T-450-90
Naskapi-Montagnais Innu Association (requé-
rante)
c.
Ministre de la Défense nationale (intimé)
RÉPERTORIÉ: NASKAPI-MONTAGNAIS INNU ASSN. c. CANADA
(MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE) (1" INST.)
Section de première instance, juge Reed —
Toronto, 3, 4 et 5 avril; Ottawa, 12 avril 1990.
Environnement — Entraînement des forces aériennes de
l'OTAN au vol à basse altitude au-dessus du Labrador et du
Québec — Accroissement considérable des vols depuis leur
début en 1976 — Le ministre de la Défense nationale a renvoyé
à une commission d'évaluation environnementale la question
de l'incidence des vols et de l'établissement d'un centre intégré
d'entraînement à l'emploi des armes des chasseurs tactiques —
Rien dans le Décret n'oblige le ministère responsable à suspen-
dre l'exécution du projet tant que n'aura pas été terminée
l'évaluation environnementale — Seule l'opinion publique peut
garantir la prise de décisions responsables sur le plan de
l'environnement — Des facteurs militent contre l'octroi de la
réparation discrétionnaire recherchée.
Forces armées — Un organisme représentant les peuples
autochtones demande des ordonnances annulant la décision de
permettre à trois pays membres de l'OTAN d'utiliser la base
aérienne de Goose Bay, certains couloirs aériens et polygones
de tir à blanc au Canada, et interdisant au ministre de la
Défense nationale d'approuver la décision possible de l'OTAN
d'établir à Goose Bay un centre intégré d'entraînement à
l'emploi des armes des chasseurs tactiques — La requérante
cherche à obtenir des ordonnances impératives en attendant
l'issue d'une évaluation environnementale Des vols d'entraî-
nement à basse altitude ont lieu chaque année à Goose Bay
depuis 1976 — Le nombre de sorties a augmenté de façon
constante, pour passer de 500 à 7 021 La demande, si elle
était accueillie, pourrait causer un préjudice considérable à la
population civile de Goose Bay qui sert uniquement au soutien
des vols d'entraînement à basse altitude de l'OTAN — Le
refus d'accorder l'ordonnance recherchée causera peu de pré-
judice aux autochtones.
Peuples autochtones — Demande visant à interdire au
ministre de la Défense nationale d'approuver l'établissement
pour l'OTAN d'un centre intégré d'entraînement à l'emploi des
armes des chasseurs tactiques en attendant l'issue d'une éva-
luation environnementale — La requérante représente les
autochtones établis dans les environs et qui s'y livrent à la
chasse et à la pêche — Le préjudice minime qui serait causé à
la requérante, le refus de coopérer, l'absence de preuve d'inci-
dences dommageables sur l'environnement et le retard à inten-
ter cette action justifient le rejet de la demande.
Droit international Distinction entre le pouvoir de con-
clure un traité et celui de le mettre à exécution La mise à
exécution d'un traité après sa signature (par mesures législati-
ves ou à caractère exécutif) relève du droit interne — Le
protocole d'entente signé par le Canada et les pays membres de
l'OTAN relativement à l'usage des installations de la base
aérienne pour les vols d'entraînement à basse altitude par les
forces aériennes de l'OTAN au-dessus de certaines parties du
Labrador et du Québec relève des pouvoirs de mise à exécution
des traités — Il relève donc du Décret sur les lignes directrices
visant le processus d'évaluation et d'examen en matière
d'environnement.
Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative — Brefs de
certiorari et de mandamus visant à mettre fin aux vols d'en-
traînement à basse altitude au-dessus de certaines parties du
Labrador et du Québec effectués par les forces aériennes de
l'OTAN — Ni le libellé ni l'objet du Décret n'imposent au
ministère responsable l'obligation de suspendre le projet jus-
qu'à l'issue de l'évaluation environnementale — Le préjudice
minime qui serait causé, le refus de coopérer, l'absence de
preuve d'incidences dommageables sur l'environnement et le
retard à intenter cette action militent contre l'octroi de la
réparation discrétionnaire recherchée.
En 1986, le Canada et trois autres pays membres de l'OTAN
ont signé un protocole d'entente qui exposait les modalités
régissant l'emploi des installations de la base aérienne de Goose
Bay pour des vols d'entraînement à basse altitude par les forces
aériennes de l'OTAN au-dessus de certaines parties du Labra-
dor et du Québec. Le nombre de ces sorties s'est accru de façon
constante, pour passer de 500 en 1976 à 7 021 en 1989. Avant
1979, les vols exécutés étaient des vols de navigation par
opposition à des vols tactiques.
Au moment de la signature du protocole d'entente, le minis-
tre de la Défense nationale a renvoyé au ministre de l'Environ-
nement, pour qu'elle soit étudiée par une commission d'évalua-
tion environnementale, la question de l'incidence des vols
litigieux et de la mise en place projetée d'un centre intégré
d'entraînement à l'emploi des armes des chasseurs tactiques
pour les forces aériennes de l'OTAN.
La requérante sollicite des brefs de certiorari et de manda-
mus en vue de mettre fin aux vols d'entraînement à basse
altitude. La requérante est un organisme représentant certains
peuples autochtones dont les principaux établissements sont à
proximité des zones où se déroulent les vols litigieux. Certains
membres de ces collectivités se rendent par avion dans les zones
en cause, à certaines époques de l'année, pour chasser et pêcher.
Le débat porte sur les questions de savoir si (1) une fois que
l'on a procédé au renvoi prévu au Décret sur les lignes directri-
ces visant le processus d'évaluation et d'examen en matière
d'environnement (le Décret), le ministère responsable a l'obli-
gation de ne pas exécuter le projet tant que le processus de
renvoi et d'examen n'est pas terminé, et si (2) dans les circons-
tances, il y a lieu d'accorder la réparation recherchée.
Jugement: la demande devrait être rejetée.
La prétention de la requérante voulant que, lorsqu'on l'inter-
prète en tenant compte de son objet, le Décret exige implicite-
ment que l'on interrompe toute proposition dès qu'elle est
soumise pour examen, n'est pas fondée. Rien dans le Décret
n'exige expressément ou implicitement que l'on interrompe un
projet tant que l'examen n'est pas terminé. La mention, à
l'article 3 du Décret, de l'évaluation qui doit être effectuée
avant que des décisions irrévocables ne soient prises concerne le
processus d'auto-évaluation que le ministère responsable doit
entreprendre. Elle n'a rien à voir avec le processus de la
commission d'évaluation environnementale. De surcroît, l'obli-
gation impérative implicite de suspendre la proposition cadre
mal avec l'économie générale du Décret et avec ses autres
dispositions. Le Décret permet aux ministères et aux ministres
responsables de ne pas tenir compte des recommandations de la
commission. Le respect de l'obligation de ne pas réaliser le
projet dépend de la pression de l'opinion publique et de la
publicité défavorable qu'une ligne de conduite contraire
comporterait.
Outre la conclusion que le Décret n'oblige pas le ministre
responsable à «suspendre» un projet après qu'il a été soumis à
un examen en vertu du Décret, il y a de nombreux facteurs qui
justifient la Cour, dans l'exercice de son pouvoir discrétion-
naire, de ne pas prononcer une ordonnance qui suspende les vols
à basse altitude.
Le facteur le plus important est le préjudice considérable
qu'une telle ordonnance ferait subir à la population civile et
militaire de Happy Valley et de Goose Bay. Certains éléments
de preuve permettent de croire que la suspension des vols à
basse altitude pourrait entraîner leur réduction permanente, ce
qui provoquerait des congédiements massifs, une perte d'inves-
tissement ainsi que des dépenses pour les populations civiles et
militaires. Par ailleurs, la requérante subira un préjudice
minime puisque ses préoccupations environnementales seront
examinées par la commission d'évaluation environnementale au
cours de son évaluation. La décision de refuser l'ordonnance ne
nuira pas à ce processus.
Un autre facteur très important réside dans le refus des
membres des collectivités représentées par la requérante de
collaborer à atténuer les effets que l'entraînement au vol à
basse altitude pouvait avoir pour eux. La prétention voulant
qu'une telle collaboration équivaudrait à fermer les yeux sur les
activités litigieuses est mal fondée: on peut atténuer les consé-
quences des actes préjudiciables sans fermer les yeux sur ces
actes.
L'absence d'éléments de preuve patents et univoques concer-
nant les dommages importants causés à l'environnement est un
facteur dont on peut tenir compte pour rejeter la demande. Il
en va de même pour le fait que la présente action aurait pu être
engagée il y a quatre ans. Le retard est toujours un facteur dans
le cas des recours discrétionnaires.
L'argument de l'intimé, selon lequel une proposition échappe
à l'application du Décret du fait qu'elle a été implicitement
autorisée par le Gouverneur en conseil parce qu'elle fait l'objet
d'une entente internationale, doit être rejeté. Bien qu'il appar-
tienne à l'État fédéral de conclure des traités, leur mise à
exécution après leur signature—par une loi ou par une mesure
de caractère exécutif comme le protocole d'entente de 1986—
devient une question de droit interne, ce qui comprend le
Décret. Le Décret doit s'appliquer aux décisions et aux mesures
que le ministère fédéral compétent doit prendre pour mettre en
œuvre le traité conclu.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Décret sur les lignes directrices visant le processus
d'évaluation et d'examen en matière d'environnement,
DORS/84-467, art. 2, 3, 6a), 10, 12, 13, 18(b), 20, 21,
22, 25, 26, 28, 29, 33(1)c),d).
