T-2300-86
Mary Bland (requérante)
c.
La Commission de la capitale nationale (intimée)
et
Le Commissaire à la protection de la vie privée du
Canada (intervenant)
et
La Commissaire à l'information du Canada
(intervenante)
RÉPERTORIÉ: BLAND C. COMMISSION DE LA CAPITALE NATIO-
NALE (l" INST.)
Section de première instance, juge Muldoon—
Ottawa, 14 mai 1990 et 17 mai 1991.
Accès à l'information — Demande de révision à la suite
d'une plainte contre le refus de la CCN de communiquer
certains dossiers dont communication avait été demandée en
application de la Loi sur l'accès à l'information — Significa
tion de «renseignements personnels» au sens de l'art. 3 de la
Loi sur la protection des renseignements personnels — Les
renseignements demandés portaient sur l'identité des locataires
de l'intimée et sur leurs loyers — L'intérêt public dans la
divulgation justifie l'atteinte à la vie privée qui en résulte —
La société de la Couronne accordait des avantages financiers
facultatifs sous forme de loyers inférieurs aux taux du marché
— Les renseignements recherchés par la requérante sont exclus
de la définition légale de «renseignements personnels».
Protection des renseignements personnels — La CCN,
société de la Couronne, invoquait la protection des renseigne-
ments personnels pour refuser de communiquer les renseigne-
ments sur les noms, adresses et loyers de ses locataires — Il
échet d'examiner si les renseignements recherchés sont des
«renseignements personnels» protégés par l'art. 3 de la Loi sur
la protection des renseignements personnels — L'intérêt public
dans la divulgation de ces renseignements justifie l'atteinte à
la vie privée des locataires conformément à l'art. 8(2)m)(1) de
la Loi — La non-divulgation suscite les suspicions et le
cynisme dans une société démocratique.
Couronne — Biens immeubles — Biens de la Couronne
administrés par la Commission de la capitale nationale — Une
documentaliste de journal, faisant des recherches sur les
rumeurs concernant la location d'appartements à des partisans
politiques à des loyers inférieurs aux taux du marché, s'est vu
refuser la communication des renseignements relatifs aux
noms des locataires et aux loyers par eux payés — Accès à
l'information et protection de la vie privée — En cas d'avanta-
ges financiers facultatifs accordés par une société de la Cou-
ronne, les renseignements y relatifs ne sont pas protégés contre
la divulgation à titre de «renseignements personnels» — Les
renseignements du genre recherché en l'espèce sont publique-
ment disponibles grâce aux régimes d'enregistrement immobi-
lier et dans le cadre de la réglementation des loyers d'habita-
lion — L'intérêt public veut que la confiance du public ne soit
pas minée par la dissimulation des faits en cas de rumeurs de
favoritisme et de mauvaise gestion de biens du domaine public.
Il s'agit d'une demande de révision d'une plainte contre le
refus de la part de la Commission de la capitale nationale
(CCN) de communiquer certains dossiers demandés par la
requérante en application de la Loi sur l'accès à l'information.
Documentaliste au journal The Ottawa Citizen, la requérante
avait demandé communication de la liste de tous les immeubles
locatifs appartenant à la CCN et administrés par elle ainsi que
les noms des locataires de ces immeubles et le loyer qu'ils
payaient. Elle reçut la liste mais non pas les autres renseigne-
ments par ce motif qu'ils étaient protégés en application de la
Loi sur la protection des renseignements personnels. Elle écri-
vit alors à la Commissaire à l'information en faisant remarquer
qu'un contrat commercial passé entre un organisme financé par
l'impôt et un individu ou une société ne pouvait être considéré
comme «personnel». La Commissaire à l'information se conten-
terait de la divulgation des lieux loués et de leurs loyers
respectifs, sans communication du nom des locataires.
Les avocats des parties sont convenus qu'il y avait trois
principaux points litigieux: 1) Que signifie «renseignements
personnels» au sens de l'article 3 de la Loi sur la protection des
renseignements personnels? 2) Les noms des locataires et les
loyers qu'ils doivent payer sont-ils des renseignements person-
nels? 3) Dans l'affirmative, y a-t-il des raisons d'intérêt public
qui justifieraient nettement une violation éventuelle de la vie
privée? Il y a une autre question litigieuse, savoir si, au cas où
le loyer payable à la CCN serait inférieur aux taux du marché,
il s'agit là d'«un renseignement concernant des avantages finan
ciers facultatifs ... accordés à un individu, y compris le nom de
celui-ci et la nature de ces avantages», auquel cas ce renseigne-
ment est exclu de la définition de «renseignements personnels».
Quant à la question de savoir si les noms des locataires, leurs
adresses et les loyers qu'ils paient constituent des «renseigne-
ments personnels», la requérante et la Commissaire à l'informa-
tion soutiennent que si certains locataires ont conclu avec la
CCN un bail prévoyant le paiement d'un montant inférieur à ce
qui est exigé d'habitations comparables, cela signifie que la
CCN accorde à ces locataires un avantage et, de ce fait même,
un avantage facultatif; c'est précisément ce que l'alinéa 31) de
la Loi sur la protection des renseignements personnels exclut
des «renseignements personnels» protégés par le paragraphe
19(1) de la Loi sur l'accès à l'information. À l'appui de sa
décision de refuser la communication, la présidente de la CCN
a soutenu auprès de la Commissaire à l'information que l'inté-
rêt public dans la divulgation n'était pas évident en l'espèce
puisque le public ne gagnerait rien à obtenir ces renseigne-
ments. Elle a ajouté que le simple fait que les baux concer-
naient des terres domaniales ne signifiait pas que le public avait
le droit d'être informé par application de la loi.
Jugement: la demande devrait être accueillie.
La CCN étant une «institution fédérale» au sens de l'article 3
de la Loi sur la protection des renseignements personnels, sa
conduite doit être comme un livre ouvert, et tous les renseigne-
ments au sujet des taux de loyer et de leur mode de fixation
doivent être à la disposition du public. Voilà la raison pour
laquelle la Loi sur l'accès à l'information a été adoptée, qui
prévoit le droit d'accès aux dossiers relevant des institutions
fédérales. Le recours indépendant du pouvoir exécutif contre le
refus de communiquer les renseignements recherchés par la
requérante est prévu à l'article 41 de la Loi. Étant donné que la
CCN était chargée de la gestion de deniers et de biens publics
et que les rumeurs avaient circulé pendant des années au sujet
de traitements de faveur accordés à certains locataires, la
question de l'intérêt public était l'un des facteurs les plus
importants. Il est toujours conforme à l'intérêt public de dissi-
per les rumeurs de corruption ou de mauvaise gestion de deniers
et de biens publics.
Le texte de loi en jeu en l'espèce est le sous-alinéa 8(2)m)(i)
de la Loi sur la protection des renseignements personnels, aux
termes duquel la communication des renseignements personnels
qui relèvent d'une institution fédérale est autorisée si, de l'avis
du responsable de cette institution, des raisons d'intérêt public
justifieraient nettement une éventuelle violation de la vie privée.
Dans Rubin c. Canada (Société canadienne d'hypothèques et
de logement), le juge Heald, J.C.A. conclut que la communica
tion est la règle générale et l'exemption, l'exception, et qu'il
incombe à ceux qui réclament l'exemption de prouver leur droit
à cet égard. Sa Seigneurie ajoute que la Cour est tenue de
s'assurer que le pouvoir discrétionnaire conféré au responsable
administratif a été exercé dans les limites appropriées et selon
les principes appropriés. On peut en conséquence se demander
si la décision de la présidente de la CCN de refuser la divulga-
tion eu égard au poids relatif de l'atteinte à la vie privée et de
l'intérêt public a été prise «dans les limites appropriées et selon
les principes appropriés» et dans le respect de «l'objet général de
la Loi, tel qu'il est énoncé à l'article 2 précité». Il ressort à
l'évidence d'un examen des observations écrites de la prési-
dente, qui constituent la seule preuve des facteurs légaux que
l'intimée avait pris en considération pour décider de ne pas
communiquer les renseignements recherchés, que la CCN n'a
nullement mis dans la balance la violation de la vie privée et
l'intérêt public dans la divulgation. De simples assertions telles
que «l'intérêt public dans la divulgation n'est pas évident en
l'espèce» et que «le public ne gagnerait rien à obtenir ces
renseignements» ne sont pas l'aboutissement d'une considéra-
tion du poids relatif de deux facteurs légaux. L'«intérêt public
dans la divulgation» est une valeur primordiale qui ne peut être
ignorée que dans le cas où, de toute évidence, il ne justifierait
pas la violation de la vie privée.
