T-3307-90
Sa Majesté la Reine du Chef de l'Alberta
(requérante)
c.
Ministre de l'Environnement, l'honorable Robert
De Cotret, et la Commission d'évaluation environ-
nementale, constituée par le ministre de l'Environ-
nement pour étudier le projet de construction d'un
barrage sur la rivière Oldman et composée de
William A. Ross, Helen Tremaine, James Glad-
stone, Michael Healey, Rolf Kellerhaus et Tracy
Anderson (intimés)
RÉPERTORIÉ: ALBERTA C. CANADA (MINISTRE DE L'ENVIRON-
NEMENT) (J re INST.)
Section de première instance, juge MacKay—
Edmonton, 25 avril; Ottawa, 21 mai 1991.
Droit constitutionnel — Partage des pouvoirs — Commis
sion d'évaluation environnementale établie sous le régime du
Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évalua-
tion et d'examen en matière d'environnement dans le but
d'examiner le projet de construction d'un barrage sur la rivière
Oldman — L'Alberta cherchait à obtenir une ordonnance de
certiorari, une ordonnance de prohibition et/ou une injonction
pour empêcher la Commission de procéder à un examen public
du projet pour le motif que les attributions de la Commission
constituaient une application inconstitutionnelle du pouvoir ou
de la discrétion du ministre en vertu du Décret sur les lignes
directrices — La demande de la province a été ajournée sine
die en attendant que la C.S.C. détermine, dans le cadre de
l'affaire Friends of the Oldman River Society c. Canada
(Ministre des Transports), si le Décret sur les lignes directrices
est général au point de contrevenir aux art. 92 et 92A de la Loi
constitutionnelle de 1867.
Environnement — Projet de construction d'un barrage sur la
rivière Oldman — Examen environnemental — Commission
d'évaluation environnementale établie sous le régime du Décret
sur les lignes directrices — Demande visant à faire interrom-
pre le processus d'examen pour le motif que les attributions de
la Commission constituaient une application inconstitution-
nelle du pouvoir conféré au ministre en vertu du Décret sur les
lignes directrices — Demande ajournée sine die en attendant
que la C.S.C. détermine si le Décret sur les lignes directrices
est inconstitutionnel parce qu'il empiète sur la compétence des
provinces.
Pratique — Suspension d'instance — La province cherchait
à obtenir une ordonnance de certiorari, une ordonnance de
prohibition et/ou une injonction empêchant la Commission
d'évaluation environnementale de procéder à l'examen public
d'un projet de construction de barrage pour le motif que les
attributions de la Commission étaient inconstitutionnelles —
Le ministre cherchait à obtenir une suspension d'instance pour
le motif que la question avait été soumise à la C.S.C. — Le
critère invoqué dans l'affaire Association of Parents Support
Croups In Ontario (Using Toughlove) Inc. c. York et autres a
été appliqué: la partie qui demande une suspension doit établir
que l'intérêt de la justice justifie une telle mesure et l'emporte
sur le droit qu'a l'intimé de poursuivre une action — La
suspension a été accordée, mais cette mesure exceptionnelle a
pour effet de différer l'accès à un redressement qu'une partie
aurait autrement le droit de poursuivre — Même si le point en
litige était sérieux, l'affaire a été différée dans l'intérêt du
public — La prépondérance des inconvénients faisait pencher
la balance en faveur du ministre — Il était juste et convenable
d'ajourner l'affaire sine die en attendant la décision de la
C.S.C. — Il était préférable pour l'intérêt de la justice et
l'efficacité du système judiciaire d'ajourner l'examen de la
demande de la province.
La présente affaire a trait à l'examen environnemental du
projet de construction d'un barrage sur la rivière Oldman. Le
ministre fédéral de l'Environnement a constitué une Commis
sion d'évaluation environnementale pour examiner le projet. La
province de l'Alberta a tenté de faire suspendre cet examen au
moyen d'une ordonnance de certiorari, d'une ordonnance de
prohibition ou d'une injonction pour le motif que les attribu
tions fixées par le ministre constituaient une application incons-
titutionnelle du pouvoir ou de la discrétion que lui confère le
Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évalua-
tion et d'examen en matière d'environnement. En réponse à
cette démarche, le ministre a tenté d'obtenir que la requête de
la province soit ajournée sine die en attendant que la Cour
suprême du Canada rende sa décision sur un appel, entendu en
février 1981, du jugement de la Cour d'appel fédérale dans
l'affaire Friends of the Oldman River Society c. Canada
(Ministre des Transports), où la question constitutionnelle
serait analysée. A la fin du mois d'avril 1991, la construction
du barrage était terminée à 98 % environ et tout le projet était
terminé à 94 %.
Essentiellement, la province contestait le fait que l'adminis-
tration fédérale puisse prévoir un examen de questions liées à
l'environnement, à la situation socio-économique et à la sécurité
qui soit général au point d'englober des «matières» qui, habi-
tuellement, ressortissent à la compétence législative des provin
ces en vertu des articles 92, 92A, 95 et 109 de la Loi constitu-
tionnelle de 1867.
Jugement: la requête de la province devrait être ajournée sine
die.
La Cour suprême ayant refusé d'ajouter la question de la
validité des attributions aux points à examiner en appel, la
présente demande, qui repose sur l'argument que les attribu
tions constituent une application inconstitutionnelle du Décret
sur les lignes directrices, n'est pas une «demande ... en instance
devant un autre tribunal», au sens de l'alinéa 50(1)a) de la Loi
sur la Cour fédérale. Il existe un point sérieux à juger: la
validité des attributions de la Commission. La question est celle
de savoir s'il faut accorder ou non une suspension ou un
ajournement, ce qui aurait pour effet de différer le règlement
du litige.
Quelle que soit l'issue de l'affaire, l'une ou l'autre des parties
subirait vraisemblablement un préjudice quelconque, mais
celui-ci ne serait pas irréparable. Cependant, la meilleure façon
de servir l'intérêt public, en attendant la décision de la Cour
suprême du Canada, serait de supposer que les attributions de
la Commission sont valides. Le critère qui convient en l'espèce
est celui qui a été appliqué dans l'affaire Association of Parents
Support Groups In Ontario (Using Toughlove) Inc. c. York et
autres: la partie qui demande une suspension doit faire la
preuve que l'intérêt de la justice justifie clairement une telle
mesure et l'emporte sur le droit qu'a l'intimé de poursuivre son
action.
Il est préférable, pour l'intérêt de la justice et l'efficacité du
système judiciaire, d'ajourner l'examen de la demande de la
province parce que: 1) la Cour suprême se prononcera vraisem-
blablement bientôt sur la validité du Décret sur les lignes
directrices; 2) même si la Cour suprême ne traite pas directe-
ment du point soulevé en l'espèce, celui-ci pourrait être réglé
plus facilement et, peut-être, mieux examiné à la lumière de la
décision de la Cour suprême. Il serait donc déraisonnable qu'un
juge des requêtes se prononce sur un point étroitement lié à des
questions sur lesquelles la Cour suprême du Canada se penche
déjà.
