T-2640-91
Shui-Man Lam (requérant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration et
secrétaire d'État aux Affaires extérieures (intimés)
RÉPERTORIÉ' LAM C. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE
L'IMMIGRATION) (Ire INST.)
Section de première instance, juge Teitelbaum—
Vancouver, 26 et 29 novembre 1991.
Immigration — Pratique — Demande de visa d'immigrant
rejetée par un agent des visas sans qu'il y ait eu entrevue —
Les motifs du rejet sont donnés dans une lettre du Consulat
général du Canada — Le requérant n'aurait pas obtenu le
nombre de points d'appréciation requis pour être considéré
comme un immigrant exerçant un travail autonome, ainsi que
le prescrit l'art. 9(1)b)(i) du Règlement sur l'immigration de
1978, et ce, même si on lui avait attribué le nombre maximal
de 10 points pour le facteur ((personnalité» après qu'il ait
passé une entrevue — L'agent des visas est-il habilité à déci-
der s'il accordera ou non une entrevue? — Explication de l'in-
tention du législateur dans la promulgation de la Loi sur l'im-
migration — L'entrevue est nécessaire pour former une
opinion valable en vertu de l'art. 11(3) du Règlement et pour
déterminer s'il y a lieu d'accorder 30 points d'appréciation en
application de l'art. 8(4) — L'agent des visas a eu tort de ne
pas accorder une entrevue puisqu'il n'est pas habilité à déci-
der s'il en accordera une en vertu du facteur 9, annexe 1 du
Règlement — La présence du mot «shah» au facteur 9 (dans la
version anglaise du Règlement) dénote qu'il est obligatoire de
tenir une entrevue pour apprécier les qualités du requérant —
On ne s'est pas acquitté de l'obligation prévue par la loi.
Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative — Demande
d'un bref de certiorari pour faire annuler la décision par
laquelle un agent des visas a rejeté la demande de visa d'immi-
grant, et d'un bref de mandamus enjoignant aux intimés de
réexaminer la demande en accord avec la directive réglemen-
taire — L'agent des visas a rejeté la demande de résidence
permanente sans qu'il y ait eu entrevue puisque le requérant
n'a pas obtenu le nombre de points d'appréciation requis pour
être considéré comme un immigrant exerçant un travail auto-
nome — Il est allégué que le requérant n'aurait pas pu obtenir
le nombre minimal requis de 70 points d'appréciation même si
on lui avait attribué le nombre maximal de 10 points pour le
facteur «personnalité» après une entrevue — L'agent des visas
n'est pas habilité en vertu du facteur 9, annexe 1 du Règlement
à décider s'il accordera ou non une entrevue — L'agent doit se
conformer à la marche à suivre indiquée dans la Loi — On ne
s'est pas acquitté de l'obligation légale de faire passer une
entrevue au requérant pour apprécier ses qualités — Les cir-
constances limitées qui sont énoncées au facteur 9 s'appli-
quent en l'espèce — Demande accueillie.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Décret sur les lignes directrices visant le processus d'éva-
luation et d'examen en matière d'environnement,
DORS/84-467.
Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52,
art. 1.
Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), chap. I-2, art. 9(2).
Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, art.
8(1)a),c) (mod. par DORS/85-1038, art. 3), (2),(4)
(mod. idem), 9(1)b)(i) (mod. idem, art. 4), 11(3) (mod.
par DORS/8I-461, art. 1), annexe I.
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
Yang c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion) (1989), 36 Admin. L.R. 235; 27 F.T.R. 74; 8 Imm.
L.R. (2d) 48 (C.F. 1re inst.); Fédération canadienne de la
faune Inc. c. Canada (Ministre de l'Environnement),
[1989] 3 C.F. 309; [1989] 4 W.W.R. 526; (1989), 37
Admin. L.R. 39; 3 C.E.L.R. (N.S.) 287; 26 F.T.R. 245 Ore
inst.); Muliadi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Im-
migration), [1986] 2 C.F. 205; (1986), 18 Admin.
L.R. 243; 66 N.R. 8 (C.A.).
DÉCISION CITÉE:
Ho c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1989), 27
F.T.R. 241; 8 Imm. L.R. (2d) 38 (C.F. 1re inst.).
AVOCATS:
Gary A. Letcher et Robin P. McQuillan pour le
requérant.
A. D. Louie pour les intimés.
PROCUREURS:
Edwards, Kenny & Bray, Vancouver, pour le
requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour les
intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs de
l'ordonnance rendus par
LE JUGE TEITELI3AUM: Ceci est une requête en vue
de la délivrance d'un bref de certiorari annulant la
décision datée du 17 juin 1991 par laquelle la Section
de l'immigration du Consulat général du Canada à
Seattle (E.-U.) a rejeté la demande de visa d'immi-
grant du requérant, ainsi qu'en vue de la délivrance
d'un bref de mandamus contraignant le ministre de
l'Emploi et de l'Immigration et le secrétaire d'État
aux Affaires extérieures à réexaminer la demande de
visa d'immigrant du requérant en accord avec la
directive réglementaire.
