T-895-88
Le Commissaire à l'information du Canada
(requérant)
c.
Le ministre des Affaires extérieures et un tiers
(intimés)
RÉPERTORIÉ: CANADA (COMMISSAIRE À L'INFORMATION) C.
CANADA (MINISTRE DES AFFAIRES EXTÉRIEURES) (1 1e INST.)
Section de première instance, juge Denault—
Ottawa, 21 mars et 5 juillet 1990.
Accès à l'information — Demande d'annulation du refus
d'accéder à la recommandation du Commissaire de révéler le
quota annuel et individuel le plus élevé d'importation de
fromage étranger — Rejet de la demande — Renseignements
exemptés en vertu de l'art. 20(1)b) et c) de la Loi sur l'accès à
l'information — Respect des quatre critères exigés à
l'art. 20(1)6) — L'établissement d'un risque vraisemblable de
préjudice probable satisfait aux exigences de l'exception visée
à l'art. 20(1)c).
Il s'agit d'une demande de révision du refus du Ministère
d'accéder à une demande de renseignements, à savoir le poids
en kilogrammes du quota annuel et individuel le plus élevé
d'importation de fromage étranger attribué à une entreprise ou
à un particulier en 1985. La demande a été rejetée au motif que
les renseignements recherchés étaient des renseignements finan
ciers ou commerciaux fournis à un ministre par un tiers
exempts de communication en vertu de l'alinéa 20(1)b) de la
Loi sur l'accès à l'information, ou des renseignements dont la
divulgation nuirait à un tiers en vertu de l'alinéa 20(1)c). Les
quotas d'importation de fromages étrangers assignés à des
sociétés canadiennes n'ont pas été rendus publics par le gouver-
nement dans le passé. Ces quotas se fondent sur le pourcentage
de l'importation globale de fromage que représentait chaque
importateur en 1973 et en 1974. Le tiers a soutenu que les
renseignements échappaient à la divulgation en vertu de
l'alinéa 20(1)d) parce qu'il s'agissait de renseignements qui
risqueraient vraisemblablement d'entraver les négociations
menées par lui en vue de contrats. Le Commissaire a soutenu
que l'exception n'était pas justifiée et il a recommandé la
divulgation des renseignements. La question était de savoir si
les renseignements font partie des exceptions prévues par la loi.
Jugement: la demande devrait être rejetée.
Les renseignements échappaient à la divulgation en vertu des
alinéas 20(1)b) et c). Pour échapper à la divulgation en vertu
de l'alinéa 20(1)b), les renseignements doivent respecter les
quatre critères suivants, c'est-à-dire qu'il doit s'agir: 1) de
renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou tech
niques, 2) de nature confidentielle, 3) fournis à une institution
fédérale par un tiers 4) et qui sont traités comme tels de façon
constante par le tiers.
1) Le poids relatif aux quotas est un renseignement commer
cial, même au sens le plus restreint du mot. L'offre illicite qui a
été faite au tiers en vue de la vente ou de la location à long
terme de la partie inutilisée de son quota appuie cette
conclusion.
2) Les renseignements sont confidentiels. Le caractère confi-
dentiel des renseignements dépend de leur contenu, de leur
objet et des circonstances entourant leur préparation et leur
communication, c'est-à-dire qu'ils ne doivent pas être par ail-
leurs accessibles au public, qu'ils doivent avoir été transmis
confidentiellement avec l'assurance raisonnable qu'ils ne seront
pas divulgués et dans le cadre d'une relation de confiance ou
qui n'est pas contraire à l'intérêt public. Le poids du quota
n'était pas par ailleurs accessible au public. De plus, les rensei-
gnements fournis au gouvernement et en fonction desquels tous
les quotas initiaux et subséquents ont été établis, ont été
communiqués dans l'attente raisonnable qu'on les tiendrait
confidentiels. L'argument du Commissaire, selon lequel l'inté-
rêt public n'exige pas de tenir les renseignements confidentiels
parce que le système de contingentement incite le tiers à
déclarer annuellement ses importations, ne saurait être
accueilli. L'intérêt public qu'il y a à encourager les rapports
confidentiels est simplement un indicateur et non une condition
de la confidentialité, et il est dans l'intérêt général de préserver
le caractère confidentiel des rapports concernés. On avait
promis que les renseignements resteraient confidentiels. Il est
dans l'intérêt public de s'assurer que le gouvernement agisse de
bonne foi et qu'il préserve le caractère confidentiel des rensei-
gnements qui lui sont confiés. Le gouvernement peut ne pas
être toujours lié par son engagement à agir confidentiellement,
mais l'alinéa 20(1)b) exige qu'il se considère lié par son engage
ment à préserver le caractère confidentiel des renseignements
financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques que lui a
confiés un tiers chaque fois que ce dernier a traité ces rensei-
gnements comme confidentiels de façon constante. Cette règle
s'applique, que l'engagement ait été pris avant ou après l'entrée
en vigueur de la Loi sur l'accès à l'information. Conclure que
les promesses de respecter le caractère confidentiel des rensei-
gnements sont totalement dépourvues de valeur étant donné la
Loi, c'est donner à celle-ci une interprétation dogmatique plutôt
que rationnelle, et partant, une interprétation qui répugne au
droit. De plus, d'autres rapports semblables avec d'autres
importateurs restent confidentiels, et dans ces circonstances, la
divulgation des renseignements recherchés équivaudrait à une
intervention injuste dans le marché de la part du gouvernement.
3) Le Commissaire a soutenu que les renseignements fournis
en 1975 n'étaient pas ceux qui sont recherchés en l'espèce, et
que par conséquent il ne sont pas des renseignements «fournis à
une institution fédérale par un tiers». Le fait est, cependant, que
les titulaires de quotas importants ont pu maintenir leurs
quotas et leur part du marché à un niveau constant depuis
1975, et que ces quotas étaient fondés sur des renseignements
confidentiels en 1973 et 1974. Ni les renseignements reçus à
l'origine par le gouvernement ni aucune des allocations de
quotas auxquelles ces renseignements ont donné lieu par la
suite, ont jamais été communiqués au public. La part du tiers
du quota total est restée inchangée depuis 1975, de sorte que la
divulgation du quota qui lui a été attribué au cours d'une année
donné serait aussi préjudiciable que la communication de son
allocation originale ou actuelle. Les renseignements recherchés
et les renseignements fournis par le tiers en 1975 sont essentiel-
lement les mêmes renseignements, et la divulgation des uns ou
des autres équivaudrait à la violation de l'alinéa 20(1)b).
