A-323-89
Herbert H. Winter et David Herbert Outerbridge
Winter (appelants)
c.
Sa Majesté la Reine (intimée)
RÉPERTORIÉ: WINTER c. CANADA (C.A.)
Cour d'appel, juges Marceau, MacGuigan et
Décary, J.C.A.—Montréal, 2 octobre; Ottawa, 2
novembre 1990.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Évitement fiscal
— Principe des avantages indirects — Le ministre a inclus
dans le revenu de l'administrateur la valeur des actions ven-
dues à son gendre, conformément à l'art. 56(2) — La Cour n'a
pas fait abstraction de la personnalité morale — L'adminis-
trateur, à titre d'actionnaire majoritaire, a pu faire en sorte
que la société vende ses actions à un prix inférieur à leur
valeur marchande pour avantager l'acheteur — L'art. 56(2) est
fondé sur la doctrine de la «recette présumée» — Cette dispo
sition exige simplement que le contribuable soit imposable
quand le transfert lui est fait — L'art. 56(2) s'applique
seulement si l'avantage n'est pas directement imposable entre
les mains du bénéficiaire ou du cessionnaire — Puisque
l'acheteur des actions a agi en sa qualité de gendre, et non en
sa qualité d'actionnaire, il n'est pas imposable en vertu de
l'art. 15(1).
Il s'agit d'un appel formé contre le jugement de première
instance par lequel une action pour contester une cotisation
fiscale a été rejetée. En 1979, le conseil d'administration d'une
société de portefeuille a passé une résolution aux termes de
laquelle celle-ci vendait ses actions d'une société active au
gendre de l'actionnaire majoritaire, Sir Leonard Outerbridge,
au prix de 100 $ l'action. Le ministre a inclus la valeur de ces
actions, fixée à 1 089 $ l'action, dans le revenu de Sir Leonard
à titre d'avantage qui lui aurait été accordé conformément au
paragraphe 56(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Le
paragraphe 56(2) prévoit que tout transfert de biens fait avec
l'accord d'un contribuable à autrui, à titre d'avantage que le
contribuable désirait voir accordé à l'autre personne, doit être
inclus dans le revenu du contribuable dans la mesure où il le
serait si ce paiement ou ce transfert avait été fait au contribua-
ble lui-même. Selon les demandeurs, c'est-à-dire les exécuteurs
testamentaires de Sir Leonard, les actions appartenaient à la
société de portefeuille et non pas à ce dernier. Admettre que Sir
Leonard avait accordé un avantage à son gendre reviendrait à
faire abstraction de la personnalité morale de la société, sans
justification. À titre subsidiaire, ils ont plaidé que Sir Leonard
ne devrait pas être imposé conformément au paragraphe 56(2)
du fait que le gendre, en sa qualité d'actionnaire, était déjà
assujetti à l'impôt à l'égard de l'avantage, conformément au
paragraphe 15(1).
Arrêt: l'appel devrait être rejeté.
La Cour n'a pas fait abstraction de la personnalité morale de
la société. Ce qui importe c'est que Sir Leonard pouvait faire en
sorte que la société vende ses actions à un prix inférieur à leur
valeur marchande, dans le but d'avantager l'acheteur. Le fait
qu'il n'avait aucun droit direct sur les actions n'aurait été
pertinent que si le paragraphe 56(2) avait visé exclusivement
les cas où les revenus détournés seraient ceux auxquels le
contribuable avait droit.
