T-2965-89
James M. Shaw (demandeur)
c.
Sa Majesté la Reine (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: SHAW C. CANADA (Ire INST.)
Section de première instance, juge Strayer—Calgary,
10 décembre 1991; Ottawa, 31 janvier 1992.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Le règlement
d'une action a augmenté le montant de l'indemnité accordée
pour les terrains expropriés, y compris des intérêts s'élevant
1 020 368 $ — Le M.R.N. a inclus cette somme dans le
revenu parce qu'il s'agissait d'intérêts — Cette somme devrait
être considérée comme un produit de la disposition — L'in-
demnité devrait être considérée comme un tout et non décorti-
quée en diverses catégories de dommages — Lorsque les mots
«indemnité afférente aux biens pris» à l'art. 54h)(iv) sont lus
de concert avec la définition du mot «biens», qui comprend
«un droit de quelque nature qu'il soit», une indemnité afférente
à la perte d'une source de revenus est la perte d'un «droit» et
donc d'un «bien».
Il s'agissait en l'espèce d'un appel d'une nouvelle cotisation
à l'égard de l'impôt payable pour l'année 1986 dans laquelle le
ministre a considéré que le montant de I 020 368 $ constituait
un revenu en intérêts. En 1977, la province de l'Alberta a
exproprié les terrains agricoles du demandeur et lui a versé une
indemnité de 719 400 $. Le demandeur a intenté une action
afin d'obtenir une indemnité plus élevée. Par suite du règle-
ment intervenu qui est entré en vigueur le 28 février 1986, le
demandeur a reçu une somme supplémentaire de 566 100 $
ainsi que les intérêts sur cette somme depuis le 30 septem-
bre 1977 (la date de prise de possession) jusqu'au 28 février
1986, soit une somme de 1 020 368 $. En 1986, le demandeur
a déclaré ces sommes comme produit de la disposition des ter
rains expropriés. La question en litige était celle de savoir si le
montant de 1 020 368 $ devait être considéré comme un pro-
duit de la disposition ou comme un revenu en intérêts. L'ali-
néa 44(2)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu prévoit «Aux
fins de la présente loi, la date à laquelle un bien a fait l'objet
d'une disposition par un contribuable [ ... ] ainsi que la date à
laquelle une somme, au titre du produit de cette disposition, est
devenue un montant à recevoir par le contribuable, est réputée
être la première des dates suivantes: a) le jour où le contribua-
ble a convenu d'un montant devant lui être versé à titre d'in-
demnité totale ... ». Le demandeur a soutenu que, suivant cet
alinéa, il était présumé avoir disposé de sa propriété le
28 février 1986. En conséquence, il ne pouvait y avoir d'inté-
rêts payés sur la valeur convenue de la propriété. Il a en outre
ajouté que le libellé du sous-alinéa 54h )(iv), qui prévoit que le
«produit de la disposition» comprend toute indemnité afférente
aux biens pris en vertu d'une loi, est suffisamment général
pour inclure comme produit de la disposition toutes les formes
d'indemnité convenues dans le règlement. La défenderesse a
invoqué The Expropriation Act de l'Alberta pour soutenir qu'il
s'agissait du paiement d'intérêts.
Jugement: l'appel devrait être accueilli.
La somme de 1 020 386 $ constituait un élément de l'indem-
nité afférente à un bien pris en vertu d'une loi et, en consé-
quence, un produit de la disposition au sens du sous-alinéa
54h)(iv), même si en vertu de la loi provinciale, ce paiement
était considéré comme un paiement d'intérêts et qu'il avait été
versé afin de remplacer les profits ou les intérêts que le deman-
deur avait perdus parce qu'il ne disposait pas de la somme en
capital représentant la valeur totale du terrain qui a été finale-
ment convenue. Cette conclusion va dans le même sens que le
raisonnement que la Cour d'appel fédérale a suivi dans l'arrêt
Sani Sport Inc. c. Canada où elle a statué qu'une indemnité au
titre de la perte commerciale que l'appelante a subie en raison
du fait qu'elle se trouvait dans l'impossibilité d'utiliser une
partie du terrain exproprié pour réaliser ses projets d'expansion
faisait partie du produit de la disposition. La Cour d'appel a
ajouté que la question était réglée par le sous-alinéa 54h)(iv).