4) Le tiers a lui-même traité les renseignements recherchés
de façon constante comme étant confidentiels. L'affidavit
déposé établit que tous les importateurs gardent jalousement
secrets les chiffres afférents aux quotas qui leur sont alloués,
ces renseignements étant considérés très délicats.
En vertu de l'alinéa 20(1)c), la partie qui s'oppose à la
divulgation doit prouver que celle-ci risquerait vraisemblable-
ment de lui causer un préjudice. Étant donné la nature des
renseignements litigieux, leurs utilisations possibles, et la façon
dont ils ont toujours été tenus secrets, les intimés ont établi que
leur divulgation serait cause d'un risque vraisemblable de pré-
judice probable. Ils ont fourni des éléments de preuve démon-
trant l'importance qu'il y a à garder secret le poids du quota
attribué à un importateur, aussi bien à l'égard de ses clients que
de ses concurrents. La connaissance du quota alloué à chacun
des importateurs est le seul renseignement qui manque pour
permettre aux importateurs d'estimer le niveau des profits et de
discerner les stratégies de fixation des prix, les projets de
commercialisation et la force financière de leurs concurrents, ce
qui en fait donc un utile renseignement commercial. L'expert
du Commissaire a fait valoir que puisque la demande ne
réclamait pas un état détaillé de ce qui a été accordé au plus
important titulaire de quota selon la variété, le pays d'origine et
la qualité des fromages ni le nom du titulaire, les renseigne-
ments qui seraient communiqués ne contiendraient rien de
nouveau; ce témoignage a été insuffisant pour réfuter la preuve
de l'intimé. La nature des renseignements est telle qu'ils ne
peuvent servir qu'aux concurrents, aux fournisseurs et aux
clients du tiers.
La preuve n'a toutefois pas été faite de l'exception prévue à
l'alinéa 20(1)d). Cet alinéa exige la preuve que la communica
tion des renseignements recherchés risquerait vraisemblable-
ment d'entraver les négociations menées par le tiers en vue de
contrats, mises à part ses activités commerciales journalières.
On a bien présenté quelques éléments de preuve sur les consé-
quences possibles de la divulgation sur les contrats internatio-
naux en général, et on a soulevé des problèmes hypothétiques
au sujet des fournisseurs étrangers et des clients locaux, mais ils
sont insuffisants pour établir que la divulgation des renseigne-
ments en cause risquerait vraisemblablement d'entraver des
négociations ou des contrats particuliers.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur l'accès à l'information, S.C. 1980-81-82-83,
chap. 111, annexe I, art. 2, 20, 42(1)a).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Maislin Industries Limited c. Ministre de l'Industrie et
du Commerce, [1984] 1 C.F. 939; (1984), 10 D.L.R.
(4th) 417; 8 Admin. L.R. 305; 27 B.L.R. 84 (1 f° inst.);
Air Atonabee Ltd. c. Canada (Ministre des Transports)
(1989), 27 C.P.R. (3d) 180; 27 F.T.R. 194 (C.F.
1« inst.); Canada Packers Inc. c. Canada (Ministre de
l'Agriculture), [1989] 1 C.F. 47; (1988), 53 D.L.R. (4th)
246; 32 Admin. L.R. 178; 26 C.P.R. (3d) 407; 87 N.R. 8
(C.A.); Saint John Shipbuilding Ltd. c. Canada (Minis-
tre des Approvisionnements et Services) (1990), 67
D.L.R. (4th) 315 (C.A.F.).
DÉCISION EXAMINÉE:
National Parks and Conservation Ass'n. v. Morton,
498 F 2d 765 (C.A.D.C. 1974).
DÉCISION CITÉE:
Noël c. Administration de pilotage des Grands Lacs Ltée,
[1988] 2 C.F. 77; (1987), 45 D.L.R. (4th) 127; 20
F.T.R. 257 (T.D.).
AVOCATS:
M. L. Phelan, Gregory O. Somers et Paul B.
Tetro pour le requérant.
Bruce Russell pour l'intimé, le ministre des
Affaires extérieures.
Donald A. Kubesh pour le tiers intimé.
PROCUREURS:
Osier, Hoskin & Harcourt, Ottawa, pour le
requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé, le ministre des Affaires extérieures.
Stikeman, Elliott, Ottawa, pour le tiers
intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE DENAULT: Le requérant, le Commis-
saire à l'information du Canada exerce, avec le
consentement du plaignant, l'honorable Allan
McKinnon, un recours en révision du refus du
Ministère intimé d'accéder à la demande d'accès à
l'information présentée par le plaignant le 16 juil-
let 1986. Le renseignement que l'on voulait obtenir
du ministère des Affaires extérieures était le poids,
en kilogrammes, du quota annuel et individuel le
plus élevé d'importation de fromage étranger attri-
bué à une entreprise ou à un particulier en 1985.
Le Ministère intimé a rejeté la demande en
opposant que les renseignements sollicités étaient
exempts de communication en vertu des alinéas
20(1)b) et c) de la Loi sur l'accès à l'information,
S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, annexe 1. Le
Ministère a fait remarquer qu'à deux reprises déjà,
il avait refusé la communication de renseignements
semblables et que le Commissaire à l'information
avait reconnu que les renseignements échappaient
à la communication en vertu des alinéas 20(1)b) et
c) de la Loi. Il a ajouté que la même chose
s'appliquait aux demandes de renseignements rela-
tives aux chiffres visant les quotas d'importation
de poulets et de dindes. Le passage suivant de la
lettre de refus du Ministère est des plus révélatri-
ces sur les motifs du refus:
[TRADUCTION] De la même façon, lorsqu'il a été saisi d'une
demande de communication «des noms et adresses des particu-
liers et des compagnies à qui ont été délivrés des permis
d'importer au Canada des fromages étrangers au-delà de
25 000 kilogrammes, depuis janvier 1985 jusqu'à maintenant»,
le Ministère a conclu que ces renseignements précis (nonob-
stant le caractère public de la liste complète des titulaires de
quota d'importation de fromage) étaient exempts de communi
cation en vertu des alinéas 20(1)b) et c). Dans ce cas, (votre
dossier no. 3100-0541) M. George Hamelin, en sa qualité de
Commissaire adjoint à l'information, a conclu qu'il «reconnais-
sait que les renseignements protégés étaient visés par les alinéas
20(1)b) et c) de la Loi. L'exemption étant impérative dans de
telles circonstances, il a proposé conséquemment de rejeter la
plainte comme étant mal fondée.»