Le fait d'ajourner une affaire dans des circonstances qui ont
pour résultat effectif de différer l'accès à un redressement
qu'une partie aurait, autrement, le droit de poursuivre est une
mesure inhabituelle mais, dans ce cas-ci, justifiée. Même s'il
existait un point sérieux à juger, il était dans l'intérêt du public
d'en différer l'examen à ce stade-ci. Le fait d'interrompre
maintenant le processus d'examen perturberait davantage les
choses et serait plus préjudiciable au processus d'examen envi-
ronnemental public que le fait de poursuivre ce processus en
attendant que la Cour suprême rende sa décision.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3
(R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de
1982, n° 1) [L.R.C., 1985, appendice II, n° 5], art. 91,
92, 92A (édicté par la Loi constitutionnelle de 1982),
95, 109.
Décret sur les lignes directrices visant le processus
d'évaluation et d'examen en matière d'environnement,
DORS/84-467.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art.
18, 50(1).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle
323.
Loi de 1979 sur l'organisation du gouvernement, S.C.
1978-79, chap. 13, art. 14.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Association of Parents Support Groups In Ontario
(Using Toughlove) Inc. c. York et autres (1987), 14
C.P.R. (3d) 263 (C.F. I" inst.); Edmonton Friends of the
North Environmental Society c. Canada (Ministre de la
Diversification de l'Économie de l'Ouest) (1990), 69
D.L.R. (4th) 143; 75 Alta. L.R. (2d) 1; 34 F.T.R. 137
(C.F. 1" inst.); Little Red River Band of Indians c.
Canada (Ministre des Pêches et Océans), voir Edmonton
Friends of the North Environmental Society c. Canada
(Ministre de la Diversification de l'Économie de l'Ouest).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores
Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110; (1987), 38 D.L.R. (4th) 321;
[1987] 3 W.W.R. 1; 46 Man.R. (2d) 241; 25 Admin.
L.R. 20; 87 CLLC 14,015; 18 C.P.C. (2d) 273; 73 N.R.
341.
DÉCISION EXAMINÉE:
Friends of the Oldman River Society c. Canada (Minis-
tre des Transports), [1990] 1 C.F. 248; [1990] 2 W.W.R.
150; (1989), 70 Alta. L.R. (2d) 289; 4 C.E.L.R. (N.S.)
137; 30 F.T.R. 108 (1'° inst.), inf. par [1990] 2 C.F. 18;
(1990), 68 D.L.R. (4th) 375 (C.A.).
DÉCISIONS MENTIONNÉES:
Northwestern Utilities Ltd. et autre c. Ville d'Edmonton,
[1979] 1 R.C.S. 684; (1978), 12 A.R. 449; 89 D.L.R.
(3d) 161; 7 Alta. L.R. (2d) 370; 23 N.R. 565; Ferguson
Bus Lines Ltd. c. Syndicat uni du transport, section
locale 1374, [1990] 2 C.F. 586; (1990), 68 D.L.R. (4th)
699; 43 Admin. L.R. 18; 108 N.R. 293 (C.A.); R. c.
Crown Zellerbach Canada Ltd., [1988] 1 R.C.S. 401;
(1988), 48 D.L.R. (4th) 161; [1988] 3 W.W.R. 385; 25
B.C.L.R. (2d) 145; 40 C.C.C. (3d) 289; 84 N.R. 1;
Fowler c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 213; [1980] 5
W.W.R. 511; (1980), 113 D.L.R. (3d) 513; 53 C.C.C.
(2d) 97; 9 C.E.L.R. 115; 32 N.R. 230; Northwest Falling
Contractors Ltd. c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 292;
(1980), 113 D.L.R. (3d) 1; [1981] 1 W.W.R. 681; 53
C.C.C. (2d) 353; 9 C.E.L.R. 145; 2 F.P.R. 296; 32 N.R.
541; Compagnie des chemins de fer nationaux du
Canada c. Courtois, [1988] 1 R.C.S. 868; (1988), 15
Q.A.C. 181; 85 N.R. 260; R. c. Amway Corp., [1989] 1
R.C.S. 21; (1989), 56 D.L.R. (4th) 309; 33 C.P.C. (2d)
163; 68 C.R. (3d) 97; 37 C.R.R. 235; [1989] 1 C.T.C.
255; 91 N.R. 18; Vickery c. Cour suprême de la Nou-
velle-Écosse (Protonotaire), n° 21598 (C.S.C.), jugement
en date du 28-3-91, juge Stevenson, encore inédit.
DOCTRINE
Hogg, Peter W., Constitutional Law of Canada, 2nd ed.,
Toronto: Carswell Co. Ltd., 1985.
AVOCATS:
B. Zalmonawitz et G. D. Chipeur pour la
requérante.
J. C. DePencier pour le ministre de l'Environ-
nement (intimé).
W. A. Tilleman et S. J. Hammel pour la
Commission d'évaluation environnementale
(intimée).
M. W. Mason pour la Friends of the Oldman
River Society (intervenante).
PROCUREURS:
Milner & Steer, Edmonton, pour la requé-
rante.
Le sous-procureur général du Canada pour le
ministre de l'Environnement (intimé).
Cook, Duke, Cox, Edmonton, pour la Com
mission d'évaluation environnementale (inti-
mée).
Gowling, Strathy & Henderson, Ottawa, pour
la Friends of the Oldman River Society
(intervenante).
Ce qui suit est la version française des motifs
des ordonnances rendus par
LE JUGE MACKAY: La requérante, Sa Majesté
la Reine du Chef de l'Alberta (ci-après appelée «la
province»), par la voie d'une nouvelle requête datée
du 21 janvier 1991, cherche à obtenir un redresse-
ment initialement demandé par voie de requête en
date du 17 décembre 1990. Par cette première
requête, la requérante cherchait à obtenir à la fois
un redressement interlocutoire sous la forme d'une
injonction et un redressement permanent sous la
forme d'ordonnances mentionnées ci-après en rap
port avec les attributions que le ministre de l'Envi-
ronnement (ci-après appelé le «ministre»), partie
intimée en l'espèce, avait établies pour la Commis
sion d'évaluation environnementale (ci-après appe-
lée la «Commission»), elle aussi partie intimée en
l'espèce, que le ministre avait constituée pour étu-
dier le projet de construction d'un barrage sur la
rivière Oldman.