Le législateur a voulu qu'une indemnité d'expropriation soit
traitée comme un tout pour fin fiscale et ne soit pas sujette à
décortication selon les divers postes de dommages. Même si le
calcul de l'indemnité était peut-être fondé sur la perte de pro
fits (c'est-à-dire les intérêts sur la somme en capital finalement
versée pour la propriété) et que le but du paiement était donc
de remplacer un revenu perdu, la Cour ne devrait pas se fonder
sur ce critère pour considérer cet élément de l'indemnité totale
comme autre chose que le produit de la disposition du bien.
Dans un jugement concourant, le juge Desjardins, J.C.A., a
examiné la question en lisant les mots «indemnité afférente
aux biens pris» du sous-alinéa 54h)(iv) de concert avec la défi-
nition du mot «biens» qui comprend «un droit de quelque
nature qu'il soit». Madame le juge Desjardins a considéré
qu'une indemnité afférente à la perte d'une source de revenus
constituait la perte d'un «droit» et donc d'un «bien» pouvant
être exproprié. En conséquence, le montant de 1 020 368 $ a
été versé afin de compenser le demandeur pour la perte d'une
source de revenus, le droit à cette source étant une forme de
«biens».
Le fait de considérer le montant de I 020 368 $ comme le
produit d'une disposition est également compatible avec l'ali-
néa 44(2)a) qui a pour effet de présumer la date à laquelle l'in-
demnité devient un montant à recevoir par le contribuable aux
fins de l'ensemble de la Loi de l'impôt sur le revenu. En l'es-
pèce, cette date était le 28 février 1986, soit la date à laquelle
un règlement a été conclu sous forme finale. Avant cette date,
il n'y avait aucun montant à recevoir par le demandeur à
l'égard de la disposition du bien et aucun montant à recevoir à
l'égard de la somme en capital. La présomption quant à la date
a des répercussions qui touchent toutes les autres parties perti-
nentes de la Loi, notamment quant à l'interprétation des mots
«indemnité afférente aux biens» du sous-alinéa 54h)(iv) de
sorte que les montants reçus conformément à un règlement,
quelle que soit la façon dont ils ont été calculés, ne peuvent
être considérés comme des intérêts sur des sommes dues au
contribuable avant le règlement.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63,
art. 12(1) (mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 140, art.
4), 44(2)a) (mod. par S.C. 1977-78, chap. 1, art. 18;
1985, chap. 45, art. 126, n° 36), 54h)(iv), 248.
The Expropriation Act, S.A. 1974, chap. 27 (maintenant
R.S.A. 1980, chap. E-16), art. 39, 40, 64.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Sani Sport Inc. c. Canada, [1990] 2 C.T.C. 15; (1990), 90
DTC 6230 (C.A.F.); confirmant [1987] I C.T.C. 411;
(1986), 87 DTC 5253 (C.F. ire inst.).
DÉCISION NON SUIVIE:
Wride c. M.R.N., 86-257 (IT), juge Bonner, jugement en
date du 28-1-88, C.C.I., non publié.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Elliott (R A) c MRN, [1984] CTC 2373; (1984), 84 DTC
1325 (C.C.I.); Wideman (B) c MRN, [1983] CTC 2589;
(1983), 83 DTC 531 (C.C.I.); E.R. Fisher Ltd. c. La
Reine, [1986] 2 C.T.C. 114; (1986), 86 DTC 6364; 4
F.T.R. 188 (C.F. Pc inst.).
AVOCATS:
Alan D. Macleod et James G. McKee pour le
demandeur.
