A-1088-88
Sa Majesté la Reine (appelante) (défenderesse)
c.
Diversified Holdings Ltd. (intimée) (demande-
resse)
RÉPERTORIÉ: DIVERSIFIED HOLDINGS LTD. C. CANADA (CA.)
Cour d'appel, juges Mahoney, Stone et Décary,
J.C.A.—Vancouver, 13 novembre; Calgary, 15
novembre 1990.
Pratique — Communication de documents et interrogatoire
préalable — Production de documents — Revenu Canada a
saisi la génératrice se trouvant dans un immeuble grevé d'une
hypothèque en faveur de la demanderesse — L'immeuble a été
inondé — La demanderesse a allégué que la saisie était illicite
— La Cour a ordonné à la défenderesse de produire une liste
de documents contenant des notes inscrites dans le dossier par
les agents de recouvrement — La défenderesse a soutenu que
les documents étaient protégés en vertu de l'art. 241(1) de la
Loi de l'impôt sur le revenu — La demanderesse a demandé
que la production soit ordonnée en vertu des Règles 456 et 457
— Le juge de première instance a accueilli la demande —
L'appelante doit démontrer qu'il s'agit de documents confiden-
tiels — Le privilège protège le contribuable et non Revenu
Canada — Appel rejeté.
Impôt sur le revenu — Pratique — Revenu Canada a fait en
sorte que les agents du shérif saisissent la génératrice se
trouvant dans un immeuble grevé d'une hypothèque en faveur
de la demanderesse — L'immeuble a été inondé — La deman-
deresse a allégué que la saisie était illicite — La demanderesse
a demandé la production des notes que les agents de recouvre-
ment avaient inscrites dans le dossier — La défenderesse a
allégué qu'il s'agit de documents protégés en vertu de l'art.
241(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu — Question de savoir
si les documents ont été «obtenus par le Ministre ou en son
nom aux fins de la loi» — Le législateur voulait protéger le
contribuable et non Revenu Canada — L'art. 241 n'a pas été
adopté pour protéger le ministre contre les actions en négli-
gence — L'ordonnance rendue par le juge de première instance
en vue de la production est confirmée.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63,
art. 223(2), 241 (mod. par S.C. 1980-81-82-83,
chap. 68, art. 117).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles
448, 456, 457.
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
Glover v. Glover et al. (No. 1) (1980), 29 O.R. (2d) 392;
113 D.L.R. (3d) 161; 16 C.P.C. 77; [1980] CTC 531; 80
DTC 6262; 43 N.R. 273; 18 R.F.L. (2d) 116 (C.A.);
confirmé sub nom. Glover c. Ministre du Revenu natio-
nal, [1981] 2 R.C.S. 561; (1981), 130 D.L.R. (3d) 383;
[1982] CTC 29; 82 DTC 6035; 43 N.R. 271; 25 R.F.L.
(2d) 335.
AVOCATS:
John E. D. Savage pour l'appelante (défende-
resse).
M. A. Clemens pour l'intimée (demande-
resse).
PROCUREURS:
Crease & Company, Victoria, pour l'appe-
lante (défenderesse).
Campney & Murphy, Vancouver, pour l'inti-
mée (demanderesse).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE DÉCARY, J.C.A.: Appel a été interjeté
en l'espèce d'une ordonnance [[1989] 2 C.T.C. 10]
par laquelle le juge Collier a fait droit à la requête
de l'intimée/demanderesse pour obliger l'appe-
lante/défenderesse à produire certains documents,
que cette dernière refusait de communiquer en
invoquant le paragraphe 241(1) de la Loi de l'im-
pôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, chap. 63
(mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 68, art. 117)]
(la Loi)'.
Les paragraphes 241(1), (2) et (3) portent:
241. (1) Sauf comme l'autorise le présent article, aucun
fonctionnaire ni aucune personne autorisée ne doit
a) sciemment communiquer ni sciemment permettre que
soit communiqué à quiconque un renseignement obtenu
par le Ministre ou en son nom aux fins de la présente loi ou
la Loi de l'impôt sur les revenus pétroliers, ni
b) sciemment permettre à quiconque d'examiner tout
livre, registre, écrit, déclaration ou autres documents obte-
nus par le Ministre ou en son nom aux fins de la présente
loi ou la Loi de l'impôt sur les revenus pétroliers, ou d'y
avoir accès.
(2) Nonobstant toute autre loi, aucun fonctionnaire ni
aucune personne autorisée ne doit être requise, dans le cas de
procédures judiciaires
a) de témoigner relativement à quelque renseignement
obtenu par le Ministre ou en son nom aux fins de la
présente loi ou la Loi de l'impôt sur les revenus pétroliers,
ni
b) de produire quelque livre, registre, écrit, déclaration ou
autres documents obtenus par le Ministre ou en son nom
aux fins de la présente loi.
