T-2581-89
Ken Rubin (demandeur)
c.
Procureur général du Canada, Raymond P. Gue-
nette, J. F. Cousineau et Société canadienne d'hy-
pothèques et de logement (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: RUBIN C. CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL) (1"
INST.)
Section de première instance, juge Strayer —
Ottawa, 19 juin et 5 juillet 1990.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Droits à
l'égalité — Le demandeur s'est vu attribuer les dépens entre
parties, mais les honoraires d'avocat qu'il réclamait lui ont été
refusés, au motif qu'il agissait pour son propre compte —
Action en jugement déclaratoire portant que les Règles 344 et
346 des Règles de la Cour fédérale et le tarif B créent une
discrimination à l'égard des personnes qui, en raison de leurs
activités d'intérêt public, de leur orientation politique, de leur
situation économique ou d'une combinaison de ces facteurs,
n'engagent pas d'avocat — Bien que les Règles et le tarif B
établissent une distinction entre les personnes qui plaident
elles-mêmes leur cause et celles qui sont représentées par un
avocat, le demandeur n'a pas démontré qu'il faisait l'objet
d'une distinction défavorable équivalant à l'un des motifs de
discrimination énumérés à l'art. 15(1) de la Charte ou à un
motif analogue — Le simple fait de prétendre qu'on est
financièrement désavantagé ne constitue pas une discrimina
tion au sens de l'art. 15(1).
Pratique — Frais et dépens — Le demandeur, qui plaidait
lui-même sa cause, s'est vu adjuger les dépens entre parties —
Sa demande d'honoraires d'avocat a été refusée conformément
à la lettre du tarif B, qui permet d'accorder un montant «pour
les services des avocats» et à l'interprétation bien établie des
Règles — Action en jugement déclaratoire portant que les
Règles et le tarif sont contraires à l'art. 15 de la Charte au
motif qu'ils créent une discrimination à l'égard des plaideurs
qui agissent pour leur propre compte — La déclaration est
radiée au motif qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable
d'action.
Pratique — Plaidoiries — Requête en radiation — Action
en jugement déclaratoire portant que les Règles 344 et 346 des
Règles de la Cour fédérale et le tarif B contreviennent à l'art.
15 de la Charte au motif qu'ils créent une discrimination à
l'égard des personnes qui, en raison de leurs activités d'intérêt
public, de leur orientation politique, de leur situation écono-
mique, ou d'une combinaison de ces facteurs, n'engagent pas
d'avocat — La requête est accueillie — Les allégations sont
fondées sur des conjectures et on ne peut en démontrer la
véracité par la présentation de preuves.
Pratique — Parties — Le demandeur, qui plaidait lui-
même sa cause, s'est vu adjuger les dépens entre parties — Sa
demande d'honoraires d'avocat a été refusée — Action tendant
à obtenir un jugement déclaratoire portant que les Règles 344
et 346 des Règles de la Cour fédérale et le tarif B créent une
discrimination à l'égard des plaideurs qui agissent pour leur
propre compte, ainsi qu'un bref de certiorari annulant la
décision de l'officier taxateur et un bref de mandamus enjoi-
gnant à l'officier taxateur de taxer les frais et les dépens du
demandeur comme s'il s'agissait d'un plaideur représenté par
un avocat — Les officiers taxateurs sont mis hors de cause, au
motif que leur participation au procès comme défendeurs n'est
pas nécessaire — La Cour aurait pu corriger elle-même la
taxation si le demandeur avait obtenu gain de cause dans son
action en jugement déclaratoire.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), appendice II, n° 44], art. 15.
Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. (1985), chap. A-1.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles
344 (mod. par DORS/87-221, art. 2), 346 (mod., idem,
art. 3), tarif B (mod., idem, art. 8).
JURISPRUDENCE
DÉCISION NON SUIVIE:
McBeth v. Dalhousie University (1986), 72 N.S.R. (2d)
224; 26 D.L.R. (4th) 321; 173 A.P.R. 224; 10 C.P.C.
(2d) 69 (C.A.N: E.).
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1
R.C.S. 143; (1989), 56 D.L.R. (4th) 1; [1989] 2 W.W.R.
