel. Elle se compose de
quatre unités: la Banque pour l'entreprise, la
Banque pour les particuliers, la Banque d'investis-
sement et la Banque de gestion administrative. M.
Bateman était rattaché à cette dernière entité.
Chacune de ces unités est dirigée par un président
qui relève directement du président et chef de la
direction de la Banque. Huit vice-présidents char-
gés de secteurs opérationnels, comme les inspec
tions, les communications générales, les ressources
humaines, les services juridiques et les systèmes
d'information, relèvent du président de la Banque
administrative, M. Ian Ronald. Le Service des
systèmes d'information est l'entité qui est de loin la
plus importante au sein de la Banque Administra
tive, et elle regroupe 3 100 des 4 400 employés que
compte cette dernière. Le Service se compose de
huit centres régionaux de données (appelés «data
centres» en français à la CIBC), où l'on répond
aux besoins en traitement de données de chaque
région, comme les états de compte, les compensa
tions de chèques et autres opérations.
M. Bateman fut nommé directeur du Centre
régional de données (CRD) de Vancouver en 1987.
Il était au service de la CIBC depuis 1976, et
occupait le poste de directeur du CRD de London
depuis 1979. A Vancouver, M. Bateman avait 200
employés à surveiller. Le CRD était ouvert sept
jours par semaine, et son budget de fonctionne-
ment annuel était d'environ 10 000 000 $ en 1989
et 1990. Il s'agit du deuxième CRD en importance
de la CIBC, et sa taille est environ le quart de celle
du centre principal de données de Toronto.
Avant le mois de novembre 1989, M. Bateman,
en sa qualité de directeur du CRD de Vancouver,
relevait de M. Donald Clarke, qui exerçait les
fonctions de directeur général adjoint du Service
des systèmes d'information. M. Clarke relevait
pour sa part de M. Tom Saar, vice-président prin
cipal chargé des opérations, et ce dernier état
comptable envers M. George Hare, le vice-prési-
dent exécutif du Service. Au mois de septembre
1989, M. Clarke quitta la CIBC; son poste fut
aboli et un échelon de la hiérarchie fut supprimé.
M. Saar quitta la CIBC en novembre 1989 et fut
remplacé par M. Wayne Maysuik.
En s'appuyant sur les renseignements qui précè-
dent, l'arbitre a déterminé que M. Bateman était
le principal représentant de la direction de la
CIBC à Vancouver. Il se situait au quatrième
échelon de la hiérarchie de la Banque Administra
tive, et ses supérieurs étaient MM. Maysuik, Hare
et Ronald au siège social de la Banque à Toronto.
Pouvoir d'embaucher:
L'arbitre a jugé que M. Bateman avait [TRA-
DUCTION] «toute latitude pour prendre des déci-
sions» au sujet de l'embauchage, de la promotion et
de la mutation de 85 % des 200 employés du CRD,
c'est-à-dire les employés dont le salaire était infé-
rieur à un certain niveau. Quant aux décisions
concernant les choix de carrière des autres
employés dont la rémunération était supérieure au
niveau en question, M. Bateman était tenu de
soumettre des recommandations à l'approbation de
son surveillant immédiat à Toronto, M. Wayne
Maysuik. L'arbitre a découvert que toutes les
recommandations de M. Bateman avaient été
approuvées, sauf une, où ses supérieurs à Toronto
avaient nommé un employé en dépit de ses vigou-
reuses objections. L'arbitre a jugé qu'il s'agis-
sait-là d'une preuve que [TRADUCTION] «la lati
tude (de M. Bateman) sur ce plan était
subordonnée à l'intérêt prépondérant de ses supé-
rieurs à Toronto». L'arbitre a aussi déterminé que
le vice-président des opérations des Centres de
données à Toronto demeurait responsable de toutes
les nominations aux postes qui relevaient directe-
ment de M. Bateman en tant que directeur du
CRD de Vancouver.
Salaires:
L'arbitre a aussi examiné de près le rôle que
joua M. Bateman dans les appréciations annuelles
du rendement des employés du CRD de Vancou-
ver. Ces appréciations avaient une incidence
directe sur toute augmentation salariale que tou-
cheraient les employés. Bien que les parties ne
soient pas tout à fait d'accord sur ce point (voir la
page 15 de l'onglet «S» et la page 3 de l'onglet «3»
du dossier du requérant), c'est, semble-t-il, les
directeurs de CRD, agissant dans le cadre des
lignes directrices et des budgets fixées par le siège
social de la CIBC, qui détermineraient l'augmen-
tation salariale à laquelle un employé aurait droit.