Les motifs de la requête sont, d'après le requérant,
les suivants:
[TRADUCTION] ... que, en rejetant la demande de visa d'immi-
grant du requérant, l'agent des visas a pris une décision claire-
ment abusive et arbitraire qui était en dehors de sa compétence,
et qu'il s'agit d'un cas de manquement à une obligation impo
sée par l'équité et d'un cas où l'on n'a pas tenu compte des
exigences de la loi.
Les faits, qui ne semblent pas contestés, sont les
suivants, d'après ce que le requérant a indiqué dans
son affidavit et d'après ce qui est exposé dans son
dossier de requête:
[TRADUCTION] 1. Le requérant, Shui-Man Lam, est un résident
de Hong Kong. Il est marié à Fung-Ping Yuen, et le couple n'a
pas d'enfants.
2. Le requérant est actuellement directeur général et associé
d'une société de Hong Kong, la South Asia Trading Company,
une entreprise d'importation et de distribution de poisson
acheté de la Chine.
3. Les fonctions et les responsabilités du requérant, relative-
ment au poste qu'il occupe auprès de la South Asia Trading
Company, consistent à superviser les activités ordinaires de la
société, à veiller à la diffusion et à la vente efficaces des pro-
duits et à s'assurer que l'on s'acquitte des obligations finan-
cières quotidiennes de ladite société.
4. Avant d'entrer au service de la South Asia Trading Com
pany, le requérant a été associé et directeur général de la Yau
Fai Trading Co., du mois de mars 1988 au 19 septembre 1990.
Ses fonctions et ses responsabilités étaient semblables à celles
du poste qu'il occupe auprès de la South Asia Trading Com
pany.
5. Avant d'entrer au service de la Yau Fai Trading Co., le
requérant a travaillé pendant six ans comme chef de la cons
truction pour la Po Kee Works Co. Ltd., à Hong Kong; ses
fonctions consistaient à effectuer des travaux de construction
générale, à surveiller du personnel et des hommes de métier,
ainsi qu'à contrôler les stocks.
(voir l'affidavit de Lam -Chow Chui, onglet 4 du dos
sier de requête du requérant)
6. Le capital net du requérant est, à l'heure actuelle, de
201 200 $ CAN environ.
7. En aoQt 1990, le requérant est arrivé au Canada pour partici-
per à un séminaire sur les affaires à Vancouver (Colombie-Bri-
tannique). Il a une sœur, Joan Lai, qui est résidente permanente
du Canada et qui vit à Coquitlam (Colombie-Britannique).
8. En décembre 1990, le requérant a présenté une demande de
résidence permanente au Canada au Consulat général du
Canada à Seattle (Washington).
(Pièce «A» jointe à l'affidavit du requérant)
9. En présentant sa demande de résidence permanente au
Canada, le requérant a fait part de son intention de lancer une
entreprise de construction à Squamish (Colombie-Britannique).
Avant de présenter sa demande, le requérant a étudié les possi-
bilités d'établir une telle entreprise dans cette ville et a déter-
miné qu'il l'exploiterait vraisemblablement avec succès,
compte tenu de son expérience dans le domaine de la construc
tion et des possibilités qu'offrait la ville sur le plan des affaires,
possibilités qu'il avait étudiées lors de son séjour à Squamish
en 1990.
10. À l'appui de sa demande, le requérant a fait établir pour
son projet d'entreprise des états financiers présentant une pro
jection sur deux ans des revenus et des dépenses de la compa-
gnie.
(partie de la pièce «A»)
11. Dans une lettre datée du 17 juin 1991, le Consulat général
du Canada a rejeté la demande de résidence permanente du
requérant sans même lui accorder une entrevue. Les motifs
indiqués dans la lettre sont les suivants:
a) manque de compétences en anglais;
b) pas d'expérience des affaires en tant que travailleur auto-
nome;
c) aucune preuve de qualifications ou d'expérience en cons
truction dans un «cadre nord-américain»;
d) manque de preuves à l'appui de sa déclaration qu'il a tra-
vaillé comme chef de la construction pendant six ans;
e) l'industrie de la construction en Colombie-Britannique
connaît à l'heure actuelle un recul et, de ce fait, le Canada ne
tirerait aucun avantage économique de l'établissement d'une
entreprise de construction dans la région; et
f) liquidités personnelles insuffisantes pour implanter avec
succès une entreprise au Canada ...
(Pièce «B» jointe à l'affidavit du requérant)
J'estime qu'il est nécessaire de reproduire ici le
texte de la lettre qui a été envoyée au requérant le 17
juin 1991 au sujet de sa demande de visa d'immigrant
(pièce «B» jointe à l'affidavit du requérant):
[TRADUCTION] 17 juin 1991
M. Shui-Man Lam
Flat 1, 21/F, Block B
New Town Mansion
Tuen Mun, New Territories
Hong Kong
Monsieur,
La présente fait suite à votre demande de statut de résident
permanent au Canada à titre de travailleur autonome.
