T-2439-90
Brian Gough (requérant)
c.
Commission nationale des libérations condition-
nelles (intimée)
RÉPERTORIÉ: GOUGH c. CANADA (COMMISSION NATIONALE
DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES) (1 Ys INST.)
Section de première instance, juge Reed —
Toronto, 26 novembre; Vancouver, 14 décembre
1990.
Libération conditionnelle Suspension fondée sur des allé-
gations, dont les détails n'ont pas été révélés au requérant en
vertu de l'art. 17(5) du Règlement sur la libération condition-
nelle de détenus (permettant la non-divulgation lorsque la
divulgation met en danger la sécurité des individus ou fait
remonter à une source de renseignements) La connaissance
des incidents ne justifie pas la non-divulgation, puisque garder
secrète l'identité des indicateurs serait alors vain — Le requé-
rant a droit à des détails suffisants pour lui permettre de
répondre intelligemment aux allégations Violation de
l'art. 7 de la Charte La Commission nationale des libéra-
tions conditionnelles n'a pas prouvé l'existence d'une limite
raisonnable de l'art. 17(5), au sens de l'art. premier de la
Charte La base probante justifiant la non-divulgation n'a
pas été établie — Le recours à des exemptions prévues par la
Loi sur l'accès à l'information et la Loi sur la preuve au
Canada est hors de propos.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et
sécurité — Libération conditionnelle suspendue en raison d'al-
légations, dont les détails n'ont pas été révélés pour protéger
l'identité des indicateurs — Le requérant bénéficiait d'une
«libération conditionnelle mitigée» (niveau de restriction le
plus bas) — Les garanties prévues à l'art. 7 varient avec les
circonstances La liberté du requérant est aussi proche que
possible, dans le système correctionnel, de celle d'un individu
qui jouit d'une liberté inconditionnelle — Les préoccupations
institutionnelles relatives à l'identification des indicateurs
n'existent pas, puisque les incidents allégués ont eu lieu en
dehors du milieu carcéral — La liberté d'un individu compte
beaucoup par comparaison avec les intérêts opposés — Le
requérant a droit à des détails suffisants pour répondre intelli-
gemment aux allégations Distinction faite avec les décisions
qui ont énoncé les exigences de l'art. 7 concernant les détenus
On n'a même pas fourni au requérant l'«essentiel» des
allégations — Violation de l'art. 7 de la Charte.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Clause limita-
tive L'art. 17(5) du Règlement sur la libération condition-
nelle de détenus exige de divulguer les renseignements condui-
sant à la suspension à moins que, de l'avis de la Commission,
la sécurité des individus serait mise en danger ou l'identité des
indicateurs serait révélée, ce qui entraverait les enquêtes
menées en vertu de la Loi ou du Règlement 11 ne s'agit pas
d'une limite raisonnable dont la justification peut se démon-
trer sous le régime de l'art. premier de la Charte — Rien ne
prouve que la divulgation porterait atteinte à une enquête en
cours — Inexistence d'une base probante justifiant la non-
divulgation Il n'y a pas preuve que d'autres instances
démocratiques ont adopté de semblables procédures.
Accès à l'information La Commission nationale des
libérations conditionnelles n'a pas révélé les détails des alléga-
tions qui sous-tendaient la révocation de la libération condi-
tionnelle — Le recours à des exemptions prévues par la Loi
sur l'accès à l'information et la Loi sur la protection des
renseignements personnels est hors de propos Elles ne
s'appliquent pas lorsque les renseignements qui sous-tendent
les décisions affectent la liberté de l'individu qui cherche à
obtenir ces renseignements.
Juges et tribunaux La Commission nationale des libéra-
tions conditionnelles n'a pas révélé les détails des allégations
qui sous-tendent la révocation de la libération conditionnelle
— L'argument selon lequel la révélation des renseignements à
une audience à huis clos porterait atteinte au système de la
libération conditionnelle n'est pas digne de foi Mention de
diverses situations d'intérêt public où la Cour est au courant
de renseignements confidentiels.
Il s'agit d'une demande tendant à l'annulation de la décision
par laquelle la Commission nationale des libérations condition-
nelles a suspendu la libération conditionnelle du requérant, et à
l'obtention d'un bref de mandamus. Le requérant était en
libération conditionnelle depuis cinq ans et demi lorsque sa
libération conditionnelle a été révoquée par suite de plaintes
selon lesquelles il aurait commis des actes d'agression sexuelle
qui comportaient l'utilisation de drogues illégales et des actes
de contrainte, dont les détails ne lui ont pas été révélés. Son
dossier de libération conditionnelle était exemplaire. Il bénéfi-
ciait d'une «libération conditionnelle mitigée». Il s'agit là des
conditions de libération conditionnelle les moins restrictives
qu'on puisse donner à un libéré conditionnel. Le requérant
soutient que le défaut de lui fournir les détails des allégations
sur lesquelles la Commission s'est appuyée constituait une
violation du droit qu'il tient de l'article 7 de la Charte, celui
d'exiger qu'il ne soit pas porté atteinte à sa liberté, sauf en
conformité avec les principes de justice fondamentale. Dans sa
réponse, la Commission prétend qu'on a donné au requérant
suffisamment de renseignements pour répondre aux allégations
parce qu'il était déjà au courant des incidents. La Commission
soutient en outre que la non-divulgation était justifiée par le
paragraphe 17(5) du Règlement sur la libération condition-
nelle de détenus, qui permet la non-divulgation des renseigne-
ments qui sous-tendent la décision portant révocation de la
libération conditionnelle lorsque, de l'avis de la Commission, la
divulgation mettrait en danger la sécurité des individus ou
pourrait entraver les enquêtes menées en vertu de la Loi ou du
Règlement. Il est allégué que le système de la libération
conditionnelle s'effondrerait si les particuliers ne pouvaient
fournir de renseignements aux agents du Service correctionnel
sans craindre de représailles. En tout état de cause, les exigen-
ces constitutionnelles ont été remplies parce que l'«essentiel» des
allégations a été communiqué au requérant, ce qui satisfait aux
exigences de l'article 7 dans le contexte libération condition-
nelle/pénitencier selon les décisions Cadieux et Latham. Il
échet d'examiner s'il y a eu violation de l'article 7 de la Charte
en raison de la non-divulgation de la part de la Commission,
fondée sur le paragraphe 17(5) du Règlement sur la libération
conditionnelle de détenus, et, dans l'affirmative, si le paragra-
phe était justifié dans les circonstances ou sous le régime de
l'article premier de la Charte.
Jugement: la demande devrait être accueillie.
Si, comme l'a suggéré la Commission, le requérant connais-
sait les incidents qui sous-tendent la suspension de la libération
conditionnelle, il connaîtrait déjà l'identité des indicateurs et
rien ne justifierait la non-divulgation.
Il y a eu violation des droits que le requérant tient de l'article
7 de la Charte du fait que la Commission a refusé de lui fournir
les renseignements sur lesquels elle s'est appuyée. Les règles de
justice fondamentale permettent à un particulier de connaître
l'accusation portée contre lui dans un processus décisionnel qui
conduit à une diminution de sa liberté. Le requérant a droit à
des détails suffisants sur les allégations laites à son encontre
pour lui permettre d'y répondre intelligemment, à moins que
l'intimée ne puisse rapporter la preuve du contraire. Les garan-
ties prévues à l'article 7 de la Charte varient selon les circons-
tances. Bien que la liberté du requérant soit conditionnelle et
puisse être révoquée sans qu'il faille appliquer toutes les garan-
ties procédurales judiciaires, sa position est aussi proche de
celle d'un individu qui jouit d'une liberté inconditionnelle
qu'elle peut l'être dans le système correctionnel. Les incidents
reprochés ayant eu lieu en dehors du milieu carcéral, les
préoccupations institutionnelles relatives à l'identification des
indicateurs n'existent pas. La liberté d'un individu (même la
liberté conditionnelle dont un libéré conditionnel jouit) doit
compter beaucoup par comparaison avec les intérêts opposés.
