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T-2230-89
Edelbert Tetzlaff et Harold Tetzlaff (requérants)
c.
Ministre de l'Environnement (intimé)
et
Saskatchewan Water Corporation (intervenante)
RÉPERTORIÉ• TETZLAFF C. CANADA (MINISTRE DE L'ENVIRONNEMENT) (Ire /NST.)
Section de première instance, juge Muldoon—Winni- peg, 11 septembre; Ottawa, 30 septembre 1991.
Environnement Requête en exécution d'une ordonnance de la Cour enjoignant à une commission (1) de déterminer si le projet de barrage Rafferty-Alameda était compatible avec le développement rationnel des ressources et de l'économie du Canada et (2) d'exiger de Saskatchewan Water Corporation qu'elle dépose un énoncé des incidences environnementales La commission a soumis son rapport au ministre le jour avant que la requête ne dût être présentée Le ministre prétend que cette commission est maintenant dessaisie de l'affaire et que la question est sans intérêt pratique Rejet de l'objection préli- minaire La commission actuelle a remplacé la commission initiale qui avait donné sa démission parce que Saskatchewan Water voulait faire avancer le projet pour annuler ses efforts Si la Cour avait connu les intentions de Saskatchewan Water, elle aurait annulé le permis relatif au projet La com mission n'a pas tenu compte de l'obligation de respecter le Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évalua- tion et d'examen en matière d'environnement et les exigences de la Loi sur les ouvrages destinés n l'amélioration des cours d'eau internationaux La commission n'a pas exigé une ana lyse coûts-avantages bien que cela fût obligatoire en vertu du Règlement Tant que l'on n'aura pas remédié à ce vice fatal, la commission n'a pas fait son rapport au ministre L'audi- tion de la requête est ajournée pour que soit modifié l'avis de requête en raison des récents événements.
Pratique Jugements et ordonnances Exécution Demande tendant n l'obtention d'une ordonnance enjoignant de respecter l'ordonnance antérieure selon laquelle la commis sion devait déterminer si le projet de barrage Rafferty-Ala- nteda était compatible avec le développement rationnel des ressources et de l'économie du Canada La commission a soumis son rapport au ministre le jour avant que l'avis des requérants ne dût être présenté Le dépôt du rapport consti- tue-t-il une observation suffisante de l'ordonnance antérieure de la Cour !l tel point qu'il n'existe plus aucun litige et que la question est sans intérêt pratique? Le rapport a omis d'exi- ger, d'examiner et de mettre !l l'épreuve une analyse écono- mique des avantages directs et indirects et des frais du projet conformément n l'art. 6g) du Règlement sur l'amélioration des
cours d'eau internationaux Inobservation des dispositions obligatoires de la loi Tant que l'on n'aura pas remédié au vice fatal, le rapport . fait au ministre est inopérant L'audi- tion de la requête est ajournée pour permettre aux requérants de modifier leur avis de requête quant aux réparations qu'ils sollicitent vu les événements imprévus.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Décret sur les lignes directrices visant le processus d'éva- luation et d'examen en matière d'environnement, DORS/84-467, art. 30(1), 33(1)a), 34a).
Loi sur les ouvrages destinés à l'amélioration des cours
d'eau internationaux, L.R.C. (1985), chap. I-20.
Règlement sur l'amélioration des cours d'eau internatio- naux, C.R.C., chap. 982 (mod. par DORS/87-570), art. 6g),h).
Règles de la Cour . fédérale, C.R.C., chap. 663.
JURISPRUDENCE DÉCISIONS CITÉES:
Tetzlaffc. Canada (Ministre de l'Environnement) (1991), 47 Admin. L.R. 290; 40 F.T.R. 114 (C.F. Ire inst.); Tetzlaff c. Canada (Ministre de l'Environnement) (1991), 47 Admin. L.R. 275; 40 F.T.R. 104 (C.F. Ire inst.).
AVOCATS:
Alan W. Scarth, c.r., et Gordon H. A. Mackin
tosh pour les requérants.
Craig J. Henderson pour l'intimé.
D. E. Gauley, c. r., R.G. Kennedy et C. Wheatley
pour l'intervenante.
PROCUREURS:
Thompson, Dorfman, Sweatman, Winnipeg, et Gowling, Strathy & Henderson, Ottawa, pour les requérants.
Le sous-procureur général du Canada pour l'in- timé.
Gauley & Company, Saskatoon (Saskatchewan), pour l'intervenante.
