T-2099-86
Parkland Operations Ltd. (demanderesse)
c.
Sa Majesté la Reine (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: PARKLAND OPERATIONS LTD. c. CANADA (1"
INST.)
Section de première instance, juge en chef adjoint
Jerome—Edmonton, 7 et 8 septembre, 1989 et
22 février, 1990; Ottawa, 19 octobre 1990.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Déductions
Détournement de fonds par des administrateurs et des action-
naires minoritaires — Déductibilité de la perte résultant du
vol — Dépenses engagées en vue de tirer un revenu d'une
entreprise — Visé par l'exception établie à l'art. 18(1)a) — Le
bulletin d'interprétation portant que la perte découlant d'un
vol effectué par un employé n'est pas déductible s'il s'agit d'un
cadre supérieur ou d'un actionnaire majoritaire ne lie pas la
Cour — La Cour canadienne de l'impôt a décidé récemment
que le niveau d'emploi ne devrait avoir aucun effet sur la
déductibilité.
Il s'agit d'un appel interjeté de la cotisation d'impôt de la
demanderesse pour les années 1982 et 1983. La demanderesse
était au nombre des sept sociétés de la «jante» organisées
autour d'une société «moyeu» qui fournissait les services de
gestion et de comptabilité. Le but visé par cette «roue» de
sociétés liées était de faire en sorte que la société «moyeu»
assure le financement des sociétés de la «jante». Des enquêtes
policières n'ont pas réussi à recueillir suffisamment d'éléments
de preuve pour fonder des poursuites au criminel, mais il
semble que deux administrateurs et actionnaires minoritaires
aient détourné la somme de 563 396 $ de la demanderesse. La
question en litige était de savoir si la demanderesse pouvait
déduire cette perte. La défenderesse s'est fondée sur le bulletin
d'interprétation qui portait qu'une perte découlant d'un vol
commis par un employé n'est pas admise à titre de déduction
s'il s'agit d'un cadre supérieur ou d'un actionnaire majoritaire.
Jugement: l'appel devrait être accueilli.
La dépense a été engagée en vue de tirer un revenu d'une
entreprise, et elle a été engagée en conformité avec les principes
comptables généralement reconnus. Les fonds ont été retirés
frauduleusement de la ligne de crédit de la société qui consti-
tuait une partie des activités lucratives normales de la société.
La dépense est visée par l'exception établie à l'alinéa 18(1)a);
elle est donc déductible.
Même s'il n'est que l'interprétation que donne le Ministère à
la loi qu'il administre et qu'il ne lie pas la Cour, le bulletin
d'interprétation correspond à la tendance majoritaire de la
jurisprudence en ce qui a trait au «niveau du vol». Toutefois, la
Cour canadienne de l'impôt a conclu récemment que le niveau
d'emploi du fraudeur ne saurait entraîner quelque différence
quant à la question de la déductibilité de sommes volées par un
employé. Les actionnaires minoritaires ont détourné les fonds
en cause non en leur qualité d'actionnaires, mais plutôt de
fraudeurs, à l'insu et sans le consentement des autres actionnai-
res. Ils ont détourné l'argent dans le cadre des activités de la
société, et non en exerçant un pouvoir dominant sur les fonds
qui aurait existé hors de ces activités. Le montant perdu par
suite du détournement était une perte autre qu'en capital, dont
la déduction est envisagée en conformité avec les principes
comptables généralement reconnus, et n'est pas interdite par la
Loi.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63,
art. 9(1), 18(1)a) [mod. par S.C. 1985, chap. 45, art.
126, n° 26], b), 20(1)p), 172(2) (mod. par S.C.
1980-81-82-83, chap. 158, art. 58).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Cassidy's Ltd. (auparavant Packer Floor Coverings Ltd.)
c. M.R.N. (1989), 89 DTC 686 (C.C.I.); W G Evans &
Co Ltd y Commissioner of Inland Revenue, [1976] 1
NZLR 425 (S.C.); Mattabi Mines Ltd. c. Ontario
(Ministre du revenu), [1988] 2 R.C.S. 175; (1988), 53
D.L.R. (4th) 656; [1988] 2 C.T.C. 294; 87 N.R. 300; 29
O.A.C. 268.
