A-611-91
The Canadian Association of Regulated
Importers, Parkview Poultry Ltd., Bertmar
Poultry Ltd., George Tsisenpoulos, Henry
Neufeld, Zigmond Tibay, Henry Kikkert, Eva
Szasz Peterffy, Paul Dinga, C & A Poultry Ltd.,
Zoltan Varga, Jake Drost, George Drost, Joe
Drost, Melican Farms Ltd., Joe Speck, Marinus
Kikkert, Checkerboard Hatchery, Brampton
Chick Hatching Co. Ltd, Zoltan Koesis, Roe
Poultry Ltd., Gabe Koesis, Henry Fois (appelants)
c.
Procureur général du Canada, Office canadien de
commercialisation des œufs d'incubation de poulet
à chair et Fédération canadienne des couvoirs
(intimés)
REPERTOR/É.• CANAD/AN ASSN. OF REGULATED IMPORTERS C.
CANADA (PROCUREUR GENERAL) (CA.)
Cour d'appel, juges Hugessen, MacGuigan et Linden,
J.C.A.—Toronto, 14 novembre; Ottawa, 20 décembre
1991.
Pratique — Communication de documents et interrogatoire
préalable — Production de documents — Appel du rejet d'une
requête concernant la production de documents — Sens et por-
tée du privilège de non-divulgation de renseignements confi-
dentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada en vertu
de l'art. 39 de la Loi sur la preuve au Canada — Documents
liés au pouvoir discrétionnaire conféré au ministre en vertu de
la Loi sur les licences d'exportation et d'importation — L'avo-
cat de l'intimé s'est engagé à produire un document et a fait
ensuite volte-face — Un certificat émis par le greffier du Con-
seil privé en vertu de l'art. 39 attestait que les documents
étaient des renseignements confidentiels du Conseil privé de la
Reine — Les documents bénéficiaient du privilège absolu que
prévoit l'art. 39 — Les causes citées par les appelants sont
considérées d'espèce différente car elles ne mettent pas en
cause un privilège d'origine législative — Un privilège d'ori-
gine législative a préséance sur l'engagement que prend un
avocat de produire un document — Un juge a le pouvoir de
libérer un avocat d'un engagement personnel qui repose sur
une erreur de fait.
Couronne — Prérogatives — Requête en vue de la produc
tion d'une note de service et d'autres documents auxquels le
ministre désigné a fait référence en rendant une décision sur
les contingents — Le juge des requêtes a statué que les docu
ments en question étaient l'objet d'un privilège absolu de non-
divulgation en vertu de l'art. 39 de la Loi sur la preuve au
Canada — Une distinction est faite entre le privilège absolu
que prévoit l'art. 39 et le privilège restreint que prévoient les
art. 37 et 38 — Seuls les renseignements intéressant le Cabinet
dans le sens collégial du terme peuvent être l'objet d'un privi-
lège absolu — Comme la décision sur les contingents mettait
en cause deux ministres et que des documents ont été envoyés
aux deux, ces documents bénéficiaient du privilège prévu à
l'art. 39.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et
sécurité — Droits à l'égalité — La majorité des appelants sont
des particuliers, non des sociétés, et sont donc habilités à invo-
quer l'art. 7 de la Charte — Explication de la théorie du juge
Lamer sur les droits protégés par l'art. 7 — Les droits en litige
en l'espèce ne sont pas protégés par l'art. 7 — L'art. 39 de la
Loi sur la preuve au Canada ne contrevient pas à l'art. 7 de la
Charte — Le juge des requêtes a également eu raison de sta-
tuer que l'art. 39 ne contrevient pas à l'art. 15(1) de la Charte.
Le présent appel faisait suite à une ordonnance par laquelle
le juge en chef adjoint Jerome (juge des requêtes) a rejeté une
requête en vue de la production de documents se rapportant au
pouvoir discrétionnaire que peut exercer un ministre en vertu
de la Loi sur les licences d'exportation et d'importation. La
décision établissait un plan de répartition des contingents pour
les oeufs d'incubation et les poussins en fonction de la part du
marché. Les documents que l'intimé refusait de produire
étaient une note de service de la Direction générale des rela
tions commerciales spéciales du ministère des Affaires exté-
rieures, ainsi que tout autre document auquel avait fait réfé-
rence le ministre désigné, le secrétaire d'État aux affaires
extérieures, en rendant la décision sur les contingents. Dans
une lettre adressée à l'avocat des appelants, l'avocat de l'in-
timé s'était engagé à produire un document que le ministère
des Affaires extérieures avait envoyé au ministre; le lende-
main, toutefois, il faisait volte-face. La décision sur les contin
gents avait en effet été prise non pas par le secrétaire d'État
aux Affaires extérieures, mais par le ministre du Commerce
extérieur, avec l'autorisation de ce dernier. Le greffier du Con-
seil privé avait ensuite émis un certificat en vertu de l'article
39 de la Loi sur la preuve au Canada, indiquant que les docu
ments mentionnés à l'annexe A dudit certificat constituaient
des renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine
pour le Canada.
Cet appel concerne le sens et la portée du privilège de non-
divulgation de tels renseignements confidentiels. La Cour avait
3 trancher les trois questions suivantes: I) le juge des requêtes
avait-il fait une erreur en ne concluant pas que les documents
que l'intimé refusait de produire devaient être l'objet d'un pri-
vilège restreint en vertu des articles 37 ou 38 de la Loi, plutôt
que d'un privilège absolu en vertu de l'article 39 et que, par
conséquent, la revendication de privilège pouvait être soumise
à un examen judiciaire; 2) l'article 39 de la Loi contrevenait-il
à l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés; et 3)
l'article 39 contrevenait-il à l'article 15 de la Charte?
Arrêt: l'appel devrait être rejeté.
Le juge MacGuigan, J.C.A.: I) La décision Carey c. Onta-
rio, de la Cour suprême du Canada, que les appelants ont citée,
peut être considérée comme l'exposé de la common law qui
fait le plus autorité en ce qui concerne le privilège de non-
divulgation dont jouit la Couronne; on ne peut, cependant, con-
sidérer qu'il tranche une question mettant en cause la Loi sur la
preuve au Canada, qui peut avoir pour objet de modifier la
common law. Le libellé de l'article 39 de la Loi est suffisam-
ment clair: lorsqu'un ministre de la Couronne ou le greffier du
Conseil privé atteste par écrit que les informations demandées
constituent des renseignements confidentiels du Conseil privé
de la Reine pour le Canada, la divulgation desdites informa-
tions doit être refusée sans autre examen. Il est loisible à un
tribunal de décider si un certificat d'un ministre ou du greffier
confère un privilège selon les conditions que prévoit la loi,
mais il ne peut aller au-delà du certificat et examiner les docu
ments en question. Une note de service adressée à un ministre
unique agissant en vertu d'une autorisation législative ne peut
équivaloir à un renseignement confidentiel du Conseil privé,
car l'article 39 indique clairement que seuls les renseignements
qui intéressent le Cabinet, dans le sens collégial du terme, peu-
vent faire l'objet d'un privilège absolu. C'est en raison des
faits et non du droit que les appelants sont déboutés, car aucun
des documents pour lesquels le greffier du Conseil privé avait
invoqué un privilège n'était un document de travail envoyé à
un ministre unique.
Comme c'est en fait le ministre du Commerce extérieur qui
a pris la décision sur les contingents au nom du secrétaire
d'État aux Affaires extérieures, les documents en question ont
été envoyés aux deux ministres, et pour ce motif, ils remplis-
sent les conditions voulues pour qu'un privilège soit invoqué
en vertu de l'article 39. Il n'appartient pas aux tribunaux de se
prononcer sur l'organisation de ministères ou sur la structure
du processus de prise de décisions ministérielles. Quand une
partie est incapable de faire la preuve qu'un certificat est mani-
festement incomplet, un tribunal ne peut aller plus avant pour
en examiner le bien-fondé; il doit respecter l'intention qu'avait
le législateur de prévoir, dans ce cas spécial, une exemption
d'examen judiciaire. La décision rendue dans l'affaire Best
Cleaners and Contractors Ltd. c. La Reine n'étaye pas la thèse
des appelants voulant que l'engagement d'un avocat de pro-
duire un document ait priorité en toutes circonstances sur un
privilège d'origine législative. Un avocat de la Couronne ne
pouvait outrepasser le pouvoir législatif qui était conféré à des
ministres de la Couronne et au greffier du Conseil privé; par
ailleurs, un tribunal jouit d'une grande latitude pour libérer un
avocat d'un engagement personnel qui repose sur une erreur de
fait. Les causes que les appelants ont citées sont différentes de
la présente espèce en ce sens qu'il n'y est pas question d'un
privilège d'origine législative.
2) Il a été décrété dans l'affaire Canada (Procureur général)
c. Central Cartage Co. que les sociétés ne peuvent se prévaloir
de l'article 7 de la Charte, qui ne s'applique qu'aux êtres
humains. Dans la présente affaire, les appelants sont en majo-
rité des particuliers, et non des sociétés, et ils sont donc habi-
lités à invoquer cet article. Les particuliers appelants ont fait
valoir que l'emploi, par la Couronne, d'un certificat invoquant
un privilège absolu en vertu de l'article 39 les privait de la
liberté de pouvoir soumettre la décision sur les contingents à
l'examen et au contrôle des tribunaux. Dans une récente déci-
sion de la Cour suprême du Canada, le juge Lamer a traité de
la question des droits que protège l'article 7. Le juge a avancé
une théorie qui tente d'unir les perspectives de la triade proté-
gée de droits (la vie, la liberté et la sécurité de la personne) et
les principes de justice fondamentale. Selon cette théorie, l'ar-
ticle 7 entre en jeu lorsque l'on restreint la liberté physique
dans quelque circonstance que ce soit, lorsque l'on exerce un
contrôle sur l'intégrité physique ou mentale ou lorsque l'on
invoque la menace de sanctions dans les cas de violation. Les
faits de la présente espèce n'indiquent rien de la sorte. Le droit
que les particuliers appelants veulent faire valoir est un vague
«droit» traditionnel d'examen judiciaire d'une mesure admi
nistrative dans tous les cas. L'article 39 de la Loi ne contre-
vient donc pas à l'article 7 de la Charte.