En plus de l'intérêt public au nom duquel la société doit être
protégée contre les libérés conditionnels, c'est également dans
l'intérêt public qu'il faut employer des procédures qui soient
justes dans le traitement de tous les membres de la société, dont
les libérés conditionnels. Les décisions qui indiquent que l'arti-
cle 7 exige seulement que les détenus obtiennent l'«essentiel» ou
les «grandes lignes» des allégations ont fait l'objet d'une distinc
tion car, dans chaque cas, la liberté du détenu était plus
restreinte que celle du requérant. En tout état de cause, on n'a
pas fourni au requérant l'«essentiel» des allégations.
La Commission n'a pas démontré ou bien que les faits
particuliers justifiaient la non-divulgation, ou bien qu'un sys-
tème de libération conditionnelle qui autorise la Commission à
refuser la divulgation de renseignements conformément au
paragraphe 17(5) pouvait être justifié sur le fondement de
l'article premier de la Charte. Rien ne prouve l'existence d'une
enquête policière en cours à laquelle la divulgation des rensei-
gnements porterait préjudice. La seule enquête qui existe est
celle qui a conduit à la révocation de la libération condition-
nelle du requérant, et les motifs de commodité administrative
ne justifient pas un déni de justice fondamentale. Le Service
correctionnel ne saurait s'appuyer sur les exemptions prévues
par la Loi sur l'accès à l'information et la Loi sur la protection
des renseignements personnels, qui prévoient les cas où les
individus n'auront pas certains renseignements qu'ils cherchent
à obtenir du gouvernement. Ces dispositions ne s'appliquent pas
lorsque l'individu qui cherche à obtenir des renseignements fait
face à une perte de liberté par suite de décisions rendues sur la
base de ces renseignements. L'affirmation selon laquelle les
renseignements étaient exacts manque d'objectivité, et il ne
s'agit pas là d'une réponse à l'idée de traitement arbitraire que
le requérant se fait. Il n'existe aucune preuve convaincante
selon laquelle la divulgation révélerait l'identité des indicateurs,
leur sécurité a été mise en danger ou le système de la libération
conditionnelle serait sapé si les renseignements étaient divul-
gués. Fait également défaut la preuve comparative de l'exis-
tence de semblables procédures dans d'autres instances
démocratiques.
L'argument selon lequel la divulgation à une audience à huis
clos porterait atteinte au fonctionnement du système de la
libération conditionnelle n'est pas digne de foi. La Cour connaît
de plusieurs situations où des renseignements confidentiels sont
portés à sa connaissance en vertu de lois telles que la Loi sur
l'accès à l'information et la Loi sur la preuve au Canada.
Il n'est pas nécessaire de décider si le paragraphe 17(5) est
ultra vires. Ce paragraphe ne s'applique pas pour refuser à un
libéré conditionnel les renseignements qui sous-tendent la déci-
sion portant révocation de la libération conditionnelle. Il est
d'une portée générale préoccupante en ce sens qu'il ne fait
aucune distinction entre la non-divulgation de renseignements
essentiels à la connaissance par un individu de l'accusation
portée contre lui et la non-divulgation de renseignements qui
sont de nature plus marginale. Il semble autoriser la non-divul-
gation simplement parce que les renseignements sont reçus de
façon confidentielle. Cela ne peut jamais justifier de restreindre
les garanties de la justice fondamentale. Qui plus est, il semble
exiger seulement la possibilité et non la probabilité d'un préju-
dice. En dernier lieu, il est douteux qu'une procédure qui
permet au même organisme de décider du bien-fondé de la
révocation de la libération conditionnelle du requérant et de la
partie des renseignements dont il dispose qui va être divulguée à
celui-ci remplisse les exigences de l'article premier de la
Charte.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), appendice II, n° 44], art. 1, 7.
Loi sur la libération conditionnelle, L.R.C. (1985), chap.
P-2.
Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), chap. C-5,
art. 37.
Loi sur la protection des renseignements personnels,
L.R.C. (1985), chap. P-21.
Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. (1985), chap. A-1.
Règlement sur la libération conditionnelle de détenus,
C.R.C., chap. 1249, art. 17(5) (mod. par DORS/86-
817, art. 4).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Howard c. Établissement Stony Mountain, [1984] 2 C.F.
642; (1985), 19 D.L.R. (4th) 502; 11 Admin. L.R. 63; 19
C.C.C. (3d) 195; 45 C.R. (3d) 242; 17 C.R.R. 5; 57 N.R.
280 (C.A.); Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de
l'immigration, [1985] 1 R,C.S. 177; (1985), 17 D.L.R.
(4th) 422; 12 Admin. L.R. 137; 14 C.R.R. 13; 58 N.R. 1;
Hunter et autres c. Southarn Inc., [1984] 2 R.C.S. 145;
(1984), 55 A.R. 291; 11 D.L.R. (4th) 641; [1984] 6
W.W.R. 577; 33 Alta. L.R. (2d) 193; 27 B.L.R. 297; 14
C.C.C. (3d) 97; 2 C.P.R. (3d) 1; 41 C.R. (3d) 97; 9
C.R.R. 355; 84 DTC 6467; 55 N.R. 241.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Latham c. Solliciteur général du Canada, [1984] 2 C.F.
734; (1984), 9 D.L.R. (4th) 393; 5 Admin. L.R. 70; 12
C.C.C. (3d) 9; 39 C.R. (3d) 78 (1" inst.); Cadieux c.
Directeur de l'établissement Mountain, [1985] 1 C.F.
378; (1984), 9 Admin. L.R. 50; 13 C.C.C. (3d) 330; 41
C.R. (3d) 30; 10 C.R.R. 248 (1" inst.); Demaria c.
Comité régional de classement des détenus, [1987] 1
C.F. 74; (1986), 21 Admin. L.R. 227; 30 C.C.C. (3d) 55;
53 C.R. (3d) 88; 5 F.T.R. 160; 69 N.R. 135 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Gough c. Canada (Commission nationale des libérations
conditionnelles), [1991] 1 C.F. 160 (1 fe inst.); Gough c.
Canada (Commission nationale des libérations condi-
tionnelles), [1991] 1 C.F. 171 (C.A.); Gough c. Canada
(Commission nationale des libérations conditionnelles),
T-2439-90, C.F. (1" inst.), juge Reed, directives en date
du 8-11-90, encore inédites.
DÉCISION CITÉE:
Maxie c. Canada (Commission nationale des libérations
conditionnelles), [1987] 1 C.F. 617; (1986), 32 C.C.C.
(2d) 231; 55 C.R. (3d) 143; 27 C.R.R. 337; 79 N.R. 176
(C.A.).
DOCTRINE
Evans, J. M. de Smith's Judicial Review of Administra
tive Action, 4th ed., London: Stevens & Sons Ltd.,
1980.
AVOCATS:
David P. Cole pour le requérant.
Geoffrey S. Lester pour l'intimée.
PROCUREURS:
David P. Cole pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE REED: Le litige dans la présente
demande porte sur la mesure dans laquelle l'article
7 de la Charte canadienne des droits et libertés
[qui constitue la Partie I de la Loi constitution-
nelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985),
appendice II, n° 44] ] exige de donner à un libéré
conditionnel des renseignements concernant les
allégations sur lesquelles la Commission nationale
des libérations conditionnelles s'est appuyée pour
révoquer sa libération conditionnelle.
J'ai été pour la première fois saisie de la
demande le 3 octobre 1990. J'ai rendu à l'audience
une décision [[1991] 1 C.F. 160] donnant à la
Commission nationale des libérations conditionnel-
les le choix d'une des deux ordonnances possibles
que je me proposais de rendre. La première était
une ordonnance qui infirmerait la décision par
laquelle la Commission avait, le 21 juin 1990,
révoqué la libération conditionnelle du requérant.
La deuxième était une ordonnance exigeant une
audience à huis clos tenue devant la Cour, à
laquelle la Commission aurait la possibilité de
démontrer que son refus de divulguer certains
renseignements au requérant était justifié. (Les
renseignements en question sous-tendaient la déci-
sion par laquelle la Commission avait révoqué la
libération conditionnelle du requérant.) La Com
mission a choisi la deuxième possibilité, étant
entendu qu'elle interjetterait appel de l'ordonnance
qui serait rendue.