Il ressort des preuves produites et des arguments présentés
que l'intérêt des locataires dans la non-divulgation de leurs
loyers est négligeable au point que les raisons d'intérêt public
justifieraient nettement la violation de la vie privée en cas de
divulgation. Qu'un locataire d'une institution fédérale, la CCN,
paie un loyer ou non, voilà qui n'est nullement une question de
vie privée, car on doit présumer que tout locataire paie un loyer
en espèces ou en nature. Si le locataire bénéficie d'une conven
tion en vertu de laquelle il ne doit rien payer à la CCN pour la
jouissance des lieux, alors l'intérêt public exige que ce rensei-
gnement soit divulgué et que les faits ne soient pas dissimulés,
d'autant plus qu'il y a des rumeurs de favoritisme et de
mauvaise gestion de deniers et de biens publics. La plupart des
renseignements du genre recherché par la requérante sont à la
disposition du public grâce aux régimes d'enregistrement
immobilier et aux régimes provinciaux de réglementation des
loyers. La CCN et le Commissaire à la protection de la vie
privée n'ont donc pu prouver aucun préjudice véritable pour les
locataires en cas de divulgation. Attendu que la non-divulgation
minerait la confiance du public, engendrerait la suspicion et le
cynisme publics dans une société libre et démocratique, l'intérêt
public dans la divulgation justifierait sans réserve toute viola
tion de la vie privée que pourrait entraîner cette divulgation.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63.
Loi de 1986 sur la réglementation des loyers d'habita-
tion, L.O. 1986, chap. 63, art. 5.
Loi sur l'accès à l'information, S.C. 1980-81-82-83,
chap. 111, annexe I, art. 2(1), 3, 41.
Loi sur la protection des renseignements personnels, S.C.
1980-81-82-83, chap. 111, annexe II, art. 2, 3l), 8(1),
(2)m)(i), 41.
Loi sur l'enregistrement des actes, L.R.O. 1980, chap.
445.
Loi sur l'enregistrement des droits immobiliers, L.R.O.
1980, chap. 230, art. 110.
Règlements de l'Ontario, 449/88.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Rubin c. Canada (Société canadienne d'hypothèques et
de logement), [1989] 1 C.F. 265; (1988), 52 D.L.R. (4th)
671; 19 F.T.R. 160; 86 N.R. 186 (C.A.).
DÉCISION EXAMINÉE:
R. v. Pollock (1983), 29 Sask. R. 70 (Q.B.).
DÉCISION CITÉE:
Swain et al. v. Dennison et al., [1967] R.C.S. 7; (1966),
59 D.L.R. (2d) 357; 58 W.W.R. 232a
AVOCATS:
Richard G. Dearden et Neil Wilson pour la
requérante.
Barbara A. Mcisaac, c.r., pour l'intimée.
Simon Noël pour l'intervenant, le Commis-
saire à la protection de la vie privée.
Michael Phalen, Pat Wilson et Paul Tetro
pour l'intervenante, la Commissaire à l'infor-
mation.
PROCUREURS:
Gowling, Strathy et Henderson, Ottawa, pour
la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée.
Noël, Berthiaume, Aubry, Hull, Québec, pour
l'intervenant, le Commissaire à la protection
de la vie privée.
Osler, Hoskin et Harcourt, Ottawa, pour l'in-
tervenante, la Commissaire à l'information.
NOTE DE L'ARRÊTISTE
Le directeur général des Recueils de la Cour
fédérale a décidé qu'il y avait lieu de publier une
version abrégée des motifs de l'ordonnance de
Sa Seigneurie, qui occupent 40 pages de texte.
Les éléments omis sont les faits incidents de la
cause, l'argumentation des avocats et la question
de savoir si les noms des locataires de la CCN,
leurs adresses et les loyers qu'ils paient consti
tuent des «renseignements personnels» à ne pas
divulguer en cas de demande faite en application
de la Loi sur l'accès à l'information. Cette cause
présente un intérêt particulier par l'analyse de
l'intérêt public dans la divulgation qui justifie la
violation de la vie privée du fait de cette même
divulgation. Les passages sautés sont remplacés
par leur résumé respectif.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MULDOON: Malgré la documentation
volumineuse qui a été déposée en l'espèce, les
avocats des parties affirment que les points liti-
gieux sont peu nombreux. L'avocat de la requé-
rante les énumère comme suit: 1) Que signifie
«renseignements personnels» au sens de l'article 3
de la Loi sur la protection des renseignements
personnels, S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, annexe
II? 2) Les noms des locataires et le loyer qu'ils
doivent payer sont-ils des renseignements person-
nels? 3) Si la réponse à la question précédente va à
l'encontre des conclusions de la requérante, y a-t-il
des raisons d'intérêt public qui justifieraient nette-
ment une violation éventuelle de la vie privée?
L'avocate de l'intimée partage ce point de vue en
concluant que le litige est centré sur ce que signifie
«renseignements personnels» et ce qu'embrasse
cette notion. Il y a cependant une autre question
litigieuse, savoir si, au cas où il serait établi que le
loyer payable à la CCN par des locataires d'habi-
tations est inférieur aux taux du marché, il s'agit
là d'«un renseignement concernant des avantages
financiers facultatifs ... accordés à un individu, y
compris le nom de celui-ci et la nature précise de
ces avantages», auquel cas le nom et la nature
précise de ces avantages sont exclus de la défini-
tion de «renseignements personnels» «pour l'appli-
cation des articles 7, 8 et 26 [de la Loi sur la
protection des renseignements personnels] et de
l'article 19 de la Loi sur l'accès à l'information»
[S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, annexe I], ainsi
que le prévoit l'alinéa 3!) de la Loi sur la protec
tion des renseignements personnels.
La Commission de la capitale nationale, qui est
une société de la Couronne, est chargée de
l'exploitation d'immeubles de rapport (habitations,
usage commercial, organisations à but non lucra-
tif et usage récréatif) dans la région de la capitale
nationale. Des rumeurs avaient circulé pendant
des années au sujet des «traitements de faveur»
et des loyers inférieurs au taux du marché, accor
dés aux partisans du parti politique dont les mem-
bres jouissaient de la majorité au Parlement anté-
rieurement à 1984. L'une des personnes qui
avaient porté ces rumeurs à l'attention des
médias (en particulier au responsable de la chro-
nique «The Bureaucrats» du journal The Ottawa
Citizen) était Jean E. Pigott, devenue par la suite
présidente de la CCN. L'ironie c'est qu'elle s'op-
pose maintenant à la divulgation qu'elle avait
recherchée naguère.
La requérante en l'espèce, Mary Bland, est
documentaliste au quotidien The Ottawa Citizen.
Elle avait demandé par écrit à la CCN de lui
communiquer la liste de ses immeubles locatifs
ainsi que les noms des locataires et les loyers
qu'ils payaient. La Commission lui communiqua la
liste des immeubles mais refusa de divulguer les
autres renseignements, lesquels étaient à son
avis des renseignements personnels protégés par
l'article 3 de la Loi sur la protection des rensei-
gnements personnels. Une grande partie des ren-
seignements recherchés fut divulguée par la suite
et à l'audition de cette requête, le litige ne portait
plus que sur les habitations. Lors du contre-inter-
rogatoire relatif à son affidavit, la requérante
déclare avoir «parlé avec Jean Pigott qui a appelé
pour dire qu'elle était contente de voir Frank
[Howard, qui est un chroniqueur du journal The
Ottawa Citizen] s'occuper de l'affaire parce qu'il
était de notoriété publique à Ottawa qu'il y avait
de nombreux Libéraux qui ... des politicards
Libéraux qui bénéficiaient de ces immeubles ...».