3) Les particuliers appelants ont fait valoir que l'article 39
confère à la Couronne, en tant que partie au litige, le droit de
supprimer des éléments de preuve, droit dont aucune autre par-
tie ne jouit. La Cour d'appel fédérale a déclaré dans l'affaire
Central Cartage que les dispositions de l'article 39 n'enfrei-
gnent pas l'article 15 de la Charte. L'égalité «devant la loi» et
«indépendamment de toute discrimination» sont en réalité les
deux côtés d'une même médaille, le premier élément ayant une
connotation positive, l'existence d'une égalité, le second élé-
ment une connotation négative, l'absence de discrimination. Le
juge de première instance a eu raison de statuer que l'article 39
ne contrevient pas au paragraphe 15(1) de la Charte.
Le juge Hugessen, J.C.A. (motifs concordants quant au
résultat): Dans les circonstances de l'espèce, l'invocation de
l'article 39 de la Lui sur la preuve au Canada est discutable.
La première catégorie de renseignements protégés sur laquelle
porte l'article 37 couvre le privilège de non-divulgation pour
des raisons d'«intérêt public» en général, tandis que l'article 38
traite des situations où le législateur a jugé clairement que des
raisons d'intérêt public supérieures s'opposent à la divulgation
des renseignements. Dans les deux cas, on reconnaît l'exis-
tence d'intérêts opposés qui sont l'objet d'une appréciation et
d'une pondération judiciaires. La décision finale est, elle aussi,
susceptible d'appel. Cependant, à l'article 39, le législateur a
décrété un privilège absolu pour les renseignements confiden-
tiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada, niant impli-
citement qu'il puisse exister un intérêt opposé quelconque. On
aurait pu invoquer l'article 37 pour s'opposer à la divulgation
des documents, car il existe au moins des raisons d'intérêt
public défendables de préserver la confidentialité des commu
nications entre les hauts fonctionnaires et les ministres, ou
encore l'article 38, car il est possible de soutenir que le com
merce extérieur est un aspect important des relations interna-
tionales du Canada. La seule justification possible de l'invoca-
tion de l'article 39 semble résider dans le fait que c'est le
ministre du Commerce extérieur qui a effectivement pris la
décision, mais avec l'assentiment du secrétaire d'État aux
Affaires extérieures. Nous avons affaire ici à un abus flagrant
du pouvoir exécutif, abus que le législateur a clairement envi-
sagé de mettre hors de portée d'un examen judiciaire.
Bien que l'article 7 de la Charte ne soit pas en cause dans
cette affaire, car le droit à la liberté des appelants n'est pas en
jeu, si l'on avait soulevé en l'espèce une question quelconque
concernant la vie, la liberté ou la sécurité de la personne, l' État
aurait eu beaucoup de mal à faire valoir que l'article 39 est
conforme aux principes de justice fondamentale. Sans la justi
fication de l'article 1, l'interdiction absolue et le déni complet
de toute possibilité d'examen judiciaire ne peuvent résister à
une contestation fondée sur la Charte et légitimement intro-
duite.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R. - U.)
[L.R.C. (1985), appendice II, n° 44], art. 1, 7, 15(1),
32(1).
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art.
18.
Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), chap. C - 5,
art. 37, 38, 39.
Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E - 10,
art. 36.3 (édicté par S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, art.
4).
Loi sur les licences d'exportation et d'importation, L.R.C.
(1985), chap. E - 19, art. 2, 5, 8(1), 14.
Workers' Compensation Act, S.R.A. 1982, chap. W - 16.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS SUIVIES:
Renvoi relatif à l'art. 193 et à l'al. 195.1(I)(c) du Code
criminel (Man.), [1990] I R.C.S. 1123; [1990] 4 W.W.R.
481; (1990), 68 Man. R. (2d) 1; 56 C.C.C. (3d) 65; 77
C.R. (3d) 1; 109 N.R. 81; Renvoi: Motor Vehicle Act de la
C. - B., [1985] 2 R.C.S. 486; (1985), 24 D.L.R. (4th) 536;
[1986] 1 W.W.R. 481; 69 B.C.L.R. 145; 23 C.C.C. (3d)
289; 48 C.R. (3d) 289; 18 C.R.R. 30; 36 M.V.R. 240; 63
N.R. 266.
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Canada (Procureur général) c. Central Cartage Co.,
[1990] 2 C.F. 641; (1990), 71 D.L.R. (4th) 253; 45
Admin. L.R. 1; 35 F.T.R. 160 (note); 109 N.R. 357
(C.A.); Smith, Kline & French Laboratories Limited c.
Procureur général du Canada, [1983] 1 C.F. 917; (1983),
38 C.P.C. 182; 76 C.P.R. (2d) 192 (1re inst); Procureur
général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre,
[1980] 2 R.C.S. 735; (1980), 115 D.L.R. (3d) 1; 33 N.R.
304.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Carey c. Ontario, [ 1986] 2 R.C.S. 637; (1986), 58 O.R.
(2d) 352; 35 D.L.R. (4th) 161; 22 Admin. L.R. 236; 30
C.C.C. (3d) 498; 14 C.T.C. (2d) 10; 72 N.R. 81; 20
O.A.C. 81; Best Cleaners and Contractors Ltd. c. La
Reine, [1985] 2 C.F. 293; (1985), 58 N.R. 295 (C.A.); Re
Mia and Medical Services Commission of British Colum-
bia (1985), 17 D.L.R. (4th) 385; 61 B.C.L.R. 273; 15
Admin. L.R. 265; 16 C.R.R. 233 (C.S.C.-R.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Budge v. Workers' Compensation Board (Alta.) No. 2
(1987), 80 A.R. 207; 42 D.L.R. (4th) 649; [1987] 6
W.W.R. 217; 54 Alta. L.R. (2d) 97; 29 Admin. L.R. 82
(Q.B.)
DÉCISIONS CITÉES:
Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1
R.C.S. 143; (1989), 56 D.L.R. (4th) I; [1989] 2 W.W.R.
289; 34 B.C.L.R. (2d) 273; 36 C.R.R. 193; 91 N.R. 255;
Rudolph Wolff & Co. Ltd. c. Canada, [1990] I R.C.S.
695; (1990), 106 N.R. 1; Mullins v. Howell (1879), 11
Ch.D. 763; Uvanile v. Wawanesa Mut. Ins. Co. (1984), 44
C.P.C. 110; [1984] I.L.R. 1-1806 (Ont. H.C.); Guinness
Peat Properties Ltd. v. Fitzroy Robinson Partnership,
[1987] I W.L.R. 1027 (C.A.).
DOCTRINE
Blackstone, Commentaries on the Laws of England, 17
ed., 1830, I.
AVOCATS:
John T. Pepall pour les appelants.
Charleen H. Brenzall et J. E. Thompson, c.r.,
pour l'intimé, le procureur général du Canada.
PROCUREURS:
Abraham, Duggan, Hoppe, Niman, Scott,
Toronto, pour les appelants.
Le sous-procureur général du Canada pour l'in-
timé, le procureur général du Canada.
Ce qui suit est la version française des motifs du
jugement rendus par
LE JUGE HUGESSEN, J.C.A. (motifs concordants
quant au résultat): J'ai eu l'occasion de lire les
motifs de jugement de mon collègue, le juge
MacGuigan, J.C.A. Je suis d'accord avec la décision
qu'il propose, mais j'ai de sérieuses réserves qu'il me
semble nécessaire d'exprimer. Ces réserves découlent
de deux points.
Tout d'abord, que l'État invoque l'article 39 de la
Loi sur la preuve au Canadas dans les circonstances
de la présente espèce m'inquiète beaucoup. Pour
comprendre cette inquiétude, il est nécessaire d'avoir
à l'esprit le texte des articles 37, 38 et 39, tous trois
réunis sous l'intitulé «Divulgation de renseignements
administratifs»:
L.R.C. (1985), chap. C-5.
Divulgation de renseignements administratifs
37. (1) Un ministre fédéral ou toute autre personne intéres-
sée peut s'opposer à la divulgation de renseignements devant
un tribunal, un organisme ou une personne ayant le pouvoir de
contraindre à la production de renseignements, en attestant ver-
balement ou par écrit devant eux que ces renseignements ne
devraient pas être divulgués pour des raisons d'intérêt public
déterminées.
(2) Sous réserve des articles 38 et 39, dans les cas où l'oppo-
sition visée au paragraphe (1) est portée devant une cour supé-
rieure, celle-ci peut prendre connaissance des renseignements
et ordonner leur divulgation, sous réserve des restrictions ou
conditions qu'elle estime indiquées, si elle conclut qu'en l'es-
pèce, les raisons d'intérêt public qui justifient la divulgation
l'emportent sur les raisons d'intérêt public invoquées lors de
l'attestation.
(3) Sous réserve des articles 38 et 39, dans les cas où l'oppo-
sition visée au paragraphe (1) est portée devant le tribunal, un
organisme ou une personne qui ne constituent pas une cour
supérieure, la question peut être décidée conformément au
paragraphe (2), sur demande, par:
a) la Section de première instance de la Cour fédérale, dans
les cas où l'organisme ou la personne investis du pouvoir de
contraindre à la production de renseignements en vertu
d'une loi fédérale ne constituent pas un tribunal régi par le
droit d'une province;
b) la division ou cour de première instance de la cour supé-
rieure de la province dans le ressort de laquelle le tribunal,
l'organisme ou la personne ont compétence, dans les autres
cas.
(4) Le délai dans lequel la demande visée au paragraphe (3)
peut être faite est de dix jours suivant l'opposition, mais le tri
bunal saisi peut modifier ce délai s'il l'estime indiqué dans les
circonstances.
(5) L'appel des décisions rendues en vertu des paragraphes
(2) ou (3) se fait:
a) devant la Cour d'appel fédérale, pour ce qui est de celles
de la Section de première instance de la Cour fédérale;
b) devant la cour d'appel d'une province, pour ce qui est de
celles de la division ou cour de première instance d'une cour
supérieure d'une province.
(6) Le délai dans lequel l'appel prévu au paragraphe (5) peut
être interjeté est de dix jours suivant la date de la décision frap-
pée d'appel, mais la cour d'appel peut le proroger si elle l'es-
time indiqué dans les circonstances.
(7) Nonobstant toute autre loi fédérale:
a) le délai de demande d'autorisation d'en appeler à la Cour
suprême du Canada est de dix jours suivant le jugement
frappé d'appel, visé au paragraphe (5), mais le tribunal com-
pétent pour autoriser l'appel peut proroger ce délai s'il l'es-
time indiqué dans les circonstances;
b) dans les cas où l'autorisation est accordée, l'appel est
interjeté conformément au paragraphe 60(1) de la Loi sur la
Cour suprême, mais le délai qui s'applique est celui qu'a
fixé le tribunal qui a autorisé l'appel.