Le paragraphe 56(2) est une disposition en matière d'évite-
ment fiscal qui remonte à 1948. Bien qu'il ait fait l'objet de
nombreuses décisions publiées, les tribunaux n'ont jamais pu en
élucider le sens exact, et son but demeure controversé. Il faut
nuancer le sens du paragraphe 56(2) la lumière de l'objet de
la règle et du but dans lequel elle a été adoptée afin d'éviter des
résultats déraisonnables. Le paragraphe 56(2) est fondé sur la
doctrine de la «recette présumée» et, bien qu'il vise principale-
ment les cas où le contribuable cherche à éviter de recevoir un
revenu en faisant verser ce montant au profit de quelqu'un
d'autre, son application n'est pas limitée à de tels cas patents
d'évitement fiscal. Comme condition d'application, il n'est pas
nécessaire que le contribuable ait d'abord droit au versement ou
au transfert du bien en faveur du tiers. Il suffit qu'il soit
imposable à cet égard quand le versement ou le transfert lui est
fait. Lorsque le contribuable n'a pas droit au versement effec-
tué ou au bien transféré, le paragraphe 56(2) s'applique seule-
ment si l'avantage accordé n'est pas directement imposable
entre les mains du cessionnaire. La raison d'être d'une disposi
tion en matière d'évitement fiscal est d'empêcher l'évitement de
l'impôt payable sur une opération donnée, et non pas de doubler
l'impôt normalement payable, ou d'accorder aux autorités fis-
cales une discrétion administrative qui leur permettraient de
choisir entre deux contribuables possibles. La condition impli-
cite selon laquelle le cessionnaire n'est pas assujetti à l'impôt
sur l'avantage qu'il a reçu n'est pas remplie en l'espèce, puisque
l'acheteur a acquis les actions en sa qualité de gendre et non
pas en sa qualité d'actionnaire, si bien que le paragraphe 15(1)
ne s'appliquait pas.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1948, chap. 52, art.
16(1) (mod. par S.C. 1960-61, chap. 49, art. 5).
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63,
art. 15(1), 56(2), 69 (mod. par S.C. 1974-75-76, chap.
26, art. 37; 1977-78, chap. 32, art. 13; 1979, chap. 5,
art. 22).
Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1970, chap. I-5,
art. 56(2).
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
Canada c. McClurg, [1988] 2 C.F. 356; [1988] 1 C.T.C.
75; (1987), 18 F.T.R. 80; 84 N.R. 214 (C.A.) conf.
McClurg (J.A.) c. La Reine, [1986] 1 C.T.C. 355;
(1986), 86 DTC 6128; 2 F.T.R. 1 (C.F. 1" inst.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Minister of National Revenue v. Bronfman, Allan,
[1966] R.C.E. 172; [1965] C.T.0 378; (1965), 65 DTC
5235.
DÉCISIONS CITÉES:
Miller, Alex v. Minister of National Revenue, [1962]
R.C.E. 400; [1962] C.T.C. 378; (1962), 62 DTC 1139;
Murphy (G A) c. La Reine, [1980] CTC 386; (1980), 80
DTC 6314 (C.F. lre inst.); Minister of National Revenue
v. Pillsbury Holdings Ltd., [1965] 1 R.C.E. 676; [1964]
C.T.C. 294; (1964), 64 DTC 5184; Herbert v. Inland
Revenue Comrs., [1943] 1 All E.R. 336 (K.B.D.); Vestey
v Inland Comrs. (Nos 1 and 2), [1979] 3 All ER 976
(H.L.).
AVOCATS:
A. Peter F. Cumyn et Gary Nachshen pour les
appelants.
P. E. Plourde et Michael Murphy pour
l'intimée.
PROCUREURS:
Stikeman, Elliott, Montréal, pour les appe-
lants.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU, J.C.A.: Le présent appel
d'un jugement de la Section de première instance
[Outerbridge (Sir L.C.) succession c. Canada,
[1989] 2 C.T.C. 55; (1989), 89 DTC 5304 (C.F.
lie inst.) (sub nom Winter c. Canada)] porte sur
l'interprétation et les conditions d'application du
paragraphe 56(2) de la Loi de l'impôt sur le
revenu [S.C. 1970-71-72, chap. 63] qui dispose:
56....