Selon la Loi sur l'immigration du Canada et le règlement y
afférent, l'expression «travailleur autonome» s'entend de l'im-
migrant qui a l'intention et qui est en mesure d'établir ou
d'acheter une entreprise au Canada de façon à créer un emploi
pour lui-même et à contribuer de manière significative à la vie
économique, culturelle ou artistique du Canada. Lorsque nous
apprécions la demande d'une personne qui compte travailler à
son propre compte, nous examinons soigneusement, en fonc-
tion de la définition qui précède, les antécédents de cette per-
sonne sur le plan du travail autonome ainsi que les perspectives
de travail autonome au Canada. Outre ces facteurs, le requérant
doit posséder les ressources nécessaires pour que sa famille et
lui-même s'établissent avec succès au Canada, et le requérant
doit jouir d'une bonne santé et d'une bonne réputation.
Après avoir examiné soigneusement et d'une manière appro-
fondie tous les facteurs que comporte votre demande, je suis au
regret de conclure que vous ne réunissez pas les conditions
voulues pour être un immigrant exerçant un travail autonome
au Canada.
Plus précisément, votre manque de compétences en anglais
fait qu'il y a peu de chances que vous puissiez établir et exploi
ter avec succès à votre propre compte une entreprise au
Canada. Vous n'avez aucune expérience des affaires en tant
que travailleur autonome. Vous comptiez établir une entreprise
de «construction générale», mais il n'existe aucune preuve de
vos qualifications ou de votre expérience en construction dans
un cadre nord-américain. Nous avons noté que vous avez suivi
une formation officielle comme apprenti bijoutier et que vous
déclarez avoir six ans d'expérience comme chef de la construc
tion; ces prétentions ne sont étayées d'aucune preuve. L'indus-
trie de la construction dans le secteur de la Colombie-Britan-
nique où vous avez proposé de vous établir est à l'heure
actuelle en recul en raison de la récession prolongée que con-
naît le Canada. Le Canada ne tirerait aucun avantage écono-
mique important de l'établissement d'une nouvelle entreprise
dans ce secteur. Enfin, vos liquidités personnelles sont insuffi-
santes pour implanter une entreprise quelconque au Canada et
vous établir, votre épouse et vous-même, avec succès.
Je me vois donc dans l'obligation de rejeter cette fois-ci
votre demande. Je vous remercie de l'intérêt que vous manifes-
tez à l'égard du Canada. S'il advenait que vous désiriez présen-
ter de nouveau une demande d'immigration au Canada, il vous
sera nécessaire de soumettre une demande tout à fait nouvelle
et d'acquitter les frais de traitement nécessaires. Nous vous
suggérons fortement, dans ce cas, de soumettre votre demande
au bureau canadien qui est chargé de votre pays de résidence
permanente.
Veuillez agréer, Monsieur, mes salutations distinguées.
Nigel H. Thomson
Consul
Les intimés ont produit l'affidavit de Nigel H.
Thomson, l'agent des visas qui avait rejeté la
demande du requérant. Je crois qu'il est nécessaire de
reproduire en partie le texte de cet affidavit, car il
décrit comment M. Thomson en est arrivé à sa déci-
sion:
[TRADUCTION]
3. Le 28 janvier 1991, la Section d'immigration du Consulat
général du Canada a reçu une demande de résidence per-
manente au Canada (IMM8), accompagnée de documents
à l'appui, concernant le requérant et son épouse...
4. M. Lam a demandé que l'on apprécie sa demande dans la
catégorie «travailleur autonome» aux fins de l'immigra-
tion, son intention étant d'investir environ 85 000 $ CAN
dans une nouvelle entreprise, à Squamish (C.-B.). Il devait
s'agir d'une entreprise de construction générale. Le princi
pal marché que M. Lam comptait exploiter était la région
de Squamish et de Whistler.
5. Selon le paragraphe 2(1) du Règlement sur l'immigration,
pour satisfaire à la définition de «travailleur autonome», la
catégorie dans laquelle il présentait sa demande, M. Lam
était tenu de faire la preuve qu'il était en mesure d'établir
ou d'acheter une entreprise au Canada qui créerait un
emploi pour lui-même et contribuerait de façon significa-
tive à la vie économique, culturelle ou artistique du
Canada. Conformément à l'alinéa 8(1)b) dudit Règlement,
j'ai apprécié la demande de M. Lam en fonction de chacun
des facteurs énumérés à la colonne I de l'annexe 1, à part
le facteur visé à l'article 5 de cette annexe, qui était sans
rapport avec la demande.
6. Comme M. Lam se proposait d'établir une entreprise de
construction générale, je lui ai attribué la profession de
contremaître en construction. Son cas a été apprécié en
fonction des exigences de la Classification canadienne
descriptive des professions (CCDP) qui s'appliquaient à
cette profession. Entre autres caractéristiques, la CCDP
présente une analyse de diverses professions et énumère la
«préparation professionnelle spécifique» (PPS) (laquelle
est mesurée par le temps qu'il faut pour acquérir les infor-
mations, les techniques et les compétences nécessaires
pour fournir un rendement au travail moyen dans une pro
fession donnée). Le code de la CCDP pour la profession
de contremaître en construction était 8780-114. (Voir la
pièce C.) Le facteur de «demande dans la profession» con-
cernant ces professions de la construction, y compris celle
de contremaître en construction, était nul. Les pages appli-
cables de la liste de demandes par profession sont jointes
ci-après en tant que pièce D (il est à noter que l'absence
d'une inscription sur cette liste signifie qu'il faut attribuer
à la profession de la CCDP en question un facteur
«demande» de zéro). La PPS attribuée à la profession était
de 8, ce qui indiquait qu'il fallait avoir suivi entre 4 ans et
10 ans inclusivement de formation. (Voir la pièce E.)
