A-240-89
John Uy (appelant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration et Secré-
taire d'État aux Affaires extérieures (intimés)
RÉPERTORIÉ: UY C. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE
L'IMMIGRATION) (CA.)
Cour d'appel, juges Mahoney, Stone et Desjardins,
J.C.A.—Toronto, 13 décembre 1990; Ottawa, 8
janvier 1991.
Immigration — Appel du jugement de première instance qui
a refusé d'annuler le rejet par un agent des visas de la
demande de résidence permanente — L'auteur de la demande
d'admission a déclaré qu'il voulait exercer la profession de
technologue médical, quoiqu'il ait été médecin aux Philippines
et résident en pédiatrie aux États-Unis — L'agent des visas
n'a pas cru que le requérant était disposé à travailler comme
technologue — Le requérant n'a pas été apprécié à l'égard de
cette profession — Le juge de première instance a statué que
l'agent avait à bon droit exercé le pouvoir discrétionnaire
prévu à l'art. 11(3) du Règlement sur l'immigration de 1978
Appel accueilli — Le refus d'apprécier constitue une erreur de
droit — Violation des art. 6 et 8(1) de la Loi sur l'immigration
de 1976 et excès de compétence — Le pouvoir discrétionnaire
général prévu à l'art. 9 qui permet de délivrer un visa à
l'immigrant ayant obtenu au moins 70 points d'appréciation
est subordonné au pouvoir discrétionnaire prévu à l'art. 11(3)
qui permet à l'agent des visas, même s'il a donné 70 points à
l'immigrant, de considérer qu'ils ne reflètent pas ses chances
de s'établir avec succès au Canada — L'agent ne peut exercer
seul ce pouvoir discrétionnaire puisqu'il est tenu d'en soumet-
tre les raisons par écrit à un agent d'immigration supérieur.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. [1985], chap. F-7,
art. 52b)(1).
Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52,
art. 6(1).
Règlement sur l'immigration de 1978, 1978 DORS/78-
172, art. 8(1)a) (mod. par DORS/85-1038, art. 3), b),
9(1)a) (mod. par DORS/83-675, art. 3), b) (mod. par
DORS/85-1038, art. 4), 11(3) (mod. par DORS/81-
461, art. 1).
JURISPRUDENCE
DÉCISION INFIRMÉE:
Uy c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1989),
27 F.T.R. 178; 8 Imm. L.R. (2d) 237 (C.F. 1" inst.).
AVOCATS:
Cecil L. Rotenberg, c.r., et Diane C. Smith
pour l'appelant.
Marlene I. Thomas et P. Christopher Parke
pour les intimés.
PROCUREURS:
Rotenberg, Martinello, Don Mills, pour
l'appelant.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY, J.C.A.: Appel est interjeté
contre une décision publiée de la Section de pre-
mière instance' qui a refusé de délivrer un bref de
certiorari pour annuler le rejet, par un agent des
visas à San Francisco, de la demande de résidence
permanente au Canada présentée par l'appelant à
titre de requérant indépendant, et un bref de man-
damus pour obliger les intimés à étudier et à régler
la demande conformément au droit. L'appelant
exerçait la profession de médecin aux Philippines.
Il travaillait comme résident en pédiatrie aux
États-Unis lorsqu'il a présenté une demande d'ad-
mission au Canada à titre de technologue médical.
L'agent des visas a refusé d'apprécier l'appelant,
aux fins de son admission au Canada, à l'égard de
cette profession. Après avoir passé en revue les
antécédents professionnels et scolaires de celui-ci,
l'agent des visas a exposé ses motifs en ces termes:
Malgré ces dix années de votre vie consacrées aux études de
médecine, à l'internat et à la résidence, vous souhaiteriez que je
croie que vous êtes prêt à abandonner toute cette formation que
vous avez acquise pendant ces années, à l'exception des dix-huit
mois où vous avez travaillé comme technologue médical, pour
travailler comme technologue médical au Canada. Franche-
ment, à la lumière des circonstances décrites plus haut, il m'est
impossible d'admettre cela. Ces circonstances m'interdisent de
croire que vous êtes disposé à remplir les fonctions de technolo-
gue médical au Canada. Au contraire, je crois que jusqu'à ce
que vous atteigniez votre but, vous ferez preuve, au Canada,
des mêmes efforts et de la même persévérance que vous avez
montrés à terminer votre résidence en pédiatrie.