38. (1) Dans les cas où l'opposition visée au paragraphe
37(1) se fonde sur le motif que la divulgation porterait préju-
dice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécu-
rité nationales, la question peut être décidée conformément au
paragraphe 37(2), sur demande, mais uniquement par le juge
en chef de la Cour fédérale ou tout autre juge de ce tribunal
qu'il charge de l'audition de ce genre de demande.
(2) Le délai dans lequel la demande visée au paragraphe (1)
peut être faite est de dix jours suivant l'opposition, mais le juge
en chef de la Cour fédérale ou le juge de ce tribunal qu'il
charge de l'audition de ce genre de demande peut modifier ce
délai s'il l'estime indiqué.
(3) II y a appel de la décision visée au paragraphe (1) devant
la Cour d'appel fédérale.
(4) Le paragraphe 37(6) s'applique aux appels prévus au
paragraphe (3) et le paragraphe 37(7) s'applique aux appels des
jugements rendus en vertu du paragraphe (3), compte tenu des
adaptations de circonstance.
(5) Les demandes visées au paragraphe (1) font, en premier
ressort ou en appel, l'objet d'une audition à huis clos; celle-ci a
lieu dans la région de la capitale nationale définie à l'annexe
de la Loi sur la capitale nationale si la personne qui s'oppose à
la divulgation le demande.
(6) La personne qui a porté l'opposition qui fait l'objet
d'une demande ou d'un appel a, au cours des auditions, en pre-
mière instance ou en appel et sur demande, le droit de présen-
ter des arguments en l'absence d'une autre partie.
39. (1) Le tribunal, l'organisme ou la personne qui ont le
pouvoir de contraindre à la production de renseignements sont,
dans les cas où un ministre ou le greffier du Conseil privé s'op-
posent à la divulgation d'un renseignement, tenus d'en refuser
la divulgation, sans l'examiner ni tenir d'audition à son sujet,
si le ministre ou le greffier attestent par écrit que le renseigne-
ment constitue un renseignement confidentiel du Conseil privé
de la Reine pour le Canada.
(2) Pour l'application du paragraphe (1), un «renseignement
confidentiel du Conseil privé de la Reine pour le Canada»
s'entend notamment d'un renseignement contenu dans:
a) une note destinée à soumettre des propositions ou recom-
mandations au Conseil;
b) un document de travail destiné à présenter des problèmes,
des analyses ou des options politiques à l'examen du Con-
seil;
c) un ordre du jour du Conseil ou un procès-verbal de ses
délibérations ou décisions;
d) un document employé en vue ou faisant état de communi
cations ou de discussions entre ministres sur des questions
liées à la prise des décisions du gouvernement ou à la for
mulation de sa politique;
e) un document d'information à l'usage des ministres sur
des questions portées ou qu'il est prévu de porter devant le
Conseil, ou sur des questions qui font l'objet des communi
cations ou discussions visées à l'alinéa d);
f) un avant-projet de loi.
(3) Pour l'application du paragraphe (2), «Conseil» s'entend
du Conseil privé de la Reine pour le Canada, du Cabinet et de
leurs comités respectifs.
(4) Le paragraphe (1) ne s'applique pas:
a) à un renseignement confidentiel du Conseil privé de la
Reine pour le Canada dont l'existence remonte à plus de
vingt ans;
b) à un document de travail visé à l'alinéa 2b), dans les cas
où les décisions auxquelles il se rapporte ont été rendues
publiques ou, à défaut de publicité, ont été rendues quatre
ans auparavant.
Comme on peut le voir, il y a dans ce texte un
ordre ascendant de catégories protégées. La première
de ces catégories, sur laquelle porte l'article 37, cou-
vre le privilège de non-divulgation pour des raisons
d'«intérêt public» en général. La disposition exige
que la personne qui s'oppose à la divulgation des ren-
seignements en question précise le type d'intérêt
public qui serait en danger; elle soumet ensuite cette
opposition à l'examen d'un tribunal afin qu'il soit
déterminé si les raisons d'intérêt public qui justifient
la divulgation des renseignements, un élément qui est
à la base de notre système de justice, ont préséance
sur les raisons d'intérêt public sur lesquelles repose
l'opposition. La décision doit être prise par une cour
supérieure et elle est susceptible d'appel devant la
cour compétente et, après autorisation, devant la Cour
suprême du Canada.
L'article 38 traite des situations où le législateur a
jugé clairement que des raisons d'intérêt public supé-
rieures s'opposent à la divulgation des renseigne-
ments. Cet article s'applique lorsque l'opposition
repose sur le motif que la divulgation pourrait être
préjudiciable aux relations internationales ou à la
défense ou à la sécurité nationales. Seul le juge en
chef de la Cour fédérale, ou un juge désigné par ce
dernier, peut trancher la question, et l'article ren-
ferme des dispositions spéciales qui sont destinées à
protéger la sécurité des renseignements que vise l'op-
position au cas où il ne serait pas ordonné de les
divulguer. Cependant, comme dans le cas de l'article
37, on reconnaît que les affaires de cette nature met-
tent en cause des intérêts opposés et ceux-ci sont sou-
mis à une appréciation et à une pondération judi-
ciaires. La décision finale est, elle aussi, susceptible
d' appel.
Enfin, à l'article 39, le législateur a décrété un pri-
vilège absolu pour ce que l'on appelle les renseigne-
ments confidentiels du Conseil privé de la Reine pour
le Canada. Le simple fait de s'opposer à la divulga-
tion de tels renseignements en produisant le certificat
requis empêche non seulement de divulguer les ren-
seignements demandés mais aussi d'examiner si les
intérêts protégés ont préséance ou non sur les intérêts
de l'administration de la justice. En fait, l'article nie
implicitement qu'il puisse exister un intérêt opposé
quelconque. Aucun juge, de quelque cour que ce soit,
ne peut mettre en doute l'ordonnance d'un ministre
de la Couronne ou du greffier du Conseil privé, indé-
pendamment de l'importance du document protégé
ou de l'utilité de ce dernier pour ce qui est du règle-
ment d'une question soumise à la Cour.
Dans l'affaire qui nous occupe ici, nous avons
quelques indices sur la nature des documents dont on
s'oppose à la divulgation. Il s'agit de documents que
des hauts fonctionnaires ont adressés au ministre res-
ponsable au sujet de l'exercice proposé de son pou-
voir discrétionnaire en vertu de la Loi sur les licences
d'exportation et d'iinportation 2 .
On aurait pu certainement invoquer l'article 37
pour s'opposer à la divulgation de ces documents, car
il existe au moins des raisons d'intérêt public défen-
dables de préserver la confidentialité des communica
tions entre les hauts fonctionnaires et les ministres.
On aurait fort probablement pu invoquer aussi l'ar-
ticle 38, car il est possible de soutenir au moins que
le commerce extérieur est un aspect important des
relations internationales du Canada.
2 L.R.C. (1985), chap. E-19.
Toutefois, c'est l'article 39 qui a été invoqué. La
seule justification possible de cette mesure semble
résider dans la circonstance tout à fait fortuite que le
ministère des Affaires extérieures est structuré de
façon telle que deux ministres étaient théoriquement
chargés de prendre la décision applicable. D'après la
documentation fournie, il semble évident que c'est en
fait le ministre du Commerce extérieur qui a pris la
décision, mais celle-ci exigeait l'assentiment du
secrétaire d'État aux Affaires extérieures. Seule cette
circonstance fortuite pourrait être invoquée afin de
faire tomber les documents sous le coup des alinéas
d) et e) du paragraphe 39(2), ainsi que l'a attesté le
greffier du Conseil privé.
Dans les circonstances, nous ne pouvons bien sûr
que supposer, à partir des quelques bribes d'informa-
tion disponibles, quelle était la véritable nature des
documents dont on s'opposait à la divulgation.
Cependant, si les documents correspondent comme je
le crois à la description que j'en ai faite, je considère
que cette affaire constitue un abus flagrant du pouvoir
exécutif, mais que, malheureusement, le législateur a
clairement envisagé de mettre hors de portée d'un
examen judiciaire.
Ma seconde réserve découle de l'argument que les
appelants fondaient sur la Charte canadienne des
droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi
constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur
le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985),
appendice II, no 44]]. Je suis parfaitement d'accord
avec l'opinion du juge MacGuigan, J.C.A., selon
laquelle l'article 7 de la Charte n'est pas en cause
dans cette affaire. Le droit à la liberté des appelants
n'est tout simplement pas en jeu. Cependant, si l'on
avait soulevé en l'espèce une question quelconque
concernant la vie, la liberté ou la sécurité de la per-
sonne, il me semble que l'État aurait eu beaucoup de
mal à faire valoir que l'article 39 est conforme aux
principes de justice fondamentale.
Le juge La Forest, dans l'affaire Carey c. Ontario 3 ,
a énoncé récemment, et avec force, ces principes au
sujet de la question du «privilège de la Couronne» [à
la page 654]:
Il s'agit finalement d'une question qui est à trancher par le
tribunal et non pas par Sa Majesté. Cette Cour l'a récemment
3 [1986] 2 R.C.S. 637.
réaffirmé dans l'arrêt Smallwood c. Sparling, [19821 2 R.C.S.
686, dont je reparlerai. Retenir le point de vue contraire irait à
l'encontre de l'esprit des lois adoptées par chaque législateur
du Canada, prévoyant que Sa Majesté peut être poursuivie au
même titre que n'importe quelle autre personne. Plus fonda-
mentalement, ce point de vue serait incompatible avec les rap
ports qui, de par la Constitution, doivent exister entre le pou-
voir exécutif et les tribunaux de notre pays. [C'est moi qui
souligne.]
Sans la justification de l'article premier, ce dont il
n'est nullement question en l'espèce, je ne vois pas
comment l'interdiction absolue et le déni complet de
toute possibilité d'examen judiciaire pourraient résis-
ter à une contestation fondée sur la Charte et légiti-
mement introduite.
Je suis donc d'avis, à mon corps défendant toute-
fois, de trancher la question comme le juge
MacGuigan, J.C.A. l'a proposé.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du
jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN, J.C.A.: Le présent appel, qui
fait suite à une ordonnance [T-2448-90] rendue le 17
juin 1991 (motifs datés du 30 septembre 1991
[encore inédite]) par laquelle le juge en chef adjoint
Jerome, agissant comme juge des requêtes, a rejeté la
requête des appelants qui désiraient obtenir que cer-
tains documents soient produits, concerne le sens et
la portée du privilège de non-divulgation d'un rensei-
gnement confidentiel du Conseil privé de la Reine
pour le Canada en vertu de l'article 39 de la Loi sur
la preuve au Canada (ci-après appelée la «Loi»).