Le 20 décembre 1990, mon collègue, le juge
Rouleau, a étudié et rejeté la requête initiale dans
la mesure où celle-ci se rapportait à un redresse-
ment interlocutoire, soit une demande d'injonction
pour empêcher la Commission d'effectuer une
étude publique du projet tant que la Cour suprême
du Canada n'aurait pas statué sur l'appel interjeté
contre le jugement de la Cour d'appel fédérale, en
date du 13 mars 1990, dans l'affaire Friends of the
Oldman River Society c. Canada (Ministre des
Transports)'. La demande dont il est question en
l'espèce a pour but d'obtenir une ordonnance de
certiorari annulant les attributions établies par le
ministre qui fixent le mandat de la Commission et
1 [1990] 2 C.F. 18 (C.A.).
le cadre de son étude, de même qu'une ordonnance
de prohibition ou, subsidiairement, une injonction
empêchant la Commission d'entreprendre un
examen public du projet. Les motifs sur lesquels
repose la requête relative à ce redressement, lequel
est sollicité en vertu de l'article 18 de la Loi sur la
Cour fédérale 2 , sont que les attributions que le
ministre a établies sont réputées constituer une
application inconstitutionnelle du pouvoir ou de la
discrétion que lui confère le Décret sur les lignes
directrices visant le processus d'évaluation et
d'examen en matière d'environnement (ci-après
appelé le «Décret sur les lignes directrices») 3 .
À l'instruction de cette demande à Edmonton, le
25 avril 1991, il a été entendu en même temps une
requête du ministre, datée du 29 janvier 1991,
pour que la demande de redressement permanent
de la province soit suspendue ou ajournée sine die,
en application du paragraphe 50(1) de la Loi sur
la Cour fédérale, ou de la Règle 323 des Règles de
la Cour fédérale [C.R.C., chap. 663], jusqu'à ce
que la Cour suprême du Canada rende sa décision,
maintenant attendue, après avoir entendu le plai-
doyer des parties en février 1991.
Ont comparu à l'audition de cette affaire des
avocats représentant la province, le ministre, la
Commission et la Friends of the Oldman River
Society («ci-après appelée la «FORS»). Les avocats
qui étaient présents à l'audience relative à l'obten-
tion d'un redressement interlocutoire en décembre
1990 ont reconnu que la requête qu'avait présentée
à ce moment l'avocat de la FORS pour participer
à cette affaire avait été accueillie verbalement, et
que mon collègue, le juge Rouleau, avait considéré
que la Société avait qualité pour agir comme
partie intimée. Il n'en était fait aucune mention
dans le dossier de la Cour. Avec le consentement
des avocats de la requérante et du ministre, j'ai
ordonné que la FORS soit inscrite comme partie
intimée dans cette demande à partir du 20 décem-
bre 1990.
L'avocat de la Commission a présenté avant
l'audience un mémoire et de la jurisprudence con-
cernant le bien-fondé de certains aspects de la
demande de la province, fondant apparemment sa
2 L.R.C. (1985), chap. F-7, dans sa forme modifiée.
3 DORS/84-467 établi aux termes du paragraphe 6(2) de la
Loi de 1979 sur l'organisation du gouvernement, S.C. 1978-79,
chap. 13, art. 14.
participation sur l'affaire Northwestern Utilities
Ltd. et autre c. Ville d'Edmonton 4 . Il a été indiqué
qu'il ne se proposait pas de soutenir la requête du
ministre pour que les procédures soient ajournées
sine die. J'ai indiqué que si la requête en ajourne-
ment était rejetée et si les plaidoyers portaient sur
le bien-fondé de la demande de la province, je
réglerais d'abord la question de savoir s'il était
nécessaire d'entendre l'avocat de la Commission
sur un aspect quelconque du principal point en
litige, compte tenu du fait que la Commission a été
créée par le ministre, de son manque de connais-
sances techniques au sujet de la question de la
validité constitutionnelle de ses attributions, ainsi
que des observations du juge Mahoney, de la Cour
d'appel, dans l'affaire Ferguson Bus Lines Ltd. c.
Syndicat uni du transport, section locale 1374 5 .
Comme j'ai décidé, après avoir entendu les argu
ments présentés pour le compte de la requérante,
du ministre et de la FORS, qu'il faudrait faire
droit à la requête du ministre et ajourner sine die
la demande de la province, il était inutile à ce
moment de régler la question de la participation de
la Commission aux plaidoyers présentés à la Cour,
et je n'ai pas tenu compte de l'argumentation
écrite présentée au nom de la Commission pour
l'ordonnance rendue ou pour les présents motifs.
Il a été convenu que la province exposerait
d'abord sa demande; cela serait suivi de la présen-
tation de la demande de suspension ou d'ajourne-
ment de la part du ministre ainsi que de celle de la
FORS à l'appui de la demande de ce dernier;
ensuite, la province aurait l'occasion de répondre
aux arguments avancés en faveur d'une suspension
ou d'un ajournement. Après argumentation de
cette demande, la Cour trancherait la question et,
si la demande était rejetée, les avocats des intimés
feraient ensuite connaître leur point de vue sur le
bien-fondé de la demande de la province, après
quoi l'avocat de cette dernière aurait l'occasion de
présenter sa réplique.
Après avoir entendu les arguments relatifs à la
demande procédurale préliminaire pour que la pré-
sente procédure soit suspendue ou ajournée, j'ai
ordonné que la demande du ministre soit accueillie
et celle de la province ajourné sine die, sans enten-
dre tous les arguments sur le bien-fondé de la
4 [1979] 1 R.C.S. 684.
5 [1990] 2 C.F. 586, la p. 591.
demande de la province. À ce moment, j'ai exposé
verbalement mes motifs, en indiquant toutefois que
je fournirais plus tard des motifs écrits. Ces motifs
sont ceux que j'expose ici.
Rappel des faits
Les demandes dont il est question en l'espèce
découlent d'un important différend au sujet de
l'application du Décret sur les lignes directrices sur
le projet de construction d'un barrage sur la rivière
Oldman. Un aperçu sommaire de ce différend,
ainsi que des étapes qui ont mené à la constitution
de la Commission, partie intimée en l'espèce, et à
la mise en marche de ses travaux, expose le con-
texte dans lequel les présentes demandes sont
présentées.
La dernière étape de procédures antérieures, soit
l'audition d'un appel interjeté devant la Cour
suprême du Canada, s'est déroulée rapidement en
février 1991, et l'on attend maintenant une déci-
sion de la Cour. Ce processus a commencé par la
présentation d'une demande à la Cour d'appel
pour que soit soumise à un examen judiciaire la
décision par laquelle le ministre des Transports, en
vertu de la Loi sur la protection des eaux naviga-
bles 6 , a approuvé le projet de construction, par la
province, d'un barrage sur la rivière Oldman.
Cette demande, par laquelle on cherchait à obtenir
une ordonnance enjoignant à des ministres fédé-
raux de se conformer au Décret sur les lignes
directrices, fut rejetée par le juge en chef adjoint
Jerome dans l'affaire Friends of the Oldman River
Society c. Canada (Ministre des Transports)'. La
Cour d'appel infirma cette décision, annulant l'au-
torisation que le ministre des Transports avait
donnée au projet et ordonnant que ce dernier et le
ministre des Pêches et Océans se conforment au
Décret sur les lignes directrices s .