289; 34 B.C.L.R. (2d) 273; 36 C.R.R. 193; 91 N.R. 255;
Renvoi relatif à la Workers' Compensation Act, 1983
(T.-N.), [1989] 1 R.C.S. 922; (1989), 76 Nfld. &
P.E.I.R. 181; 56 D.L.R. (4th) 765; 235 A.P.R. 181; 96
N.R. 227; Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine
et autres, [1985] 1 R.C.S. 441; (1985), 18 D.L.R. (4th)
481; 12 Admin. L.R. 16; 13 C.R.R. 287; 59 N.R. 1.
DÉCISION EXAMINÉE:
Davidson c. Canada (Procureur général), [1989] 2 C.F.
341; (1989), 36 Admin. L.R. 251 (C.A.).
AVOCATS:
Milos Barutciski, pour le demandeur.
Linda Wall, pour les défendeurs le procureur
général du Canada et la Société canadienne
d'hypothèques et de logement.
Kevin L. LaRoche, pour les défendeurs Ray-
mond P. Guenette et J. F. Cousineau.
PROCUREURS:
Gowling, Strathy & Henderson, Ottawa, pour
le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour
les défendeurs le procureur général du
Canada et la Société canadienne d'hypothè-
ques et de logement.
Scott & Aylen, Ottawa, pour les défendeurs
Raymond P. Guenette et J. F. Cousineau.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE STRAYER:
Réparation demandée
La Cour est saisie de deux requêtes. Dans la
première, le procureur général du Canada et la
Société canadienne d'hypothèques et de logement
demandent la radiation de la déclaration au motif
qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'ac-
tion. Dans la seconde, les défendeurs Raymond P.
Guenette et J. F. Cousineau demandent à être mis
hors de cause au motif que leur participation au
procès comme parties n'est pas nécessaire.
Faits à l'origine du litige
Aux fins de la requête en radiation de la décla-
ration, j'accepte, comme j'y suis tenu, les faits tels
qu'ils sont articulés. Suivant la déclaration, le
demandeur s'est adressé en mars de 1985 à la
Société canadienne d'hypothèques et de logement
(SCHL) en vertu de la Loi sur l'accès à l'infor-
mation' pour consulter les procès-verbaux de cer-
taines réunions de la Société. Le demandeur s'est
vu refuser l'accès à ces documents et il a déposé
une plainte auprès du Commissaire à l'informa-
tion. Par la suite, le commissaire adjoint à l'infor-
mation a recommandé à la SCHL de divulguer les
renseignements demandés, ce qu'elle a de nouveau
refusé de faire. Le demandeur a ensuite intenté
une poursuite devant la Cour fédérale [(1987), 8
F.T.R. 236 (i re inst.)] et a finalement obtenu gain
de cause devant la Cour d'appel fédérale [[1989] 1
C.F. 265] qui, le 6 juillet 1988, a accueilli son
appel et lui a adjugé les dépens entre parties tant
en première instance qu'en appel. Le demandeur,
qui se qualifie lui-même de «personne qui fait de la
recherche dans l'intérêt du public», a plaidé lui-
même sa cause depuis le début. Au moment de la
taxation des dépens, il a réclamé dans son mémoire
1 Maintenant L.R.C. (1985), chap. A-1.
de frais un montant de 1 025 $ en honoraires
d'avocat en vertu du paragraphe 1(1) du tarif B
[Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663
(mod. par DORS/87-221, art. 8)]. Les officiers
taxateurs concernés étaient J. F. Cousineau et
Raymond P. Guenette et, dans des motifs datés du
13 juillet 1989, ce dernier a refusé d'accorder au
demandeur les honoraires d'avocat qu'il réclamait.
Il est constant qu'en agissant ainsi, il s'en tenait à
la lettre du tarif B, qui ne vise que «les services des
avocats» et à l'interprétation bien établie des
Règles de notre Cour suivant laquelle les honorai-
res d'avocat ne sont pas taxés en faveur des plai-
deurs qui agissent pour leur propre comptez.