L'arbitre a déterminé que M. Bateman avait [TRA-
DUCTION] «toute latitude pour accorder les aug
mentations qui correspondaient aux lignes directri-
ces, mais que pour les cas d'exception il fallait
obtenir l'accord du chef des opérations des Centres
de données à Toronto». Il a jugé qu'il n'y avait
aucune preuve que les directeurs de CRD contri-
buaient de quelque façon à la détermination des
échelles salariales, qui avaient été fixées par la
CIBC de manière à maintenir des niveaux unifor-
mes dans tout le pays. Il a aussi déterminé que les
échelles salariales avaient pour effet de procurer
aux directeurs de CRD un [TRADUCTION] «degré
limité de pouvoir par lequel, dans le cadre de
lignes directrices assez restreintes, ils pouvaient à
la fois reconnaître les réalisations supérieures de
leurs subalternes et pénaliser les employés dont le
rendement était inférieur à la norme».
Les directeurs de CRD pouvaient demander que
des exceptions soient faites aux lignes directrices
afin de récompenser un rendement exceptionnel.
La direction à Toronto approuva un nombre
important de ces demandes, mais la preuve a
révélé qu'entre 1988 et 1990, très peu d'exceptions
furent proposées par les directeurs de CRD, si ce
n'est celles de M. Bateman. La plupart de ses
recommandations furent finalement approuvées,
mais seulement qu'après qu'on lui fit savoir que
leur nombre total était inacceptable et qu'il devait
les réexaminer et les soumettre de nouveau.
Détermination des besoins de personnel:
Les directeurs de CRD étaient tenus de proposer
au siège social un nombre approprié d'employés à
temps plein pour leur centre en prenant pour base
la quantité de travail anticipée, telle qu'évaluée
par les directeurs en consultation avec des repré-
sentants régionaux d'autres unités bancaires de la
CIBC, ainsi que des données fournies par le siège
social. Ce dernier était habilité à approuver ces
estimations de personnel, et toute mesure d'em-
bauchage qui aurait pour effet d'excéder le
nombre approuvé nécessitait l'autorisation préala-
ble de la direction à Toronto. L'arbitre a déter-
miné que [TRADUCTION] «c'était le jugement de la
direction à Toronto qui primait indubitablement
celui du directeur de centre de données». L'arbitre
a fait état d'un incident survenu en 1989 où la
direction à Toronto décida unilatéralement que le
CRD de Vancouver comptait cinq postes de plus
que le nombre requis et réduisit l'effectif d'autant
malgré les protestations de M. Bateman qui esti-
mait que ces postes étaient nécessaires pour attein-
dre les objectifs qu'il avait fixés pour le CRD.
Mesures disciplinaires:
L'arbitre a décrété que [TRADUCTION] «le
bureau régional du plaignant n'empêchait nulle-
ment ce dernier d'exercer la discipline au Centre.
Quant aux contraintes imposées par Toronto, j'en
suis bien moins convaincu». Bien que les éléments
de preuve soient contradictoires, l'arbitre a déter-
miné que tous les congédiements que proposaient
les directeurs de centre de données étaient soumis
à l'autorisation préalable de la direction à Toronto.
Quant aux mesures disciplinaires qui furent prises,
et ce, jusqu'au niveau du congédiement exclusive-
ment, il y a des preuves qu'à une occasion M.
Bateman reçut l'ordre de ses supérieurs de prendre
des mesures disciplinaires à l'endroit de certains
employés. L'arbitre a conclu que si le siège social
ne se mêlait pas souvent de la discipline qu'exer-
çait M. Bateman, cette retenue [TRADUCTION]
«est à attribuer davantage au bon jugement (de M.
Bateman) dans la majorité des cas qu'à la préten-
tion de la Banque qu'il avait toute la latitude
voulue dans tous les cas sauf pour ce qui est des
congédiements».