Selon l'annexe I du Règlement sur l'immigration, cette
formation équivalait à 13 points d'appréciation. J'ai attri-
bué trois points d'appréciation pour la connaissance de
l'anglais (soit un point pour l'aptitude à parler, un point
pour l'aptitude à écrire et un point pour l'aptitude à lire
l'anglais, «avec difficulté» dans les trois cas). M. Lam a
donc obtenu les points d'appréciation suivants:
Âge 10
Demande dans la profession 0
Préparation professionnelle
spécifique 13
Expérience 4
Emploi réservé S.O.
Facteur démographique 5
Études 9
Anglais 3
Français 0
7. De plus, en accord avec le paragraphe 8(4) du Règlement,
j'ai examiné la demande de M. Lam pour déterminer s'il
serait en mesure d'exercer sa profession ou d'exploiter son
entreprise avec succès au Canada en tant que travailleur
autonome. J'ai notamment pris en compte les facteurs sui-
vants présentés dans sa demande:
— M. Lam a indiqué qu'il avait une connaissance limi-
tée de la langue anglaise.
— M. Lam n'a pas établi d'une manière vérifiable qu'il
avait de l'expérience comme travailleur autonome
dans le domaine de la construction ou un domaine
connexe.
— Sa demande ne contenait pas de preuves vérifiables
qui confirmaient sa prétention qu'il avait travaillé
pendant six ans comme chef de la construction à
Hong Kong.
— Dans sa demande, M. Lam a indiqué qu'il avait tra-
vaillé comme apprenti bijoutier de 1978 à 1981; tou-
tefois, il n'a pas indiqué avoir suivi une formation
officielle ou obtenu une reconnaissance profession-
nelle à Hong Kong dans un métier quelconque de la
construction ou une profession connexe.
— J'ai noté que la Liste des professions générales et
désignées n'attribuait aucun point d'appréciation
aux professions de la construction au chapitre du
facteur «demande dans la profession».
8. J'ai également tenu compte de l'argent dont disposait
M. Lam. Ce dernier a déclaré que sa valeur nette person-
nelle était de 162 172 $ CAN en tout. J'ai noté que cette
somme dépendait en grande partie de la vente fructueuse
de sa demeure à Hong Kong, qui constitue son bien princi
pal. En me fiant à mon expérience de l'appréciation des
demandes de travailleur autonome, je suis arrivé à la con
clusion que cette somme d'argent ne suffirait pas pour lan
cer une entreprise à Squamish (Colombie-Britannique) et
pour établir une famille de deux personnes.
9. Compte tenu de l'ensemble de ces facteurs, j'ai jugé que
M. Lam ne serait pas en mesure d'exploiter son entreprise
ou d'exercer sa profession avec succès au Canada. J'ai
également jugé que M. Lam ne satisfaisait pas à la défini-
tion d'un travailleur autonome et je ne lui ai donc pas attri-
bué les 30 points d'appréciation mentionnés au paragraphe
8(4) du Règlement pour les travailleurs autonomes. M.
Lam a donc obtenu 44 points d'appréciation en tout.
10. Vu ce résultat, M. Lam n'aurait pu obtenir le nombre mini
mal requis de 70 points d'appréciation pour être considéré
comme un immigrant exerçant un travail autonome, ainsi
que le prescrit le sous-alinéa 9(1)b)(i) du Règlement, et ce,
même si on lui avait attribué le nombre maximal de 10
points d'appréciation pour sa «personnalité» après avoir
passé une entrevue. J'ai donc conclu qu'il ne serait d'au-
cune utilité de convoquer M. Lam à une entrevue et que sa
demande serait rejetée.
11. Tous les aspects de la demande ayant été pris en considéra-
tion, une lettre informant M. Lam que sa demande avait
été rejetée a été envoyée le 17 juin 1991.. .
Comme on peut le constater au paragraphe 10 de
l'affidavit de M. Thomson, ce dernier a décidé
qu'étant donné que le requérant n'aurait pu atteindre
le nombre minimal requis de 70 points d'appréciation
pour être considéré comme un immigrant travaillant à
son propre compte, ainsi que l'exige le sous-alinéa
9(1)b)(i) du Règlement sur l'immigration de 1978
[DORS/78-172 (mod. par DORS/85-1038, art. 4)1,
même si on lui avait attribué le nombre maximal de
10 points d'appréciation pour le facteur «personna-
lité» après une entrevue, il n'accorderait pas d'entre-
vue au requérant car cela ne serait d'aucune utilité,
indépendamment de ce qui est indiqué au facteur 9 de
l'annexe I:
Facteurs Critères Nombre
maximal
de points
9. Personnalité Des points d'apprécia- 10
tion sont attribués au
requérant au cours
d'une entrevue qui per-
met de déterminer si
lui-même et les per-
sonnes à sa charge sont
en mesure de s'établir
avec succès au Canada,
suivant sa faculté d'a-
daptation, sa motiva
tion, son esprit
d'initiative, son ingé-
niosité et autres qua-
lités semblables. (C'est
moi qui souligne.)