L'avocat du demandeur m'informe que celui-ci a
déposé une demande de révision de la décision
rendue sur la taxation, mais qu'il a laissé cette
demande en suspens et a introduit l'action en
question en l'espèce. Dans la présente action, il
allègue que les Règles 344 [mod. par DORS/87-
221, art. 2] et 346 [mod., idem, art. 3] des Règles
de la Cour fédérale et le tarif B créent une discri
mination à l'égard des parties qui plaident elles-
mêmes leur cause parce qu'ils ne permettent pas
de rémunérer le travail personnel qui est effectué
par les parties qui obtiennent gain de cause et qui
serait rémunéré en partie si ces personnes enga-
geaient plutôt un avocat et parce qu'ils prévoient
que la taxation des frais et des dépens autres que
ceux qui sont normalement prévus au tarif B ne
peut avoir lieu que sur directive spéciale donnée
par la Cour en vertu de la Règle 344(7), et que le
fait de demander cette directive défavorise le plai-
deur qui agit pour son propre compte. Dans sa
déclaration, le demandeur invoque le paragraphe
15(1) de la Charte canadienne des droits et liber-
tés [qui constitue la Partie I de la Loi constitu-
tionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985),
appendice II, n° 44]], et il nie que les Règles en
question puissent constituer une limite raisonnable
(justifiée par l'article premier) à son droit à l'éga-
lité devant la loi et à la même protection et au
même bénéfice de la loi. Il sollicite divers juge-
ments déclaratoires en ce sens, un bref de certio-
rari annulant la décision de l'officier taxateur, et
un bref de mandamus enjoignant aux officiers
taxateurs de taxer ses frais et ses dépens comme
2 Voir, par ex., Davidson c. Canada (Procureur général),
[1989] 2 C.F. 341 (C.A.).
s'il s'agissait de la taxation des frais et dépens d'un
plaideur qui a obtenu gain de cause et qui était
représenté par un avocat.
Conclusion
Je suis convaincu qu'il y a lieu de rejeter
l'action.
Dans sa déclaration, le demandeur se qualifie de
«personne qui fait de la recherche dans l'intérêt du
public». Voici les paragraphes clés de sa déclara-
tion:
[TRADUCTION] 6. En tant que personne qui fait de la recher-
che dans l'intérêt du public, le demandeur s'adresse à l'occasion
à des institutions fédérales pour obtenir des renseignements qui
peuvent être utilisés par lui-même ou par d'autres personnes
pour faciliter l'évaluation et la critique objectives des politiques
et des méthodes de l'Administration fédérale.
7. Le demandeur a, à plusieurs reprises, demandé la communi
cation de renseignements en vertu de la Loi sur l'accès à
l'information, L.R.C. (1985), chap. A-1, modifiée, pour son
propre compte ou pour le compte de la presse écrite et parlée ou
d'organismes d'intérêt public, dont des organismes visant à
améliorer la situation de groupes et de personnes socialement et
économiquement défavorisés.
8. À plusieurs occasions, après s'être vu refuser par une institu
tion fédérale ses demandes de communication de renseigne-
ments présentées en vertu de la Loi sur l'accès à l'information,
le demandeur a demandé la révision judiciaire du refus par la
Cour fédérale du Canada.
9. En raison des ressources limitées qui sont disponibles pour
appuyer des activités d'intérêt public comme celles qu'il exerce,
le demandeur n'a pas les moyens de retenir les services d'un
avocat pour le représenter dans ses demandes d'accès à l'infor-
mation. Si le demandeur devait engager un avocat pour de
telles demandes, cela compromettrait sérieusement son rôle de
personne qui fait de la recherche dans l'intérêt du public à
cause des coûts supplémentaires considérables qu'il faudrait
engager pour obtenir les renseignements pertinents.
23. Les Règles 344 et 346 des Règles de la Cour fédérale et le
tarif B créent une discrimination à l'égard des parties qui
plaident elles-mêmes leur cause. La Règle 346(1) des Règles
dispose que, sauf ordonnance contraire de la Cour, tous les
dépens entre parties doivent être taxés conformément au tarif
B. Le tarif B prévoit les sommes qui peuvent être accordées par
l'officier taxateur «pour les services des avocats», mais ne
contient pas de disposition expresse au sujet du temps et des
frais (exception faite des débours) que le plaideur qui agit pour
son propre compte a consacrés pour exécuter les fonctions qui
seraient considérées comme des services admissibles si le plai-
deur avait choisi de se faire représenter par un avocat.
24. Dans la mesure où elle peut récupérer les frais et les dépens
en question, la partie qui plaide elle-même sa cause devra, dans
le délai prévu à la Règle 344(7), invoquer le pouvoir discrétion-
naire que la Règle 344 confère à la Cour. Le plaideur qui agit
pour son propre compte est ainsi désavantagé par rapport au
plaideur qui est représenté par un avocat pour ce qui est de la
récupération des frais et des dépens associés aux fonctions pour
lesquelles des frais et des dépens peuvent être récupérés en
vertu du tarif B.