Après avoir examiné d'autres questions, comme
la contribution des directeurs de CRD à des
aspects tels que les budgets et la formulation de
lignes directrices, l'arbitre a conclu que l'accent
que mettait la CIBC sur l'uniformité, la normali
sation et le contrôle central des opérations à partir
de Toronto était incompatible avec l'autonomie et
l'indépendance véritables dont jouissent les direc-
teurs. Il a résumé ses conclusions comme suit: (à
l'onglet «S», pages 27 et 28 du dossier du
requérant):
[TRADUCTION] «La CIBC, ou tout organisme dont la taille ou
la complexité sont analogues, a selon moi un choix à faire au
sujet de la mesure dans laquelle elle décentralisera ses opéra-
tions ainsi que du degré d'autonomie qu'elle conférera aux
membres locaux et régionaux de son équipe de direction. Il y a
un risque de conflit permanent au sein d'un tel organisme entre
les forces qui prônent un contrôle centralisé rigoureux en vue
d'assurer l'uniformité des opérations et les forces qui cherchent
à favoriser l'autonomie individuelle et l'indépendance qui
découle de la fixation d'objectifs généraux et étendus et du
maintien de la responsabilité en vue d'obtenir des résultats
fructueux. Certains des éléments de preuve qui m'ont été
soumis donnent à penser que ce point crée un certain flux et
reflux.
J'en suis venu à la conclusion que les tenants du contrôle
centralisé sont de plus en plus nombreux au sein du Service de
la technologie de l'information de la Banque administrative de
la CIBC, et notamment au sein de ses opérations relatives aux
centres des données. Il ne fait aucun doute dans mon esprit que
c'est à Toronto que sont prises toutes les décisions qui ont une
importance pour la Banque. Le fait que le siège social encou
rage ses directeurs de centre de données à contribuer au
processus décisionnel ne change pas dans une grande mesure
ma conclusion ...
Et, de conclure l'arbitre (à l'onglet «S», page
30):
[TRADUCTION] L'avocat de l'employeur a produit des éléments
de preuve abondants pour montrer que le plaignant n'était pas
uniquement un membre de l'équipe de direction et, par consé-
quent, un employé qui exerçait des fonctions de direction, mais
qu'il s'agissait d'un membre d'un rang relativement élevé au
sein de cette équipe. Les arguments de l'employeur m'ont
convaincu que le plaignant jouissait en fait d'un degré d'auto-
nomie et d'indépendance qui lui permettait de décider de
certaines questions dans le cadre de limites assez étroites que
fixaient ses supérieurs à Toronto. Cependant, ce degré d'auto-
nomie était insuffisant pour me convaincre que le plaignant
satisfaisait au critère qui permet de différencier les directeurs
des chefs.
LE POINT EN LITIGE
L'arbitre s'est-il trompé en décrétant qu'il était
compétent pour entendre la plainte après avoir
conclu que M. Bateman n'était pas un «directeur»?
ANALYSE
Introduction:
Le juge Strayer a examiné dans l'affaire
Sedpex, Inc. c. Canada (Un arbitre nommé sous le
régime du Code canadien du travail), [1989] 2
C.F. 289 (1" inst.) les dispositions du Code cana-
dien du travail qui ont trait aux cas de congédie-
ment injuste. Le juge a résumé en ces termes (à la
page 293) la procédure prévue:
L'insertion de l'article 61.5 [aujourd'hui l'article 240] dans le
Code a effectivement eu pour objet l'établissement d'une procé-
dure de grief destinée aux employés réglementés par le gouver-
nement fédéral qui ne sont pas protégés par des conventions
collectives; cet article devait leur permettre de déposer des
plaintes en matière de congédiement injustifié. Lorsqu'une telle
plainte est déposée et qu'aucun règlement n'intervient dans le
litige, le ministre peut nommer un arbitre. Si cet arbitre conclut
au terme d'une audition que la personne visée a été congédiée
injustement, il peut ordonner que celle-ci soit indemnisée ou
réintégrée dans ses fonctions, ou il peut ordonner un autre
redressement approprié. Le paragraphe 61.5(14) déclare
expressément que cet article ne suspend ni ne modifie aucun
recours civil que l'employé peut avoir contre son employeur ..
Avant d'examiner la question de fond qui con-
siste à savoir si M. Bateman était un «directeur» au
sens où l'entend le Code, il y a quelques questions
préliminaires qui doivent être réglées. Tout
d'abord, il est à noter que les causes soumises à un
arbitre sont dans certains cas protégées contre un
examen judiciaire par les clauses privatives
suivantes:
243. (1) Les ordonnances de l'arbitre désigné en vertu du
paragraphe 242(1) sont définitives et non susceptibles de
recours judiciaires.