D. B. Titosky pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Macleod, Dixon, Calgary, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du
jugement rendus par
LE JUGE STRAYER:
La réparation demandée
Le demandeur en appelle de la deuxième nouvelle
cotisation que le ministre du Revenu national a éta-
blie à l'égard de son impôt sur le revenu pour l'année
1986, estimant que le ministre a eu tort de considérer
le montant de 1 020 368 $ comme un revenu en inté-
rêts plutôt que comme le produit de la disposition
d'un bien. Il désire également recouvrer le montant
d'impôt sur le revenu payé conformément à cette
nouvelle cotisation ainsi que les intérêts s'y rappor-
tant.
Les faits
Le demandeur était propriétaire de terrains agri-
coles situés près de Calgary lorsque, le 20 juillet
1977, Sa Majesté la Reine du chef de l'Alberta lui a
signifié un avis de son intention d'exproprier une par-
tie de ces terrains pour y aménager un parc provin
cial. Le 30 septembre 1977, il a reçu un avis indi-
quant qu'à compter de ce jour, le terrain avait été
exproprié. La province est devenue propriétaire du
terrain en question ce jour-là et en a pris possession
le 31 janvier 1978. Le 6 novembre 1977, la province
a signifié au demandeur un avis indiquant le paie-
ment proposé à l'égard des terrains expropriés ainsi
que ladite somme proposée de 719 400 $, soit le
montant que la province jugeait être une indemnité
appropriée.
En 1978, le demandeur et des propriétaires de ter
rains adjacents touchés de la même façon ont intenté
une action contre la province pour obtenir une
indemnité plus élevée. Dans son action, le demandeur
réclamait de la province un montant supérieur à
l'égard de la valeur marchande, un autre montant à
l'égard de la perte d'un avantage économique spécial
attribuable à ces terrains, une somme représentant le
coût de la recherche d'un terrain remplaçant le terrain
exproprié et une somme au titre du préjudice subi
ainsi que des intérêts sur les montants précités pour la
période allant du ler février 1978 (date à laquelle le
demandeur a perdu la possession du terrain) jusqu'à
la date du jugement. Cette action a été réglée. Bien
que l'entente de règlement ne soit énoncée dans
aucun document, les parties conviennent que les con
ditions sont résumées de façon appropriée dans une
lettre de l'avocat de la province en date du 9 jan-
vier 1986 (pièce 4), dans une lettre du ministère des
travaux publics de la province en date du 8 avril 1986
(pièce 5) et dans une quittance qu'ont signée le
demandeur dans la présente action et ses codeman-
deurs dans l'action intentée devant la Cour du Banc
de la Reine de l'Alberta (pièce 6). Il est également
reconnu que l'entente était en vigueur le
28 février 1986 et que, selon cette entente, James M.
Shaw, le contribuable en l'espèce, devait recevoir un
autre montant de 566 100 $ représentant la valeur de
son terrain exproprié en sus du montant que la pro
vince lui avait déjà versé, ainsi que les intérêts sur cet
excédent au taux de 13 p. 100 composé annuellement
depuis le 30 septembre 1977 (la date de prise de pos
session) jusqu'au 28 février 1986, lesquels intérêts
s'élevaient à 1 020 368 $, soit le montant en litige
dans la présente cause.
En 1977, le demandeur avait déclaré le montant de
719 400 $ qu'il avait initialement reçu de la province
comme produit de la disposition et le ministre a
accepté ce montant. Pour son année d'imposition
1986, le demandeur a déclaré chacune des autres
sommes qu'il a reçues comme produit de la disposi
tion des terrains expropriés. D'après ce que j'ai pu
comprendre, tant dans la première cotisation que dans
la deuxième, le ministre du Revenu national a refusé
de considérer le montant susmentionné de
1 020 368 $ comme un produit de la disposition,
jugeant plutôt qu'il s'agissait d'un revenu en intérêts.
Le demandeur a payé l'impôt supplémentaire exigé
selon l'avis de cotisation, mais il a déposé un avis
d'opposition et, après avoir reçu la deuxième nou-
velle cotisation, qui est demeurée inchangée à l'égard
des questions en litige en l'espèce, il a déposé le pré-
sent appel.