(2) Tout paiement ou transfert de biens fait, suivant les
instructions et avec l'accord d'un contribuable, à toute autre
personne au profit du contribuable ou à titre d'avantage que le
contribuable désirait voir accorder à l'autre personne, doit être
inclus dans le calcul du revenu du contribuable dans la mesure
où il le serait si ce paiement ou ce transfert avait été fait au
contribuable.
Cette disposition bien connue en matière d'évite-
ment fiscal, qui donne effet au principe des avanta-
ges indirects, a une longue histoire législative qui
remonte à 1948'. Elle a donné lieu à d'importantes
décisions, dont celles rendues par la Cour de
l'Échiquier dans les affaires Miller, Alex v. Minis
' La disposition a été édictée à l'origine au paragraphe 16(1)
de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.C. 1948, chap. 52]. Elle a
été modifiée en 1961 (S.C. 1960-61, chap. 49, art. 5) et est
devenue le paragraphe 56(2) lors de la révision de 1970.
ter of National Revenue, [ 1962] R.C.É. 400; et
Minister of National Revenue v. Bronfman, Allan,
[1966] R.C.É. 172, par la Section de première
instance de la Cour fédérale dans l'affaire Murphy
(G A) c. La Reine, [1980] CTC 386, et, plus
récemment, par cette Cour dans l'affaire Canada
c. McClurg, [1988] 2 C.F. 356, confirmant [1986]
1 C.T.C. 355 (C.F. 1 r inst.), un arrêt actuellement
en appel devant la Cour suprême. Pourtant, l'im-
précision de ses termes n'a jamais été complète-
ment surmontée et son objet comme son but sont
encore objet de controverse. La présente affaire
montre une fois de plus combien il est difficile de
comprendre en tout point comment le Parlement
voulait qu'elle soit appliquée en pratique.
En 1979, Sir Leonard C. Outerbridge, un rési-
dent de St-John's (Terre-Neuve) alors âgé de
91 ans, était l'actionnaire majoritaire de Littlefield
Investments Limited («Littlefield»), une société
constituée sous le régime des lois du Canada le 8
décembre 1961 pour agir à titre de société de
portefeuille. Sir Leonard détenait 99,16 p. 100 des
actions émises de la société (9 916 actions), alors
que sa fille, Nancy D. Winter, en détenait
0,83 p. 100 (83 actions) et son gendre, Herbert
H. Winter (Dick), 0,1 p. 100 (une action). Sir
Leonard, à titre personnel, et sa société de porte-
feuille, étaient tous deux en même temps proprié-
taires bénéficiaires d'actions de A. Harvey &
Company Limited («Harvey»), une société active
qui oeuvrait dans les domaines de la distribution,
du transport et de l'entreposage: Sir Léonard déte-
nait 254 actions de Harvey, Littlefield, 661.
Le 19 septembre 1979, le conseil d'administra-
tion de Littlefield (constitué à l'époque des trois
actionnaires), au cours d'une réunion régulière, a
passé une résolution autorisant la vente des
661 actions de Harvey appartenant à la société à
Dick Winter au prix de 100 $ l'action. L'opération
visée par la résolution a été conclue peu de temps
après et le prix de vente a été versé en entier.
Environ un mois plus tard, Sir Leonard a fait don
à sa fille, madame Winter, des 254 actions de
Harvey qui lui appartenaient à titre personnel.
Dans sa déclaration de revenus pour 1979, il a
déclaré ce don comme une disposition de biens
ayant donné lieu à un produit réputé de 100 $
l'action.
