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T-895-88
Le Commissaire à l'information du Canada (requérant)
c.
Le ministre des Affaires extérieures et un tiers (intimés)
RÉPERTORIÉ: CANADA (COMMISSAIRE À L'INFORMATION) C. CANADA (MINISTRE DES AFFAIRES EXTÉRIEURES) (1 1e INST.)
Section de première instance, juge Denault— Ottawa, 21 mars et 5 juillet 1990.
Accès à l'information Demande d'annulation du refus d'accéder à la recommandation du Commissaire de révéler le quota annuel et individuel le plus élevé d'importation de fromage étranger Rejet de la demande Renseignements exemptés en vertu de l'art. 20(1)b) et c) de la Loi sur l'accès à l'information Respect des quatre critères exigés à l'art. 20(1)6) L'établissement d'un risque vraisemblable de préjudice probable satisfait aux exigences de l'exception visée à l'art. 20(1)c).
Il s'agit d'une demande de révision du refus du Ministère d'accéder à une demande de renseignements, à savoir le poids en kilogrammes du quota annuel et individuel le plus élevé d'importation de fromage étranger attribué à une entreprise ou à un particulier en 1985. La demande a été rejetée au motif que les renseignements recherchés étaient des renseignements finan ciers ou commerciaux fournis à un ministre par un tiers exempts de communication en vertu de l'alinéa 20(1)b) de la Loi sur l'accès à l'information, ou des renseignements dont la divulgation nuirait à un tiers en vertu de l'alinéa 20(1)c). Les quotas d'importation de fromages étrangers assignés à des sociétés canadiennes n'ont pas été rendus publics par le gouver- nement dans le passé. Ces quotas se fondent sur le pourcentage de l'importation globale de fromage que représentait chaque importateur en 1973 et en 1974. Le tiers a soutenu que les renseignements échappaient à la divulgation en vertu de l'alinéa 20(1)d) parce qu'il s'agissait de renseignements qui risqueraient vraisemblablement d'entraver les négociations menées par lui en vue de contrats. Le Commissaire a soutenu que l'exception n'était pas justifiée et il a recommandé la divulgation des renseignements. La question était de savoir si les renseignements font partie des exceptions prévues par la loi.
Jugement: la demande devrait être rejetée.
Les renseignements échappaient à la divulgation en vertu des alinéas 20(1)b) et c). Pour échapper à la divulgation en vertu de l'alinéa 20(1)b), les renseignements doivent respecter les quatre critères suivants, c'est-à-dire qu'il doit s'agir: 1) de renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou tech niques, 2) de nature confidentielle, 3) fournis à une institution fédérale par un tiers 4) et qui sont traités comme tels de façon constante par le tiers.
1) Le poids relatif aux quotas est un renseignement commer cial, même au sens le plus restreint du mot. L'offre illicite qui a été faite au tiers en vue de la vente ou de la location à long terme de la partie inutilisée de son quota appuie cette conclusion.
2) Les renseignements sont confidentiels. Le caractère confi- dentiel des renseignements dépend de leur contenu, de leur objet et des circonstances entourant leur préparation et leur communication, c'est-à-dire qu'ils ne doivent pas être par ail- leurs accessibles au public, qu'ils doivent avoir été transmis confidentiellement avec l'assurance raisonnable qu'ils ne seront pas divulgués et dans le cadre d'une relation de confiance ou qui n'est pas contraire à l'intérêt public. Le poids du quota n'était pas par ailleurs accessible au public. De plus, les rensei- gnements fournis au gouvernement et en fonction desquels tous les quotas initiaux et subséquents ont été établis, ont été communiqués dans l'attente raisonnable qu'on les tiendrait confidentiels. L'argument du Commissaire, selon lequel l'inté- rêt public n'exige pas de tenir les renseignements confidentiels parce que le système de contingentement incite le tiers à déclarer annuellement ses importations, ne saurait être accueilli. L'intérêt public qu'il y a à encourager les rapports confidentiels est simplement un indicateur et non une condition de la confidentialité, et il est dans l'intérêt général de préserver le caractère confidentiel des rapports concernés. On avait promis que les renseignements resteraient confidentiels. Il est dans l'intérêt public de s'assurer que le gouvernement agisse de bonne foi et qu'il préserve le caractère confidentiel des rensei- gnements qui lui sont confiés. Le gouvernement peut ne pas être toujours lié par son engagement à agir confidentiellement, mais l'alinéa 20(1)b) exige qu'il se considère lié par son engage ment à préserver le caractère confidentiel des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques que lui a confiés un tiers chaque fois que ce dernier a traité ces rensei- gnements comme confidentiels de façon constante. Cette règle s'applique, que l'engagement ait été pris avant ou après l'entrée en vigueur de la Loi sur l'accès à l'information. Conclure que les promesses de respecter le caractère confidentiel des rensei- gnements sont totalement dépourvues de valeur étant donné la Loi, c'est donner à celle-ci une interprétation dogmatique plutôt que rationnelle, et partant, une interprétation qui répugne au droit. De plus, d'autres rapports semblables avec d'autres importateurs restent confidentiels, et dans ces circonstances, la divulgation des renseignements recherchés équivaudrait à une intervention injuste dans le marché de la part du gouvernement.
3) Le Commissaire a soutenu que les renseignements fournis en 1975 n'étaient pas ceux qui sont recherchés en l'espèce, et que par conséquent il ne sont pas des renseignements «fournis à une institution fédérale par un tiers». Le fait est, cependant, que les titulaires de quotas importants ont pu maintenir leurs quotas et leur part du marché à un niveau constant depuis 1975, et que ces quotas étaient fondés sur des renseignements confidentiels en 1973 et 1974. Ni les renseignements reçus à l'origine par le gouvernement ni aucune des allocations de quotas auxquelles ces renseignements ont donné lieu par la suite, ont jamais été communiqués au public. La part du tiers du quota total est restée inchangée depuis 1975, de sorte que la divulgation du quota qui lui a été attribué au cours d'une année donné serait aussi préjudiciable que la communication de son allocation originale ou actuelle. Les renseignements recherchés et les renseignements fournis par le tiers en 1975 sont essentiel- lement les mêmes renseignements, et la divulgation des uns ou des autres équivaudrait à la violation de l'alinéa 20(1)b).
