A-98-90
Ronald Berneche, Brenda Rachelle Berneche et
Jennifer Madeleine Berneche et Kert Alexander
Berneche par leur tuteur à l'instance Ronald Ber-
neche (demandeurs) (appelants)
c.
Sa Majesté la Reine (défenderesse) (intimée)
RÉPERTORIÉ: BERNECHE C. CANADA (C.A.)
Cour d'appel, juges Mahoney, Stone et Linden,
J.C.A.—Ottawa, 12 et 13 juin 1991.
Pratique — Décision préliminaire sur un point de droit —
Le juge de première instance a radié la déclaration en vertu de
la Règle 419, mais il a omis de statuer sur la demande fondée
sur la Règle 474(1 Ja) et de donner une décision sur un point de
droit — La jurisprudence indique qu'il ne doit y avoir recours
à la Règle 474 qu'en présence d'un consensus entre les parties
et le tribunal sur la nécessité d'une décision préliminaire — La
Section de première instance a indûment restreint l'application
de la Règle — La Règle 474(1)a) exige qu'il y ait demande
d'au moins une des parties: la Cour ne doit pas agir de son
propre chef — La Cour doit être convaincue (I) qu'aucun fait
essentiel à la question de droit à être tranchée n'est contesté;
(2) que ce qui doit être tranché est une pure question de droit;
(3) que la décision sera péremptoire aux fins du point en litige
— L'accord de toutes les parties n'est pas requis — Il appar-
tient au juge de conclure si les faits essentiels sont contestés, à
partir de l'ensemble des plaidoiries de la partie intimée — La
fin de non-recevoir indirecte (issue estoppel) peut être prise en
considération.
Pratique — Plaidoiries — Requête en radiation — Appel
contre le jugement de première instance qui radiait la déclara-
tion pour défaut de révéler une cause d'action — La blessure
subie par la partie demanderesse alors qu'elle était membre
des Forces armées a été aggravée par le traitement médical —
Libération pour des motifs d'ordre médical et octroi d'une
pension — Le juge de première instance a conclu que l'art. 111
de la Loi sur les pensions (qui écarte les actions contre la
Couronne relativement à une blessure ou à son aggravation
ayant entraîné une invalidité lorsqu'une pension est accordée
relativement à cette invalidité) enlève tout droit d'action —
L'appel est accueilli — Il n'est pas «au-delà de tout doute»
que l'aggravation de la blessure du militaire a un lien trop
éloigné avec son service militaire.
Forces armées — Un militaire blessé a subi un traitement
médical avec de tragiques résultats — La Couronne soutient
que la demande de dommages-intérêts généraux, spéciaux et
exemplaires est écartée par l'art. 111 de la Loi sur les pensions
(nulle action n'est recevable relativement à une blessure ou à
son aggravation dans tous les cas où une pension est accordée)
— Après sa libération des Forces armées pour des motifs
d'ordre médical, le militaire reçoit une pension — Appel
contre le jugement de la Section de première instance qui
radiait la déclaration — Le juge de première instance a
commis une erreur en ne traitant pas de la Règle 474(1)a)
(décision préliminaire sur un point de droit) — Il n'est pas
au-delà de tout doute que l'aggravation de la blessure du
militaire a un lien trop éloigné avec son service militaire.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), appendice II, n° 44], art. 15(1).
Loi sur la cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art.
28.
Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), chap. P-4, art. 56.
Loi sur les pensions, S.R.C. 1970, chap. P-7, art. 12(2).
Loi sur les pensions, L.R.C. (1985), chap. P-6, art. 111.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles
341b), 419(1)a), 474(1)a).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS ÉCARTÉES:
Sibo Inc. et autres c. Posi-Slope Enterprises Inc. (1984),
5 C.P.R. (3d) 111 (C.F. 1" inst.); Wright (F.L.) c. La
Reine, [1987] 1 C.T.C. 218; (1987), 87 DTC 5138; 10
F.T.R. 116 (C.F. 1" inst.); S.I.D.M. c. Canada, [1987] 3
C.F. 3; (1987), 9 F.T.R. 149 (1« inst.)
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of
Canada et autres, [1980] 2 R.C.S. 735; (1980), 115
D.L.R. ( 3d) 1; 33 N.R. 304.