(2) Il n'est admis aucun recours ou décision judiciaire—
notamment par voie d'injonction, de certiorari, de prohibition
ou de quo warranto—visant à contester, réviser, empêcher ou
limiter l'action d'un arbitre exercée dans le cadre de l'article
242.
Selon moi, ces clauses privatives ne font pas obsta
cle à la tenue d'une révision judiciaire dans la
présente instance. Dans l'affaire Sedpex, précitée,
un bref de prohibition était demandé pour empê-
cher un arbitre d'entendre une plainte de congédie-
ment injuste pour le motif que l'arbitre était
incompétent, et ce, parce que le licenciement en
question était censément imputable à une mise à
pied due à un «manque de travail», ce qui, en vertu
du Code, empêchait d'examiner la plainte. Le juge
Strayer a statué que les clauses privatives citées
ci-dessus n'empêchaient pas la Cour de réviser les
erreurs juridictionnelles. Voici ce qu'il a déclaré (à
la page 295 du recueil, notes en bas de page
omises):
Il est également important de noter l'existence de clauses
privatives ... Si [le paragraphe 243(1)] pourrait être inapplica
ble en tout état de cause par le fait qu'aucune «ordonnance» n'a
été prononcée par l'arbitre, le [paragraphe 243(2)], qui a pour
objet de défendre qu'un tribunal décerne un bref pour «interdire
ou restreindre une activité exercée par un arbitre» pourrait être
considéré comme applicable. Toutefois, il a été établi depuis
longtemps que l'existence de telles clauses privatives n'empê-
chait pas que la décision d'un tribunal ayant excédé sa compé-
tence soit susceptible de révision judiciaire au sujet de la
question juridictionnelle. De plus, les tribunaux ont considéra-
blement étendu le concept de l'erreur juridictionnelle pour lui
faire viser les décisions rendues de mauvaise foi, les décisions
prononcées sur le fondement de preuves non pertinentes, les
décisions prononcées sans prendre en considération des preuves
pertinentes, les interprétations erronées de lois et les violations
de la justice naturelle.
Étant donné qu'une question juridictionnelle est
également en jeu en l'espèce, il est aussi autorisé
d'effectuer une révision judiciaire dans cette
affaire.
La compétence de l'arbitre et le critère de révision:
Deuxièmement, il faut aussi déterminer le cri-
tère de révision judiciaire qui convient. L'intimé,
M. Bateman, a fait valoir avec force que la Cour
n'a pas à se mêler de la décision préliminaire de
l'arbitre, alléguant qu'elle ne devrait pas substituer
sa conclusion sur le point en litige à celle de
l'arbitre. Selon moi, toutefois, il convient que, dans
la présente affaire, la Cour détermine les questions
de droit en jeu avant toute autre procédure, et
qu'elle examine ensuite s'il faut décerner un bref
de prohibition parce que l'arbitre était incompé-
tent. Il existe des précédents selon lesquels, dans
les causes où les points en jeu sont essentiellement
des questions de droit, et où les faits ne sont pas
contestés, il convient que la Cour examine les
questions de droit en cause et décide s'il est justifié
de décerner un bref de prohibition parce que le
tribunal a excédé sa compétence: voir à ce sujet
l'affaire Bell c. Ontario Human Rights Commis
sion, [1971] R.C.S. 756. L'affaire dont il est ques
tion ici s'articule autour d'une question de droit
relativement abstraite, savoir l'interprétation à
donner au mot «directeur». De plus, les éléments
qui justifient la tenue d'une telle révision ont plus
de poids en l'espèce que dans l'affaire Bell. Dans la
présente affaire, la Cour a l'avantage de disposer
des conclusions de fait étendues de l'arbitre, et les
questions de droit en cause ont été longuement
débattues, tant devant l'arbitre que devant la
Cour. Dans l'affaire Bell, aucun argument n'avait
été soumis au tribunal avant la demande de bref de
prohibition, ce qui signifie que la Cour ne pouvait
compter sur l'expertise du tribunal. Quant aux
faits, la preuve soumise à la Cour dans l'affaire
Bell se composait d'un unique affidavit de la partie
requérante.
J'ajouterai aussi qu'en plus d'être compatible
avec l'affaire Bell, la révision d'une erreur juridic-
tionnelle en l'espèce serait aussi conforme aux
critères de révision judiciaire les plus récents qu'a
fixés la Cour suprême du Canada.