Les dispositions sur lesquelles s'est appuyé le
Ministère protègent les tiers contre la communica
tion, par des institutions fédérales, de renseigne-
ments confidentiels qui nuiraient à leurs intérêts.
En l'espèce, il a été établi que le poids relatif aux
quotas d'importation de fromage étranger imposés
aux entreprises canadiennes n'avait pas été rendu
public par le gouvernement dans le passé, et que
ces quotas sont fixés en fonction du pourcentage de
l'importation globale de fromage que représentait
chaque importateur au cours des années 1973 et
1974. Les quotas à l'importation ont été établis en
1975, lorsque l'ensemble des quotas d'importation
de fromage s'élevait à 50 millions de livres. Ce
total a été divisé entre 198 entreprises qui faisaient
l'importation et il visait quelque 200 variétés de
fromages provenant de 25 pays différents. Depuis
cette époque, des modifications annuelles se sont
trouvées à modifier le poids total des importations,
le nombre des importateurs et celui des variétés de
fromages importés. En vertu du système de quotas,
un importateur est tenu d'importer au cours d'une
année donnée au moins 95 % de son quota, afin
d'éviter la réduction de ce dernier l'année suivante.
Les quotas non atteints ont donné lieu à de nom-
breuses réductions et ont permis à de nouveaux
importateurs de recevoir leurs propres quotas. Par
conséquent, on compte actuellement quelque 250
importateurs. Cependant, certains importateurs
ont réussi à atteindre leurs quotas année après
année, et dans ce cas ceux-ci restent égaux à la
part du marché des importateurs en 1973 et en
1974, déterminée selon les renseignements fournis
au gouvernement lorsque les quotas de fromage
sont entrés en vigueur. La seule réduction qui
aurait eu lieu dans de tels cas est celle qui a été
imposée en 1979, lorsque le gouvernement a réduit
unilatéralement de 10 % tous les quotas établis. En
l'espèce, le ministère des Affaires extérieures, dont
la Direction générale des relations commerciales
spéciales (DGRCS) est responsable du calcul et de
la répartition des quotas, a refusé de communiquer
les renseignements demandés au motif qu'il s'agis-
sait là de renseignements confidentiels entre lui-
même et un tiers, et que c'étaient des renseigne-
ments commerciaux dont la divulgation nuirait au
tiers en cause.
Le Commissaire à l'information n'a pas consi-
déré fondés selon la Loi les motifs du refus opposé
par le Ministère. Il a donc avisé le tiers de ses
conclusions et l'a informé de son droit de faire des
observations au Commissaire à l'information à
l'égard de la divulgation. C'est ce qu'a fait le tiers,
en soulignant que les renseignements recherchés
étaient exempts de communication en vertu de
l'alinéa 20(1)d) de la Loi, ainsi que des alinéas
20b) et c) comme l'avait laissé entendre le
Ministère.
Le Commissaire a toutefois maintenu que
l'exemption de communication n'était pas fondée.
Il a donc été recommandé que les renseignements
soient rendus publics au plus tard le 16 mars 1988.
Lorsqu'il n'a pas été donné suite à la recommanda-
tion, le Commissaire a écrit au plaignant et il a
obtenu son consentement pour demander, en appli
cation de l'alinéa 42(1)a) de la Loi, la révision
judiciaire du refus du Ministère de divulguer les
renseignements litigieux.
La question est une simple question d'interpréta-
tion législative. Les renseignements demandés
font-ils partie des exceptions prévues aux alinéas
20(1)b),c) et d) de la Loi?
LA LOI
Les dispositions pertinentes de la Loi sur l'accès
à l'information sont libellées comme suit:
2. (1) La présente loi a pour objet d'élargir l'accès aux
documents de l'administration fédérale en consacrant le prin-
cipe du droit du public à leur communication, les exceptions
indispensables à ce droit étant précises et limitées et les déci-
sions quant à la communication étant susceptibles de recours
indépendants du pouvoir exécutif.
20. (1) Le responsable d'une institution fédérale est tenu,
sous réserve des autres dispositions du présent article, de refu-
ser la communication de documents contenant:
a) des secrets industriels de tiers;
b) des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques
ou techniques fournis à une institution fédérale par un tiers,
qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme
tels de façon constante par ce tiers;
c) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisem-
blablement de causer des pertes ou profits financiers appré-
ciables à un tiers ou de nuire à sa compétitivité;
d) des renseignements dont la divulgation risquerait vrai-
semblablement d'entraver des négociations menées par un
tiers en vue de contrats ou à d'autres fins.
(6) Le responsable d'une institution fédérale peut communi-
quer, en tout ou en partie, tout document contenant les rensei-
gnements visés aux alinéas (1)b), c) et d) pour des raisons
d'intérêt public concernant la santé et la sécurité publiques
ainsi que la protection de l'environnement; les raisons d'intérêt
public doivent de plus justifier nettement les conséquences
éventuelles de la communication pour un tiers: pertes ou profits
financiers, atteintes à sa compétitivité ou entraves aux négocia-
tions qu'il mène en vue de contrats ou à d'autres fins.
La Loi sur l'accès à l'information a reçu une
interprétation libérale et fondée sur son objet, et
les tribunaux se laissent invariablement guider par
l'objet de la Loi exposé à l'article 2. Dans l'arrêt
Maislin Industries Limited c. Ministre de l'Indus-
trie et du Commerce, [1984] 1 C.F. 939 (l fe inst.),
à la page 943, le juge en chef adjoint Jerome a dit
ce qui suit:
... puisque le principe de base de ces lois est de codifier le droit
du public à l'accès aux documents du gouvernement, deux
conséquences en découlent: d'abord, les tribunaux ne doivent
pas neutraliser ce droit sauf pour les motifs les plus évidents, de
sorte qu'en cas de doute, il faut permettre la communication;
deuxièmement, le fardeau de convaincre la cour doit incomber
à la partie qui s'oppose à la communication, qu'il s'agisse,
comme en l'espèce, d'une société privée ou d'un citoyen ou,
dans d'autres cas, du gouvernement.
