T-2294-89
Olympia Janitorial Supplies (136971 Canada
Ltd.) (demanderesse)
c.
Sa Majesté la Reine du chef du Canada représen-
tée par le ministre des Travaux publics (défende-
resse)
RÉPERTORIÉ: OLYMPIA JANITORIAL SUPPLIES C. CANADA
(MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS) (I" INST.)
Section de première instance, juge Reed—
Ottawa, 23 et 28 mai 1991.
Couronne — Responsabilité délictuelle — Requête en vue de
faire radier la déclaration au motif qu'elle ne révèle aucune
cause raisonnable d'action — La demanderesse a fourni des
produits d'entretien ménager à un entrepreneur général ayant
conclu des marchés relatifs à l'entretien ménager d'édifices
gouvernementaux — Les marchés d'entretien renfermaient des
clauses de garantie et d'incessibilité et exigeaient que l'entre-
preneur général déclare solennellement que les fournisseurs
avaient été payés avant de pouvoir toucher des sommes versées
au prorata des travaux — Lorsque l'entrepreneur général a
cédé de l'actif, la Couronne a rendu sa garantie de bonne
exécution sans s'être assurée que les fournisseurs avaient été
payés — La demanderesse n'a pas été payée — Celle-ci s'était
fondée sur les conditions du contrat gouvernemental pour
fournir les produits — Elle allègue la négligence — La
Couronne soutient qu'il n'existe pas un rapport suffisamment
immédiat entre le propriétaire des immeubles et le fournisseur
pour que s'applique l'arrêt Donoghue v. Stevenson — Requête
rejetée — L'appréciation du caractère immédiat du rapport
dépend des circonstances de chaque affaire et de la preuve
présentée — Il serait inopportun de radier l'action car il n'est
pas clair que celle-ci soit dénuée de fondement — Comme le
fournisseur ne pouvait pas faire enregistrer de privilège contre
l'immeuble de la Couronne, on pourrait plaider que les clauses
du contrat visaient à protéger les fournisseurs et les sous-trai-
tants et qu'il y avait donc un rapport suffisamment immédiat
entre les parties en cause.
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
W. & R. Plumbing & Heating Ltd. c. R., [1986] 2 C.F.
195; (1986), 17 C.L.R. 291; 1 F.T.R. 229 (1" inst.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Caparo Industries plc v Dickman, [1990] 1 All ER 568
(H.L.); Queen v. Cognos Inc. (1990), 74 O.R. (2d) 176;
69 D.L.R. (4th) 288; 38 O.A.C. 180 (C.A.) (autorisation
de pourvoi à la C.S.C. accordée (1991), 74 D.L.R. (4th)
vii; Edgeworth Construction Ltd. v. N.D. Lea & Associa
tes Ltd., [1991] 4 W.W.R. 251; (1991), 53 B.C.L.R. (2d)
180 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Donoghue v. Stevenson, [1932] A.C. 562 (Hi.); Anns v
London Borough of Merton, [1977] 2 All ER 492 (H.L.);
Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres,
[1985] 1 R.C.S. 441; (1985), 18 D.L.R. (4th) 481; 12
Admin. L.R. 16; 13 C.R.R. 287; 59 N.R. 1.
AVOCATS:
Justin R. Fogarty pour la demanderesse.
Ian M. Donahoe pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Sadik & Fogarty, Ottawa, pour la demande-
resse.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE REED: La défenderesse demande que
soit radiée la déclaration de la demanderesse au
motif qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable
d'action. Les présents motifs se rapportent à l'or-
donnance, prononcée à l'audience le jeudi 23 mai
1991, rejetant cette demande.