JURISPRUDENCE
DÉCISION EXAMINÉE:
Angus c. Canada, T-47-90, C.F. (1"° inst.), juge Rouleau,
jugement en date du 12-1-90, encore inédit.
DÉCISIONS CITÉES:
Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres,
[1985] 1 R.C.S. 441; (1985), 18 D.L.R. (4th) 481; 12
Admin. L.R. 16; 13 C.R.R. 287; 59 N.R. 1; Fédération
canadienne de la faune Inc. c. Canada (Ministre de
l'Environnement), [1989] 3 C.F. 309; [1989] 4 W.W.R.
526; (1989), 37 Admin. L.R. 39; 3 C.E.L.R. (N.S.)
287; 26 F.T.R. 245 (1'° inst.); conf. par [1990] 2 W.W.R.
69; (1989), 38 Admin. L.R. 138; 4 C.E.L.R. (N.S.) 1; 27
F.T.R. 159; 99 N.R. 72 (C.A.F.); Fédération canadienne
de la faune Inc. et autres c. Canada (Ministre de l'Envi-
ronnement) et Saskatchewan Water Corp. (1989), 31
F.T.R. 1 (C.F. 1r° inst.); Friends of the Oldman River
Society c. Canada (Ministre des Transports), [1990] 2
C.F. 18 (C.A.).
DOCTRINE
de Smith, S. A. Judicial Review of Administrative
Action, 4th ed. by J. M. Evans. London: Stevens &
Sons Ltd., 1980.
Échanges de notes entre le Canada et le Royaume-Uni,
26 novembre 1979, [1979] R.T. Can. N° 23.
Échange de notes concernant l'entraînement des Forces
armées britanniques au Canada, 20 août 1971, [1974]
B.T.S. No. 27.
Gotlieb, A. E. Canadian Treaty-Making. Toronto: But-
terworths, 1968.
AVOCATS:
John A. Olthuis et Margaret L. Flindall pour
la requérante.
Dogan D. Akman pour l'intimé.
PROCUREURS:
Morris, Rose, Ledgett, Toronto, pour la
requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE REED: Les ordonnances demandées ne
seront pas accordées. À mon avis, le Décret sur les
lignes directrices visant le processus d'évaluation
et d'examen en matière d'environnement
(DORS/84-467) n'appuie pas ce que j'appellerai
les ordonnances mandatoires «de suspension» qui
sont demandées. De plus, même si le texte du
Décret justifiait le prononcé de ces ordonnances
mandatoires, il ne conviendrait pas d'accorder
l'une d'elles, savoir l'ordonnance exigeant la sus
pension des opérations d'entraînement au vol à
basse altitude (qui ont lieu depuis au moins 1979,
mais qui se sont intensifiées). Une ordonnance de
cette nature causerait un préjudice considérable à
la population civile de Happy Valley et de Goose
Bay ainsi qu'aux militaires et à leurs familles. Il
faut tenir compte de ce facteur, ainsi que du fait
que le refus d'accorder l'ordonnance ne portera pas
gravement atteinte aux droits que possèdent pré-
sentement la requérante ou ses membres. À cet
égard, je remarque que la présente requête ne
saurait impliquer de décision sur les droits que la
requérante affirme que ses membres possèdent en
raison de leurs revendications territoriales. La pré-
sente requête ne porte que sur des problèmes éco-
logiques. Elle concerne la portée et l'application du
Décret sur les lignes directrices visant le processus
d'évaluation et d'examen en matière d'environne-
ment (le Décret).
Nature de la requête—intérêt de la requérante
La requérante sollicite des ordonnances en vue
de faire annuler une décision prise par le ministre
de la Défense nationale le 13 février 1986 et
d'empêcher le ministre de prendre certaines autres
décisions avant que le processus d'évaluation en
matière d'environnement prévu par le Décret ne
soit terminé. Les décisions concernent l'utilisation
de certaines parties du Labrador et d'une petite
partie du Québec pour l'entraînement des forces
aériennes de plusieurs pays membres de l'OTAN
au vol tactique à basse altitude.
La requérante est un organisme représentant
certains peuples autochtones dont les principaux
établissements (Sheshatshit et Utshimassit) sont
situés à l'extérieur mais à proximité des limites des
zones où se déroulent les vols à basse altitude.
Certains des membres de ces collectivités (100 à
200) se rendent par avion dans la zone où a lieu
l'entraînement au vol à basse altitude, de façon
temporaire et à certaines époques de l'année, pour
suivre leur mode de vie traditionnel de chasse et de
pêche (exploitation des ressources fauniques). Cela
a habituellement lieu au cours de l'automne, de
l'hiver et du printemps.
Décision du 13 février 1986—Accord conclu con-
formément à des échanges de notes (traités)
La décision prise en 1986, qui est contestée, est
contenue dans un protocole d'entente signé par le
général MacNaughton au nom du ministère de la
Défense nationale. Les autres signataires du proto-
cole sont l'Armée de l'Air des États-Unis, le minis-
tère de la Défense du Royaume-Uni et le ministère
fédéral de la Défense de la République fédérale
d'Allemagne. Le protocole énonce les conditions
auxquelles les trois pays susmentionnés sont auto-
risés à utiliser les installations de la base de Goose
Bay et certains couloirs aériens et polygones de tir
à blanc au Canada (que nous appellerons les ins
tallations et l'espace aérien du Canada).
Le protocole de 1986 a été conclu conformément
aux dispositions d'échanges de notes (traités)
signés par le Canada et les trois pays membres de
l'OTAN susmentionnés. Ces échanges de notes ont
été signés à diverses dates entre 1976 et 1983. Je
cite celui qui a été signé en 1979 avec le Royaume-
Uni pour illustrer le rapport qui existe entre la
décision documentée par le protocole d'entente de
1986 et les échanges de notes. L'échange de notes
de 1979 signé avec le Royaume-Uni porte le titre
«Accord modifiant l'Accord de 1971 concernant
l'instruction militaire des Forces armées du
Royaume-Uni au Canada». Comme ce titre l'indi-
que, le document constitue une modification à un
accord antérieur, par échange de notes, intervenu
entre le Canada et le Royaume-Uni le 20 août
1971. L'échange de notes de 1979 comporte deux
parties: je qualifierai la première de note explica-
tive et la seconde, d'énoncé des modalités. Voici
l'une des dispositions de la note explicative:
IV. Le présent Accord et l'Énoncé de modalités y joint pour-
ront être modifiés par un consentement mutuel des Parties.
L'Énoncé de modalités peut également être modifié dans
les conditions prévues par l'Énoncé même à condition que
lesdites modifications soient conformes aux dispositions du
présent Accord ...
Voici les dispositions pertinentes de l'énoncé des
modalités:
TROISIÈME PARTIE
Entraînement de la Royal Air Force
17. La présente partie est assujettie aux ententes conclues
entre le Canada et le Royaume-Uni concernant le cantonne-
ment d'un élément de la Royal Air Force à la base des Forces
canadiennes de Goose Bay à des fins d'entraînement à des
opérations de vol à basse altitude.
18. La Royal Air Force conservera l'usage des installations
actuellement mises à sa disposition à la base des Forces cana-
diennes de Goose Bay pour l'entraînement tactique au vol à
basse altitude. L'objectif annuel du programme est d'environ
120 visites d'appareils, chacune d'une période approximative de
9 à 10 jours. Le nombre d'appareils qui y prendront part pourra
varier, mais en général il devrait y en avoir environ trois à la
fois à Goose Bay. Le Royaume-Uni pourra utiliser le poste de
relais de Goose Bay pour les appareils de la Royal Air Force
qui sont de passage, et pourra y maintenir un détachement de la
RAF d'au plus 150 officiers et soldats.
19. Dans le cas où le Royaume-Uni en ferait la demande, les
modalités en vertu desquelles le Canada peut mettre à la
disposition de la RAF des installations d'entraînement s'ajou-
tant à celles mentionnées dans la présente partie feront l'objet
de négociations entre le ministère de la Défense (Air) et le
Quartier général de la Défense nationale. [C'est moi qui
souligne.]
Ainsi donc, dans le cas du ministère de la Défense
du Royaume-Uni et du ministère canadien de la
Défense nationale, le protocole d'entente de 1986 a
été signé conformément aux modalités de l'article
19 de l'énoncé des modalités de l'échange de notes
de 1979.