25. La partie qui plaide elle-même sa cause s'expose quand
même à devoir payer les dépens de la partie adverse qui est
représentée par un avocat, ce qui, au procès, désavantage la
première.
26. Telles qu'elles ont été promulguées et telles qu'elles sont
appliquées, les Règles de la Cour fédérale ont pour effet de
créer une discrimination à l'égard des personnes qui, en raison
de leurs activités d'intérêt public, de leur orientation politique
ou de leur situation économique ou d'une combinaison de ces
facteurs, n'engagent pas d'avocat, car elles les forcent soit à
supporter le coût de certaines fonctions qui n'est pas assumé
dans la même mesure par les plaideurs qui ont les moyens de
retenir les services d'un avocat, soit à satisfaire à des critères
que les plaideurs qui engagent des avocats ne sont pas tenus de
respecter pour récupérer les frais et les dépens en question, soit,
finalement, à s'abstenir de s'adresser à la Cour.
27. On a de ce fait porté atteinte aux droits constitutionnels du
demandeur à l'égalité devant la loi et à la même protection et
au même bénéfice de la loi indépendamment de toute discrimi
nation qui sont garantis par le paragraphe 15(1) de la Charte
canadienne des droits et libertés.
Il est de jurisprudence constante que les Règles
et le tarif B, tels qu'ils ont été interprétés par notre
Cour, établissent une distinction entre les plaideurs
qui agissent pour leur propre compte et ceux qui
sont représentés par un avocat. Cela a été affirmé
dans les termes les plus nets dans l'arrêt David-
son', dans lequel un avocat qui agissait pour lui-
même s'est vu refuser la taxation d'honoraires
d'avocat. Il me semble toutefois que pour obtenir
gain de cause dans son action, le demandeur doit
démontrer que cette distinction défavorable, dont
il fait l'objet au même titre que tous les autres
plaideurs qui plaident eux-mêmes leur cause, équi-
vaut à une discrimination au sens du paragraphe
15(1) de la Charte. À cet égard, le juge McIntyre,
qui s'exprimait au nom de la majorité de la Cour
suprême du Canada dans l'arrêt Andrews c. Law
Society of British Columbia 4 a jugé qu'une simple
distinction défavorable créée par la loi ne contreve-
nait pas automatiquement au paragraphe 15(1).
Cette distinction doit constituer une discrimina
tion. Il a précisé que pour pouvoir conclure à
l'existence d'une «discrimination» au sens du para-
graphe 15(1), il faut que le motif de discrimination
3 Supra, note 2.
[1989] 1 R.C.S. 143, aux p. 181 et 182.
soit l'un des motifs énumérés à ce paragraphe ou
un motif analogue. La Cour suprême du Canada a
appliqué à nouveau ce critère dans une affaire
ultérieure comme seul motif de rejet d'une alléga-
tion de discrimination 5 .
Le demandeur ne justifie pas d'un intérêt parti-
culier pour soulever des points litigieux au sujet
des droits de toute personne autre que lui-même à
l'égard de la taxation des frais et des dépens dans
le litige particulier qui l'oppose à la SCHL et qui
est à la base de la présente action. Il n'allègue
aucun lien, à l'égard de la présente demande de
renseignements, avec les organismes «visant à amé-
liorer la situation de groupes et de personnes socia-
lement et économiquement défavorisés» dont il est
question au paragraphe 7 de la déclaration. Le seul
rôle ou trait caractéristique que revendique le
demandeur dans la poursuite qu'il a intentée
contre la SCHL est celui de «personne qui fait de
la recherche dans l'intérêt du public», un qualifica-
tif qu'il semble s'être lui-même attribué. Je ne vois
dans tout cela aucune allégation d'une série de
faits sur la base desquels la Cour pourrait conclure
en droit à une discrimination fondée sur des motifs
analogues à ceux qui sont énumérés au paragraphe
15(1) de la Charte. En d'autres termes, je ne
constate aucune allégation portant qu'en tant que
«personne qui fait de la recherche dans l'intérêt du
public», le demandeur est victime, dans les cas où
la loi lui est défavorable, d'une discrimination
fondée sur un motif analogue à ceux qui sont
énumérés au paragraphe 15 (1) de la Charte. L'af-
firmation qui se rapproche le plus d'une telle allé-
gation est celle où il parle de ses «ressources limi-
tées» et du fait que son efficacité serait
compromise s'il devait débourser de l'argent pour
engager un avocat afin de réclamer des honoraires
d'avocat au tarif des dépens entre parties. Si,
comme j'y suis tenu, je présume que cette option
est vraisemblable, la simple prétention qu'un cer
tain plaideur, qui n'a par ailleurs pas réussi à
établir qu'il faisait l'objet d'une discrimination, est
financièrement désavantagé par rapport aux autres
ne constitue pas, à mon avis, une allégation de
«discrimination» au sens du paragraphe 15(1).