Il n'est pas raisonnable de présumer que des
notabilités comme Jean Pigott n'ont transmis ces
rumeurs qu'aux médias. En répandant ces asser
tions dans le cercle de leurs propres amis et
connaissances, elles ont pu créer le brouhaha
public au sujet de l'administration d'immeubles du
domaine public.
Une note de service émanant d'un cadre diri-
geant de la CCN a été citée, qui reconnaît que la
Commission subventionnait en fait les locataires
occupant des propriétés dont l'exploitation coûtait
plus cher que ce que rapportaient les loyers.
Tous les facteurs pris en considération pour la
fixation des loyers (à part l'observation du pro
gramme gouvernemental 6 et 5 de lutte contre
l'inflation) et cités dans les observations faites par
la présidente en application du paragraphe 35(2)
de la Loi sur l'accès à l'information constituaient
des avantages financiers facultatifs.
La Cour rejette l'argument de l'avocate de la
CCN, selon lequel ces rumeurs sans fondement
ont été propagées par suite des chroniques de M.
Howard. Il ressort des preuves produites qu'elles
avaient circulé pendant des années avant d'être
rapportées dans la chronique «The Bureaucrats».
Cette conclusion de l'avocate est pour le moins
stupéfiante car elle laisse entendre que Mme
Pigott avait tort de répandre ces rumeurs de
graves agissements répréhensibles, avant qu'elle
ne devienne présidente de la CCN.
Il est indéniable que ces enfantillages ne pou-
vaient manquer d'avoir un effet sur l'intérêt
public. Au Canada, il n'est permis à aucune auto-
rité publique nommée, voire élue, de prendre des
airs aristocratiques dans la gestion des deniers ou
des biens publics en disant au citoyen contribuable
que cette gestion ne le regarde en aucune façon. Il
est bien connu que les autorités publiques éprou-
vent le besoin compulsif de garder secrètes les
questions de gestion de deniers et de biens publics,
qui intéressent justement le public. Est-ce là une
hypothèse gratuite? C'est là la conclusion qu'on
peut tirer du fait que malgré les pouvoirs et activi-
tés du vérificateur général du Canada et des comi-
tés du Parlement, malgré l'obligation qui incombe
au gouvernement de l'heure de jouir de la con-
fiance de la Chambre des communes, le législateur
a jugé indiqué de mettre en oeuvre et de promou-
voir son objectif déclaré en promulguant la Loi sur
l'accès à l'information:
2. (1) La présente loi a pour objet d'élargir l'accès aux docu
ments de l'administration fédérale en consacrant le principe du
droit du public à leur communication, les exceptions indispen-
sables à ce droit étant précises et limitées et les décisions quant
à la communication étant susceptibles de recours indépendants
du pouvoir exécutif.
Cet objet précis est exprimé de façon tout aussi
déterminée dans le texte de l'autre langue offi-
cielle. Les deux versions sont aussi précises et
péremptoires l'une que l'autre.
La CCN est une «institution fédérale» au sens de
l'article 3 et désignée telle à l'annexe I de la Loi.
Le recours indépendant du pouvoir exécutif contre
le refus de communiquer les renseignements
recherchés par la requérante est prévu à l'article
41, et illustré par cette instance même.
La question des rumeurs se pose en l'espèce en
raison des effets que ces dernières pourraient avoir
sur l'intérêt public, du fait qu'elles pourraient
miner la confiance du public dans l'administration
du gouvernement en général, et de la CCN en
particulier. La destruction de la confiance du
public ne laisse jamais un vide à la place.
L'histoire, ainsi que la Cour a le droit de le
rappeler, montre que la confiance du public, une
fois détruite, laisse vite la place à cette mentalité
publique la plus exécrable, la plus corrosive, la
plus dangereuse et la plus pernicieuse d'entre
toutes, le cynisme. Donc, dans cette situation,
qu'est-ce qui est conforme à l'intérêt public? C'est
quelque chose de parfaitement clair. Ce qui est
conforme à l'intérêt public, c'est que, dès qu'il y a
des rumeurs quelles qu'elles soient, la conduite de
la CCN doit être comme un livre ouvert, avec
toutes les explications qu'elle veut bien ou doit
donner au sujet des taux de loyer, du mode de
fixation de ces taux, etc.
Il est toujours conforme à l'intérêt public de
dissiper les rumeurs de corruption ou de mauvaise
gestion pure et simple de deniers et de biens
publics. Naturellement, s'il y a faute, négligence
ou agissements répréhensibles dans le fonctionne-
ment d'une institution fédérale, il est, par défini-
tion virtuelle, conforme à l'intérêt public de les
révéler, et non pas de les entourer de secret. Autre-
ment, cela signifierait que les autorités gouverne-
mentales s'instituent, par leur refus de communi-
quer les renseignements demandés, juges de leur
propre cause. Dans cette société libre et démocrati-
que rien, à part l'ordre du ministre compétent,
n'empêche une institution fédérale de donner les
explications qu'elle juge indiquées en même temps
que les renseignements demandés et légalement
divulgués. La Cour ne juge pas en l'espèce la
validité des explications données par la CCN au
sujet des taux de loyer qu'elle applique. Les expli
cations véritables suffiraient dans plusieurs cas à
dissiper les rumeurs, comme il appert du dossier
confidentiel produit devant la Cour.
Quoi qu'il en soit, si la Cour ne se réjouit pas de
mettre en relief le rôle personnel de la présidente
de la CCN dans la genèse de ce litige, elle ne peut
pas l'ignorer non plus. L'interprétation de ces deux
textes de loi parallèles, la Loi sur l'accès à l'infor-
mation et la Loi sur la protection des renseigne-
ments personnels, mérite une meilleure démarche,
moins ad hominem, de la Cour. Ainsi donc, alors
que la Cour est obligée de ne pas négliger l'élé-
ment personnel, elle essaiera, autant que faire se
peut, d'instruire l'affaire conformément aux prin-
cipes fondamentaux, comme si la présidente
n'avait rien à voir avec les rumeurs qui obligent à
mettre dans la balance l'intérêt public et l'atteinte
à la vie privée qu'est la divulgation des
renseignements.
La Cour est-elle habilitée par la loi à préférer sa
propre conception de l'intérêt public à celle de la
CCN? Le texte de loi en jeu est celui qui se trouve
dans la Loi sur la protection des renseignements
personnels:
s....
(2) Sous réserve d'autres lois du Parlement, la communica
tion des renseignements personnels qui relèvent d'une institu
tion fédérale est autorisée dans les cas suivants:
m) communication à toute autre fin dans les cas où, de l'avis
du responsable de l'institution:
(i) des raisons d'intérêt public justifieraient nettement une
éventuelle violation de la vie privée, ... [Mots non souli-
gnés dans l'original.]
Que quelque chose justifie quelque chose d'autre
est certainement affaire d'opinion — et bien sou-
vent d'ajustement très subtil d'opinion qui, aux
termes de la loi, relève principalement au moins du
responsable (ou de la présidente) de l'institution
fédérale (en l'occurrence la CCN). Dans la Loi sur
l'accès à l'information comme dans la Loi sur la
protection des renseignements personnels, l'article
41 qui porte l'indication marginale «Révision par
la Cour fédérale», prévoit pour la «personne» ou
l'«individu» concerné le droit d'«exercer un recours
en révision de la décision de refus devant la Cour».
Il s'agit ici du recours prévu au paragraphe 2(1) de
la Loi sur l'accès à l'information sous la formula
tion «recours indépendants du pouvoir exécutif».
La signification de cette dernière disposition sur
les recours indépendants du pouvoir exécutif, con-
sidérée dans le contexte de la loi — savoir recours
indépendants de la décision prise ou du pouvoir
discrétionnaire exercé par le responsable de l'insti-
tution fédérale concernée — a été exposée avec
vigueur et clarté par le juge Heald, J.C.A. dans
l'arrêt rendu à l'unanimité de la Cour d'appel
fédérale dans Rubin c. Canada (Société cana-
dienne d'hypothèques et de logement), [1989] 1
C.F. 265.
