A-560-89
Procureur général du Canada (requérant)
c.
G. Blashford et D. Taillefer (intimés)
et
M.-Nicole Ladouceur (Mise en cause)
RÉPERTORIÉ: CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL) c. BLASHFORD
(CA.)
Cour d'appel, juges Marceau, MacGuigan et
Décary, J.C.A.—Ottawa, 11 décembre 1990 et 15
janvier 1991.
Fonction publique — Processus de sélection — Concours —
Les intimés avaient été éliminés des concours pour manque
d'expérience considérable de surveillance au deuxième niveau
— Le Comité d'appel de la Commission de la Fonction publi-
que a fait droit aux appels interjetés par les intimés en
application de l'art. 21 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction
publique — Lien rationnel entre les normes de sélection et le
principe du mérite — Distinction entre qualités requises et
normes de sélection — La Commission de la Fonction publique
et le jury de sélection n'étaient pas habilités à toucher aux
exigences fondamentales définies par le ministère concerné.
Demande fondée sur l'article 28 en annulation de la décision
du Comité d'appel de la Commission de la Fonction publique
qui a fait droit à l'appel interjeté par les intimés en application
de l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique.
Les deux intimés s'étaient inscrits à un premier concours pour
un poste de chef de centre d'immigration du Canada, et l'intimé
Blashford s'était également inscrit à un second concours pour
un poste de chef adjoint. Les deux postes, du niveau PM-5,
requéraient entre autres qualités fondamentales, une expérience
considérable de surveillance au deuxième niveau. Les deux ont
été éliminés au stade de la présélection, le jury de sélection
ayant conclu qu'ils ne satisfaisaient pas à la condition d'expé-
rience de surveillance. Selon le critère défini par le jury de
sélection, les candidats devaient justifier de deux années d'expé-
rience de surveillance au deuxième niveau au cours des cinq
années précédentes, dont une année d'expérience continue. Les
deux intimés, ayant contesté le processus de sélection, ont eu
gain de cause devant le Comité d'appel de la Commission de la
Fonction publique, qui a conclu que le jury de sélection avait
commis une erreur en fixant les critères relatifs à l'expérience
de surveillance et en violant la règle fondamentale du lien
rationnel entre les normes de sélection et le principe du mérite.
Le procureur général soutient que le Comité d'appel a commis
une erreur de droit (1) en concluant qu'il n'y avait aucun lien
rationnel entre la définition, par le jury de sélection, d'expé-
rience considérable de surveillance au deuxième niveau et le
principe du mérite, et (2) en reprochant aux membres du jury
de sélection une conduite telle qu'elle pourrait jeter le doute sur
leur impartialité pour ce qui était de définir les normes de
sélection.
Arrêt: la demande devrait être rejetée.
Le juge Marceau, J.C.A.: Il n'y avait pas incompatibilité
entre la définition donnée par le jury de sélection de l'exigence
d'expérience et le principe du mérite. Il n'y a cependant aucun
rapport entre le principe du mérite, qui préside au processus de
sélection à observer par la Commission de la Fonction publique
dans l'exercice de ses attributions qui consistent à juger et à
classer les candidats, et la définition des exigences de base pour
pouvoir participer au concours, laquelle relève de la prérogative
exclusive du ministère intéressé. La décision de la Cour fédérale
Delanoy c. Le Comité d'appel de la Commission de la Fonction
publique, sur laquelle s'est fondé le Comité d'appel, ne s'appli-
que pas en l'espèce puisqu'elle portait non pas sur les qualités
requises, mais sur les normes de sélection. La Commission de la
Fonction publique ou son «délégué», le jury de sélection, n'est
pas habilitée à toucher aux exigences fondamentales définies
par le ministère concerné en y ajoutant ou en les modifiant en
partie. Il faut aussi distinguer de l'espèce les décisions Bam-
brough c. La Commission de la Fonction publique et Re
Boychuck et Le Comité d'appel établi par la Commission de la
Fonction publique et autres puisque dans ces deux causes, les
exigences supplémentaires avaient été établies avec la participa
tion active du ministère concerné alors qu'en l'espèce, la déci-
sion de circonscrire l'exigence fondamentale par l'introduction
de rigides critères temporels a été prise par le jury de sélection
et par lui seul.
Le juge Décary, J.C.A. (motifs concourants): La définition
des qualités requises pour un poste de la Fonction publique
relève du ministère concerné, et non pas de la Commission de la
Fonction publique. Un comité d'appel constitué sous le régime
de la Loi est seulement habilité à examiner si le principe du
mérite établi par l'article 10 a été respecté dans le choix et la
nomination d'un candidat; un jury de sélection ou de présélec-
tion ne peut, pas plus que la Commission elle-même ou que son
comité d'appel, remettre en question les conditions définies par
le ministère concerné pour un poste donné. L'arrêt Bambrough
c. La Commission de la Fonction publique, selon lequel la
Commission est habilitée à participer à la définition des quali-
tés requises au cours du processus de sélection, pose pour règle
que la Commission peut tout au plus participer à un développe-
ment raisonnable des exigences qui se déduisent des conditions
initiales.
Il est manifeste qu'en l'espèce, le jury de sélection, en
circonscrivant la condition définie par le Ministère, a outre-
passé sa compétence ou celle de la Commission. En introduisant
un critère temporel rigide, il a usurpé ou outrepassé le pouvoir
du Ministère de définir les qualités requises pour un poste.