Essentiellement, le ministre soutient que le mon-
tant en question devrait être considéré comme un
revenu conformément au paragraphe 12(1) de la Loi
de l'impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, chap. 63
(mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 140, art. 4)],
selon lequel le contribuable doit inclure dans le calcul
de son revenu tout montant qu'il reçoit à titre d'inté-
rêts. Pour sa part, le contribuable invoque l'alinéa
44(2)a) [mod. par S.C. 1977-78, chap. 1, art. 18;
1985, chap. 45, art. 126, n° 36] et le sous-alinéa
54h)(iv) de la Loi, dont le libellé est le suivant:
44. ...
(2) Aux fins de la présente loi, la date à laquelle un bien a
fait l'objet d'une disposition par un contribuable, dont le pro-
duit est un produit visé aux sous-alinéas 13(21)d)(ii), (iii) ou
(iv) ou 54h)(ii), (iii) ou (iv) ainsi que la date à laquelle une
somme, au titre de ce produit de disposition, est devenue un
montant à recevoir par le contribuable, est réputée être la pre-
mière des dates suivantes:
a) le jour où le contribuable a convenu d'un montant devant
lui être versé à titre d'indemnité totale pour le bien perdu,
détruit, pris ou vendu ...
54. ...
h) «produit de la disposition» d'un bien comprend
(iv) toute indemnité afférente aux biens pris en vertu
d'une loi, ou le montant du prix de vente des biens vendus
à une personne ayant donné un avis de son intention de
les prendre en vertu d'une loi, ...
Le demandeur soutient que, selon l'alinéa 44(2)a), il
doit être présumé avoir disposé de sa propriété le
28 février 1986, soit la date du règlement. En consé-
quence, dit-il, il ne pouvait y avoir d'intérêts à payer
sur la valeur convenue de la propriété avant cette date
conformément aux dispositions de la Loi de l'impôt
sur le revenu, parce que, selon cette Loi, il était
encore propriétaire du terrain jusqu'à la date du
règlement. En outre, il ajoute que le libellé du sous-
alinéa 54h)(iv) est suffisamment général pour inclure
comme produit de la disposition toutes les formes
d'indemnité qui, selon le règlement du 28 février
1986, ont été convenues à cette date. Il dit que le seul
montant d'intérêts dont l'assujettissement à l'impôt
n'est pas contesté était un petit montant qui lui était
dQ en raison du fait que l'indemnité lui a été versée le
26 mars 1986 au lieu du 28 février de la même année.
La question en litige
La question en litige est celle de savoir si le mon-
tant de 1 020 368 $ payé conformément au règlement
du 28 février 1986 devrait être considéré comme un
produit de la disposition ou comme un revenu en
intérêts aux fins de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Conclusions
Il est très difficile de déterminer la nature de ce
montant aux fins de l'impôt. Les avocats ne m'ont
pas cité de décision claire ou de décision que je
devrais suivre sur ce point. La Cour canadienne de
l'impôt et ses prédécesseurs ont rendu des décisions
partagées sur cette question'.
I Voir, p. ex., Elliott (R A) c MRN, [1984] CTC 2373
(C.C.I.), où les intérêts versés sur la valeur finalement conve-
nue de la propriété et calculés jusqu'à la date du règlement ont
été considérés comme une partie de l'indemnité et non comme
des intérêts. Cependant, dans Wride e. M.R.N., 86-257 (IT),
juge Bonner, décision non publiée en date du 28-1-88 (C.C.I.),
un paiement similaire a été considéré comme un paiement
d'intérêts et la décision rendue dans l'affaire Elliott a été écar-
tée. Ce raisonnement a été suivi dans Wideman (B) c MRN,
[1983] CTC 2589 (C.C.I.), mais les commentaires qui ont été
formulés dans cette cause au sujet de la nature du paiement
étaient surtout des remarques incidentes.