La province demanda l'autorisation d'interjeter
appel de la décision de la Cour d'appel fédérale,
demande à laquelle la Cour suprême du Canada fit
droit le 13 septembre 1990. Dans cette demande,
la province souleva, pour la première fois, des
questions d'ordre constitutionnel au sujet du
Décret sur les lignes directrices et de l'application
de ce dernier au projet. Le 30 octobre 1990, le juge
6 S.R.C. 1985, chap. N-22.
' [1990] 1 C.F. 248 (1" inst.).
'Précité, note 1.
en chef de la Cour suprême du Canada énonça une
question constitutionnelle à examiner dans l'appel
que la province interjetait:
Le Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évalua-
tion et d'examen en matière d'environnement, DORS/84-467,
est-il général au point de contrevenir aux art. 92 et 92A de la
Loi constitutionnelle de 1867, et d'être, par conséquent, consti-
tutionnellement inapplicable à l'Oldman River Dam apparte-
nant à l'appelante Sa Majesté La Reine du Chef de l'Alberta 9 ?
Le 25 octobre 1990, la FORS formula une
demande en vue d'obtenir une ordonnance de
mandamus exigeant du ministre de l'Environne-
ment qu'il constitue une commission pour effectuer
un examen public en accord avec le Décret sur les
lignes directrices. On inscrivit cette demande pour
audition le 20 novembre, mais elle fut ajournée
sine die lorsque le ministre constitua la Commis
sion le 16 novembre.
Par la suite, après que le ministre eut annoncé
les attributions et la constitution de la Commission
en vue de la tenue d'une évaluation publique du
projet de construction d'un barrage sur la rivière
Oldman en accord avec le Décret sur les lignes
directrices, la province s'adressa à la Cour
suprême du Canada pour qu'elle modifie la ques
tion constitutionnelle posée en ajoutant une
seconde question portant sur les attributions de la
Commission; cette dernière question est la
suivante:
[TRADUCTION] Les attributions de la Commission d'évalua-
tion environnementale de l'Oldman River Dam que le ministre
de l'Environnement a établies en vertu du Décret sur les lignes
directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en
matière d'environnement, DORS/84-867, sont-elles générales
au point de contrevenir aux art. 92 et 92A de la Loi constitu-
tionnelle et d'être, par conséquent, inconstitutionnelles?
Le 14 décembre, la Cour suprême du Canada
rejeta cette demande mais fit droit à celle que la
province avait soumise en même temps pour que
les attributions de la Commission soient présentées
comme nouvelle preuve devant la Cour suprême.
Le ministre des Transports et celui des Pêches et
Océans furent ajoutés comme appelants à l'appel,
où la FORS était l'intimée. Les procureurs géné-
raux de six autres provinces, le gouvernement des
Territoires du Nord-Ouest, quatre organismes
d'autochtones et six organismes de particuliers
9 Cour suprême du Canada, Bulletin des procédures, 2
novembre 1990, la p. 2262.
s'intéressant à des questions d'environnement et
d'intérêt public agirent comme intervenants devant
la Cour suprême du Canada. Celle-ci entendit
rapidement l'appel les 19 et 20 février 1991 et
réserva le prononcé du jugement.
Après s'être heurtée au refus de la Cour
suprême pour que soit modifiée la question consti-
tutionnelle, la province, au mois de décembre
1990, formula la demande dont il est question en
l'espèce, que le juge Rouleau examina le 20
décembre relativement au redressement interlocu-
toire demandé, et dont la présente Cour est main-
tenant saisie relativement au redressement perma
nent demandé, concernant les attributions de la
Commission. L'ordonnance de mon collègue, le
juge Rouleau, en date du 20 décembre, fut portée
en appel par la voie d'un avis déposé le 28 décem-
bre 1990; toutefois, l'avocat de la province a fait
savoir à l'audition de la présente demande de
redressement permanent que ledit avis d'appel
avait été retiré.
En même temps que se déroulait cette action en
justice, le ministre des Transports et celui des
Pêches et Océans, à la suite de la décision de la
Cour d'appel fédérale et en accord avec l'ordon-
nance rendue par cette dernière, soumirent la
question du projet de construction d'un barrage
sur la rivière Oldman au ministre de l'Environne-
ment pour qu'un examen public soit effectué en
accord avec le Décret sur les lignes directrices. Le
16 novembre 1990, le ministre de l'Environnement
annonça la constitution de la Commission qui
effectuerait un examen public en vertu du Décret,
et il en fixa les attributions. Lesdites attributions
sont, dit-on, d'une «large portée», et la province s'y
oppose. Elles comprennent, notamment, le mandat
suivant:
[TRADUCTION] examiner les effets environnementaux et socio-
économiques éventuels du projet de construction d'un barrage
sur la rivière Oldman. La Commission est chargée d'entrepren-
dre une évaluation et de formuler des recommandations appro-
priées au sujet de la conception et de la sécurité du barrage
proposé, de l'importance des répercussions possibles du projet
de barrage et de son exploitation sur le plan environnemental et
socio-économique, ainsi que des possibilités d'atténuer ces
répercussions. La Commission présentera ses recommandations
sous forme de rapport aux ministres de l'Environnement, des
Transports et des Pêches et Océans 10 .
La Commission entreprit de tenir des réunions
d'information publique en Alberta à la mi-décem-
bre, après avoir commencé à examiner les rensei-
gnements disponibles et des informations de base
sur le projet. A la fin du même mois, la Commis
sion diffusa une lettre publique décrivant les tra-
vaux qu'elle avait accomplis à ce jour, de même
que ses plans. Au mois de janvier, elle diffusa au
public un énoncé de ses procédures opérationnelles.
A la mi-mars, elle publia un [TRADUCTION] «Bul-
letin n° 1», un [TRADUCTION] «Résumé des
mémoires reçus» en date du 11 février et un énoncé
de [TRADUCTION] «Autres renseignements requis»,
comprenant les lacunes perçues, sur le plan des
renseignements d'ordre socio-économique, que la
Commission tente de combler. La Commission a
retenu les services d'experts techniques dans une
variété de domaines, dont certains, selon la pro
vince, concernent des questions qui relèvent princi-
palement de la compétence des provinces, et, en ce
qui concerne certaines lacunes relevées sur le plan
de l'information, la Commission a indiqué que la
province, en tant que tenante du projet, sera une
source importante vers laquelle se tourner afin
d'obtenir de plus amples renseignements.
Au moment où cette affaire fut entendue en
avril, la Commission prévoyait, paraît-il, de tenir
en juin 1991 des réunions publiques sur la sécurité
du barrage, mais elle ne s'attendait pas à voir
prendre fin ses travaux sur les aspects socio-écono-
miques du projet ou commencer les réunions publi-
ques sur ces aspects avant le mois de novembre
1991. Dans l'intervalle, à la fin du mois d'avril, il
fut signalé que les travaux de construction ache-
vaient: le barrage était terminé à 98 % environ et
l'ensemble du projet à 94 % environ. Des tunnels
de dérivation furent fermés au début d'avril, de
sorte que le réservoir qui se trouve derrière le
barrage se remplit; il y a de plus des chances qu'il
soit complètement rempli d'ici à la fin du mois de
juin, car l'on anticipe maintenant que la fonte des
neiges sera plus abondante qu'à l'accoutumée.