L'arrêt Delanoy c. Le Comité d'appel de la Commission de la
Fonction publique, qui pose pour règle que les normes de
sélection établies par la Commission doivent justifier d'un lien
rationnel avec le principe du mérite, n'a aucun rapport avec
l'espèce, qui ne porte pas sur les normes de sélection, mais sur
les qualités requises. La formulation de la condition en cause—
expérience considérable de surveillance au deuxième niveau—
était particulièrement vague, et la Commission aurait dû
demander au Ministère de produire une formulation plus spéci-
fique avant d'annoncer le concours, ou de prescrire lui-même
des normes de sélection.
Le juge MacGuigan, J.C.A. (motifs concordants quant au
résultat): Les lignes directrices dont il s'agit sont semblables
aux normes de sélection visées par l'arrêt Delanoy en ce qu'elles
ont été établies par la Commission de la Fonction publique par
la voix du jury de sélection, et non par la direction du ministère
concerné. Par application de l'article 10 de la Loi, toute action
de la Commission et de ses délégués en matière de nominations
est régie par le principe du mérite. Le Comité d'appel a conclu
que le jury de sélection avait commis une erreur non pas parce
que celui-ci ajoutait des conditions supplémentaires, mais parce
que ce qu'il ajoutait était entaché d'arbitraire. Par cette conclu
sion, le Comité d'appel a correctement appliqué le droit aux
faits de la cause tels qu'il les a constatés. La dernière observa
tion du Comité d'appel qui mettait en doute l'impartialité du
jury de sélection, ne constituait pas un motif de décision
distinct, mais une indication supplémentaire de l'arbitraire qu'il
avait relevé.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art.
28.
Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, L.R.C.
(1985), chap. P-33, art. 10, 12, 21.
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
Delanoy c. Le Comité d'appel de la Commission de la
Fonction publique, [1977] 1 C.F. 562; (1976), 13 N.R.
341 (C.A.); Bambrough c. La Commission de la Fonction
publique, [1976] 2 C.F. 109; (1975), 12 N.R. 553 (C.A.);
Re Boychuck et Le Comité d'appel établi par la Com
mission de la Fonction publique et autres (1982), 135
D.L.R. (3d) 385; 42 N.R. 204 (C.A.F.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Bauer c. Le Comité d'appel de la Fonction publique,
[1973] C.F. 626; (1973), 40 D.L.R. (3d) 126; 6 N.R. 183
(C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Ricketts c. Ministère des Transports (1983), 52 N.R.
381 (C.A.F.); Canada (Procureur général) c. Viola,
[1991] 1 C.F. 373 (C.A.); Le procureur général du
Canada c. Le comité d'appel établi par la Commission de
la Fonction publique, [1982] 1 C.F. 803 (C.A.); Rex v.
Sussex Justices. Ex parte McCarthy, [1924] 1 K.B. 256;
Ahluwalia, 1987 DCA [8-2] 256; Brown c. La Commis
sion de la Fonction publique, [1975] C.F. 345; (1975), 60
D.L.R. (3d) 311; 9 N.R. 493 (C.A.); Canada (Procureur
général) c. Jollimore, A-19-90, C.A.F., le juge Décary,
J.C.A., jugement en date du 23/11/90, non encore publié.
AVOCATS:
Ben Bierbrier pour le requérant.
Andrew J. Raven pour les intimés.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour le
requérant.
Soloway, Wright, Ottawa, pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU, J.C.A.: Je conviens avec le
juge MacGuigan que la décision attaquée, qui
faisait droit aux appels interjetés par les intimés en
application de l'article 21 de la Loi sur l'emploi
dans la fonction publique [L.R.C. (1985), chap.
P-33] (la Loi), doit être confirmée. À la différence
cependant de mon collègue, je ne partage pas le
raisonnement tenu par le Comité d'appel dans sa
décision, ce qui m'amène à exprimer mes propres
vues en la matière.
La présidente du Comité d'appel, Mme Ladou-
ceur, a expliqué dans sa décision pourquoi elle a
conclu que le jury de sélection avait commis une
erreur en prescrivant que pour satisfaire à la prin-
cipale qualité requise à l'avis de concours, savoir
[TRADUCTION] «une expérience considérable des
fonctions de surveillance au deuxième niveau», le
candidat devait justifier de deux années de cette
expérience, dont une année d'expérience «conti-
nue», au cours des cinq années précédentes. À son
avis, ce jury de sélection a enfreint la règle fonda-
mentale, établie par cette Cour dans son arrêt
Delanoy c. Le Comité d'appel de la Commission
de la Fonction publique, [1977] 1 C.F. 562, savoir
qu'il doit y avoir un lien rationnel entre les normes
de sélection et le «principe du mérite» prévu à
l'article 10 de la Loi. Sauf le respect que je lui
dois, je doute que la décision attaquée du jury de
sélection puisse être critiquée par ce motif.
En premier lieu, j'ai des réserves sérieuses au
sujet de la conclusion d'incompatibilité entre la
définition donnée par le jury de sélection de l'exi-
gence d'expérience prévue à l'avis de concours et le
«principe du mérite». Les membres du jury de
sélection ont donné une explication détaillée et
logique des raisons pour lesquelles à leur avis, la
période d'exercice des fonctions de gestion choisie
pour leur définition était nécessaire pour préparer
convenablement aux postes de direction en ques
tion. Affirmer que les critères qu'ils ont ainsi
adoptés étaient arbitraires et déraisonnables
revient à rejeter cette explication, et pareille atti
tude me paraît tout à fait injustifiée. Cette défini-
tion était bien entendu incomplète, puisqu'elle ne
prenait en considération que l'élément durée, mais
il n'était pas prévu qu'elle devait être complète et,
à ce stade préliminaire, il n'était pas nécessaire
qu'elle le fût. L'élément qualité pouvait entrer en
ligne de compte à un stade ultérieur. En tant que
point de départ, je ne vois pas comment cette
définition pourrait aller à l'encontre du principe du
mérite.