(Suite à la page suivante)
Voici en résumé les faits de la cause. L'intimée
était la créancière hypothécaire d'une certaine pro-
priété dans la région de Victoria, en Colombie-Bri-
tannique. Le débiteur hypothécaire était une com-
pagnie connue sous le nom d'International
Electronics Corporation (IEC). En exécution d'un
certificat délivré contre IEC par Revenu Canada,
les agents du shérif de Victoria ont pénétré dans
l'immeuble occupé par cette compagnie et en ont
saisi et enlevé certains objets. L'intimée soutient
que Revenu Canada a ordonné aux agents du
shérif de saisir et d'enlever illégalement certains
objets, dont des appareils, en causant des domma-
ges considérables à l'immeuble, lequel a été
inondé, dit-elle, par suite de la saisie et l'enlève-
ment d'une génératrice.
Dans une demande introduite contre l'appelante
devant la Section de première instance de la Cour
fédérale, l'intimée a conclu aux dommages-intérêts
par ce motif, entre autres, que les agents du shérif
agissaient [TRADUCTION] «sous les ordres et à titre
de mandataires de Revenu Canada». Conformé-
ment à la Règle 448 [Règles de la Cour fédérale,
C.R.C., chap. 663] et à une ordonnance rendue
par le juge Collier, l'appelante a déposé une «liste
supplémentaire de documents» qu'elle considérait
cependant comme protégés par application du
paragraphe 241(1) de la Loi. Les documents en
question consistaient en diverses annotations faites
dans le dossier par quatre agents d'enquête et de
recouvrement du ministère du Revenu national.
Ainsi que l'a constaté le juge Collier [à la page
11], à qui fut remise la copie des documents en
question, «Il est évident qu'une bonne partie des
documents qui se trouvent dans les dossiers concer-
nent la réclamation formulée par Revenu Canada
contre IEC et la saisie pratiquée par les shérifs sur
les instructions de Revenu Canada.»
L'intimée s'est alors fondée sur les Règles 456 et
457 pour introduire une requête en ordonnance
portant obligation pour l'appelante de produire les
documents figurant sur la liste comme documents
protégés. L'appelante s'y est opposée par ce motif
que ces documents étaient des registres, écrits ou
(Suite de la page précédente)
(3) Les paragraphes (1) et (2) ne s'appliquent pas en ce
qui concerne les poursuites au criminel, sur acte d'accusation
ou sur déclaration sommaire de culpabilité, en vertu d'une loi
du Parlement du Canada, ou relativement à des poursuites
ayant trait à l'application ou à l'exécution de la présente loi
ou la Loi de l'impôt sur les revenus pétroliers.
autres documents «obtenus par le Ministre ou en
son nom aux fins de la présente loi» au sens du
paragraphe 241(1) et qu'à ce titre, ils ne pouvaient
être divulgués à qui que ce soit, l'intimée y
comprise.
Le juge Collier a fait droit à la requête, essen-
tiellement par le motif suivant [à la page 12]:
Dans le présent procès, la demanderesse n'essaie pas d'obte-
nir des renseignements et des documents confidentiels recueillis
par le ministre à l'occasion de la cueillette de renseignements
généraux ou au cours de procédures et d'enquêtes ou autres
choses du genre concernant l'impôt sur le revenu. Les docu
ments à l'égard desquels le privilège présumé est revendiqué
concernent les mesures prises par Revenu Canada et pour son
compte et qui sont à l'origine du présent procès qui est, à toutes
fins utiles, dirigé contre Revenu Canada lui-même.
Ces dossiers n'ont pas été, à mon avis, «obtenus par le
ministre aux fins de la Loi de l'impôt sur le revenu». Ils existent
en raison des mesures de recouvrement prises contre I.E.C. (la
débitrice hypothécaire), qui auraient causé les dommages allé-
gués par la créancière hypothécaire demanderesse. En ce sens,
il n'y a pas eu atteinte au caractère confidentiel ou violation de
la loi.
Pour avoir gain de cause, il faut que l'appelante
démontre que les documents en question sont con-
fidentiels selon l'esprit du paragraphe 241(1),
savoir qu'il5ont été: i) «obtenus par le Ministre ou
en son nom», ii) «aux fins de la [Loi de l'impôt sur
le revenu]».
On ne peut interpréter l'article 241 dans le vide.
Il est constant que ce texte de loi vise à protéger la
confidentialité des renseignements communiqués
au ministre pour l'application de la Loi de l'impôt
sur le revenu. Cette protection n'est pas établie au
bénéfice de Revenu Canada, mais au bénéfice de
ceux, en particulier du contribuable, qui communi-
quent ces renseignements au ministre avec l'assu-
rance qu'ils demeureront confidentiels.