Si j'ai bien compris, cela signifie qu'après une
entrevue avec l'éventuel immigrant, l'agent chargé de
l'appréciation de son cas doit attribuer jusqu'à 10
points, suivant son évaluation de la personnalité de
l'immigrant en question, pour que ce dernier puisse
s'établir avec succès. Si l'agent attribue le nombre
maximal de points, soit 10, cela signifie, selon moi,
que l'agent préposé à l'entrevue est convaincu que
l'éventuel immigrant possède la personnalité requise
pour s'établir avec succès au Canada, selon sa faculté
d'adaptation, sa motivation, son esprit d'initiative,
son ingéniosité et d'autres caractéristiques analogues.
Il est à noter que M. Thomson déclare, au para-
graphe 10 de son affidavit, que même s'il avait attri-
bué au requérant le nombre maximal de 10 points
d'appréciation, ce dernier n'aurait pu réunir les con
ditions voulues pour être un immigrant travaillant à
son propre compte.
Le point en litige
Le point litigieux dans cette affaire consiste à
déterminer si une personne qui présente une demande
de visa à titre d'immigrant travaillant à son propre
compte doit passer une entrevue pour que l'agent des
visas apprécie convenablement la question de la «per-
sonnalité», soit le facteur 9 de l'annexe I du Règle-
ment. La question qui se pose est la suivante: l'agent
des visas a-t-il le pouvoir discrétionnaire d'accorder
ou non une entrevue?
Les arguments du requérant
Le requérant fait valoir que, pour les besoins de la
présente espèce, le système de réglementation sur
lequel le législateur fait reposer les décisions en
matière d'immigration est exposé au paragraphe 9(2)
de la Loi sur l'immigration de 1976 [S.C. 1976-77,
chap. 52, art. 1], aux paragraphes 8(2), 8(4) et 11(3)
du Règlement ainsi qu' à l'annexe I du Règlement.
L'avocat du requérant fait valoir que l'on n'a pas
accordé d'entrevue à son client. L'agent des visas
déclare pour sa part qu'il avait jugé que M. Lam ne
réunirait de toute façon pas les conditions voulues;
selon l'avocat, l'agent des visas a de ce fait privé le
requérant de son droit à une entrevue. L'avocat a
ajouté que la Loi sur l'immigration [L.R.C. (1985),
chap. I-2] précise que le cas d'un demandeur de visa
doit être apprécié par un agent des visas, et que,
d'après le Règlement, cet agent doit attribuer des
points d'appréciation suivant les facteurs énumérés à
l'annexe I. Selon cette annexe, en ce qui concerne la
question de la personnalité, les points d'appréciation
sont attribués à la suite d'une entrevue et, dans ce
cas-ci, l'agent des visas a décidé de ne pas en accor-
der. L'avocat déclare qu'il faut maintenant annuler la
décision de l'agent parce que celui-ci n'a pas accordé
d'entrevue au requérant alors qu'il était tenu de le
faire. L'avocat fait valoir que ce n'est pas l'agent qui
fixe les règles; il est tenu de les appliquer. Il ne peut
pas décider de ne pas accorder une entrevue qui,
selon l'annexe I du Règlement, en ce qui concerne le
facteur 9 (la «personnalité»), doit être accordée au
requérant.
Outre ce qui précède, l'avocat déclare que l'agent
des visas est arrivé à des conclusions très étendues
sans révéler sur quoi il s'est fondé. L'avocat allègue
que l'agent des visas a déterminé que le fait que le
requérant avait de la difficulté à s'exprimer en anglais
serait pour lui un obstacle sérieux dans l'industrie de
la construction.
L'avocat soutient que la Loi sur l'immigration est
conçue pour favoriser l'immigration et qu'il faut l'in-
terpréter d'une manière qui convienne à cet objectif.
De plus, l'agent des visas doit agir de manière juste.
Il ne peut se comporter capricieusement. Le fait
d'avoir accordé une entrevue à M. Lam aurait permis
à l'agent des visas de mieux se prononcer sur l'en-
semble des points en cause.
Les arguments des intimés
Les intimés font valoir que l'agent des visas a cor-
rectement déterminé, en vertu de la Loi et du Règle-
ment, si le requérant était un travailleur autonome,
que l'agent des visas s'est attaché à la question perti-
nente et que la conclusion à laquelle il est arrivé
n'était pas clairement abusive.