AVOCATS:
Neil W. Nichols pour la demanderesse.
James N. Shaw pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Neil W. Nichols Professional Corporation,
Edmonton, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF ADJOINT JEROME: La pré-
sente affaire a été entendue le 7 septembre 1989,
à Edmonton (Alberta). En temps opportun, la
décision Cassidy's Ltd. (auparavant Packer Floor
Coverings Ltd.) c. M.R.N. (1989), 89 DTC 686 a
été portée à mon attention. Il s'agit d'une décision
de la Cour canadienne de l'impôt, rendue le 26 oc-
tobre 1989. Puisque toutes les parties estimaient
que la décision Cassidy's pouvait avoir un rapport
avec la présente affaire, j'ai demandé aux parties
de produire des observations supplémentaires sur
la pertinence de la décision Cassidy's, et les argu
ments sur ce point ont été présentés le 22 février
1990.
La présente action est intentée en vertu du
paragraphe 172(2) de la Loi de l'impôt sur le
revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, modifiée [par
S.C. 1980-81-82-83, chap. 158, art. 58], par voie
d'appel de l'impôt à payer par la demanderesse
pour ses années d'imposition 1982 et 1983. Au
cours de la période pertinente, la demanderesse a
subi une perte de 563 396 $, qu'elle veut déduire
dans le calcul de son impôt à payer. L'exposé
conjoint des faits présenté par les avocats a gran-
dement simplifié les questions en litige, et le seul
point litigieux dont la Cour est saisie porte sur la
question de savoir si le contribuable a le droit de
déduire la perte de 563 396 $ dont le montant n'est
pas contesté.
La demanderesse, Parkland Operations Ltd.
(Parkland) est une société de l'Alberta qui exploi-
tait une entreprise de construction et de services
pétroliers dans un champ de pétrole près de Dray-
ton Valley, au sud-ouest d'Edmonton. Parkland a
changé de propriétaires en 1980, lorsqu'elle a été
acquise par quatre personnes qui ont aussitôt
transféré leurs actions de la société à leurs sociétés
de portefeuille respectives. Ces sociétés et les
quatre personnes physiques qui leur correspondent
étaient Neil Orser Holdings (Neil Orser),
226614 Alberta Ltd. (Michael Piro), E. Dyck
Holdings Ltd. (Earl Dyck) et 223015 Alberta
Ltd. (James Herringer). En août 1980, Joelene
Holdings Ltd. (Joseph Makarowski) et Lyle
McGinn Holdings Ltd. (Lyle McGinn), anciennes
actionnaires de Parkland, ont chacune acquis à
nouveau 10 % des actions ordinaires de Parkland
des quatre sociétés actionnaires, de sorte que les
quatre autres sociétés actionnaires conservaient
chacune 20 % des actions ordinaires de la société.
Au moment où Parkland a changé de propriétai-
res, elle est devenue partie intégrante d'une struc
ture intersociétés que tous les témoins ont décrite
comme un «moyeu». Si je comprends bien, les
propriétaires avaient l'intention de former une
«roue» de sociétés liées, dont Supercorp Manage
ment Inc. (Supercorp) serait le «moyeu», et sept
autres sociétés, notamment Parkland, la «jante».
La notion de «moyeu» a été élaborée par M. Orser,
et elle avait pour but de permettre à chaque société
dans la roue d'aider les autres, particulièrement en
matière de financement. Supercorp devait fournir
les services de comptabilité et de gestion, et sa
présence devait aider à assurer le financement des
sociétés qui se trouvaient sur la jante.
MM. Makarowski et Orser ont donné des expli
cations sur la structure intersociétés en cause. La
notion de moyeu était une idée de M. Orser, et
elle était fondée sur l'hypothèse selon laquelle
Supercorp pourrait pourvoir au financement des
sociétés qui se trouvaient sur la jante. L'existence
d'un moyeu permettait à chaque société dans la
roue d'aider les autres, en particulier en matière de
financement. L'interrogatoire principal de
M. Orser a donné lieu à l'échange suivant: (Dos-
sier, à la page 56)
[TRADUCTION] Q Pouvez-vous expliquer à la Cour comment la
notion du moyeu a été élaborée et faire le lien avec les
diverses sociétés qui figurent sur ce tableau?