Le protocole de 1986 porte en grande partie sur
le partage entre les différentes parties des frais
associés à l'utilisation des installations de la base
aérienne de Goose Bay. Il décrit également les
installations et l'espace aérien qui font l'objet de
cette entente et contient des modalités au sujet de
la modification et de la résiliation de l'accord. En
voici quelques extraits:
PORTÉE
6. Le MDN fournira aux utilisateurs alliés:
a. l'usage de l'aérodrome de Goose Bay et des bâtiments,
installations, infrastructures et équipements décrits dans le
présent protocole d'entente et ses annexes;
b. des zones de vol à statut spécial (se rapprochant de celles
qui sont décrites à l'annexe F de la Publication d'information
de vol du MDN—GPH 205 du 6 juin 1985) appropriées pour
l'entraînement au vol tactique à basse altitude; un avion
d'entraînement pourra descendre jusqu'à 100' au-dessus de
tout obstacle situé à moins de 200' de sa route dans des
conditions météorologiques de vol à vue (VMC) durant le
jour, et jusqu'à 200' au-dessus du sol (AGL) dans des
conditions météorologiques de vol aux instruments (IMC) ou
pendant la nuit, avec un radar de suivi de terrain (TFR); et
c. des zones avec cibles d'entraînement, à déterminer par le
MDN et la province de Terre-Neuve, qui constituent des
polygones de tir acceptables.
OPÉRATIONS
7. Les utilisateurs alliés respecteront les règlements de vol
civils et militaires du Canada, et ne mèneront leurs opérations
de vol que dans les régions, le long des routes et dans les
conditions déterminées et approuvées par le Canada. Les com
mandants des unités des utilisateurs alliés à Goose Bay seront
informés des règlements qui s'appliquent, les connaîtront et les
porteront à l'attention de toutes les personnes qui relèvent de
leur autorité ou qui sont rattachées à leurs unités, en soulignant
la nécessité de s'y conformer. Tout règlement ayant un effet
défavorable sur l'envergure des opérations militaires alliées
pourra être soumis à l'arbitrage du QGDN, si l'un ou l'autre
des utilisateurs alliés s'oppose à son application.
8. Les activités militaires aériennes seront menées de façon à
respecter la sécurité et le bien-être de la population et de la
faune de la région, ainsi que les opérations des transporteurs
aériens civils. Les vols militaires locaux seront coordonnés par
le Centre de coordination militaire. Les mesures de sécurité
aérienne et les enquêtes sur les accidents seront conformes au
STANAG 3531. Sous réserve des besoins ayant trait au con-
trôle de la circulation aérienne, les utilisateurs militaires auront
le droit de rouler sur toutes les aires d'atterrissage, de circula
tion et de stationnement de l'aérodrome requises dans le cadre
de leurs opérations.
Dépenses en capital
15. Chaque utilisateur militaire se verra attribuer certains
bâtiments, certaines installations, certaines infrastructures et
certains équipements, à Goose Bay, qui seront réservés à son
usage exclusif. Les dépenses en capital engagées pour des
modifications, des agrandissements ou des ajouts approuvés à
ces bâtiments, ces installations, ces infrastructures et ces équi-
pements seront supportées par cet utilisateur. Le coût total de
la construction de toute nouvelle installation d'usage exclusif, à
la demande d'un utilisateur, sera supporté par cet utilisateur.
RÉDUCTION, SUSPENSION ET CESSATION DES
ACTIVITES
Retrait d'un utilisateur, ou réduction importante de ses
activités
37. Si jamais le MDN se trouve dans l'incapacité de remplir
ses engagements tels que définis au paragraphe 6 du présent
protocole d'entente, provoquant ainsi, de l'avis d'un ou de
plusieurs utilisateurs alliés, une dégradation du milieu opéra-
tionnel, les utilisateurs militaires devront immédiatement entre-
prendre des consultations à ce sujet. Si ces consultations ne
permettent pas, dans un délai de 30 jours, de régler la question
à la satisfaction des utilisateurs alliés qui ont formulé l'objec-
tion, ces utilisateurs alliés pourront se retirer du protocole
d'entente sans autre avis. L'établissement des conditions finan-
cières de ce retrait, et le règlement des questions liées à la
valeur résiduelle des investissements, feront l'objet de négocia-
tions distinctes.
Des annexes à ce protocole d'entente prévoient le
nombre maximal d'avions et de militaires que cha-
cune des parties au protocole est autorisée à sta-
tionner à Goose Bay. Dans le cas du Royaume-
Uni, la R.A.F. est autorisée à y stationner 350
militaires et 20 avions; l'Armée de l'Air des États-
Unis peut y stationner 500 militaires et 24 avions,
et, dans le cas de la République fédérale d'Allema-
gne, l'Armée de l'Air allemande est limitée à 400
militaires et à 25 avions.
Les Pays-Bas se sont ajoutés en 1987 aux utili-
sateurs de la base et de l'espace aérien, c'est-à-dire
au Royaume-Uni, aux États-Unis et à la Républi-
que fédérale d'Allemagne. Un échange de notes a
été signé à cet égard entre le Canada et les Pays-
Bas le 26 mars 1987. Conformément à cet accord,
les modalités énoncées au protocole d'entente de
1986 signé avec les autres membres de l'OTAN
sont devenues applicables aux conditions d'utilisa-
tion des installations et de l'espace aérien du
Canada par les Pays-Bas. Une annexe a été ajou-
tée au protocole d'entente de 1986 pour déclarer
que l'Armée de l'Air des Pays-Bas serait autorisée
à stationner jusqu'à 400 militaires et 25 avions de
combat à la fois à Goose Bay.
Exemption des échanges de notes de l'examen
prévu au Décret—Distinction entre le pouvoir de
conclure des traités et le pouvoir de les mettre en
oeuvre
Je ne crois pas qu'on puisse sérieusement contes-
ter que les décisions de conclure les divers échan-
ges de notes ne tombent pas sous le coup du Décret
sur les lignes directrices visant le processus d'éva-
luation et d'examen en matière d'environnement
(DORS/84-467). Le Décret prévoit que le proces-
sus d'examen est une méthode par laquelle le
ministère responsable procède d'abord à une éva-
luation environnementale initiale et décide ensuite,
suivant l'issue de cette évaluation, soit de réaliser
le projet, soit de le soumettre à une commission
d'évaluation environnementale pour examen. Sui-
vant le Décret [article 2], le mot «ministère» s'en-
tend (sous réserve de certaines exceptions):
2....
a) de tout ministère, commission ou organisme fédéraux, ou
b) dans les cas indiqués, l'une des corporations de la Cou-
ronne nommées à l'annexe D de la Loi sur l'administration
financière ou tout organisme de réglementation.
Le Canada signe les divers échanges de notes en
vertu de ses prérogatives. Les échanges de notes
sont essentiellement des traités internationaux.
Voici comment A. E. Gotlieb explique le processus
dans son ouvrage intitulé Canadian Treaty-
Making (Butterworths, 1968), aux pages 4 et 5:
[TRADUCTION] Cela signifie, en fait, qu'au Canada, le pouvoir
de conclure des traités est exercé par le gouverneur général en
conseil sur l'avis des ministres canadiens et, en particulier, du
ministre chargé des affaires étrangères, le Secrétaire d'État aux
affaires extérieures. [C'est moi qui souligne.]
Il semblerait que le gouverneur en conseil ne soit
pas un «ministère, commission ou organisme fédé-
raux» au sens du Décret'. On m'a cité les commen-
taires suivants formulés par le juge Rouleau dans
le jugement Angus c. Canada (T-47-90, 12 janvier
1990, encore inédit):
D'après les lignes directrices, le «ministère responsable» ne
doit pas seulement proposer la directive attendue mais égale-
ment prendre les décisions qui s'imposent, c'est-à-dire «être
l'organisme qui agit». Comme vous le savez bien, ce n'est pas à
la Cour de légiférer, mais au Parlement. C'est ce dernier qui a
choisi d'exclure de la définition de «ministère responsable» cette
puissante branche exécutive du gouvernement. Bien qu'on m'ait
suggéré que les tribunaux aient pu, dans certains cas, conclure
que le gouverneur général en conseil pouvait être considéré
comme un «office» aux termes de la Loi sur la Cour fédérale,
on ne peut, par analogie, transposer cette conclusion pour
donner à la présente Cour le pouvoir de décider qu'en vertu des
lignes directrices du PÉEE cet organisme doit être considéré
comme un «ministère responsable».
Si je comprends bien son raisonnement, l'avocat
de l'intimé prétend que comme elles sont prises par
le gouverneur en conseil, les décisions de signer les
divers échanges de notes ne tombent pas sous le
coup du Décret. Dans le même ordre d'idées,
l'avocat affirme que le protocole d'entente de 1986
devrait être considéré comme une simple modifica
tion à ces traités et qu'en conséquence, il échappe
également à l'application du Décret. (Évidemment,
les décisions de signer les échanges de notes avec le
Royaume-Uni (1979), les États-Unis (1976) et la
République fédérale d'Allemagne (1981 et 1983)
échapperaient aussi à l'application du Décret pour
une autre raison: elles ont été prises avant que le
Décret entre en vigueur, en 1984.)
Je ne suis pas convaincue que la prétention de
l'avocat, que la décision de 1986 bénéficie d'une
immunité du simple fait qu'elle se rapporte à des
obligations prévues par un traité, puisse résister à
' Il faut interpréter cette conclusion en tenant compte, évi-
demment, de l'arrêt Operation Dismantle Inc. et autres c. La
Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441.
un examen minutieux. Dans mon esprit, le pouvoir
de conclure des traités relève de la Couronne
fédérale, mais la mise en oeuvre d'un traité après
sa signature devient une question de droit interne.