Lors des débats, l'avocat du demandeur a toute-
fois insisté sur le fait qu'il fréquentait des groupes
5 Renvoi relatif à la Workers' Compensation Act, 1983
(T.-N.), [1989] 1 R.C.S. 922, à la p. 924.
qui seraient pour la plupart systématiquement
sous-financés et qui défendraient invariablement
l'intérêt public. Ainsi, des règles qui défavorisent
des personnes comme le demandeur désavantage-
raient de ce fait de la même manière les groupes
qu'elles fréquentent. Comme je l'ai déjà précisé, le
demandeur n'a pas invoqué selon moi les condi
tions préalables requises pour établir que l'intérêt
qu'il a pour agir «dans l'intérêt du public», en vue
de défendre cette question au nom de tous les
groupes et chercheurs d'intérêt public 6 , dépasse
l'intérêt qu'il possède indubitablement pour contes-
ter l'application qui lui est personnellement faite
du tarif dans l'action en accès à l'information
intentée contre la SCHL. Cependant, même en
supposant que le demandeur puisse établir qu'il a
qualité en l'espèce pour invoquer les présumés
droits constitutionnels de n'importe quel individu
et groupe «d'intérêt public» qui n'engage pas d'avo-
cat et même en supposant que tous les faits articu-
lés en l'espèce soient véridiques, je ne vois pas
comment on pourrait établir qu'ils possèdent tous
en l'espèce un droit constitutionnel à l'égard de
l'application du tarif B et des Règles de la Cour
fédérale. Le paragraphe clé de la déclaration est, à
mon avis, le paragraphe 26, que, par souci de
commodité, je reproduis à nouveau:
[TRADUCTION] 26. Telles qu'elles ont été promulguées et telles
qu'elles sont appliquées, les Règles de la Cour fédérale ont pour
effet de créer une discrimination à l'égard des personnes qui, en
raison de leurs activités d'intérêt public, de leur orientation
politique ou de leur situation économique ou d'une combinaison
de ces facteurs, n'engagent pas d'avocat, car elles les forcent
soit à supporter le coût de certaines fonctions qui n'est pas
assumé dans la même mesure par les plaideurs qui ont les
moyens de retenir les services d'un avocat, soit à satisfaire à des
critères que les plaideurs qui engagent des avocats ne sont pas
tenus de respecter pour récupérer les frais et les dépens en
question, soit, finalement, à s'abstenir de s'adresser à la Cour.
[Les soulignements sont de moi.]
En essayant de trouver dans cet énoncé les alléga-
tions qui pourraient justifier une accusation de
discrimination fondée sur le paragraphe 15(1), j'ai
tenu dûment compte du jugement prononcé par le
juge en chef Dickson dans l'affaire Operation Dis
mantle Inc. et autres c. La Reine et autres' dans
lequel ce dernier a déclaré:
6 Il n'a pas démontré, par exemple, qu'il est peu probable que
d'autres personnes puissent soulever elles-mêmes la question en
litige si cette question les concernait dans un litige réel.
7 [1985] 1 R.C.S. 441, à la p. 455.
La règle selon laquelle les faits matériels d'une déclaration
doivent être considérés comme vrais, lorsqu'il s'agit de détermi-
ner si elle révèle une cause raisonnable d'action, n'oblige pas à
considérer comme vraies les allégations fondées sur des supposi
tions et des conjectures. La nature même d'une telle allégation,
c'est qu'on ne peut en démontrer la véracité par la présentation
de preuves. Il serait donc inapproprié d'accepter une telle
allégation comme vraie. On ne fait pas violence à la règle
lorsque des allégations, non susceptibles de preuve, ne sont pas
considérées comme prouvées.