R La société moyeu était Supercorp, qui devait être respon-
sable de la comptabilité et de la gestion des autres
sociétés participantes.
Q Lorsque vous avez songé à investir dans Parkland,
qu'est-ce qui était important au sujet de Parkland?
R Parkland avait une bonne marge brute d'autofinancement
et un excédent d'encaisse.
Q Pouvez-vous maintenant nous expliquer davantage com
ment cela se situe dans la notion de faire de Supercorp le
moyeu?
R Eh bien, si les autres sociétés éprouvaient de la difficulté
ou avaient besoin de financement, il devait censément
être beaucoup plus facile de contracter un emprunt par
l'intermédiaire de Supercorp de façon à permettre le
financement des autres sociétés.
Parkland disposait d'une ligne de crédit de
750 000 $ auprès de la Banque canadienne impé-
riale de commerce. Une «carte de signature» sur
laquelle figuraient les signatures des six actionnai-
res ne rend pas expressément obligatoire la signa
ture conjointe pour la conclusion d'une opération
bancaire. La disposition de la carte va toutefois
dans ce sens, et elle donne l'impression qu'on visait
l'obligation de signer conjointement. En se fondant
sur l'apparence de cette carte et sur les discussions
qui ont eu lieu entre les parties, Makarowski et
Orser, les deux seuls directeurs qui se sont présen-
tés comme témoins, étaient tous deux d'avis qu'il
fallait apposer deux signatures pour retirer des
fonds de Parkland: au moins une signature de
Makarowski ou de McGinn, et une des quatre
«nouveaux» propriétaires, Orser, Piro, Dyck ou
Herringer. Bon nombre de chèques furent signés
de cette façon. M. Makarowski, qui avait pris des
mesures pour obtenir la délégation de signature
des chèques précisément afin d'avoir un certain
droit de regard et une certaine mesure de contrôle
sur les dépenses de Parkland, signait la plupart des
chèques, tandis que Herringer et Dyck, entre eux,
signaient tous les chèques. Malgré tout, certains
retraits ont été effectués à l'insu et sans l'approba-
tion de Makarowski ou de McGinn, voire de Orser,
et des fonds ont été détournés par Earl Dyck et
James Herringer dans des circonstances qui ne
sont pas encore éclaircies.
En fait, Dyck and Herringer contrôlaient Super-
corp, mais dès l'automne 1981, se manifestait une
insatisfaction de plus en plus grande à leur égard.
M. Makarowski a appris que plus d'un demi-mil
lion de dollars avaient été payés à Supercorp par
Parkland, ce qui l'a surpris puisque, malgré l'en-
tente interne selon laquelle lui et M. McGinn
devaient signer tous les chèques, ces retraits
avaient été effectués à son insu. Le 16 décembre
1981, Earl Dyck et James Herringer étaient rele-
vés de leurs fonctions d'administrateurs de
Parkland.
Le sergent d'état-major David Bradley de la
GRC a déclaré avoir reçu des plaintes au sujet de
détournements de fonds de Parkland et d'Island
Recreational Inc., une autre société de la «jante»,
ce qui a donné lieu à une enquête de la GRC. Il y
avait suffisamment d'éléments de preuve pour
intenter des poursuites au criminel contre Dyck et
Herringer en ce qui a trait à Island Recreational.
Dyck et Herringer ont manifestement vendu des
biens qui appartenaient à cette société et se sont
approprié une somme d'environ 200 000 $, actes
pour lesquels ils ont été condamnés et ont purgé
une peine d'emprisonnement. En ce qui a trait à
Parkland toutefois, le sergent d'état-major Bradley
était d'avis que même si les autorités étaient cer-
taines que les fonds de ces sociétés avaient été
détournés par Dyck et Herringer, elles estimaient
qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de
preuve pour fonder une poursuite au criminel, en
raison particulièrement d'un certain manque de
précision dans les arrangements bancaires ou dans
la délégation de signature.