À la page 272 de l'arrêt Rubin, le juge Heald,
J.C.A. fait l'analyse de l'alinéa 21(1)b) de la Loi,
dans un exemple comparable à l'espèce, comme
suit:
Dans la lettre qu'il a envoyée à l'intimé le 3 septembre 1986,
le commissaire adjoint à l'information du Canada a exprimé le
très clair avis, qui se fonde sur son examen de l'échantillon des
documents, que [TRADUCTION] «da divulgation de la plus
grande partie des procès-verbaux ne nuirait pas aux intérêts de
la Société».
En l'espèce, la Commissaire à l'information elle-
même, dans son minutieux rapport d'enquête de
29 pages (pièce B de l'affidavit en date du 21
octobre 1986 — dossier public de la demande,
vol. I, onglet 2), a consacré les 17 dernières pages
à la question de l'intérêt public. En voici deux
passages, pages 26 et 27:
[TRADUCTION] En bref, il ne s'agit pas en l'espèce d'un cas où
la requérante recherche au hasard des renseignements sans
intérêt véritable et sur la foi d'allégations dénuées de tout
fondement. Il y a à tout le moins preuve prima facie, subsé-
quemment confirmée par des déclarations publiques de la CCN
elle-même, que le loyer pratiqué par la CCN pour certains —
peut-être pour la plupart — de ses logements est ou était
inférieur aux taux du marché.
L'intérêt public en l'espèce tient au droit du public de voir
dissipées ses préoccupations au sujet des baux consentis par la
CCN — et non pas de poursuivre une cible fuyante.
Les faits révélés par cette enquête donnent lieu, à mon avis, à
un intérêt public légitime et primordial qui commande qu'on
détermine s'il y a des loyers subventionnés et si la répartition
des locaux à loyer subventionné a été faite de façon ouverte et
équitable par la CCN. Cet intérêt public s'affirme peu importe
que les loyers inférieurs aux taux du marché constituent ou non
des »avantages financiers facultatifs».
C'était là la conclusion tirée par la Commissaire
à l'information en l'espèce, et voici ce que le juge
Heald, J.C.A. a ajouté dans la décision Rubin (à la
page 272):
On devrait tenir compte de cet avis mûrement réfléchi d'un
fonctionnaire supérieur et digne de confiance. De plus, l'exemp-
tion générale réclamée en l'espèce par l'intimée fait effective-
ment violence aux objets de la Loi tels qu'ils sont énoncés à
l'article 2 de celle-ci [supra].
Les passages de la décision Rubin qui s'appli-
quent en l'espèce se trouvent aux pages 273 et 274,
comme suit:
À mon avis, l'article 49 confère à la Cour le pouvoir de
déterminer si le responsable de l'institution peut refuser de
donner communication. Le pouvoir discrétionnaire du responsa-
ble de l'institution n'est pas absolu. Il doit être exercé confor-
mément aux principes de droit reconnus. On doit en faire usage
d'une manière compatible avec la loi habilitante (lord Reid
dans l'affaire Padfie/d v. Minister of Agriculture. Fisheries
and Food, [1968] A.C. 997 (H.L.), aux pages 1030, 1034).
Dans l'affaire Oakwood, le juge Wilson a bien formulé les
principes juridiques applicables lorsqu'elle a dit que: «Il faut
donc non seulement (qu'un organisme de décision administra
tive) ait tenu compte uniquement de facteurs qui relèvent de la
compétence que lui a conférée la loi, mais aussi qu'elle ait pris
en considération tous les facteurs dont elle doit tenir compte
pour bien remplir la fonction de prise de décisions qu'elle a aux
termes de la loi.» Dans l'affaire Padfield susmentionnée, lord
Reid s'est prononcé en ces termes à la page 1030:
[TRADUCTION] Le Parlement a dû attribuer ce pouvoir
discrétionnaire avec l'intention qu'il soit exercé pour promou-
voir la politique et les objets de la Loi. La politique et les
objets de la Loi doivent être déterminés en interprétant la Loi
dans son ensemble et l'interprétation est toujours une ques
tion de droit pour la Cour ... si le Ministre, parce qu'il a mal
interprété la Loi ou pour toute autre raison, exerce son
pouvoir discrétionnaire de façon à contrecarrer la politique
ou les objets de la Loi ou à aller à l'encontre de ceux-ci, alors
notre droit accuserait une grave lacune si les personnes qui en
subissaient des préjudices n'avaient pas droit à la protection
de la cour.
En conséquence, il incombe au responsable d'une institution
(ou à son délégué) de tenir compte de la politique et de l'objet
de la Loi sur l'accès à l'information dans l'exercice du pouvoir
discrétionnaire qu'il tient du législateur en vertu du paragraphe
21(1). Lorsqu'on se rappelle que le paragraphe 4(1) de la Loi
confère aux citoyens canadiens et aux résidents permanents un
droit général d'accès et que les exemptions à cette règle doivent
être précises et limitées, le législateur a, à mon avis, clairement
voulu que les exemptions fassent l'objet d'une interprétation
stricte.
La question se pose alors de savoir si, compte tenu des faits
de l'espèce, la déléguée de l'intimé a, de façon appropriée,
exercé le pouvoir discrétionnaire qu'on lui a conféré en applica
tion de la politique et des objets de la Loi.
Le passage qui commence en haut de la page
276 de la décision Rubin revêt une grande impor
tance pour la cause en instance:
En approuvant la mesure prise par la déléguée de l'intimé, le
juge des requêtes a suivi la décision rendue ... dans l'affaire
CRTC susmentionnée. Il s'est particulièrement appuyé sur les
propos ... à la page 420 qu'il convient de reproduire ci-dessous:
Une fois qu'il est décidé qu'un document entre dans la
catégorie de documents mentionnés au paragraphe 21(1), le
droit du requérant d'en obtenir la communication est assu-
jetti au pouvoir discrétionnaire du responsable de l'institution
fédérale de donner suite à la demande.
Avec déférence, je ne saurais souscrire à ce point de vue sur
l'affaire. Une telle conclusion ne tient pas compte des objets et
des fins visés par la Loi. L'objet général de la Loi, tel qu'il est
énoncé à l'article 2 précité, comprend l'intention claire du
législateur de prévoir un moyen permettant d'assujettir les
décisions relatives à l'accès du public aux documents publics à
des recours «indépendants du pouvoir exécutif» (paragraphe
2(1) précité). Il est ensuite prévu à l'article 48:
48. Dans les procédures découlant des recours prévus aux
articles 41 ou 42, la charge d'établir le bien-fondé du refus de
communication totale ou partielle d'un document incombe à
l'institution fédérale concernée.
En vertu de cet article, le fardeau de la preuve d'une exemption
incombe à l'institution fédérale qui y prétend.
La communication est la règle générale et l'exemption, l'ex-
ception, et c'est à ceux qui réclament l'exemption de prouver
leur droit à cet égard. Il faut examiner également l'article 46. Il
porte:
46. Nonobstant toute autre loi du Parlement et toute
immunité reconnue par le droit de la preuve, la Cour a, pour
les recours prévus aux articles 41, 42 et 44, accès à tous les
documents qui relèvent d'une institution fédérale et auxquels
la présente loi s'applique; aucun de ces documents ne peut,
pour quelque motif que ce soit, lui être refusé.
À mon avis, le législateur entend, à l'article 46, permettre à la
Cour d'avoir les renseignements et documents nécessaires à
l'accomplissement de son mandat et de s'assurer que le pouvoir
discrétionnaire conféré au responsable administratif a été
exercé dans les limites appropriées et selon les principes appro-
priés. La déférence judiciaire à l'égard de l'exercice du pouvoir
discrétionnaire conféré à un tribunal administratif doit néces-
sairement se restreindre aux limites régulières du pouvoir déci-
sionnel du tribunal. Or, il appartient à la Cour de déterminer
ces limites.
Qu'a donc la CCN, par sa présidente, pris en
considération avant de conclure que la protection
de la vie privée de ses locataires l'emportait défini-
tivement sur l'intérêt qu'a le public dans la divul-
gation du loyer que doivent payer ces locataires en
contrepartie de la jouissance tranquille et exclusive
des lieux pendant la durée du bail? La décision de
refuser la divulgation eu égard au poids relatif de
l'atteinte à la vie privée et de l'intérêt public
a-t-elle été prise «dans les limites appropriées et
selon les principes appropriés» et dans le respect de
«l'objet général de la Loi, tel qu'il est énoncé à
l'article 2 précité»?