Le 21 octobre 1985, par avis de nouvelle cotisa-
tion, Sir Leonard a été informé que le ministre du
Revenu national avait ajouté les sommes suivantes
à son revenu pour son année d'imposition 1979: a)
la somme de 648 368 $, conformément au paragra-
phe 56(2) de la Loi, à titre d'avantage qui lui
aurait été accordé du fait que Littlefield avait
vendu 661 actions de Harvey à Dick Winter, et b)
la somme de 54 673 $, conformément à l'article 69
[mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 26, art. 37;
1977-78, chap. 32, art. 13; 1979, chap. 5, art. 22j
de la Loi, à titre de gain en capital imposable qu'il
aurait réalisé sur le don des 254 actions de Harvey
qu'il avait fait à sa fille. Pour calculer l'avantage
et le gain en capital, le ministre a imputé la valeur
de 1 089 $ à chacune des actions de Harvey au
moment de leur disposition en 1979, un chiffre
obtenu suite à une évaluation qui avait été effec-
tuée l'année précédente, en 1984. Sir Leonard s'est
dûment opposé à cette cotisation. Le 3 juillet 1986,
le ministre a émis un second avis de cotisation dans
lequel le montant qui avait été ajouté conformé-
ment au paragraphe 56(2) était réduit de quelque
150 $, au motif que Sir Leonard, en 1979, détenait
seulement 99,16 p. 100 des actions de Littlefield,
et non pas 99,18 p. 100, comme on l'avait calculé
précédemment, mais qui, pour le reste, confirmait
le premier avis. Évidemment, Sir Leonard réitéra
son opposition.
Le 7 septembre 1986, Sir Leonard est décédé.
Par son dernier testament le défunt avait constitué
Nancy et Dick Winter ses seuls exécuteurs testa-
mentaires, mais Nancy Winter est décédée elle-
même le 25 décembre 1986 et elle a été remplacée
par David Herbert Outerbridge Winter. Le 16 juin
1987, après que le ministre eut rejeté l'opposition
produite par Sir Leonard avant son décès, les
exécuteurs testamentaires, exerçant les droits et les
recours du défunt, intentaient une action devant la
Section de première instance dans laquelle ils allé-
guaient que la nouvelle cotisation du 3 juillet 1986
était mal fondée en fait et en droit. Dans leur
action, les demandeurs contestaient les deux chefs
de la cotisation, mais avant l'instruction, ils ont.
retiré leur opposition quant au second chef relatif
au gain en capital réalisé par le contribuable sur le
don qu'il avait fait à sa fille des actions détenues
par lui à titre personnel. Le 29 mai 1989, jugement
intervenait rejetant l'action. Le présent appel est
formé contre ce jugement.
Voici en substance, si je l'ai bien comprise,
l'argumentation que l'avocat des demandeurs fit
valoir devant le juge de première instance. La
valeur de 1 089 $ l'action que le ministre a attribué
aux actions de Harvey fut établie à la suite d'une
évaluation complexe, fondée sur une «sagesse ex
post facto», pour reprendre la formule employée
par le juge de première instance. Cette évaluation
ne respectait pas la perception qu'avaient les par
ties au moment de l'opération. Considérant le prix
qui avait été attribué aux actions pour certaines
opérations effectuées à la même époque, les res
trictions auxquelles le transfert des actions était
assujetti par les statuts constitutifs de la société et
l'avis du comptable qui avait assisté à la réunion
des administrateurs au cours de laquelle la vente
avait été autorisée, il était raisonnable pour Sir
Leonard, soutint l'avocat des demandeurs, de
croire que la juste valeur marchande d'une action
de Harvey s'établissait à 100 $ le 19 septembre
1979. Rien ne laissait entendre que Sir Leonard
souhaitait ou désirait accorder un avantage à
Dick Winter. D'ailleurs, Sir Leonard n'avait lui-
même aucun droit à ces actions; il ne tentait
certainement pas de détourner une partie de son
revenu au profit d'un tiers pour éviter l'impôt. Par
conséquent, les conditions d'application du para-
graphe 56(2), qui contient une disposition visant
l'évitement fiscal, n'existent pas.