Les faits suivants sont allégués dans la déclara-
tion: la demanderesse aurait procuré des fournitu-
res d'entretien ménager à J.N.M. Maintenance
Limited («J.N.M.»), que je qualifierai d'entrepre-
neur général. Cette société avait conclu un certain
nombre de marchés relatifs à l'entretien ménager
de divers édifices gouvernementaux à Ottawa: (i)
l'immeuble de Revenu national, Impôt, situé à
l'angle de Bronson et de Riverside, marché n°
7010-01/127-3; (ii) l'immeuble de la cafétéria à
Confederation Heights, situé à l'angle de Riverside
et de Brookfield, marché n° 603-520072-4033; (iii)
l'immeuble des Levés et de la Cartographie, situé
au 615, rue Booth, marché n° 7010-028-12; (iv) le
Laboratoire des étalons de base, situé au parc
Tunney, marché n° 7010-02 7 / 5 ; (v) l'édifice de la
Cour suprême, situé rue Wellington, marché n°
705-526060-7014; (vi) l'immeuble Sir Frederick
Banting, situé au parc Tunney, marché n° 7010-
027/22-1; (vii) l'immeuble Sir Charles Tupper,
situé à l'angle du Chemin Heron et de Riverside,
marché n° 7010-01/174; (viii) l'immeuble des
documents du personnel, situé au parc Tunney,
marché n° 7010-027/19; (ix) l'édifice La Prome
nade, situé au 151, rue Sparks, marché n° 7010-01/
236-3; (x) l'immeuble Lorne, situé à l'angle d'El-
gin et de Slater, marché n° 7010-01/106 R; (xi)
l'immeuble du L.L.C.M., situé au parc Tunney,
marché n° 7010-027/11; et (xii) l'immeuble du
Centre d'hygiène du milieu, situé au parc Tunney,
marché n° 7010-01/69. Ces marchés renfermaient
les stipulations suivantes:
[TRADUCTION] (I) ... aucune somme ne pourra être versée à
l'entrepreneur tant que celui-ci n'aura pas fourni une
garantie de bonne exécution [50 p. 100 de la valeur stipu-
lée des travaux] ..
(ii) aucune somme ne pourra être versée à l'entrepreneur au
prorata des travaux postérieurement au premier verse-
ment, à moins qu'il n'ait fourni une déclaration solennelle
portant qu'il a acquitté le prix de la main-d'oeuvre, des
matériaux, de l'outillage et de l'équipement fournis aux
termes du marché.
D'autres clauses limitaient expressément le droit
de J.N.M. de céder les marchés sans l'autorisation
du ministre des Travaux publics.
Selon la demanderesse, elle a accepté de fournir
des matériaux à J.N.M. de façon continue et de les
lui facturer parce qu'elle savait que les marchés
d'entretien ménager renfermaient les clauses de
garantie et d'incessibilité susmentionnées, et parce
que l'entrepreneur général devait déclarer solen-
nellement que ses fournisseurs et ses sous-traitants
avaient été payés avant de pouvoir toucher des
sommes versées au prorata des travaux. Le 30 juin
1988, J.N.M. devait 117 946,10 $ à la demande-
resse pour des matériaux d'entretien ménager. A
cette date, la défenderesse avait entériné la cession
de l'actif de J.N.M. en faveur des Services d'entre-
tien d'Immeubles Staf 2000 Inc. («2000 Inc.»). La
défenderesse a rendu à J.N.M. sa garantie de
bonne exécution sans s'être assurée que ses dettes
envers ses fournisseurs et ses sous-traitants avaient
été acquittées. 2000 Inc. a payé 45 000 $ pour
l'actif. La demanderesse allègue que la défende-
resse a, par son geste, fait preuve de négligence à
son égard et qu'elle lui aurait causé un préjudice.
Au soutien de sa requête visant à radier la
déclaration de la demanderesse, la défenderesse
s'appuie en grande partie sur la décision de la
Cour fédérale dans l'affaire W. & R. Plumbing &
Heating Ltd. c. R., [1986] 2 C.F. 195 (i re inst.).