Dans certaines situations, il faudra adopter une loi;
il peut s'agir d'une loi fédérale ou d'une loi provin-
ciale, selon le cas. Dans d'autres cas, il ne sera pas
nécessaire d'adopter une loi, mais une mesure de
mise en oeuvre de caractère exécutif pourra être
nécessaire. Dans ce cas, il me semble que la
mesure exécutive de mise en oeuvre est régie par le
droit interne applicable, y compris le Décret, lors-
qu'il s'applique. À cet égard, je constate que
l'énoncé des modalités de l'Échange de notes de
1979 signé avec le Royaume-Uni prévoit, à son
paragraphe premier, que «la conduite des activités
d'entraînement militaire sera soumise aux lois et
règlements canadiens applicables». Et le paragra-
phe 27 dispose que: «Les Forces britanniques
accorderont toute l'attention requise à l'environne-
ment et se conformeront scrupuleusement à tout
règlement applicable aux Forces canadiennes en ce
qui concerne la protection de l'environnement.»
Des dispositions similaires sont énoncées dans les
échanges de notes signés avec la République fédé-
rale d'Allemagne (au paragraphe 4) et dans ceux
qui ont été signés avec les Pays-Bas (au
paragraphe 4).
L'avocat de l'intimé prétend également que le
Décret est inapplicable aux décisions en question
(qu'elles aient été prises en vertu des traités ou en
vertu des mesures de mise en oeuvre de 1986)
parce qu'elles ne sont pas légalement exécutoires,
étant donné que, suivant le Décret, le processus
d'examen ne s'applique que lorsque des décisions
irrévocables sont en cause. L'avocat prétend que
les accords conclus avec les divers membres de
l'OTAN au sujet de l'utilisation des installations et
de l'espace aérien du Canada ne constituent pas
des accords irrévocables. En tant qu'ententes inter-
nationales, ces accords n'ont, de par leur nature
même, aucun caractère exécutoire. Les différends
qui sont soulevés à leur sujet doivent être réglés
par voie de négociation. Je ne souscris pas à la
prétention de l'avocat suivant laquelle en raison du
simple fait qu'elles peuvent ne pas être légalement
exécutoires en droit interne, les décisions prises
sont en conséquence irrévocables au sens du
Décret. À mon avis, le terme «irrévocable» employé
dans le Décret ne saurait être assimilé au concept
du caractère légalement obligatoire d'une question
selon le droit interne.
Ainsi donc, pour récapituler, je ne suis pas
d'accord pour dire qu'en raison du fait qu'elle a été
implicitement autorisée par le gouverneur en con-
seil parce qu'elle fait l'objet d'une entente interna-
tionale (dont la signature a été approuvée par le
gouverneur en conseil), une proposition ne tombe
pas sous le coup du Décret. J'estime bien fondée la
prétention de l'avocat suivant laquelle il faut exa
miner les décisions et les mesures que le ministère
fédéral compétent doit prendre pour mettre en
oeuvre le traité qui a été conclu. Ce sont ces
décisions et ces activités auxquelles le Décret peut
s'appliquer.
Mise sur pied d'un centre d'entraînement de
l'OTAN
La décision qui n'a pas encore été prise et que la
requérante cherche à empêcher par la présente
poursuite consisterait pour le ministère de la
Défense nationale à répondre affirmativement à
l'OTAN si le Groupe d'entraînement Euro-OTAN
choisissait Goose Bay comme site approprié pour
l'établissement du nouveau Centre d'entraînement
de chasse tactique (ci-après appelé Centre d'en-
traînement de l'OTAN). En juillet 1984, le
Canada a envoyé à l'OTAN une proposition sug-
gérant Goose Bay comme emplacement approprié
pour un tel centre. On étudie également des
emplacements situés dans d'autres pays. On pré-
voit qu'une décision sera prise en mai 1990. La
requérante craint que si la décision de l'OTAN
favorise Goose Bay, le ministre de la Défense
nationale voudra réagir sans délai, sans se soucier
de la question de savoir si le processus d'évaluation
environnementale exigé par le Décret est terminé.
Comme on le verra plus loin, le ministre prétend
que cette crainte n'est pas fondée.
Entraînement au vol à basse altitude—activité en
cours—nature et portée
L'entraînement au vol à basse altitude a lieu à
Goose Bay chaque année entre les mois d'avril et
de novembre. Cette année, il devrait normalement
débuter le 17 avril. On transporte de l'équipement,
du personnel et d'autres éléments de soutien à la
base à compter du 1" avril. Cette activité se
déroule depuis de nombreuses années. Par ailleurs,
le nombre de vols d'entraînement («sorties») aug-
mente de façon constante d'année en année, ainsi
que le démontre le tableau suivant:
Année Nombre de sorties
1976 500
1977 566
1978 570
1979 470
1980 860
1981 1 840
1982 2 027
1983 2 468
1984 3 008
1985 4 148
1986 5 432
1987 6 838
1988 6 807
1989 7 021
On estime à 7 600 le nombre de vols qui devraient
avoir lieu en 1990; ce chiffre pourrait s'élever
jusqu'à 8 200, mais cela est peu probable.
En ce qui a trait à l'augmentation de l'activité et
à la modification de la nature des vols au cours des
ans, il convient de noter que les vols à basse
altitude qui étaient effectués avant 1979 étaient
d'un caractère différent de ceux qui ont eu lieu
depuis (il s'agissait de vols de navigation par oppo
sition à des vols tactiques). Par ailleurs, le type
d'avions qui se livrent aux exercices en question a
changé, bien que rien ne permette de conclure que
cela a augmenté plutôt que diminué le niveau de
décibels associé à chaque vol. Le territoire au-des-
sus duquel les vols avaient lieu avant 1983 était
moins vaste que le territoire actuel.
Les vols d'entraînement (sorties) se déroulent de
la façon suivante: un avion de combat décolle à
une vitesse d'environ 160 milles à l'heure, suit un
itinéraire préétabli vers divers objectifs, simule des
attaques d'objectifs et revient ensuite à Goose Bay.
À l'intérieur des zones désignées pour les vols à
basse altitude, l'avion peut descendre jusqu'à 100
pieds au-dessus de tout obstacle qui se trouve
en-deça de 200 pieds de la trajectoire de vol proje-
tée de l'avion. Suivant la preuve, l'altitude
moyenne des vols d'entraînement à basse altitude
est d'environ 200 à 250 pieds. Les exercices de tir
auxquels on procède sont tous (à une exception
près) des exercices «avec caméra» au cours des-
quels aucun projectile n'est lancé. La seule excep
tion concerne une zone de 50 milles carrés où le
largage de charges inertes est autorisé. Il s'agit
d'une région incendiée et, suivant la preuve, les
autochtones ont eux-mêmes fait savoir aux forces
aériennes que cette région ne leur est d'aucune
utilité.
Application du Décret aux activités commencées
avant 1984
De toute évidence, le Décret envisage que les
projets auxquels il s'applique sont des projets dont
on proposera la réalisation, et non des activités qui
existaient avant l'entrée en vigueur du Décret.
Cela découle de la règle générale d'interprétation
des lois voulant que les dispositions législatives ne
doivent pas être appliquées rétroactivement, à
moins qu'une intention contraire ne ressorte à
l'évidence du texte de la disposition. Cette conclu
sion découle également du libellé des dispositions
du Décret lui-même:
3. Le processus est une méthode d'auto-évaluation selon
laquelle le ministère responsable examine, le plus tôt possible
au cours de l'étape de planification et avant de prendre des
décisions irrévocables, les répercussions environnementales de
toutes les propositions à l'égard desquelles il exerce le pouvoir
de décision.
6. Les présentes lignes directrices s'appliquent aux proposi
tions
a) devant être réalisées directement par un ministère
responsable;
18. Il incombe au Bureau
b) d'aider les ministères responsables dans la prestation de
renseignements et l'obtention de la réaction du public aux
propositions, assez tôt au cours de l'étape de planification
pour s'assurer que des décisions irrévocables ne sont pas
prises avant que l'opinion du public soit entendue;
33. (1) Lors d'un examen public, il incombe au ministère
responsable:
c) . .. de décider ... de la mesure dans laquelle ces recom-
mandations [de la commission chargée de l'examen]
devraient devenir des exigences fédérales avant d'autoriser la
mise en oeuvre d'une proposition;
d) ... s'assurer, en collaboration avec d'autres organismes
responsables, que les décisions prises par les ministres respon-
sables à la lumière des conclusions et des recommandations
qu'a formulées une commission à la suite de l'examen public
d'une proposition, sont prises en considération dans la con
ception, la réalisation et l'exploitation de cette proposition et
que des programmes appropriés de mise en oeuvre, d'inspec-
tion et de surveillance environnementale sont établis; ...
[C'est moi qui souligne.]