Les dispositions pertinentes en l'espèce sont le
paragraphe 6(1) de la Loi sur l'immigration de
1976 [S.C. 1976-77, chap. 52], ainsi que les ali-
' (1989), 27 F.T.R. 178.
néas 8(1)a) [(mod. par DORS/85-1038, art. 3)]
ou b), l'alinéa 9(1)a) [(mod. par DORS/83-675,
art. 3)], le sous-alinéa 9(1)b)(i) [(mod. par
DORS/85-1038, art. 4)] et l'alinéa 11(3)b) [(mod.
par DORS/81-461, art. 1)] du Règlement sur
l'immigration de 1978 [DORS/78-172].
6. (1) Sous réserve de la présente loi et des règlements, tout
immigrant, notamment un réfugié au sens de la Convention,
une personne appartenant à la catégorie de la famille et un
immigrant indépendant, peut obtenir le droit d'établissement
s'il établit à la satisfaction de l'agent d'immigration qu'il
répond aux normes réglementaires de sélection fixées en vue de
déterminer l'aptitude des immigrants à s'établir avec succès au
Canada.
8. (1) Afin de déterminer si un immigrant et les personnes à
sa charge, autres qu'une personne appartenant à la catégorie de
la famille ou qu'un réfugié au sens de la Convention cherchant
à se réétablir, seront en mesure de s'établir avec succès au
Canada, un agent des visas doit apprécier cet immigrant, ou, au
choix de ce dernier, son conjoint,
a) dans le cas d'un immigrant qui n'est pas visé aux alinéas
b), c) ou e), suivant chacun des facteurs énumérés dans la
colonne I de l'annexe I;
b) dans le cas d'un immigrant qui compte devenir un travail-
leur autonome au Canada, suivant chacun des facteurs énu-
mérés dans la colonne I de l'annexe I, autre que le facteur
visé à l'article 5 de cette annexe;
9. (1) Sous réserve du paragraphe 1.01 et de l'article 11,
lorsqu'un immigrant, autre qu'une personne appartenant à la
catégorie de la famille, qu'un parent aidé ou qu'un réfugié au
sens de la Convention cherchant à se réétablir, présente une
demande de visa, l'agent des visas peut, sous réserve de l'article
11, lui délivrer un visa d'immigrant ainsi qu'aux personnes à sa
charge qui l'accompagnent, si
a) l'immigrant et les personnes à sa charge, qu'elles l'accom-
pagnent ou non, ne font pas partie d'une catégorie de person-
nes non admissibles et satisfont aux exigences de la Loi et du
présent règlement; et
b) suivant son appréciation selon l'article 8,
(i) dans le cas d'un immigrant, autre qu'un retraité, un
entrepreneur, un candidat d'une province ou un investis-
seur, il obtient au moins 70 points d'appréciation,
11. ...
(3) L'agent des visas peut
b) refuser un visa d'immigrant à un immigrant qui obtient le
nombre de points d'appréciation requis par les articles 9 ou
10,
s'il est d'avis qu'il existe de bonnes raisons de croire que le
nombre de points d'appréciation obtenu ne reflète pas les
chances de cet immigrant particulier et des personnes à sa
charge de s'établir avec succès au Canada et que ses raisons ont
été soumises par écrit à un agent d'immigration supérieur et ont
reçu l'approbation de ce dernier. [C'est moi qui souligne.]