Mais la véritable objection que m'inspire le rai-
sonnement du Comité d'appel est plus fondamen-
tale. Selon mon interprétation de l'esprit de la Loi,
le «principe du mérite» doit présider au processus
de sélection que la Commission de la fonction
publique doit observer dans l'exercice de ses attri
butions qui consistent à juger et à classer les
candidats; ce «principe» n'a rien à voir avec la
définition des exigences de base pour pouvoir par-
ticiper au concours, laquelle relève de la préroga-
tive exclusive du ministère intéressé. La décision
Delanoy, sur laquelle s'est fondé le Comité d'ap-
pel, portait non pas sur les qualités requises mais
sur les normes de sélection, ce que le juge Ryan a
pris soin de souligner dans les motifs de jugement
qu'il prononçait au nom de la Cour'.
La raison pour laquelle je partage la conclusion
du Comité d'appel n'a aucun rapport avec la ques
tion du principe du mérite. Je ne pense tout sim-
plement pas, toujours selon mon interprétation de
l'esprit de la Loi, que la Commission de la fonction
publique ou son «délégué», le jury de sélection, soit
habilité à toucher aux exigences fondamentales
définies par le ministère concerné en y ajoutant ou
en les modifiant en partie, de manière à limiter les
facteurs qui pourraient entrer en jeu dans l'appré-
ciation et le classement des candidats.
' Le passage applicable des conclusions du juge Ryan est le
suivant (à la p. 569):
Il est inutile en l'espèce de se demander si la Commission
de la Fonction publique peut déterminer les qualifications
exigées pour les emplois de la Fonction publique et, dans
l'affirmative, dans quelle mesure elle peut le faire. La Com
mission a prétendu agir en se fondant sur son pouvoir de
prescrire des normes de sélection conformément à l'article 12
de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, mais, pour
la raison énoncée au paragraphe précédent, l'exigence en
question ne constituait pas une norme de sélection. En fait,
on peut déduire des motifs de l'arrêt Bambrough c. Un
Comité d'appel établi par la Commission de la Fonction
publique que l'article 12 ne confère aucun pouvoir pour
établir les qualifications nécessaires pour remplir un poste
par opposition aux normes à prescrire pour choisir un candi-
dat qui satisfait le mieux aux qualifications établies par
ailleurs.
Il est vrai que par l'arrêt Bambrough c. La
Commission de la Fonction publique, [1976] 2
C.F. 109 (C.A.), et encore tout récemment, par
l'arrêt Re Boychuck et Le Comité d'appel établi
par la Commission de la Fonction publique et
autres (1982), 135 D.L.R. (3d) 385 (C.A.F.), la
Cour a refusé d'intervenir dans des causes où
l'élaboration ou la modification des exigences fon-
damentales (qui deviendraient alors de nouvelles
exigences) eut lieu au cours du processus de sélec-
tion. Cependant il a été jugé dans ces deux causes:
en premier lieu, que les exigences supplémentaires
avaient été établies avec la participation active du
ministère concerné (dans l'un et l'autre cas par un
soi-disant «jury de présélection» manifestement
constitué pour préparer le jury de sélection à ses
délibérations); en deuxième lieu, comme l'a conclu
le juge Le Dain dans Bambrough (page 117 du
recueil), que «l'énoncé de ces qualités [avait
donné] une assise solide à un processus de sélection
selon le mérite»; et, en troisième lieu, que l'adjonc-
tion des nouvelles exigences n'avait pas eu, dans les
faits, pour effet de causer un préjudice indu aux
plaignants. La situation est tout autre en l'espèce:
la décision de circonscrire l'exigence fondamenta-
le—exprimée par le ministère en termes suscepti-
bles d'appréciation pratique et relative—par l'in-
troduction de rigides critères temporels, a été prise
par le jury de sélection et par lui seul; cette
restriction ne pouvait certainement pas assurer une
base plus logique pour la sélection selon le mérite,
car elle avait pour seul effet de rendre le processus
de sélection plus mécanique et plus restrictif; et
enfin, il y avait des candidats qui, comme les
intimés en l'espèce, ont certainement pâti de l'«obs-
tacle» nouvellement créé, puisqu'ils étaient auto-
matiquement éliminés du concours du fait que leur
expérience ne pouvait être considérée comme suffi-
samment «considérable» pour leur permettre d'y
participer, alors qu'elle aurait pu être plus utile et
plus méritoire que celle de candidats admis à
concourir.
Par ces motifs, je conviens avec le juge MacGui-
gan qu'il n'y a pas lieu de toucher à la décision
attaquée du Comité d'appel et qu'en conséquence,
la demande doit être rejetée.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN, J.C.A.: Les intimés qui
contestaient le processus de sélection visant à doter
deux postes de gestion de la Commission de l'em-
ploi et de l'immigration du Canada («CEIC»), ont
eu gain de cause dans leur appel formé en applica
tion de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publi-
que («la Loi»).
En avril 1989, la CEIC avait annoncé par avis la
tenue simultanée de deux concours visant à doter
deux postes du niveau PM-5. Le premier concours,
n° 89-EIC-CC-QU-IMM-26, portait sur un poste
de chef de centre d'immigration du Canada, et le
second, n° 89-EIC-CC-QU-IMM-24, sur un poste
de chef-adjoint. La date de clôture pour l'un et
l'autre était le 4 mai 1989.