4) Le tiers a lui-même traité les renseignements recherchés de façon constante comme étant confidentiels. L'affidavit déposé établit que tous les importateurs gardent jalousement
secrets les chiffres afférents aux quotas qui leur sont alloués, ces renseignements étant considérés très délicats.
En vertu de l'alinéa 20(1)c), la partie qui s'oppose à la divulgation doit prouver que celle-ci risquerait vraisemblable- ment de lui causer un préjudice. Étant donné la nature des renseignements litigieux, leurs utilisations possibles, et la façon dont ils ont toujours été tenus secrets, les intimés ont établi que leur divulgation serait cause d'un risque vraisemblable de pré- judice probable. Ils ont fourni des éléments de preuve démon- trant l'importance qu'il y a à garder secret le poids du quota attribué à un importateur, aussi bien à l'égard de ses clients que de ses concurrents. La connaissance du quota alloué à chacun des importateurs est le seul renseignement qui manque pour permettre aux importateurs d'estimer le niveau des profits et de discerner les stratégies de fixation des prix, les projets de commercialisation et la force financière de leurs concurrents, ce qui en fait donc un utile renseignement commercial. L'expert du Commissaire a fait valoir que puisque la demande ne réclamait pas un état détaillé de ce qui a été accordé au plus important titulaire de quota selon la variété, le pays d'origine et la qualité des fromages ni le nom du titulaire, les renseigne- ments qui seraient communiqués ne contiendraient rien de nouveau; ce témoignage a été insuffisant pour réfuter la preuve de l'intimé. La nature des renseignements est telle qu'ils ne peuvent servir qu'aux concurrents, aux fournisseurs et aux clients du tiers.
La preuve n'a toutefois pas été faite de l'exception prévue à l'alinéa 20(1)d). Cet alinéa exige la preuve que la communica tion des renseignements recherchés risquerait vraisemblable- ment d'entraver les négociations menées par le tiers en vue de contrats, mises à part ses activités commerciales journalières. On a bien présenté quelques éléments de preuve sur les consé- quences possibles de la divulgation sur les contrats internatio- naux en général, et on a soulevé des problèmes hypothétiques au sujet des fournisseurs étrangers et des clients locaux, mais ils sont insuffisants pour établir que la divulgation des renseigne- ments en cause risquerait vraisemblablement d'entraver des négociations ou des contrats particuliers.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur l'accès à l'information, S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, annexe I, art. 2, 20, 42(1)a).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Maislin Industries Limited c. Ministre de l'Industrie et du Commerce, [1984] 1 C.F. 939; (1984), 10 D.L.R. (4th) 417; 8 Admin. L.R. 305; 27 B.L.R. 84 (1 f° inst.); Air Atonabee Ltd. c. Canada (Ministre des Transports) (1989), 27 C.P.R. (3d) 180; 27 F.T.R. 194 (C.F. inst.); Canada Packers Inc. c. Canada (Ministre de l'Agriculture), [1989] 1 C.F. 47; (1988), 53 D.L.R. (4th) 246; 32 Admin. L.R. 178; 26 C.P.R. (3d) 407; 87 N.R. 8 (C.A.); Saint John Shipbuilding Ltd. c. Canada (Minis- tre des Approvisionnements et Services) (1990), 67 D.L.R. (4th) 315 (C.A.F.).
DÉCISION EXAMINÉE:
National Parks and Conservation Ass'n. v. Morton, 498 F 2d 765 (C.A.D.C. 1974).
DÉCISION CITÉE:
Noël c. Administration de pilotage des Grands Lacs Ltée, [1988] 2 C.F. 77; (1987), 45 D.L.R. (4th) 127; 20 F.T.R. 257 (T.D.).
AVOCATS:
M. L. Phelan, Gregory O. Somers et Paul B.
Tetro pour le requérant.
Bruce Russell pour l'intimé, le ministre des
Affaires extérieures.
Donald A. Kubesh pour le tiers intimé.
PROCUREURS:
Osier, Hoskin & Harcourt, Ottawa, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé, le ministre des Affaires extérieures. Stikeman, Elliott, Ottawa, pour le tiers intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE DENAULT: Le requérant, le Commis- saire à l'information du Canada exerce, avec le consentement du plaignant, l'honorable Allan McKinnon, un recours en révision du refus du Ministère intimé d'accéder à la demande d'accès à l'information présentée par le plaignant le 16 juil- let 1986. Le renseignement que l'on voulait obtenir du ministère des Affaires extérieures était le poids, en kilogrammes, du quota annuel et individuel le plus élevé d'importation de fromage étranger attri- bué à une entreprise ou à un particulier en 1985.
Le Ministère intimé a rejeté la demande en opposant que les renseignements sollicités étaient exempts de communication en vertu des alinéas 20(1)b) et c) de la Loi sur l'accès à l'information, S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, annexe 1. Le Ministère a fait remarquer qu'à deux reprises déjà, il avait refusé la communication de renseignements semblables et que le Commissaire à l'information avait reconnu que les renseignements échappaient à la communication en vertu des alinéas 20(1)b) et c) de la Loi. Il a ajouté que la même chose s'appliquait aux demandes de renseignements rela-
tives aux chiffres visant les quotas d'importation de poulets et de dindes. Le passage suivant de la lettre de refus du Ministère est des plus révélatri- ces sur les motifs du refus:
[TRADUCTION] De la même façon, lorsqu'il a été saisi d'une demande de communication «des noms et adresses des particu- liers et des compagnies à qui ont été délivrés des permis d'importer au Canada des fromages étrangers au-delà de 25 000 kilogrammes, depuis janvier 1985 jusqu'à maintenant», le Ministère a conclu que ces renseignements précis (nonob- stant le caractère public de la liste complète des titulaires de quota d'importation de fromage) étaient exempts de communi cation en vertu des alinéas 20(1)b) et c). Dans ce cas, (votre dossier no. 3100-0541) M. George Hamelin, en sa qualité de Commissaire adjoint à l'information, a conclu qu'il «reconnais- sait que les renseignements protégés étaient visés par les alinéas 20(1)b) et c) de la Loi. L'exemption étant impérative dans de telles circonstances, il a proposé conséquemment de rejeter la plainte comme étant mal fondée.»