Ce qui suit est la partie française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MULDOON: Par suite de l'ordonnance ren- due en l'espèce par cette Cour le 8 février 1991, les requérants sollicitent:
I. Une ordonnance forçant le respect de l'ordonnance rendue le 8 février 1991 (l'-«ordonnance»), notamment
a) une directive selon laquelle la commission composée de trois membres, à savoir John Archer, William J. Stolte et
Roderick R. Riewe (la «commission») doit, au cours de l'examen public qu'elle doit entreprendre comme l'exige l'ordonnance (I'«examen public»), déterminer si le projet de barrage Rafferty-Alameda (la «proposition») est «com- patible avec le développement rationnel des ressources et de l'économie du Canada», conformément à l'alinéa 6h) du Règlement sur l'amélioration des cours d'eau interna- tionaux;
b) une directive selon laquelle la commission doit exiger que l'intervenante dépose l'énoncé des incidences environne- mentales (l'«EIE») et des documents à l'appui, comme le prévoit l'alinéa 34a) du Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement, DORS/84-467, que l'intimé s'assure que l'intervenante s'acquitte de cette responsabilité, comme l'exige l'alinéa 33(1)a) de ce décret, et que la commission établisse les directives appropriées prévues au paragraphe 30(1) de celui-ci;
c) Une directive selon laquelle l'ÉIE contient une «analyse économique des avantages directs et indirects et des frais que comporte effectivement» la proposition et qui résulte- ront de ladite proposition, selon l'alinéa 6g) du Règlement sur l'amélioration des cours d'eau internationaux (l'«ana- lyse avantages-coûts»), cette analyse avantages-coûts devant comprendre une analyse des coûts directs et indi- rects de la proposition dans les domaines de compétence fédérale comme dans les domaines de compétence provin- ciale, et une analyse des avantages en matière d'agriculture et de récréation de la proposition compte tenu des éléments de preuve présentés à la commission, notamment des élé- ments de preuve portant sur le taux d'évaporation des réservoirs projetés.
d) Une directive selon laquelle le requérant peut examiner l'ÉIE, y compris l'analyse avantages-coûts, et produire des éléments de preuve pertinents à la commission;
e) Une directive générale selon laquelle la commission ne doit pas entreprendre son examen public en tenant pour acquis que la proposition sera construite et maintenue à titre d'ouvrages destinés à l'amélioration des cours d'eau internationaux sous le régime de la Loi sur les ouvrages destinés à l'amélioration des cours d'eau internationaux, L.R.C. (1985), chap. I-20 (la «LODACEI»), pour se limi- ter donc, dans son mandat, à l'atténuation des effets envi- ronnementaux de la proposition, mais elle doit, au lieu de cela, entreprendre son examen public aux fins de détermi- ner si la proposition est compatible avec le développement rationnel des ressources et de l'économie du Canada, et si elle devrait être construite et maintenue à titre d'ouvrage destiné à l'amélioration d'un cours d'eau international;
et toute autre directive que la Cour jugera appropriée;
2. Subsidiairement, une ordonnance de certiorari qui annule- rait le permis délivré pour la proposition par l'intimé en vertu de la LODACEI le 31 août 1989, notamment au motif que l'ordonnance et l'ordonnance antérieure que cette Cour a rendue le 28 décembre 1989 n'ont pas été res- pectées;
3. Les dépens de la présente demande;
ET SACHEZ QUE, à l'appui de la présente demande, il sera fait lecture de l'affidavit déposé de Gordon H.A. Mackintosh, et il en sera de même de toute autre preuve que les avocats jugent indiquée et que cette Cour autorise.
Cet avis devait être présenté à Winnipeg le 11 sep- tembre 1991. À l'ouverture de cette session, l'avocat de l'intimé, avec l'appui de l'avocat de l'interve- nante, a soutenu qu'on a mis fin à ces procédures parce que la commission (qui a succédé à la commis sion antérieure, la première commission) créée par l'intimé le 5 février 1991 avait soumis à ce dernier un rapport, sous forme d'un imprimé, intitulé «Rapport de la Commission d'évaluation environnementale du projet Rafferty-Alameda». Cette commission, selon l'avocat de l'intimé, avait soumis un tel document au ministre dès le 10 septembre 1991, le jour avant que l'avis des requérants ne dût être présenté devant cette Cour. L'avocat a présenté une copie de ce rapport qui constituait une pièce à l'audience.
L'intimé et l'intervenante soutiennent que, pour ce qui est de l'exécution de l'ordonnance antérieure de la Cour du 8 février 1991, cette commission est main- tenant dessaisie de l'affaire, ainsi que l'est cette Cour, et que la question est en conséquence sans inté- rêt pratique.