Le juge de première instance ne fut pas d'ac-
cord. Satisfait par la preuve que le ministre avait
correctement évalué les actions, il affirma [à la
page 62] qu'«[en se] fondant sur les relations
existant entre le contribuable et son gendre, de
même que sur les circonstances objectives entou-
rant l'opération spécifique en cause et les autres
opérations accessoires, [il devait] en venir à la
conclusion qu'en faisant procéder au transfert des
actions de Littlefield, le contribuable désirait avan-
tager son gendre». Puis rejetant l'interprétation du
paragraphe 56(2), suggérée par les demandeurs
comme [TRADUCTION] «attribuant aux termes uti-
lisés une extension qu'ils ne pouvaient raisonnable-
ment contenir», il décida que les conditions d'appli-
cation de la disposition étaient remplies.
Devant cette Cour, l'avocat des demandeurs dut
restreindre davantage son argumentation après
avoir reconnu, à l'ouverture de l'audience, que les
conclusions de fait du juge de première instance
étaient difficilement attaquables. Sa prétention
était maintenant simplement que même si les par
ties à l'opération intervenue en 1979 savaient que
la juste valeur marchande des actions de Harvey
était de 1 089 $ l'action, les conditions d'applica-
tion du paragraphe 56(2), correctement interprété
selon son objet et son but, faisaient défaut. Il
soumit deux arguments au soutien de cette thèse.
1. Il ne fallait pas oublier, fit remarquer l'avo-
cat, que les actions appartenaient à Littlefield et
non pas à Sir Leonard, qui agissait simplement en
sa qualité d'administrateur de la société. Dire que
Sir Leonard avait accordé un avantage à
Dick Winter, c'était ne pas tenir compte de la
distinction entre Sir Leonard et la société, ce qui
revenait à faire abstraction de la personnalité
morale de celle-ci, et ce sans justification. Par
ailleurs, dit l'avocat, le libellé de la disposition ne
justifiait pas la notion qu'un administrateur agis-
sant en cette qualité pût être considéré comme
ordonnant à la société de détourner un paiement
ou un transfert de biens à son profit ou au profit
d'une autre personne, en l'absence de mauvaise foi
ou d'un abus de confiance, ce qui n'était pas le cas
en l'espèce, ni l'un, ni l'autre n'ayant même été
allégué. Et l'avocat se référa à l'arrêt McClurg,
précité, qui a effectivement jugé que le libellé du
paragraphe 56(2) n'atteignait pas les actes d'un
administrateur qui participe à une déclaration de
dividende.
Je ne souscris pas à ce premier argument. Il
n'est pas question de faire abstraction de la person-
nalité morale en l'espèce. La distinction entre Litt-
lefield et Sir Leonard est entièrement respectée. Il
s'agit de décider si Sir Leonard pouvait faire en
sorte que la société vende ses actions à un prix
inférieur à leur valeur marchande, dans le but
d'avantager l'acheteur. Or, c'était incontestable-
ment le cas. Le fait que Sir Leonard n'avait aucun
droit direct aux actions aurait été pertinent si la
disposition en cause devait être interprétée de
manière à viser uniquement les cas où les revenus
détournés étaient ceux auxquels le contribuable
avait droit. Or, absolument rien ne laisse entendre
que cette disposition ait une portée aussi limitée.
Enfin, l'arrêt McClurg portait sur la déclaration
d'un dividende conformément (de l'avis de la
majorité) aux pouvoirs accordés par l'organisation
du capital social de la société, et j'estime qu'il fait
autorité uniquement à l'égard des circonstances
particulières qui y étaient traitées.