Les dispositions sur lesquelles s'est appuyé le Ministère protègent les tiers contre la communica tion, par des institutions fédérales, de renseigne- ments confidentiels qui nuiraient à leurs intérêts. En l'espèce, il a été établi que le poids relatif aux quotas d'importation de fromage étranger imposés aux entreprises canadiennes n'avait pas été rendu public par le gouvernement dans le passé, et que ces quotas sont fixés en fonction du pourcentage de l'importation globale de fromage que représentait chaque importateur au cours des années 1973 et 1974. Les quotas à l'importation ont été établis en 1975, lorsque l'ensemble des quotas d'importation de fromage s'élevait à 50 millions de livres. Ce total a été divisé entre 198 entreprises qui faisaient l'importation et il visait quelque 200 variétés de fromages provenant de 25 pays différents. Depuis cette époque, des modifications annuelles se sont trouvées à modifier le poids total des importations, le nombre des importateurs et celui des variétés de fromages importés. En vertu du système de quotas, un importateur est tenu d'importer au cours d'une année donnée au moins 95 % de son quota, afin d'éviter la réduction de ce dernier l'année suivante. Les quotas non atteints ont donné lieu à de nom- breuses réductions et ont permis à de nouveaux importateurs de recevoir leurs propres quotas. Par conséquent, on compte actuellement quelque 250 importateurs. Cependant, certains importateurs ont réussi à atteindre leurs quotas année après année, et dans ce cas ceux-ci restent égaux à la part du marché des importateurs en 1973 et en 1974, déterminée selon les renseignements fournis au gouvernement lorsque les quotas de fromage
sont entrés en vigueur. La seule réduction qui aurait eu lieu dans de tels cas est celle qui a été imposée en 1979, lorsque le gouvernement a réduit unilatéralement de 10 % tous les quotas établis. En l'espèce, le ministère des Affaires extérieures, dont la Direction générale des relations commerciales spéciales (DGRCS) est responsable du calcul et de la répartition des quotas, a refusé de communiquer les renseignements demandés au motif qu'il s'agis- sait de renseignements confidentiels entre lui- même et un tiers, et que c'étaient des renseigne- ments commerciaux dont la divulgation nuirait au tiers en cause.
Le Commissaire à l'information n'a pas consi- déré fondés selon la Loi les motifs du refus opposé par le Ministère. Il a donc avisé le tiers de ses conclusions et l'a informé de son droit de faire des observations au Commissaire à l'information à l'égard de la divulgation. C'est ce qu'a fait le tiers, en soulignant que les renseignements recherchés étaient exempts de communication en vertu de l'alinéa 20(1)d) de la Loi, ainsi que des alinéas 20b) et c) comme l'avait laissé entendre le Ministère.
Le Commissaire a toutefois maintenu que l'exemption de communication n'était pas fondée. Il a donc été recommandé que les renseignements soient rendus publics au plus tard le 16 mars 1988. Lorsqu'il n'a pas été donné suite à la recommanda- tion, le Commissaire a écrit au plaignant et il a obtenu son consentement pour demander, en appli cation de l'alinéa 42(1)a) de la Loi, la révision judiciaire du refus du Ministère de divulguer les renseignements litigieux.
La question est une simple question d'interpréta- tion législative. Les renseignements demandés font-ils partie des exceptions prévues aux alinéas 20(1)b),c) et d) de la Loi?
LA LOI
Les dispositions pertinentes de la Loi sur l'accès à l'information sont libellées comme suit:
2. (1) La présente loi a pour objet d'élargir l'accès aux documents de l'administration fédérale en consacrant le prin- cipe du droit du public à leur communication, les exceptions indispensables à ce droit étant précises et limitées et les déci- sions quant à la communication étant susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif.
20. (1) Le responsable d'une institution fédérale est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article, de refu- ser la communication de documents contenant:
a) des secrets industriels de tiers;
b) des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques fournis à une institution fédérale par un tiers, qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme tels de façon constante par ce tiers;
c) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisem- blablement de causer des pertes ou profits financiers appré- ciables à un tiers ou de nuire à sa compétitivité;
d) des renseignements dont la divulgation risquerait vrai- semblablement d'entraver des négociations menées par un tiers en vue de contrats ou à d'autres fins.
(6) Le responsable d'une institution fédérale peut communi- quer, en tout ou en partie, tout document contenant les rensei- gnements visés aux alinéas (1)b), c) et d) pour des raisons d'intérêt public concernant la santé et la sécurité publiques ainsi que la protection de l'environnement; les raisons d'intérêt public doivent de plus justifier nettement les conséquences éventuelles de la communication pour un tiers: pertes ou profits financiers, atteintes à sa compétitivité ou entraves aux négocia- tions qu'il mène en vue de contrats ou à d'autres fins.
La Loi sur l'accès à l'information a reçu une interprétation libérale et fondée sur son objet, et les tribunaux se laissent invariablement guider par l'objet de la Loi exposé à l'article 2. Dans l'arrêt Maislin Industries Limited c. Ministre de l'Indus- trie et du Commerce, [1984] 1 C.F. 939 (l fe inst.), à la page 943, le juge en chef adjoint Jerome a dit ce qui suit:
... puisque le principe de base de ces lois est de codifier le droit du public à l'accès aux documents du gouvernement, deux conséquences en découlent: d'abord, les tribunaux ne doivent pas neutraliser ce droit sauf pour les motifs les plus évidents, de sorte qu'en cas de doute, il faut permettre la communication; deuxièmement, le fardeau de convaincre la cour doit incomber à la partie qui s'oppose à la communication, qu'il s'agisse, comme en l'espèce, d'une société privée ou d'un citoyen ou, dans d'autres cas, du gouvernement.