Ainsi donc en l'espèce, il appartient au Ministère
intimé et au tiers de démontrer pour les motifs les
plus évidents que les renseignements recherchés
sont exempts de communication en vertu des ali-
néas 20(1)b),c) ou d). Je vais traiter tour à tour de
chacune de ces dispositions.
L'alinéa 20(1)b)
La bonne façon d'aborder l'interprétation de
l'alinéa 20(1)b) a été exposée dans l'arrêt Air
Atonabee Ltd. c. Canada (Ministre des Trans-
ports) (1989), 27 C.P.R. (3d) 180 (C.F. 1"e inst.),
à la page 197, dans lequel le juge MacKay a fait
les commentaires suivants:
Il ressort nettement de la jurisprudence, et notamment des
précédents invoqués par les deux avocats relativement à l'alinéa
20(1)b), que pour être soustraits à l'obligation de communica
tion en vertu de cet article, les renseignements en question
doivent répondre aux quatre critères suivants, c'est-à-dire qu'il
doit s'agir
1) de renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou
techniques,
2) de nature confidentielle,
3) fournis à une institution fédérale par un tiers
4) et qui sont traités comme tels de façon constante par le tiers.
Le juge MacKay a ensuite étudié en profondeur
l'application de chacune de ces exigences à l'af-
faire dont il était saisi. Au cours de son analyse, il
a fait plusieurs observations qui seront un guide
utile chaque fois que se présentera l'interprétation
de l'alinéa 20(1)b). Ainsi on a statué que des
renseignements sont considérés être financiers,
commerciaux, scientifiques ou techniques lorsqu'ils
se rapportent à des éléments communément dési-
gnés comme tels, conformément à la définition
lexicographique ordinaire de ces expressions. À cet
égard, je conclus sans hésiter que le poids relatif
aux quotas d'importation est un renseignement
commercial au sens de l'alinéa 20(1)b). De plus,
même si l'on accordait à ces termes un sens plus
restreint, et si on y voyait l'exigence que les rensei-
gnements recherchés aient une valeur marchande
indépendante, un point de vue explicitement rejeté
dans l'arrêt Air Atonabee, j'estime en raison de
l'affidavit du tiers que la quantité correspondant à
son quota possède bien une valeur indépendante et
constitue un renseignement commercial même au
sens le plus restreint du mot. L'offre illicite qui a
été faite au tiers en vue de la vente ou de la
location à long terme de la partie inutilisée de son
quota appuie cette conclusion.
Quant au second critère, c'est-à-dire la nature
confidentielle des renseignements, on trouve dans
l'arrêt Air Atonabee une étude complète de la
jurisprudence sur cette question, et le juge
MacKay conclut en faisant les commentaires sui-
vants à la page 202:
Cet examen m'amène à considérer ce qui suit comme un exposé
détaillé de l'opinion formulée par le juge en chef adjoint Jerome
dans le jugement Montana, précité [Bande indienne de Mon-
tana c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord
canadien), [1989] 1 C.F. 143], dans lequel celui-ci a déclaré
que la question de savoir si un renseignement est de nature
confidentielle dépend de son contenu, de son objet et des
circonstances entourant sa préparation et sa communication,
c'est-à-dire:
(a) le contenu du document est tel que les renseignements qu'il
contient ne peuvent être obtenus de sources auxquelles le public
a autrement accès, ou ne peuvent être obtenus par observation
ou par étude indépendante par un simple citoyen agissant de
son propre chef;
(b) les renseignements doivent avoir été transmis confidentiel-
lement avec l'assurance raisonnable qu'ils ne seront pas
divulgués;
(c) les renseignements doivent être communiqués, que ce soit
parce que la loi l'exige ou parce qu'ils sont fournis gratuite-
ment, dans le cadre d'une relation de confiance entre l'adminis-
tration et la personne qui les fournit ou dans le cadre d'une
relation qui n'est pas contraire à l'intérêt public, et la communi
cation des renseignements confidentiels doit favoriser cette
relation dans l'intérêt du public.
Dans la mesure où ces remarques ne sont pas
considérées comme des conditions qui s'ajoutent à
celles de la Loi, je les trouve utiles lorsqu'il s'agit
de déterminer si les renseignements recherchés en
l'espèce sont ou ne sont pas confidentiels. Je suis
convaincu que ces renseignements ne sont pas par
ailleurs disponibles au public. Je suis également
convaincu que les renseignements du marché sur
les importations de fromage au cours des années
1973 et 1974, qui ont été fournis au gouvernement
et en fonction desquels tous les quotas initiaux et
subséquents ont été établis, ont été communiqués
dans l'attente raisonnable qu'on les tiendrait confi-
dentiels. De fait, le Commissaire n'a énergique-
ment contesté aucun de ces points. Il a toutefois
laissé entendre que parce que les renseignements
demandés sont fournis par le tiers dans le but de
continuer à se voir attribuer un quota d'importa-
tion, et parce que les renseignements en cause
représentent donc pour ce dernier un avantage
financier considérable, ils ne sont par conséquent
pas fournis dans le cadre de rapports dont l'intérêt
public exige qu'ils soient favorisés par le maintien
du caractère confidentiel des lignes de communica
tion. En d'autres termes, puisque le système de
contingentement lui-même incite le tiers à déclarer
ses importations année après année et à prouver
qu'il a atteint son quota, nul n'est besoin pour le
gouvernement de garder le secret. En effet, celui-ci
n'a pas à craindre que le tiers soit moins franc et
plus réservé à l'avenir simplement parce que le
gouvernement a violé le caractère confidentiel des
renseignements qui lui ont tout d'abord été fournis,
car l'intérêt qu'a le tiers à maintenir son quota est
garant de son honnêteté.