Dans cette affaire, la Cour a statué qu'un fournis-
seur de main-d'oeuvre, de matériaux et d'équipe-
ment ne pouvait pas soulever l'irrecevabilité fondée
sur une promesse ou l'enrichissement sans cause
contre la défenderesse en l'espèce, en invoquant le
fait que cette dernière ne s'était pas assurée, con-
trairement à ce qu'elle faisait d'habitude, que les
fournisseurs et les sous-traitants avaient été payés
avant d'autoriser le versement à l'entrepreneur
général des sommes exigibles aux termes du
marché en question. Plusieurs passages de ce juge-
ment sont abondamment cités en annexe aux pré-
sents motifs en raison de la grande ressemblance
entre les faits de cette affaire et ceux qui sont
allégués en l'espèce*. Cependant, après avoir lu
attentivement ce jugement, je ne suis pas convain-
cue qu'il permette de réfuter les arguments de la
demanderesse. Dans l'affaire W. & R., le juge n'a
pas statué sur la recevabilité d'une action fondée
sur la négligence, eu égard aux faits en l'espèce. Le
juge Addy voulait manifestement traiter de façon
exhaustive les causes d'action possibles qui pou-
vaient découler des faits de l'affaire dont il était
saisi. Cependant, vu que la demande en l'espèce
n'était pas expressément fondée sur la négligence
et vu que le juge n'avait pas à se prononcer sur le
bien-fondé d'un tel recours, je ne saurais conclure
qu'il a tranché cette question.
Selon l'avocat de la défenderesse, la demande
fondée sur la négligence est, de toute manière,
dénuée de fondement. Selon lui, les faits en l'es-
pèce représentent le cas classique du sous-traitant
ou du fournisseur qui n'a pas été payé par l'entre-
preneur général. Or, dans un tel cas, selon lui, ni
l'un ni l'autre ne possède de recours contre le
propriétaire du bien, sous réserve d'une demande
fondée sur un privilège de constructeur ou de
fournisseur de matériaux, selon le cas. Il plaide
que les faits allégués dans la déclaration ne per-
mettent tout simplement pas de conclure qu'il
existait un rapport suffisamment immédiat entre le
sous-traitant ou le fournisseur (la demanderesse),
d'une part, et le propriétaire des immeubles (la
défenderesse), d'autre part, au soutien d'une
demande fondée sur le délit de négligence. Par
ailleurs, prétend-t-il, aucune jurisprudence ne
permet de conclure qu'il existe un rapport suffi-
samment immédiat dans un tel cas pour justifier
l'application des principes établis dans l'arrêt
Donoghue v. Stevenson, [1932] A.C. 562 (H.L.), à
la page 580. Il a également invoqué les arrêts
suivants au soutien de sa thèse: Caparo Industries
* Ces passages ne sont pas inclus dans le présent recueil.
plc y Dickman, [1990] 1 All ER 568 (H.L.);
Queen v. Cognos Inc. (1990), 74 O.R. (2d) 176
(C.A.), autorisation de pourvoi devant la C.S.C.
accordée le 17 janvier 1991 [(1991), 74 D.L.R.
(4th) vii]; et Edgeworth Construction Ltd. v. N.D.
Lea & Associates Ltd., [1991] 4 W.W.R. 251
(C.A.).
Je ferais d'abord remarquer que les faits en
l'espèce ne peuvent pas être tout à fait assimilés au
cas classique du sous-traitant (ou fournisseur) qui
poursuit le propriétaire d'un édifice pour recouvrer
les sommes que lui doit l'entrepreneur _général. En
l'espèce, les édifices appartiennent à l'Etat. Or, un
sous-traitant ou un fournisseur de matériaux ne
peut enregistrer de privilège contre des biens de
l'État. Par conséquent, on pourrait plaider que les
clauses des marchés en cause avaient été spéciale-
ment stipulées en faveur des fournisseurs et des
sous-traitants en vue de les protéger. Nul n'a
plaidé que les clauses des marchés avaient été
stipulées en faveur de l'État. Pareillement, nul n'a
plaidé qu'elles avaient été stipulées en faveur de
l'entrepreneur général. Si les clauses des marchés
étaient stipulées en faveur des fournisseurs et des
sous-traitants, alors qu'ils ne pouvaient faire enre-
gistrer de privilège, l'on pourrait très bien plaider
que le rapport qui unit la défenderesse et la
demanderesse est effectivement fort immédiat. Il
s'agit là de considérations dont il faudra tenir
compte à l'instruction et non pas dans le cadre de
la présente instance. Cependant, elles m'amènent à
conclure qu'il n'y a pas lieu de se prononcer, à
cette étape, sur l'allégation selon laquelle il n'y
aurait aucune cause d'action du fait qu'il n'existe
aucun rapport immédiat entre les parties.