Pour que la présente Cour puisse décerner un
bref de prohibition, l'arbitre doit avoir assumé une
compétence qu'il ne possédait pas. Dans cette
affaire-ci, l'arbitre aurait pu avoir excédé sa com-
pétence de deux façons, suivant l'interprétation
donnée au paragraphe 167(3) et, notamment, au
mot «directeur». S'il est déterminé que la question
de savoir qui est un «directeur» aux fins du para-
graphe 167(3) est un aspect qui, selon ce que le
législateur envisageait, s'inscrivait dans les limites
de la compétence conférée à l'arbitre, la décision
de ce dernier ne peut être révisée pour cause
d'excès de compétence que si l'interprétation qu'il
a faite est manifestement déraisonnable: voir à ce
sujet l'affaire Le syndicat canadien de la Fonction
publique, section locale 963 c. Société des alcools
du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227. En
revanche, s'il est déterminé que le paragraphe
167(3) est une disposition législative qui confère la
compétence nécessaire à l'arbitre ou qui la circons-
crit, le critère de révision approprié n'est pas celui
de savoir si la décision est «manifestement dérai-
sonnable» mais plutôt si elle est «juste» aux yeux de
la présente Cour: voir à cet égard l'affaire Syndi-
cat des employés de production du Québec et de
l'Acadie c. Conseil canadien des relations du tra
vail, [1984] 2 R.C.S. 412.
Le juge Beetz, dans l'affaire U.E.S., Local 298
c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048, a résumé en ces
termes, à la page 1086, les règles de droit relatives
à cette question:
On peut je pense résumer en deux propositions les circons-
tances dans lesquelles un tribunal administratif excède sa com-
pétence à cause d'une erreur:
1. si la question de droit en cause relève de la compétence du
tribunal, le tribunal n'excède sa compétence que s'il erre
d'une façon manifestement déraisonnable. Le tribunal qui
est compétent pour trancher une question peut, ce faisant,
commettre des erreurs sans donner ouverture à la révision
judiciaire.
2. si, par contre, la question en cause porte sur une disposition
législative qui limite les pouvoirs du tribunal, une simple
erreur fait perdre compétence et donne ouverture à la révi-
sion judiciaire.
Dans l'affaire Lee-Shanok c. Banque Nazionale
del Lavoro du Canada, [1987] 3 C.F. 578, le juge
Stone J.C.A., s'exprimant au nom de la Cour
d'appel fédérale, a statué que la détermination par
un arbitre qu'une personne est un «directeur» exige
d'interpréter une disposition légale qui confère une
compétence ou la circonscrit. Par conséquent, le
critère de «l'erreur manifestement déraisonnable»
ne s'applique pas en l'espèce, et la décision de
l'arbitre peut être révisée pour de simples erreurs
de droit.
Je souscris avec respect au raisonnement de la
Cour d'appel fédérale dans l'affaire Lee-Shanok
qui, selon moi, tranche la question de la compé-
tence. Cependant, depuis cette décision, la Cour
suprême du Canada a amélioré et modifié le cri-
tère à employer pour déterminer si l'on peut consi-
dérer qu'une disposition légale confère une compé-
tence, ou qu'il s'agit d'une question qui relève de la
compétence de l'arbitre. Dans l'affaire Bibeault,
précitée, le juge Beetz a déclaré qu'il faut suivre
une approche pragmatique et fonctionnelle pour
trancher la question [à la page 1088]:
L'analyse formaliste de la doctrine de la condition préalable
cède le pas à une analyse pragmatique et fonctionnelle, associée
jusqu'ici à la notion d'erreur manifestement déraisonnable. À
première vue, il peut paraître que l'analyse fonctionnelle appli-
quée jusqu'ici aux cas d'erreur manifestement déraisonnable ne
convienne pas aux cas où l'on allègue une erreur au sujet d'une
disposition législative qui circonscrit la compétence d'un tribu
nal. La différence entre ces deux espèces d'erreur est évidente:
seule une erreur manifestement déraisonnable entraîne un excès
de compétence quand la question en cause relève de la compé-
tence du tribunal tandis que, quand il s'agit d'une disposition
legislative qui circonscrit la compétence du tribunal, une simple
erreur entraîne une perte de compétence. Il n'en reste pas moins
que la première étape de l'analyse nécessaire à la notion de
l'erreur «manifestement déraisonnable» consiste à déterminer la
compétence du tribunal administratif. À cette étape, la Cour
examine non seulement le libellé de la disposition législative qui
confère la compétence au tribunal administratif, mais égale-
ment l'objet de la loi qui crée le tribunal, la raison d'être de ce
tribunal, le domaine d'expertise de ses membres, et la nature du
problème soumis au tribunal.