Vue sous son angle véritable, cette partie de
l'argument du requérant laisse à désirer. En effet,
elle appuie les arrêts qui ont rejeté la doctrine
américaine exposée dans l'arrêt National Parks
and Conservation Ass'n. v. Morton, 498 F 2d. 765
(C.A.D.C. 1974) [à la page 770] selon laquelle les
renseignements commerciaux et financiers sont
confidentiels si leur divulgation devait 41) com-
promettre la capacité du gouvernement d'obtenir à
l'avenir des renseignements nécessaires; ou (2)
nuire sérieusement à la compétitivité de la per-
sonne de qui les renseignements étaient obtenus»:
(Air Atonabee Ltd. c. Canada (Ministre des
Transports) (1989), 27 C.P.R. (3d) 180 (C.F. 1"
inst.), aux pages 199 et 200; Noël c. Administra
tion de pilotage des Grands Lacs Ltée, [1988] 2
C.F. 77 (1" inst.).) Ce que le Commissaire n'a pas
saisi, c'est que l'intérêt public qu'il y a à encoura-
ger les communications confidentielles n'est qu'un
indice de la nature confidentielle des renseigne-
ments et non une condition. L'approche des améri-
cains a l'avantage de reconnaître clairement que la
non-divulgation est une responsabilité que se par-
tagent celui qui fournit les renseignements et celui
qui les reçoit, et qu'en tant que tel, chaque côté
peut avoir des motifs légitimes de préserver le
caractère confidentiel des renseignements. Selon
cette théorie il suffit, pour démontrer le caractère
confidentiel des renseignements, d'établir que les
intérêts de l'une ou l'autre des parties l'exigent. Je
serais d'accord pour dire que la conclusion en
faveur du caractère confidentiel des renseigne-
ments n'est pas moins objective parce qu'une seule
des parties y trouve son intérêt. Ce qu'il faut
déterminer objectivement, c'est si les renseigne-
ments ont été obtenus contre la promesse explicite
ou implicite de les tenir confidentiels. Le troisième
critère énoncé par le juge MacKay relativement au
caractère confidentiel des renseignements prévoit
simplement la possibilité que l'avantage pour le
gouvernement, ou pour l'intérêt public comme il
dit, de préserver le caractère confidentiel des ren-
seignements puisse être légitimement considéré
comme un facteur quand il s'agit d'établir si un
renseignement donné est de nature confidentielle.
Pourvu que ce critère soit un indicateur et non une
condition du caractère confidentiel des renseigne-
ments, on peut sans inconvénient le conserver
comme facteur à considérer.
En tout état de cause, l'intérêt public peut fort
bien demander, en l'espèce, que les rapports de
confidentialité soient préservés; bien que l'obten-
tion des renseignements nécessaires à l'avenir
puisse ne pas dépendre des bonnes relations entre
le gouvernement et les importateurs, il va tout de
même dans l'intérêt public de cultiver de bonnes
relations comme telles avec les personnes respec-
tueuses de la loi. Il est aussi dans l'intérêt général
de s'assurer que le gouvernement agit de bonne foi
à l'égard des renseignements qu'on lui confie. Le
Commissaire à l'information prétend que le gou-
vernement dit ce qui suit: «Comme nous avons
établi un système de contingentement d'après des
renseignements que vous nous avez donnés confi-
dentiellement, et comme ce système lui-même
garantit votre collaboration à l'avenir grâce aux
incitants économiques et à la force coercitive de la
loi, nous pouvons en toute impunité abuser de
votre confiance; ainsi, sommes-nous justifiés et
avons-nous mandat de le faire aux termes de la Loi
sur l'accès à l'information.» Je ne crois pas que la
Loi exige rien de semblable. J'estime qu'étant
donné l'obligation du gouvernement d'agir de
bonne foi, il est donc dans l'intérêt public qu'il
préserve le caractère confidentiel de ses rapports
avec le tiers. Cela ne signifie nullement que le
gouvernement sera toujours lié par son engage
ment d'agir confidentiellement, la Loi prévoyant
expressément au paragraphe 20(6) des exceptions
à cette règle, mais je suis convaincu que l'alinéa
20(1)b) exige que le gouvernement se considère lié
par son engagement à préserver le caractère confi-
dentiel des renseignements financiers, commer-
ciaux, scientifiques ou techniques que lui a confié
un tiers chaque fois que ce dernier a traité ces
renseignements comme confidentiels de façon
constante. Cette règle s'applique, que l'engage-
ment ait été pris avant ou après l'entrée en vigueur
de la Loi sur l'accès à l'information. La façon
régulière dont doit s'y prendre le plaignant, ou le
Commissaire, pour contester la validité d'un tel
engagement, c'est d'invoquer les exceptions pré-
vues au paragraphe 20(6). De cette façon, il est
possible de peser les arguments pour et contre la
communication. Prétendre le contraire, et conclure
que les promesses de respecter le caractère confi-
dentiel des renseignements sont totalement dépour-
vues de valeur étant donné la Loi, c'est donner à
celle-ci une interprétation dogmatique plutôt que
rationnelle, et partant, une interprétation qui répu-
gne au droit.
Les exceptions énoncées au paragraphe 20(6),
précité, dégagent le gouvernement de sa promesse
de non-divulgation pour des raisons d'intérêt
public «concernant la santé et la sécurité publiques
ainsi que la protection de l'environnement». Or le
Commissaire n'a invoqué en l'espèce aucune de ces
raisons valides d'intérêt public. De fait, la commu
nication des renseignements recherchés ferait du
tiers le seul importateur de fromage dont le quota
est rendu public, portant ainsi atteinte à sa compé-
titivité à l'égard des autres importateurs. Si aucun
autre quota n'est révélé, il y a donc des raisons
d'autant plus grandes de ne pas différencier le tiers
de cette façon. J'estime que ce genre d'intervention
du gouvernement dans le marché va tout à fait
contre l'intérêt public, et que c'est là une autre
raison qui milite en faveur du caractère confiden-
tiel des relations qu'entretient le gouvernement
avec le tiers. Je rejette donc l'argument du requé-
rant selon lequel les renseignements demandés ne
sont pas confidentiels parce que l'intérêt public
n'exige pas de favoriser des rapports confidentiels.