Le 29 octobre 1990, la Cour d'appel a rendu son
arrêt [[1991] 1 C.F. 171], me renvoyant l'affaire
pour que je reprenne l'audience et m'avertissant
que je ne pourrais forcer la Commission à produire
les renseignements confidentiels en question pour
que la Cour les examine. Dans ses motifs écrits, le
juge Mahoney a dit que, à la reprise de l'audience,
je n'étais pas «tenu(e) de renouveler ou de conti-
nuer les options» que j'avais auparavant offertes.
Je n'étais pas non plus tenue «de concevoir de
nouvelles options»; il a ajouté que, quelle que fût
ma décision, «c'est à elle de décider». J'ai par la
suite donné des directives, en date du 8 novembre
1990 [T-2439-90, encore inédites], relatives à la
reprise de l'audience. L'audience a eu lieu le 26
novembre 1990.
Les faits
Je n'ai pas l'intention de répéter les faits et les
analyses figurant dans les trois décisions qui ont
déjà été rendues. Il suffit de dire que le requérant
était en libération conditionnelle depuis cinq ans et
demi lorsqu'il a été arrêté, et que sa libération
conditionnelle a été révoquée. Son dossier de libé-
ration conditionnelle était exemplaire. Il bénéfi-
ciait, à l'époque, d'une «libération conditionnelle
mitigée». À mon avis, il s'agit là des conditions de
libération les moins restrictives qu'on puisse
donner à un libéré conditionnel.
La libération conditionnelle du requérant a été
suspendue à la suite de plaintes formulées auprès
du Bureau du Service correctionnel les 2 et 3 mai
1990. D'après ces plaintes, il aurait commis des
actes d'agression sexuelle qui comportaient l'utili-
sation de drogues illégales, et des actes de con-
trainte à l'endroit d'un certain nombre d'adultes de
sexe féminin. Les renseignements donnés au requé-
rant relativement aux actes allégués se trouvent
dans les motifs que j'ai prononcés le 3 octobre
1990. Les extraits suivants peuvent démontrer la
qualité générale des renseignements donnés:
[TRADUCTION] [un rapport] terminé le 10 avril 1990 par le
Service correctionnel du Canada, renferme des renseignements
d'une source communautaire au sujet d'une agression sexuelle
... en novembre 1989.
[Dans le rapport] on fait allusion à l'utilisation de drogues et au
fait que la victime a finalement pu se défendre avec un couteau.
Le même [rapport] fait état d'un autre incident d'agression
sexuelle survenu à l'automne 1989 à l'endroit d'une autre
victime.
On n'a donné au requérant aucun renseignement
sur les dates et lieux précis ou même approximatifs
de la perpétration des actes allégués, ni aucun nom
des victimes présumées. (Il ressort d'une partie de
l'interrogatoire du requérant par la Commission
que son attention se concentrait également sur la
fin de semaine du 23 et 24 juillet 1989.)
I1 le sait déjà?
La Commission prétend tout d'abord qu'on a
donné au requérant suffisamment de renseigne-
ments pour lui permettre de répondre aux alléga-
tions faites à son encontre parce qu'il connaît les
incidents en question. On peut facilement répondre
à cette première prétention. Si le requérant a
connaissance des incidents allégués qui sous-ten-
dent la suspension de sa libération conditionnelle,
il n'y a alors aucune raison de ne pas .lui divulguer
les renseignements que la Commission possédait
relativement à ces incidents. S'il est au courant des
incidents, il doit connaître les prétendues victimes.
Il se peut qu'il ne connaisse pas les indicateurs,
mais il ne s'agit pas là, en tout état de cause, d'un
fait pertinent. Je le répète, ce n'est pas une réponse
que de dire qu'il n'est pas nécessaire qu'on lui
donne les renseignements parce qu'il est au
courant.
Le respect du paragraphe 17(5) du Règlement
Même si le requérant ne connaît pas exactement
les incidents précis dont il a été fait état dans les
renseignements sur lesquels la Commission s'est
appuyée, on prétend que la non-divulgation est
justifiée en application du paragraphe 17(5) du
Règlement sur la libération conditionnelle de
détenus [C.R.C., chap. 1249 (mod. par DORS/86-
817, art. 4)]. En vertu de ce paragraphe, la Com
mission n'est pas tenue de communiquer (à un
détenu ou à un détenu en libération condition-
nelle), les renseignements sur lesquels elle fonde sa
décision lorsque, de l'avis de la Commission, la
divulgation des renseignements:
17(5) ...
a) risquerait vraisemblablement de mettre en danger la sécu-
rité d'une personne;
e) risquerait vraisemblablement de nuire au déroulement
d'enquêtes licites ou d'examens faits en vertu de la Loi ou du
présent règlement, notamment des renseignements qui per-
mettraient de remonter à une source de renseignements
obtenus de façon confidentielle.
L'avocat de l'intimée soutient que je dois, avant de
rendre une autre décision, déterminer si la Com
mission a respecté le paragraphe 17(5). Ce para-
graphe, ainsi qu'il a été noté ci-dessus, exige de
communiquer au libéré conditionnel les renseigne-
ments sur lesquels la Commission va s'appuyer à
moins que, «de l'avis de la Commission», cette
divulgation risquerait vraisemblablement de
mettre en danger la sécurité d'une personne ou de
nuire au déroulement d'enquêtes faites en vertu de
la Loi [Loi sur la libération conditionnelle,
L.R.C., (1985), chap. P-2]. Je ne pense pas que le
fait de déterminer si la Commission a respecté le
paragraphe 17(5) du Règlement confirme l'argu-
ment d'une façon ou d'une autre. La question n'est
pas de savoir si la Commission s'est conformée au
paragraphe 17(5). Il s'agit de déterminer si et dans
quelles circonstances la Commission peut révoquer
la libération conditionnelle d'une personne qui se
trouve dans la situation du requérant sans lui
donner suffisamment de renseignements pour
répondre à l'accusation portée contre lui, et ce,
sans violer l'article 7 de la Charte.
Il est fort possible que, en l'absence de la
Charte, l'acte de la Commission en l'espèce soit
inattaquable. Il est certain que le législateur peut
déroger aux principes de justice naturelle consa-
Grés en common law s'il décide de le faire. En
l'espèce, la dérogation s'est effectuée par voie de
réglementation et non par voie législative, mais on
n'a nullement prétendu que le paragraphe 17(5)
du Règlement constituait de toute façon une sous-
délégation non autorisée ou un exercice non auto-
risé du pouvoir de réglementation. On n'a pas
allégué que la Commission n'avait pas respecté les
exigences du paragraphe 17(5) en s'appuyant sur
la décision des agents du Service correctionnel
relative à la nécessité de garder ces renseignements
confidentiels plutôt que de prendre cette décision
elle-même. Je ne crois pas que l'avocat du requé-
rant ait contesté la décision de la Commission en
invoquant le motif que la Commission ne s'était
pas conformée au paragraphe 17(5) du Règlement.
Je trouve inutile de trancher cette question qui doit
recevoir une réponse selon l'insistance de l'avocat
de l'intimée.
L'article 7 de la Charte
L'article 7 de la Charte canadienne des droits et
libertés est ainsi rédigé:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa
personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor-
mité avec les principes de justice fondamentale.
Il est de droit constant que, tant en common law
qu'en vertu de l'article 7 de la Charte, les règles de
justice fondamentale exigent qu'un particulier ait
le droit de connaître l'accusation portée contre lui
dans un processus décisionnel qui conduit à une
diminution de sa liberté. La . Commission admet
que, si le requérant n'était pas un libéré condition-
nel, ce serait une violation flagrante des droits qu'il
tient de la Charte que de le priver de sa liberté
sans lui donner les détails des allégations qui sous-
tendent cette privation. Simultanément, l'avocat
du requérant souligne que son client serait dans
une bien meilleure position s'il avait été accusé
d'infractions criminelles relativement aux incidents
allégués. Si des accusations avaient été portées, il y
aurait lieu à l'obligation de révéler les noms des
victimes et de divulguer avec une certaine préci-
sion les dates, l'époque et les lieux des événements.