L'avocat des requérants fait valoir que la commis sion s'est précipitée pour déposer un rapport insuffi- sant, dans une tentative désespérée en vue d'éviter un examen approprié. Il n'est pas certain que dans ces propos, l'avocat visait les membres de la commis sion, mais s'il ne s'en prenait pas seulement à eux, il doit alors avoir fait allusion à une sorte de complot entre les membres et le ministre, conclusion qu'il faut tirer seulement de la preuve appropriée. En tout état de cause, l'avocat a ajouté que le rapport, tel qu'il a été présenté, porte uniquement sur les mesures d'atté- nuation, et ne dit mot sur le caractère judicieux du projet. Dans ses lacunes, le rapport répond aux pro- phéties sinistres de la Rawson Academy of Aquatic Science de mars 1991, et à celles des Tetzlaff eux- mêmes. De plus, selon l'avocat des requérants, si la commission peut, après seulement quelques semaines, présenter un examen inadéquat, elle fait échec à la fin visée par le processus d'examen. D'après lui, le ministre s'est [TRADUCTION] «opposé à un examen économique pendant les trois dernières
années» et [TRADUCTION] «la commission a expressé- ment évité» cet examen, mais [TRADUCTION] «un tel examen s'impose». [TRADUCTION] «Ce rapport consti- tue un manquement à l'obligation de la commission. S'ils ne l'ont pas fait, le permis [de l'intervenante] devrait être annulé.»
Les affirmations de l'intimé et de l'intervenante prennent alors la forme d'une objection préliminaire selon laquelle il n'y a maintenant aucun litige, aucun point litigieux véritable que cette Cour doit trancher entre les parties opposées, l'intervenante se rangeant du côté de l'intimé pour ce qui est de son objection préliminaire. L'intervenante et l'intimé insistent sur le fait que la création de la commission et la récep- tion de son rapport sont tout ce que la Cour pouvait enjoindre au ministre de faire, et que c'est exacte- ment ce qui a été fait.
Comme il existe un point litigieux entre les parties inter se et l'intervenante quant à l'objection prélimi- naire, le débat sur cette question a été ajourné au len- demain.
Entre-temps, un avocat a comparu pour Joseph Dolecki, l'un des requérants dans l'affaire Fédération canadienne de la faune Inc. c. Canada (Ministre de l'Environnement), [1989] 3 C.F. 309 (1 re inst.). Il a demandé pour son client le statut d'intervenant pour prendre part aux présentes procédures. L'avocat des requérants ne s'est pas opposé à ce que M. Dolecki dépose des documents portant sur les questions de fond litigieuses telles qu'elles ont été cernées par l'avis de requête des requérants. L'avocat dit que ces documents figurent de toute façon dans le dossier public qui se trouve dans d'autres endroits. L'intimé et l'intervenante se sont, à juste titre d'ailleurs, oppo- sés à cette tentative tardive faite par M. Dolecki pour comparaître dans la présente action, et ils prétendent que si on mettait maintenant fin à l'affaire, il serait inutile d'entendre les conclusions de M. Dolecki. Étant donné ces objections et le fait que, en vertu des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., chap. 663], M. Dolecki n'est nullement doté d'un droit absolu pour intervenir à ce stade, la Cour a refusé son interven tion, mais elle n'a pas pour autant exclu son droit de solliciter un tel statut plus tard, au cas cette Cour devait rejeter l'objection préliminaire susmentionnée pour statuer sur le fond.
En fait, le respect de l'ordonnance de cette Cour du 8 février 1991 a-t-il eu pour effet que, avec le dépôt en septembre 1991 du rapport de la commission, il n'existe plus aucun litige dans les présentes procé- dures, ce qui met fin à celles-ci, et que la question litigieuse est simplement sans intérêt pratique parce qu'elle a complètement perdu de sa force? Ou bien le document présenté par la commission est-il un non- rapport, simplement une nullité? Si tel est le cas, le ministre doit insister pour que la commission fasse son travail et se conforme à l'ordonnance de la Cour.