Le texte du Décret envisage une demande qui
porte sur de nouvelles entreprises. Même s'il est
évident que l'établissement éventuel d'un centre
d'entraînement de l'OTAN à Goose Bay répon-
drait à la définition d'une nouvelle entreprise, ce
n'est pas le cas pour les opérations de vol à basse
altitude qui se déroulent présentement (mais qui
s'intensifient). L'avocat de la requérante m'invite à
considérer que le protocole de 1986 constitue une
proposition (une nouvelle entreprise) suffisante
pour qu'on puisse considérer que les activités de
vol à basse altitude qui y sont prévues tombent
sous le coup du Décret. Il considère la conclusion
du protocole de 1986 comme un genre de décision
irrévocable à laquelle le Décret s'applique. En
revanche, l'avocat de l'intimé affirme qu'on n'a
jamais voulu que le Décret s'applique à ce genre
d'activité et il affirme qu'il ne s'y applique pas. Il
soutient que le Décret ne s'applique pas à la
décision qui est à la base du protocole de 1986
parce que cette décision se rapporte à la poursuite
d'une activité en cours qui n'est pas différente, au
point de vue qualitatif, de celle qui se déroulait
avant l'entrée en vigueur du Décret. Pour des
motifs que j'expose plus loin, je ne juge pas néces-
saire de trancher cette question très intéressante.
Le renvoi devant une commission d'évaluation
environnementale constitue-t-il un renvoi volon-
taire?
En tout état de cause, le 13 février 1986, en
même temps qu'était signé le protocole d'entente
de cette date, le ministre de la Défense nationale a
demandé par écrit au ministre de l'Environnement
d'entreprendre l'examen environnemental prévu au
Décret. Voici un extrait de la lettre en question:
Comme vous le savez, le ministère de la Défense nationale
rend possible l'organisation d'exercices militaire effectués par
certains de nos alliés de l'OTAN à Goose Bay (Labrador). Ces
activités durent depuis un certain temps déjà. Nos alliés ont
récemment demandé que soient aménagées de nouvelles zones
d'exercices aériens répondant à leurs besoins. En outre, l'OTAN
recherche un emplacement pour un Centre intégré d'entraîne-
ment à l'emploi des armes des chasseurs tactiques dont les
activités débuteraient au début des années 1990. Goose Bay est
l'une des villes dont la candidature a été retenue pour devenir
l'hôte du Centre d'entraînement.
Pour diverses raisons, il me paraît important de renvoyer le
projet en examen public avant de prendre une décision défini-
tive. D'une part, les activités proposées risquent d'avoir un
impact sur l'environnement et, d'autre part, nous avons pris
connaissance des préoccupations du public à l'égard du projet.
Je vous demande d'entreprendre une étude officielle sur les
activités proposées au Labrador et dans certaines régions du
Québec, conformément au Processus fédéral d'évaluation et
d'examen en matière d'environnement.
L'étude devra porter sur les activités énoncées dans la des
cription du projet ci-jointe, notamment les vols à vitesses
supersoniques, l'utilisation de zones d'exercices, de même que
l'extension de la base et des installations d'instruction, et les
travaux d'agrandissement de l'infrastructure à Goose Bay
même. Je crois qu'il est important que l'étude porte également
sur les problèmes liés aux exercices à basse altitude actuels et à
l'intensification future des vols, qui commencera au début de
l'été de 1986 et qui se poursuivra pour une période indéfinie. Le
Canada a des engagements en ce qui concerne les exercices à
basse altitude et je crois qu'une étude d'impact nous aidera à
organiser ces activités de manière à réduire tout impact négatif.
À cette lettre était jointe une description du projet
qui était soumis. Voici un extrait de la description:
[TRADUCTION] BUT DU PROJET
2. Les installations d'entraînement dont disposent actuellement
les forces aériennes de l'OTAN stationnées en Europe sont
insuffisantes. En conséquence, on a besoin, sur le plan militaire,
d'installations d'entraînement supplémentaires. Actuellement,
les forces aériennes de quatre pays membres de l'OTAN mènent
des exercices d'entraînement à Goose Bay aux termes d'enten-
tes bilatérales et d'autres forces aériennes envisagent de com-
mencer des opérations d'entraînement selon la même formule
bilatérale. Aux termes d'un protocole d'entente multinational,
le MDN fournira aux utilisateurs alliés:
a. l'usage de l'aérodrome de Goose Bay et des bâtiments,
installations, infrastructures et équipement décrits dans le
présent protocole d'entente et ses annexes;
b. des zones de vol à statut spécial (se rapprochant de celles
qui sont décrites à l'annexe A [sic] de la Publication d'infor-
mation de vol du MDN-GPH 205 du 6 juin 1985) appro-
priées pour l'entraînement au vol tactique à basse altitude;
un avion d'entraînement pourra descendre jusqu'à 100'
au-dessus de tout obstacle situé à moins de 200' de sa route
dans des conditions météorologiques de vol à vue (vMc)
durant le jour, et jusqu'à 200' au-dessus du sol (AGL) dans
des conditions météorologiques de vol aux instruments (IMc)
ou pendant la nuit, avec un radar de suivi de terrain (TFR); et
c. des zones avec cibles d'entraînement, à déterminer par le
MDN et la province de Terre-Neuve, qui constituent des
polygones de tir acceptables.
3. De plus, au cours de l'année 1980, le personnel militiare de
l'OTAN a été chargé par le Comité militaire de l'OTAN d'étudier
la faisabilité de la mise sur pied d'un centre intégré d'entraîne-
ment de chasse tactique (TFwTc) comme solution à long terme
éventuelle au problème de l'entraînement des forces aériennes
de l'OTAN. Le centre d'entraînement de chasse tactique
(TFwTc) devrait être mis sur pied au début des années quatre-
vingt-dix et il fournira toute la gamme d'activités d'entraîne-
ment tactique requises pour atteindre et maintenir des normes
élevées d'efficacité dans les combats livrés par les forces aérien-
nes tactiques de l'OTAN.
Aux termes du Décret, lorsqu'une proposition
lui est soumise, le ministre de l'Environnement
constitue une commission indépendante d'évalua-
tion environnementale qu'il charge d'examiner la
proposition z. Il établit également, après consulta
tion avec le ministre responsable, le mandat de
cette commission 3 . Cela a été fait le 8 juillet 1986.
Voici un extrait du mandat:
La commission se penchera sur les aspects suivants:
1) les vols d'entraînement à basse altitude se déroulant actuel-
lement et ceux qui sont prévus en application d'ententes bilaté-
rales conclues avec d'autres pays de l'OTAN;
2) le projet de mise en place d'un centre intégré d'entraînement
à l'emploi des armes des chasseurs tactiques, pour les forces
aériennes de l'OTAN. Ce projet nécessiterait l'expansion des
installations aéroportuaires et de l'infrastructure, de même que
la construction d'installations d'entraînement à Goose Bay et
l'aménagement de champs de tir au Labrador.
La commission étudiera dans quelle mesure les vols d'entraîne-
ment actuels, prévus et proposés peuvent se répercuter sur la
qualité de l'environnement et les ressources naturelles, et plus
particulièrement sur les espèces fauniques qui, comme le cari
bou, occupent une place importante dans le mode de vie
autochtone.
J'ai reproduit de larges extraits de ces documents
parce qu'ils sont importants pour comprendre une
partie de la thèse de l'intimé.
On prétend que même s'il est vrai que la com
mission d'évaluation environnementale a manifes-
tement été autorisée à examiner tant les opérations
actuelles (mais qui s'intensifient) de vol à basse
altitude que le nouveau centre d'entraînement de
l'OTAN projeté, le ministre de la Défense nationale
a bien précisé, dans la lettre explicative qu'il a
envoyée au ministre de l'Environnement, qu'il sou-
mettait la première question à la commission pour
examen à titre volontaire seulement et non parce
qu'il était légalement tenu de le faire aux termes
du Décret. On prétend qu'il ressort à l'évidence des
documents que le ministre de la Défense nationale
n'a mentionné, dans sa lettre explicative, les opéra-
tions de vol à basse altitude en cours que dans le
but d'obtenir les recommandations de la commis
sion au sujet des moyens qui pouvaient être pris
pour réduire les conséquences négatives que les
vols à basse altitude pouvaient avoir sur l'environ-
2 Art. 21 et 22 du Décret sur les lignes directrices visant le
processus d'évaluation et d'examen en matière d'environne-
ment (DORS/84-467).
3 Id., art. 26.
nement. Le ministre aurait agi de la sorte sans être
aucunement tenu légalement de le faire. Ainsi
donc, on prétend que quels que soient les effets ou
les conséquences obligatoires que le Décret pour-
rait avoir sur les propositions qui doivent être
soumises à une commission, ces effets ou consé-
quences ne devraient pas jouer lorsque le renvoi de
la proposition est volontaire. En d'autres termes, si
le Décret exige qu'on ne réalise pas le projet à
l'examen tant que la commission n'a pas terminé
son évaluation environnementale, cette exigence ne
devrait pas s'appliquer lorsqu'un projet (portant
sur des activités existantes) a été volontairement
soumis à une commission dans le seul but d'obtenir
son opinion.
Le Décret oblige-t-il à terminer l'évaluation envi-
ronnementale avant de réaliser une proposition?