L'obligation de permettre à un particulier de
connaître l'accusation portée contre lui et d'avoir
la possibilité d'y répondre s'impose non seulement
pour empêcher les abus des gens qui portent de
fausses accusations mais aussi pour assurer à l'ac-
cusé qu'il ne fait pas l'objet d'un traitement arbi-
traire. L'historique particulièrement éloquent de ce
principe se trouve dans de Smith's Judicial Review
of Administrative Action (4e éd., 1980), aux pages
157 et 158:
[TRADUCTION] Le fait qu'aucun homme ne doive être jugé sans
qu'il soit entendu était un précepte connu des Grecs, gravé à
l'époque ancienne sur des images se trouvant aux endroits où la
justice est rendue, proclamé dans Medea de Seneca, consacré
dans l'Écriture sainte, mentionné par Saint Augustin, figurant
dans les proverbes germaniques et africains, que l'almanach
attribue à la loi de la nature, dont Coke affirme qu'il est un
principe de justice divine et dont un juge du dix-huitième siècle
a établi qu'il remontait aux événements du jardin d'Éden.
[Renvois omis.]
Les garanties prévues à l'article 7 vont varier selon
les circonstances
Il est clair que les exigences de justice fonda-
mentale couvrent un large spectre. La teneur de
ces exigences varie selon les circonstances de l'af-
faire. La Cour d'appel fédérale a bien précisé cette
idée dans l'affaire Howard c. Établissement Stony
Mountain, [1984] 2 C.F. 642, à la page 661:
... à mon avis, la norme à respecter pour répondre aux
exigences de l'article [article 7 de la Charte canadienne des
droits et libertés] en matière de procédure n'est pas nécessaire-
ment la procédure la plus parfaite, la plus subtile ou la plus
élaborée qu'on puisse imaginer, mais simplement en fait une
procédure qui soit fondamentalement équitable. Ce que cela
exigera ne manquera pas de varier selon la situation particu-
lière et la nature du dossier. Un tribunal impartial, la connais-
sance par la personne dont la vie, la liberté ou la sécurité sont
menacées de l'accusation contre laquelle elle doit se défendre,
une occasion raisonnable de se défendre et une décision prise à
la lumière de la preuve produite à l'appui de l'accusation et de
la défense présentée à l'encontre de cette accusation, sont
autant de caractéristiques d'une telle procédure. [C'est moi qui
souligne.]
Et à la page 663, le juge en chef Thurlow donne
des explications relatives au droit d'un détenu
d'être représenté par avocat:
... il me semble que la question de savoir si oui ou non une
personne a le droit d'être représentée par avocat dépendra des
circonstances de l'espèce, de sa nature, de sa gravité, de sa
complexité, de l'aptitude du détenu lui-même à comprendre la
cause et à présenter sa défense. Cette liste n'est pas exhaustive.
Il s'ensuit donc, à mon avis, que la question de savoir si la
requête d'un détenu en vue d'être représenté par avocat peut
être légalement refusée ne peut être considérée comme une
question de discrétion, car il s'agit d'un droit qui existe lorsque
les circonstances sont telles que la possibilité d'exposer adéqua-
tement la cause du détenu exige la représentation par avocat. Il
se peut que, lorsque les circonstances ne mènent pas à cette
conclusion, le fonctionnaire responsable dispose néanmoins d'un
pouvoir résiduaire lui permettant d'autoriser la présence d'un
avocat, mais ce point n'entre pas, selon moi, dans le champ
d'application de l'article 7. [C'est moi qui souligne.]
Le juge Strayer a fait une observation semblable
dans l'affaire Latham c. Solliciteur général du
Canada, [1984] 2 C.F. 734 (1 fe inst.), aux pages
747 et 748:
... la justice fondamentale exige une équité procédurale qui
corresponde à l'intérêt touché ... et l'équité exige au moins
qu'on donne, à la personne que visent les allégations examinées
par un tribunal pour décider s'il y a lieu de priver cette
personne de sa liberté, les grandes lignes de ces allégations.
[C'est moi qui souligne.]
Le libéré conditionnel—Liberté conditionnelle
seulement
L'intimée soutient que le requérant, en tant que
libéré conditionnel, jouit seulement d'une liberté
conditionnelle, et que ce droit restreint à la liberté
justifie le refus par la Commission de rendre dispo-
nibles les renseignements en question. Elle fait
valoir que l'intérêt public dans la non-divulgation
(exprimé au paragraphe 17(5) du Règlement) doit
être examiné par rapport au droit de l'individu
d'avoir suffisamment de renseignements pour
répondre à l'accusation portée contre lui. Toujours
selon l'intimée, le système de la libération condi-
tionnelle va s'effondrer et devenir impraticable si
les particuliers ne peuvent fournir de renseigne-
ments aux agents du Service correctionnel sans
crainte de représailles. Elle soutient encore que les
gens doivent être à même de donner des renseigne-
ments sur les activités de détenus en libération
conditionnelle, étant entendu que ces renseigne-
ments vont être tenus confidentiels, et que la Com
mission des libérations conditionnelles doit être
autorisée à s'appuyer sur ces renseignements en
décidant de la continuation de la libération condi-
tionnelle d'un détenu.
Il ne fait pas de doute que la liberté du requé-
rant est conditionnelle'. Elle peut être révoquée
sans qu'il faille prouver les infractions criminelles
hors de tout doute raisonnable ni appliquer toutes
les garanties procédurales judiciaires. En même
temps, on ne doute guère que le droit à la liberté
conditionnelle du requérant se trouve, en l'espèce,
en tête du spectre. La position du requérant est
proche de celle d'un individu qui jouit d'une liberté
Latham c. Solliciteur général du Canada, [1984] 2 C.F.
734 (1" inst.), aux p. 744-745; Cadieux c. Directeur de l'éta-
blissement Mountain, [1985] 1 C.F. 378 (1"° inst.), aux p. 396
à 398; Maxie c. Canada (Commission nationale des libérations
conditionnelles), [1987] 1 C.F. 617 (C.A.).
inconditionnelle. Elle est aussi proche de cette
position qu'elle peut l'être dans le système correc-
tionnel. Le requérant jouit d'une libération condi-
tionnelle totale et ce, depuis plusieurs années. Il a
un statut de «libération conditionnelle mitigée».
Les incidents qui se seraient produits sont survenus
en dehors du milieu carcéral. Les préoccupations
institutionnelles relatives à l'identification des indi-
cateurs au sein du milieu carcéral n'existent pas.
La liberté d'un individu (même la liberté condi-
tionnelle dont un libéré conditionnel jouit) compte
beaucoup par comparaison avec les intérêts en
concurrence.
Je ferai remarquer que, bien qu'il soit habituel
de qualifier les droits du requérant de droits «indi-
viduels», qui font contrepoids à l'intérêt public (qui
veille à ce que les libérés conditionnels ne commet-
tent pas d'actes nuisibles aux membres du public),
c'est également dans l'intérêt public qu'il faut
employer des procédures qui soient justes dans le
traitement de tous les membres de la société dont
les libérés conditionnels. Les procédures qui sont
apparemment arbitraires ne correspondent pas de
par leur nature même à l'intérêt public.
Les exigences de l'article 7 dans le contexte «libé-
ration conditionnelle/pénitencier»
L'avocat de l'intimée soutient que les exigences
constitutionnelles ont été remplies parce que «l'es-
sentiel» des allégations faites contre le requérant
lui a été communiqué. Dans l'affaire Cadieux c.
Directeur de l'établissement Mountain, [1985] 1
C.F. 378 (ire inst.), j'ai fait savoir que, en vertu de
l'article 7 de la Charte, un détenu qui avait vu son
programme d'absence temporaire sans escorte
annulé était en droit de connaître l'«essentiel» des
allégations faites contre lui. Dans l'affaire Latham
c. Solliciteur général du Canada, [1984] 2 C.F.
734 (ire inst.), le juge Strayer a statué que les
exigences de justice fondamentale figurant à l'arti-
cle 7 font qu'un libéré conditionnel qui a vu sa
libération conditionnelle de jour révoquée devrait
avoir droit aux «grandes lignes» des allégations
examinées par la Commission [à la page 748]:
Une loi qui prétend opérer même cette privation ne constitue
pas une limite raisonnable au sens de l'article 1 de la Charte
des droits garantis par son article 7. L'article 17 du Règlement
sur la libération conditionnelle de détenus ne devrait donc pas
s'appliquer de manière à nier ce droit.