M. Jack Foulds, le comptable agréé responsa-
ble des livres de Parkland, a aussi été appelé à titre
de témoin expert. Il a donné son avis sur les
principes comptables généralement reconnus en se
fondant en partie sur son interprétation des
articles 3480 et 3610 du manuel de l'Institut cana-
dien des comptables agréés. Il était d'avis que le
détournement ou la disparition frauduleuse de
fonds, qui n'est pas une transaction en capital, est
une perte dont la déduction devrait être réclamée à
titre de dépense. Selon lui, la perte subie en l'es-
pèce serait considérée par les comptables comme
déductible à titre de poste extraordinaire, au sens
défini à l'article 3480 du manuel de l'ICCA, et
tiendrait par conséquent de la nature d'un revenu.
M. Foulds estimait également qu'en supposant
que la demanderesse exploitait une entreprise de
prêt, cette perte serait aussi déductible parce
qu'elle aurait été subie par l'entreprise de prêt
appartenant à la demanderesse.
Le paragraphe 9(1) de la Loi prévoit que, sous
réserve des dispositions de la Partie I de la Loi, «le
revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou
d'un bien pour une année d'imposition est le béné-
fice qu'il en tire pour cette année». La demande-
resse prétend que les pertes subies par Parkland
par suite du «détournement» des fonds par Dyck et
Herringer sont déductibles dans le calcul du béné-
fice tiré par Parkland d'une entreprise et ne sont
visées par aucune interdiction prévue dans la Loi.
Elle prétend subsidiairement que les pertes sont
survenues dans le cours de l'entreprise secondaire
de prêt du contribuable et qu'elles sont donc
déductibles en vertu de l'article 9 ou de l'ali-
néa 20(1)p) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
De son côté, la défenderesse prétend que la
somme n'est pas déductible puisqu'il n'y a pas eu
de détournement et que, s'il y a eu détournement,
cela ne constitue pas une dépense engagée en vue
de tirer un revenu de l'entreprise ou de lui faire
produire un revenu. La défenderesse prétend en
outre que la demanderesse n'a pas exploité une
entreprise secondaire de prêt.
La décision de la Cour canadienne de l'impôt
dans l'affaire Cassidy's a été rendue peu après la
mise en délibéré de cette affaire, et, après les
arguments supplémentaires des avocats, j'ai étudié
la question de façon plus approfondie. Il me faut
donc déterminer si les faits établissent que l'argent
qui a été détourné a été dépensé pour les fins visées
à l'alinéa 18(1)a) [mod. par S.C. 1985, chap. 45,
art. 126, n° 26] de la Loi de l'impôt sur le revenu,
ce qui permettrait d'invoquer les exceptions qui y
sont prévues. Les deux avocats semblent s'entendre
sur la position suivante: en l'absence d'interdiction
de déduire un montant en vertu des alinéas
18(1)a) ou b), ce montant est déductible du revenu
en conformité avec les principes comptables géné-
ralement reconnus, même si ces principes ne cons
tituent pas un critère déterminant ni ne peuvent
être utilisés pour trancher la question de la
déductibilité.
Les parties conviennent que si elle est accordée
sur la base de la théorie du «détournement», la
déduction s'applique entièrement à l'année d'impo-
sition 1982; si elle est fondée sur l'hypothèse de
l'entreprise secondaire de prêt, la déduction s'ap-
plique en entier à l'année d'imposition 1983.
Les alinéas 18(1)a) et b) de la Loi de l'impôt
sur le revenu portent:
18. (1) Dans le calcul du revenu du contribuable, tiré d'une
entreprise ou d'un bien, les éléments suivants ne sont pas
déductibles:
a) un débours ou une dépense, sauf dans la mesure où ce
débours ou cette dépense a été fait ou engagé par le contri-
buable en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un
bien;
b) une somme déboursée, une perte ou un remplacement de
capital, un paiement titre de capital ou une provision pour
amortissement, désuétude ou épuisement, sauf ce qui est
expressément permis par la présente Partie;
Le droit d'obtenir une déduction en vertu de
l'alinéa 18(1)a) a été examiné de façon approfon-
die par le juge Rip de la Cour canadienne de
l'impôt dans la décision Cassidy's. Je suis con-
vaincu que la position adoptée par les avocats en
l'espèce correspond à la position retenue par le
juge Rip à la page 690 en ce qui a trait à la
pertinence des principes comptables généralement
reconnus à l'égard des dispositions de la Loi.
J'aborde par conséquent l'étude des conditions
nécessaires pour établir le droit de demander une
déduction fondée sur l'alinéa 18(1)a).