L'approche pragmatique et fonctionnelle des ques
tions de compétence a été adoptée par la Cour
suprême du Canada dans les affaires Caimaw c.
Paccar of Canada Ltd., [1989] 2 R.C.S. 983 et
Canada (Procureur général) c. Alliance de la
Fonction publique du Canada, [1991] 1 R.C.S.
614. Selon moi, l'application des facteurs énoncés
dans l'affaire Bibeault à la présente espèce mène,
en ce qui concerne la question de la compétence, à
la même conclusion que celle à laquelle est arrivé
le juge Stone, J.C.A., dans l'affaire Lee-Shanok.
Pour ce qui est du libellé du texte législatif, la
disposition principale est le paragraphe 167(3):
167....
(3) La Section XIV ne s'applique pas aux employés qui
occupent le poste de directeur.
Il est évident qu'en excluant expressément l'ap-
plication des dispositions de la Section XIV du
Code relatives aux congédiements injustes aux per-
sonnes qui occupent un poste de «directeur», le
législateur envisageait que cette disposition défi-
nisse et circonscrive l'examen qu'un arbitre a le
droit d'effectuer. Le paragraphe 167(3) revêt un
caractère manifestement «juridictionnel>, dans le
sens où ce terme est habituellement employé. Il est
vrai que puisque le mot «directeur» n'est pas défini
dans le Code, on pourrait faire valoir qu'il s'agit
d'une question à laisser au jugement de l'arbitre.
Toutefois, une telle approche pourrait avoir pour
résultat d'étendre la compétence de l'arbitre bien
au-delà de ce que le législateur envisageait si
l'arbitre adoptait une définition excessivement
étroite du mot «directeur». Ainsi que le juge Heald,
J.C.A., l'a noté dans l'affaire Avalon Aviation,
précitée, la comparaison du mot «directeur», au
paragraphe 167(3), avec celui qui figure dans les
paragraphes précédents donne à penser qu'il a un
sens un peu plus restreint au paragraphe 167(3)
que dans d'autres contextes. Cependant, comme il
n'est pas indiqué expressément à la Section XIV
que la détermination de ce point relève de la
compétence exclusive de l'arbitre, j'hésite à con-
clure que ce dernier peut entendre les plaintes
d'employés même si une telle conclusion tendrait à
être «manifestement déraisonnable». Cela pourrait
avoir pour résultat de rendre quasi superflue la
restriction clairement énoncée au paragraphe
167(3).
Quant à l'objet de la loi et au motif de l'exis-
tence de l'arbitre, il semble, selon une lecture de la
Section XIV, que cet objet était de procurer aux
employés fédéraux non syndiqués une procédure
sommaire de règlement des griefs qui refléterait la
protection dont jouissent les employés qui sont
régis par une convention collective: voir à ce sujet
ce qu'a dit le juge Strayer dans l'affaire Sedpex
(citation précitée). Comme les directeurs ne sont
pas en mesure de se prévaloir de la procédure de
règlement des griefs dans le contexte habituel des
relations de travail, il va de soi que certains direc-
teurs n'étaient pas censés bénéficier de l'avantage
de la Section XIV, compte tenu de la conclusion de
l'affaire Avalon, à savoir que le paragraphe 167(3)
n'était pas destiné à exclure de l'arbitrage toutes
les personnes qui exercent quelques fonctions de
direction. J'hésiterais donc à juger que le paragra-
phe 167(3) s'écarte trop loin des classifications
utilisées dans les relations de travail normales.
Quant au domaine d'expertise de l'arbitre, il est
vrai que les arbitres qui sont désignés en vertu de
l'article 240 du Code détiennent habituellement
une expérience et des connaissances spécialisées au
sujet de certaines questions relatives aux cas de
congédiement injuste. Cependant, la disposition
législative en question n'indique pas clairement
que c'est à l'arbitre qu'il revient de trancher un
litige comme celui dont il est question en l'espèce.