L'affidavit de L. J. Prevost a été mentionné plus
haut. En voici le paragraphe 11:
[TRADUCTION] 11. La présidente de la CCN a écrit le 9 juin
1986 à la Commissaire à l'information pour lui faire part de ses
observations en application du paragraphe 35(2) de la Loi.
Ci-joint copie de ces observations, marquée pièce «D» du pré-
sent affidavit. [Dossier public de la demande, vol. IV, onglet 17,
page 1028.]
Il s'agit des observations écrites où, comme indi-
qué plus haut, la présidente énumérait les quelque
19 facteurs de la fixation des loyers.
Voici la teneur du contre-interrogatoire portant
sur cet affidavit, et au cours duquel L. J. Prevost a
répondu aux questions sur l'intérêt public et l'at-
teinte à la vie privée, lesquelles figurent bien en
évidence sur la pièce D de son affidavit:
[TRADUCTION] Q. Très bien. Pour en venir à l'alinéa 8m) de
la Loi sur la protection des renseignements personnels,
qui prévoit ce que nous appellerons la primauté de
l'intérêt public sur la vie privée, qu'avez-vous discuté
avec la présidente au sujet de la question de savoir si
cette disposition s'applique dans ce cas?
R. Je me rappelle que ce sujet n'a été abordé qu'au cours
d'un entretien entre notre présidente et Mme Hansen du
Commissariat à l'information. Tout au long de nos dis
cussions, personne n'avait soulevé la question de l'intérêt
public. Il n'en a été question qu'au cours d'une des
dernières rencontres, je ne me rappelle pas laquelle, après
que nous eûmes discuté de la définition de renseigne-
ments personnels par opposition à l'intérêt public. Cette
discussion portait strictement sur les avantages financiers
facultatifs accordés aux locataires. Telle était la
discussion.
Q. Si c'est, comme vous dites, l'une des dernières rencontres
avec la Commissaire, ça devait être au cours de 1986?
R. Fin 1985 ou 1986. Je dirais plutôt fin 1985.
Q. Fin 1985. Très bien, et vous ... monsieur, savez-vous sur
quels critères la présidente s'est guidée pour exercer son
pouvoir discrétionnaire en vertu de l'alinéa 8m) de la Loi
sur la protection des renseignements personnels ou pour
décider si cet alinéa s'applique ou non?
R. Je suis au courant d'une décision. Je suis au courant de
ses discussions avec notre principal conseiller juridique.
Je n'assistais pas à toutes les réunions, mais à l'une.
d'entre elles. J'étais certainement au courant de la con
clusion finale.
Q. Qui était non, l'intérêt public ne ...
R. Qui était non à l'intérêt public ...
Q. ... justifie pas la violation de la vie privée. Mais
êtes-vous au courant d'aucune raison ou d'aucun fait qui
motive sa conclusion que l'intérêt public dans la divulga-
tion ne justifiait pas clairement une violation éventuelle
de la vie privée des locataires?
R. Il n'y a aucun procès-verbal, sauf peut-être quelques
notes ici et là de plusieurs réunions, mais au cours de
l'une d'entre elles, je me souviens qu'on est arrivé à la
conclusion que si c'était l'intérêt public qui l'emporte, on
devrait peut-être prendre un des locataires et le soumettre
à une enquête de la GRC, et non pas prononcer la
condamnation générale de tous les locataires à cause
d'une possibilité de favoritisme à leur égard.
Q. Pourquoi y aurait-il une enquête de la GRC?
R. S'il y avait une suspicion de cette sorte de choses, eh bien
nous pensions que c'est ce qui se ferait.
Q. Quelle sorte de choses?
R. Les contrats de faveur, soi-disant, accordés à titre d'avan-
tages spéciaux à certains locataires, c'est sur ce genre de
choses que porte la question soulevée par Howard.
Question soulevée par Howard, la belle affaire!
C'est la présidente elle-même, entre autres, qui en
a été l'instigatrice à l'origine, comme cela a été
maintenant reconnu et prouvé sans réserves!
Cependant, puisqu'il n'y a aucun procès-verbal,
les observations écrites (pièce D) de la présidente
sont la seule preuve des facteurs légaux que la
CCN a pris en considération pour décider de ne
pas communiquer les renseignements recherchés
par la requérante. Autrement dit, ces observations
constituent la seule preuve produite devant la Cour
pour ce qui est de savoir si la décision a été prise
«dans les limites appropriées et selon les principes
appropriés» et dans le respect de «l'objet général de
la Loi, tel qu'il est énoncé à l'article 2 précité».
Les observations signées le 9 juin 1986 par la
présidente de la CCN prennent 8 pages et demie
de papier format légal. En page 3 (page 1038 du
vol. IV), le sous-alinéa 8(2)m)(i) est mentionné
pour la première fois au sujet d'un entretien entre
le conseiller juridique de la Commissaire à l'infor-
mation et celui de la CCN, le 3 décembre 1985.
Ce bref passage porte:
[TRADUCTION] La Commissaire invoqua alors l'intérêt
public qui commande la divulgation de ces renseignements,
sous le régime du sous-alinéa 8(2)m)(i) de la Loi sur la
protection des renseignements personnels. [Passage suivi de la
reproduction intégrale de ce sous-alinéa.]
Cette question est mentionnée de nouveau à la
page 4 (page 1039 du vol. IV) comme suit:
[TRADUCTION] Le 25 avril 1986, la présidente de la CCN,
dans sa réponse à la Commissaire, réitéra la nécessité d'un
nouvel examen. Elle confirma aussi que la CCN s'opposait au
principe de la divulgation des renseignements personnels au
titre de l'intérêt public.
Les observations écrites de la présidente revien-
nent sur la question de l'intérêt public à la page 7,
où le sous-alinéa 8(2)m)(i) est cité de nouveau. La
question inhérente à cette disposition est mention-
née avec plus de détails à la page 8 (ou page 1043
du vol. IV) de ces passages, qui se poursuivent
jusqu'en page 9 (1044) au sujet du sous-alinéa
8(2)m)(i) et de l'intérêt public:
[TRADUCTION] La responsable de cette institution est par
conséquent investie du pouvoir discrétionnaire de communiquer
des renseignements personnels; dans l'exercice de ce pouvoir
discrétionnaire, elle doit mettre dans la balance l'intérêt public
dans la communication et la menace de violation de la vie
privée de l'individu. Ainsi que le prévoit la Partie I11 des Lignes
directrices provisoires concernant la mise en application de la
Loi sur l'accès à l'information et la Loi sur la protection des
renseignements personnels du Conseil du Trésor:
«Des renseignements doivent être divulgués en vertu de cette
disposition uniquement lorsqu'il est évident que l'intérêt
public le commande et que cette divulgation ne tombe pas
sous le coup du paragraphe 8(2).0
L'intérêt public dans la divulgation n'est pas évident en
l'espèce puisque le public ne gagnerait rien à obtenir ces
renseignements. Qui plus est, comme certaines autres condi
tions intégrantes des baux ne seraient pas communiquées en
même temps, la divulgation serait trompeuse pour le public et
inique pour les locataires.
La preuve que l'intérêt public justifie une violation de la vie
privée est subordonnée à une norme élevée pour ce qui est de
l'importance et de la nature de cet intérêt public. Le simple fait
que les baux concernent des terres domaniales ne signifie certes
pas que le public a le droit d'être informé par application de la
loi.
La responsable de cette institution a conclu, conformément
au sous-alinéa 8(2)m)(i) de la Loi sur la protection des rensei-
gnements personnels, qu'il n'y a aucun intérêt public en l'es-
pèce, ou, s'il y en a un, qu'il ne serait pas substantiel ou
important au point de justifier une violation de la vie privée.
La responsable de cette institution a conclu que l'intérêt
public ne gagnerait rien à la communication des renseigne-
ments relatifs aux locataires d'habitations. Par conséquent,
aucun renseignement ne sera divulgué sous le régime du sous-
alinéa 8(2)m)(i) de la Loi sur la protection des renseignements
personnels.