DÉCISION INFIRMÉE:
Berneche et autres c. Canada (1990), 34 F.T.R. 85 (C.F.
1" inst.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Berneche c. Canada, A-314-88, juge Hugessen, J.C.A.,
jugement en date du 26-1-89, C.A.F., non publié; R. c.
Achorner, [1977] 1 C.F. 641; (1976), 16 N.R. 346
(C.A.); Mérineau c. R., [1982] 2 C.F. 376 (C.A.); inf.
par [1983] 2 R.C.S. 362.
DÉCISION CITÉE:
Foodcorp Ltd. c. Hardee's Food Systems, Inc., [ 1982] 1
C.F. 821; (1982), 40 N.R. 349 (C.A.).
DOCTRINE
Hughes, Roger T., Federal Court of Canada Service, vol.
2, Toronto: Butterworths, 1970.
AVOCATS:
Dougald E. Brown pour les appelants
(demandeurs).
William J. Miller pour l'intimée (défende-
resse).
PROCUREURS:
Nelligan/Power, Ottawa, pour les appelants
(demandeurs).
Le sous-procureur général du Canada, pour
l'intimée (défenderesse).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY, J.C.A.: Il s'agit d'un appel
interjeté contre une ordonnance de la Section de
première instance [(1990), 34 F.T.R. 85], rendue
après la clôture des plaidoiries, qui radiait la
déclaration des parties demanderesses et rejetait
leur action en dommages-intérêts. La déclaration
avait été déposée le 1e' mars 1985, la défense le
17 avril 1986 et la réplique, presque trois ans plus
tard, le 12 janvier 1989. La demande visait à
obtenir soit un jugement conformément à la Règle
341b) [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap.
663], soit le rejet de l'action en vertu de la
Règle 419(1)a) ou encore une décision sur un
point de droit en vertu de la Règle 474(1)a).
Règle 341. Une partie peut, à tout stade d'une procédure,
demander un jugement sur toute question
b) au sujet de laquelle la seule preuve est constituée par des
documents et les affidavits qui sont nécessaires pour prouver
la signature ou l'authenticité de ces documents,
sans attendre le jugement de tout autre point litigieux entre les
parties.
Règle 419. (1) La Cour pourra, à tout stade d'une action
ordonner la radiation de tout ou partie d'une plaidoirie avec ou
sans permission d'amendement, au motif
a) qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'action ou de
défense, selon le cas,
et elle peut ordonner que l'action soit suspendue ou rejetée ou
qu'un jugement soit enregistré en conséquence.
(2) Aucune preuve n'est admissible sur une demande aux
termes de l'alinéa (1)a).
Règle 474. (1) La Cour pourra, sur demande, si elle juge
opportun de le faire,
a) statuer sur un point de droit qui peut être pertinent pour
la décision d'une question,
et une telle décision est finale et péremptoire aux fins de
l'action sous réserve de modification en appel.
Il est allégué dans la déclaration que, lorsqu'il
était membre inscrit des Forces armées canadien-
nes, le demandeur, Ronald Berneche, a subi une
fracture de la clavicule dans un accident de moto-
cyclette. Le demandereur a été traité par des
médecins militaires et, à la demande des Forces
armées, par des praticiens de la pratique privée,
avec de tragiques résultats. Il a réclamé des dom-
mages-intérêts généraux, spéciaux et punitifs. Les
autres parties demanderesses, son épouse et ses
enfants, ont réclamé des dommages-intérêts géné-
raux. Le juge de première instance a statué, et l'on
n'a pas soutenu le contraire devant nous, que leurs
demandes découlaient entièrement de celle du
demandeur. Dans la défense on a plaidé, notam-
ment, que l'action était écartée par l'article 111 de
la Loi sur les pensions'.
111. Nulle action ou autre procédure n'est recevable contre
Sa Majesté ni contre un fonctionnaire, préposé ou mandataire
de Sa Majesté relativement à une blessure ou une maladie ou à
son aggravation ayant entraîné une invalidité ou le décès dans
tous les cas où une pension est ou peut être accordée en vertu de
la présente loi ou de toute autre loi, relativement à cette
invalidité ou à ce décès.
Dans leur réplique, les demandereurs ont plaidé
que Ronald Berneche a été libéré des Forces
armées canadiennes pour des motifs d'ordre médi-
cal le 17 avril 1986, et qu'on lui a accordé une
pension en application du paragraphe 12(2) de la
Loi sur les pensions [S.R.C. 1970, chap. P-7].