Pour l'un et l'autre concours, l'avis indiquait les
mêmes conditions fondamentales comme suit
(Dossier d'appel, à la page 27):
[TRADUCTION] Qualités requises
Avoir terminé avec succès les études secondaires conformément
aux normes provinciales.
Expérience dans l'application de la Loi sur l'immigration et de
ses règlements d'application.
Expérience considérable de surveillance au deuxième niveau.
Les deux intimés ont posé leur candidature pour le
premier poste, et Blashford pour le second poste
également. Les deux ont été éliminés au stade de
la présélection et, par conséquent, n'ont pas été
évalués au regard des qualités requises, le jury de
sélection ayant conclu qu'ils ne satisfaisaient pas à
la condition d'expérience de surveillance telle que
le jury l'avait interprétée. Les deux ont été infor
més qu'ils ne satisfaisaient pas au critère de l'«ex-
périence considérable de surveillance au deuxième
niveau> (Dossier d'appel, aux pages 42 et 56).
Il ressort des témoignages donnés devant le
Comité d'appel qu'après examen de toutes les can-
didatures et sachant ainsi qui étaient les candidats,
le jury de sélection s'est mis à définir les critères
de ce qui constituait une expérience acceptable de
surveillance au deuxième niveau. Selon ces critè-
res, les candidats devaient justifier de deux années
d'expérience de surveillance au deuxième niveau
au cours des cinq années précédentes, dont une
année d'expérience «continue». L'intimé Blashford
avait un peu moins d'une année d'état de service
aux fonctions de chef adjoint. L'intimé Taillefer
avait huit années d'expérience, mais cinq ans avant
l'ouverture du concours.
La présidente du Comité d'appel, Mme Ladou-
ceur, cite dans sa décision en date du 20 novembre
1989 l'arrêt Delanoy c. Le Comité d'appel de la
Commission de la Fonction publique, [1977] 1
C.F. 562, aux pages 568-569 2 , dans lequel le juge
Ryan de cette Cour avait exposé le principe de la
nécessité d'un lien rationnel entre les normes de
sélection et le principe du mérite consacré par
l'article 10 de la Loi:
Le pouvoir que l'article 12 accorde à la Commission pour
prescrire des normes de sélection concerne les normes relatives
à la sélection, parmi les candidats qualifiés, de la personne ou
des personnes qui mérite(nt) le mieux d'être nommée(s) compte
tenu des fonctions à accomplir par le titulaire du poste à
combler. Bien sûr, la Commission dispose d'un pouvoir discré-
tionnaire pour prescrire les normes, mais toute norme prescrite
doit s'appliquer au but recherché, sinon ce n'est pas une norme
de sélection au sens de cet article.
Il est vraiment impossible d'entrevoir un lien rationnel entre
ce qu'on appelle l'exigence fondamentale posée dans cette
affaire et la sélection du candidat selon son mérite en vue de la
nomination du candidat le plus qualifié pour combler le poste
annoncé. Des fonctions exercées à un poste sans rapport avec le
poste annoncé pour le concours en ce qui concerne les fonctions
à remplir ou les qualités requises pourraient satisfaire à la
condition stipulée exigeant que le candidat ait exercé ces fonc-
tions depuis au moins un an ou qu'il ait occupé un poste
classifié dans le même groupe et au même niveau. D'autre part,
un candidat très qualifié qui a occupé un poste connexe pendant
un peu moins d'une année serait automatiquement exclu. Une
telle exigence, n'est pas une norme en rapport avec la sélection
selon le mérite. La présente affaire illustre amplement le fait
que cette exigence fondamentale non seulement ne satisfait pas
à l'objectif de la sélection selon le mérite, mais peut même y
faire échec.
La présidente du Comité d'appel a tiré cette
conclusion (Dossier d'appel, aux pages 136 et
137):
[TRADUCTION] Je ne suis pas du tout convaincue qu'on
puisse trouver en l'espèce ce que le juge Ryan appelle un «lien
2 Le requérant n'a pu établir que cette cause se distinguait de
Ricketts c. Ministère des Transports (1983), 52 N.R. 381
(C.A.F.), le juge en chef Thurlow et de Canada (Procureur
général) c. Viola, [1991] 1 C.F. 373 (C.A.), le juge Décary
J.C.A., où le litige portait sur les conditions définies par le
ministère concerné et non par la Commission de la Fonction
publique, ni de Le Procureur général du Canada c. Le Comité
d'appel établi par la Commission de la Fonction publique,
[1982] 1 C.F. 803 (C.A.), le juge Heald, J.C.A., où le litige ne
portait pas sur les normes de sélection mais sur le processus de
sélection proprement dit.
rationnel» entre la condition fondamentale telle que la définit le
jury de sélection et le principe du mérite qui veut que la ou les
personnes les mieux qualifiées soient nommées au poste en
cause.
La définition dé la condition fondamentale d'«expérience
considérable de surveillance au deuxième niveau» est si étirée
pour ce qui est des périodes de «cinq ans, deux ans, un an»
d'acquisition de cette expérience qu'on a la nette impression
qu'à cet égard, le processus de présélection évoque plus une
loterie qu'une évaluation du mérite des candidats respectifs.