Le sens le plus usité et le plus naturel du mot
«obtained» et de son équivalent français «obtenu»,
que ces deux termes se rapportent au «renseigne-
ment» visé à l'alinéa 241(1)a) ou aux «autres
documents» visés à l'alinéa 241(1)b), veut qu'il
s'agisse d'un renseignement ou de documents qui
ne sont pas en la possession de la personne qui veut
l'avoir, et qui sont «donnés» à cette personne. À
mon avis, ne peut être «obtenu» au sens du para-
graphe 241(1) qu'un document qui est en la pos
session de quelqu'un d'autre que le ministre ou que
ses collaborateurs, ou un document établi par le
ministre ou ses collaborateurs à partir de rensei-
gnements confidentiels dont ils ont eu communica
tion. Par exemple, les documents autonomes inter
nes, tels qu'en fait état l'appelante, pourraient bien
être soumis à l'interdiction légale de divulgation
s'ils sont basés sur les renseignements communi-
qués à leurs auteurs dans le cadre de la Loi de
l'impôt sur le revenu et non rendus publics par
suite de procédures judiciaires.
En l'espèce, les documents en cause sont partie
intégrante d'un processus, savoir les mesures de
recouvrement de l'impôt, lequel processus est
public et implique de par sa nature, la publication
de renseignements qui autrement seraient restés
confidentiels. On ne saurait saisir un bien en exé-
cution d'un certificat qui produit les mêmes effets
qu'une décision judiciaire (voir le paragraphe
223(2) de la Loi) sans divulguer dans une certaine
mesure les renseignements obtenus par le ministre.
Qui plus est, les documents en cause ne concer-
nent, pour reprendre la conclusion du juge Collier
[à la page 12 C.T.C.], que «les mesures prises par
Revenu Canada et pour son compte et qui sont à
l'origine du présent procès qui est, à toutes fins
utiles, dirigé contre Revenu Canada lui-même».
L'article 241 n'a pas été adopté pour protéger le
ministre contre les actions en négligence. S'il res-
tait quelque chose de confidentiel dans les docu
ments dont s'agit, le contribuable lui-même ou tout
autre intéressé pourrait s'opposer à leur produc
tion. En l'espèce, non seulement la divulgation ne
porterait préjudice ni au contribuable ni à qui que
ce soit d'autre, contrairement à ce que prétend le
ministre, mais le juge Collier, qui a examiné les
documents, a constaté qu'ail n'y a pas eu atteinte
au caractère confidentiel>. Je me garderais bien de
toucher à pareille conclusion sur les faits, quand
bien même je serais en mesure de le faire.
Dans l'affaire Glover 2 qui était une affaire de
garde d'enfants, le litige portait sur la divulgation
de l'adresse d'un contribuable qui avait enlevé ses
deux enfants et qu'on n'arrivait pas à retrouver. Ce
renseignement avait été certainement obtenu par le
ministre aux fins de la Loi de l'impôt sur le
revenu, et le contribuable, quoiqu'on puisse éprou-
ver peu de sympathie à son égard, subirait à
2 Glover v. Glover et al. (No. 1) (1980), 29 O.R. (2d) 392
(C.A.); confirmé par Glover c. Ministre du Revenu national,
[1981] 2 R.C.S. 561.
l'évidence un préjudice si ce renseignement était
divulgué. L'appelante ne saurait donc invoquer la
jurisprudence Glover.
Ayant conclu que les documents dont s'agit
n'ont pas été «obtenus par le Ministre ou en son
nom», je n'ai plus à décider s'ils ont été obtenus
«aux fins de la [Loi de l'impôt sur le revenu]». Il
suffit de dire que pour invoquer la protection du
paragraphe 241(1), l'appelante doit faire valoir
que les documents en cause ont été obtenus aux
fins de la Loi, alors que, pour se soustraire à
l'exception de divulgation prévue au paragraphe
241(3), elle doit, comme elle l'a fait devant la
Cour, faire valoir qu'il s'agissait d'une mesure de
recouvrement n'ayant aucun rapport avec l'appli-
cation ou l'exécution de la Loi. Il lui faudrait par
conséquent démontrer que les documents obtenus
en vue de la mesure de recouvrement avaient été
obtenus «aux fins de la [...] loi» mais que la
mesure de recouvrement n'avait pas trait «à l'ap-
plication ou à l'exécution de la [...] loi». Vu le
libellé très général du paragraphe 241(3), il est
loin d'être évident que l'appelante puisse miser sur
les deux tableaux à la fois.
Je me prononce pour le rejet de l'appel avec
dépens.
Le juge MAHONEY, J.C.A.: Je souscris aux
motifs ci-dessus.
Le juge STONE, J.C.A.: Je souscris aux motifs
ci-dessus.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.