La «dépense» en question a-t-elle été engagée
par le contribuable . en vue de tirer un revenu de
l'entreprise ou de lui faire produire un revenu? La
demanderesse prétend que:
[TRADUCTION] En ce qui a trait à Parkland, il convient de
noter, que les fonds détournés provenaient des fonds de fonction-
nement de la société, parce qu'ils avaient été retirés de sa ligne
de crédit qui était garantie par ses comptes-clients. Ce fait
permet de qualifier l'opération comme tenant de la nature d'un
revenu.
La demanderesse m'a référé à l'arrêt Mattabi
Mines Ltd. c. Ontario (Ministre du revenu),
[1988] 2 R.C.S. 175, dans lequel Madame le juge
Wilson, de la Cour suprême du Canada, [à la page
187] a cité en les approuvant les commentaires
suivants du président Thorson de la Cour de
l'Échiquier du Canada dans l'affaire Royal Trust
Co. v. Minister of National Revenue, [1957]
C.T.C. 32:
[TRADUCTION] La restriction essentielle apportée à l'excep-
tion prévue à l'al. 12(1)a) est que le contribuable doit avoir fait
la dépense ou le débours «en vue» de tirer un revenu «de
l'entreprise» ou de lui faire produire un revenu. C'est le but de
la dépense ou du débours qui est important et ce but doit être
de tirer un revenu «de l'entreprise» à laquelle le contribuable se
consacre ou de lui faire produire un revenu ... Ainsi, dans une
affaire relevant de la Loi de l'impôt sur le revenu, si le
contribuable effectue un débours ou engage une dépense en
conformité avec les principes applicables aux opérations com-
merciales ou la pratique commerciale reconnue, et ce, dans le
but de tirer un revenu de son entreprise ou de lui faire produire
un revenu, son montant est déductible aux fins de l'impôt sur le
revenu. [Je souligne.]
La demanderesse prétend que les «dépenses» en
l'espèce provenaient du processus productif de
revenu et, partant, que leur déduction n'est pas
interdite par l'alinéa 18(1)a).
La défenderesse prétend bien sûr que les dépen-
ses demandées étaient des pertes causées par le vol
ou le - détournement de fonds de la part d'un
employé, d'un dirigeant ou d'un administrateur de
la demanderesse, et ne constituaient pas des dépen-
ses engagées en vue de tirer un revenu de l'entre-
prise ou de lui faire produire un revenu au sens de
cet alinéa. Voici la teneur de la prétention de la
défenderesse:
[TRADUCTION] En l'espèce, l'argent au moment du vol ne se
trouvait pas dans la caisse enregistreuse, ni n'existait sous
forme de reçus, ni sous forme de comptes-clients, ni ne faisait
partie des activités lucratives normales de la société. Lorsqu'il a
été volé, l'argent ne se trouvait à aucune étape du processus
productif de revenu.
Nonobstant cette prétention, je suis convaincu
qu'en l'espèce la dépense a été engagée par le
contribuable en vue de tirer un revenu de l'entre-
prise ou de lui faire produire un revenu; et que
cette dépense a été engagée en conformité avec les
principes relatifs à la pratique commerciale recon-
nue. Je conclus que les fonds en cause ont été
retirés frauduleusement de la ligne de crédit de la
société, ce qui, comme le prétend la demanderesse,
qualifie l'opération comme tenant de la nature
d'un revenu. Je ne puis accepter la prétention de la
défenderesse portant que l'argent au moment du
vol ne faisait pas partie des activités lucratives
normales de la société. Les fonds en cause prove-
naient des fonds de fonctionnement de la société,
qui constituent effectivement une partie des activi-
tés lucratives normales de la société.
J'en suis donc arrivé à la conclusion que la
dépense en cause est visée par l'exception établie à
l'alinéa 18(1)a). La défenderesse a toutefois sou-
levé aussi la question du bulletin d'interprétation
IT-185, en date du 4 novembre 1974:
1. Une perte de capital de roulement, notamment de stock
en magasin ou d'espèces, découlant d'un vol, d'un détourne-
ment de fonds ou de malversation est généralement admise
comme déduction lors du calcul du revenu lorsque l'entre-
prise d'un contribuable comporte ce risque. Pour établir les
circonstances dans lesquelles ces pertes sont admissibles, le
Ministère utilise les lignes directrices suivantes.