10 Attributions de la Commission d'évaluation environnemen-
tale du barrage sur la rivière Oldman, Canada, Bureau fédéral
d'examen des évaluations environnementales, Vancouver.
Les préoccupations de la province
La requête du ministre en vue de la suspension
ou de l'ajournement des procédures est analysée ici
à la lumière des préoccupations qui ont été expri-
mées pour la province comme fondement de sa
demande d'examen judiciaire.
La province fait valoir que la législation relative
à l'environnement ne constitue pas une catégorie
de sujet distincte, ou une «matière» en vertu des
pouvoirs énumérés du Parlement ou du pouvoir
général qui lui est conféré en vertu de l'article 91
de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict.,
chap. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi
constitutionnelle de 1982, n° 1) [L.R.C. (1985),
appendice II, n° 5]]. La réglementation de l'envi-
ronnement a trait à toute une série de questions,
dont certaines relèvent de la compétence législative
du Parlement et d'autres de la compétence législa-
tive des assemblées législatives provinciales". En
outre, la prétendue théorie du pouvoir accessoire,
qui circonscrit la portée et les effets des mesures
législatives fédérales sur les secteurs dont les pro
vinces sont responsables aux questions qui relèvent
nécessairement de la compétence fédérale, est
d'une application restreinte pour ce qui est d'éten-
dre le pouvoir de l'administration fédérale relative-
ment à l'environnement 12 .
Il est concédé que dans ce cas-ci un examen
fédéral pourrait porter sur des questions qui relè-
vent de la compétence législative du Parlement,
comme les eaux navigables, les pêches, les Indiens
et les terres qui leur sont réservées. La province ne
reconnaît pas, et conteste en fait, la compétence
qu'a l'administration fédérale, agissant en vertu du
Décret sur les lignes directrices, de prévoir un
examen général de questions liées à l'environne-
ment, à la situation socio-économique et à la sécu-
rité dans lequel entrent des «matières» ressortissant
habituellement à la compétence législative des pro
vinces en vertu des articles 92, 92A, 95 et 109 de
la Loi constitutionnelle de 1867.
11 Hogg, Constitutional Law of Canada, (2e éd. 1985), la p.
598; R. c. Crown Zellerbach Canada Ltd., [1988] 1 R.C.S.
401, la p. 423, 431, 444, 445.
12 Fowler c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 213, la p. 226;
Northwest Falling Contractors Ltd. c. La Reine, [1980] 2
R.C.S. 292.
Il est allégué en l'espèce que les attributions de
la Commission et les activités que cette dernière a
mises en branle débordent le cadre de la compé-
tence législative de l'administration fédérale. Il est
dit que divers éléments évidents des activités de la
Commission montrent l'étendue de son mandat, le
fait que celle-ci ne se borne pas à examiner des
questions qui ne relèvent que de la compétence de
l'administration fédérale, et ses plans indiquent
qu'elle prendra en considération diverses questions
qui, habituellement, ressortissent à la compétence
législative des provinces. Ainsi, la Commission a
déjà examiné une variété d'études entreprises par
la province et fournies à la Commission qui portent
sur un grand nombre de sujets intéressant exclusi-
vement la province; elle a relevé des sujets de
préoccupation exprimés lors d'audiences publiques,
sujets dont un grand nombre relèvent de la compé-
tence des provinces; elle a établi des procédures
opérationnelles qui prévoient un examen de ses
sujets de préoccupation, la nomination d'experts
qui, pour un grand nombre d'entre eux, s'intéres-
sent spécialement à des questions qui, dans ce
cas-ci, sont du ressort des provinces, de même que
la détermination d'autres renseignements dont la
Commission a besoin et qu'elle cherche à obtenir
sans tenir compte du fait qu'un grand nombre de
ces questions relèvent de la compétence législative
des provinces et non pas de celle de l'administra-
tion fédérale. L'étude et les audiences publiques
qu'il est proposé de tenir sur la sécurité du projet
de construction d'un barrage porteraient sur des
questions qui relèvent manifestement de la compé-
tence des provinces, et il en serait inévitablement
de même d'une étude et d'audiences similaires sur
les aspects socio-économiques généraux du projet.
Les renseignements supplémentaires dont la
Commission a besoin, et le fait que celle-ci s'at-
tende à ce que la province, en tant que tenante du
projet, en fournisse une grande quantité, dénotent
que l'on compte sur elle pour participer à d'autres
études et appuyer davantage les travaux de la
Commission, ce qui occasionnera à la province des
dépenses considérables.
Enfin, il est allégué que le pouvoir de la Com
mission, qui se limite à un examen et à la formula
tion de recommandations aux ministres, lesquels
peuvent ensuite exercer leurs pouvoirs décisionnels,
n'est pas une réponse à la contestation de la vali-
dité constitutionnelle des attributions de la Com
mission. Il est dit qu'une enquête que mène un
niveau d'administration publique doit porter sur
une question qui relève de la compétence constitu-
tionnelle de cette administration, qu'on ne peut
entreprendre une enquête séparément des mesures
réparatrices qui peuvent s'ensuivre". Le ministre
n'est donc pas habilité à établir des attributions
qui autorisent une commission à faire enquête sur
des questions qui vont au-delà de la compétence de
l'administration fédérale. Par ailleurs, la tenue
d'un examen en vertu du Décret sur les lignes
directrices comporte de sérieuses répercussions
pour la province; l'article 34 du Décret impose à
cette dernière, en tant que tenante du projet, de
lourdes responsabilités, dont la fourniture des ren-
seignements que demande la Commission, dans le
nombre d'exemplaires et dans les langues qui,
selon ce que décide la Commission, peuvent être
nécessaires à un débat public, ainsi que l'affecta-
tion de personnel pour fournir des explications lors
d'audiences publiques. Lorsque les questions aux-
quelles la Commission s'intéresse sont réputées
relever de la compétence législative provinciale, la
province s'objecte à ce que l'on suppose qu'elle
doive se conformer aux instructions de la Commis
sion. Un sujet de préoccupation auquel il a aussi
été fait allusion est qu'en ne répondant pas aux
attentes de la Commission, la province s'expose à
ce que l'on présente aux ministres des recomman-
dations qui pourraient mener à l'imposition de
conditions qu'elles trouveraient difficiles, même si
cela était fait en vertu de pouvoirs de réglementa-
tion fédéraux valides.
Ainsi qu'il a été noté plus tôt, les préoccupations
qui sous-tendaient la demande d'examen judiciaire
de la province n'ont pas été l'objet à l'audience
d'une contre-argumentation, et, en fin de compte,
n'ont pas été prises en considération parce que la
Cour a décidé que la demande de la province serait
ajournée sine die.