Elles ont en outre fait valoir que le Tribunal
d'appel des anciens combattants a conclu:
[TRADUCTION] que toute partie de [son] invalidité qui était le
résultat de la négligence des médecins ou d'un avatar n'était
pas reliée à [son] service militaire et par conséquent ne donnait
pas droit à une pension.
Après le dépôt de la réplique, dans une instance
distincte entre Ronald Berneche et la partie inti-
mée, cette Cour a conclu que cette conclusion était
erronée 2 . La demande de rejet de l'action était
étayée par un affidavit citant, notamment, les
motifs du jugement rendus dans le cadre de cette
demande fondée sur l'article 28 [Loi sur la Cour
fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7]. Une autre
pièce révélait que la blessure avait été subie lors-
que la victime n'était pas en devoir. La réplique
invoquait aussi l'invalidité de l'article 111, tout au
moins dans les circonstances particulières de l'es-
pèce, en raison de son manque de conformité avec
' L.R.C. (1985), chap. P-6.
2 Berneche c. Canada, n° de greffe A-314-88, décision rendue
le 26 janvier 1989, non publiée.
le paragraphe 15(1) de la Charte [Charte cana-
dienne des droits et libertés, qui constitue la Partie
I de la Loi constitutionelle de 1982, annexe B, Loi
de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), appendice II, n° 44]].
Le juge de première instance a statué sur la
demande de rejet conformément à la Règle
419(1)a). Les demandeurs soutiennent qu'il a
commis une erreur en ce sens que la Règle 419(2)
prévoit qu'aucune preuve n'est admissible sur une
demande fondée sur cette Règle. Le juge de pre-
mière instance ne s'est toutefois pas fondé sur la
preuve. Il a conclu, selon les faits allégués unique-
ment dans la déclaration et sans se référer à la
réplique, qu'il y avait lieu de verser une pension en
vertu de la Loi sur les pensions et que, par consé-
quent, l'article 111 privait les demandeurs de leur
droit d'action.
Le juge de première instance a conclu, à bon
droit me semble-t-il, que la Règle 341b) n'était pas
appropriée aux circonstances. Il semble ne pas
avoir du tout considéré l'application de la Règle
474(1)a) et les avocats n'étaient pas disposés à
soulever cette omission en plaidant l'appel.
J'en déduis que le défaut par le juge de première
instance de traiter de la Règle 474(1)a) est impu-
table à la jurisprudence établie par la Section de
première instance, apparemment à partir de l'arrêt
Sibo Inc. et autres c. Posi-Slope Enterprises Inc. 3 ,
dans lequel la partie défenderesse dans une action
en violation de brevet avait tenté de profiter de
l'action pour faire déterminer son droit d'être
exempte de responsabilité, en vertu de ce qui est
aujourd'hui l'article 56 de la Loi sur les brevets 4 , à
l'égard d'un article qui violait un brevet et qui
avait été acheté avant la délivrance du brevet. Le
juge en chef adjoint a conclu que c'était des ques
tions de fait et non de droit que l'on entendait faire
l'objet de la décision préliminaire. Cela suffisait à
justifier le rejet de la demande. Il a toutefois
ajouté:
... j'ai peine à imaginer comment cette procédure peut être
utile en l'absence d'entente entre la Cour et les parties; c'est
possible à la rigueur, lorsqu'il y a mésentente entre les avocats,
quoiqu'il me soit difficile d'imaginer les circonstances.
3 (1984), 5 C.P.R. (3d) 111 (C.F. 1" inst.), à la p. 114.
4 L.R.C. (1985), chap. P-4.
Le présent juge de première instance a exprimé
comme suit son interprétation de ces remarques
incidentes dans l'arrêt Wright (F.L.) c. La Reines,
un appel en matière d'impôt sur le revenu:
La procédure n'est appropriée que s'il existe un consensus entre
les parties et la Cour sur la nécessité d'une décision prélimi-
naire. [C'est moi qui souligne.]
Les arrêtistes du Federal Court of Canada Service
citent [à la page 6982] une autre décision du juge
en chef adjoint 6 à l'appui de la proposition selon
laquelle
[TRADUCTION] La Règle 474 ne peut être invoquée que lorsque
les parties s'entendent sur le fondement factuel ou légal d'une
telle demande.