I
L'article 39 de la Loi (anciennement l'article 36.3,
S.R.C. 1970, chap. E-10 (édicté par S.C. 1980-81-82-
83, chap. 111, art. 4)) est conçu comme suit:
39. (1) Le tribunal, l'organisme ou la personne qui ont le
pouvoir de contraindre à la production de renseignements sont,
dans les cas où un ministre de la Couronne ou le greffier du
Conseil privé s'opposent à la divulgation d'un renseignement,
tenus d'en refuser la divulgation, sans l'examiner ni tenir d'au-
dition à son sujet, si le ministre ou le greffier attestent par écrit
que le renseignement constitue un renseignement confidentiel
du Conseil privé de la Reine pour le Canada.
(2) Pour l'application du paragraphe (I), «un renseignement
confidentiel du Conseil privé de la Reine pour le Canada»
s'entend notamment d'un renseignement contenu dans:
a) une note destinée à soumettre des propositions ou recom-
mandations au Conseil;
b) un document de travail destiné à présenter des problèmes
des analyses ou des options politiques à l'examen du Con-
seil;
c) un ordre du jour du Conseil ou un procès-verbal de ses
délibérations ou décisions;
d) un document employé en vue ou faisant état de communi
cations ou de discussions entre ministres sur des questions
liées à la prise des décisions du gouvernement ou à la for
mulation de sa politique;
e) un document d'information à l'usage des ministres de la
Couronne sur des questions portées ou qu'il est prévu de
porter devant le Conseil, ou sur des questions qui font l'ob-
jet des communications ou discussions visées à l'alinéa d);
j) un avant-projet de loi.
(3) Pour l'application du paragraphe (2), «Conseil» s'entend
du Conseil privé de la Reine pour le Canada, du Cabinet et de
leurs comités respectifs.
(4) Le paragraphe (1) ne s'applique pas:
a) à un renseignement confidentiel du Conseil privé de la
Reine pour le Canada dont l'existence remonte à plus de
vingt ans;
b) à un document de travail visé à l'alinéa (2)b), dans les cas
où les décisions auxquelles il se rapporte ont été rendues
publiques ou à défaut de publicité, ont été rendues quatre ans
auparavant.
Le privilège de non-divulgation accordé à la Cou-
ronne en vertu de l'article 39 est absolu. L'article 37
prévoit un privilège restreint: un ministre de la Cou-
ronne ou une autre personne intéressée peut s'oppo-
ser à la divulgation de renseignements, mais il est
laissé à la discrétion d'un juge d'une cour supérieure
de déterminer, après avoir étudié la question, s'il con-
vient ou non de divulguer les renseignements en
question et, dans l'affirmative, avec quelles restric
tions ou dans quelles conditions. Dans les cas où
l'opposition repose sur le motif que la divulgation
porterait préjudice aux relations internationales ou à
la défense ou la sécurité nationales, l'article 38 porte
que seul un juge de la Cour fédérale du Canada,
désigné par le juge en chef de cette dernière, peut
trancher la question.
Les documents dont il est question en l'espèce se
rapportent au pouvoir discrétionnaire que peut exer-
cer un ministre en vertu de la Loi sur les licences
d'exportation et d'importation. L'article 5 de cette
Loi permet au gouverneur en conseil de dresser une
liste de marchandises assujetties au contrôle des
importations, appelée «Liste de marchandises d'im-
portation contrôlée». En vertu du paragraphe 8(1) de
cette Loi, le ministre désigné est habilité à délivrer
des licences d'importation comme suit:
8. (1) Le ministre peut délivrer à tout résident du Canada qui
en fait la demande une licence pour l'importation de marchan-
dises figurant sur la liste des marchandises d'importation con-
trôlée, sous réserve des conditions prévues dans la licence ou
les règlements, notamment quant à la quantité, à la qualité, aux
personnes et aux endroits visés.
Le mot «ministre» est défini en ces termes à l'ar-
ticle interprétatif de ladite Loi (article 2):
2....
«ministre» Le membre du Conseil privé de la Reine pour le
Canada chargé par le gouverneur en conseil de l'application
de la présente loi.
Aux fins de la Loi sur les licences d'exportation et
d'importation, le ministre désigné par le gouverneur
en conseil est le secrétaire d'État aux Affaires exté-
rieures (dossier d'appel II, à la page 51). L'article 14
de cette Loi interdit d'importer «des marchandises
d'importation contrôlée si ce n'est sous l'autorité
d'une licence d'importation délivrée en vertu de la
présente loi et conformément à une telle licence.»
La procédure de fond dans cette affaire est une
requête sollicitant une ordonnance de certiorari et de
mandamus en vertu de l'article 18 de la Loi sur la
Cour fédérale [L.R.C. (1985), chap. F-7] relative-
ment à une décision ministérielle mentionnée dans
l'Avis aux importateurs n° 375, daté du 8 mai 1989,
laquelle établissait un plan de répartition des contin
gents pour les oeufs d'incubation et les poussins en
fonction de la part du marché («la décision sur les
contingents», dossier d'appel II, aux pages 152 à
158).
La présente procédure est une requête sollicitant la
production d'une note de service de la Direction
générale des relations commerciales spéciales du
ministère des Affaires extérieures, ainsi que de tout
autre document auquel a fait référence le ministre
désigné dans la décision sur les contingents; cette
question a surgi lors du contre-interrogatoire de
M. Pierre Gosselin au sujet de son affidavit qu'il a
déposé pour le compte de l'intimé, quand, à la suite
d'un avis juridique, il a refusé de produire ces docu
ments (contre-interrogatoire de Pierre Gosselin au
sujet de son affidavit, 27 novembre 1990, aux pages 5
et s., notamment à la Question 21).
Par la suite, dans une lettre datée du 15 janvier
1991, l'avocat de l'intimé a écrit le texte qui suit à
l'avocat des appelants, s'engageant à produire un
document que le ministère des Affaires extérieures
avait envoyé au ministre, et invoquant, pour un autre
document, le privilège de non-divulgation (dossier
d'appel I, aux pages 29 et 30):
[TRADUCTION] Comme vous le savez, M. Gosselin a refusé lors
de son contre-interrogatoire de produire l'un quelconque des
documents s'appliquant à la présente requête que le Ministère
et le ministre s'étaient échangés. En outre, M. Gosselin a soi-
gneusement vérifié s'il existait au Ministère des études qui
étayaient la recommandation de M. Crosby [le ministre du
Commerce extérieur]. Je puis maintenant dire que le Ministère
ne dispose d'aucune étude étayant le plan de répartition des
contingents d'importation, et qu'il existe un document qui a
été envoyé au ministre. Ce document ne peut être consulté que
pour les besoins d'une action en justice car les renseignements
qu'il renferme peuvent s'avérer préjudiciables au commerce
extérieur. Je confirme que vous vous engagez à recevoir ce
document et à en préserver la confidentialité, et que vous pou-
vez vous y reporter, au besoin, durant la présente action.
Enfin, il y a un document du Cabinet à la divulgation duquel
l'intimé s'oppose en vertu de l'article 39 de la Loi .sur la
preuve au Canada et pour lequel une attestation écrite sera pro-
duite au moment opportun. Il s'agit d'un document de travail
et d'information, tel que décrit dans cet article de la Loi sur la
preuve au Canada.
Dans une autre lettre, envoyée le jour suivant,
l'avocat de l'intimé faisait volte-face (dossier d'appel
I, à la page 28):
[TRADUCTION] Dans la lettre que je vous ai fait parvenir le 15
janvier 1991 au sujet de la présente affaire, j'ai dit qu'il y avait
un document administratif que la Couronne était disposée à
divulguer, à la condition de vous engager à en préserver la con-
fidentialité.
Je dois toutefois vous informer que nous avons changé d'avis
au sujet de ce document et que l'article 39 de la Loi sur la
preuve au Canada s'y applique. Je fournirai une attestation
pour ce document en même temps que l'autre attestation que
vous allez recevoir. Ces deux documents devraient être prêts la
semaine prochaine.
C'est en lisant attentivement la documentation que
l'on comprend pourquoi l'avocat de l'intimé a changé
d'avis au sujet de la production du document en ques
tion. Au moment de la rédaction de sa lettre du 15
janvier 1991, l'avocat croyait que c'était le secrétaire
d'État aux Affaires extérieures qui, à la suite de la
recommandation du ministre du Commerce extérieur,
avait pris la décision sur les contingents, comme en
fait foi la lettre elle-même (dossier d'appel I, à la
page 29):
[TRADUCTION] Le ministre que désigne la Loi sur les licences
d'exportation et d'importation (et celui qui a émis l'Avis aux
importateurs daté du 8 mai 1989) est le secrétaire d'État aux
Affaires extérieures. Selon la Loi sur le ministère des Affaires
extérieures, le ministre du Commerce extérieur est chargé d'as-
sister le ministre d'État dans ses fonctions. Dans l'affaire qui
nous occupe ici, le ministre du Commerce extérieur a recom-
mandé au secrétaire d'État aux Affaires extérieures la réparti-
tion des contingents d'importation de la manière indiquée dans
l'Avis aux importateurs. Cet Avis a été émis après que cette
recommandation a été acceptée.
Il s'est avéré que ce n'était pas le cas, comme le
révèle une lettre du 2 mai 1991, adressée par l'avocat
de l'intimé à l'avocat des appelants 4 :
[TRADUCTION] Dans la lettre que nous vous avons envoyée le 15
janvier 1991, il est dit que le ministre désigné en vertu de la
Loi sur les licences d'exportation et d'importation a pris la
décision sur les contingents à la suite de la recommandation du
ministre du Commerce extérieur.
Il semble cependant, après avoir obtenu de plus amples éclair-
cissements, que c'est M. Crosby [le ministre du Commerce
extérieur] qui a pris la décision sur les contingents.
Conformément à l'article 3 de la Loi sur le ministère des
Affaires extérieures, le ministre du Commerce extérieur aide le
secrétaire d'État aux Affaires extérieures à exécuter ses respon-
sabilités en matière de commerce extérieur. L'article 5 de
ladite Loi prévoit que le ministre du Commerce extérieur doit
agir avec l'accord du secrétaire d'État aux Affaires extérieures
en exécutant ses responsabilités. Dans l'affaire qui nous
occupe ici, la Direction générale des relations commerciales
spéciales du ministère des Affaires extérieures a rédigé une
note de service recommandant les principes à suivre pour la
répartition des contingents d'importation; cette note de service
a été envoyée aux deux ministres. Le ministre du Commerce
extérieur, agissant en vertu des articles 3 et 5, a pris la décision
de répartir le contingent d'importation de la manière indiquée
dans l'Avis aux importateurs n° 375. Des licences d'importa-
tion ont ensuite été délivrées, conformément à l'article 8 de la
4 Cette lettre ne figure pas dans le dossier d'appel, mais elle
se trouve dans le dossier de la Cour, en tant que pièce A
accompagnant l'affidavit de Steven Accette, assermenté le 24
mai 1991. Cet affidavit a été soumis au juge de première ins
tance, et les deux parties qui ont comparu devant nous l'ont
accepté.