Ainsi donc en l'espèce, il appartient au Ministère intimé et au tiers de démontrer pour les motifs les plus évidents que les renseignements recherchés sont exempts de communication en vertu des ali- néas 20(1)b),c) ou d). Je vais traiter tour à tour de chacune de ces dispositions.
L'alinéa 20(1)b)
La bonne façon d'aborder l'interprétation de l'alinéa 20(1)b) a été exposée dans l'arrêt Air Atonabee Ltd. c. Canada (Ministre des Trans-
ports) (1989), 27 C.P.R. (3d) 180 (C.F. 1"e inst.), à la page 197, dans lequel le juge MacKay a fait les commentaires suivants:
Il ressort nettement de la jurisprudence, et notamment des précédents invoqués par les deux avocats relativement à l'alinéa 20(1)b), que pour être soustraits à l'obligation de communica tion en vertu de cet article, les renseignements en question doivent répondre aux quatre critères suivants, c'est-à-dire qu'il doit s'agir
1) de renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques,
2) de nature confidentielle,
3) fournis à une institution fédérale par un tiers
4) et qui sont traités comme tels de façon constante par le tiers.
Le juge MacKay a ensuite étudié en profondeur l'application de chacune de ces exigences à l'af- faire dont il était saisi. Au cours de son analyse, il a fait plusieurs observations qui seront un guide utile chaque fois que se présentera l'interprétation de l'alinéa 20(1)b). Ainsi on a statué que des renseignements sont considérés être financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques lorsqu'ils se rapportent à des éléments communément dési- gnés comme tels, conformément à la définition lexicographique ordinaire de ces expressions. À cet égard, je conclus sans hésiter que le poids relatif aux quotas d'importation est un renseignement commercial au sens de l'alinéa 20(1)b). De plus, même si l'on accordait à ces termes un sens plus restreint, et si on y voyait l'exigence que les rensei- gnements recherchés aient une valeur marchande indépendante, un point de vue explicitement rejeté dans l'arrêt Air Atonabee, j'estime en raison de l'affidavit du tiers que la quantité correspondant à son quota possède bien une valeur indépendante et constitue un renseignement commercial même au sens le plus restreint du mot. L'offre illicite qui a été faite au tiers en vue de la vente ou de la location à long terme de la partie inutilisée de son quota appuie cette conclusion.
Quant au second critère, c'est-à-dire la nature confidentielle des renseignements, on trouve dans l'arrêt Air Atonabee une étude complète de la jurisprudence sur cette question, et le juge
MacKay conclut en faisant les commentaires sui- vants à la page 202:
Cet examen m'amène à considérer ce qui suit comme un exposé détaillé de l'opinion formulée par le juge en chef adjoint Jerome dans le jugement Montana, précité [Bande indienne de Mon- tana c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord
canadien), [1989] 1 C.F. 143], dans lequel celui-ci a déclaré que la question de savoir si un renseignement est de nature confidentielle dépend de son contenu, de son objet et des circonstances entourant sa préparation et sa communication, c'est-à-dire:
(a) le contenu du document est tel que les renseignements qu'il contient ne peuvent être obtenus de sources auxquelles le public a autrement accès, ou ne peuvent être obtenus par observation ou par étude indépendante par un simple citoyen agissant de son propre chef;
(b) les renseignements doivent avoir été transmis confidentiel- lement avec l'assurance raisonnable qu'ils ne seront pas divulgués;
(c) les renseignements doivent être communiqués, que ce soit parce que la loi l'exige ou parce qu'ils sont fournis gratuite- ment, dans le cadre d'une relation de confiance entre l'adminis- tration et la personne qui les fournit ou dans le cadre d'une relation qui n'est pas contraire à l'intérêt public, et la communi cation des renseignements confidentiels doit favoriser cette relation dans l'intérêt du public.
Dans la mesure ces remarques ne sont pas considérées comme des conditions qui s'ajoutent à celles de la Loi, je les trouve utiles lorsqu'il s'agit de déterminer si les renseignements recherchés en l'espèce sont ou ne sont pas confidentiels. Je suis convaincu que ces renseignements ne sont pas par ailleurs disponibles au public. Je suis également convaincu que les renseignements du marché sur les importations de fromage au cours des années 1973 et 1974, qui ont été fournis au gouvernement et en fonction desquels tous les quotas initiaux et subséquents ont été établis, ont été communiqués dans l'attente raisonnable qu'on les tiendrait confi- dentiels. De fait, le Commissaire n'a énergique- ment contesté aucun de ces points. Il a toutefois laissé entendre que parce que les renseignements demandés sont fournis par le tiers dans le but de continuer à se voir attribuer un quota d'importa- tion, et parce que les renseignements en cause représentent donc pour ce dernier un avantage financier considérable, ils ne sont par conséquent pas fournis dans le cadre de rapports dont l'intérêt public exige qu'ils soient favorisés par le maintien du caractère confidentiel des lignes de communica tion. En d'autres termes, puisque le système de contingentement lui-même incite le tiers à déclarer ses importations année après année et à prouver qu'il a atteint son quota, nul n'est besoin pour le gouvernement de garder le secret. En effet, celui-ci n'a pas à craindre que le tiers soit moins franc et plus réservé à l'avenir simplement parce que le gouvernement a violé le caractère confidentiel des renseignements qui lui ont tout d'abord été fournis,
car l'intérêt qu'a le tiers à maintenir son quota est garant de son honnêteté.