L'avocat du ministre s'est fondé en partie sur la
Loi provinciale en vertu de laquelle le terrain a été
exproprié, soit The Expropriation Acte, pour soutenir
que le paiement en question était un paiement d'inté-
rêts. À mon avis, d'après les articles 39, 40 et 64 de
cette Loi, ce paiement est considéré non pas comme
une «indemnité», mais plutôt comme un paiement
d'«intérêts». En conséquence, si je pouvais trancher
le litige en me fondant uniquement sur l'Expropria-
tion Act de l'Alberta, je pourrais probablement dire
que le montant en question représente des «intérêts».
Je pourrais en arriver à la même conclusion si je
tenais compte uniquement de l'objet pour lequel ce
montant a été payé au contribuable. Il semble que ce
montant lui ait été versé comme prix qu'il aurait
obtenu pour le terrain si ce prix avait été payé lorsque
la province a pris possession de la propriété. Il appert
clairement des documents du règlement et de l'ex-
posé conjoint des faits que les parties ont déposés en
l'espèce que les intérêts ont été calculés au taux de 13
p. 100 sur l'augmentation de la somme en capital qui,
selon le règlement, représentait la juste valeur de la
propriété. Le taux de 13 p. 100 a été déterminé
(d'après l'exposé conjoint des faits) [TRADUCTION]
«une fois que le demandeur a examiné le taux de ren-
dement de ses autres investissements au cours de la
période allant de septembre 1977 à janvier 1986». En
conséquence, d'un point de vue économique, le mon-
tant d'intérêts à payer a été calculé de façon à rem-
placer les profits ou les intérêts que le demandeur a
perdus parce qu'il ne disposait pas de la somme en
capital représentant la valeur totale du terrain qui a
finalement été convenue.
Cependant, j'en suis arrivé à la conclusion que le
montant de 1 020 386 $ en question devrait être con-
sidéré comme un élément de l'indemnité afférente à
un bien pris en vertu d'une loi et, en conséquence,
comme un produit de la disposition au sens du sous-
alinéa 54h)(iv) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
À mon avis, cette conclusion va dans le même sens
que le raisonnement que la Cour d'appel fédérale a
suivi dans Sani Sport Inc. c. Canada 3 . Dans cette
affaire, l'appelante Sani Sport Inc. était propriétaire
d'un terrain sur lequel elle exploitait une entreprise.
2 S.A. 1974, chap. 27 [maintenant R.S.A. 1980, chap. E-16].
3 [1990] 2 C.T.C. 15 (C.A.F.).
Hydro -Québec a exproprié une partie du terrain. Con-
formément au règlement final, l'appelante a reçu un
montant d'environ 63 000 $, qui représentait la valeur
dé la propriété expropriée et la baisse de la valeur du
reste du terrain, ainsi qu'un montant approximatif de
286 000 $ au titre de la «perte commerciale» que
l'appelante a subie en raison du fait qu'elle se trou-
vait dans l'impossibilité d'utiliser une partie du ter
rain exproprié pour réaliser ses projets d'expansion.
Le juge Marceau, J.C.A., a dit que le montant avait
été «calculé selon une capitalisation des revenus
qu'aurait gagnés l'appelante si ses plans d'expansion
avaient pu se réaliser ... ». En première instance
[[1987] 1 C.T.C. 411], le juge Pinard avait décidé que
ce montant faisait partie du produit de la disposition
et la Cour d'appel a confirmé cette conclusion. À cer-
tains égards, cette cause est différente du présent
litige. Le ministre du Revenu national n'avait pas
considéré le montant de 286 000 $ comme un revenu
d'entreprise, mais uniquement comme un produit de
la disposition. La contribuable n'était pas prête à
admettre qu'il s'agissait bien du produit de la disposi
tion d'un bien, soutenant plutôt qu'il représentait une
indemnité à l'égard du tort causé à l'entreprise. En
revanche, dans le cas qui nous occupe, le contribua-
ble soutient que le montant en question fait partie du
produit de la disposition de la propriété, alors que le
ministre allègue qu'il s'agit d'un revenu en intérêts.