On n'a pu établir aucun rapport entre la condition d'expé-
rience de surveillance telle que l'a définie le jury de sélection
[et] les attributions du poste à combler. Ainsi, un employé d'un
niveau très subalterne qui justifie d'une expérience de surveil
lance au deuxième niveau dans un domaine sans aucun rapport
avec le poste en question, pourrait être qualifié selon le témoin
cité par le ministère. Par contre, des personnes comme les
appelants, qui justifient d'une expérience dans le domaine du
poste en question, ont été éliminées pour la seule raison qu'il
leur manquait quelques mois d'état de service. On n'a nulle-
ment tenu compte du contenu de leur expérience, c'est-à-dire
des fonctions qu'ils ont remplies, des conditions dans lesquelles
ces fonctions ont été remplies (savoir le travail du ministère,
etc.). Le jury de sélection ne s'est attaché qu'aux périodes et à
la durée. Pareille pratique est injuste et va à l'encontre du
principe du mérite.
Enfin, la présidente du Comité d'appel, citant
l'adage célèbre [TRADUCTION] «Il ne faut pas
seulement que justice soit faite, mais encore que
tous le sachent» 3 , a tiré la conclusion suivante
(Dossier d'appel, à la page 138):
[TRADUCTION] Bien que l'intégrité des membres du jury de
sélection ne soit pas en cause en l'espèce, je pense que la
conduite de certains d'entre eux qui avaient pris connaissance
des noms des candidats ainsi que des candidatures, combinée
avec le fait que les membres du jury connaissaient les candi-
dats, était inconvenante et jette suffisamment de doute sur
l'impartialité dont ils devaient faire preuve en prescrivant les
paramètres de la condition fondamentale d'état de service en
surveillance.
Mes collègues estiment que l'arrêt Delanoy sur
lequel s'est fondé le Comité d'appel ne s'applique
pas en l'espèce parce qu'il portait sur les normes de
sélection, alors que les lignes directrices en cause
concernent non pas les normes de sélection, mais
les qualifications. Sauf leur respect, je constate
que les lignes directrices dont s'agit sont sembla-
bles aux normes de sélection visées par l'arrêt
Delanoy en ce qu'elles ont été établies par la
Commission de la fonction publique par la voix du
jury de sélection, et non par la direction du minis-
tère concerné. Ainsi que l'a conclu le juge en chef
3 Rex a. Sussex Justices. Ex parte McCarthy, [1924] 1 K.B.
256.
Jackett dans Bauer c. Le comité d'appel de la
Fonction publique, [1973] C.F. 626 (C.A.), à la
page 630, «L'employeur doit pouvoir délimiter les
qualités requises et les fonctions d'un poste avant
de chercher une personne pour le remplir> parce
qu'«il semble que ce pouvoir est inhérent à la
gestion». La Commission n'a cependant pas ce
pouvoir inhérent: chaque fois qu'elle définit des
critères, qu'il s'agisse de normes de sélection ou de
lignes directrices, elle est, à mon avis, tenue au
principe du «lien rationnel» qu'énonce l'arrêt Dela-
noy. J'interprète l'article 10 comme signifiant que
toute action de la Commission et de ses délégués
en matière de nominations est régie par le principe
du mérite: «Les nominations internes ou externes à
des postes de la fonction publique se font sur la
base d'une sélection fondée sur le mérite, selon ce
que détermine la Commission ...».
Le requérant fait valoir que le Comité d'appel a
commis une erreur de droit (1) en concluant qu'il
n'y avait aucun lien rationnel entre la définition,
par le jury de sélection, d'expérience considérable
de surveillance au deuxième niveau d'une part, et
le principe du mérite d'autre part 4 , et (2) en
reprochant aux membres du jury de sélection une
conduite telle qu'elle pourrait jeter le doute sur
l'impartialité dont ils devaient faire preuve au
moment où ils définissaient les normes de
sélection.
Selon l'arrêt Bambrough c. La Commission de
la Fonction publique, [1976] 2 C.F. 109 (C.A.), la
Commission de la fonction publique, par la voix
d'un jury de sélection, peut participer à la défini-
tion des qualités requises pour un poste, même
après que le processus de sélection a commencé.
Cette conclusion a été tirée par le juge Le Dain en
ces termes, dans le jugement rendu au nom de la
Cour (aux pages 119 et 120):
De toute évidence, si la modification des qualités requises
devait augmenter le nombre de candidats éventuels à un poste,
le processus de sélection serait recommencé afin de permettre
l'identification d'autres candidats. Si, toutefois, la modification
des qualités requises a pour effet de réduire le nombre de
candidats éventuels, comme en l'espèce, elle n'est pas contraire
au principe du, mérite et ne cause aucun préjudice à celui dont
Dans son argumentation verbale, le requérant soutenait
aussi que la décision du Comité d'appel était viciée au regard
de l'alinéa 28(1)c) de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C.
(1985), chap. F-7], mais n'a pu étayer cette assertion, attendu
qu'il y avait à l'évidence des preuves sur lesquelles le Comité
avait pu se fonder pour conclure comme il l'a fait.
la candidature n'est pas retenue pour plus ample considération
parce qu'il ne possède pas une des nouvelles qualités requises.