Le juge de première instance a rejeté la
demande après avoir statué en ces termes [à la
page 182]:
C'est le rôle et le devoir des agents des visas de vérifier, lors
des entrevues, la disposition des requérants à exercer au
Canada la profession qu'il ont déclarée. Puisque l'article 9 et le
paragraphe 11(3) confèrent aux agents des visas le pouvoir de
refuser même les requérants qui recueillent le nombre de points
requis, il est possible d'en tirer trois conclusions: d'abord que le
Parlement a reconnu que cet élément pouvait avoir plus de
poids que d'autres facteurs, y compris l'obtention du nombre de
points requis dans chaque catégorie, ensuite que si l'agent
dispose du pouvoir discrétionnaire de refuser les requérants qui
ont accumulé un grand nombre de points, il a, à plus forte
raison, celui de refuser ceux qui n'ont pas amassé le nombre
minimum de points requis, et enfin, que puisque les dispositions
réglementaires que je viens de mentionner donnent aux agents
un pouvoir discrétionnaire spécifique, les décisions prises en
l'instance relèvent totalement de la compétence de l'agent.
Le juge a ensuite conclu qu'il n'y avait pas eu
manquement aux principes de justice naturelle ou
au devoir de traiter le requérant de façon
équitable.
En toute déférence, le juge de première instance
a commis une erreur de droit en fondant sa déci-
sion sur l'exercice du pouvoir discrétionnaire prévu
au paragraphe 11(3). D'après la preuve, l'agent
des visas a tout simplement refusé d'apprécier
l'appelant. Rien n'indique qu'il ait apprécié l'appe-
lant pour la profession de technologue médical,
qu'il lui ait donné 70 points ou plus (comme on
pourrait le présumer) puis qu'il ait invoqué le
paragraphe 11(3) compte tenu de sa conclusion
quant aux intentions de l'appelant.
À mon avis, l'article 6 de la Loi oblige l'agent
des visas à apprécier tout immigrant qui sollicite le
droit d'établissement de la manière prescrite par la
Loi et le Règlement. Le paragraphe 8(1) du
Règlement impose, à titre obligatoire, un devoir
d'apprécier. Or, je ne trouve rien dans la Loi ou
dans le Règlement qui permette à l'agent des visas
de refuser d'apprécier l'immigrant (ou son con
joint) à l'égard de la profession principale ou des
professions subsidiaires qu'il déclare avoir l'inten-
tion d'exercer au Canada. L'agent des visas a
commis une erreur de droit et a excédé sa compé-
tence en refusant d'apprécier l'appelant, aux fins
de son admission au Canada, à titre de technolo-
gue médical.
En outre, j'estime que le pouvoir discrétionnaire
général accordé à l'agent des visas aux termes du
paragraphe 9(1) du Règlement, selon lequel un
visa peut être délivré à un immigrant ayant,
notamment, obtenu au moins 70 points, doit être
subordonné au pouvoir discrétionnaire particulier
accordé par le paragraphe 11(3), et qui permet à
l'agent des visas, même s'il a donné au moins 70
points, de considérer que ces points ne reflètent pas
les chances de cet immigrant de s'établir avec
succès au Canada. L'agent a toute discrétion à cet
égard, mais le gouverneur en conseil a prescrit
qu'il ne peut exercer ce pouvoir discrétionnaire
seul. En effet, les raisons qui sous-tendent cet avis
doivent être soumises par écrit à un agent d'immi-
gration supérieur et doivent avoir reçu l'approba-
tion de ce dernier.
J'accueillerais l'appel avec dépens et, conformé-
ment au sous-alinéa 526)(i) de la Loi sur la Cour
fédérale [L.R.C. (1985), chap. F-7], je rendrais le
jugement que la Section de première instance
aurait dû rendre, c'est-à-dire annuler la décision de
l'agent des visas, en date du 8 juillet 1987, par
laquelle il a rejeté la demande d'admission au
Canada de l'appelant, à titre d'immigrant, et
ordonner que celle-ci soit étudiée de nouveau par
un autre agent des visas.
LE JUGE STONE, J.C.A.: Je souscris à ces
motifs.
LE JUGE DESJARDINS, J.C.A.: J'y souscris.
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