En ce qui a trait aux arrêts Caparo, Cognos et
Edgeworth, je n'ai pas été convaincue qu'ils puis-
sent être d'un secours à la défenderesse au soutien
de sa demande en l'espèce. L'arrêt Caparo portait
sur des états financiers trompeurs sur lesquels des
actionnaires éventuels s'étaient fiés avant d'acheter
des actions. Dans cet arrêt, la Chambre des lords a
tempéré quelque peu la portée de son arrêt précé-
dent dans l'affaire Anns y London Borough of
Merton, [1977] 2 All ER 492 (H.L.) en statuant
que le vérificateur des comptes d'une société
ouverte n'avait aucune obligation de diligence
envers un membre du grand public qui se fiait sur
ces comptes avant d'acheter des actions. Selon le
sommaire de cet arrêt [à la page 569], [TRADUC-
TIoN] «le tribunal ne pouvait pas en conclure qu'il
existe un rapport immédiat entre un vérificateur et
un membre du public. En effet, une telle conclu
sion reviendrait à sanctionner la responsabilité illi-
mitée des vérificateurs». La Cour s'est exprimée en
ces termes aux pages 573 et 574:
[TRADUCTION] Outre la prévisibilité du dommage, la jurispru
dence exige qu'il y ait, entre la partie débitrice de l'obligation et
la partie créancière, un rapport que les tribunaux qualifient
d'«immédiat» ou de «direct» pour que naisse l'obligation de
diligence. Il doit également s'agir d'une situation où, de l'avis
du tribunal, il serait équitable, juste et raisonnable que l'une
des parties se voit imposer une obligation juridique d'une
certaine portée envers l'autre. Cependant, il ressort également
des passages précités que les notions de «caractère immédiat» et
d'«équité» qu'expriment ces conditions supplémentaires ne sont
pas susceptibles d'être définies avec une précision telle qu'elles
pourraient servir de critère pratique. En fait, ces notions servent
simplement à qualifier, d'une manière commode, les caractéris-
tiques d'une situation donnée, laquelle pourra donner ouverture,
après un examen attentif de l'ensemble des circonstances à la
lumière de considérations pratiques, à une obligation de dili
gence d'une certaine portée. Tout en reconnaissant, bien
entendu, l'importance des principes généraux qui sous-tendent
toutes les règles juridiques en matière de négligence, j'estime
que la nouvelle règle de droit consiste à attacher une plus
grande importance aux catégories plus traditionnelles de condi
tions d'ouverture distinctes et reconnaissables aux fins de déter-
miner l'existence, la portée, et les limites des diverses obliga
tions de diligence imposées par la jurisprudence. A mon avis,
nous devons maintenant reconnaître la sagesse des commentai-
res suivants du juge Brennan de la High Court d'Australie dans
l'arrêt Sutherland Shire Council y Heyman (1985) 60 ALR I,
aux pages 43 et 44:
[TRADUCTION] «À mon sens, il est préférable que les
tribunaux élaborent de nouvelles catégories de négligence par
analogie aux catégories établies de manière à en augmenter
le nombre plutôt que d'élargir considérablement la portée
d'une obligation présumée de diligence dont les limites ne
seraient établies qu'au moyen d'indéfinissables "facteurs sus-
ceptibles de réduire, en tout ou en partie, la portée de
l'obligation ou d'exclure certaines personnes qui en seraient
les créancières"». [C'est moi qui souligne.]
Dans l'affaire Cognos, un particulier avait été
persuadé de démissionner d'un emploi qu'il avait
occupé depuis plusieurs années pour en prendre un
autre. Son nouveau contrat d'emploi prévoyait
expressément qu'il pouvait être congédié avec un
mois de préavis. Bien que cet arrêt ne soit d'aucun
secours direct pour la défenderesse, le motif princi
pal portait que la stipulation contractuelle concer-
nant le préavis ne pouvait être mise en échec par
des déclarations accessoires antérieures, il y était
tout de même question des arrêts Anns et Caparo
[à la page 182]:
[TRADUCTION] Dans l'arrêt Anns v. Merton (London
Borough), [1978] A.C. 728, [1977] 2 All E.R. 492, 121 Sol. Jo.