Qu'on qualifie cette obligation d'obligation de
donner l'«essentiel» des allégations ou d'obligation
de donner «les grandes lignes de ces allégations»
importe peu. Dans les deux cas, il faut donner à
l'individu suffisamment de détails pour lui permet-
tre de répondre aux allégations. L'intimée à l'ins-
tance n'a pas fourni au requérant «l'essentiel» des
allégations au sens que l'affaire Cadieux a donné à
ce terme.
Dans l'affaire Demaria c. Comité régional de
classement des détenus, [1987] 1 C.F. 74, le juge
Hugessen, qui rendait l'arrêt de la Cour d'appel
fédérale, a examiné les exigences de l'article 7
telles qu'elles s'appliquent à un détenu qui a été
transféré d'un établissement à sécurité moyenne à
un établissement à sécurité maximale. Selon lui,
un détenu a droit à un avis suffisant des alléga-
tions qui justifient le transfèrement et à la possibi-
lité équitable d'y répondre. Le juge Hugessen s'est
prononcé en ces termes aux pages 77 et 78:
Si on exige qu'un avis soit donné à une personne contre
laquelle on se propose d'agir, c'est pour permettre à celle-ci d'y
répondre intelligemment ... Lorsque, comme c'est le cas en
l'espèce, on n'entend pas tenir une audience ni conférer à la
personne en cause le droit d'être mis directement en présence
de la preuve présentée contre elle, il est particulièrement impor
tant que l'avis soit le plus détaillé possible; sinon le droit d'y
répondre devient tout à fait illusoire. L'espèce illustre parfaite-
ment de quelle façon un avis insuffisant peut rendre un tel droit
inopérant. On fait savoir à l'appelant qu'il existe des motifs
raisonnables de croire qu'il a introduit du cyanure dans la
prison. Aucune indication ne lui est fournie sur la nature de ces
motifs. Les allégations formulées à son sujet ne comportent
aucun détail significatif. Où? Quand? Comment? D'où prove-
nait le poison? Comment avait-il été obtenu? Pour quelles fins?
Quelle en était la quantité? Les allégations sont censées être
fondées sur des renseignements obtenus du personnel de Mill -
haven et de la Sûreté de l'Ontario. Quels renseignements
proviennent de quelle source? Y a-t-il un indicateur en cause?
Si tel est le cas, quelle partie de sa déclaration peut-on dévoiler
tout en gardant son identité secrète? La police a-t-elle poursuivi
son enquête? A-t-elle procédé à des arrestations? Les questions
s'enchaînent presque à l'infini.
Comme il était simplement allégué qu'il existait des motifs
de croire qu'il avait introduit du cyanure dans la prison,
l'appelant était réduit à nier les faits allégués — ce qui en soi
est presque toujours moins convaincant qu'une affirmation —
et à se livrer à des spéculations futiles sur la nature réelle de la
preuve présentée contre lui.
Il ne fait naturellement aucun doute que les autorités étaient
justifiées de ne pas divulguer des sources de renseignements
confidentielles. Un pénitencier n'est pas un établissement pour
enfants de coeur et, si certains renseignements provenaient
d'indicateurs (le dossier en l'espèce ne permet de tirer aucune
conclusion à ce sujet), il est important que ces derniers soient
protégés. Mais, même si cela était le cas, il devrait toujours être
possible de transmettre l'essentiel des renseignements tout en ne
dévoilant pas l'identité de l'indicateur. Il incombe toujours aux
autorités d'établir qu'elles n'ont refusé de transmettre que les
renseignements dont la non-communication était strictement
nécessaire à de telles fins. Outre son caractère invraisemblable,
une affirmation générale, comme celle en l'espèce, voulant que
[TRADUCTION] «tous les renseignements concernant la sécurité
préventive» soient «confidentiels et (ne puissent) être communi-
qués», est tout simplement trop large pour être acceptée par un
tribunal chargé de protéger le droit d'une personne à un
traitement équitable. En dernière analyse, il s'agit de détermi-
ner non pas s'il existe des motifs valables pour refuser de
communiquer ces renseignements mais plutôt si les renseigne-
ments communiqués suffisent à permettre à la personne concer-
née de réfuter la preuve présentée contre elle. Mais quelle que
soit la façon dont ce critère est énoncé, on n'y a pas satisfait en
l'espèce. [Renvoi omis.] [C'est mai qui souligne.]
Les affaires Latham, Cadieux et Demaria por-
taient toutes sur des situations où le détenu avait
droit à une liberté beaucoup plus restreinte que
celle du requérant à l'instance. Il s'agissait de
libération conditionnelle de jour, du programme
d'absence temporaire sans escorte et de transfère-
ment entre pénitenciers. Il ne fait pas de doute que
le requérant à l'instance a droit à des détails
suffisants sur les allégations faites à son encontre
pour lui permettre d'y répondre intelligemment, à
moins que l'intimée ne puisse rapporter la preuve
du contraire.
Restriction «par une règle de droit»—Article
premier
Pour déterminer s'il y a eu abrogation de droits
garantis par la Charte, il y a lieu pour le requérant
de prouver tout d'abord un droit apparemment
fondé sur la Charte, et il incombe par la suite à
l'intimée de prouver le caractère «raisonnable» de
la restriction en question «dont la justification
puisse se démontrer dans le cadre d'une société
libre et démocratique». L'article premier de la
Charte est ainsi rédigé:
1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les
droits et libertés qui y sont énorcés. Ils ne peuvent être res-
treints que par une règle de droit, dans des limites qui soient
raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le
cadre d'une société libre et démocratique.
Dans le cas de l'article 7, puisque les droits qui y
sont garantis constituent un spectre de garanties, il
y a à déterminer tout d'abord la teneur des princi-
pes de justice fondamentale qui découlent de l'arti-
cle 7 applicable au processus décisionnel particu-
lier qui est contesté (compte tenu des faits
particuliers de l'affaire, de la nature des intérêts en
cause, des motifs et des éléments de preuve qui ont
été donnés pour justifier les restrictions qui ont été
imposées à ce qui est réclamé comme garanties de
l'article 7). Lorsque les restrictions ne sont pas
imposées «par une règle de droit», l'enquête prend
fin à ce stade. Lorsqu'elles le sont, l'enquête conti
nue jusqu'à l'examen de la question de savoir si
une justification fondée sur l'article premier pour-
rait exister.
Le paragraphe 17(5) constitue une restriction
imposée par une règle de droit. Il incombe alors à
l'intimée de démontrer qu'il s'agit d'une
qui soi[]t raisonnable[] et dont la justification
puisse se démontrer dans le cadre d'une société
libre et démocratique».
La justification de la Commission nationale des
libérations conditionnelles
Trois affidavits ont été déposés, deux par un
certain M. Stienburg et un par un certain M.
Harvey. On peut en général qualifer les justifica
tions qui y sont énoncées d'affirmation selon
laquelle la non-divulgation est nécessaire au fonc-
tionnement efficace du système de la libération
conditionnelle. En fait, l'avocat de l'intimée est
allé jusqu'à affirmer qu'une ordonnance qui ne
protégeait pas le type de renseignements confiden-
tiels qui est en litige en l'espèce saperait le système
de la libération conditionnelle tout entier, et que la
Commission devrait simplement cesser d'accorder
des libérations conditonnelles. (Telle était la con
clusion de l'avocat; il ne s'agit pas d'une consé-
quence affirmée dans les affidavits déposés.) On
invoque un autre motif pour la non-divulgation:
l'exactitude de ces renseignements est soigneuse-
ment vérifiée avant que la Commission ne s'appuie
sur ceux-ci. Je vais citer des extraits de ces
affidavits.
Voici une partie de l'affidavit établi par M.
Stienburg le 20 novembre 1990:
[TRADUCTION] 7. Que, ainsi qu'il ressort de la formulation de
plusieurs des rapports de renseignements confidentiels, les ren-
seignements y figurant et se rapportant aux allégations d'agres-
sion sexuelle ont été donnés confidentiellement. Lesdites alléga-
tions ont été faites à des membres du Service correctionnel et à
des assistants sociaux qui travaillent dans le domaine relatif au
système des services correctionnels.