Ainsi qu'il a été mentionné, la commission qui a présenté un rapport au ministre la veille de l'audience tenue en l'espèce était la deuxième commission à être constituée relativement au projet Rafferty-Alameda. La première commission a donné sa démission le 12 octobre 1990 parce qu'elle s'est, à juste titre, rendue compte que l'intervenante voulait délibérément agir rapidement en ce qui concernait le projet afin de faire échouer le travail et les conclusions de la commis sion. Si la Cour avait su en décembre 1989 que l'in- tervenante adopterait une telle attitude, elle aurait annulé d'emblée le permis afin de donner à la com mission d'évaluation environnementale la possibilité de faire son travail sans être éclipsée par l'interve-
nante, qui hâtait impitoyablement les travaux de construction du barrage et les travaux connexes. Il est évident que certaines personnes ne se conduisent pas d'une manière raisonnable, même lorsqu'elles en ont la possibilité. Voici le paragraphe qui sert de préam- bule de l'ordonnance du 8 février 1991:
ATTENDU QUE le 5 février 1991, le ministre intimé a devancé l'ordonnance de la Cour en constituant une nouvelle commission d'évaluation environnementale chargée [TRADUC- TION] «d'entreprendre l'examen des répercussions environne- mentales du projet de barrage Rafferty-Alameda ainsi que ses répercussions sociales directes (qui résultent des changements apportés à l'environnement biophysique)» en Saskatchewan, en conséquence;
Voici ce qui a été et est requis en vertu de l'ordon- nance de la Cour du 8 février 1991:
1. LA COUR ORDONNE QUE dans la mesure elles ne figurent pas dans le mandat confié par l'intimé à la commis sion de trois membres, soit John Archer, William J. Stolte et Roderick R. Riewe, les modalités et les conditions suivantes, énoncées au premier paragraphe de l'ordonnance de cette Cour prononcée le 28 décembre 1989, conformément au Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'exa-
men en matière d'environnement, devront en faire partie et y être ajoutées:
... (la) commission (a le mandat) de mener un examen public de tous les effets importants et néfastes sur l'environ- nement, incluant les répercussions importantes et les réper- cussions modérées ne pouvant être atténuées par des moyens technologiques connus, au sens mentionné dans le Volume 1 du rapport technique préparé par Environnement Canada, au mois d'août 1989, ce rapport faisant suite à l'évaluation ini- tiale des effets environnementaux du projet de barrage Raf- ferty-Alameda, une copie dudit Volume I étant jointe, comme annexe «E», à la déclaration assermentée de Ken- neth A. Brynaert, déposée au dossier de la Cour le 6 octobre 1989 sous le numéro T-2102-89
le tout ayant été confirmé par la Cour d'appel fédérale dans son jugement unanime daté du 21 décembre 1990 (A-48-90), sauf dans la mesure l'une ou l'autre des fonctions susmen- tionnées dont la commission est chargée a été remplie intégra- lement, avec diligence et conformément à son mandat par les membres de la commission qui ont démissionné en bloc le 12 octobre 1990, à moins qu'il ne soit nécessaire ou souhaita- ble de mettre à jour les données, les recommandations et l'exa- men public de l'ancienne commission en raison de leur désué- tude ou parce que les travaux et les dossiers de l'ancienne commission seraient inaccessibles à la commission et au public.
2. LA COUR STATUE EN OUTRE qu'elle continuera de con- naître de toutes les demandes, inexécutions, prétentions ou autres questions mettant en cause les parties à l'instance, l'in- tervenante, leurs mandataires, leurs préposés et leurs entrepre neurs relativement au projet de barrage Rafferty-Alameda sus- mentionné et à toute question se rapportant au maintien en vigueur, à la suspension ou à l'annulation du permis du minis- tre à cet égard ou aux conditions y afférentes. À ce titre, la Cour pourra être saisie, au moyen d'un avis en bonne et due forme donné en temps voulu par l'une ou l'autre des parties, des personnes physiques ou morales, ou des entreprises appro- priées susmentionnées ou à toute personne intéressée, y com- pris l'intervenante, pour qu'elle accorde réparation, par voie de contrôle judiciaire ou de recours extraordinaires, conformé- ment au droit et à l'equity.
4. LA COUR ORDONNE EN OUTRE aux avocats de l'intimé de porter le texte et les conditions de la présente ordonnance, ainsi que les motifs y afférents à l'attention particulière de leur client, le ministre de l'Environnement.
Telle était l'ordonnance. On s'attend à ce que, à part ce que la Cour ordonne expressément, les par ties, et particulièrement un ministre de la Couronne et une société d'État, se conformeront par ailleurs à la loi sans qu'il leur soit enjoint de le faire. S'il fallait en outre ordonner aux parties d'observer expressé- ment chaque règle qui régit leur comportement, les ordonnances de la Cour constitueraient un volume
encyclopédique traitant d'un nombre étendu de sujets. Cette notion est absurde, et la Cour n'y est pas tenue, mais cela ne décharge pas quiconque de son obligation générale et éternelle de se conformer à la loi. Une telle obligation s'applique également aux offices, aux commissions et à tous autres tribunaux inférieurs qui, en cas de doute, devraient retenir les services d'avocats.