Vue sous son angle véritable, cette partie de l'argument du requérant laisse à désirer. En effet, elle appuie les arrêts qui ont rejeté la doctrine américaine exposée dans l'arrêt National Parks and Conservation Ass'n. v. Morton, 498 F 2d. 765 (C.A.D.C. 1974) la page 770] selon laquelle les renseignements commerciaux et financiers sont confidentiels si leur divulgation devait 41) com- promettre la capacité du gouvernement d'obtenir à l'avenir des renseignements nécessaires; ou (2) nuire sérieusement à la compétitivité de la per- sonne de qui les renseignements étaient obtenus»: (Air Atonabee Ltd. c. Canada (Ministre des Transports) (1989), 27 C.P.R. (3d) 180 (C.F. 1" inst.), aux pages 199 et 200; Noël c. Administra tion de pilotage des Grands Lacs Ltée, [1988] 2 C.F. 77 (1" inst.).) Ce que le Commissaire n'a pas saisi, c'est que l'intérêt public qu'il y a à encoura- ger les communications confidentielles n'est qu'un indice de la nature confidentielle des renseigne- ments et non une condition. L'approche des améri- cains a l'avantage de reconnaître clairement que la non-divulgation est une responsabilité que se par- tagent celui qui fournit les renseignements et celui qui les reçoit, et qu'en tant que tel, chaque côté peut avoir des motifs légitimes de préserver le caractère confidentiel des renseignements. Selon cette théorie il suffit, pour démontrer le caractère confidentiel des renseignements, d'établir que les intérêts de l'une ou l'autre des parties l'exigent. Je serais d'accord pour dire que la conclusion en faveur du caractère confidentiel des renseigne- ments n'est pas moins objective parce qu'une seule des parties y trouve son intérêt. Ce qu'il faut déterminer objectivement, c'est si les renseigne- ments ont été obtenus contre la promesse explicite ou implicite de les tenir confidentiels. Le troisième critère énoncé par le juge MacKay relativement au caractère confidentiel des renseignements prévoit simplement la possibilité que l'avantage pour le gouvernement, ou pour l'intérêt public comme il dit, de préserver le caractère confidentiel des ren- seignements puisse être légitimement considéré comme un facteur quand il s'agit d'établir si un renseignement donné est de nature confidentielle. Pourvu que ce critère soit un indicateur et non une condition du caractère confidentiel des renseigne- ments, on peut sans inconvénient le conserver comme facteur à considérer.
En tout état de cause, l'intérêt public peut fort bien demander, en l'espèce, que les rapports de confidentialité soient préservés; bien que l'obten- tion des renseignements nécessaires à l'avenir puisse ne pas dépendre des bonnes relations entre le gouvernement et les importateurs, il va tout de même dans l'intérêt public de cultiver de bonnes relations comme telles avec les personnes respec- tueuses de la loi. Il est aussi dans l'intérêt général de s'assurer que le gouvernement agit de bonne foi à l'égard des renseignements qu'on lui confie. Le Commissaire à l'information prétend que le gou- vernement dit ce qui suit: «Comme nous avons établi un système de contingentement d'après des renseignements que vous nous avez donnés confi- dentiellement, et comme ce système lui-même garantit votre collaboration à l'avenir grâce aux incitants économiques et à la force coercitive de la loi, nous pouvons en toute impunité abuser de votre confiance; ainsi, sommes-nous justifiés et avons-nous mandat de le faire aux termes de la Loi sur l'accès à l'information.» Je ne crois pas que la Loi exige rien de semblable. J'estime qu'étant donné l'obligation du gouvernement d'agir de bonne foi, il est donc dans l'intérêt public qu'il préserve le caractère confidentiel de ses rapports avec le tiers. Cela ne signifie nullement que le gouvernement sera toujours lié par son engage ment d'agir confidentiellement, la Loi prévoyant expressément au paragraphe 20(6) des exceptions à cette règle, mais je suis convaincu que l'alinéa 20(1)b) exige que le gouvernement se considère lié par son engagement à préserver le caractère confi- dentiel des renseignements financiers, commer- ciaux, scientifiques ou techniques que lui a confié un tiers chaque fois que ce dernier a traité ces renseignements comme confidentiels de façon constante. Cette règle s'applique, que l'engage- ment ait été pris avant ou après l'entrée en vigueur de la Loi sur l'accès à l'information. La façon régulière dont doit s'y prendre le plaignant, ou le Commissaire, pour contester la validité d'un tel engagement, c'est d'invoquer les exceptions pré- vues au paragraphe 20(6). De cette façon, il est possible de peser les arguments pour et contre la communication. Prétendre le contraire, et conclure que les promesses de respecter le caractère confi- dentiel des renseignements sont totalement dépour- vues de valeur étant donné la Loi, c'est donner à celle-ci une interprétation dogmatique plutôt que rationnelle, et partant, une interprétation qui répu- gne au droit.
Les exceptions énoncées au paragraphe 20(6), précité, dégagent le gouvernement de sa promesse de non-divulgation pour des raisons d'intérêt public «concernant la santé et la sécurité publiques ainsi que la protection de l'environnement». Or le Commissaire n'a invoqué en l'espèce aucune de ces raisons valides d'intérêt public. De fait, la commu nication des renseignements recherchés ferait du tiers le seul importateur de fromage dont le quota est rendu public, portant ainsi atteinte à sa compé- titivité à l'égard des autres importateurs. Si aucun autre quota n'est révélé, il y a donc des raisons d'autant plus grandes de ne pas différencier le tiers de cette façon. J'estime que ce genre d'intervention du gouvernement dans le marché va tout à fait contre l'intérêt public, et que c'est une autre raison qui milite en faveur du caractère confiden- tiel des relations qu'entretient le gouvernement avec le tiers. Je rejette donc l'argument du requé- rant selon lequel les renseignements demandés ne sont pas confidentiels parce que l'intérêt public n'exige pas de favoriser des rapports confidentiels. Mon rejet se fonde sur ces deux motifs: a) l'intérêt public qu'il y a à encourager les rapports confiden- tiels est simplement un indicateur et non une condition de la confidentialité; et b) il est dans l'intérêt général de préserver le caractère confiden- tiel des rapports concernés puisque i) on a promis que les renseignements resteraient confidentiels; et ii) d'autres rapports semblables avec d'autres importateurs restent confidentiels, et dans ces cir- constances, la divulgation des renseignements recherchés équivaudrait à une intervention injuste dans le marché de la part du gouvernement.