Loi sur les licences d'exportation et d'importation, avec l'auto-
risation du secrétaire d'État aux Affaires extérieures.
Un affidavit d'un confrère-avocat du gouverne-
ment montre clairement que c'est cette découverte de
fait de l'avocat de l'intimé qui a mené à ce change-
ment d'avis au sujet de la divulgation (dossier d'ap-
pel II, à la page 179):
[TRADUCTION] 7. Le 15 janvier 1991, M. Parke [l'avocat de l'in-
timé] a écrit à M. Stott qu'un document, dont la divulgation
avait été auparavant refusée [Question 21], serait divulgué à la
condition que M. Stott s'engage à le recevoir et à en préserver
la confidentialité....
8. M. Parke m'a fait savoir, et je crois aussi, que l'intention de
divulguer le document reposait sur une méprise de ce dernier
quant aux personnes auxquelles le document avait été initiale-
ment signifié et que, après un examen plus approfondi, on s'est
de nouveau opposé à la divulgation du document à titre de ren-
seignements confidentiels de la Reine.
Après ce changement d'avis, Paul M. Tellier, gref-
fier du Conseil privé, avait émis un certificat en vertu
de l'article 39, en date du 24 janvier 1991, où il était
indiqué que les documents mentionnés à l'annexe A
dudit certificat constituaient des renseignements con-
fidentiels du Conseil privé de la Reine pour le
Canada, et ce pour les motifs exposés à l'annexe en
question, que ni l'alinéa a) ni l'alinéa b) du para-
graphe 39(4) ne s'appliquaient aux documents et
qu'il s'opposait à ce que l'on divulgue les documents
en question et que l'on témoigne oralement sur leur
teneur. Le texte de l'annexe A du certificat est le sui-
vant (dossier d'appel I, à la page 42):
[TRADUCTION] 1. Le document numéro 1 est une copie d'un
document d'information à l'usage des ministres de la Cou-
ronne sur des questions portées ou qu'il est prévu de porter
devant le Conseil ou sur des questions qui font l'objet de
communications ou discussions visées à l'alinéa d) au sens
de l'alinéa 39(2)e) de ladite Loi.
2. Le document numéro 2 est une copie d'un document
employé en vue ou faisant état de communications ou de
discussions entre ministres de la Couronne sur des ques
tions liées à la prise des décisions du gouvernement ou à la
formulation de sa politique au sens de l'alinéa 39(2)d) de
ladite Loi.
3. Le document numéro 3 est une copie d'un document d'in-
formation à l'usage des ministres de la Couronne sur des
questions portées ou qu'il est prévu de porter devant le
Conseil ou sur des questions qui font l'objet des communi
cations ou discussions visées à l'alinéa d) au sens de l'ali-
néa 39(2)e) de ladite Loi.
Comme solution de rechange à la production des
documents auxquels avait fait référence le ministre
désigné en prenant la décision sur les contingents, les
appelants ont cherché à contreinterroger le greffier du
Conseil privé sur son certificat ou, encore, à citer à
comparaître le ministre désigné pour qu'il témoigne
sur les points en litige.
Le juge des requêtes est arrivé à la conclusion sui-
vante, en se fondant dans une grande mesure sur la
décision de la présente Cour dans l'affaire Canada
(Procureur général) c. Central Cartage Co., [1990] 2
C.F. 641 (C.A.) (dossier d'appel II, à la page 216):
Par conséquent, la constitutionnalité de l'article 39 de la Loi
sur la preuve au Canada est confirmée, le certificat émis par
M. Tellier, d'après son libellé, rencontre les exigences de l'ar-
ticle 39 et finalement, malgré l'engagement du procureur dans
cette affaire il n'est pas permis de divulguer des informations
qui n'ont pas déjà été divulguées aux parties demanderesses
pour lesquelles la Couronne n'a pas renoncé à son privilège.
Les arguments des parties demanderesses ont déjà été en
grande partie examinés par la Cour d'appel dans l'affaire Cen
tral Cartage Co. et à mon avis, la présente affaire ne s'en dis-
tingue d'aucune manière. Par conséquent, je suis lié par le rai-
sonnement clair et non ambigu de cet arrêt.
II
Le premier point que les appelants contestent au
sujet de la décision du juge des requêtes est qu'il
s'est trompé en ne concluant pas que, selon la preuve,
les documents que l'intimé refusait de produire ne
pouvaient être l'objet d'un certificat en vertu de l'ar-
ticle 39 de la Loi, lequel accorde à la Couronne un
privilège absolu, mais qu'ils devaient plutôt être l'ob-
jet d'un privilège restreint en vertu des articles 37 ou
38 de la Loi, et que, par conséquent, la revendication
de privilège pourrait être soumise à un examen judi-
ciaire.
Les appelants ont cité à l'appui de cet argument
l'arrêt Carey c. Ontario, [1986] 2 R.C.S. 637, où la
Cour suprême du Canada a ordonné que des docu
ments administratifs soient divulgués afin que la
Cour puisse les examiner. Comme cette affaire met-
tait en cause le gouvernement de l'Ontario, les dispo
sitions de la Loi sur la preuve au Canada ne s'appli-
quaient pas. On peut donc considérer que, en ce qui
concerne le privilège de non-divulgation de la Cou-
ronne, cet arrêt est l'exposé de la common law qui
fait le plus autorité. S'exprimant au nom d'une Cour
unanime, le juge La Forest a décrété (à la page 659)
que «[d]epuis quelques années, l'idée que les docu
ments du Cabinet doivent jouir d'une protection
absolue contre la divulgation semble être nettement
en perte de vitesse». Et d'ajouter (aux pages 653 et
654):
Comme le juge Thorson l'a souligné en Cour d'appel, l'inté-
rêt du public à ce qu'un document ne soit pas communiqué ne
constitue pas un privilège de la Couronne. Il s'agit plus exacte-
ment d'une immunité d'intérêt public, d'une immunité qui, en
dernière analyse, relève de l'appréciation du tribunal. Celui-ci
peut lui-même soulever la question de son applicabilité,
comme le peut d'ailleurs l'avocat, mais la façon la plus com
mune et la plus appropriée de le faire est au moyen d'un certi-
ficat sous la forme d'un affidavit d'un ministre ou d'un haut
fonctionnaire lorsque, comme en l'espèce, c'est autorisé par
une loi ou c'est par ailleurs indiqué. L'avis du ministre (ou du
fonctionnaire) doit dûment entrer en ligne de compte, mais son
poids variera en fonction de la nature de l'intérêt public que
l'on cherche à protéger. Son avis doit en outre être considéré
par rapport à la nécessité de produire le document dans l'af-
faire en question.
Il s'agit finalement d'une question qui est à trancher par le
tribunal et non pas par Sa Majesté.... Retenir le point de vue
contraire irait à l'encontre de l'esprit des lois adoptées par
chaque législateur du Canada, prévoyant que Sa Majesté peut
être poursuivie au même titre que n'importe quelle autre per-
sonne. Plus fondamentalement, ce point de vue serait incompa
tible avec les rapports qui, de par la Constitution, doivent exis-
ter entre le pouvoir exécutif et les tribunaux de notre pays.
Si l'arrêt Carey représente un exposé très impor
tant de la common law, on ne peut considérer, à mon
avis, qu'il détermine les règles juridiques qui figurent
dans la Loi sur la preuve au Canada, car il se peut
fort bien qu'un texte législatif ait pour objet de modi
fier la common law plutôt que de l'énoncer. Tout
dépend du libellé de la loi en particulier, vu dans son
contexte entier.
Le libellé de l'article 39 de la Loi m'apparaît suffi-
samment clair: le fait qu'un ministre de la Couronne
ou le greffier du Conseil privé se soient opposés à la
divulgation de renseignements tranche la question
lorsque le ministre ou le greffier attestent par écrit
que les informations demandées constituent des ren-
seignements confidentiels du Conseil privé de la
Reine pour le Canada; dans ce cas, la divulgation des
informations doit être refusée sans autre examen.
Comme l'a indiqué le juge Strayer dans l'affaire
Smith, Kline & French Laboratories Limited c. Pro-
cureur général du Canada, [1983] 1 C.F. 917 (lre
inst.), aux pages 929 à 931, et ainsi que l'a renforcé
la présente Cour dans l'affaire Central Cartage, pré-
citée, il est certainement loisible à un tribunal de
décider si un certificat d'un ministre ou du greffier
renferme une allégation de privilège selon les condi
tions qu'autorise la loi, mais un tribunal ne peut aller
au-delà du certificat et examiner les documents en
question. Le juge en chef Iacobucci, de la présente
Cour, a exprimé comme suit ce principe dans l'affaire
Central Cartage (aux pages 652 et 653), où le gref-
fier du Conseil privé s'était opposé à la divulgation
de huit documents en émettant un certificat aux
termes de ce qui est aujourd'hui l'article 39:
Il semble évident que, lorsqu'il a adopté l'article 36.3, le
Parlement désirait confier à un ministre de la Couronne ou au
greffier du Conseil privé le soin de déterminer si un renseigne-
ment constitue un renseignement confidentiel du Conseil privé
pour la Reine. La décision du ministre ou du greffier, que
celui-ci atteste par écrit, ne peut faire l'objet d'un examen par
un tribunal, pourvu, et c'est là la seule restriction, que les exi-
gences explicites de cette disposition soient respectées. La cour
ne peut aller au-delà du libellé du certificat et examiner les
documents comme elle peut le faire sous le régime des articles
36.1 [aujourd'hui l'article 37] et 36.2 [aujourd'hui l'article 38]
de la Loi sur la preuve au Canada. Toutefois, il est loisible à un
tribunal de déterminer si, à première vue, le certificat renferme
une allégation de privilège selon les limites législatives concer-
nant les revendications de privilège par l'exécutif.
La preuve extrinsèque dont les appelants nous ont
demandé avec insistance de tenir compte en l'espèce
ne figurait pas dans les documents mais dans la
preuve par affidavit et le témoignage qu'avait fait M.
Gosselin en contre-interrogatoire. Je suis disposé à
admettre à titre d'exemple, sans me prononcer de
quelque manière sur la question, qu'un tribunal pour-
rait prendre en considération une preuve de ce genre,
si elle est suffisamment claire, par rapport à ce qui est
déclaré dans le certificat; à mon avis, toutefois, les
éléments de preuve dont on dispose en l'espèce n'ai-
dent pas les appelants.