Au sujet des observations précédentes, voici un extrait tiré des motifs écrits invoqués par la Cour pour rendre l'ordonnance du 8 février 1991, publiée sous l'intitulé Tetzlaff c. Canada (Ministre de l'Envi- ronnement) (1991), 47 Admin. L.R. 290 (C.F. Ire inst.), à la page 294:
Selon ce jugement [Cour d'appel fédérale, jugement una- nime rendu par le juge en chef lacobucci le 21 décembre 1990, A-48-90], il est clair que cette Cour demeure dûment saisie du litige. Avant même d'examiner les passages de ce jugement qui nous intéressent, signalons qu'il portait jugement sur le permis que l'ancien ministre avait délivré le 31 août 1989. Cette affaire a donc un point commun très pertinent avec la présente instance. Ce point commun se rapporte, bien sûr, au même projet de barrage et de régulation des eaux Rafferty-Alameda entrepris par l'intervenante pour lequel un permis du ministre fédéral est exigé conformément à la Loi sur les ouvrages des- tinés à l'amélioration des cours d'eau internationaux, L.R.C. (1985), chap. I-20 (ci-après appelée «LODACEI»). D'après la preuve, le projet de l'intervenante constitue un «ouvrage des- tiné à l'amélioration d'un cours d'eau international» selon le sens donné à cette expression à l'article 2 de la LODACEI. L'article 4 interdit à quiconque de construire, de mettre en ser vice ou d'entretenir un tel ouvrage s'il ne détient pas un permis valide délivré, pour cet objet, en vertu de la LODACEI. L'ar- ticle 5 prévoit que toute violation de la loi constitue une infrac tion mixte qui peut faire l'objet d'une poursuite par mise en accusation ou procédure sommaire, et qu'elle rend l'auteur passible d'amendes et d'emprisonnement sur déclaration de culpabilité. L'article 7 prévoit des exceptions qui ne s'appli- quent pas en l'espèce et l'article 8 de la LODACEI dispose:
«8. La présente loi lie sa Majesté du Chef du Canada ou d'une province».
Ne s'agissait-il pas d'un loyal rappel du respect nécessaire des dispositions de la Loi sur les ouvrages destinés à l'amélioration des cours d'eau internatio- naux?
La Cour était-elle tenue de formuler ses ordon- nances de telle manière à leur faire dire [TRADUCTION] «Oh!, à propos, n'oubliez pas, Monsieur le ministre et Sask Water, que vous devez vous conformer à la LODACEI?» Tant le ministre que l'intervenante obtiennent les services d'avocats. Ce rappel n'a pas
été incorporé dans l'ordonnance de la Cour, mais il était sûrement présent, ainsi qu'il a été énoncé ci-des- sus, dans les motifs prononcés par la Cour pour ren- dre cette ordonnance. Point n'est besoin d'insister sur le fait que l'obligation de se conformer à la LODA- CEI n'a pas pris naissance seulement en février 1991: elle était toujours en vigueur et requise. La Cour n'a fait que, de façon redondante, la rappeler à l'intimé et à l'intervenante dans ses motifs de février 1991. C'était un luxe qui ne leur était pas dû, mais qui leur a été donné gratuitement par la Cour.
Se rappelant que le permis de l'intervenante est censé être délivré en vertu de la LODACEI, on devrait noter certaines dispositions du Règlement sur l'amélioration des cours d'eau internationaux, C.R.C., chap. 982 (ci-après appelé RACEI). La dis position invoquée particulièrement par les requérants est l'article 6 du RACEI, qui est ainsi rédigé:
6. Toute demande d'un permis faite sous le régime de la Loi doit être adressée au Ministre et contenir les renseignements suivants:
a) le nom, l'adresse et la profession du demandeur;
b) le nom et une claire description du cours d'eau internatio nal sur lequel un ouvrage destiné à l'amélioration d'un cours d'eau international doit être établi;
c) l'endroit ledit ouvrage d'amélioration doit être établi et une description de l'ouvrage;
d) des précisions quant à l'effet de l'ouvrage d'amélioration sur le niveau ou l'écoulement de l'eau à la frontière cana- dienne;
e) des précisions quant à l'effet de l'ouvrage d'amélioration sur l'utilisation de l'eau hors du Canada;
/) des précisions quant aux effets adverses de l'ouvrage d'amélioration sur la prévention des crues et sur les autres modes d'utilisation de l'eau, ainsi que des renseignements sur les projets d'atténuation de ces effets;
g) une brève analyse économique des avantages directs et indirects et des frais que comporte effectivement l'ouvrage d'amélioration et qui résulteront dudit ouvrage; et
h) toutes autres précisions à l'égard de l'ouvrage d'améliora- tion tendant à démontrer que son établissement est compati ble avec le développement rationnel des ressources et de l'économie du Canada.
Une copie du RACEI constitue la pièce A jointe à l'affidavit de Gordon H. A. Mackintosh.
Or, normalement, on présume que toutes les for- malités exigées par la loi ont été correctement et solennellement observées: Omnia praesumuntur rite et solemniter esse acta. Cet ancien adage juridique
appuie cette présomption réfutable, bien entendu, seulement jusqu'à la preuve du contraire.