Étant donné tout ce qui précède, je suis con- vaincu que les intimés ont établi au terme d'un examen objectif que les renseignements requis sont de nature confidentielle.
Le Commissaire a fondé ses arguments tirés de l'alinéa 20(1)b) sur le fait que les renseignements recherchés ne sont pas des renseignements «fournis à une institution fédérale par un tiers». C'est le troisième critère énoncé par le juge MacKay dans l'arrêt Air Atonabee, précité. Le Commissaire a fait valoir que les renseignements fournis en 1975 ne sont pas les renseignements que l'on demande en l'espèce. Elle a exposé ce qui suit:
[TRADUCTION] Le quota total alloué en 1985 n'est pas le même renseignement fourni aux importateurs au DGRCS à l'égard de leur «prestation» en 1973 et en 1974. La réduction générale de
l'ensemble des quotas en 1979, la modification des variétés choisies par les importateurs, et les autres changements dans les participants et la demande prouvent que le marché est dynami- que et subit de constantes fluctuations.
Ce qui précède ne suffit toutefois pas à réfuter la preuve des intimés selon laquelle: les titulaires de quotas importants peu près les vingt importa- teurs principaux) ont pu maintenir leurs quotas et leur part du marché à un niveau constant depuis 1975, sauf pour ce qui est de la réduction de 1979 dont on a parlé plus haut; ces quotas étaient fondés sur des renseignements confidentiels sur les impor tations des importateurs en 1973 et 1974; et ni les renseignements reçus à l'origine par le gouverne- ment ni aucune des allocations de quotas auxquel- les ces renseignements ont donné lieu par la suite, ont jamais été communiqués au public ou à aucune personne physique ou morale, si ce n'est celles qui ont fourni les renseignements en premier lieu. Selon l'affidavit non contesté du tiers, sa propre part du quota total est restée inchangée depuis 1975 jusqu'à aujourd'hui, de sorte que la divulga- tion du quota qui lui a été attribué au cours d'une année donnée serait aussi préjudiciable que la communication de son allocation originale ou actuelle. À mon sens, les renseignements recher- chés (le quota le plus élevé en 1985) et les rensei- gnements fournis par le tiers en 1975, sont essen- tiellement les mêmes renseignements, et la divulgation de l'un ou l'autre équivaudrait à la violation de l'alinéa 20(1)b). Le caractère confi- dentiel de la valeur numérique du quota de 1985 est aussi étayé par la méthode selon laquelle elle a été reçue. Bien que ce chiffre ait été calculé en fonction des quotas précédents du tiers en remon- tant jusqu'à 1975, il est transmis au gouvernement au moyen d'une connexion d'ordinateur qui pré- serve le caractère confidentiel du système. Chaque importateur a reçu un numéro de dossier qui lui donne accès à son quota versé à l'ordinateur. Cha- cune de ses importations de fromage est ajoutée à ses importations précédentes jusqu'à ce qu'il ait atteint son quota, moment à partir duquel les permis d'importation ne lui sont plus délivrés. Le caractère confidentiel des numéros de dossier des importateurs et de leur capacité de remplir leur quota annuel est le complément du caractère confi- dentiel attaché aux renseignements originaux affé- rents au marché au cours de 1973 et 1974, et sur lesquels se fondent les quotas assignés. Les faits m'indiquent clairement que les renseignements
sont fournis par le tiers à la Direction générale des relations commerciales spéciales, direction du ministère des Affaires extérieures, qui est une institution fédérale au sens de la Loi; j'estime donc qu'il y a respect du troisième critère.
Pour ce qui est du dernier critère visé à l'ali- néa 20(1)b), la preuve démontre amplement que le tiers a lui-même traité les renseignements recherchés de façon constante comme étant confi- dentiels. L'affidavit de Robert Bertrand, fonction- naire à la Direction générale des relations com- merciales spéciales, établit que tous les importateurs gardent jalousement secrets les chif- fres afférents aux quotas qui leur sont alloués, ces renseignements étant considérés [TRADUCTION] «confidentiels et très délicats». Cela est aussi con firmé par l'affidavit de Peter Dawes, ex-premier dirigeant de la Canadian Importers Associations! Association des Importateurs Canadiens. Tandis qu'il exerçait ses fonctions au sein de cette associa tion, pendant plus de seize ans, M. Dawes a parti- cipé à la constitution et a été le directeur exécutif du Conseil canadien des fromages internationaux, dont la création représente la riposte directe à l'imposition par le gouvernement de quotas à l'im- portation des fromages étrangers. Dans son affida vit, M. Dawes affirme notamment ce qui suit:
[TRADUCTION] Les renseignements sur le poids des quotas attribués à chacun des importateurs sont si délicats que même les frais d'exploitation du Conseil, fondés sur le poids de chacun de ces quotas, ont été autoévalués et transmis à un compte en fiducie administré par un conseiller juridique, de sorte qu'ils sont protégés par le caractère confidentiel des communications entre procureur-client. Ceci s'est fait à la suite des directives unanimes de la part des membres fondateurs du Conseil.
Les importateurs considèrent que les renseignements sur les niveaux réels des quotas attribués à une compagnie, exprimés en poids, sont hautement confidentiels et une question d'impor- tance stratégique pour plusieurs raisons, qui relèvent surtout de considérations d'ordre concurrentiel et pécuniaire.