En toute déférence, la Section de première ins
tance a indûment restreint l'application de la
Règle.
Ce qu'exige la Règle 474(1)a), c'est qu'au
moins l'une des parties sollicite une décision préli-
minaire: la Cour ne peut agir de son propre chef'.
La Règle exige ensuite qu'il soit démontré de
façon jugée satisfaisante par la Cour (1) qu'aucun
fait essentiel à la question de droit à être tranchée
n'est contesté; (2) que ce qui doit être tranché est
une pure question de droit; et (3) que la décision
sera péremptoire aux fins d'un point en litige de
façon à éliminer la nécessité d'un procès, ou tout
au moins, à l'abréger ou le rendre plus rapide.
La dernière exigence a été exposée par le juge en
chef Jackett, dans les termes suivants, dans l'arrêt
R. c. Achornere:
À mon sens, il incombait à la Division de première instance
... de juger si pour rendre la poursuite de l'action plus efficace,
il était ou non «opportun» de statuer sur la [question] avant de
passer aux autres phases de l'action.
Bien que la première exigence vise souvent une
entente ou une reconnaissance des faits parce que
c'est là le contexte dans lequel est étudiée la
demande, ce que l'on requiert, c'est que les faits
essentiels à la question de droit ne soient pas
contestés. Cela n'exige pas l'accord de toutes les
parties. C'est une conclusion que le juge doit tirer,
et je ne vois aucune raison pour laquelle cette
5 [1987] 1 C.T.C. 218 (C.F. l r° inst.), à la p. 218.
6 S./.D.M. c. Canada, [1987] 3 C.F. 3 (1" inst.).
' Foodcorp Ltd. c. Hardee's Food Systems, Inc., [ 1982] 1
C.F. 821 (C.A.).
8 [1977] 1 C.F. 641 (C.A.), à la p. 646.
conclusion ne pourrait être tirée à partir de l'en-
semble des plaidoiries de la partie intimée à la
demande en présumant que ce qui a été plaidé est
exact. Je ne vois pas non plus pourquoi une fin de
non-recevoir indirecte (issue estoppel) ne peut être
prise en considération lorsque l'on détermine si les
faits sont contestés.
Dans l'arrêt Mérineau c. R. 9 , le juge Pratte, de
la Cour d'appel, a décrit dans ses motifs dissidents
les circonstances de l'invalidité contestée [aux
pages 376 et 377]:
Cette invalidité est le résultat de la négligence d'un préposé
d'un hôpital militaire où l'appelant était traité. Elle ne peut être
rattachée en aucune façon à une activité de l'appelant en sa
qualité de militaire. Le seul lien qui existe entre cette invalidité
et le service militaire de l'appelant vient du fait qu'elle a été
causée par une faute commise dans un hôpital où le demandeur
avait le privilège de se faire traiter gratuitement parce qu'il
était militaire et, aussi, du fait qu'il avait été hospitalisé dans
cette institution à la suggestion d'un médecin militaire. Il y a
certainement un lien entre le dommage dont l'appelant
demande réparation et son statut de militaire, mais ce lien me
paraît trop éloigné pour que l'on puisse dire que le dommage se
rattache directement à son service militaire.
La Cour suprême du Canada a fait sienne la
dernière phrase lorsqu'elle a accueilli le pourvoi et
inscrit jugement en faveur de l'ex-militaire.
Mis à part l'argument, fondé sur la Charte, il
n'est pas «au-delà de tout doute» 10 que l'aggrava-
tion de la blessure de Ronald Berneche a elle aussi
un lien trop éloigné avec son service militaire. A
mon avis, le juge de première instance a commis
une erreur en radiant la déclaration et en rejetant
l'action conformément à la Règle 419(1)a). J'ac-
cueillerais l'appel avec dépens devant cette Cour et
devant la Section de première instance.
LE JUGE STONE, J.C.A.: Je souscris à ces
motifs.
LE JUGE LINDEN, J.C.A.: Je souscris à ces
motifs.
9 [1982] 2 C.F. 376 (C.A.); inf. par [1983] 2 R.C.S. 362.
1 ° Procureur général du Canada c. /nuit Tapirisat of Canada
et autres, [1980] 2 R.C.S. 735, la p. 740.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.