Si j'applique une approche pragmatique et fonc-
tionnelle, je conclurais que, tout compte fait, il
n'était pas envisagé que la détermination de la
question de savoir qui est un «directeur», aux fins
du paragraphe 167(3), relevait de la compétence
conférée à l'arbitre. L'étape suivante consiste à
examiner l'interprétation qu'a foite l'arbitre du
mot «directeur» afin de déterminer s'il a commis
une erreur de droit. Le mot «directeur» n'étant pas
défini, il est nécessaire de consulter des décisions
antérieures pour déterminer ce qu'il signifie.
Dans l'affaire Lee-Shanok c. Banque Nazionale
del Lavoro du Canada, l'arbitre a décidé qu'il était
incompétent parce qu'il avait conclu que le requé-
rant occupait un poste de «directeur». Cette per-
sonne avait été engagée comme chef cambiste en
décembre 1982, mais n'avait travaillé que comme
simple cambiste jusqu'à son congédiement en mars
1985. Les fonctions du requérant consistaient à
effectuer des opérations de change, et le poste qu'il
occupait était considéré comme hautement spécia-
lisé. En exécutant ses fonctions, il était soumis à
des restrictions et des lignes directrices fixées par
la compagnie. Il ne surveillait pas d'autres
employés, ne prenait pas de mesures disciplinaires
à leur endroit ou n'évaluait pas leur rendement.
Peu de temps avant son congédiement, le titre de
son poste avait été changé pour celui de «vice-pré-
sident adjoint», avec une augmentation de salaire
de 10 000 $ par année, mais son pouvoir et ses
fonctions demeuraient les mêmes. La Cour d'appel
fédérale a jugé qu'il n'occupait pas un poste de
directeur. Voici ce qu'a indiqué le juge Stone,
J.C.A., aux pages 588-589:
À mon sens, c'est avec prudence qu'il faut décider si un
plaignant particulier est un «directeur». [L'article 240] du Code
offre aux employés non régis par une convention collective un
redressement à l'égard d'un congédiement injuste et l'exception
figurant au [paragraphe 167(3)] soustrait les employés qui sont
des «directeurs» du groupe des personnes bénéficiant d'un tel
droit. En conséquence, cette exception ne devrait pas être
appliquée de manière à dépouiller le requérant de la protection
ainsi prévue du seul fait que les attributions de son emploi
comportaient l'exercice indépendant d'un pouvoir de décision.
Comme l'indique l'arbitre, la nature même du travail de cam-
biste sur le parquet de la salle de change exigeait un tel pouvoir
et une telle flexibilité. L'efficacité du requérant en dépendait.
Cependant, se fonder principalement sur un tel fait pour ranger
une personne dans la catégorie des «directeurs» équivaut, à mon
avis, à considérer son poste isolément du cadre général dans
lequel elle exerçait ses fonctions. Si le raisonnement de l'arbitre
est exact, le requérant devrait être considéré comme un «direc-
teur» même s'il travaillait avec plusieurs autres cambistes éga-
lement habilités à effectuer des opérations de change. Ses
collègues cambistes, en effet, devraient eux aussi être classifiés
de cette manière. Je ne puis être d'accord avec un tel
raisonnement.
Le juge Stone, J.C.A., a passé en revue la jurispru
dence et a déterminé que le mot «directeur» revê-
tait un caractère administratif plutôt qu'opération-
nel, et que les fonctions qu'exerçaient le requérant
ne comportaient pas d'élément administratif. Voici
ce qu'il a déclaré aux pages 589 et 590:
Dans l'affaire Gauthier, à la page 4 de sa décision, l'arbitre a
défini le terme «directeur» figurant au paragraphe 27(4) comme
désignant [TRADUCTION] «un administrateur habilité à accom-
plir des actions de façon indépendante et autonome, et investi
de pouvoirs discrétionnaires»; M. le juge Pratte, révisant cette
décision, n'a conclu à aucune erreur de droit en ce qui regarde
l'interprétation de ce terme. L'arbitre de l'affaire Desgagné a
adopté cette définition, et son interprétation du paragraphe visé
a, à son tour, été approuvée par M. le juge Heald à la page 341
de ses motifs de jugement. Avec déférence, il semble que
l'arbitre tranchant la présente affaire néglige la composante
[TRADUCTION] «administrative» de cette définition judiciaire-
ment approuvée, composante ressortant de l'utilisation, dans la
version française de ce paragraphe, du terme «directeur» qui,
selon Le Petit Robert, désigne la «personne qui dirige, est à la
tête». Il est clair que le requérant n'a rien dirigé ou administré
au sens de ces définitions. Il n'a pratiquement eu rien à dire lors
de l'établissement des lignes directrices; il n'a fait que s'en tenir
à son mandat de cambiste. Comme elle avait engagé le requé-
rant comme chef cambiste, l'intimée a-t-elle peut-être envisagé
qu'il prendrait la tête d'un service de change comprenant
plusieurs cambistes. En fait, le requérant était tout simplement
le seul cambiste employé par l'intimée, et jouait plutôt un rôle
d'exécutant que d'administrateur. Je suis incapable de voir de
quelle manière son emploi, comme tel, pouvait comporter l'élé-
ment administratif que je considère inhérent au terme «direc-
teur». En conséquence, j'estime que l'arbitre s'est trompé en
décidant qu'il n'était pas compétent à statuer sur le bien-fondé
de la plainte du requérant.