La prétention des appelants est, en bref, la sui-
vante: une note de service adressée à un ministre
unique agissant en vertu d'une autorisation législative
ne peut équivaloir à un renseignement confidentiel du
Conseil privé, car, au paragraphe 39(2), la définition
d'un tel renseignement n'englobe que les questions
qui intéressent l'ensemble du Conseil privé, un
comité du Conseil ou, à tout le moins, plus d'un
ministres.
Je suis disposé à souscrire à cette prétention.
Comme l'a dit le juge Strayer dans l'affaire Smith,
Kline & French (à la page 930):
Bien que la définition contenue au paragraphe 36.3(2) [39(2)
aujourd'hui] ne soit pas censée bue exhaustive, il est difficile
d'imaginer qu'on pourrait considérer que les documents qui
sont implicitement mais manifestement exclus des catégories
de documents qui y sont énumérées sont encore visés par l'ex-
pression générale «renseignement confidentiel du Conseil
privé de la Reine».
Bien que l'on puisse dire d'un ministre qu'il agit
comme conseiller privé dans toute activité officielle,
il ne s'agit pas là du critère qui s'applique au privi-
lège prévu par la Loi. Il ressort clairement de l'article
39, selon moi, que seuls les renseignements qui inté-
ressent le Cabinet 6 dans le sens collégial du terme
peuvent faire l'objet d'un privilège absolu. Sinon, les
renseignements relatifs aux fonctions officielles de
conseillers privés qui sont d'anciens ministres ne fai-
sant plus partie du Cabinet, ou de personnes qui n'ont
jamais été ministres, comme les membres du Comité
de surveillance des activités de renseignement de
sécurité, jouiraient aussi d'un tel privilège. Cette
interprétation permettrait, je crois, d'étendre gratuite-
ment et de façon injustifiée la notion de privilège
absolu.
C'est en raison des faits et non du droit que les
appelants sont déboutés. Le droit qu'ils invoquent est
exact, mais les faits sont incomplets. Ils ont supposé
qu'un document de travail avait été envoyé à un
ministre unique, s'appuyant pour cela sur une simple
hypothèse que M. Gosselin avait émise faite durant le
contre-interrogatoire sur son affidavit (aux pages 5
et 6, questions 19 et 20), hypothèse qui s'est révélée
fausse par la suite, car aucun des documents pour les-
quels le greffier du Conseil privé avait invoqué un
privilège n'était une telle note de service.
5 Je n'analyse pas l'argument des appelants par rapport à
l'alinéa 39(4)b), car celui-ci ne s'applique que dans les cas où
l'on invoque le privilège en vertu de l'alinéa 39(2)6), ce qui
n'est pas le cas en l'espèce.
6 Bien sûr, le Cabinet n'est, techniquement, qu'un comité du
Conseil privé.
En outre, il ressort clairement des faits de l'espèce
qu'en raison de la structure particulière du ministère
des Affaires extérieures, deux ministres, le secrétaire
d'État aux Affaires extérieures et le ministre du Com
merce extérieur, avaient pris part à la décision sur les
contingents. Celle-ci avait été prise au nom du secré-
taire d'État aux Affaires extérieures et, probablement
à son su et avec son accord, mais c'est réellement le
ministre du Commerce extérieur qui l'avait prise. En
conséquence, la preuve révèle que les documents en
question ont été envoyés aux deux ministres, et pour
ce motif, ils remplissent les conditions voulues pour
qu'un privilège puisse être invoqué en vertu de l'ar-
ticle 39.
Dans son certificat, le greffier du Conseil privé suit
le texte des alinéas d) et e) du paragraphe 39(2), une
procédure qu'a confirmée le juge en chef Iacobucci
dans l'affaire Central Cartage (à la page 654). Le
paragraphe a) du certificat décrit des [TRADUCTION]
«renseignements contenus dans ... un document
d'information employé en vue de ... communica
tions ... entre ministres de la Couronne sur des ques
tions liées à la prise des décisions du gouverne-
ment ... ». Le paragraphe e) fait référence à des:
[TRADUCTION] «renseignements contenus dans ... un
document d'information à l'usage des ministres de la
Couronne sur des questions ... qui font l'objet des
communications mentionnées à l'alinéa d).» Aucun
élément de la preuve relative aux documents dont il
est question en l'espèce ne met en doute de quelque
façon ce qu'a déclaré le greffier du Conseil privé
dans son certificat.
En fait, il semble que ce soit après avoir découvert
que le ou les documents en question avaient été
envoyés à deux ministres plutôt qu'à un seul, et après
avoir pris conscience de l'interdépendance des fonc-
tions de ces deux personnes, que l'avocat de l'intimé
a retiré l'engagement qu'il avait pris brièvement de
produire des documents. Il n'appartient pas aux tribu-
naux de se prononcer sur l'organisation de ministères
ou sur la structure du processus de prise de décisions
ministérielles. Quant une partie est incapable de faire
la preuve qu'un certificat est manifestement incom-
plet, soit à première vue soit par rapport aux éléments
de preuve disponibles, un tribunal ne peut plus véri-
fier le bien-fondé du certificat, mais doit respecter
l'intention qu'avait le législateur de prévoir, dans ce
cas spécial, une exemption d'examen judiciaire.
Les appelants ont aussi fait valoir que le juge des
requêtes a commis une erreur en ne faisant pas exécu-
ter l'engagement qu'avait pris l'intimé et, notam-
ment, en ne faisant pas appliquer l'affaire Best Clea
ners and Contractors Ltd. c. La Reine, [ 1985] 2 C.F.
293 (C.A.), pour conclure que les documents ne pou-
vaient être protégés par un certificat en vertu de l'ar-
ticle 39 lorsqu'il était déjà entendu de les produire.
Cependant, l'affaire Best Cleaners est bien différente
de la présente espèce. Dans cette affaire, les éléments
essentiels des renseignements demandés avaient déjà
été produits, sans opposition, au moment de l'interro-
gatoire préalable. En concluant que, dans les circons-
tances particulières de l'espèce, un certificat ne fai-
sait pas obstacle à l'admissibilité en preuve des
renseignements, le juge Mahoney, J.C.A., a déclaré
ce qui suit (à la page 311):
C'est faire preuve de beaucoup d'irréalisme que de préten-
dre que le dépôt d'un certificat a pour effet d'effacer la produc
tion de renseignements déjà légalement divulgués à la partie
adverse dans une procédure judiciaire. Tous ceux qui possèdent
un intérêt légitime dans ces renseignements les ont en mains
sauf la Cour. Le fait de préserver la confidentialité de ces ren-
seignements uniquement vis-à-vis de la cour, dans un tel cas,
sous-entend l'intention du Parlement d'autoriser le dépôt d'un
certificat en vue de faire obstruction à l'administration de la
justice et ce, sans aucun motif légitime apparent. Le Parlement
n'a pas exprimé une telle intention et la lui prêter est tout sim-
plement choquant.
Aucun des éléments de l'affaire Best Cleaners
n'étaye la thèse des appelants voulant que l'engage-
ment d'un avocat de produire des renseignements ait
priorité en toutes circonstances sur un privilège d'ori-
gine législative. À mon sens, cette thèse est indéfen-
dable. Un avocat de la Couronne ne pouvait outrepas-
ser le pouvoir législatif qui était conféré à des
ministres de la Couronne et au greffier du Conseil
privé, et les faits dont il est question en l'espèce sont
bien loin de constituer une renonciation à ce privilège
d'intérêt public. Par ailleurs, un tribunal jouit d'une
grande latitude pour ce qui est de dégager un avocat
d'un engagement personnel lorsque cet engagement
repose sur une erreur de fait: Mullins v. Howell
(1879), 11 Ch.D 763; Uvanile v. Wawanesa Mut. Ins.
Co. (1984), 44 C.P.C. 110 (Ont. H.C.); et Guinness
Peat Properties Ltd. v. Fitzroy Robinson Partnership,
[1987] 1 W.L.R. 1027 (C.A.). Les causes que les
appelants ont citées sont différentes de la présente
espèce en ce sens qu'il n'y est pas question d'un pri-
vilège d'origine législative. D'après moi, le juge des
requêtes a eu parfaitement raison de conclure que
«[Mette disposition claire de la Loi ne saurait être
écartée par un agent, ou comme dans la présente
affaire, par un procureur de la Couronne» (dossier
d'appel II, à la page 215).
Ainsi qu'il est déclaré sur le certificat lui-même
(dossier d'appel I, à la page 41), l'opposition à la
divulgation de documents doit s'étendre logiquement
et nécessairement aux témoignages oraux qui peuvent
être faits au sujet de la teneur desdits documents.
Cette conclusion dispose donc des arguments subsi-
diaires des appelants, à l'exception des points relatifs
à la Charte qui ont été soulevés.
III
Les appelants ont aussi cherché à contester l'article
39, tel qu'appliqué, en invoquant à la fois l'article 7
et l'article 15 de la Charte canadienne des droits et
libertés.
Il pourrait sembler, à prime abord, que la décision
rendue dans l'affaire Central Cartage empêche de
recourir à ces deux moyens de contestation. Dans
cette affaire, le juge en chef Iacobucci a écrit ceci sur
l'article 7 (à la page 655):
Les intimées allèguent que l'article 36.3 [aujourd'hui l'ar-
ticle 39] viole l'article 7 de la Charte, parce qu'il prive les inti-
mées de la sécurité de la personne sans respecter les principes
de justice fondamentale.
À mon avis, les intimées, à titre de sociétés, ne peuvent
invoquer l'article 7 de la Charte, puisque celui-ci s'applique
uniquement aux être humains.
Et, sur l'article 15 (à la page 657):
Si j'ai bien compris, les intimées semblent dire que l'article
15 est violé parce que le droit à l'égalité devant la loi et selon
la loi qu'elles possèdent sous le régime de cet article est violé
par l'article 36.3 de la Loi sur la preuve au Canada, qui
accorde à la Couronne, comme partie à un litige, le droit de
supprimer des éléments de preuve—renseignements confiden-
tiels du Conseil privé de la Reine—dont les autres parties, y
compris les intimées, ne pourraient disposer autrement.
Une fois de plus, je suis d'avis que les intimées, comme
sociétés, ne peuvent se prévaloir de la protection prévue à l'ar-
ticle 15.
Toutefois, même si une société a le statut voulu pour reven-
diquer la protection prévue à l'article 15, je ne puis conclure
que celui-ci a été violé, selon les critères que la Cour suprême
du Canada...