8. Qu'il ressort desdits rapports de renseignements que les deux
victimes ne voulaient pas engager de poursuites par crainte de
représailles de la part du requérant, et que l'une d'elles ne
voulait pas signer une déclaration pour des raisons que je ne
peux divulguer sans donner suffisamment de renseignements
pour permettre au requérant de déduire l'identité de la victime.
L'une des victimes a pris des mesures pour éviter le requérant;
je ne peux pas non plus détailler ces mesures sans permettre au
requérant de déduire son identité.
9. Que lesdits rapports de renseignements contenaient égale-
ment des détails sur le comportement des victimes d'agression
alléguée, comportement dont les auteurs desdits rapports
croyaient qu'il était le résultat desdites agressions. Encore une
fois, il ne m'est pas loisible de révéler plus de détails sans
risquer de permettre au requérant de déduire les identités des
sources.
10. Que je sollicite l'autorisation de me référer à mon affidavit
antérieur, en particulier au paragraphe 24 de cet affidavit.
Compte tenu des renseignements figurant dans les rapports de
renseignements confidentiels et en particulier de la plainte selon
laquelle il y a eu une série d'agressions sexuelles, le comité a
estimé que, de par la véritable nature des agressions alléguées
et des expressions de crainte de la part des sources pour la
sécurité des victimes, les allégations compromettaient les victi-
mes et représentaient un danger pour leur sécurité.
11. Que comme suite au paragraphe 10 de la présente, le corps
tout entier de la preuve a été obtenu des sources par les
nombreux auteurs des rapports, et que les auteurs ont déclaré
que certaines de ces sources avaient des craintes évidentes et
objectives de représailles de la part de l'appelant.
13. Que, comme suite au paragraphe 11 de la présente, compte
tenu en outre de la nature hautement confidentielle des rensei-
gnements et du refus des sources d'accepter la divulgation des
renseignements par crainte de représailles, le comité a partagé
tous les renseignements possibles et seulement retenu le mini
mum de renseignements qu'elle pouvait retenir en vertu du
paragraphe 17(5) du Règlement sur la libération condition-
nelle.
14. Que lesdits rapports de renseignements confidentiels sur
lesquels s'est appuyé le comité ont tous été établis dans le cadre
d'enquêtes licites et d'examens faits en vertu de la Loi sur la
libération conditionnelle, et que, de par la formulation de ces
rapports où il s'agissait d'un point important dans le contexte,
les renseignements provenant des sources avaient été donnés à
titre confidentiel. A mon avis, fort de mon expérience avec la
police et la collectivité, le système carcéral et le système de la
libération conditionnelle en général, si les renseignements ras-
semblés au cours d'une enquête fondée sur la Loi et le Règle-
ment sur la libération conditonnelle ne peuvent être donnés sans
l'assurance qu'ils seront gardés confidentiels, cela nuirait au
déroulement de ces enquêtes et, par conséquent, à la capacité
de la Commission d'évaluer le risque.
15. Que, à mon avis, le partage de la teneur des rapports de
renseignements confidentiels dans leur totalité ne servirait pas
l'intérêt public. Ces renseignements ont été donnés à titre
confidentiel à la condition qu'ils ne soient pas partagés avec le
requérant ...
16. Que je sollicite l'autorisation de me reporter encore à mon
affidavit antérieur et en particulier au paragraphe 1 de celui-ci.
Compte tenu de l'expérience que j'ai acquise en tant que
membre de la Commission des libérations conditionnelles, je
suis persuadé que le fait d'être tenu par la loi de partager la
teneur complète des rapports de renseignements confidentiels
ou tout autre renseignement de nature confidentielle sans
exception, ou même de faire examiner ces documents par
l'avocat du requérant ou par un juge de cette Cour, quoiqu'à
huis clos, porterait sérieusement atteinte au processus du ras-
semblement de renseignements par le Service correctionnel du
Canada, donc à la capacité de la Commission nationale des
libérations conditionnelles d'évaluer le risque.
17. Que, à mon avis, pour le fonctionnement approprié du
système de la libération conditionnelle établi sous le régime de
la Loi sur la libération conditionnelle et de son règlement
d'application, il est très important que la, Commission des
libérations conditionnelles maintienne le pouvoir qu'elle tient
du paragraphe 17(5) du Règlement, celui de n'être pas tenu de
communiquer tout renseignement dont la divulgation nuirait à
l'intérêt public et, entre autres, les renseignements dont la
divulgation relèverait de divers alinéas de ce paragraphe. [C'est
moi qui souligne.]
Les motifs invoqués dans l'affidavit établi par
M. Stienburg le 20 novembre 1990 ne diffèrent pas
beaucoup de ceux figurant dans son affidavit anté-
rieur du 18 octobre 1990. Je vais toutefois en citer
un paragraphe:
[TRADUCTION] 24. Que, comme suite au paragraphe 23 de la
présente, le Comité a estimé que le Service correctionnel du
Canada avait pris les mesures raisonnables et nécessaires pour
vérifier la fiabilité des renseignements figurant dans lesdits
rapports et que, dans les circonstances, le Comité peut sans
danger agir sur la base des renseignements figurant dans lesdits
nombreux rapports. En tentant d'évaluer la qualité de la vali-
dité des renseignements, la Commission a examiné et était
tenue d'examiner très soigneusement la teneur des Rapports de
renseignements confidentiels, et il lui a été absolument impossi
ble de ne pas tenir compte de la nature très sérieuse des
allégations.
Selon le Comité, il n'y avait pas lieu de croire que les alléga-
tions n'étaient rien d'autre que la description des incidents que
les victimes avaient connus. La confiance qu'avait le Comité
dans la fiabilité des renseignements s'est trouvée renforcée par
le fait que certains des renseignements avaient été obtenus
d'une source qui n'était pas essentiellement impliquée, qui avait
indiqué d'une façon très détaillée ou très claire qu'une personne
avait été avisée du comportement du requérant, et avait en fait
confirmé que le requérant avait effectivement tenté d'entrer
dans la demeure de l'une des victimes. En conséquence, le
Comité était convaincu que la preuve produite révélait une
augmentation très substantielle du niveau de risque que le
requérant représentait pour la collectivité. En bref, selon le
Comité, il ressortait de la preuve dont il était saisi qu'il
s'agissait d'un comportement qui était non seulement inaccep-
table pour une personne en libération conditionnelle, mais qui
était aussi de nature criminelle. [C'est moi qui souligne.]
L'affidavit établi par M. Harvey le 19 novembre
1990 explique la procédure de rassemblement de
renseignements:
[TRADUCTION] 10. Dans le cas des RRC [Rapports de rensei-
gnements confidentiels], les renseignements sont donnés au
Service correctionnel du Canada seulement à la condition
expresse que le Service garantisse que tout renseignement qui,
selon la source, doit être gardé confidentiel, doit l'être. Tous les
renseignements de ce genre ne sont pas acceptés dans ces
conditions, et le Service correctionnel n'acceptera ces renseigne-
ments confidentiels que s'ils relèvent des exceptions expresses
énumérées dans la Loi sur l'accès à l'information et dans la Loi
sur la protection des renseignements personnels (particulière-
ment l'alinéa 16(1)c) et l'article 17 de la Loi sur l'accès à
l'information et le paragraphe 22(1) et l'article 25 de la Loi sur
la protection des renseignements personnels), c'est-à-dire, seu-
lement dans les cas où la divulgation risquerait vraisemblable-
ment de nuire à la sécurité des individus ou lorsque la divulga-
tion de ces renseignements compromettrait une enquête
policière en cours.
12. Dans le cas d'une enquête policière en cours, le partage
d'une connaissance, notamment du simple fait même qu'une
enquête est en cours peut ruiner des mois ou des années de
travail par les forces policières. Toutefois, ces renseignements
peuvent être d'une importance directe pour une décision en
matière de libération conditionnelle puisque, bien qu'ils ne
permettent pas de porter de nouvelles accusations ou d'obtenir
des condamnations, ils peuvent constituer des indices clairs qui
satisfont à la norme différente de la preuve de la violation d'une
condition de la libération conditionnelle, à savoir, par exemple,
qu'il ne faut pas s'associer avec les criminels connus, etc.