L'avocat fait valoir de plus que l'appréciation d'un
cas est un processus qui comporte deux étapes et que
ce n'est qu'après que le requérant a franchi la pre-
mière, soit l'appréciation de sa demande, que l'on
doit accorder une entrevue. C'est-à-dire que si l'agent
des visas décide, après avoir apprécié la demande,
qu'il est justifié de faire passer une entrevue au
requérant, il la lui accordera. Selon l'avocat, dans la
présente espèce, il n'était d'aucune utilité d'accorder
une entrevue au requérant car, même si ce dernier
avait obtenu les l O points prévus pour le facteur «per-
sonnalité», il n'aurait pas atteint le nombre requis de
70 points.
Par ailleurs, l'avocat soutient qu'au facteur 9 de
l'annexe I—dans la version anglaise du Règle-
ment—le mot «shall» n'est pas placé devant le mot
«interview», mais devant les mots «be awarded». Il
n'est donc pas dit—toujours dans la version anglaise
du Règlement—que l'agent des visas «accorde» une
entrevue mais qu'il «attribue» des points d'apprécia-
tion.
Je le dis tout de suite, malgré tout le respect que je
dois à l'avocat des intimés, je ne puis souscrire à cet
argument. Des points d'appréciation ne «sont attri-
bués au requérant», le cas échéant, qu'«au cours
d'une entrevue».
Analyse
Compte tenu des faits de la présente espèce et,
notamment, de la manière dont l'agent des visas est
arrivé à la conclusion que le requérant ne pouvait
remplir les conditions voulues pour être accepté au
Canada comme immigrant travaillant à son propre
compte, je crois qu'il est nécessaire de répéter ici ce
qu'a dit le juge en chef adjoint de la Cour fédérale du
Canada au sujet du but que visait le législateur lors-
qu'il a promulgué la Loi sur l'immigration. Dans l'af-
faire Yang c. Canada (Ministre de l'Emploi et de
l'Immigration) (1989), 36 Admin. L.R. 235 (C.F. lre
inst.), à la page 237 du recueil, le juge Jerome a
déclaré ceci:
Il est important de se rappeler que l'intention du Parlement,
en édictant la Loi sur l'immigration, était d'exposer la poli-
tique du Canada en matière d'immigration aussi bien aux
Canadiens qu'aux étrangers désireux de venir s'établir ici.
Cette politique ne peut exister sans règlements complexes, dont
bon nombre semblent être restrictifs, mais la politique en ques
tion devrait toujours être interprétée de façon positive. La loi
vise à permettre l'immigration et non à y faire obstacle, et les
agents d'immigration sont par conséquent tenus de faire une
appréciation juste et consciencieuse, conforme au libellé et à
l'esprit de la législation. [C'est moi qui souligne.]
Le juge en chef adjoint a repris ces observations dans
l'affaire Ho c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion (1989), 27 F.T.R. 241 (C.F. lre inst.), aux pages
241 et 242 du recueil.
L'affaire Yang (A-169-89) et l'affaire Ho (A-187-
89) ont toutes deux été soumises à la Cour d'appel
fédérale. Le 22 mai 1990, le juge Mahoney les a reje-
tées pour des motifs qui n'ont pas tout à fait rapport
avec les faits de la présente espèce.
Si l'on prend pour base le principe exposé ci-des-
sus, il est nécessaire d'examiner ce qui s'est passé
dans cette affaire-ci.
Le requérant a présenté une demande de visa à titre
d'immigrant travaillant à son propre compte. La Loi
sur l'immigration dit ce qui suit, au paragraphe 9(2):
9....
(2) Le cas du demandeur de visa est apprécié par l'agent des
visas qui détermine s'il semble répondre aux critères de l'éta-
blissement ou de l'autorisation de séjour.
L'agent des visas a apprécié la demande du requé-
rant et a conclu qu'il attribuerait à ce dernier 44
points d'appréciation. M. Thomson déclare aussi
qu'il a examiné la demande en se demandant si le
requérant serait en mesure de s'établir avec succès au
pays, en accord avec le paragraphe 8(4) du Règle-
ment, avant de conclure que ce n'était pas le cas pour
les raisons qu'il a données dans son affidavit. L'agent
des visas a tiré cette conclusion sans faire passer
d'entrevue au requérant.
Voici ce que dit l'article 8 du Règlement:
8. (1) Afin de déterminer si un immigrant et les personnes à
sa charge, autres qu'une personne appartenant à la catégorie de
la famille ou qu'un réfugié au sens de la Convention cherchant
à se réétablir, seront en mesure de s'établir avec succès au
Canada, un agent des visas doit apprécier cet immigrant ou, au
choix de ce dernier, son conjoint.
a) dans le cas d'un immigrant qui n'est pas visé aux alinéas
b), c) ou e), suivant chacun des facteurs énumérés dans la
colonne I de l'annexe I;
b) dans le cas d'un immigrant qui compte devenir un travail-
leur autonome au Canada, suivant chacun des facteurs énu-
mérés dans la colonne I de l'annexe I, autre que le facteur
visé à l'article 5 de cette annexe;
c) dans le cas d'un entrepreneur, d'un investisseur ou d'un
candidat d'une province, suivant chacun des facteurs énu-
mérés dans la colonne I de l'annexe I, sauf ceux visés aux
articles 4 et 5 de cette annexe;
d) abrogé: DORS/85-1038, par. 3(2);
e) dans le cas d'un retraité, suivant chacun des facteurs sui-
vants:
i) l'endroit où l'immigrant a l'intention d'établir son lieu
de résidence,
ii) la présence d'amis ou de parents de l'immigrant dans
la localité où ce dernier a l'intention d'établir son lieu de
résidence, et
iii) l'aptitude de l'immigrant à s'adapter à la vie cana-
dienne, sa motivation et l'état de ses ressources finan-
cières qui doivent être suffisantes pour subvenir à ses
besoins et à ceux des personnes à sa charge qui l'accom-
pagnent sans recourir aux prestations de bien-être social
que peuvent lui verser les autorités municipales, provin-
ciales ou fédérales.