M. Dawes énumère ensuite dans son affidavit cer- taines de ces considérations, mais j'estime qu'en l'absence de toute suggestion de la part du requé- rant que le tiers, ou quelqu'autre importateur, a jamais fait connaître les chiffres afférents à son quota, ce qui précède suffit à établir que le dernier critère exposé à l'alinéa 20(1)b) a été respecté. En effet, cela confirme l'affidavit non contesté du tiers lui-même. Je suis donc amené à conclure que les intimés ont démontré que les renseignements
recherchés relèvent de l'exception visée à l'alinéa 20(1)b), et que cela étant, le refus du Ministère de divulguer les renseignements litigieux est justifié.
Cette conclusion suffit en elle-même à régler cette question, mais j'estime également que les intimés ont prouvé que les renseignements en cause relèvent aussi de l'alinéa 20(1)c) de la Loi.
L'alinéa 20(1)c)
Les parties conviennent qu'en vertu de l'alinéa 20(1)c), la partie qui s'oppose à la divulgation doit prouver que celle-ci risquerait vraisemblablement de lui causer un préjudice. Ce critère a été établi dans l'arrêt Canada Packers Inc. c. Canada (Ministre de l'Agriculture), [1989] 1 C.F. 47 (C.A.), aux pages 59 et 60 et confirmé dans l'arrêt Saint John Shipbuilding Ltd. c. Canada (Ministre des Approvisionnements et Services) (1990), 67 D.L.R. (4th) 315 (C.A.F.), dans lequel le juge Hugessen, J.C.A., dit à la page 316:
Lorsque le juge a appliqué les alinéas 20(1)c) et d) au cas dont il a été saisi, il [24 F.T.R. 32, 12 A.C.W.S. (3d) 51] a suivi les principes directeurs fixés par le juge MacGuigan, J.C.A. pour la présente Cour dans l'arrêt Canada Packers Inc. c. Canada (Ministre de l'Agriculture) 53 D.L.R. (4th) 246, 26 C.P.R. (3d) 407, [1989] 1 F.C. 47, il a déclaré à la p. 255: ... j'estime qu'on doit interpréter les exceptions au droit d'ac- cès figurant aux alinéas c) et d) comme exigeant un risque vraisemblable de préjudice probable. (En italique dans le texte original.)
La requérante nous invite à dire qu'il s'agit d'une erreur, tout d'abord parce que l'alinéa c) tout en exprimant la notion de préjudice (ou de tort) n'établit pas un seuil aussi élevé de probabilité et, deuxièmement, parce que l'alinéa d) parle seule- ment d'entrave et n'impose pas de faire la preuve d'un préjudice du tout. Nous ne sommes pas de cet avis. L'établissement d'un seuil de préjudice probable semble, selon nous, découler néces- sairement du contexte, non seulement de l'article mais de l'ensemble de la Loi et il s'agit de la bonne interprétation que l'on doit donner au texte français «risquerait vraisemblablement de causer des pertes».
Ainsi, bien que la loi soit claire, et que le critère applicable ne soit pas contesté, la détermination de ce qui constitue «un risque vraisemblable de préju- dice probable» soulèvera invariablement de sérieu- ses divergences d'opinion, comme c'est le cas en l'espèce.
Les arguments des intimés sont exposés dans les affidavits de M. Dawes et de «M. Tiers», président du tiers et son ancien contrôleur, secrétaire-tréso- rier et directeur financier. Le nom du tiers et celui
de son déposant sont confidentiels et n'apparais- sent pas dans la documentation publique fournie avec cette demande. M. Dawes a fait valoir que si le poids du quota le plus élevé accordé au cours d'une année quelconque était rendu public, d'au- tres importateurs et des parties au courant seraient aussitôt capables de déceler quelle compagnie a reçu tel quota, car les titulaires des quotas d'im- portation les plus importants sont connus de leurs concurrents. Il a aussi indiqué que puisque la demande de fromages importés surpasse toujours l'offre, les importateurs sont toujours pressés ardemment par leurs clients (les détaillants, les grossistes et les restaurants) d'utiliser l'intégralité de leur quota pour répondre à une demande parti- culière plutôt que de donner suite à leurs propres projets. Il est donc important que le poids du quota attribué à un importateur ne soit pas connu de ses clients. De plus, en tenant secret son quota d'im- portation, un grand importateur pourra choisir et choisira de répartir son quota entre plusieurs petits clients ou en faveur d'un seul client exclusivement pour certains fromages; si le poids de son quota était connu, il ne pourrait négocier avec autant de succès avec ses clients. J'estime que ces désavanta- ges à l'égard des clients des importateurs seraient encore plus prononcés dans les circonstances un certain importateur se trouverait être le seul dont le quota, exprimé en poids, serait connu.
Outre les désavantages à l'égard des clients, l'affidavit de M. Dawes établit que la connaissance du poids du quota attribué à un concurrent consti- tue [TRADUCTION] «de précieux renseignements commerciaux qui peuvent servir utilement à déter- miner la structure des prix et les stratégies de commercialisation d'un concurrent». Étant donné les renseignements actuels sur le marché, on sou- tient que la connaissance du quota alloué à chacun des importateurs est le seul renseignement qui manque pour être en mesure d'estimer le niveau des profits et de discerner les stratégies de fixation des prix, les projets de commercialisation et la force financière des concurrents. L'une des conclu sions de M. Dawes est la suivante:
[TRADUCTION] ... la divulgation des niveaux des quotas des importateurs individuels, ou du titulaire du quota le plus élevé au Canada au cours d'une année quelconque, causerait à cet importateur des pertes financières. La distinction importante qui ressort des faits de l'espèce, c'est que les pertes et le préjudice subis seront de longue durée:—non pas en ce qui concerne les produits vendus par la compagnie, mais à l'égard
de la compétitivité de la compagnie dont les données confiden- tielles sont divulguées une fois pour toutes, car le quota de la compagnie relativement à divers poids et variétés, sous le régime de réglementation actuel, ne changera vraisemblable- ment pas dans un avenir prévisible.