Le simple fait d'avoir été recor.nu candidat, sur la base des
qualités requises initialement, ne confère pas au requérant un
droit à l'évaluation de son mérite à l'égard de ces qualités. Si la
nouvelle qualité requise, exigeant des candidats qu'ils aient
effectué de la recherche dans le domaine de la pollution de l'air,
avait constitué un critère de recherche lors de la consultation
du Permatri, le requérant n'aurait peut-être même pas été
identifié comme candidat éventuel au poste. Même reconnu
candidat, il aurait quand même pu être éliminé par le jury de
présélection, au motif qu'il ne possédait pas une des qualités
essentielles pour le poste. À mon avis, aucune disposition de la
Loi ou du Règlement n'interdit :'identification en deux étapes
des candidats à un poste. Le requérant soutient que si les
qualités requises pour un poste peuvent être modifiées au cours
du processus de sélection, cette modification peut en outre
constituer un moyen d'avantager injustement un candidat par
rapport aux autres, sans prétendre cependant que ce soit le cas
en l'espèce. Le comité d'appel a conclu que, compte tenu du
poste à pourvoir, les qualités additionnelles étaient raisonnables
et nous n'avons aucune raison de contester cette opinion. En
fait, il semble que l'exigence additionnelle d'une expérience en
recherche sur la pollution de l'air soit au plus une précision
apportée aux exigences indiquées dans l'énoncé initial des
qualités requises quant à la recherche.
Il ressort de la conclusion ci-dessus qu'un jury de
présélection peut, à bon droit, éclairer des qualités
formulées en termes généraux par la définition de
nouveaux critères, pourvu qu'un comité d'appel
juge ces conditions complémentaires «raisonna-
bles», c'est-à-dire ayant un lien rationnel avec le
principe du mérite consacré par l'arrêt Delanoy.
Dans Bambrough, la Cour n'avait aucune raison
de remettre en question la décision du Comité
d'appel.
Dans Re Boychuck et le Comité d'appel établi
par la Commission de la Fonction publique et
autres (1982), 135 D.L.R. (3d) 385 (C.A.F.), l'un
des points litigieux concernait les lignes directrices
de présélection qui fixaient pour condition un
minimum d'heures de vérification directe et un
minimum de travaux terminés à titre d'expérience
requise dans un concours au poste de vérificateur
principal de dossiers commerciaux. Dans cette
cause, le Comité d'appel, après avoir invoqué l'ar-
rêt Delanoy, conclut (passage cité en page 390):
[TRADUCTION] ... Puisqu'en l'espèce je trouve raisonnable
l'exigence fondamentale d'expérience telle qu'elle a été défi-
nie par le jury de sélection, étant donné la portée des
vérifications effectuées par un vérificateur supérieur des
dossiers d'entreprises, je conclus que l'exigence fondamentale
établie pour ce concours se rapporte à la sélection faite au
mérite.
Le juge Ryan a tiré cette conclusion (à la page
391):
Je peux dire que le comité d'appel n'a pas commis d'erreur.
Toutefois, je choisirais de poser la question autrement: pour
reprendre les expressions utilisées dans Delanoy, on peut diffici-
lement dire qu'il n'exite pas de lien rationnel entre les lignes
directrices de présélection litigieuses en l'espèce et la sélection
faite au mérite, puisque les lignes directrices devaient se rap-
porter à l'expérience acquise dans un travail connexe.
Ici encore, le Comité d'appel a conclu que le
critère établi par l'arrêt Delanoy avait été respecté.
Il y a lieu de noter que pour le juge Ryan, «les
lignes directrices devaient se rapporter à l'expé-
rience acquise dans un travail connexe».
Rien de ce qui précède ne remet en question la
décision en l'espèce du Comité d'appel. II a conclu
que le jury de sélection avait commis une erreur
non pas parce qu'il ajoutait des conditions supplé-
mentaires, mais parce que ce qu'il ajoutait était
entaché d'arbitraire. C'est ce qui ressortait, à son
avis, du fait que le jury de sélection a accepté un
état de service «n'ayant absolument aucun rapport»
avec les postes dont s'agit, de préférence aux états
de service dans le même domaine. Par cette con
clusion, le Comité d'appel a, à mon avis, correcte-
ment appliqué le droit aux faits de la cause tels
qu'il les a constatés.
Vu l'importance qu'il attachait aux états de
service dans le même domaine, le Comité d'appel
n'a eu aucun mal à faire la distinction entre l'af-
faire en instance avec une décision antérieure de
Comité d'appel, Ahluwalia, 1987 DCA [8-2] 256,
où un minimum de cinq années d'expérience conti
nue avait été accepté à titre de qualification rai-
sonnable d'expérience considérable pour les pro
grammes complexes de marchés et de gestion. La
présidente Ladouceur, en citant les motifs de la
décision Ahluwalia, a souligné que le quantum
d'expérience approuvé dans cette affaire établissait
un seuil de compétence dans le même domaine.
En outre, je ne vois pas dans la dernière observa
tion du Comité d'appel qui mettait en doute l'im-
partialité du jury de sélection, un motif de décision
distinct, mais une indication supplémentaire de
l'arbitraire qu'il avait relevé.
Par ces motifs, je conclus que le requérant n'a
réussi à faire valoir ni l'un ni l'autre de ses deux
arguments, et me prononce ainsi pour le rejet de la
demande.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE DÉCARY, J.C.A.: J'ai eu l'avantage de
lire les motifs de jugement prononcés par mes
collègues Marceau et MacGuigan. Je conviens
avec eux que cette demande fondée sur l'article 28
doit être rejetée. Bien qu'à mon avis, l'approche
générale de mon collègue Marceau soit plus con-
forme à l'esprit de la Loi sur l'emploi dans la
fonction publique («la Loi»), je ne saurais y sous-
crire entièrement.
Cette Cour a constamment jugé que la défini-
tion des qualités requises pour un poste de la
fonction publique relève du ministère concerné, et
non pas de la Commission de la fonction publique
(«la Commission»). De même, selon une jurispru
dence constante, le rôle du comité d'appel consti-
tué sous le régime de la Loi «ne consiste pas à
examiner les conditions définies par le ministère
pour un poste précis mais à se demander si le
principe du mérite établi par l'article 10 a été
respecté dans le choix et la nomination d'un candi-
dat qui possède les qualités requises par le minis-
tère pour le poste en question» 5 .