La pièce B jointe à l'affidavit de M. Mackintosh est une copie de cinquante pages de la transcription des prétentions faites par l'avocat des requérants à l'intention de la commission le 24 juin 1991. Bien que tardives dans le processus global qui se déroule depuis les dernières années de la dernière décennie, les années 80, les délibérations de la commission doi- vent être considérées comme étant véritablement la dernière possibilité, pour le ministre et Sask Water, de se conformer aux exigences de la loi relativement au projet de barrage Rafferty-Alameda, s'il n'était pas déjà trop tard.
Certains extraits de cette transcription serviront à illustrer le fait que l'avocat des requérants, comme la Cour dans ses motifs du 5 février 1991, a cherché à rappeler à la commission qu'elle devrait exiger de l'intervenante, puisque, à l'évidence, le ministre ne l'avait jamais fait, qu'elle se conforme à l'article 6 et à l'alinéa 6g) du RACEI pris en application de la LODACEI. Les voici:
[TRADUCTION] LE PRÉSIDENT: Merci de votre courtoisie.
M. ALAN SCARTH: Monsieur le président et Messieurs les membres de la ... commission, je voudrais tout d'abord faire remarquer ... que l'une de vos obligations consiste à exami ner les rapports coûts/avantages applicables à ce projet et, ce faisant, nous comptons sur vous pour faire une nouvelle éva- luation des coûts aussi bien que des avantages.
(page 57)
Il y a quelques années, le promoteur a élaboré ce qu'on appe- lait un énoncé des incidences environnementales, mais celui-ci ne portait que sur les avantages et les coûts provinciaux, ce qui est incomplet.
(page 58)
Ainsi donc, ce dont nous parlons est une vallée qui a une fin économique viable et nous posons la question: «Qu'allons- nous obtenir à la place de cette vallée?» C'est une expression réellement simpliste de ce qu'est le rapport coûts/avantages de ce projet.
(page 59)
Si on leur disait que telle était la fin visée par le projet, la fin visée par Rafferty étant de fournir de l'eau au système du
générateur Shand, que c'est le seul avantage, et qu'il n'est même pas assuré, et que le but d'Alameda est de satisfaire aux besoins des États-Unis en eau, qu'est-ce que Praxis nous dirait si les gens connaissaient la vérité?
Revenons à l'analyse coûts/avantages qui, Messieurs, est votre lourde responsabilité. À part l'argent payé par les État-Unis à titre de contribution au coût du barrage Alameda—et nous savons pourquoi il a été payé. Il a été payé parce qu'il en coû- tait moins de faire inonder cette vallée que la vallée qui se trouve tout juste au sud de la frontière. Autrement dit, il en coûte moins cher d'acheter une vallée canadienne que d'inon- der une vallée des États-Unis.
Or, à part ce versement qui s'élève à peu près à 50 millions de dollars canadiens, rien ne compense pour les Canadiens le coût environnemental de la perte de cette Moose Mountain Creek Valley.
Si vous enlevez l'irrigation et la récréation, il ne reste que la question d'argent. Cinquante millions pour faire marcher l'in- dustrie de la région pendant trois ou quatre ans, et que fait-on des autres 96 ou 97 années?
Réellement, ce système est conçu simplement aux fins de la Shand Generation Plant. Aux fins d'inonder Minot et d'appro- visionner les États-Unis en eau.
(pages 67 et 68)
M. ALAN SCARTH: [après avoir cité l'article 34 du Décret visant le PÉEE à l'intention de la commission le 24 juin 1991]
C'est la responsabilité du promoteur. Et il ne s'agit pas d'un document portant tout juste sur les incidences provinciales, il s'agit d'un document portant sur les incidences qui relèvent de votre mandat et celles-ci relèvent toutes du fédéral, notamment la destruction de cette ravissante vallée.
Aucun dépôt de ce genre n'a eu lieu. La loi l'exige et si la commission veut de l'aide de la part du juge, la porte du juge est ouverte et je suis ici pour aider. Il ne fait aucun doute qu'il doit y avoir un énoncé des incidences environnementales qui dit «Quels sont les avantages?» Irrigation et récréation sur les pentes boueuses de ces deux barrages, réservoirs non remplis? Irrigation lorsqu'il se peut qu'ils ne se remplissent jamais? C'est le genre de décision que vous allez prendre. Quels sont réellement les avantages de cela? Ils se résument à 50 millions de dollars. Est-ce bien cette somme pour laquelle nous nous sommes vendus? De l'eau pour l'usine Shand? Assurément, si nous pouvons l'y acheminer sans emprunter à un autre bassin, et c'est la proposition de la Rawson Academy. C'est la seule chose qu'on puisse faire. Quels sont les véritables avantages? Cinquante millions de dollars et tout le reste profite au sud. Et quels sont les coûts? L'un des coûts sera la perte de ces deux vallées et vous devez vous demander «En contrepartie de quoi?»