L'affidavit du président du tiers confirme les exemples de préjudice probable que causerait la divulgation des renseignements recherchés, et il montre de façon précise comment les concurrents, les fournisseurs et les clients pourraient utiliser ces renseignements au détriment du tiers.
Par contraste, le Commissaire a présenté le témoignage d'expert de Thomas C. Greig, associé responsable du Groupe Conseils en commerce international de Price Waterhouse à Toronto, et ancien sous-ministre adjoint des programmes douaniers au ministère fédéral du Revenu national. M. Greig a aussi occupé les fonctions de sous- ministre adjoint (Finances) au ministère de la Défense nationale, et il a été vice-président exécu- tif (Finances) auprès de M. Loeb Ltd., distribu- teur grossiste d'aliments. Après avoir étudié les affidavits des intimés, M. Greig a conclu que la divulgation des renseignements recherchés [TRA- DUCTION] «ne nuirait pas à la compétitivité des parties qui participent au marché du fromage, ni ne leur causerait des pertes ou profits financiers». Au coeur des conclusions de M. Greig, se trouve son opinion que dans un commerce comme celui de l'importation du fromage, les participants les plus considérables ont une idée assez juste de l'identité de leurs principaux concurrents et de la quantité des importations de ces derniers. Il a conclu que puisque la demande de renseignements ne récla- mait pas un état détaillé de ce qui a été accordé au plus important titulaire de quota selon la variété, le pays d'origine et la qualité des fromages, le nom du titulaire et les renseignements qui seraient com- muniqués ne pourraient pas être utilisés comme le suggèrent les déposants intimés. M. Greig a aussi soutenu que ses conclusions resteraient inchangées même si le nom du titulaire de quota le plus important était révélé, et de fait il était bien évident à l'audience que toutes les parties connais- saient parfaitement l'identité du tiers. Selon M. Greig, il n'y a aucun mal à communiquer les renseignements demandés car, somme toute, ils ne contiennent rien de nouveau, rien qui nuirait de façon frappante à la compétitivité du tiers.
Après avoir fait un examen approfondi de la preuve, j'éprouve quelque sympathie pour la posi tion de M. Greig, mais je n'estime pas qu'elle réfute suffisamment la preuve faite par les dépo- sants intimés. Par exemple, elle ne soulève aucun doute qui pourrait aller en faveur du requérant. De fait, bien que les renseignements demandés puis- sent ne pas être aussi révélateurs ni aussi nuisibles au tiers que ne l'auraient été des demandes de renseignements antérieures en l'espèce si on y avait accédé, il n'en reste pas moins qu'il s'agit de renseignements qui, de par leur nature, ne peuvent servir qu'aux concurrents, aux fournisseurs et aux clients du tiers. Je ne mets pas en question les motifs pour lesquels le plaignant a fait la demande, et de fait ces questions sont rarement pertinentes dans les demandes d'accès à l'information. Mais la nature des renseignements recherchés est telle qu'en dernière analyse, je dois conclure que la meilleure preuve est celle que les intimés ont pré- sentée. Étant donné la nature des renseignements litigieux, leurs utilisations possibles, et la façon dont ils ont toujours été tenus secrets, je conclus que les intimés ont établi l'existence d'un risque vraisemblable de préjudice probable s'ils devaient être divulgués. Pour ces motifs, je conclus que les intimés se sont déchargés de l'obligation qui était la leur de prouver que les renseignements deman dés échappent à la communication en vertu de l'alinéa 20(1)c) de la Loi.
L'alinéa 20(1)d)
Pour ce qui est du dernier moyen que l'on a fait valoir, l'exception visée à l'alinéa 20(1)d) de la Loi, que seul le tiers a soulevé en ma présence, je dois expliquer brièvement qu'il n'en a pas fait la preuve de façon satisfaisante. L'alinéa 20(1)d) exige la preuve que la communication des rensei- gnements recherchés risquerait vraisemblablement d'entraver les négociations menées par le tiers en vue de contrats, mises à part ses activités commer- ciales journalières. On s'appuie sur la force des mots «interfere with» dans la version anglaise de la Loi, reflétée par le verbe «entraver» dans la version française. (Voir l'arrêt Saint John Shipbuilding Ltd. c. Canada (Ministre des Approvisionnements et Services) (1990), 67 D.L.R. (4th) 315 (C.A.F.). Comme l'a dit le juge MacGuigan, J.C.A., dans l'arrêt Canada Packers Inc. c. Canada (Ministre de l'Agriculture), [1989] 1 C.F. 47 (C.A.), à la page 55:
Pour ce qui est de l'alinéa 20(1)d), je souscris à l'argument du Commissaire à l'information selon lequel cet alinéa porte sur des cas contractuels qui ne sont pas visés à l'alinéa 20(1)c), et, en conséquence, ne s'applique pas aux ventes quotidiennes, qui sont considérables dans l'industrie intérieure de la viande. Toutefois, il peut être quelque peu pertinent pour ce qui est des ventes internationales ...
Comme la présente affaire porte sur le com merce d'importation des fromages, la mise en garde du juge MacGuigan au sujet des ventes internationales ne s'applique pas. L'affidavit de M. Dawes contient bien quelques éléments de preuve sur les conséquences possibles de la divulgation sur les contrats internationaux en général, et dans son affidavit, le tiers a soulevé des problèmes hypothé- tiques au sujet des fournisseurs étrangers et des clients locaux, mais ils sont insuffisants pour éta- blir que la divulgation des renseignements en cause risquerait vraisemblablement d'entraver des négo- ciations ou des contrats particuliers. Conséquem- ment, l'existence des motifs d'exemption visés à l'alinéa 20(1)d) n'a pas été prouvée.
Cependant, comme les intimés ont démontré que les renseignements recherchés échappent à la com munication en vertu des alinéas 20(1)b) et c) de la Loi, cette demande et l'ordonnance sollicitée par le Commissaire à l'information doivent être rejetées.
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