Mon rejet se fonde sur ces deux motifs: a) l'intérêt
public qu'il y a à encourager les rapports confiden-
tiels est simplement un indicateur et non une
condition de la confidentialité; et b) il est dans
l'intérêt général de préserver le caractère confiden-
tiel des rapports concernés puisque i) on a promis
que les renseignements resteraient confidentiels; et
ii) d'autres rapports semblables avec d'autres
importateurs restent confidentiels, et dans ces cir-
constances, la divulgation des renseignements
recherchés équivaudrait à une intervention injuste
dans le marché de la part du gouvernement.
Étant donné tout ce qui précède, je suis con-
vaincu que les intimés ont établi au terme d'un
examen objectif que les renseignements requis sont
de nature confidentielle.
Le Commissaire a fondé ses arguments tirés de
l'alinéa 20(1)b) sur le fait que les renseignements
recherchés ne sont pas des renseignements «fournis
à une institution fédérale par un tiers». C'est là le
troisième critère énoncé par le juge MacKay dans
l'arrêt Air Atonabee, précité. Le Commissaire a
fait valoir que les renseignements fournis en 1975
ne sont pas les renseignements que l'on demande
en l'espèce. Elle a exposé ce qui suit:
[TRADUCTION] Le quota total alloué en 1985 n'est pas le même
renseignement fourni aux importateurs au DGRCS à l'égard de
leur «prestation» en 1973 et en 1974. La réduction générale de
l'ensemble des quotas en 1979, la modification des variétés
choisies par les importateurs, et les autres changements dans les
participants et la demande prouvent que le marché est dynami-
que et subit de constantes fluctuations.
Ce qui précède ne suffit toutefois pas à réfuter la
preuve des intimés selon laquelle: les titulaires de
quotas importants (à peu près les vingt importa-
teurs principaux) ont pu maintenir leurs quotas et
leur part du marché à un niveau constant depuis
1975, sauf pour ce qui est de la réduction de 1979
dont on a parlé plus haut; ces quotas étaient fondés
sur des renseignements confidentiels sur les impor
tations des importateurs en 1973 et 1974; et ni les
renseignements reçus à l'origine par le gouverne-
ment ni aucune des allocations de quotas auxquel-
les ces renseignements ont donné lieu par la suite,
ont jamais été communiqués au public ou à aucune
personne physique ou morale, si ce n'est celles qui
ont fourni les renseignements en premier lieu.
Selon l'affidavit non contesté du tiers, sa propre
part du quota total est restée inchangée depuis
1975 jusqu'à aujourd'hui, de sorte que la divulga-
tion du quota qui lui a été attribué au cours d'une
année donnée serait aussi préjudiciable que la
communication de son allocation originale ou
actuelle. À mon sens, les renseignements recher-
chés (le quota le plus élevé en 1985) et les rensei-
gnements fournis par le tiers en 1975, sont essen-
tiellement les mêmes renseignements, et la
divulgation de l'un ou l'autre équivaudrait à la
violation de l'alinéa 20(1)b). Le caractère confi-
dentiel de la valeur numérique du quota de 1985
est aussi étayé par la méthode selon laquelle elle a
été reçue. Bien que ce chiffre ait été calculé en
fonction des quotas précédents du tiers en remon-
tant jusqu'à 1975, il est transmis au gouvernement
au moyen d'une connexion d'ordinateur qui pré-
serve le caractère confidentiel du système. Chaque
importateur a reçu un numéro de dossier qui lui
donne accès à son quota versé à l'ordinateur. Cha-
cune de ses importations de fromage est ajoutée à
ses importations précédentes jusqu'à ce qu'il ait
atteint son quota, moment à partir duquel les
permis d'importation ne lui sont plus délivrés. Le
caractère confidentiel des numéros de dossier des
importateurs et de leur capacité de remplir leur
quota annuel est le complément du caractère confi-
dentiel attaché aux renseignements originaux affé-
rents au marché au cours de 1973 et 1974, et sur
lesquels se fondent les quotas assignés. Les faits
m'indiquent clairement que les renseignements
sont fournis par le tiers à la Direction générale des
relations commerciales spéciales, direction du
ministère des Affaires extérieures, qui est une
institution fédérale au sens de la Loi; j'estime donc
qu'il y a respect du troisième critère.
Pour ce qui est du dernier critère visé à l'ali-
néa 20(1)b), la preuve démontre amplement que
le tiers a lui-même traité les renseignements
recherchés de façon constante comme étant confi-
dentiels. L'affidavit de Robert Bertrand, fonction-
naire à la Direction générale des relations com-
merciales spéciales, établit que tous les
importateurs gardent jalousement secrets les chif-
fres afférents aux quotas qui leur sont alloués, ces
renseignements étant considérés [TRADUCTION]
«confidentiels et très délicats». Cela est aussi con
firmé par l'affidavit de Peter Dawes, ex-premier
dirigeant de la Canadian Importers Associations!
Association des Importateurs Canadiens. Tandis
qu'il exerçait ses fonctions au sein de cette associa
tion, pendant plus de seize ans, M. Dawes a parti-
cipé à la constitution et a été le directeur exécutif
du Conseil canadien des fromages internationaux,
dont la création représente la riposte directe à
l'imposition par le gouvernement de quotas à l'im-
portation des fromages étrangers. Dans son affida
vit, M. Dawes affirme notamment ce qui suit:
[TRADUCTION] Les renseignements sur le poids des quotas
attribués à chacun des importateurs sont si délicats que même
les frais d'exploitation du Conseil, fondés sur le poids de chacun
de ces quotas, ont été autoévalués et transmis à un compte en
fiducie administré par un conseiller juridique, de sorte qu'ils
sont protégés par le caractère confidentiel des communications
entre procureur-client. Ceci s'est fait à la suite des directives
unanimes de la part des membres fondateurs du Conseil.
Les importateurs considèrent que les renseignements sur les
niveaux réels des quotas attribués à une compagnie, exprimés
en poids, sont hautement confidentiels et une question d'impor-
tance stratégique pour plusieurs raisons, qui relèvent surtout de
considérations d'ordre concurrentiel et pécuniaire.