Comme je l'ai déjà fait observer, le demandeur
doit alléguer que la distinction défavorable dont
font l'objet les personnes qui plaident elles-mêmes
leur cause donne lieu à une certaine «discrimina-
tion» fondée sur un motif analogue à ceux qui sont
énumérés au paragraphe 15(1). Le mieux qu'on
puisse dire en faveur des allégations contenues au
paragraphe 26 c'est, pour reprendre les mots du
juge en chef Dickson, qu'elles sont «fondées sur des
suppositions et des conjectures» dont «on ne peut
démontrer la véracité par la présentation de preu-
ves». Quelle preuve établirait que les activités d'un
individu ou d'un groupe donné sont «d'intérêt
public»? Les tribunaux vont-ils se livrer à des
conjectures pour savoir qui représente véritable-
ment l'intérêt public»? Quelles suppositions fau-
drait-il faire pour connaître les raisons pour les-
quelles ce groupe ne retient pas les services d'un
avocat? Il faudrait se livrer à des conjectures
semblables pour déterminer de quelle manière
l'«orientation politique» d'un groupe l'inciterait à
ne pas engager d'avocat. Le simple fait de préten-
dre, en ce qui concerne un individu ou un groupe
donné, que sa «situation économique» ne lui permet
pas d'engager un avocat, ne constitue pas, comme
je l'ai déjà signalé, une allégation de discrimina
tion fondée sur un motif analogue à ceux qui sont
énumérés au paragraphe 15(1). Finalement, il con-
vient d'observer qu'au paragraphe 26, le deman-
deur n'allègue pas que l'une des caractéristiques
qui y sont précisées (les «activités d'intérêt public»,
l'«orientation politique», la «situation économique»)
est essentielle pour qu'une personne ou un groupe
soient victimes d'une discrimination. Il se peut que
ce soit l'un de ces facteurs ou une combinaison de
plusieurs d'entre eux qui les amènerait à ne pas
engager d'avocat. Cela fait ressortir le caractère
par trop général, nébuleux et très conjectural des
allégations.
Pour en arriver à cette conclusion, j'ai tenu
compte de l'arrêt McBeth v. Dalhousie University 8
de la Section d'appel de la Cour suprême de la
Nouvelle-Écosse, dans lequel on a jugé que le fait
de refuser les honoraires d'avocat à un plaideur qui
agit pour son propre compte allait à l'encontre du
paragraphe 15 (1) de la Charte. Cette manière de
voir a toutefois été écartée par la Cour d'appel
fédérale dans l'arrêt Davidson 9 , dans lequel la
Cour a suivi d'autres décisions de notre Cour qui
portaient sur l'interprétation de l'article 15 et qui
confirmaient la validité de nos Règles et de nos
tarifs. Bien que l'interprétation que la Cour d'ap-
pel a donnée de l'article 15 ait pu être influencée
dans une certaine mesure par l'arrêt plus récent
Andrews 10 de la Cour suprême, il ressort à l'évi-
dence de ce dernier arrêt et de la décision Renvoi
relatif à la Worker's Compensation Act, 1983"
qu'on exige, pour qu'elles soient interdites par le
paragraphe 15(1), que les distinctions défavorables
soient fondées sur un des motifs énumérés au
paragraphe 15(1) ou sur un motif analogue.
La requête en radiation de la déclaration est en
conséquence accueillie avec dépens.
La requête en mise hors de cause des officiers
taxateurs à titre de défendeurs devrait également
être accueillie et ce, même si l'action devait se
poursuivre. Leur participation au procès comme
parties n'est pas nécessaire, étant donné que les
points litigieux essentiels pourraient être examinés
au cours de la procédure déclaratoire. Si le deman-
deur avait pu poursuivre l'instance avec succès
jusqu'au jugement, la Cour aurait pu elle-même
corriger la taxation soit d'un commun accord dans
le cadre de la présente instance, soit à l'occasion
d'une révision de la taxation par un juge. Le
demandeur a déjà présenté une demande de révi-
sion de la taxation. Étant donné que l'action est
mal fondée, ces défendeurs ont également droit
aux dépens.
8 (1986), 72 N.S.R. (2d) 224.
9 Supra, note 2.
10 Supra, note 4.
" Supra, note 5.
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