Il est bien établi que les dispositions du Décret
sont impératives. Il est de jurisprudence constante
qu'un bref de mandamus peut être décerné pour
forcer quelqu'un à se conformer au Décret et
qu'un bref de certiorari peut être décerné pour
annuler une décision qui a été rendue sans qu'on se
conforme au Décret: Fédération canadienne de la
faune Inc. c. Canada (Ministre de l'Environne-
ment), [1989] 3 C.F. 309 (lie inst.); conf. à
(1989), 4 C.E.L.R. (N.S.) 1 (C.A.F.); Fédération
canadienne de la faune Inc. et autres c. Canada
(Ministre de l'Environnement) et Saskatchewan
Water Corp. (1989), 31 F.T.R. 1 (C.F. 1" inst.);
Friends of the Oldman River Society c. Canada
(Ministre des Transports), [1990] 2 C.F. 18
(C.A.).
À la différence des autres affaires dont notre
Cour a été saisie, la question en litige dans la
présente affaire n'est pas de savoir si l'on aurait dû
procéder au renvoi prévu au Décret. Comme nous
l'avons déjà fait remarquer, le débat porte sur la
question de savoir si, une fois que l'on a procédé à
ce renvoi, le ministère ou le ministre responsable a
l'obligation de ne pas réaliser le projet à l'examen
tant que le processus de renvoi et d'examen n'est
pas terminé.
Voici les faits pertinents en ce qui concerne
l'inachèvement du processus dans le cas qui nous
occupe. Comme nous l'avons déjà noté, le 13
février 1986, le ministre de la Défense nationale a
soumis deux questions au ministre de l'Environne-
ment. La première concerne ce qui constitue de
toute évidence une nouvelle proposition (la mise
sur pied d'un centre d'entraînement de l'OTAN);
l'autre a trait à une activité en cours (l'entraîne-
ment au vol à basse altitude) qui s'est intensifée au
cours des ans. Les membres de la commission
indépendante d'évaluation environnementale qui
doit être constituée aux termes du Décret ont été
nommés le 8 juillet 1986 et le mandat relatif à
l'examen auquel devait procéder cette commission
a été rendu public le même jour. Le 29 août 1986,
la commission a fait connaître la procédure d'exa-
men public des deux propositions. Elle a également
publié un projet de directives concernant le type de
renseignements relatifs à la proposition que la
commission s'attendait à ce que le ministère res-
ponsable fournisse dans son énoncé des incidences
environnementales. La commission peut demander
au promoteur d'une proposition de fournir un
énoncé des incidences environnementales (ÉIE) en
conformité avec les directives établies par la com
mission (voir article 30 du Décret).
Au cours des mois de septembre et de novembre
1986, la commission a organisé des réunions publi-
ques dans dix-huit collectivités de Terre-Neuve, du
Labrador et du Québec afin d'obtenir des com-
mentaires sur le projet de directives qu'elle avait
établi le 29 août. La commission a rédigé la ver
sion finale des directives en vue de la préparation
de l'ÉIE en janvier 1987. La commission a alors
indiqué que le ministère de la Défense nationale
s'attendait à ce que l'ÉIE soit terminé dès le mois
de janvier de 1988. L'ÉIE a été publié le 31
octobre 1989, vingt-deux mois après la date prévue
de sa publication.
Le 31 octobre 1989, la commission a précisé que
le processus d'examen de l'ÉIE comporterait les
étapes suivantes: (1) distribution de l'ÉIE au
public; (2) examen de l'ÉIE par la commission, ce
qui, suivant les prévisions de la commission, néces-
siterait au moins 90 jours; (3) demande par la
commission d'autres renseignements au ministre
de la Défense nationale avant de tenir des audien
ces publiques si, à la suite de cet examen, la
commission décelait des lacunes dans l'ÉIE; (4)
tenue d'audiences publiques si la commission esti-
mait avoir reçu suffisamment de renseignements
sur les questions pertinentes; (5) rédaction d'un
rapport à l'intention des ministres; (6) communica
tion publique de la décision finale des ministres. À
la date de l'audience qui s'est déroulée devant moi,
le 3 avril 1990, la commission n'avait pas terminé
la deuxième étape susmentionnée. Au milieu de
l'audience qui s'est déroulée devant moi, la com
mission a décidé d'annoncer publiquement qu'elle
n'était pas satisfaite des renseignements qui lui
avaient été fournis dans l'ÉIE et elle a déclaré
qu'elle demanderait qu'on lui communique des
renseignements supplémentaires avant de tenir les
audiences publiques prévues à la quatrième étape
précitée, dont le Décret exige la tenue 4 . La com
mission n'a cependant pas précisé les lacunes
qu'elle avait relevées dans l'EIE; elle a déclaré
qu'elle le ferait plus tard au cours du mois d'avril
après avoir examiné tous les commentaires formu-
lés par les participants sur cette question. Ces
commentaires ont été fournis à la commission à la
suite de l'invitation qu'elle a lancée aux membres
du public, y compris la requérante, pour obtenir
leurs commentaires sur la question de savoir si
l'ÉIE respectait suffisamment les directives qui
avaient été établies en janvier 1987.
L'avocat de la requérante prétend que l'on ne
peut procéder à la réalisation de la proposition à
l'examen tant que la commission n'a pas terminé
son évaluation et qu'elle n'a pas soumis de rapport
aux ministres compétents. Il prétend que lors-
qu'une proposition est soumise à une commission
d'évaluation environnementale pour examen, le
Décret impose au ministère responsable l'obliga-
tion de ne pas réaliser la proposition tant que
l'examen n'est pas terminé. Il soutient que cela
découle du libellé de certains articles du Décret,
dont l'article 12, ainsi que de l'économie générale
et de l'objet du Décret.
Le moyen tiré du libellé du Décret est fondé sur
les articles 10, 12, 13 et 20, ainsi que sur les
articles 3, 6, 18 et 33. Les articles 10, 12, 13 et 20
sont ainsi conçus:
10. (1) Le ministère responsable s'assure que chaque propo
sition à l'égard de laquelle il exerce le pouvoir de décision est
soumise à un examen préalable ou à une évaluation initiale,
afin de déterminer la nature et l'étendue des effets néfastes
qu'elle peut avoir sur l'environnement.
(2) Les décisions qui font suite à l'examen préalable ou à
l'évaluation initiale visés au paragraphe (1) sont prises par le
Voir notamment les articles 20, 21, 25, 28 et 29 du Décret.
ministère responsable et ne peuvent être déléguées à nul autre
organisme.
12. Le ministère responsable examine ou évalue chaque pro
position à l'égard de laquelle il exerce le pouvoir de décision,
afin de déterminer:
a) si la proposition est d'un type compris dans la liste visée à
l'alinéa 11a), auquel cas elle est réalisée telle que prévue;
b) la proposition est d'un type compris dans la liste visée à
l'alinéa 11 b), auquel cas elle est soumise au Ministre pour
qu'un examen public soit mené par une commission;
c) si les effets néfastes que la proposition peut avoir sur
l'environnement sont minimes ou peuvent être atténués par
l'application de mesures techniques connues, auquel cas la
proposition est réalisée telle que prévue ou à l'aide de ces
mesures, selon le cas;
d) si les effets néfastes que la proposition peut avoir sur
l'environnement sont inconnus, auquel cas la proposition est
soumise à d'autres études suivies d'un autre examen ou
évaluation initiale, ou est soumise au Ministre pour qu'un
examen public soit mené par une commission;
e) si, selon les critères établis par le Bureau, de concert avec
le ministère responsable, les effets néfastes que la proposition
peut avoir sur l'environnement sont importants, auquel cas la
proposition est soumise au Ministre pour qu'un examen
public soit mené par une commission; ou
. 1) si les effets néfastes que la proposition peut avoir sur
l'environnement sont inacceptables, auquel cas la proposition
est soit annulée, soit modifiée et soumise à un nouvel examen
ou évaluation initiale.
13. Nonobstant la détermination des effets d'une proposi
tion, faite conformémement à l'article 12, le ministère respon-
sable soumet la proposition au Ministre en vue de la tenue d'un
examen public par une commission, chaque fois que les préoc-
cupations du public au sujet de la proposition rendent un tel
examen souhaitable.
20. Lorsque les effets d'une proposition ont été déterminés
conformément aux alinéas 12b), d) ou e) ou à l'article 13, le
ministère responsable soumet la proposition au Ministre pour
examen public. [C'est moi qui souligne.]
L'article 12 oblige le ministère responsable à
entreprendre un examen préalable de la proposi
tion afin de déterminer si elle aura (1) soit des
effets néfastes importants sur l'environnement (2)
soit des effets néfastes éventuels inconnus sur l'en-
vironnement. Si c'est le cas, ou si les préoccupa-
tions du public au sujet de la proposition rendent
un examen public souhaitable (article 13), la pro
position doit être soumise à une commission d'éva-
luation environnementale pour examen. L'avocat
prétend que, comme l'article 12 prévoit expressé-
ment que lorsqu'une proposition tombe sous le
coup des alinéas 12a) ou 12c) elle peut être réali-
sée après l'examen préalable, il existe une obliga
tion implicite de ne pas réaliser une proposition qui
tombe sous le coup des alinéas 12b), d) ou e) et qui
a été soumise à une commission d'évaluation envi-
ronnementale. Il soutient qu'en pareil cas, le
Décret impose implicitement au ministère respon-
sable et au ministre l'obligation de ne pas réaliser
la proposition tant que le processus d'examen
public n'est pas terminé. L'argument suivant
lequel l'effet est le même lorsque le renvoi se fonde
uniquement sur l'article 13 est moins convaincant.