Cependant, dans la présente affaire, les appelants
sont en majorité des particuliers, et non des sociétés,
et ils sont donc habilités à invoquer l'article 7, dont le
texte est le suivant:
7. Chacun a droit à la vie, 'a la liberté et à la sécurité de sa
personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor-
mité avec les principes de justice fondamentale.
On a fait valoir que l'emploi, par la Couronne,
d'un certificat invoquant un privilège absolu en vertu
de l'article 39 prive les particuliers appelants de la
liberté de pouvoir soumettre la décision sur les con
tingents à l'examen et au contrôle des tribunaux. À
l'appui de cet argument, les particuliers appelants ont
cité l'affaire Re Mia and Medical Services Commis
sion of British Columbia (1985), 17 D.L.R. (4th) 385
(C.S.C.-B.), aux pages 411 et 412, où le juge en chef
McEachern de la Cour suprême de la Colombie-Bri-
tannique (tel était alors son titre) a écrit ceci 7 :
[TRADUCTION] Certains auteurs ont laissé entendre que le mot
«liberté» à l'article 7 ne se rapporte qu'à la liberté physique
effective, dans le sens d'une garantie contre la captivité ou
l'emprisonnement, et non pas à la conduite ou à l'activité
humaine, qu'il n'est pas lié aux questions économiques ou que
l'on peut en restreindre le sens de diverses manières. Bien qu'il
doive toujours y avoir des restrictions au droit qu'ont les gens
libres de faire ce que bon leur semble, les derniers mots de
l'article 7 et de l'article I dont je traiterai plus loin exigent que
l'on agisse d'une manière conforme à la raison; règle générale,
lorsqu'on restreint les libertés traditionnelles, il faut le faire à
contrecoeur et en usant de précautions extrêmes.
Je suis conscient que, de façon générale, les tribunaux amé-
ricains sont peu enclins à contrecarrer le règlement législatif de
problèmes économiques. C'est un fait auquel je souscris en
tant que règle générale; cependant, dans cette affaire-ci, je n'ai
pas affaire à une loi dûment promulguée et, même si c'était le
cas, il existe certains droits dont notre peuple jouit, dont celui
de travailler ou d'exercer une profession, qui sont à ce point
fondamentaux qu'il importe de les protéger même s'ils com-
prennent un élément économique.
7 Comme l'a fait remarquer le juge des requêtes, l'affaire
Mia, toutefois, est de toute façon différente de la présente
espèce car, dans cette affaire, la Cour a statué qu'un refus de la
Commission des services médicaux d'accorder à un médecin
un numéro de facturation pour exercer en tant que généraliste
était «une pratique arbitraire non sanctionnée par la loi» (à la
p. 416), argument que l'on n'aurait pu faire valoir en l'espèce.
La liberté doit inclure à tout le moins les libertés de conduite
légitime que les Canadiens et nos prédécesseurs dans le patri-
moine anglo-saxon ont toujours connues. Un droit dont nous
jouissons depuis de nombreux siècles doit certainement être
inclus dans la «liberté», que cela soit indiqué expressément
dans la Charte ou non.
Les appelants particuliers ont fait référence à l'ou-
vrage de Blackstone, intitulé Commentaries on the
Laws of England, 17 éd., 1830, I, à la page 141, pour
tenter d'établir qu'un examen judiciaire est un droit
qui existe depuis de nombreux siècles:
[TRADUCTION] 3. Un troisième droit accessoire dont jouit tout
Anglais est celui de pouvoir s'adresser aux cours de justice
pour faire réparer un tort. Étant donné qu'en Angleterre la loi
est l'arbitre suprême de la vie, de la liberté et de la propriété de
quiconque, les cours de justice doivent être en tout temps
accessibles et appliquer dûment la loi.
Ils ont aussi cité l'affaire Budge v. Workers' Com
pensation Board (Alta.) No. 2 (1987), 80 A.R. 207
(Q.B.), où le juge Bracco a statué qu'il fallait définir
l'article 7 de manière large afin qu'il comprenne le
droit fondamental qu'a une personne s'estimant lésée
de demander réparation, en tant qu'élément de sécu-
rité de cette personne, et, par conséquent, il a déclaré
que la disposition pertinente de la Workers' Compen
sation Act [S.R.A. 1982, chap. W-16] de l'Alberta,
telle qu'appliquée, était incompatible avec l'article 7.
Les particuliers appelants ont aussi fait référence à
l'affaire Carey, précitée, dans le but déjà noté.
Cependant, dans cette dernière, il n'a nullement été
question de la Charte, sûrement parce que l'action en
question avait été intentée en 1976, bien avant l'en-
trée en vigueur de la Charte.
Le juge Lamer (tel était alors son titre) a abordé
tout récemment la question des libertés qu'inclut l'ar-
ticle 7 dans l'affaire Renvoi relatif à l'art. 193 et à
l'al. 195.1(1)c) du Code criminel (Man.), [1990] 1
R.C.S. 1123, affaire dans laquelle le Manitoba avait
soumis aux tribunaux la question de la constitution-
nalité de l'article 193 et de l'alinéa 195.1(1)c) du
Code criminel, portant respectivement sur la tenue
d'une maison de débauche et le fait de communiquer
avec une personne dans le but de se livrer à la prosti
tution. Les juges de la Cour suprême, dans une pro
portion de 4 contre 2, ont confirmé la constitutionna-
lité de la Loi.
Les autres membres de la majorité n'ont pas jugé
nécessaire de traiter de la question précise que le juge
Lamer avait analysée de façon approfondie, comme
suit (aux pages 1173 1178):
Par exemple, dans le Renvoi sur la Motor Vehicle Act, notre
Cour, parlant de la définition des principes de justice fonda-
mentale, a affirmé à la p. 503:
Plusieurs ont émergé, avec le temps, à titre de présomp-
tions de common law, d'autres sont exprimés dans les con
ventions internationales sur les droits de la personne. Tous
ont été reconnus comme des éléments essentiels d'un sys-
tème d'administration de la justice fondé sur la foi en «la
dignité et la valeur de la personne humaine» [ ... ] et en «la
primauté du droit» ...
En d'autres mots, les principes de justice fondamentale se
trouvent dans les préceptes fondamentaux de notre système
juridique. Ils relèvent non pas du domaine de l'ordre public
en général, mais du pouvoir inhérent de l'appareil judiciaire
en tant que gardien du système judiciaire. [Je souligne.]
A mon avis, ce passage illustre bien la sorte de droit à la vie, à
la liberté et à la sécurité de la personne que l'on a voulu proté-
ger par les principes de justice fondamentale. Les intérêts pro-
tégés par l'art. 7 sont ceux qui relèvent traditionnellement et à
proprement parler du pouvoir judiciaire. L'article 7, et plus
spécifiquement les art. 8 à 14, protègent les individus contre
l'État lorsqu'il recourt au pouvoir judiciaire pour restreindre la
liberté physique d'une personne, par l'imposition d'une peine
ou par la détention, lorsqu'il restreint la sécurité de la personne
ou lorsqu'il restreint d'autres libertés en employant un mode
de sanction et de peine qui relève traditionnellement du
domaine judiciaire. Cela ne veut pas dire que l'art. 7 protège
uniquement la liberté physique d'un individu. Il est révélateur
que cet article protège également la sécurité de la personne.
Comme je l'ai dit dans l'arrêt Mills c. La Reine, [1986] 1
R.C.S. 863, aux p. 919 et 920:
... la notion de sécurité de la personne ne se limite pas à
l'intégrité physique; elle englobe aussi celle de protection
contre [ ... ] «un assujettissement trop long aux vexations et
aux vicissitudes d'une accusation criminelle pendante»
[...] Celles-ci comprennent la stigmatisation de l'accusé,
l'atteinte à la vie privée, la tension et l'angoisse résultant
d'une multitude de facteurs, y compris éventuellement les
perturbations de la vie familiale, sociale et professionnelle,
les frais de justice et l'incertitude face à l'issue et face à la
peine.
Notre Cour a réitéré depuis l'opinion que la stigmatisation
d'un accusé peut le priver des droits garantis par l'art. 7 dans
l'arrêt R. c. Vaillancourt, [1987] 2 R.C.S. 636, la p. 651 De
plus, dans l'arrêt R. c. Morgentaler, précité, à la p. 56, le Juge
en chef a conclu que l'atteinte que l'État porte à l'intégrité cor-
porelle ainsi que la tension psychologique grave causée par
l'État peuvent constituer une restriction à la sécurité de la per-
sonne. Ce faisant, il a cité en l'approuvant l'affirmation de la
Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt R. v. Videoflicks Ltd.
(1984), 48 O.R. (2d) 395, la p. 433, selon laquelle le droit à
la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne «semble se
rapporter à l'intégrité physique ou mentale d'une personne et
au contrôle qu'elle exerce à cet égard» (je souligne).
Cependant, le dénominateur commun de l'art. 7 et des art. 8
à 14 est l'intervention de l'appareil judiciaire en tant que gar-
dien du système judiciaire.
En d'autres termes, la détention d'individus contre leur volonté
ou la restriction de leur contrôle sur leur esprit et leur corps fait
précisément partie du genre d'activités qui relèvent du
domaine de l'appareil judiciaire en tant que gardien du système
judiciaire. Par opposition à cela, dès que nous sortons du
«domaine judiciaire», nous entrons dans le domaine de l'ordre
public en général où les principes de justice fondamentale,
façonnés principalement par la common law, perdent une large
part de leur pertinence. Dans le domaine de l'ordre public,
entrent en jeu les intérêts politiques, les pressions et les valeurs
qui ont sans aucun doute une importance sociale, mais qui ne
sont pas «des éléments essentiels d'un système d'administra-
tion de la justice» et qui ne sont donc pas des principes de jus
tice fondamentale au sens de l'art. 7. En raison de la nature de
l'institution, les tribunaux ne doivent pas s'immiscer dans le
domaine de pures questions d'ordre public; c'est le rôle exclu-
sif des représentants dûment élus, les législateurs. Ce serait
porter atteinte à ce rôle que de trop étendre le champ d'applica-
tion de l'art. 7.
Bref, je suis d'avis que l'art. 7 entre en jeu lorsque l'État, en
faisant appel au système judiciaire, restreint la liberté physique
d'un individu dans quelque contexte que ce soit. L'article 7
entre également en jeu lorsque l'Etat restreint la sécurité de la
personne en portant atteinte au contrôle que l'individu exerce
sur son intégrité physique ou mentale et en supprimant ce con-
trôle. Enfin, l'art. 7 intervient lorsque l'État, directement ou
par ses mandataires, restreint certains privilèges ou libertés par
la menace de sanctions dans les cas de violation.