2. Une perte découlant
a) d'un vol ou d'un hold-up commis par un étranger,
ou
b) d'un vol, de malversation ou d'un détournement de
fonds effectué par un employé, à moins qu'il ne
s'agisse d'un cadre supérieur ou d'un actionnaire
majoritaire, est admise. Les pertes découlant d'un vol,
de malversation ou d'un détournement de fonds effec-
tué par un associé ne sont pas admises.
En se fondant sur ce bulletin, la défenderesse
prétend que peu importe qu'il ait ou non force de
loi, si le bulletin interprète correctement la loi et
établit la politique en ce qui a trait au niveau du
vol, la demanderesse ne peut obtenir gain de cause.
En revanche, la demanderesse prétend qu'un bulle
tin d'interprétation du Ministère ne représente pas
plus que ce qu'il est: l'interprétation que donne le
ministère de l'Impôt à la loi qu'il administre — sa
version de la loi ou un avertissement public de la
pratique qu'il a l'intention d'adopter en matière de
fixation d'impôt, et que par conséquent il ne lie pas
la Cour. J'accepte et j'approuve cette position.
Toutefois, l'avocat de la défenderesse a raison de
souligner que ce bulletin, particulièrement lorsqu'il
suggère qu'une perte ne sera pas admise lorsqu'elle
découle d'un vol effectué par un employé qui est
un «cadre supérieur ou un actionnaire majoritaire»,
correspond à la tendance majoritaire de la juris
prudence en ce qui a trait au «niveau du vol». C'est
ce problème qui a été soulevé dans la décision
Cassidy's, qu'il y a lieu d'examiner de façon plus
approfondie ici.
Lorsqu'il a conclu que le fait que le fraudeur ait
été un cadre dirigeant ne suffit pas en tant que tel
à refuser la déduction des pertes, le juge Rip s'est
référé à une décision de la Nouvelle-Zélande, W G
Evans & Co Ltd v Commissioner of Inland Reve
nue, [1976] 1 NZLR 425 (S.C.), à la page 435:
[TRADUCTION] Le fait qu'il ait été aussi administrateur,
actionnaire et dirigeant de l'entreprise ne change rien au fait
qu'il ait détourné l'argent dans le cadre des activités de l'entre-
prise, et non en exerçant un pouvoir dominant complètement
hors de ces activités, comme l'a fait l'administrateur délégué
unique dans Curtis. Le risque d'un tel détournement était
inhérent au fonctionnement de l'entreprise, exercé de cette
manière par nécessité, et il s'ensuit que la perte qui en résulte
est une conséquence secondaire de la production d'un revenu
imposable et est déductible.
Le raisonnement du juge Casey dans l'affaire
Evans s'applique particulièrement bien à l'espèce.
Dyck et Herringer étaient peut-être des actionnai-
res minoritaires de Parkland, mais ils ont détourné
les fonds en cause non en leur qualité d'actionnai-
res, mais plutôt de fraudeurs, à l'insu et sans le
consentement des autres actionnaires. Ils ont
détourné l'argent dans le cadre des activités de la
société, et non en exerçant un pouvoir dominant
sur les fonds qui aurait existé hors de ces activités.
Le principe déterminant dans l'affaire Cassidy's, à
savoir que la distinction dans le niveau d'emploi ne
saurait entraîner une différence quant à la ques
tion de la déductibilité de sommes volées par un
employé, ne s'applique pas moins en l'espèce. Lors-
qu'un actionnaire minoritaire, qui fait fi des plans
ou des souhaits des autres actionnaires, détourne
des fonds, le contribuable a droit au même traite-
ment que s'il s'agissait d'une fraude commise par
un employé supérieur.
Le montant perdu par suite du «détournement»
effectué par Dyck et Herringer était une perte
autre qu'en capital, dont la déduction est envisagée
en conformité avec les principes comptables géné-
ralement reconnus, et n'est pas interdite par quel-
que disposition de la Loi.
L'appel est donc accueilli et l'affaire est déférée
au ministre du Revenu national pour nouvelles
cotisations conformément aux présents motifs. La
demanderesse a droit à ses dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.