La demande de suspension ou d'ajournement
Le ministre demande avec insistance que les
procédures relatives à la demande de la province
soient suspendues, en application du paragraphe
50(1) de la Loi sur la Cour fédérale, ou subsidiai-
13 Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c.
Courtois, [1988] 1 R.C.S. 868, aux p. 892 à 894.
rement, que lesdites procédures soient ajournées,
en application de la Règle 323 des Règles de la
Cour fédérale, en attendant que la Cour suprême
du Canada se prononce sur l'appel entendu au
mois de février.
Le paragraphe 50(1) de la Loi est libellé comme
suit:
50. (1) La Cour a le pouvoir discrétionnaire de suspendre les
procédures dans toute affaire:
a) au motif que la demande est en instance devant un autre
tribunal;
b) lorsque, pour quelque autre raison, l'intérêt de la justice
l'exige.
Voici ce que dit la Règle 323 des Règles de la
Cour fédérale:
Règle 323. L'audition d'une requête peut être ajournée d'une
date à une autre aux conditions qui, le cas échéant, semblent
justes.
Il est allégué que l'alinéa 50(1)a) de la Loi sur
la Cour fédérale s'applique en l'espèce parce que
la province a déjà soumis la question de la validité
constitutionnelle des attributions de la Commission
à la Cour suprême dans son argumentation et
qu'au moins deux des autres provinces l'ont aussi
présentée, par l'intermédiaire de leur procureur
général, dans leur argumentation à l'audience
devant la Cour suprême. Même si cette dernière a
refusé de modifier la question constitutionnelle
posée pour qu'elle porte explicitement sur les attri
butions de la Commission, lesdites attributions ont
été admises en preuve devant cette Cour, on a
débattu de leur validité et il a été reconnu qu'elles
constituent [TRADUCTION] «l'élément essentiel de
l'application du Décret sur les lignes directrices au
projet et dans les circonstances de l'affaire» devant
cette Cour. En outre, la contestation de la validité
du Décret lui-même s'étend forcément aux attribu
tions assignées à la Commission. En somme, il est
allégué que la Cour suprême du Canada est déjà
saisie de la question même que soulève la demande
de la province et que, de ce fait, l'alinéa 50(1)a)
s'applique et la présente Cour, dans le cadre de son
pouvoir discrétionnaire, devrait autoriser la sus
pension des procédures relativement à la demande
de la province.
L'avocat de la province reconnaît que, dans
l'argumentation présentée à la Cour suprême, la
question de la validité des attributions a été soule-
vée, en partie, mais en partie seulement, à titre
d'exemple de l'application inconstitutionnelle
perçue du Décret sur les lignes directrices. L'avo-
cat reconnaît en toute franchise qu'il est à espérer
que la décision de la Cour suprême traitera direc-
tement de la validité desdites attributions, mais il
fait remarquer qu'avant l'audience, la Cour a
expressément refusé d'étudier la question.
À mon avis, quels que soient les arguments que
les parties ont pu faire valoir, par écrit ou verbale-
ment, devant la Cour suprême, cette dernière a
refusé d'ajouter la question de la validité des attri
butions aux points à examiner en appel. Par consé-
quent, quelle que soit la décision de la Cour
suprême, et que cette décision se rapporte directe-
ment ou indirectement à la question posée, je
conclus que la demande dont il est question en
l'espèce, qui présuppose que le Décret sur les lignes
directrices est valide mais repose sur l'argument
que les attributions constituent une application
inconstitutionnelle dudit Décret, n'est pas une
«demande ... en instance devant un autre tribu
nal> au sens de l'alinéa 50(1)a) de la Loi sur la
Cour fédérale.
L'avocat du ministre fait aussi valoir qu'il serait
dans l'intérêt de la justice, comme le dit l'alinéa
50(1)b) de la Loi, d'accorder une suspension des
procédures. Il fait valoir, en s'appuyant sur la
décision de la Cour suprême du Canada dans
l'affaire Manitoba (Procureur général) c. Met
ropolitan Stores Ltd. 14 que l'on a affaire ici à une
question sérieuse—l'effet de la décision de la Cour
suprême du Canada sur la question soulevée dans
la présente demande. La question est effectivement
sérieuse, mais je ne crois pas que cela permette
d'appliquer le critère énoncé dans l'affaire Met
ropolitan Stores pour une suspension de procédu-
res. Dans l'affaire qui nous occupe ici, la question
sérieuse est certainement celle qu'a soulevée la
province au sujet de la validité des attributions de
la Commission. Je conviens qu'il s'agit d'une ques
tion sérieuse, et que la question dont la présente
Cour est saisie est celle de savoir s'il faut accorder
une suspension ou un ajournement, mesure qui
aurait pour effet de différer le règlement du litige.
Il est allégué que le ministre, et la Commission,
subiraient un préjudice irréparable s'il était fait
droit à la demande de la province, car si les
14 [1987] 1 R.C.S. 110.
travaux de la Commission étaient suspendus, cel-
le-ci ne serait peut-être plus en mesure de recom-
mander des mesures d'atténuation significatives.
Cela suppose bien sûr que la Commission détermi-
nera, dans le cadre de son mandat, que le projet
comporte des effets potentiellement néfastes pour
l'environnement, à la suite de quoi il faudrait
recommander des mesures d'atténuation, supposi
tion qui, à ce stade-ci, prévoit une issue particu-
lière au sujet de laquelle aucune preuve ne m'a été
fournie. De plus, l'argument suppose aussi que les
mesures visant à atténuer les effets néfastes pour
l'environnement, si effets il y a, ne peuvent être
prises qu'avant que le projet de barrage à étudier
ait été construit, et il s'agit-là d'une supposition
qui ne repose sur aucune preuve et que je ne
partage pas.
La province prétend qu'en l'absence de règle-
ment de la question du fondement constitutionnel
de l'examen de la Commission, cet examen pour-
rait occasionner un préjudice irréparable à ses
intérêts, car elle serait tenue, en tant que tenante
du projet, de participer à ce qui pourrait s'avérer
des dépenses considérables, un coût que le ministre
conteste en l'absence de preuves.
Selon moi, n'importe laquelle des parties en
l'espèce subira vraisemblablement un préjudice
quelconque, quelle que soit l'issue de l'affaire: le
ministre et la Commission, si la demande de la
province est retenue et que les redressements sou-
haités sont accordés, ou la province, s'il est fait
droit à la requête du ministre en vue de l'obtention
d'une suspension ou d'un ajournement. Mais je ne
suis pas convaincu que dans l'un ou l'autre cas le
préjudice appréhendé serait irréparable. Je suis
cependant persuadé qu'en attendant que la Cour
suprême du Canada rende sa décision, la meilleure
façon de servir l'intérêt public est de supposer que
les attributions de la Commission sont valides.