2. D'autre part, poursuivit l'avocat des appe-
lants, Dick Winter, en sa qualité d'actionnaire,
était assujetti à l'impôt à l'égard de l'avantage
qu'il avait tiré de l'opération, conformément au
paragraphe 15(1). Même en admettant que les
conditions d'application de la disposition, interpré-
tée largement, étaient présentes, une cotisation
établie sous son régime, dans ces conditions, ne
saurait être valide. Voici comment la partie
demanderesse a, exposé cet argument dans son
mémoire:
[TRADUCTION] 8. À titre subsidiaire, les appelants plaident
qu'en vertu du régime de la Loi de l'impôt sur le revenu,
l'actionnaire A ne devrait pas être imposé conformément au
paragraphe 56(2), l'égard d'un avantage accordé à l'action-
naire B, lorsque celui-ci peut être imposé conformément au
paragraphe 15(1) l'égard du même avantage. Les dispositions
de la Loi de l'impôt sur le revenu suivent un ordre naturel selon
lequel les règles techniques, comme celles prévues au paragra-
phe 15(1), se situeraient à la base, les règles particulières
anti -évitement, comme celles du paragraphe 56(2) se situe-
raient à un niveau supérieur et la règle générale anti -évitement
prévue à l'article 245 se situerait au sommet. Lorsqu'il s'agit
d'établir une cotisation en pratique, il faut recourir à une règle
particulière anti -évitement seulement lorsqu'une opération
donnée n'est pas visée par une règle technique. Pareillement, la
règle générale anti -évitement ne devrait être invoquée qu'en
l'absence d'une règle particulière anti -évitement.
9. Dans le contexte particulier des avantages accordés à un
actionnaire, le paragraphe 52(1) nous éclaire encore davantage
sur le régime de la Loi de l'impôt sur le revenu. Cette disposi
tion prévoit qu'un contribuable dont le revenu est majoré
relativement à la valeur du bien qu'il acquiert doit ajouter le
montant de la majoration au prix de base du bien. Lorsqu'un
contribuable est imposé en vertu du paragraphe 15(1) sur des
biens acquis d'une société dont il est actionnaire, le paragraphe
52(1) entre en jeu automatiquement pour modifier en consé-
quence le prix de base rajusté aux fins de calculer le gain en
capital, ou la perte de capital, éventuel. Lorsque le paragraphe
56(2) est invoqué, au contraire, le paragraphe 52(1) est sans
effet puisque le contribuable assujetti à l'impôt n'a acquis
aucun bien lui-même. Si une partie à l'opération en cause
devait être assujettie à l'impôt, il aurait dû s'agir de M. Winter,
conformément au paragraphe 15(1), et non pas du défunt, en
vertu du paragraphe 56(2).
Je serais disposé à souscrire à ce raisonnement.
Comme il a été si souvent signalé, notamment par
le juge de première instance et la Cour d'appel
dans l'arrêt McClurg, le libellé du paragraphe
56(2) ne peut être interprété dans son sens le plus
large sans aboutir à des résultats évidemment inte-
nables, particulièrement dans le contexte de la
gestion des sociétés. Il faut donc en nuancer le sens
à la lumière de l'objet de la règle et du but dans
lequel elle a été adoptée pour éviter ces résultats
déraisonnables.