En ce qui concerne l'économie générale du
Décret, comme nous l'avons signalé, la procédure
que doit suivre la commission suppose la tenue
d'audiences publiques et la rédaction d'un rapport
à l'intention des ministres compétents. Ce rapport
doit être rendu public et les ministres responsables
doivent ensuite décider dans quelle mesure les
recommandations de la commission seront incluses
dans la proposition. Ces décisions des ministres
doivent également être rendues publiques. L'avo-
cat affirme que si une proposition pouvait être à la
fois soumise à une commission pour examen et être
réalisée, cela contrecarrait le but poursuivi en exi-
geant un examen public et ferait échec à l'objet du
Décret.
Le moyen que l'avocat tire du libellé de l'article
12 ainsi que de l'économie générale du Décret est
étayé par les dispositions des articles 3, 6, 18 et 33
(reproduits à la page 15). Il remarque que l'article
3 du Décret déclare que le processus d'examen est
une méthode d'auto-évaluation selon laquelle le
ministre responsable «examine [les répercussions
environnementales], le plus tôt possible au cours
de l'étape de planification et avant de prendre des
décisions irrévocables [soulignements ajoutés].
L'article 18 impose au Bureau fédéral d'examen
des évaluations environnementales l'obligation
d'aider le ministère responsable à obtenir la réac-
tion du public à la proposition «assez tôt au cours
de l'étape de planification pour s'assurer que des
décisions irrévocables ne sont pas prises avant que
l'opinion du public soit entendue» [soulignements
ajoutés]. Et l'article 33 déclare qu'il incombe au
ministère responsable de décider quelles recom-
mandations de la commission seront prises en con-
sidération dans «la conception, la réalisation et
l'exploitation de cette proposition».
J'avais d'abord jugé bien fondée la prétention de
l'avocat voulant que, lorsqu'on l'interprète en
tenant compte de son objet, le Décret exige impli-
citement que l'on interrompe toute proposition dès
qu'elle est soumise pour examen. Toute réflexion
faite, j'en viens à une conclusion différente. Je ne
crois pas que le texte du Décret justifie cette
interprétation. Comme nous l'avons fait remar-
quer, il n'y a rien dans le Décret qui exige expres-
sément que l'on interrompe un projet tant que
l'examen n'est pas terminé. Dans la plupart des
cas, il est fort possible que c'est ce qui se produit
en pratique. Cela serait sûrement une façon pru-
dente d'agir pour un ministère. Mais on ne trouve
aucune obligation impérative expresse de ce genre
dans le Décret. En deuxième lieu, l'évaluation qui
doit être effectuée aux termes de l'article 3 avant
que des décisions irrévocables ne soient prises con-
cerne le processus d'auto-évaluation que le minis-
tère responsable doit entreprendre. Elle n'a rien à
voir avec le processus de la commission d'évalua-
tion environnementale. Le Décret est muet sur la
question de savoir ce qui se produit lorsqu'une
proposition a été renvoyée pour examen. L'article
18 a trait aux obligations du Bureau fédéral d'exa-
men des évaluations environnementales et ne sau-
rait donc être considéré comme le fondement de
l'ordonnance mandatoire de suspension adressée
au ministre. Et, en ce qui concerne l'article 33,
même s'il est vrai que le ministère doit décider
quelles sont les recommandations de la commission
qu'il adoptera, l'article ne déclare pas expressé-
ment que la proposition en question doit être sus-
pendue tant que le processus d'examen n'est pas
terminé.
De surcroît, une obligation impérative implicite
de suspendre la proposition cadre mal avec l'écono-
mie générale du Décret et avec ses autres disposi
tions. Le Décret permet aux ministères et aux
ministres responsables de ne pas tenir compte des
recommandations de la commission. Ils le font
évidemment à leurs risques et périls au regard de
l'opinion publique. Selon l'économie du Décret,
c'est l'oeil vigilant de l'opinion publique qui sert de
force de levier pour garantir que des décisions
responsables sont prises sur le plan de l'environne-
ment. Il est donc tout à fait logique que le régime
qui s'applique au cours du processus d'examen de
la commission soit d'un caractère semblable, dans
la mesure où il peut exister une obligation de ne
pas réaliser le projet. À mon avis, le «respect» de
l'obligation de ne pas réaliser le projet alors que
celui-ci est à l'examen dépend également de la
pression de l'opinion publique et de la publicité
négative qu'une ligne de conduite contraire
comporterait.
À cet égard, il est clair que dans le cas qui nous
occupe, le ministre voulait, à tout le moins au
début, que le processus d'examen soit terminé
avant de prendre une décision au sujet de la mise
sur pied d'un centre d'entraînement de l'OTAN.
Cela ressort à l'évidence de la lettre explicative du
13 février 1986. Une lettre subséquente, qui porte
la date du 25 juillet 1989 et qui est adressée à la
commission, indique que le ministre estimait qu'il
ne pouvait procéder à la mise sur pied du centre
d'entraînement de l'OTAN tant que la commisison
n'aurait pas fourni à tout le moins un rapport
provisoire. Et devant moi l'avocat du ministre, qui
s'exprimait au nom de ce dernier, à déclaré que le
ministre n'avait pas l'intention de réaliser ce projet
tant qu'il n'aurait pas reçu le rapport de la
commission.
Une autre particularité du mécanisme d'exa-
ment prévu au Décret qui nous amène à conclure
qu'il n'existe pas d'obligation légale impérative de
ne pas réaliser une proposition dans des circons-
tances comme celles qui existent en l'espèce est le
fait qu'une fois qu'une proposition est soumise à
une commission pour examen, le ministère respon-
sable perd de fait tout contrôle sur la durée de la
procédure de la commission. Une commission
pourrait en conséquence suspendre une proposition
qui lui a été soumise par sa simple inaction. A mon
avis, si l'on avait voulu que le renvoi prévu au
Décret ait l'effet obligatoire que prétend l'avocat,
on aurait inclus dans le Décret d'autres disposi
tions concernant le délai dans lequel le processus
d'examen doit être terminé et certaines disposi
tions concernant les conséquences d'un retard.
Brefs de mandamus et de certiorari —recours
discrétionnaires
Il y a d'autres raisons qui m'amèneraient à
refuser de décerner l'une des ordonnances sollici-
tées en l'espèce. Les ordonnances demandées, à
savoir le bref de mandamus et le bref de certiorari,
sont des recours discrétionnaires (voir de façon
générale de Smith's Judicial Review of Adminis-
trative Action, 4e éd., 1980, pages 557 et suivan-
tes). L'avocat de la requérante prétend que dans le
jugement Fédération canadienne de la faune Inc.
c. Canada (Ministre de l'Environnement), [1989] 3
C.F. 309 (1" inst.), le juge Cullen a statué que le
bref de mandamus n'était pas discrétionnaire lors-
que la loi impose au ministre une obligation qui
devait être exécutée. Ce n'est pas l'interprétation
que je fais de la décision du juge Cullen. Il expli-
quait simplement les facteurs qui sont pertinents
lorsqu'il s'agit de décerner un bref de mandamus;
il n'a pas tiré la conclusion que l'avocat suggère.
Pour obtenir un bref de mandamus, il est toujours
nécessaire de conclure qu'il existe une obligation
prévue par la loi qui doit être exécutée. Ce n'est
qu'après que cette condition a été respectée qu'on
peut se demander s'il existe des raisons particuliè-
res qui justifient le tribunal, dans l'exercice de son
pouvoir discrétionnaire, de refuser de prononcer
l'ordonnance dans un cas donné.
En l'espèce, il y a de nombreuses raisons pour
lesquelles un tribunal hésiterait à prononcer l'or-
donnance demandée pour interdire les vols à basse
altitude qui sont effectués depuis de nombreuses
années (mais qui s'intensifient).
Avant tout, il y a l'effet très important qu'une
telle ordonnance aurait sur les collectivités de
Goose Bay et de Happy Valley. Il y a toute raison
de croire que si la Cour ordonnait la cessation de
l'entraînement au vol à basse altitude, ces collecti-
vités subiraient un préjudice important. Sous sa
forme actuelle, la base des Forces canadiennes de
Goose Bay n'a qu'un rôle d'appui en ce qui con-
cerne l'entraînement au vol à basse altitude (envi-
ron 1 700 emplois civils directs et indirects dépen-
dent de la base militaire). Advenant la suspension
de l'entraînement au vol à basse altitude, certains
éléments de preuve permettent de croire qu'il pour-
rait fort bien en résulter une réduction permanente
de ces activités. Cela entraînerait par ailleurs des
congédiements massifs, une perte d'investissement,
ainsi que des dépenses pour les populations civiles
et militaires de ces collectivités. De plus, le
Canada serait obligé de verser une indemnité aux
membres de l'OTAN pour la valeur résiduelle de
leurs investissements et serait aussi vraisemblable-
ment obligé de leur verser une indemnité pour les
bouleversements causés par cette dissolution. Le
prononcé d'une ordonnance de cette nature cause-
rait à tout le moins une perturbation, un boulever-
sement et un préjudice considérables à la popula
tion civile de Happy Valley et de Goose Bay, ainsi
qu'aux militaires canadiens et à leurs familles,
sans parler des membres des forces aériennes de
l'OTAN susmentionnés.