(pages 79 et 80)
Quel est le rapport avantages/coûts? Et vous avez effective- ment le pouvoir et la lourde responsabilité—si en fait vous concluez qu'il n'existe aucun rapport coûts-avantages favora ble, de le dire.
(page 81)
On a fait remarquer que la commission mixte internationale n'a pas été consultée à cet égard. Chose surprenante, étant donné qu'elle est responsable des questions transfrontalières. Mais, ce marché entre le Canada et les États-Unis qui a semblé politiquement avantageux pour les deux gouvernements a été conclu à huis clos et à l'insu de tout le monde. Si on en avait saisi la commission mixte internationale, je ne serais pas ici, parce que le projet n'aurait jamais été approuvé. L'une des recommandations dont vous disposez consiste à déférer ce pro- jet à la commission mixte internationale, un organisme indé- pendant, pour voir ce qu'elle pense des coûts et des avantages. Cette possibilité s'offre à vous en vertu du même accord con- clu entre le Canada et les États-Unis.
(pages 83 et 84)
Dr WILLIAM STOLTE: [un membre de la commission, après avoir pris connaissance du paragraphe 25(3) du Décret sur les lignes directrices visant le PÉEE.] [L'effet] socio-économique [d'une proposition], je présume, est une analyse coût-avantage.
M. ALAN SCARTH: Oui.
Les effets environnementaux, tels que la perte d'une vallée, ou l'intense évaporation qui happerait toute l'eau du réservoir Rafferty qui s'y déverse. Il s'agit des effets économiques à long terme. La différence entre les effets environnementaux et les effets économiques réside seulement dans l'échelle de temps. Ce que nous faisons, si nous adoptons ce projet, c'est en imposer le coût à la génération future. Ainsi donc, oui, les effets socio-économiques font partie intégrante de l'énoncé des incidences environnementales et devraient être évalués sur la base d'une analyse coûts-avantages. Si le projet ne se justifie pas sur le plan coûts-avantages, alors vous pouvez demander «Pourquoi faisons-nous cela»?
(page 87)
Ainsi donc, si la commission ne savait pas que la Saskatchewan Water Corporation devait faire une étude coûts-avantages, ce n'était pas, de la part des requérants, faute d'avoir essayé d'en rendre cons- ciente la commission. Il est vrai que selon les disposi tions du Décret sur les lignes directrices visant le PÉEE, à l'article 34, le promoteur élabore l'énoncé des incidences environnementales conformément aux directives établies par la commission selon le para- graphe 30(1), qui prévoit que la commission établit à l'intention du promoteur des directives pour l'élabo-
ration d'un énoncé des incidences environnemen- tales. L'intimé et l'intervenante prétendent donc que , si la commission a refusé d'établir des lignes direc- trices ou n'a même pas établi celles-ci, elle était en droit de le faire. Tel peut être l'effet du Décret sur les lignes directrices visant le processus PEEE, mais cette prétention est dépourvue de toute idée que le permis en question a été délivré en vertu de la LODACEI et de son RACEI, notamment de son ali- néa 6g) qui est d'application obligatoire.
Le ministre, dont l'avocat se dit maintenant [TRA- DUCTION] «satisfait» du rapport de la commission pro- duit comme pièce en l'espèce, n'a pas oublié les dis positions obligatoires dans le mandat qu'il a confié à la commission. La pièce A jointe à l'affidavit de Linda Jones contient ces attributions qui, à part la mention marquante d'études faites conformément au Décret sur les lignes directrices visant le PEEE, don- nent, de façon plus frappante encore, le mandat sui- vant à la commission:
conseillera le Ministre quant à la pertinence des plans d'atté- nuation préparés par le promoteur conformément au permis accordé sous le régime de la Loi sur les ouvrages destinés â l'amélioration des cours d'eau internationaux;
Faut-il rappeler de façon plus précise et convaincante à l'intervenante Sask Water, ou à la commission elle- même, que la première n'a pas respecté l'alinéa 6g) du RACEI et que, sinon le ministre, du moins la commission aurait obliger la Sask Water à s'y conformer, du moment que celle-ci a cherché à déte- nir son permis fondé sur la LODACEI? Apparem- ment, les deux ont omis de voir à ce que les disposi tions obligatoires de la loi en vertu desquelles ils agissent soient appliquées. C'est ce que montre la pièce C jointe à l'affidavit de Mackintosh, soit l'in- dex de Linda Jones, index des documents déposés à la commission. On ne peut s'attendre à ce que la Cour, avec son manque de juges, «les guide par la main» dans l'exercice de leurs fonctions. Ni autre-
ment.