Bien que cela puisse paraître une lecture restrictive de l'art.
7, j'estime qu'il n'est ni sage ni nécessaire d'englober tous les
autres droits de la Charte dans l'art. 7. On peut parvenir à une
interprétation large et généreuse de la Charte qui accorde aux
individus tout le bénéfice de sa protection sans incorporer
d'autres droits et libertés à l'art. 7.
Il s'agit là d'une analyse complète de l'article 7, la
seule avancée jusqu'à ce jour qui fasse autorité, je
crois. Cette analyse tente d'unir les perspectives de la
triade protégée de droits («la vie, la liberté et la sécu-
rité de la personne») et les principes de justice fonda-
mentale, étant donné que, ainsi qu'il est indiqué, elle
énonce «la sorte de droit à la vie, à la liberté et à la
sécurité de la personne que l'on a voulu protéger par
les principes de justice fondamentale». Cette analyse
est également compatible avec les diverses manières
dont la Cour suprême a auparavant envisagé la ques
tion, s'appuyant en particulier sur sa décision qui a
servi de source à d'autres décisions analogues, elle
aussi rendue par le juge Lamer, dans l'affaire Renvoi:
Motor Vehicle Act de la C.-B., [[19851 2 R.C.S. 486].
Elle évite aussi les pièges d'une ingérence de l'appa-
reil judiciaire dans le domaine de l'ordre public en
général. Que cette analyse en vienne ou non à repré-
senter l'énoncé judiciaire définitif du sens de l'article
7, je crois néanmoins que toute synthèse judiciaire
éventuelle sera vraisemblablement proche du point de
vue du juge Lamer. Je suis donc disposé à faire mien
cet exposé en tant qu'hypothèse de travail pour les
besoins de la présente espèce.
En conséquence, l'article 7 entre en jeu lorsque
l'on restreint la liberté physique dans quelque con-
texte que ce soit, lorsque l'on exerce un contrôle sur
l'intégrité physique ou mentale ou lorsque l'on
invoque la menace de sanctions dans les cas de viola
tion. Les faits de la présente espèce n'indiquent rien
de la sorte. Le droit que les particuliers appelants
veulent faire valoir est un vague «droit» traditionnel
d'examen judiciaire d'une mesure administrative
dans tous les cas. La jurisprudence montre toutefois
qu'un tel droit peut être exclu complètement sauf
pour ce qui est de questions de compétence, lorsque
l'organe exécutif du gouvernement est en cause,
même quand l'équité elle-même est en jeu: Procureur
général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et
autre, [1980] 2 R.C.S. 735.
Le fait que les particuliers appelants aient invoqué
le paragraphe 32(1) de la Charte n'y change rien. Il
est évident que la Charte s'applique. La question
n'est pas de savoir si elle s'applique mais bien, lors-
qu'on l'applique, si l'article 39 y contrevient.
Je me dois de conclure que l'article 39 de la Loi ne
contrevient pas à l'article 7 de la Charte et que le juge
des requêtes a eu raison d'en décider ainsi.
IV
La dernière objection que soulèvent les particuliers
appelants à l'égard de l'article 39 repose sur le para-
graphe 15(1) de la Charte, en ce sens que l'article 39
confère à la Couronne, en tant que partie au litige, le
droit de supprimer des éléments de preuve, un droit
dont aucune autre partie ne jouit. Ledit paragraphe est
conçu comme suit:
15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique
également à tous, et tous ont droit à la même protection et aux
même bénéfices de la loi, indépendamment de toute discrimi
nation, notamment des discriminations fondées sur la race,
l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe,
l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.
On se souviendra qu'en rendant jugement dans
l'affaire Central Cartage, le juge en chef Iacobucci a
établi que, non seulement les sociétés ne peuvent se
prévaloir de la protection de l'article 15, mais aussi
que, de toute façon, les dispositions de l'article 39
n'enfreignent pas l'article 15. Voici ce qu'il a écrit
(aux pages 657 659):
Toutefois, même si une société a le statut voulu pour
revendiquer la protection prévue à l'article 15, je ne puis
conclure que celui-ci a été violé, selon les critères que la
Cour suprême du Canada a établis dans Andrews c. Law
Society of British Columbia [1989] I R.C.S. 143. Dans cette
cause-là, le juge McIntyre a dit que le but de l'article 15 est
d'assurer l'égalité dans la formulation et l'application de la
loi. Pour prouver qu'il y a eu contravention à l'article 15, il
faut démontrer, non seulement qu'il y a un traitement inégal
devant la loi ou en vertu de la loi ou établir que la loi a des
répercussions différentes sur le plan de la protection ou des
avantages qu'elle accorde, mais aussi que les répercussions
législatives de la loi sont discriminatoires.
En ce qui a trait au traitement inégal, les remarques que le
juge Cory a formulées dans Rudolph Wolff & Co. c. Canada
[1990] 1 R.C.S. 695, me semblent particulièrement perti-
nentes. Dans cette cause-là, on a soutenu que les para-
graphes 17(1) et (2) de la Loi sur la Cour fédérale et le para-
graphe 7(1) de la Loi .sur la responsabilité de l'État, qui
accordent une compétence exclusive à la Cour fédérale du
Canada, violaient le paragraphe 15(1) de la Charte. Après
avoir cité le raisonnement qu'a adopté le juge Mcintyre dans
l'arrêt Andrews, le juge Cory a dit ce qui suit:
En ce qui concerne la question de savoir si les appelantes
ont subi un traitement inégal, il doit être clair que la Cou-
ronne ne peut être comparée à une personne. La Couronne
représente l'État. Elle est le moyen par lequel se manifeste
la dimension fédérale de notre société canadienne. Elle doit
représenter les intérêts de tous les membres de la société
canadienne dans les recours en justice exercés contre la Cou-
ronne du Chef du Canada. Les droits et obligations de la
Couronne sont très différents de ceux des particuliers qui
intentent des actions contre le gouvernement fédéral.
À mon avis, le juge Henry a correctement appliqué l'arrêt R.
v. Stoddart, précité. Je souscris à ce que dit le juge Tarno-
polsky au nom de la Cour d'appel dans cet arrêt, aux p. 362 et
363:
[TRADUCTION] La Couronne n'est pas une «personne phy
sique» avec laquelle une comparaison peut être faite pour
déterminer s'il y a violation du par. 15(1).
... le procureur de la Couronne n'agit pas dans un procès
criminel à titre de «personne physique». Il s'agit [sic]
comme mandataire de la Couronne, laquelle présente à
son tour l'État, c.-à-d. une société organisée. Il convient
de rappeler que l'Oxford English Dictionary définit le
terme «individual» comme «a single human being» (un
être humain) par opposition à la «société». Par consé-
quent, l'accusé en tant que «personne physique» ou «indi-
vidual» ne peut être comparé avec le procureur de la Cou-
ronne en tant que mandataire de notre société organisée,
aux fins d'un examen fondé sur le par. 15(1).
Ce principe s'applique tout autant aux faits de l'espèce et
permet de disposer du pourvoi. Compte tenu des circons-
tances de l'espèce, la Couronne n'est tout simplement pas
une personne physique avec laquelle une comparaison
peut être faite pour déterminer s'il y a eu violation du par.
15(1).
En l'espèce, de la même façon, la Couronne à l'article 36.3
[maintenant l'article 39] de la Loi sur la preuve au Canada
n'est pas une personne avec laquelle une comparaison peut être
faite pour déterminer s'il y a eu violation de l'article 15.
En outre, je ne constate aucune discrimination, au sens de
l'arrêt Andrews, qui découlerait des répercussions de l'article
36.3 de la Loi sur la preuve au Canada sur les intimées. Je me
reporte à nouveau aux propos du juge Cory dans l'arrêt
Rudolph Wolff:
Les appelantes n'ont pas démontré non plus que l'inéga-
lité, le cas échéant, était discriminatoire. Les dispositions
législatives contestées qui confèrent à la Cour fédérale com-
pétence exclusive pour entendre les demandes portées contre
la Couronne du chef du Canada n'établissent pas de distinc
tion entre les catégories de personnes d'après les motifs énu-
mérés au par. 15(I) ou d'après des motifs analogues. On ne
peut certainement pas affirmer que les personnes qui inten-
tent une action contre la Couronne fédérale, sont, selon les
propos du juge Wilson dans l'arrêt R. c. Turpin, [1989] 1
R.C.S. 1296, à la p. 1333, une «minorité discrète et isolée»
ou «un groupe défavorisé dans la société canadienne au sens
de l'art. 15». Au contraire, elles forment un groupe disparate
dont le seul point commun est d'exercer une réclamation
contre la Couronne devant un tribunal.
L'article 36.3 [maintenant l'article 39] accorde à la Cou-
ronne un privilège à l'encontre de la divulgation de certains
renseignements et, ce faisant, il n'établit aucune distinction
entre les catégories de personnes d'après des motifs énumérés
au paragraphe 15(1) ou des motifs analogues. Bref l'argument
fondé sur l'article 15 n'est pas retenu non plus.
En tentant de faire une distinction entre la présente
espèce et les affaires Central Cartage, Andrews c.
Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S.
143, et Rudolph Wolff & Co. Ltd. c. Canada, [ 1990]
1 R.C.S. 695, les particuliers appelants ont été réduits
à prétendre que la clause introductive du paragraphe
15(1) («la loi ne fait acception de personne et s'ap-
plique également à tous») établit un droit distinct
que, dans les affaires susmentionnées, les tribunaux
ont négligé de prendre en considération, par inadver-
tance vraisemblablement. Je crois que le juge en chef
Iacobucci a réfuté directement cette prétention dans
la citation qui précède, où il dit:
Pour prouver qu'il y a eu contravention à l'article 15, il faut
démontrer, non seulement qu'il y a un traitement inégal devant
la loi ou en vertu de la loi ou établir que la loi a des répercus-
sions différentes sur le plan de la protection ou des avantages
qu'elle accorde, mais aussi que les répercussions législatives
de la loi sont discriminatoires. [Je souligne.]
On pourrait aussi dire que l'égalité «devant la loi»
et «indépendamment de toute discrimination» consti
tuent en réalité les deux côtés d'une même médaille,
le premier élément ayant une connotation positive,
l'existence d'une égalité, le second élément une con
notation négative, l'absence de discrimination.
Je conclus donc que le juge des requêtes a eu rai-
son de statuer que l'article 39 ne contrevient pas au
paragraphe 15(1) de la Charte.
V
Je suis d'avis de rejeter l'appel avec dépens.
LE JUGE LINDEN, J.C.A.: Je souscris aux présents
motifs.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.