Il est couramment admis que la disposition
prévue au paragraphe 56(2) est fondée sur la
doctrine de la «recette présumée» et qu'elle vise
principalement les cas où le contribuable cherche à
éviter de recevoir ce qui serait, entre ses mains, un
revenu en s'arrangeant pour que le montant soit
versé à quelqu'un d'autre, et ce pour son propre
bénéfice (par exemple, pour éteindre une dette) ou
pour le bénéfice de cette autre personne (voir les
motifs du juge Thurlow dans l'arrêt Miller, pré-
cité, et ceux du juge Cattanach dans l'arrêt
Murphy, précité). Il ne fait aucun doute cependant
que le libellé de la disposition ne permet pas d'en
limiter l'application à de tels cas patents d'évite-
ment fiscal. L'arrêt Bronfman, qui a confirmé la
cotisation, établie en vertu de la disposition de
l'ancienne loi qu'a reprise le paragraphe 56(2),
d'un actionnaire d'une société privée, à l'égard de
dons que la société avait faits régulièrement pen
dant plusieurs années à des membres de sa famille,
est généralement cité comme autorité pour dire
que la disposition s'applique, que la personne
imposée ait un droit ou non sur le versement
effectué ou sur le bien transféré. Cette jurispru
dence ne me semble pas tellement convaincante
dans la mesure où les dons faits par une société
proviennent des bénéfices sur lesquels les action-
naires ont un droit éventuel. Le fait néanmoins
demeure que le libellé même de la disposition
n'exige pas, comme condition d'application, que le
contribuable ait initialement eu droit au montant
versé ou au bien transféré au tiers; mais unique-
ment que le contribuable ait été lui-même imposa-
ble à cet égard si le versement ou le transfert avait
été fait à lui. Il me semble cependant que, lorsque
la doctrine de la «recette présumée» n'est pas clai-
rement en cause, parce que le contribuable n'avait
aucun droit au versement effectué ou au bien
transféré, il n'est que juste d'inférer que le para-
graphe 56(2) ne peut recevoir application que si
l'avantage accordé n'est pas directement imposable
entre les mains du cessionnaire. En effet, selon
moi, une disposition en matière d'évitement fiscal
revêt un caractère essentiellement subsidiaire; sa
raison d'être est d'empêcher l'évitement de l'impôt
payable sur une opération donnée, et non de dou-
bler l'impôt normalement payable 2 ni d'accorder
aux autorités fiscales une discrétion administrative
qui leur permettrait de choisir entre deux contri-
buables possibles 3 .
Ainsi, je reconnais que la validité d'une cotisa-
tion établie en vertu du paragraphe 56(2) de la
Loi, dans le cas où le contribuable n'avait lui-
même aucun droit au versement effectué ou au
bien transféré, est assujettie à une condition impli-
cite, soit celle que le bénéficiaire ou le cessionnaire
n'ait pas été assujetti à l'impôt sur l'avantage qu'il
a reçu. Le problème pour l'appelant cependant est
qu'à mon avis, cette réserve n'entre pas en jeu en
l'espèce. Il me semble évident que Dick Winter,
quoique détenteur d'une action de Littlefield, a
conclu l'opération avec la société et s'est vu accor-
der un avantage non pas en sa qualité d'action-
naire, mais en sa qualité de gendre de l'actionnaire
majoritaire de la société, de sorte qu'il ne pouvait
être imposé relativement à cette opération en vertu
du paragraphe 15(1) de la Loi (voir l'arrêt Minis
ter of National Revenue v. Pillsbury Holdings
Ltd., [1965] 1 R.C.É 676). II s'ensuit que l'argu-
ment subsidiaire des appelants est, à mon avis,
également mal fondé.
L'appel devrait, je crois, être rejeté.
LE JUGE MACGUIGAN, J.C.A.: Je souscris à ces
motifs.
LE JUGE DÉCARY, J.C.A.: Je souscris à ces
motifs.
2 Qui en plus viendrait s'ajouter à l'impôt sur le gain en
capital déjà imposé au payeur ou à l'auteur du transfert pour le
produit présumé de la disposition, conformément à l'art. 69 de
la Loi.
3 Non seulement une telle discrétion administrative violerait
des principes établis en matière d'imposition (voir les arrêts
Herbert v. Inland Revenue Comrs., [1943] 1 All E.R. 336
(K.B.D.), à la p. 338; Vestey y Inland Revenue Comrs. (Nos l
and 2), [1979] 3 All ER 976 (H.L.), aux p. 984 et 985), elle
entraînerait, dans le cas du transfert d'un bien, encore une fois
une sorte de doublement gratuit de la taxe, puisque le cession-
naire, non imposé, n'aurait pas le droit de se prévaloir du
paragraphe 52(1) de la Loi pour obtenir une majoration corres-
pondante de son prix de base aux fins du calcul de son gain en
capital éventuel.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.