(2) Un agent des visas doit donner à l'immigrant qui est appré-
cié suivant les facteurs énumérés dans la colonne I de l'annexe
I le nombre voulu de points d'appréciation pour chaque fac-
teur, en s'en tenant au maximum fixé à la colonne III, confor-
mément aux critères visés dans la colonne II de cette annexe
vis-à-vis de ce facteur.
(3) Abrogé: DORS/85-1038, par. 3(3).
(4) Lorsqu'un agent des visas apprécie un immigrant qui
compte devenir un travailleur autonome au Canada, il doit,
outre tout autre point d'appréciation accordé à l'immigrant, lui
attribuer 30 points supplémentaires s'il est d'avis que l'immi-
grant sera en mesure d'exercer sa profession ou d'exploiter son
entreprise avec succès au Canada.
Ainsi que je l'ai indiqué, l'agent des visas déclare
dans son affidavit que même s'il avait attribué 10
points d'appréciation pour le facteur 9 de l'annexe I
du Règlement, M. Lam n'aurait pas obtenu les 70
points requis. J'ai aussi dit qu'en allouant 10 points
pour le facteur 9, il est sous-entendu que le requérant
possède toutes les qualités qui sont énumérées à ce
facteur, c'est-à-dire qu'il s'agit d'une personne qui
peut s'adapter, d'une personne qui est motivée, d'une
personne qui a l'esprit d'initiative, d'une personne
ingénieuse et d'une personne qui possède d'autres
qualités semblables. Le paragraphe 8(4) du Règle-
ment permet à l'agent des visas d'apprécier le cas
d'un immigrant qui compte devenir un travailleur
autonome au Canada, et d'attribuer, outre les points
d'appréciation accordés à l'immigrant, 30 points de
plus s'il est d'avis que l'immigrant en question exer-
cera sa profession ou exploitera son entreprise avec
succès.
Je suis persuadé qu'en n'accordant pas d'entrevue
au requérant, l'agent des visas n'était pas en mesure
de déterminer s'il aurait attribué ou non les 30 points
d'appréciation dont il est question au paragraphe 8(4)
du Règlement, en ce sens qu'il est supposé que le
requérant possède toutes les qualités mentionnées au
facteur 9 de l'annexe I du Règlement.
De plus, le paragraphe 11(3) du Règlement sur
l'immigration de 1978 permet à l'agent des visas de
délivrer un visa au requérant même si ce dernier
n'obtient pas le nombre de points d'appréciation
requis, et ce, dans certaines conditions:
11....
(3) L'agent des visas peut
a) délivrer un visa d'immigrant à un immigrant qui n'obtient
pas le nombre de points d'appréciation requis par les articles
9 ou 10 ou qui ne satisfait pas aux exigences des para-
graphes (1) ou (2), ou
b) refuser un visa d'immigrant à un immigrant qui obtient le
nombre de points d'appréciation requis par les articles 9 ou
10,
s'il est d'avis qu'il existe de bonnes raisons de croire que le
nombre de points d'appréciation obtenu ne reflète pas les
chances de cet immigrant particulier et des personnes à sa
charge de s'établir avec succès au Canada et que ces raisons
ont été soumises par écrit à un agent d'immigration supérieur
et ont reçu l'approbation de ce dernier.
Si l'on considère les faits de la présente espèce tels
qu'ils sont, c'est-à-dire que le requérant possède
toutes les qualités mentionnées au facteur 9 de l'an-
nexe I du Règlement, comment l'agent des visas pou-
vait-il se former une opinion valable conforme au
paragraphe 11(3) du Règlement, sans faire passer une
entrevue au requérant? Je crois que cela était impos
sible.
Je suis persuadé que l'agent des visas aurait dû
accorder une entrevue au requérant; cependant, cela
veut-il dire qu'il faut en accorder une selon le Règle-
ment et la Loi?
Je suis convaincu que l'agent des visas a commis
une erreur en décidant de ne pas accorder une entre-
vue au requérant en vertu du facteur 9 de l'annexe I
du Règlement, car je crois qu'il n'avait pas d'autre
choix. Il lui incombait de se conformer à la procédure
exposée dans la Loi.