En outre, dans l'affaire Sani Sport, il était plus facile
de lier la perte de possibilités commerciales à la pro-
priété, parce que, comme l'a dit le juge. Marceau,
J.C.A., ce montant représentait la «valeur écono-
mique particulière que le terrain avait pour l'expro-
prié». Néanmoins, j'estime que le raisonnement suivi
dans l'affaire Sani Sport s'applique en l'espèce. Dans
cette cause-là, le juge Marceau, J.C.A., qui a rédigé le
jugement au nom du juge MacGuigan, J.C.A., et en
son propre nom, fait allusion à l'argument de l'appe-
lante selon lequel le montant de 286 000 $ a été payé
dans le but d'indemniser l'appelante à l'égard du tort
causé à l'entreprise, et non pour la dédommager de la
perte de la propriété, bien que l'expropriation fût la
cause du paiement. L'appelante a soutenu que le trai-
tement fiscal d'un montant doit dépendre du but dans
lequel il est versé, non de la cause du paiement. Voici
ce que le juge Marceau, J.C.A., a dit à ce sujet:
J'avoue ne pas tout à fait comprendre où l'appelante en
arrive avec son raisonnement. Si on voulait appliquer intégra-
lement sa position ici, il faudrait se demander ce que consti
tuent ces dommages que l'on a voulu compenser et peut-être
qu'on en arriverait vite à conclure qu'il s'agit de perte de profit
d'opération requérant un traitement fiscal approprié encore
plus désavantageux ... [Le soulignement est le mien.] 4
Il a ajouté qu'à tout événement, la question était
entièrement réglée par le sous-alinéa 54h)(iv) de la
Loi de l'impôt sur le revenu:
Il est clair que le législateur a voulu qu'une indemnité d'expro-
priation soit traitée comme un tout pour fin fiscale et ne soit
pas sujette à «décortication» selon les divers postes de dom-
mages considérés en vue d'en établir le montants.
J'en conclus qu'il importe peu qu'une partie de l'in-
demnité soit calculée d'après la perte de revenus.
L'indemnité doit être considérée comme un tout et
non «décortiquée» en diverses catégories selon le
fondement utilisé pour en calculer un élément
donné 6 . Même si ce calcul était peut-être fondé sur la
perte de profits (c'est-à-dire les intérêts sur la somme
en capital finalement versée pour la propriété) et que
le but du paiement était donc de remplacer un revenu
perdu, la Cour ne devrait pas se fonder sur ce critère
pour considérer cet élément de l'indemnité totale
comme autre chose que le produit de la disposition du
bien. Dans les motifs concordants distincts qu'elle a
rédigés dans l'affaire Sani Sport, le juge Desjardins,
J.C.A., a examiné la question en lisant les mots
«indemnité afférente aux biens pris» du sous-alinéa
54h)(iv), de concert avec la définition du mot «biens»
du paragraphe 248(1), qui comprend «un droit de
quelque nature qu'il soit ... ». A son avis, le paie-
ment du montant de 286 000 $ était une indemnité
afférente à la «perte d'une source de revenus», soit la
perte d'un «droit» et donc d'un «bien» pouvant être
exproprié.
Lorsque j'applique le raisonnement suivi dans l'af-
faire Sani Sport au présent litige, je conclus que,
même si la somme de 1 020 368 $ a été calculée
comme montant remplaçant le revenu en intérêts que
le demandeur aurait reçu s'il avait obtenu le plein
prix de son terrain lors de la prise de possession, cela
4 Ibid., à la p. 17.
5 Ibid., à la p. 18.
6 C'est aussi ce qui ressort de l'opinion que le juge McNair
a formulée dans E.R. Fisher Ltd. c. La Reine, [1986] 2 C.T.C.
114 (C.F. lie inst.), aux p. 121 et 122. Cependant, dans cette
cause-là, le juge McNair n'a examiné que des intérêts payés à
titre de pénalité, type d'intérêts qui n'est pas en cause en l'es-
pèce.
ne fait pas de ce paiement autre chose qu'une
«indemnité afférente aux biens pris». La Cour ne
devrait pas décortiquer les divers «postes de dom-
mage» (selon le juge Marceau, J.C.A.) utilisés pour
calculer le montant total du paiement versé au pro-
priétaire, mais devrait plutôt examiner le montant
dans son ensemble. En outre, selon l'analyse du juge
Desjardins, J.C.A., le montant de 1 020 368 $ a été
versé au demandeur «afin de compenser [celui-ci]
pour la perte d'une source de revenus», le droit à
cette source étant une forme de «biens».