377 (H.L.), lord Wilberforce a énoncé dans le passage suivant,
à la page 498, une responsabilité accrue à l'égard de la perte
économique, à la p. 498 All E.R.:
Il faut d'abord se demander si le rapport qui unissait l'auteur
allégué du dommage et la personne qui l'a subi était à ce
point immédiat ou direct qu'il aurait été raisonnable pour le
premier de prévoir qu'un manque de diligence de sa part
causerait vraisemblablement un dommage à l'autre, auquel
cas naît la présomption d'une obligation de diligence. Dans
l'affirmative, il faut ensuite se demander s'il existe des
facteurs susceptibles de réduire, en tout ou en partie, la
portée de l'obligation, d'exclure certaines personnes qui en
seraient les créancières ou de limiter l'étendue des dommages
qui pourraient découler d'un manquement à celle-ci ...
Dans l'arrêt Caparo Industries pic v. Dickman, [1990] 1 All
E.R. 568, [1990] 2 W.L.R. 358, la Chambre des lords a
récemment analysé la portée de l'obligation de diligence qu'une
partie pourrait avoir envers une autre dans de telles circons-
tances, notamment à la lumière de ce passage de l'arrêt Anns.
Si j'ai bien compris Leurs Seigneuries, elles ont estimé que
cette obligation avait été énoncée en termes trop larges dans
l'arrêt Anns. Elles ont statué qu'il fallait plutôt considérer
chaque affaire comme un cas d'espèce et décider, par analogie
aux catégories de négligence établies, s'il existait une obligation
de diligence. Comme l'a affirmé lord Bridge of Harwich, à la
page 574 All E.R.:
[TRADUCTION] ... J'estime que la nouvelle règle de droit
consiste à attacher une plus grande importance aux catégo-
ries plus traditionnelles de conditions d'ouverture distinctes
et reconnaissables aux fins de déterminer l'existence, la
portée et les limites des diverses obligations de diligence
imposées par la jurisprudence.
Lord Bridge a souligné qu'il est plus difficile d'établir la
responsabilité à l'égard d'une perte purement économique qu'il
ne l'est d'établir la responsabilité résultant de blessures corpo-
relles ou de dommages matériels. Dans la première hypothèse,
la responsabilité qui résulte de fausses représentations négligen-
tes est limitée aux cas où la perte économique a découlé du
préjudice causé par le fait d'avoir accordé foi à des fausses
déclarations adressées par négligence à une personne connue
dans un but particulier. [C'est moi qui souligne.]
L'arrêt Edgeworth portait sur des plans et devis
erronés compris dans des documents de soumis-
sion. Il y est également question de l'arrêt Caparo.
On peut y lire le passage suivant à la page 256:
[TRADUCTION] Pour déterminer s'il existe un rapport suffi-
samment immédiat dans un cas particulier où une abondante
jurisprudence permet d'établir s'il y a ou non une obligation de
diligence, j'estime qu'il convient de suivre cette jurisprudence.