Dans l'affaire Fédération canadienne de la faune
Inc. c. Canada (Ministre de l'Environnement), [1989]
3 C.F. 309 (lie inst.), la Cour a statué qu'en n'appli-
quant pas les dispositions du Décret sur les lignes
directrices visant le processus d'évaluation et d'exa-
men en matière d'environnement (PEEE), le ministre
ne s'était pas conformé au devoir que lui imposait la
loi. Dans la présente espèce, en ne se conformant pas
à la procédure exposée au facteur 9, l'agent des visas
a de ce fait failli au devoir que lui imposait la loi. La
présence du mot «shall» au facteur 9—dans la ver
sion anglaise du Règlement—dénote clairement qu'il
est obligatoire de tenir une entrevue pour apprécier
les «qualités» du requérant et permettre ainsi à
l'agent des visas de se former une opinion valable
aux termes des paragraphes 8(4) ou 11(3) du Règle-
ment.
Dans l'affaire Yang c. M.E.I. (précitée), à la page
237 du recueil, le juge en chef adjoint parle d'un pro-
cessus d'appréciation à deux étapes:
Les demandes de résidence permanente fondées sur les dispo
sitions de la Loi sur l'immigration et du Règlement relatives au
travail autonome sont soumises à un processus d'appréciation à
deux étapes. La première phase de l'appréciation consiste en
une sélection administrative dans le cadre de laquelle les
agents d'immigration étudient les documents soumis par les
immigrants et décident s'il y a lieu de poursuivre le processus
de sélection. Si l'immigrant franchit cette étape, il est invité à
se présenter à une entrevue avec l'agent des visas.
La lecture de la décision Yang ne me dit pas sur
quoi le juge en chef adjoint s'est exactement fondé
pour conclure qu'une demande de résidence perma-
nente fondée sur les dispositions de la Loi sur l'immi-
gration et du Règlement est un «processus d'appré-
ciation à deux étapes». Qu'il existe deux étapes, cela
ne fait aucun doute: la présentation de la demande et
l'appréciation de cette dernière en vertu du para-
graphe 9(2) de la Loi sur l'immigration et, comme
seconde étape, si l'on peut l'appeler ainsi, l'apprécia-
tion de la personnalité du requérant, conformément
au facteur 9 de l'annexe I du Règlement; cependant, à
mon avis, cela ne veut pas dire que l'agent des visas
qui est préposé à l'appréciation peut effectuer conve-
nablement son travail sans faire passer l'entrevue que
requiert le facteur 9.
C'est ce qui ressort des propos du juge Stone dans
l'affaire Muliadi c. Canada (Ministre de l'Emploi et
de l'Immigration), [ 1986] 2 C.F. 205 (C.A.). Le juge
Stone, s'exprimant au nom de la Cour d'appel, a dit
ceci [aux pages 215 et 216]:
Pour décider si l'appelant a bénéficié d'un traitement équitable
en matière de procédure, il est nécessaire d'examiner le cadre
législatif à partir duquel l'agent des visas devait trancher la
question. Nulle part dans ces dispositions législatives ne
trouve-t-on de règle prescrivant qu'une audition orale pleine et
entière doit avoir lieu avant que ne soit rendue une décision.
En fait, on ne prévoit même pas la tenue d'une entrevue sauf
dans les circonstances limitées prévues au facteur neuf de la
colonne I de l'annexe I, qui est édicté en vertu de l'alinéa
8(1)c) du Règlement:
Des points d'appréciation sont attribués au requérant au
cours d'une entrevue qui permettra de déterminer si lui et les
personnes à sa charge sont en mesure de s'établir avec suc-
cès au Canada, d'après la faculté d'adaptation du requérant,
sa motivation, son esprit d'initiative, son ingéniosité et
autres qualités semblables. [C'est moi qui souligne.]
Selon moi, la citation qui précède indique claire-
ment que, en raison des circonstances limitées qui
sont énoncées au facteur 9, à la colonne I de l'annexe
I, il faut accorder une entrevue au requérant dans les
circonstances de l'espèce.
En outre, en supposant que le requérant possède
toutes les «qualités» mentionnées au facteur 9, je
crois qu'il aurait fallu donner au requérant l'occasion
de réfuter l'appréciation négative de l'agent des visas
avant qu'une décision définitive ait été prise. Il s'agit
là d'une mesure d'équité en matière de procédure.
Conclusion
Je suis convaincu que l'agent des visas n'est pas
habilité à décider s'il accordera ou non une entrevue
en vertu du facteur 9, à la colonne I de l'annexe I du
Règlement sur l'immigration de 1978. L'agent des
visas doit se conformer à la marche à suivre indiquée
dans la Loi.
Pour ces motifs, j'annule la décision de l'agent des
visas Nigel H. Thomson en date du 17 juin 1991 et
j'ordonne au ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion de faire réexaminer, par un agent des visas autre
que Nigel H. Thomson, la demande de visa d'immi-
grant du requérant conformément à la directive régle-
mentaire. Cet agent des visas devra prendre en consi-
dération, en tant que partie intégrante de la
documentation accompagnant la demande du requé-
rant, l'affidavit de Lam -Chow Chui; ce document a
été dressé sous serment le 25 septembre 1991 et fait
partie de ceux qui ont été déposés dans le cadre de la
présente instance.
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