13. Lorsque ces renseignements sont reçus, des mesures raison-
nables sont prises pour vérifier leur fiabilité. L'agent de libéra-
tion conditionnelle sur le terrain ou l'équipe de gestion des cas
vont faire enquête sur les allégations et présenter dans le
rapport toutes les circonstances entourant ces renseignements,
notamment la question de savoir s'ils peuvent faire l'objet d'une
justification indépendante ou s'il existe des facteurs ou des
mobiles qui pourraient affecter la crédibilité de la source.
15. Les agents de libération conditionnelle et les agents de
gestion des cas sont bien au courant de la possibilité d'un abus,
en ce sens que ces renseignements peuvent être donnés par des
personnes qui s'intéressent à la vengeance et non à la vérité.
C'est pour cette raison qu'on fait enquête sur ces renseigne-
ments et qu'on examine si les renseignements, ainsi que la
crédibilité et la possibilité d'un conflit d'intérêts de la part de la
source, peuvent être vérifiés indépendamment.
20. L'usage de RRC est soigneusement contrôlé pour empêcher
l'abus du processus par les sources et le personnel du Service.
Toutefois, la question du partage des renseignements avec le
détenu n'est pas une question simple. Bien que des changements
de circonstances ultérieurs puissent donner lieu à la divulgation
des renseignements ou que les renseignements puissent être
divulgués par suite d'une décision rendue en vertu de la Loi sur
la protection des renseignements personnels ou de la Loi sur
l'accès à l'information, nos préoccupations principales visent
deux buts: tout d'abord, sans la garantie d'un anonymat, les
renseignements essentiels à la protection de la société ne
seraient pas disponibles dans plusieurs cas; et deuxièmement,
lorsque ces renseignements sont divulgués contre la volonté
d'une source, le système actuel n'est pas à même de protéger
cette personne de la menace de violence. [C'est moi qui
souligne.]
Détermination de la valeur des affidavits
Dans la détermination de la valeur des affidavits
déposés pour le compte de la Commission natio-
nale des libérations conditionnelles, il faut tout
d'abord se rappeler clairement que le litige en
l'espèce ne porte pas sur la contestation du droit
des agents du Service correctionnel de recevoir des
renseignements à titre confidentiel et de conserver
leur confidentialité. Le litige en l'espèce n'influe
pas sur le processus du rassemblement de rensei-
gnements par le Service corrrectionnel du Canada
(paragraphe 16 de l'affidavit en date du 20 novem-
bre 1990 de M. Stienburg). Il ne s'agit pas de
savoir si la Commission des libérations conditon-
nelles devrait être tenue de divulguer le dossier
complet des services correctionnels au libéré condi-
tionnel (paragraphe 16 de l'affidavit en date du 20
novembre 1990 de M. Stienburg). La question
n'est pas non plus de savoir si la Commmission
doit divulguer l'identité des indicateurs. A l'évi-
dence, elle n'y est pas tenue. Il n'y a jamais lieu à
l'obligation de révéler les noms des indicateurs,
puisque ce fait ne se rapporte jamais à la décision
qui doit être prise. Une question ne se pose que
lorsque la divulgation de renseignements va néces-
sairement révéler l'identité de l'indicateur. Il échet
d'examiner si la Commission nationale des libéra-
tions conditionnelles est tenue soit de divulguer des
renseignements au requérant (lorsque la divulga-
tion va nécessairement révéler la source de ces
renseignements) soit de s'abstenir de s'appuyer sur
ces renseignements en décidant de la libération
conditionnelle du requérant.
Pour ce qui est des points particuliers soulevés
dans les affidavits, rien ne prouve l'existence d'une
enquête policière en cours, en l'espèce, à laquelle la
divulgation des renseignements en question porte-
rait préjudice (paragraphe 12 de l'affidavit de M.
Harvey). La seule enquête au sujet de laquelle il
existe des éléments de preuve est celle faite en
vertu de la Loi sur la libération conditionnelle et
son Règlement d'application et qui a conduit à la
révocation de la libération conditionnelle du requé-
rant (paragraphes 14 et 17 de l'affidavit en date
du 20 novembre 1990 de M. Stienburg). L'arrêt
Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de
l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, a établi que
les motifs de commodité administrative ne justi-
fient pas le déni de justice fondamentale. Si je
comprends bien l'argument de l'intimée, en l'es-
pèce, c'est plus que la commodité administrative
qui est censée exiger les restrictions qui ont été
imposées. Néanmoins, dans la mesure où une
partie de l'argument de l'intimée pourrait reposer
sur un motif de commodité administrative, il y a
été répondu dans l'arrêt Singh précité.
Le recours aux dispositions de la Loi sur l'accès
à l'information, L.R.C. (1985), chap. A-1 et de la
Loi sur la protection des renseignements person-
nels, L.R.C. (1985), chap. P-21 est hors de propos.
Ainsi qu'il a été dit ci-dessus, ces dispositions
législatives prévoient les cas où les individus n'au-
ront pas certains renseignements qu'ils cherchent à
obtenir du gouvernement. Toutefois, ces exemp
tions ne sont pas conçues pour s'appliquer au
contexte d'une situation où l'individu qui cherche à
obtenir les renseignements fait face à de sérieuses
conséquences relatives à sa liberté par suite de
décisions rendues sur la base de ceux-ci. Ces lois
prévoient la restriction de l'accès d'un individu à
l'information lorsque l'information cherchée peut
être demandée sans autre raison que la curiosité
pure et simple. De même, dans ce contexte, cette
Cour a une fonction de contrôle qui voit à ce que
les exemptions réclamées soient réclamées de façon
appropriée rôle qui, l'intimée le nie catégorique-
ment, est approprié dans les circonstances plus
sérieuses où se trouve le requérant.
L'intimée prétend que l'exactitude des rensei-
gnements en question a soigneusement été exami
née. Il peut en être ainsi, mais je ne pense pas que
cela justifie de refuser de fournir au requérant les
renseignements qu'il cherche à obtenir. L'affirma-
tion selon laquelle les renseignements sont exacts
manque d'objectivité, et il ne s'agit pas là d'une
réponse à l'idée de traitement arbitraire que le
requérant se fait. Le fait de restreindre la liberté
d'un individu sans être tenu de donner des détails
sur les accusations portées contre lui n'est pas
couvert par l'affirmation du décideur selon
laquelle ces renseignements sont exacts.
Il reste à examiner le trait principal de l'argu-
ment de l'intimée: les renseignements ont été
donnés de façon confidentielle; les individus qui
ont donné ces renseignements se préoccupaient de
ce que si leurs identités étaient connues, ils feraient
l'objet de représailles de la part du requérant; les
renseignements ne sauraient être divulgués sans
révéler en même temps l'identité des indicateurs.
Et si la Commisssion des libérations conditionnel-
les ne peut s'appuyer sur ces renseignements, l'ap-
titude de la Commission à évaluer les risques se
trouve sérieusement diminuée et le fonctionnement
du système de la libération conditionnelle, sapé.
Les affidavits abordent deux questions: les faits
particuliers du cas du requérant, et le raisonne-
ment quant à la procédure établie par le paragra-
phe 17(5) du Règlement et à la teneur de celui-ci.
On pourrait considérer la preuve relative aux faits
particuliers du cas de requérant comme servant
davantage à déterminer s'il y a eu violation de la
justice fondamentale qu'à déterminer si une justifi
cation fondée sur l'article premier existe. En tout
état de cause, pour ce qui est des faits particuliers
du cas du requérant, l'affirmation de M. Stienburg
selon laquelle, compte tenu de ce qui a été dit dans
les divers rapports confidentiels, la Commission
des libérations conditionnelles est persuadée que
fournir au requérant des renseignements addition-
nels reviendrait à divulguer l'identité de la source,
ne constitue pas une déposition convaincante quant
à la question de savoir si la divulgation aurait en
fait cette conséquence. De même, l'affirmation de
M. Stienburg selon laquelle, compte tenu des des
criptions figurant dans les rapports confidentiels
(au sujet des agressions alléguées et des expres
sions de crainte de la part des indicateurs), le
Comité a conclu qu'une menace pour la sécurité
des indicateurs existerait si la divulgation avait
lieu, ne prouve pas de façon convaincante que la
divulgation aurait cette conséquence.