Par ailleurs, dans les cas où cette jurisprudence fait défaut,
j'estime qu'il vaut mieux analyser très attentivement les faits
particuliers de l'espèce plutôt que d'appliquer l'un des principes
généraux du droit de la négligence qui a pu avoir cours depuis
quelques années. J'en arrive à cette conclusion en me fondant
sur l'opinion de M. le juge Brennan dans l'arrêt Sutherland
Shire Council y Heyman (1985), 60 ALR I, aux pages 43 et
44, 59 A.L.J.R. 564 (H.C.), lequel a été entériné par la
Chambre des lords dans l'arrêt Caparo Industries plc v. Dick-
man. Bien entendu, lorsqu'un nouveau cas se présente, un tel
examen comporte un élément d'appréciation. Je préfère ne pas
qualifier cet élément d'appréciation de question de politique et
je préfère ne pas le traiter comme s'il s'agissait d'un nouveau
critère relatif au caractère «juste et raisonnable» qui serait venu
s'ajouter aux règles de droit en matière de négligence. En effet,
j'estime que la Chambre des lords, le tribunal qui avait d'abord
introduit le critère du caractère «juste et raisonnable», a statué
par la suite qu'il ne s'agissait pas d'un critère distinct appro-
prié. Voir les arrêts Caparo Industries plc v. Dickman et
Murphy v. Brentwood District Council, [1990] 3 W.L.R. 414,
[1990] 2 All E.R. 908 (H.L.), dans lesquels le critère du
caractère «juste et raisonnable» n'a pas été appliqué. Ce critère
n'a pas non plus été adopté par la majorité de cette Cour dans
l'arrêt London Drugs Ltd. v. Kuehne & Nagel International
Ltd., 45 B.C.L.R. (2d) I, [1990] 4 W.W.R. 289, 31 C.C.E.L.
67, 2 C.C.L.T. (2d) 161, 70 D.L.R. (4th) 51. En effet, seuls
deux juges sur cinq y ont souscrit.
J'estime plutôt que la méthode correcte consiste à tenter
d'envisager les éléments particulièrement importants en l'es-
pèce, eu égard à l'ensemble des faits, et à tenter d'établir des
parallèles pertinents du point de vue juridique ou pratique entre
ces éléments et des éléments semblables ou comparables dans
des affaires où l'obligation de diligence a été sanctionnée ou
dans celles où elle ne l'a pas été. Cette manière d'exercer la
fonction judiciaire comporte toutes les marques distinctives du
raisonnement juridique traditionnel. Malgré ses défauts, je
compte suivre cette méthode de préférence aux autres méthodes
fondées sur une théorie générale de la responsabilité, lesquelles
se sont révélées moins fiables et ont donné lieu à des résultats
plus imprévisibles. [C'est moi qui souligne.]
Si je comprends bien l'argument de l'avocat de
la défenderesse, il plaide, par analogie aux affaires
intéressant des sous-traitants où le propriétaire de
l'édifice est un particulier, qu'il n'y a jamais eu de
circonstances dans lesquelles un tribunal aurait
statué que le propriétaire de l'édifice était le débi-
teur d'une obligation de diligence envers le sous-
traitant ou le fournisseur d'un entrepreneur géné-
ral. Par conséquent, prétend-t-il, il n'existe aucune
affaire analogue comparable au cas en l'espèce
dans laquelle le tribunal aurait sanctionné une
obligation de diligence. En conséquence, il plaide
que les faits en l'espèce ne répondent pas à l'exi-
gence relative au caractère «immédiat», énoncée
dans les arrêts Caparo, Cognos et Edgeworth.
Je tire une conclusion différente de ces arrêts.
Bien qu'ils invitent manifestement les tribunaux à
faire preuve de modération lorsqu'il s'agit de
déterminer la portée de l'obligation de diligence
dans une action fondée sur la négligence ayant
causé une perte purement économique, suite à
l'arrêt Anns, ils montrent également que l'appré-
ciation du caractère immédiat du rapport est inti-
meurent liée aux faits particuliers de chaque cas.
Selon cette jurisprudence, l'existence d'une obliga
tion de diligence (ou une obligation analogue)
dépend en grande partie des circonstances particu-
lières de l'affaire et de la preuve présentée. Ne
serait-ce que pour ce motif, j'estime qu'il serait
inopportun de radier la déclaration de la demande-
resse à cette étape des procédures plutôt que de
permettre qu'elle soit instruite au fond.
En somme, je n'ai pas été persuadée qu'il s'agit,
en l'espèce, d'un cas où l'action de la demande-
resse devrait être radiée. Il n'est pas clair que
l'action de la demanderesse soit dénuée de fonde-
ment. Il ne s'agit pas d'un cas où je puisse conclure
qu'il n'y avait aucun doute et qu'il n'existait
aucune cause raisonnable de demande'.
' Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres,
[I985] 1 R.C.S. 441, aux p. 475 et 476.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.