Si la présentation du prétendu rapport de la com mission n'avait pas été faite un jour avant la présenta- tion de la requête des requérants, datée et déposée dès le 23 août 1991, les requérants avaient évidemment l'intention de demander à la Cour de rappeler à la commission son obligation, alors clairement oubliée ou rejetée, de respecter les exigences du Décret sur
les lignes directrices visant le PÉEE, de la LODACEI et de son RACEI. Toutefois, même si on l'a ainsi avi- sée vers la fin du mois d'août 1991, la commission a réussi à faire parvenir son rapport au ministre le 10 septembre 1991, voulant se dessaisir de l'affaire avant la présentation, prévue pour le 11 septembre, de l'avis de requête du 23 août.
La Cour n'est pas persuadée que la commission ait soumis un rapport au ministre au sens du Décret sur les lignes directrices visant le PEEE ou du RACEI parce qu'il semble y avoir eu au début une omission de la part de la Sask Water de respecter la Loi sur les ouvrages destinés et l'amélioration des cours d'eau internationaux et de son Règlement, puis de la part du ministre, et finalement de la part de la commission d'en exiger le respect. Le document de la commis sion, étant donné le défaut par la commission d'exi- ger, d'examiner et de mettre à l'épreuve une «analyse économique des avantages directs et indirects et des frais que comporte effectivement» le projet et qui en résulteront, conformément à l'alinéa 6g) du RACEI, une règle de droit impérative du Canada, est inélucta- blement inadéquat. Tant que l'on n'aura pas remédié à ce vice de longue date, la commission ne saurait avoir fait rapport au ministre. Aucun «rapport» n'a encore été soumis au ministre, et la Cour conclut ainsi à ce fait, sur le plan juridique.
Le vice fatal du processus tout entier qui affecte la présentation du 10 septembre 1991 de la commission ne signifie pas que son travail n'est pas objective- ment bien fait. La Cour ne doit pas s'ériger en cri tique dans un domaine quelconque, à l'exception du non-respect de la condition légale sine qua non qui vicie inéluctablement la présentation du rapport par la commission au ministre, parce que ce dernier semble n'avoir jamais insisté pour que le promoteur se conforme aux dispositions du RACEI. S'il y avait eu une étude coûts-avantages, cette dernière aurait, bien entendu, fait l'objet d'une discussion publique par la commission et de certaines des conclusions de celle-ci. C'était un facteur essentiel qui n'a jamais été discuté de façon appropriée, même si cela s'impose en vertu du RACEI.
Une étude nécessairement rapide du document de la commission produit comme pièce en l'espèce révèle les propres doutes de la commission sur l'opti-
misme exagéré du promoteur (par. 5.1.3., à la page 27; par. 5.7, à la page 37), l'omission de prendre en considération les questions importantes (également au par. 5.1.3.) et l'examen insuffisant des véritables problèmes (par. 5.2.3, à la page 30; par. 5.9, à la page 37). Il ressort de ces observations faites par la com mission la nécessité des comparaisons coûts-avan- tages parce qu'on doute de la sincérité et de l'objecti- vité du promoteur à l'égard des gens pour lesquels il a été créé.
L'objection préliminaire du ministre intimé, avec l'appui de l'intervenante Saskatchewan Water Corpo ration, est rejetée. Les requérants sont maintenant en droit de poursuivre leur requête principale qui, à ce stade, aura été généreusement ajournée pour permet- tre la requête en ajournement introduite par la Sask Water.
L'intervenante peut agir conformément à l'arrêt Tetzlaff c. Canada (Ministre de l'Environnement) (1991), 47 Admin. L.R. 275 (C.F. lfe inst.).
Compte tenu du fait imprévu et imprévisible de la présentation par la commission de son document iné- luctablement défectueux, qui constitue un non-rap port, au ministre la veille de l'audience prévue à Winnipeg, les requérants sont autorisés à modifier leur avis de requête afin de préciser de nouveau les réparations qu'ils sollicitent, à l'égard de ce fait nou- veau seulement, le lendemain devant la Cour. Les requérants ont également droit à la taxation des frais entre procureur et client de la requête reconvention- nelle de l'intimé et de l'intervenante, sous forme d'une objection préliminaire, quelle que soit l'issue de la cause, et aux frais accessoires entraînés par cette requête reconventionnelle. Il est ordonné aux parties et à l'intervenante, aussitôt après le dépôt par les requérants d'un avis de requête modifié, de demander au juge en chef adjoint de fixer une date pour la reprise des procédures.
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