RECOMMANDATION
En outre, il y aurait lieu de demander au Commissaire à la
protection de la vie privée d'intervenir en l'espèce afin de
préciser la portée et les paramètres du sous-alinéa 8(2)m)(i) de
la Loi sur la protection des renseignements personnels, ce qui
serait utile à cette enquête.
Fait à Ottawa (Ontario), le 9 juin 1986.
Signé: Jean Pigott
Présidente
[Phrase non soulignée dans l'original.]
La phrase soulignée du texte de la présidente
exprime une assertion qui va visiblement à l'encon-
tre de «l'objet général de la Loi», qui est le critère
fondamental énoncé par la Cour d'appel fédérale
par la voix du juge Heald, J.C.A. dans l'arrêt
Rubin, supra. Cette assertion simple et directe
(que la Cour souligne) des observations écrites de
la présidente, sans aucune explication (parce qu'il
n'y en a pas), est tout bonnement incompatible
avec l'objet de la Loi sur l'accès à l'information
qui, aux termes de son paragraphe 2(1), est d'élar-
gir «l'accès aux documents de l'administration
fédérale en consacrant le principe du droit du
public à leur communication, les exceptions indis
pensables à ce droit étant précises et limitées». Il
est clair qu'une simple assertion du contraire n'est
pas une exception précise et limitée, aussi simpliste
que soit cette expression. En effet, la simple déné-
gation d'un principe légal ne constitue nullement
une exception.
La CCN, par sa présidente, ne montre nulle-
ment qu'elle a mis dans la balance la violation de
la vie privée et l'intérêt public dans la divulgation,
comme l'exige le sous-alinéa 8(2)m)(i) de la Loi
sur la protection des renseignements personnels.
Cet «intérêt public dans la divulgation» est le
critère légal qu'on ne peut écarter du revers de la
main, en affirmant qu'il «n'est pas évident en
l'espèce» et que «le public ne gagnerait rien à
obtenir ces renseignements». Pareilles assertions ne
sont pas l'aboutissement d'une considération du
poids relatif de deux facteurs légaux. Quoi qu'il en
soit, sous le régime de l'article 2 de la Loi sur
l'accès à l'information, «l'intérêt public dans la
divulgation» est une valeur primordiale qui ne peut
être ignorée que dans le cas où de toute évidence, il
ne justifierait pas la violation de la vie privée. Il
s'ensuit que la «violation de la vie privée» doit être
établie de façon rigoureuse, car sinon, c'est «l'inté-
rêt public dans la divulgation» qui l'emportera
définitivement.
Les cas abondent en jurisprudence où des insti
tutions fédérales refusent de divulguer des rensei-
gnements parce qu'ils concernent des individus. Le
Canada n'est pas une nation peuplée d'automates,
d'esprits ou de fictions juridiques, mais de person-
nes humaines. Il s'ensuit en toute logique que de
tous les renseignements relevant des institutions
fédérales, la grosse majorité concerne les gens. Ce
facteur ne fait pas de la protection de leur vie
privée l'élément suprême car, cela eût-il été le cas,
«l'intérêt public dans la divulgation» serait lettre
morte.
Il est donc clair qu'on doit quantifier, du moins
théoriquement, ce qu'on pourrait qualifier de
«droit à la protection de la vie privée» afin d'être à
même de le mettre dans la balance face à «l'intérêt
public dans la divulgation». Il s'agit là d'un exer-
cice intellectuel par excellence, que le sous-alinéa
8(2)m)(i) exige en premier lieu des responsables
d'institutions fédérales, et en second lieu, de cette
Cour, afin que «[leurs] décisions quant à la com
munication [soient] susceptibles de recours indé-
pendants du pouvoir exécutif».
L'avocat du Commissaire à la protection de la
vie privée cite la jurisprudence R. v. Pollock
(1983), 29 Sask. R. 70 (Q.B.) qui formule le
critère à appliquer à la formation d'une «opinion»
dans le cadre d'une loi, critère à la lumière duquel
(aux pages 73 et 74) il faut conclure que la
présidente de la CCN n'a formé aucune opinion
valide quant aux facteurs concurrents prévus au
sous-alinéa 8(2)m)(i). La décision Pollock porte
entre autres:
[TRADUCTION] ... il faut que cette opinion ait été formée
après examen convenable fondé sur une observation suffisante.
Il faut que ce soit une opinion objective, susceptible d'être
justifiée par des raisons pertinentes.
Eu égard aux faits de cette cause, ce critère s'ap-
parente à celui de l'arrêt Rubin, tel qu'il s'applique
en l'espèce. L'effort démontré par la présidente ne
répond certainement pas à ce critère. La simple
assertion du résultat est loin de constituer une
justification par des raisons pertinentes. Par ail-
leurs, l'arrêt Swain et al. v. Dennison et al., [1967]
R.C.S. 7, aux pages 12 et 13, nous indique com
ment une telle opinion, formée en application
d'une disposition légale, doit être examinée en
appel.
Comment la présidente de la CCN a-t-elle
formé sa soi-disant opinion? Comment a-t-elle
pesé le droit à la protection de la vie privée qui
devrait faire pendant à l'intérêt public. Elle ne l'a
guère fait. Elle a bien rapporté ce qui suit dans ses
observations écrites du 9 juin 1986, la page 8
(page 1043 du vol. IV):
[TRADUCTION] Ils [les locataires qui ont fait de nombreux
appels téléphoniques à la CCN] semblaient très peu disposés à
divulguer les renseignements demandés puisqu'ils s'attendaient
à ce que ces derniers demeurent confidentiels. Ils ont aussi
affirmé catégoriquement que le public n'avait nullement le
droit de savoir.
Or, le consentement de l'individu que concernent
les renseignements demandés est un élément du
paragraphe 8(1) de la Loi sur la protection des
renseignements personnels, qui n'autorise, à défaut
de ce consentement, la communication «que con-
formément au présent article». Vient ensuite la
partie suivante du «présent article», savoir le para-
graphe 8(2) qui prévoit de nombreux cas où la
communication des renseignements est autorisée,
lesquels cas sont énumérés aux alinéas a) à m). Le
sous-alinéa 8(2)m)(i) autorise la communication à
toute autre fin dans les cas où, de l'avis du respon-
sable de l'institution, des raisons d'intérêt public
justifieraient nettement une éventuelle violation de
la vie privée.
L'alinéa 8(2)m)(i) ignore le consentement, le
refus ou l'opinion du locataire, c'est-à-dire du loca-
taire que les renseignements concernent. La raison
en est évidente. A moins que ces locataires ne
soient inspirés par un rare désir d'être des «livres
ouverts», ils pourraient tous refuser de consentir à
la divulgation, même s'ils ne bénéficient d'aucun
traitement de faveur, et là encore l'intérêt public
suprême dans la divulgation serait frustré. En
faisant état du sentiment de certains locataires, la
présidente de la CCN ne justifie d'aucun examen
objectif ni de leur droit à la vie privée ni de la
«violation» de ce droit par suite de l'impératif du
texte de loi qu'elle invoque, savoir le sous-alinéa
8(2)m)(i). On peut en trouver la preuve dans les
observations écrites qu'elle a signées le 9 juin
1986, savoir la pièce C de l'affidavit de L. J.
Prevost (vol. IV, onglet 17).
En instruisant ce recours «indépendant du pou-
voir exécutif», c'est-à-dire indépendant du respon-
sable de l'institution fédérale concernée en l'es-
pèce, la Cour conclut, vu les preuves produites et
les arguments présentés par les avocats, y compris
leurs références à des matières qui relèvent main-
tenant du domaine public, que l'intérêt des locatai-
res dans la non-divulgation de leurs loyers est
négligeable. Il est à ce point négligeable que les
raisons d'intérêt public justifieraient nettement la
violation de la vie privée en cas de divulgation.