Il découle logiquement de ces principes qu'un
jury de sélection ou de présélection constitué par la
Commission dans le processus de sélection ne peut,
pas plus que la Commission elle-même ou que son
comité d'appel, remettre en question les conditions
définies par le ministère concerné pour un poste
donné. Deux décisions de cette Cour ont cependant
été citées pour soutenir que la Commission, par la
voix du jury de présélection ou de sélection, peut
participer aux côtés du ministère intéressé à la
définition des qualités requises pour un poste. Il
s'agit des arrêts Bambrough c. La Commission de
la Fonction publique 6 et Re Boychuck et le
Comité d'appel établi par la Commission de la
Fonction publique et autres'.
5 Brown c. La Commission de la Fonction publique, [1975]
C.F. 345 (C.A.); Ricketts c. Ministère des Transports (1983),
52 N.R. 381 (C.A.F.), à la p. 382, le juge en chef Thurlow;
Canada (Procureur général) c. Viola, [1991] 1 C.F. 373
(C.A.); et Canada (Procureur général) c. Jollimore, A-19-90
(C.A.F.), le juge Décary, J.C.A., arrêt rendus le 23 novembre
1990, non encore publié.
[1976] 2 C.F. 109 (C.A.).
(1982), 135 D.L.R. (3d) 385 (C.A.F.).
Il a été jugé par l'arrêt Bambrough, à mon avis,
a) que les qualités requises pour un poste, norma-
lement définies par le ministère intéressé avant
l'ouverture du processus de sélection, peuvent être
validement modifiées par celui-ci au cours de ce
processus de sélection, pourvu que la modification
ne soit pas une manoeuvre visant à favoriser indû-
ment un candidat et ne soit que le développement
raisonnable d'une exigence qui se déduit de
l'énoncé primitif des qualifications; et b) que la
Commission peut participer à la formulation de
cette modification à condition que l'autorité déci-
sionnelle continue d'être le ministère en question.
En pages 117 et 118, le juge Le Dain a expliqué les
raisons pour lesquelles il était nécessaire que la
Commission fût habilitée à participer avec le
ministère intéressé à la définition des qualités
requises pour un poste donné:
Le devoir statutaire de la Commission de nommer à des
postes de la Fonction publique des personnes possédant les
qualités requises, conformément au principe du mérite, doit au
moins comporter le pouvoir implicite de participer, avec le
ministère ou la direction concerné, à la formulation des qualités
requises pour un poste. La Commission doit avoir le pouvoir de
s'assurer que les qualités spécifiées correspondent à celles exi-
gées par le poste et que l'énoncé de ces qualités donne une
assise solide à un processus de sélection selon le mérite. J'estime
que ce pouvoir découle des responsabilités de la Commission en
matière de nominations, en vertu des articles 5, 8 et 10 de la
Loi, plutôt que de son pouvoir, en vertu de l'article 12, de
prescrire les normes de sélection. [Mes soulignements.]
Pour ce qui est de la question de savoir dans quelle
mesure la Commission peut participer à la défini-
tion d'une exigence supplémentaire pour un poste
donné après que le processus de sélection a com-
mencé, la conclusion suivante du juge Le Dain en
page 117 est particulièrement pertinente:
Il est cependant possible de considérer, d'après l'exposé
conjoint des faits et le rapport du jury de présélection, qu'In -
graham a établi les qualités essentielles additionnelles au nom
du ministère, à titre de représentant du ministère et de direc-
teur concerné, de concert avec L'Espérance, en sa qualité
d'agent de dotation en personnel responsable, et que c'est en
siégeant comme jury de présélection, qu'ils ont tous deux
appliqué ces nouvelles qualités requises au processus de sélec-
tion. Toutefois, même s'il faut attribuer la formulation de ces
qualités additionnelles à la Commission, je ne pense pas qu'en
participant de la sorte à la définition, des exigences d'un poste,
la Commission excède ses pouvoirs implicites particulièrement
lorsque, comme en l'espèce, elle le fait non seulement avec
l'approbation, mais avec la participation active d'un agent du
ministère concerné. En l'espèce, la Commission n'a pas tenté
d'usurper ou d'empiéter sur le pouvoir du ministère de définir
les qualités requises pour un poste. [Mes soulignements.]
Dans cette affaire Bambrough, les «qualités
additionnelles» visées avaient été établies «au nom
du ministère ... de concert avec» la Commission,
et ce n'est que dans les limites d'une action «de
concert» «de la sorte» que la Commission était
investie du «pouvoir implicite de participer, avec le
ministère ... à la formulation des qualités requises
pour un poste». Il serait erroné de déduire de
l'arrêt Bambrough qu'il suffit qu'un représentant
du ministère concerné soit présent au sein du jury
de présélection ou de sélection pour que ce jury
soit en mesure d'ajouter des conditions à celles qui
sont déjà définies par ce ministère.
Qui plus est, comme le fait observer le juge Le
Dain, à la page 120:
... sans ... que ce soit le cas en l'espèce [pour ce qui était
d'avantager injustement un candidat par rapport aux autres].
Le comité d'appel a conclu que, compte tenu du poste à
pourvoir, les qualités additionnelles étaient raisonnables ... En
fait, il semble que l'exigence additionnelle ... soit au plus une
précision apportée aux exigences indiquées dans l'énoncé initial
des qualités requises quant à la recherche.