L'avocat de la province a fait valoir que le
critère énoncé dans l'affaire Metropolitan Stores
ne s'appliquait pas en l'espèce. Dans les motifs de
mon ordonnance que j'ai exposés verbalement à
l'audience, j'ai déclaré que j'examinerais de façon
plus approfondie cette prétention. Cela étant fait,
j'ai la conviction que ce critère s'applique davan-
tage aux cas où il est demandé au tribunal de
suspendre ou d'ajourner les procédures d'un autre
organisme, la Commission par exemple, comme
désirait l'obtenir la province en demandant un
redressement interlocutoire, y compris une injonc-
tion suspendant les travaux de la Commission,
demande que le juge Rouleau a rejetée. Le critère
énoncé dans l'affaire Metropolitan Stores ne con-
vient pas autant lorsque l'on examine une requête
de suspension ou d'ajournement de procédures qui
a pour effet de différer l'accès aux mesures de
redressement qui sont habituellement disponibles
auprès de la présente Cour. Dans les cas de ce
genre, le critère qui convient mieux est celui qu'a
appliqué le juge en chef adjoint dans l'affaire
Association of Parents Support Groups In Ontario
(Using Toughlove) Inc. c. York et autres 15 , à
savoir que la partie qui demande une suspension
doit faire la preuve que l'intérêt de la justice
clairement une telle mesure et l'emporte sur le
droit qu'a l'intimé de poursuivre son action. La
Cour hésite à contrecarrer le droit de recours dont
jouit une partie quelconque 16 .
Il est allégué au nom du ministre que l'on
servirait ici l'intérêt de la justice en accordant la
suspension demandée ou en ajournant les procédu-
res relatives à la requête de la province, en atten
dant que la Cour suprême du Canada rende sa
décision, et qu'une suspension de procédures, de
nature temporaire, n'occasionnerait pas de graves
préjudices à la province. A ce stade-ci, cette
mesure protégerait l'intérêt public en maintenant
la loi jusqu'à ce que la Cour suprême se prononce
sur la portée constitutionnelle du Décret sur les
lignes directrices. La décision prononcée autorisera
ou interdira forcément les travaux de la Commis
sion, en tout ou en partie. Il semble vraisemblable
que la Cour connaîtra des questions constitution-
nelles dont elle est saisie, encore que, comme le
note la province, rien ne garantisse que la Cour le
fera, compte tenu particulièrement d'autres ques
tions en appel devant la Cour et de la position que
cette dernière a exprimée, à savoir qu'elle préfére-
rait éviter les questions constitutionnelles dont
n'ont pas traité des tribunaux de première instance
et d'appel ". De plus, la province fait valoir que la
15 (l987), 14 C.P.R. (3d) 263 (C.F. 1" inst.).
16 Idem, à la p. 264.
17 Voir, par ex., l'affaire R. c. Amway Corp., [1989] 1 R.C.S.
21, le juge Sopinka, à la p. 42; ainsi que l'affaire Vickery c.
Cour suprême de la Nouvelle-Écosse (Protonotaire), décision
encore inédite, n° 21598, (C.S.C.) 28 mars 1991, le juge
Stevenson (aux p. 5 et 6).
Cour suprême pourrait considérer d'un oeil favora
ble la décision que rendra la présente Cour au
sujet de sa demande et—et ceci est un point plus
important—que la province a le droit de chercher
à obtenir un redressement; comme on a rejeté la
demande dé redressement interlocutoire de la pro
vince, la Cour d'appel devrait maintenant exami
ner la demande de redressement définitif. Sans
cela, la province se trouve effectivement dans l'im-
possibilité de demander un redressement, comme
celui qu'elle cherche à obtenir en l'espèce, devant
l'unique tribunal auquel on peut s'adresser à cette
fin.
Il est allégué, pour le compte de la FORS, et à
l'appui de la demande du ministre, que la présente
action n'est qu'une mesure de plus de la part de la
province pour empêcher la tenue d'un examen
public sur le projet, et qu'elle a trait essentielle-
ment à la même question que celle pour laquelle on
attend maintenant que la Cour suprême du
Canada rende une décision, soit la question de
savoir si le projet de construction d'un barrage sur
la rivière Oldman peut faire l'objet d'un examen
public. Par ailleurs, il est allégué qu'en l'espèce la
prépondérance des inconvénients fait qu'il serait
préférable d'ordonner la suspension des procédures
relatives aux demandes de la province.
Enfin, il est allégué, tant pour le ministre que
pour la FORS, que divers facteurs, exposés par le
juge en chef adjoint Jerome dans la transcription
des motifs qu'il avait prononcés verbalement à
l'audience en accordant l'ajournement de deux
autres demandes récentes concernant le projet
Daishowa au nord de l'Alberta 18 , étayent tous
l'ajournement des procédures dont il est question
en l'espèce, dans l'intérêt de la justice. Le juge en
chef adjoint Jerome avait à statuer sur des deman-
des visant à exiger que des ministres se conforment
au Décret sur les lignes directrices, des demandes
semblables à celles qu'avait initialement formulées
la FORS au sujet du projet de construction d'un
barrage sur la rivière Oldman.
n" Edmonton Friends of the North Environmental Society c.
Canada (Ministre de la Diversification de l'Économie de
l'Ouest) (N° du greffe: T-440-90), et Bande indienne de Little
Red River c. Canada (Ministre des Pêches et Océans), (N° du
greffe: T-441-90), décision non publiée, transcription des notes
sténographiques, 30 novembre 1990.
S'il est peu courant de suspendre ou d'ajourner
une affaire dans des circonstances qui font effecti-
vement différer l'accès à un redressement qu'une
partie a, autrement, le droit de poursuivre, je suis
convaincu que l'affaire dont il est question en
l'espèce justifie la prise de cette mesure inhabi-
tuelle. La demande qu'a présentée le ministre pour
que soit ajourné tout autre examen de la demande
de la province, en attendant que la Cour suprême
du Canada rende sa décision, devrait être accordée
pour les motifs exposés ci-dessous.
1) Dans la mesure où le critère exposé dans l'af-
faire Metropolitan Stores peut servir de norme
en l'espèce, je reconnais qu'il existe une ques
tion sérieuse à juger, soit celle qu'a soulevée la
province au sujet de la validité constitutionnelle
des attributions de la Commission, mais il est
dans l'intérêt du public d'en différer l'examen à
ce stade-ci. D'après moi, selon la prépondé-
rance des inconvénients, il est vraisemblable
que le fait d'examiner la requête de la province
pendant que la Cour suprême du Canada
étudie des questions qui y sont étroitement liées
occasionnera plus d'inconvénients aux intimés
que ceux que subiraient la province si l'on
ajournait cet examen. À ce stade-ci, des procé-
dures qui mettent en doute la façon d'agir de la
Commission, de même que toute ordonnance de
la part de la présente Cour qui pourrait suspen-
dre ou interrompre le processus d'examen envi-
ronnemental public que le fait de poursuivre ce
processus en attendant la décision de la Cour
suprême. Je prends judiciairement connais-
sance du fait que la poursuite de l'examen
obligera la province à prendre part à d'autres
travaux et que, plus cet examen se poursuivra,
plus la province aura à en supporter les coûts. Il
y a toutefois des chances que la Cour suprême
rende sa décision d'ici à quelques mois. L'au-
dience ayant été tenue rapidement, nous pou-
vons tous espérer que la décision sera pronon-
cée probablement bien avant le mois de
novembre 1991, date à laquelle la majorité des
questions sur lesquelles se penche la Commis
sion seront peut-être mûres pour être débattues
en public et soumises à un examen définitif de
la part de la Commission.