Comment en est-il ainsi? En premier lieu, qu'un
locataire d'une institution fédérale, la CCN, paie
un loyer ou non, voilà qui n'est nullement une
question de vie privée. On doit présumer que tout
locataire paie un loyer en espèces ou en nature. Si
le locataire bénéficie d'une convention en vertu de
laquelle il ne doit rien payer à la CCN pour la
jouissance tranquille et exclusive des lieux, alors
l'intérêt public exige certainement que ce rensei-
gnement soit divulgué, et que les faits ne soient pas
dissimulés au public. Il est donc à présumer que
chaque locataire paie un loyer sous une forme ou
sous une autre, contre le droit d'occuper les lieux
loués qui appartiennent au domaine. Le bail conclu
entre un bailleur privé et son locataire crée un
certain droit à la vie privée, sous réserve peut-être
de la Loi de l'impôt sur le revenu. On présume que
le locataire paie son loyer. Personne ne peut donc
s'attendre à ce que soit gardée secrète la présomp-
tion que les locataires d'habitations de la CCN
paient leurs loyers. Il est parfaitement conforme à
l'intérêt public qu'on le sache, ou à tout le moins
qu'on le présume.
Quel droit à la vie privée défend-on en gardant
secret le montant du loyer? Des millions de Cana-
diens propriétaires de leur maison — débiteurs
hypothécaires ou leurs ayants droit — ne jouissent
d'aucun secret quant au principal de la dette, au
taux d'intérêt et à la fréquence des paiements
d'hypothèque. Tout cela relève du domaine public,
tout comme le prix d'achat de la maison, que ce
soit sous le régime Torrens ou le régime cadastral,
voire dans plusieurs cas, sous l'ancien régime des
«actes de cession». Même les baux dépassant une
certaine durée minimum peuvent être enregistrés
sous le régime Torrens, comme doit l'être tout
domaine en fief simple. La Cour peut tenir pour
fait notoire, et elle le fait, que les gens ne voient
rien d'exécrable dans le système moderne d'enre-
gistrement immobilier, par lequel la province déli-
vre et garantit un titre Torrens indéfectible pour le
fief simple, les droits miniers, les droits de surface
ou les tenures à bail, lequel titre est complètement
ouvert au public avec tous les détails relatifs aux
hypothèques, charges, privilèges, servitudes, et
limitations consenties ou imposées. Des millions de
Canadiens qui habitent à l'extérieur de la région
de la capitale nationale, et qui ont cependant un
intérêt public dans la gestion de la CCN, semblent
jouir d'un droit bien plus limité à la vie privée, du
moins en ce qui concerne les biens immeubles
hypothéqués, que ne le font certains locataires et
cadres dirigeants de la CCN. En effet, non seule-
ment les titres grevés sont ouverts au public, mais
les titres libres aussi. Personne ne semble souffrir
les affres ou même l'inconvénient de cette «viola-
tion» institutionnalisée de la vie privée, laquelle
n'existe tout bonnement pas dans ces cas. Et cela,
bien que, à l'opposé des titres libres, les maisons ou
tenures à bail hypothéquées sont des biens émi-
nemment privés qui servent à garantir des créances
tout à fait privées. Or, les locataires de la CCN ont
eux aussi contracté une dette en prenant à bail des
biens domaniaux en vertu de baux au sujet des-
quels courent des rumeurs de favoritisme et de
mauvaise gestion (ou pire) de deniers et de biens
publics.
L'Ontario, le Québec et le Manitoba, entre
autres, ont des lois portant réglementation des
loyers d'habitation. Ces lois varient en ce qui
concerne la facilité avec laquelle le public peut se
faire communiquer les renseignements du genre
recherché en l'espèce. Les avocats n'ont pas sug-
géré à la Cour de passer en revue tous les droits
des locataires ou toutes les lois sur la location
immobilière du Canada, bien que le pays entier ait
un droit de regard naturel sur la CCN.
L'avocat de la requérante ne cite que la loi
ontarienne. Il fait valoir (transcription, vol. I,
pages 48 et 49) que selon l'article 110 de la Loi sur
l'enregistrement des droits immobiliers [L.R.O.
1980, chap. 230] et le paragraphe 21(7) de la Loi
sur l'enregistrement des actes [L.R.O. 1980, chap.
445], les baux peuvent être enregistrés et devien-
nent de ce fait ouverts au public, produisant ainsi
les mêmes renseignements que ceux recherchés en
l'espèce. Qui plus est, la Loi de 1986 sur la
réglementation des loyers d'habitation [L.O.
1986, chap. 63] de l'Ontario, par son règlement
d'application (modifié en dernier lieu par l'abroga-
tion et le remplacement de son article 5 par le
Règl. de l'Ont. 449/88), prévoit la communication
[TRADUCTION] «des renseignements relatifs à
toute unité d'habitation spécifique ... par télé-
phone, par courrier postal ou en personne» et de
tout autre renseignement sur demande faite «sur
formule 7R». À ce sujet, le témoin cité par l'inti-
mée, Gaétan Roy, évaluateur agréé de l'Institut
canadien des évaluateurs, a déclaré sous serment
au cours du contre-interrogatoire portant sur son
affidavit en date du 6 juillet 1988 (dossier public,
vol. III, onglets 13 et 14, pages 937 et 938), qu'il
s'était renseigné sur les loyers d'immeubles privés
(n'appartenant pas à la CCN) comparables en
s'adressant tout simplement au service inter-agen-
ces, dont il faisait, et fait peut-être encore, partie.
En outre, les avocats des parties conviennent que
selon la loi organique de la CCN, tout bail de cinq
ans doit être approuvé par décret en conseil, ce qui
fait passer au domaine public les renseignements
recherchés, malgré l'inclination de la présidente de
la CCN à garder secrets tous ses loyers et l'iden-
tité de tous ses locataires. Mais il y a davantage à
considérer à cet égard. Le rapport d'enquête en
date du 11 septembre 1986 de la Commissaire à
l'information, extrêmement équilibré et méthodi-
quement composé, est fort convaincant dans sa
présentation des faits et ses conclusions. On peut
lire ces passages aux pages 21 et 22:
[TRADUCTION] Que [le droit à la vie privée] l'emporte vrai-
ment ou non dépend de divers facteurs. L'un de ces facteurs est
la question de savoir dans quelle mesure le renseignement en
question est considéré comme personnel par la société en géné-
ral et par les intéressés en particulier — savoir s'il est considéré
comme délicat et hautement personnel (par exemple une infir-
mité cachée) ou comme un fait de notoriété publique (par
exemple le poids et la taille approximatifs).
L'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements
personnels consacre expressément le droit de l'individu de jouir
d'une certaine protection du caractère personnel de son nom, de
son adresse et de sa situation financière, autant de renseigne-
ments visés par la demande de consultation de la plaignante.
Cependant, la situation est ambiguë pour ce qui est du montant
des loyers. Habituellement, le loyer tient une place importante
dans les finances des locataires, lesquelles sont classées à
l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements
personnels parmi les «renseignements personnels» qui ne sont
normalement pas consultables. Cependant, le montant du loyer
payable est généralement publié par le propriétaire du logement
qui cherche à attirer des locataires. Ce montant est aussi
couramment divulgué par le propriétaire sans le consentement
du locataire en diverses autres occasions, par exemple lors
d'une opération immobilière ou à titre de coopération entre
créanciers. Au moment de la demande de consultation, la CCN
avait pour politique de communiquer le montant du loyer aux
créanciers qui en faisaient la demande, ainsi que le montant des
arriérés le cas échéant.
Par ailleurs, le droit à la protection du secret du montant du
loyer qu'on paie est semblable au droit à la protection du secret
de la valeur de sa maison, laquelle valeur ressort immanquable-
ment des rôles d'impôt foncier, des opérations immobilières et
des procédures d'expropriation.
L'espérance de droit à la vie privée est une question connexe.
Les renseignements recherchés en l'espèce concernent des
immeubles appartenant à une institution fédérale. Voilà qui
pourrait réduire l'espérance de droit à la vie privée, vu le
principe généralement reconnu de la responsabilité du gouver-
nement envers le Parlement pour ses activités, en particulier
depuis la promulgation de la Loi sur l'accès à l'information.
Mais, à la suite de la promulgation de la Loi sur la protection
des renseignements personnels, l'espérance de droit à la vie
privée serait plus élevée.