On se demande par exemple pourquoi le problè-
me de la protection des indicateurs est plus sérieux
dans les circonstances actuelles que dans le cas des
nombreuses situations de violence familiale. On se
demande pourquoi ce problème est plus grave que
celui de la protection des témoins qui déposent aux
procès criminels. Ces types de problèmes ne con-
cernent pas uniquement la situation d'un libéré
conditionnel.
Pour ce qui est des éléments de preuve concer-
nant la procédure permettant de refuser la divul-
gation, conformément au paragraphe 17(5) du
Règlement, la preuve convaincante fait défaut
encore une fois. L'affirmation selon laquelle le
fonctionnement du système de la libération condi-
tionnelle sera sapé si les renseignements du genre
en question sont révélés au requérant (et par ana-
logie à d'autres requérants qui se trouvent dans des
situations similaires) est une opinion qui ne repose
sur aucun fondement factuel. Je fais remarquer en
outre que fait complètement défaut la preuve de la
nature comparative habituelle, qu'on produit sou-
vent dans ces genres de cas pour démontrer que
d'autres instances démocratiques ont jugé néces-
saire d'établir des procédures d'un genre similaire.
L'intimée a eu la possibilité de produire des
éléments de preuve particuliers pour démontrer ou
bien que les faits particuliers du demandeur justi-
fiaient la restriction qui avait été imposée, ou bien
que l'application du système de la libération condi-
tionnelle qui autorise la Commission des libéra-
tions conditionnelles à refuser la divulgation de
renseignements conformément au paragraphe
17(5) du Règlement peut être justifiée sur le fon-
dement de l'article premier de la Charte. La Com
mission n'a pas produit de tels éléments de preuve.
Le contrôle judiciaire
L'intimée s'est vu offrir une audience à huis clos
pour établir le fondement factuel de ses affirma
tions, assortie de l'engagement par l'avocat du
requérant de ne pas divulguer à son client ni en
fait à toute autre personne les renseignements dont
il prendrait connaissance. L'intimée prétend que
même cette mesure porterait sérieusement atteinte
au fonctionnement du système de la libération
conditionnelle (paragraphe 16 de l'affidavit de M.
Stienburg). Cet argument n'est simplement pas
digne de foi.
Cette Cour connaît de plusieurs situations où
des renseignements confidentiels sont produits
devant elle et sont utilisés ou ne sont pas utilisés
dans un litige, selon le cas. Souvent, des restric
tions sont imposées à l'usage de ces renseignements
pour protéger leur caractère confidentiel. Dans
certaines instances, seules la Cour et la partie qui a
produit les renseignements y ont accès. Dans d'au-
tres instances, bien que les avocats et la Cour aient
accès aux renseignements, la partie adverse n'y a
pas accès. (En l'espèce, l'intimée ne s'est nullement
opposée à ce que l'avocat du requérant prenne
connaissance des renseignements; ce à quoi elle
s'est opposée était l'établissement d'un précédent.)
Ainsi qu'il a été noté, cette Cour exerce une
fonction de contrôle en vertu de la Loi sur l'accès
à l'information. Elle tient de la Loi sur la preuve
au Canada, L.R.C. (1985), chap. C-5, le pouvoir
de trancher des questions telles que la question de
savoir si la divulgation publique de certains rensei-
gnements devant une cour porterait atteinte à la
défense nationale ou à la sécurité nationale. On
peut également lui demander de déterminer si la
divulgation de renseignements pourrait nuire aux
relations internationales. En vertu de l'article 37
de la Loi sur la preuve au Canada, la Cour peut
déterminer si les renseignements que le ministre
considère comme ne devant pas être divulgués
«dans l'intérêt public» sont à juste titre ainsi quali-
fiés. Il est difficile de conclure que le fait de
divulguer à cette Cour certains renseignements
concernant la situation particulière du requérant
ou justifiant la règle de non-divulgation énoncée
au paragraphe 17(5) du Règlement aurait les con-
séquences défavorables qui sont alléguées.
L'intimée fait valoir que cette Cour n'a pas
compétence pour forcer la production des rapports
de renseignements confidentiels concernant le
requérant ou d'autres types de renseignements qui
se rapportent à l'espèce. Que les renseignements
concernant le requérant fassent partie du dossier
ou non et que leur production devant la Cour
puisse être forcée ou non, il s'agit là d'un argument
qui a été éclipsé par les arguments portant sur les
droits que le requérant tient de la Charte. L'argu-
ment selon lequel la production de ces renseigne-
ments pourrait être forcée parce qu'ils font partie
du dossier a été au début invoqué, mais on ne l'a
pas invoqué de façon vigoureuse dans le stade plus
récent des procédures. Indépendamment de la
question de savoir si la Cour a un pouvoir coercitif
à cet égard, le fait pour l'intimée de n'avoir pas
produit d'autres éléments de preuve a pour consé-
quence qu'elle n'a pas en l'espèce établi la valeur
probante des arguments qu'elle cherche à invo-
quer.
Restriction imposée par le paragraphe 17(5) du
Règlement
J'aborde maintenant le texte du paragraphe
17(5) lui-même. Les considérations de principe qui
sous-tendent ce règlement et les faits particuliers
relatifs au cas du requérant, comme en témoignent
les affidavits de M. Stienburg et M. Harvey, ont
été examinés. Et qu'en est-il des dispositions du
Règlement lui-même?
Je fais remarquer tout d'abord que le
paragraphe 17(5) est d'une portée très générale.
Aucune distinction n'est faite entre la non-divulga-
tion de renseignements esssentiels à la connais-
sance par un individu de l'accusation portée contre
lui et la non-divulgation de renseignements qui
sont de nature plus marginale. En outre, l'alinéa
17(5)e) est si général qu'il semble autoriser la
non-divulgation simplement parce que les rensei-
gnements sont reçus de façon confidentielle. Cela
ne peut jamais justifier de restreindre les garanties
de la justice fondamentale, comme on l'a claire-
ment énoncé dans l'affaire Demaria précitée, à la
page 7&. Qui plus est, l'alinéa 17(5)a) semble
exiger seulement la possibilité d'une menace et non
la probabilité qu'un préjudice pourrait être causé à
un individu. Il s'agit là de dispositions d'une portée
générale qui est préoccupante. Bien que je ne juge
pas nécessaire de décider si le paragraphe 17(5)
est ultra vires (il s'applique peut-être dans certai-
nes circonstances), il suffit de dire que, lorsqu'on
recourt à ce paragraphe pour refuser à un libéré
conditionnel le genre de renseignements qui a été
refusé en l'espèce, il est inopérant à cette fin.
En outre, je ne suis pas convaincu qu'un système
qui met entre les mains du même organisme tant
la décision sur le fond (la révocation de la libéra-
tion conditionnelle du requérant) que la décision
sur la partie des renseignements dont il dispose qui
va être divulguée au requérant soit un système qui
remplit les exigences de l'article premier de la
Charte. Je doute fort qu'une telle procédure puisse
être justifiée lorsqu'il s'agit d'une personne qui se
trouve dans la position du requérant (une personne
qui est en libération conditionnelle depuis plusieurs
années et dont le dossier est exemplaire). À cet
égard, on peut établir un parallèle en se référant à
l'arrêt Hunter et autres c. Southam Inc., [ 1984] 2
R.C.S. 145, où il a été jugé qu'un mandat de
perquisition était invalide s'il n'était pas délivré
par un organisme judiciaire indépendant de l'orga-
nisme enquêteur.
Conclusion
En conclusion, il y a eu violation des droits que
le requérant tient de l'article 7 de la Charte du fait
que la Commission a refusé de lui fournir les
renseignements confidentiels sur lesquels elle s'ap-
puie. L'intimée n'a pas produit d'éléments de
preuve pour justifier la non-divulgation ni à l'égard
des circonstances particulières de l'espèce ni à
l'égard de la thèse voulant que le paragraphe 17(5)
impose une limite raisonnable aux droits du requé-
rant en vertu de l'article premier de la Charte. En
conséquence, je rendrai une ordonnance portant
annulation de la décision de la Commission et une
ordonnance de mandamus enjoignant la tenue
d'une nouvelle audience par un comité différent de
la Commission nationale des libérations condition-
nelles.
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