Par ailleurs, les membres des collectivités
autochtones qui sont représentées en l'espèce par
la requérante subiront un préjudice minime en
raison du refus de prononcer l'ordonnance. Ils ne
perdront aucun des droits qu'ils possèdent présen-
tement. Les préoccupations environnementales de
la requérante et d'autres personnes seront exami
nées par la commission d'évaluation environne-
mentale au cours de son évaluation environnemen-
tale. Le refus d'accorder l'ordonnance demandée
ne portera pas atteinte à ce processus. Le ministre
devra prendre en considération les recommanda-
tions qui seront formulées à la suite de cet examen.
À la base de la présente requête, il y a une
revendication territoriale contestée, mais non
réglée. Mais cette revendication ne peut être réso-
lue dans le cadre de la présente instance. Elle doit
être résolue de la façon habituelle, au moyen d'une
poursuite judiciaire engagée au besoin dans ce but.
Ces questions n'ont aucun rapport avec la présente
requête.
Si on lui présentait des preuves patentes démon-
trant que les vols à basse altitude qui sont actuelle-
ment effectués avec une intensité croissante ont
des incidences importantes et dommageables sur
l'environnement, le tribunal serait amené à accor-
der l'ordonnance demandée. Mais on ne m'a pré-
senté aucune telle preuve patente. Dans les pièces
qui ont été produites, on formule beaucoup de
commentaires spéculatifs et hypothétiques mais
aucune preuve concrète démontrant que les vols à
basse altitude présentement effectués causent des
dommages considérables à l'environnement. On
formule de nombreuses critiques sommaires au
sujet de l'ÉIE dans les pièces produites. Elles sont
souvent incomplètes et sorties de leur contexte.
Beaucoup d'entre elles n'ont absolument rien à
voir avec les questions environnementales. De
toute façon, ainsi que l'avocat de la requérante l'a
à juste titre souligné, la question des incidences
environnementales est la question que la commis-
Sion doit trancher et cette question ne m'a pas été
directement soumise. Par ailleurs, l'absence d'élé-
ments de preuve patents et univoques concernant
les dommages importants causés à l'environnement
est un facteur dont on peut tenir compte pour
refuser de prononcer l'ordonnance demandée.
De plus, pour refuser de prononcer une ordon-
nance de mandamus ou de certiorari, le fait que la
présente action aurait pu être introduite par la
requérante il y a au moins quatre ans a une
certaine importance. Le retard est toujours un
facteur qui entre en ligne de compte dans le cas
des recours discrétionnaires. L'avocat de la requé-
rante fait valoir que la requérante a participé au
processus d'examen environnemental et qu'elle
s'attendait à ce que le processus soit terminé plus
tôt. Cela est compréhensible, mais je ne suis pas
convaincue que cela justifie qu'on ait attendu aussi
longtemps pour entamer une action en justice. À
cet égard, bien qu'il soit à la hausse, le nombre de
vols d'entraînement n'a pas augmenté sensible-
ment au cours des dernières années et il n'y a
absolument aucune preuve qui permette de croire
que l'augmentation ait sur l'environnement des
incidences qui sont radicalement différentes de
celles qui existaient antérieurement.
Un autre facteur très important, qui exige à
mon avis qu'on refuse de prononcer l'ordonnance
concernant les activités actuelles de vol à basse
altitude, est le fait que les membres des collectivi-
tés représentées par la requérante qui intentent la
présente action ont refusé de collaborer de quelque
façon que ce soit pour atténuer les effets que
l'entraînement au vol à basse altitude pouvaient
avoir sur eux. Ils ont refusé de divulguer l'empla-
cement de leurs campements pour que les avions se
livrant à des activités de vols à basse altitude les
évitent. L'étendue du territoire au-dessus duquel
l'entraînement au vol à basse altitude se déroule
est, comme nous l'avons déjà noté, à peu près
équivalent à la superficie des provinces du Nou-
veau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse combi
nées. Il n'y a pas de renseignement précis concer-
nant le nombre exact de personnes, qui sont
représentées par la requérante à l'instance, qui se
rendent dans ce secteur par avion pour y pratiquer
la chasse et la pêche. Il semble cependant clair que
ce chiffre est de l'ordre d'une centaine de person-
nes et qu'il n'y a certainement pas plus de 200
personnes qui sont en cause. De plus, rien ne
permet de penser que ces cent personnes sont
toutes présentes en même temps dans les zones
pertinentes. Et elles ne s'y trouvent pas l'été lors-
que les acivités de vol à basse altitude sont les plus
intenses.
Au sein des Forces, on a pour politique de
donner aux pilotes l'ordre d'éviter tous les campe-
ments et certains secteurs où se concentrent les
animaux sauvages (par ex., les troupeaux de cari
bous) lorsqu'on en connaît l'emplacement. Si les
Forces sont informées de l'emplacement d'un cam-
pement, elles donnent pour instruction aux pilotes
de ne pas voler dans un rayon de trois milles de cet
emplacement. Tous les campements sont équipés
de radios décamétriques et peuvent signaler leur
emplacement aux Forces. Il semble que d'autres
groupes autochtones qui utilisent les territoires où
se déroulent les vols à basse altitude pour y prati-
quer la chasse et la pêche collaborent de cette
façon. On a du moins déposé en preuve une grande
quantité de documents montrant l'emplacement
signalé de campements au cours des années 1986 à
1989 pour lesquels des ordres d'évitement ont été
donnés. On évite en règle générale les campements
dont l'emplacement est signalé, même s'il arrive
qu'on fasse des erreurs. Les individus représentés
par la requérante à l'instance ont refusé de colla-
borer de cette façon. Ils prétendent qu'en collabo-
rant de la sorte, ils fermeraient les yeux sur les
activités de vol à basse altitude. Ce raisonnement
est mal fondé. On peut atténuer les conséquences
des actes préjudiciables accomplis par d'autres
personnes sans fermer les yeux sur ces actes. Le
refus de collaborer nous amène évidemment à nous
demander si les individus qui sont présentement
devant la Cour utilisent beaucoup le territoire en
question. C'est une inférence qui découle naturelle-
ment du comportement en question. De toute
façon, le comportement milite contre le prononcé
des ordonnances de mandamus et de certiorari.
La plupart des considérations qui amèneraient
un tribunal, dans l'exercice de son pouvoir discré-
tionnaire, à ne pas prononcer d'ordonnance de
suspension concernant le vol à basse altitude ne
s'appliquent évidemment pas à la mise sur pied du
nouveau centre d'entraînement de l'OTAN, qui
représente une entreprise entièrement nouvelle.
Conclusion
Ainsi qu'il ressort à l'évidence de ce qui précède,
la présente affaire soulève plusieurs questions inté-
ressantes. En voici quelques-unes: Dans quels cas
une activité qui existait avant l'entrée en vigueur
du Décret mais dont l'ampleur ne cesse d'augmen-
ter tombe-t-elle sous le coup du Décret? Qu'arrive-
t-il lorsqu'un ministre soumet une affaire à une
commission pour examen même s'il n'est pas stric-
tement tenu de le faire aux termes du Décret? Une
activité en cours qui est ainsi soumise ou qui
devient assujettie au Décret en raison d'un change-
ment radical dans sa qualité ou sa nature devrait-
elle être soumise aux mêmes exigences en cas de
renvoi à une commission comme s'il s'agissait
d'une entreprise entièrement nouvelle (c.-à-d., si
l'on doit suspendre la proposition jusqu'à ce que le
processus d'examen soit terminé, cela s'applique-
t-il)? En tout état de cause, comme il ressort des
motifs précités, il ne m'est pas nécessaire d'exami-
ner ces questions, parce que je suis d'avis qu'indé-
pendamment des réponses qu'on leur donnerait, la
requérante ne pourrait obtenir gain de cause en
l'espèce. Je ne crois pas que l'on puisse considérer
que le Décret oblige le ministre à «suspendre» un
projet après qu'il a été soumis à un examen en
vertu du Décret en question. De plus, en ce qui
concerne l'ordonnance qui pourrait être prononcée
pour suspendre les activités de vol à basse altitude
par opposition à la mise sur pied d'un centre
d'entraînement de l'OTAN, il y a de nombreux
facteurs qui nous amènent en tout état de cause à
ne pas prononcer une telle ordonnance. Le facteur
le plus important est le préjudice considérable
qu'une telle ordonnance ferait subir à beaucoup de
personnes qui ne sont pas représentées devant la
Cour en comparaison du préjudice minimal que la
requérante subira par suite du refus de prononcer
l'ordonnance.
Par ces motifs, la requête est rejetée.
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