Un autre facteur est le préjudice dont pourraient souffrir les
individus préoccupés par la violation de leur vie privée. Il n'est
pas nécessaire de prouver l'existence ou même la possibilité
d'un préjudice spécifique, mais la violation de la vie privée
serait manifestement plus grave si elle se traduisait par un
préjudice affectant réellement la personne dont la vie privée a
été violée. Ce préjudice pourrait être l'opprobre, la disgrâce, le
harcèlement, une perte d'argent, d'emploi ou d'amis, ou la
mauvaise publicité. Comme il n'est pas facile de prédire les
effets d'une violation de renseignements personnels, il est néces-
saire de considérer non seulement le préjudice éventuel, mais
aussi sa probabilité. [Affidavit du 21 octobre 1986 de la
requérante, pièce 12 du dossier public de la demande, vol. I,
pages 0059-60.I
La phrase soulignée du passage ci-dessus est
confirmée par une note de service en date du 10
septembre 1981 au «personnel de la Direction de
l'immobilier» de la CCN, dont copie jointe à titre
de pièce T à l'affidavit de Bruce M. Anderson,
signé le 18 février 1988 et versé au dossier public
de la demande, vol. II, onglet 9, page 0472. Selon
la pièce U de M. Anderson, la politique d'accès
libre et facile de la CCN avait été limitée dans une
certaine mesure par son chef des services finan
ciers le 11 mars 1986, bien après que la requé-
rante ne demandât communication de renseigne-
ments jadis du domaine public.
En réponse aux demandes téléphoniques de loca-
taires éventuels, la CCN annonce le loyer exigible
pour tels ou tels lieux. Cette pratique a été confir-
mée au cours du contre-interrogatoire de
L. J. Prevost, dont la transcription est versée au
dossier public de la demande, vol. IV, onglet 18,
page 1156. II ressort en outre de la pièce 11 rela
tive à son contre-interrogatoire que les annonces
d'habitations à louer, parues dans les journaux de
la région, indiquent presque universellement le
loyer à payer par le locataire (dossier public de la
demande, vol. VI, pages 1613 à 1642).
L'intimée et le Commissaire à la vie privée ne
pouvaient prouver aucun préjudice véritable pour
les locataires, et le témoin cité par la CCN a
déclaré en contre-interrogatoire qu'il n'en connais-
sait aucun à l'époque de la politique d'accès libre
et facile. Il est entendu que vie privée est vie
privée, que la violation se traduise par un préjudice
ou non. Cependant, la divulgation du loyer d'habi-
tation payé par une personne à une institution
fédérale n'a guère d'importance à côté d'une véri-
table violation de la vie privée comme la divulga-
tion d'un casier judiciaire, d'un adultère ou d'une
maladie, pour ne citer que ces secrets, à part les
déclarations d'impôt, que la plupart des gens ne
tiennent pas à divulguer ou à voir divulgués.
Il faut aussi reconnaître que ces locataires, si
tant est qu'ils existent, qui bénéficient de «contrats
de faveur» malhonnêtes dont Mme Pigott, entre
autres, a fait état à M. Howard et à la requérante,
pourraient être fort embarrassés. D'un autre côté,
ils pourraient, par leur «débrouillardise»,
«influence» ou «importance», susciter le respect et
l'admiration chez les éléments matérialistes et
hédonistes de notre société contemporaine. A la
lumière des preuves, argumentations et délibéra-
tions, la Cour conclut que le droit des locataires
d'habitations de la CCN à la protection du secret
du loyer qu'ils paient n'est assis sur aucun fonde-
ment solide.
La requérante et la Commissaire à l'information
sont d'avis opposés sur la question de savoir s'il
faut nommer les locataires à propos des lieux qu'ils
occupent. La Commissaire à l'information se con-
tenterait de la divulgation des lieux loués et de
leurs loyers respectifs. La requérante cherche à se
faire communiquer tous les renseignements. Étant
donné la pleine publicité réservée aux biens immo-
biliers et à leurs propriétaires à travers le Canada,
il ne serait pas raisonnable de protéger l'anonymat
de ce petit groupe de locataires de la CCN. Par
tous ces motifs, la Cour conclut — comme la
présidente de la CCN aurait dû conclure —
qu'une «violation de la vie privée» [des locataires
de son institution] que «pourrait entraîner la divul-
gation» serait d'importance négligeable, à la
lumière d'une analyse subjective, et surtout
objective.
Depuis des siècles, nul doute, comme l'auraient
dit les gens avisés ainsi que les tribunaux eux-
mêmes, que le loyer payé en espèces ou en nature
par tel ou tel locataire à un bailleur privé ne
regarde personne d'autre que les intéressés eux-
mêmes. Avec l'avènement de la réglementation des
loyers appliquée par les provinces, même ce
domaine des contrats privés a cédé le pas à la
conception de l'intérêt public chez le législateur.
La CCN n'est cependant pas un bailleur privé.
Elle est chargée de la bonne administration de
deniers et de biens publics. Ce fait seul signifie que
le public a éminemment le droit de savoir exacte-
ment comment des deniers et biens publics, confiés
à la charge de la CCN, une institution, fédérale,
sont administrés. Ce qui renforce encore cet intérêt
public, au point où il devient irrésistible, c'est la
propagation par des notabilités de la rumeur que la
CCN accorde à ses locataires des faveurs injusti-
fiables, sinon malhonnêtes, laquelle propagation de
rumeurs a été poussée au point d'exhorter un
chroniqueur à les vérifier. C'est ce fait même qui
ajoute tellement à l'intérêt public dans la divulga-
tion que toute violation du droit ténu des locataires
à la protection de leur vie privée n'a guère
d'importance.
L'intérêt public dans la divulgation a été analysé
en détail plus haut, en ce que la non-divulgation
minerait la confiance du public, engendrerait la
suspicion et le cynisme publics dans une société
libre et démocratique qui est gravement, sinon
mortellement, blessée par le cynisme public. Il est
donc parfaitement clair dans ce contexte que l'in-
térêt public dans la divulgation justifierait sans
réserve toute violation de la vie privée que pourrait
entraîner la divulgation.
Sa Seigneurie s'est penchée ensuite sur la
question de savoir si les noms des locataires,
leurs adresses et les loyers qu'ils paient consti
tuent des «renseignements personnels». La
requérante soutient que si certains locataires
paient un loyer inférieur à ce qui est exigé d'habi-
tations comparables, cela signifie que la CCN leur
accorde un avantage financier facultatif, et que
de ce fait les renseignements recherchés ne sont
pas des renseignements personnels au sens de
l'alinéa 31) de la Loi sur la protection des rensei-
gnements personnels.
La Commissaire à l'information avait retenu les
services d'un évaluateur immobilier pour donner
son opinion sur le loyer que commanderaient sur
le marché 30 immeubles de la CCN. Selon le
rapport de l'évaluateur, les taux du marché
étaient, dans 26 cas, supérieurs en moyenne de
65 p. 100 aux loyers exigés par la CCN. De son
côté, un évaluateur engagé par la CCN rapportait
que 15 des 26 immeubles avaient un loyer infé-
rieur aux taux du marché. La Commissaire à
l'information a établi la preuve prima facie d'avan-
tages financiers facultatifs accordés sous forme
de loyers inférieurs aux taux du marché, ce qui
exclut les renseignements recherchés par la
requérante de la définition légale de «renseigne-
ments personnels». Il était loisible à la CCN de
rendre publique une explication valide de cette
situation.
La preuve d'un avantage quantifiable n'est pas
nécessaire sous l'optique d'une interprétation
correcte de l'alinéa 31) de la Loi sur la protection
des renseignements personnels. En concluant un
contrat avec l'État (en l'occurrence un bail
accordé par la CCN), les locataires se sont vu
accorder un avantage financier facultatif. Il n'est
pas nécessaire que le lien contractuel ne soit pas
ordinaire ou honorable. En d'autres termes, des
rapports contractuels entre un individu et une
institution fédérale suffisent à faire tomber les
renseignements y afférents dans le champ d'ap-
plication de l'alinéa 31) de la Loi sur la protection
des renseignements personnels.
En conséquence, la Cour a ordonné à la CCN
de communiquer à la requérante les noms et
adresses de ses locataires ainsi que le montant
exact du loyer que chacun d'eux doit payer. La
requérante s'est vu accorder frais sur la base
procureur-client, et la Commissaire à l'informa-
tion, les frais entre parties.
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