M. Dawes énumère ensuite dans son affidavit cer-
taines de ces considérations, mais j'estime qu'en
l'absence de toute suggestion de la part du requé-
rant que le tiers, ou quelqu'autre importateur, a
jamais fait connaître les chiffres afférents à son
quota, ce qui précède suffit à établir que le dernier
critère exposé à l'alinéa 20(1)b) a été respecté. En
effet, cela confirme l'affidavit non contesté du tiers
lui-même. Je suis donc amené à conclure que les
intimés ont démontré que les renseignements
recherchés relèvent de l'exception visée à l'alinéa
20(1)b), et que cela étant, le refus du Ministère de
divulguer les renseignements litigieux est justifié.
Cette conclusion suffit en elle-même à régler
cette question, mais j'estime également que les
intimés ont prouvé que les renseignements en cause
relèvent aussi de l'alinéa 20(1)c) de la Loi.
L'alinéa 20(1)c)
Les parties conviennent qu'en vertu de l'alinéa
20(1)c), la partie qui s'oppose à la divulgation doit
prouver que celle-ci risquerait vraisemblablement
de lui causer un préjudice. Ce critère a été établi
dans l'arrêt Canada Packers Inc. c. Canada
(Ministre de l'Agriculture), [1989] 1 C.F. 47
(C.A.), aux pages 59 et 60 et confirmé dans l'arrêt
Saint John Shipbuilding Ltd. c. Canada (Ministre
des Approvisionnements et Services) (1990), 67
D.L.R. (4th) 315 (C.A.F.), dans lequel le juge
Hugessen, J.C.A., dit à la page 316:
Lorsque le juge a appliqué les alinéas 20(1)c) et d) au cas
dont il a été saisi, il [24 F.T.R. 32, 12 A.C.W.S. (3d) 51] a
suivi les principes directeurs fixés par le juge MacGuigan,
J.C.A. pour la présente Cour dans l'arrêt Canada Packers Inc.
c. Canada (Ministre de l'Agriculture) 53 D.L.R. (4th) 246, 26
C.P.R. (3d) 407, [1989] 1 F.C. 47, où il a déclaré à la p. 255:
... j'estime qu'on doit interpréter les exceptions au droit d'ac-
cès figurant aux alinéas c) et d) comme exigeant un risque
vraisemblable de préjudice probable. (En italique dans le texte
original.)
La requérante nous invite à dire qu'il s'agit d'une erreur, tout
d'abord parce que l'alinéa c) tout en exprimant la notion de
préjudice (ou de tort) n'établit pas un seuil aussi élevé de
probabilité et, deuxièmement, parce que l'alinéa d) parle seule-
ment d'entrave et n'impose pas de faire la preuve d'un préjudice
du tout. Nous ne sommes pas de cet avis. L'établissement d'un
seuil de préjudice probable semble, selon nous, découler néces-
sairement du contexte, non seulement de l'article mais de
l'ensemble de la Loi et il s'agit là de la bonne interprétation que
l'on doit donner au texte français «risquerait vraisemblablement
de causer des pertes».
Ainsi, bien que la loi soit claire, et que le critère
applicable ne soit pas contesté, la détermination de
ce qui constitue «un risque vraisemblable de préju-
dice probable» soulèvera invariablement de sérieu-
ses divergences d'opinion, comme c'est le cas en
l'espèce.
Les arguments des intimés sont exposés dans les
affidavits de M. Dawes et de «M. Tiers», président
du tiers et son ancien contrôleur, secrétaire-tréso-
rier et directeur financier. Le nom du tiers et celui
de son déposant sont confidentiels et n'apparais-
sent pas dans la documentation publique fournie
avec cette demande. M. Dawes a fait valoir que si
le poids du quota le plus élevé accordé au cours
d'une année quelconque était rendu public, d'au-
tres importateurs et des parties au courant seraient
aussitôt capables de déceler quelle compagnie a
reçu tel quota, car les titulaires des quotas d'im-
portation les plus importants sont connus de leurs
concurrents. Il a aussi indiqué que puisque la
demande de fromages importés surpasse toujours
l'offre, les importateurs sont toujours pressés
ardemment par leurs clients (les détaillants, les
grossistes et les restaurants) d'utiliser l'intégralité
de leur quota pour répondre à une demande parti-
culière plutôt que de donner suite à leurs propres
projets. Il est donc important que le poids du quota
attribué à un importateur ne soit pas connu de ses
clients. De plus, en tenant secret son quota d'im-
portation, un grand importateur pourra choisir et
choisira de répartir son quota entre plusieurs petits
clients ou en faveur d'un seul client exclusivement
pour certains fromages; si le poids de son quota
était connu, il ne pourrait négocier avec autant de
succès avec ses clients. J'estime que ces désavanta-
ges à l'égard des clients des importateurs seraient
encore plus prononcés dans les circonstances où un
certain importateur se trouverait être le seul dont
le quota, exprimé en poids, serait connu.
Outre les désavantages à l'égard des clients,
l'affidavit de M. Dawes établit que la connaissance
du poids du quota attribué à un concurrent consti-
tue [TRADUCTION] «de précieux renseignements
commerciaux qui peuvent servir utilement à déter-
miner la structure des prix et les stratégies de
commercialisation d'un concurrent». Étant donné
les renseignements actuels sur le marché, on sou-
tient que la connaissance du quota alloué à chacun
des importateurs est le seul renseignement qui
manque pour être en mesure d'estimer le niveau
des profits et de discerner les stratégies de fixation
des prix, les projets de commercialisation et la
force financière des concurrents. L'une des conclu
sions de M. Dawes est la suivante:
[TRADUCTION] ... la divulgation des niveaux des quotas des
importateurs individuels, ou du titulaire du quota le plus élevé
au Canada au cours d'une année quelconque, causerait à cet
importateur des pertes financières. La distinction importante
qui ressort des faits de l'espèce, c'est que les pertes et le
préjudice subis seront de longue durée:—non pas en ce qui
concerne les produits vendus par la compagnie, mais à l'égard
de la compétitivité de la compagnie dont les données confiden-
tielles sont divulguées une fois pour toutes, car le quota de la
compagnie relativement à divers poids et variétés, sous le
régime de réglementation actuel, ne changera vraisemblable-
ment pas dans un avenir prévisible.