En outre, j'estime que le fait de considérer le mon-
tant en question comme le produit d'une disposition
est compatible avec l'alinéa 44(2)a) de la Loi de l'im-
pôt sur le revenu, précité, sur lequel le demandeur se
fonde. On remarquera que, selon cette disposition:
44. .. .
(2) Aux fins de la présente loi, la date à laquelle un bien a
fait l'objet d'une disposition par un contribuable, ... ainsi que
la date à laquelle une somme, au titre de ce produit de disposi
tion, est devenue un montant à recevoir par le contribuable, est
réputée être la première des dates suivantes:
a) le jour où le contribuable a convenu d'un montant devant
lui être versé à titre d'indemnité totale ... [Les souligne-
ments sont les miens.]
Cette disposition a pour effet de présumer, aux fins
de l'ensemble de la Loi de l'impôt sur le revenu, la
date à laquelle l'indemnité devient un montant à rece-
voir par le contribuable. En l'espèce, cette date était
le 28 février 1986, soit la date à laquelle le règlement
a été conclu sous forme finale. Avant cette date, aux
fins de l'ensemble de la Loi de l'impôt sur le revenu,
il n'y avait aucun montant à recevoir par le deman-
deur à l'égard de la disposition du bien et aucun mon-
tant à recevoir à l'égard de la somme en capital. Le
fait que l'indemnité globale comprenait les intérêts
équivalents sur la valeur supplémentaire de la pro-
priété qui ont été calculés depuis la date de la prise de
possession jusqu'à la date du règlement n'a pas d'im-
portance.
Je reconnais que cette opinion au sujet du para-
graphe 44(2) va à l'encontre de celle qu'a exprimée
le juge Bonner, de la Cour canadienne de l'impôt,
dans l'affaire Wride 7 . De l'avis du juge Bonner, le
paragraphe 44(2) a uniquement pour effet de présu-
mer que le contribuable demeure propriétaire jusqu'à
7 Précitée, note I.
une certaine date pouvant être déterminée, mais ne
peut avoir pour effet d'attribuer à un montant versé
au propriétaire [TRADUCTION] «une caractéristique 'qui
va à l'encontre de la réalité». Cette décision a été ren-
due avant le jugement de la Cour d'appel dans l'af-
faire Sani Sport. Avec égards, il me semble que les
mots introductifs du paragraphe 44(2), qui énoncent
que la date à laquelle le produit de la disposition est
devenu un montant à recevoir par le contribuable est
réputée être, «[a]ux fins de la présente loi», la date,
notamment, du règlement, donnent à cette présomp-
tion des répercussions qui touchent toutes les autres
parties pertinentes de la Loi. En outre, cette présomp-
tion permet d'interpréter le sens des mots «indemnité
afférente aux biens» du sous-alinéa 54h)(iv) et signi-
fie notamment que les montants reçus conformément
à un règlement, quelle que soit la façon dont ils ont
été calculés, ne peuvent être considérés comme des
intérêts sur des sommes dues au contribuable avant le
règlement.
J'accueille donc l'appel et j'ordonne au ministre
du Revenu national d'établir une nouvelle cotisation
à l'égard de l'année d'imposition 1986 du deman-
deur, de façon qu'il considère le montant de
1 020 368 $ comme le produit d'une disposition et
non comme un revenu en intérêts. Tout excédent
d'impôt que le demandeur a payé à l'égard de l'année
d'imposition 1986 lui sera remboursé ainsi que les
intérêts, s'il y a lieu, conformément à la Loi de l'im-
pôt sur le revenu. Le demandeur a droit à ses dépens
dans la présente action.
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