En conséquence, dans la mesure où la Commission
est habilitée à «participer» à la définition des quali-
tés requises au cours du processus de sélection,
l'arrêt Bambrough pose pour règle que la Commis
sion peut tout au plus participer à un développe-
ment raisonnable des exigences qui se déduisent
des conditions initiales.
Dans Boychuck, le litige portait sur la question
de savoir si les directives de présélection adoptées
par le jury de présélection en application des
normes de sélection établies par la Commission,
allaient à l'encontre des «exigences fondamentales»
que celle-ci avait définies à la lumière de ces
normes. Comme le litige ne portait pas sur la
question de savoir si les lignes directrices adoptées
par le jury de présélection en la matière ou si les
normes de sélection et les conditions fondamenta-
les définies par la Commission, représentaient une
condition à ajouter à celles définies par le minis-
tère concerné, on ne saurait voir dans la décision
Boychuck une règle jurisprudentielle au sujet du
pouvoir des jurys de sélection ou de présélection de
définir des conditions supplémentaires.
En l'espèce, pour satisfaire à l'une des conditions
essentielles définies par le Ministère, les candidats
devaient justifier d'une «expérience considérable de
surveillance au deuxième niveau». Il ressort du
dossier qu'à sa réunion, le jury de sélection a défini
le niveau d'expérience requis comme suit: deux
années d'expérience de surveillance au deuxième
niveau au cours des cinq années précédentes, dont
une année d'expérience «continue». Il n'y a aucune
preuve établissant que les représentants du Minis-
tère qui participaient au jury de sélection agis-
saient vraiment au nom du ministère lorsqu'ils
définissaient ces critères, et, à mon avis, il faudrait
des preuves très concluantes pour réfuter la pré-
somption que les membres du jury de sélection
constitué par la Commission agissaient au nom de
la Commission, et non de leur propre ministère,
quand ils établissaient des critères équivalant à des
exigences supplémentaires. Il se peut que les jurys
de présélection comme ceux des affaires Barn-
brough et Boychuck soient plus facilement disso-
ciables de la Commission que les jurys de sélection
mais, attendu qu'aucun jury de présélection n'était
en cause en l'espèce, il n'est pas nécessaire d'aller
plus loin à ce sujet.
Il échet donc d'examiner si le jury de sélection,
en circonscrivant la condition définie par le Minis-
tère, a agi dans les limites de sa compétence ou de
celle de la Commission. La réponse est, à l'évi-
dence, négative: il n'était nullement habilité à tou-
cher, comme il l'a fait, aux conditions définies par
le Ministère concerné. En introduisant un critère
temporel rigide qui dépassait le simple développe-
ment des exigences du Ministère, il a usurpé ou
outrepassé le pouvoir de ce dernier de définir les
qualités requises pour un poste. Il est même possi
ble de soutenir, à la lumière de la décision Barn-
brough, que le Ministère lui-même ne pourrait pas,
une fois que le processus de sélection a commencé,
apporter ces modifications aux conditions primiti
ves puisqu'elles sont davantage qu'un développe-
ment, mais comme il n'est pas soutenu en l'espèce
que les modifications ont été faites par le Minis-
tère plutôt que par le jury de sélection, il n'est pas
nécessaire de considérer cet argument.
En faisant droit à l'appel, le Comité d'appel s'est
fondé en particulier sur l'arrêt Delanoy c. Le
comité d'appel de la Commission de la Fonction
publique» de cette Cour, lequel arrêt, à mon avis,
8 [1977] 1 C.F. 562 (C.A.).
n'est pas applicable en l'espèce. Cet arrêt ne por-
tait pas sur les qualités requises par un ministère
ou un jury de présélection ou de sélection, mais sur
les normes de sélection prescrites par la Commis
sion en application de l'article 12 de la Loi. L'arrêt
Delanoy pose pour règle que les normes de sélec-
tion établies par la Commission doivent justifier
d'un lien rationnel avec le principe du mérite; il n'a
aucun rapport avec les causes qui, comme celle en
instance, ne portent pas sur les normes de sélec-
tion. Il n'est pas nécessaire d'examiner s'il existe
ou non un lien rationnel entre les lignes directrices
adoptées par le jury de sélection et le principe du
mérite, car je constate qu'en l'espèce, les lignes
directrices ne concernent pas les normes de sélec-
tion, mais les qualités requises.
La difficulté pratique tient en l'espèce à ce que
la formulation de la condition en cause—«Expé-
rience considérable de surveillance au deuxième
niveau»—est particulièrement vague, bien plus
vague que dans les causes citées, et à ce qu'aucune
référence n'a été faite à quelque norme de sélec-
tion. Il se peut fort bien que la Commission ait
failli à l'exercice de son pouvoir implicite «de
s'assurer que les qualités spécifiées correspondent
à celles exigées par le poste et que l'énoncé de ces
qualités donne une assise solide à un processus de
sélection selon le mérite», pour reprendre les
termes employés par le juge Le Dain dans Barn-
brough, ou à l'exercice de son pouvoir exprès de
prescrire des normes de sélection. Cela eût-il été le
cas, la Commission aurait pu y remédier en
demandant au Ministère de produire une formula
tion plus spécifique avant d'annoncer le concours
ou en prescrivant elle-même des normes de sélec-
tion. Une fois l'avis de concours affiché, tout ce
que la Commission pouvait faire, c'était, de la
manière que j'ai décrite plus haut, de développer
les exigences qui se déduisaient des conditions
initiales.
Le Comité d'appel ayant tiré la conclusion judi-
cieuse mais par des motifs erronés, il faut rejeter la
demande.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.