L'affidavit du président du tiers confirme les
exemples de préjudice probable que causerait la
divulgation des renseignements recherchés, et il
montre de façon précise comment les concurrents,
les fournisseurs et les clients pourraient utiliser ces
renseignements au détriment du tiers.
Par contraste, le Commissaire a présenté le
témoignage d'expert de Thomas C. Greig, associé
responsable du Groupe Conseils en commerce
international de Price Waterhouse à Toronto, et
ancien sous-ministre adjoint des programmes
douaniers au ministère fédéral du Revenu national.
M. Greig a aussi occupé les fonctions de sous-
ministre adjoint (Finances) au ministère de la
Défense nationale, et il a été vice-président exécu-
tif (Finances) auprès de M. Loeb Ltd., distribu-
teur grossiste d'aliments. Après avoir étudié les
affidavits des intimés, M. Greig a conclu que la
divulgation des renseignements recherchés [TRA-
DUCTION] «ne nuirait pas à la compétitivité des
parties qui participent au marché du fromage, ni
ne leur causerait des pertes ou profits financiers».
Au coeur des conclusions de M. Greig, se trouve
son opinion que dans un commerce comme celui de
l'importation du fromage, les participants les plus
considérables ont une idée assez juste de l'identité
de leurs principaux concurrents et de la quantité
des importations de ces derniers. Il a conclu que
puisque la demande de renseignements ne récla-
mait pas un état détaillé de ce qui a été accordé au
plus important titulaire de quota selon la variété,
le pays d'origine et la qualité des fromages, le nom
du titulaire et les renseignements qui seraient com-
muniqués ne pourraient pas être utilisés comme le
suggèrent les déposants intimés. M. Greig a aussi
soutenu que ses conclusions resteraient inchangées
même si le nom du titulaire de quota le plus
important était révélé, et de fait il était bien
évident à l'audience que toutes les parties connais-
saient parfaitement l'identité du tiers. Selon M.
Greig, il n'y a aucun mal à communiquer les
renseignements demandés car, somme toute, ils ne
contiennent rien de nouveau, rien qui nuirait de
façon frappante à la compétitivité du tiers.
Après avoir fait un examen approfondi de la
preuve, j'éprouve quelque sympathie pour la posi
tion de M. Greig, mais je n'estime pas qu'elle
réfute suffisamment la preuve faite par les dépo-
sants intimés. Par exemple, elle ne soulève aucun
doute qui pourrait aller en faveur du requérant. De
fait, bien que les renseignements demandés puis-
sent ne pas être aussi révélateurs ni aussi nuisibles
au tiers que ne l'auraient été des demandes de
renseignements antérieures en l'espèce si on y avait
accédé, il n'en reste pas moins qu'il s'agit de
renseignements qui, de par leur nature, ne peuvent
servir qu'aux concurrents, aux fournisseurs et aux
clients du tiers. Je ne mets pas en question les
motifs pour lesquels le plaignant a fait la demande,
et de fait ces questions sont rarement pertinentes
dans les demandes d'accès à l'information. Mais la
nature des renseignements recherchés est telle
qu'en dernière analyse, je dois conclure que la
meilleure preuve est celle que les intimés ont pré-
sentée. Étant donné la nature des renseignements
litigieux, leurs utilisations possibles, et la façon
dont ils ont toujours été tenus secrets, je conclus
que les intimés ont établi l'existence d'un risque
vraisemblable de préjudice probable s'ils devaient
être divulgués. Pour ces motifs, je conclus que les
intimés se sont déchargés de l'obligation qui était
la leur de prouver que les renseignements deman
dés échappent à la communication en vertu de
l'alinéa 20(1)c) de la Loi.
L'alinéa 20(1)d)
Pour ce qui est du dernier moyen que l'on a fait
valoir, l'exception visée à l'alinéa 20(1)d) de la
Loi, que seul le tiers a soulevé en ma présence, je
dois expliquer brièvement qu'il n'en a pas fait la
preuve de façon satisfaisante. L'alinéa 20(1)d)
exige la preuve que la communication des rensei-
gnements recherchés risquerait vraisemblablement
d'entraver les négociations menées par le tiers en
vue de contrats, mises à part ses activités commer-
ciales journalières. On s'appuie sur la force des
mots «interfere with» dans la version anglaise de la
Loi, reflétée par le verbe «entraver» dans la version
française. (Voir l'arrêt Saint John Shipbuilding
Ltd. c. Canada (Ministre des Approvisionnements
et Services) (1990), 67 D.L.R. (4th) 315 (C.A.F.).
Comme l'a dit le juge MacGuigan, J.C.A., dans
l'arrêt Canada Packers Inc. c. Canada (Ministre
de l'Agriculture), [1989] 1 C.F. 47 (C.A.), à la
page 55:
Pour ce qui est de l'alinéa 20(1)d), je souscris à l'argument
du Commissaire à l'information selon lequel cet alinéa porte sur
des cas contractuels qui ne sont pas visés à l'alinéa 20(1)c), et,
en conséquence, ne s'applique pas aux ventes quotidiennes, qui
sont considérables dans l'industrie intérieure de la viande.
Toutefois, il peut être quelque peu pertinent pour ce qui est des
ventes internationales ...
Comme la présente affaire porte sur le com
merce d'importation des fromages, la mise en
garde du juge MacGuigan au sujet des ventes
internationales ne s'applique pas. L'affidavit de M.
Dawes contient bien quelques éléments de preuve
sur les conséquences possibles de la divulgation sur
les contrats internationaux en général, et dans son
affidavit, le tiers a soulevé des problèmes hypothé-
tiques au sujet des fournisseurs étrangers et des
clients locaux, mais ils sont insuffisants pour éta-
blir que la divulgation des renseignements en cause
risquerait vraisemblablement d'entraver des négo-
ciations ou des contrats particuliers. Conséquem-
ment, l'existence des motifs d'exemption visés à
l'alinéa 20(1)d) n'a pas été prouvée.
Cependant, comme les intimés ont démontré que
les renseignements recherchés échappent à la com
munication en vertu des alinéas 20(1)b) et c) de la
Loi, cette demande et l'ordonnance sollicitée par le
Commissaire à l'information doivent être rejetées.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.