À mon avis, l'arbitre a interprété erronément le
paragraphe 167(3). Il a déclaré que, pour être
considéré comme un «directeur,,, au sens de cette
disposition, [TRADUCTION] «il faut que le degré
d'autonomie qu'exerce un employé soit, sinon
absolu, alors très considérable». Sauf le respect de
l'arbitre, une telle approche étend le droit sur cette
question bien plus loin que ce qu'envisageait la
Cour d'appel fédérale. Un directeur doit être «un
administrateur habilité à accomplir des actions de
façon indépendante et autonome, et investi de
pouvoirs discrétionnaires», mais il est irréaliste
d'exiger que cette autonomie soit quasi absolue
pour que l'on considère la personne comme un
«directeur», même dans le sens «étroit» où l'entend
le paragraphe 167(3). Comme l'a fait valoir l'avo-
cat de la requérante, même le président du conseil
d'une grande société ne jouit pas d'une autonomie
absolue; il doit rendre compte au conseil d'admi-
nistration. Il est indiscutable que M. Bateman
jouissait d'une grande autonomie et d'importants
pouvoirs discrétionnaires au poste qu'il occupait,
relativement aux salaires, aux mesures disciplinai-
res et au pouvoir d'embaucher et de muter des
employés. En fait, l'arbitre a conclu que [TRADUC-
TION] «le plaignant a effectivement exercé un
degré d'autonomie et d'indépendance qui lui per-
mettait de décider de certaines questions dans des
limites assez étroites fixées par ses supérieurs à
Toronto». La preuve montre aussi que même
quand M. Bateman devait faire approuver ses
décisions, on avait généralement accepté ses
recommandations. L'arbitre semble s'être attaché
plutôt au fait que les supérieurs de M. Bateman
avait rejeté quelquefois ses recommandations.
Selon moi, les fonctions dont le plaignant était
chargé en tant que chef du CRD de Vancouver
comprenaient manifestement la «composante
administrative» qu'exigeait le juge Stone, J.C.A.,
dans l'affaire Lee-Shanok. En tant que membre de
la haute direction de la CIBC, M. Bateman était
tenu d'administrer un vaste service et de surveiller
quelque 200 employés. Rien dans l'affaire Lee-
Shanok n'indique que l'autonomie et le pouvoir
d'administration du plaignant doivent être aussi
indépendants d'un examen de l'extérieur que ce
que l'arbitre exige. En fait, il semble ressortir
implicitement des motifs du juge Stone, J.C.A.,
que le poste de chef à «la tête d'un service de
change comprenant plusieurs cambistes» revêtirait
une nature suffisamment administrative pour qu'il
soit considéré comme un poste de «direction». À
mon avis, les fonctions que remplissait M. Bate-
man sont analogues à cet exemple et seraient
considérées aussi comme des fonctions de «direc-
tion».
En conséquence, l'arbitre est incompétent pour
entendre la plainte, et la demande de bref de
prohibition est accueillie. En ce qui concerne la
demande de certiorari et de suspension des procé-
dures, il n'est nul besoin d'examiner ces questions.
Pour ce qui est de la demande de certiorari, la
décision qu'a rendue l'arbitre est forcément annu-
lée parce que j'ai déterminé que l'arbitre avait
excédé sa compétence en attendant la plainte.
Quant à l'ordonnance relative à une suspension des
procédures dans l'intervalle, il semble que l'arbitre
a choisi, avant de poursuivre, d'attendre que la
Cour se prononce sur la question de la compétence;
il est donc inutile aussi de me prononcer sur ce
point.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.