2) En raison des questions générales que le juge en
chef adjoint Jerome a exposées dans la trans-
cription des procédures relatives aux demandes
concernant le projet Daishowa 19 , il me semble
juste et convenable d'ajourner l'examen de la
demande de la province en attendant la déci-
sion de la Cour suprême. Lesdites questions
s'appliquent davantage aux demandes exami
nées en l'espèce qu'aux demandes relatives au
projet Daishowa car les points qu'étudie actuel-
lement la Cour suprême, même s'ils diffèrent
de la question soulevée ici, sont étroitement liés
à cette dernière et découlent de procédures
antérieures relatives au projet de construction
d'un barrage sur la rivière Oldman. Ces ques
tions comprennent les facteurs exposés ci-des-
sous, lorsqu'on les évalue par rapport au droit
qu'a la province d'entamer des procédures, font
pencher la balance en faveur de l'intérêt de la
justice.
3) Selon moi, il est préférable, pour l'intérêt de la
justice et l'efficacité du système judiciaire,
d'ajourner l'examen de la demande de la pro
vince, parce que:
a) on peut s'attendre à ce que la Cour suprême
se prononce bientôt sur la validité constitu-
tionnelle du Décret sur les lignes directrices
auquel sont subordonnés les processus de la
Commission. Presque n'importe quelle déci-
sion sur le bien-fondé de la demande de
redressement définitif dont la présente Cour
est saisie sera vraisemblablement touchée
par la décision de la Cour suprême, qui, on
peut s'y attendre, influencera la décision
que cherche ici à obtenir la province.
b) Même si la décision de la Cour suprême ne
porte pas directement sur la question soule-
vée en l'espèce, il ne fait aucun doute dans
mon esprit qu'il peut être plus facile de la
régler, et aussi de la soutenir de façon plus
définitive, à la lumière de la décision, main-
tenant attendue, de la Cour suprême. Dans
ces circonstances, n'importe quel juge des
requêtes hésiterait à rendre une décision sur
la demande de la province avant que la
Cour suprême rende son jugement, car
celui-ci pourrait avoir une grande incidence
sur cette décision et occasionner d'autres
difficultés aux parties. Si un juge des requê-
19 Voir la note 18.
tes remettait le prononcé de son jugement
jusqu'au moment où l'on saurait clairement
quel effet la décision de la Cour suprême
pourrait avoir, la province se trouverait
alors dans la même position que si un ajour-
nement était accordé, ce qui n'est pas mieux
mais certainement pas pire. Comme l'a dit
le juge en chef adjoint Jerome au sujet des
demandes relatives au projet Daishowa, il
serait déraisonnable de s'attendre à ce
qu'un juge des requêtes se prononce sur un
point étroitement lié à des questions qu'étu-
die déjà la Cour suprême.
c) L'avocat de la province a reconnu avec fran
chise que même si la Cour suprême du
Canada a refusé d'ajouter une question
constitutionnelle précise sur les attributions
de la Commission, l'argumentation présen-
tée à la Cour au mois de février faisant
valoir que lesdites attributions sont inconsti-
tutionnelles, qu'elles englobent des ques
tions qui relèvent de la compétence législa-
tive des provinces. L'avocat a exprimé
l'espoir que la Cour suprême traite de la
validité constitutionnelle des attributions de
la Commission, soit le sujet même de la
demande dont il est question en l'espèce.
Selon moi, il serait malvenu d'examiner la
demande à ce stade-ci et dans ces circons-
tances, étant donné que des tribunaux de
niveaux différents au sein du système judi-
ciaire sont saisis de questions étroitement
liées à la demande. Par ailleurs, à ce sta-
de-ci, il serait présomptueux de ma part
d'examiner et de trancher une question que
la requérante espère voir tranchée par la
Cour suprême.
Je conclus donc qu'il faudrait faire droit à la
demande du ministre et djourner les procédures
concernant l'examen de la demande de la province.
Les avocats ont été invités à déterminer s'il y
avait des conditions qui pouvaient être incluses
dans toute ordonnance d'ajournement. Ils m'ont
ensuite indiqué qu'ils ne s'étaient entendus sur
aucune condition. L'avocat de la province a pro-
posé qu'on examine une ordonnance, s'ajoutant à
l'ajournement, qui empêcherait la Commission de
mener les audiences publiques ou les discussions
qu'elle se propose de tenir en deux volets, soit en
juin et en novembre, limitant ainsi d'une manière
effective les discussions publiques au temps prévu
pour la conclusion de ses études en novembre
1991. La question de la participation à des audien
ces proposées susceptibles de porter sur des ques
tions relevant de la compétence législative des
provinces était celle qui présentait le plus de diffi-
cultés à la province, et il y avait plus de chances
qu'avant le mois de juin 1991 que la Cour suprême
rende sa décision avant le mois de novembre. J'ai
refusé d'ajouter ces conditions, auxquelles s'oppo-
saient le ministre et la FORS. La question est donc
ajournée sine die, sans que cela porte préjudice au
droit qu'a la province, ou toute autre partie, de
présenter sa requête dans le délai habituel de deux
jours si les circonstances viennent à changer.
L'avocat de la FORS, qui a été décrite comme
un groupe d'intérêt public mais financée par des
sources privées, a soulevé la question des dépens.
La Société a considéré que le rôle actif qu'elle
avait joué dans cette affaire, en soutenant la tenue
d'un examen au moyen d'un action en justice, était
important, mais qu'il s'était avéré coûteux. L'avo-
cat a indiqué qu'il avait été proposé plus tôt aux
autres parties que les deux demandes soumises à la
Cour soient réglées séparément, la requête en
ajournement étant étudiée la première, auquel cas
la FORS n'aurait pas comparu à l'audience sur la
question. Cela n'a pas été accepté. Dans les cir-
constances, l'avocat a proposé que l'on adjuge les
dépens à la FORS sur une base de frais entre
avocat et client. Après avoir examiné cette
demande, ainsi que l'opposition de la province à
l'égard d'une ordonnance de dépens à ce stade-ci,
je conclus, et les ordonnances rendues en l'espèce
l'indiquent, que les dépens engagés à ce stade-ci
suivront l'issue de la cause.
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