T-1841-89
Searle Canada Inc. (demanderesse)
c.
Novopharm Ltd. (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: SEARLE CANADA INC. c. NOYOPHARM LTD. (1"
inst.)
Section de première instance, juge Strayer—
Ottawa, 19 et 24 septembre 1990.
Marques de commerce — Substitution — Demande de
modification d'une ordonnance ayant rejeté la demande d'in-
jonction interlocutoire visant à interdire à la défenderesse de
fabriquer, d'annoncer et de vendre des comprimés dont le
format et la couleur sont identiques à ceux de la demanderesse
et qui contiennent les mêmes ingrédients actifs — Le redresse-
ment fondé sur l'art. 7c) de la Loi sur les marques de com
merce avait initialement été rejeté car il n'avait pas été prouvé
que les pharmaciens substituaient les comprimés de la défen-
deresse à ceux de la demanderesse — Les affidavits produits à
l'appui de la présente requête décrivaient des cas de faux
étiquetage de ce qui pouvait être, mais sans que cela ne soit
vraiment prouvé, des comprimés de la défenderesse, sans
aucune preuve d'incitation ou de collusion de la part de cette
dernière — Requête rejetée — Aucun élément de preuve
nouveau n'établissait que la défenderesse avait encouragé le
faux étiquetage — La confusion est mesurée selon la probabi-
lité que les pharmaciens et les médecins, qui sont les consom-
mateurs des médicaments prescrits par ordonnance, soient
induits en erreur quant à la provenance d'un médicament
donné — La défenderesse n'était pas responsable du faux
étiquetage délibéré des pharmaciens.
Pratique — Jugements et ordonnances — Annulation ou
modification — Ordonnance ayant rejeté la demande d'injonc-
tion interlocutoire visant à interdire à la défenderesse de
fabriquer, d'annoncer et de vendre des comprimés dont le
format et la couleur sont identiques à ceux de la demanderesse
et qui contiennent les mêmes ingrédients actifs — La Règle
1733 de la Cour fédérale exige de nouveaux éléments de
preuve, qui n'ont pu être découverts avec diligence raisonnable
avant l'audience originale et qui apparaissent après l'audience
originale — Il faut en outre établir que si ces éléments de
preuve avaient été disponibles au moment de l'audience, l'or-
donnance aurait probablement été différente — La demande de
redressement originale fondée sur l'art. 7c) de la Loi sur les
marques de commerce a été rejetée car il n'a pas été prouvé
qu'il y a eu confusion chez les médecins ou les pharmaciens
quant à la source des comprimés — Même s'ils ne sont pas
disponibles avant l'audience originale, les affidavits qui décri-
vent les cas de faux étiquetage de ce qui peut être, mais sans
preuve à l'appui, les comprimés de la défenderesse sans aucune
preuve d'incitation ou de collusion de la part de celle-ci, ne
suffisent pas à modifier l'ordonnance.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985),
chap. T-13, art. 7b),c).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663,
Règle 1733.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Ayerst, McKenna & Harrison, Inc. v. Apotex Inc. (1983),
41 O.R. (2d) 366; 146 D.L.R. (3d) 93; 72 C.P.R. (2d) 57
(C.A.); Syntex Inc. v. Novopharm Ltd. et al. (1983), 74
C.P.R. (2d) 110 (H.C. Ont.); Smith, Kline & French
Canada Ltd. v. Novopharm Ltd. (1983), 72 C.P.R. (2d)
197 (H.C. Ont.); Ciba-Geigy Canada Ltd. v. Novopharm
Ltd. (1986), 12 C.P.R. (3d) 76 (H.C. Ont.).
DÉCISIONS NON SUIVIES:
Reddaway v. Banham (1896), 13 R.P.C. 218 (H.L.);
Parke, Davis & Co. Ltd. v. Empire Laboratories Ltd.,
[1964] R.C.É. 399; (1963), 38 D.L.R. (2d) 694; 41
C.P.R. 121; 24 Fox Pat.C. 88; Lever v. Goodwin (1887),
4 R.P.C. 492 (C.A.); Johnston v. Orr Ewing (1882), 7
App. Cas. 219 (H.L.).
DECISION CITÉE:
Saywack c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immi-
gration), [1986] 3 C.F. 189; (1986), 27 D.L.R. (4th) 617
(C.A.).
AVOCATS:
Glen A. Bloom pour la demanderesse.
Malcolm S. Johnston, c.r., pour la défende-
resse.
PROCUREURS:
Osler, Hoskin & Harcourt, Ottawa, pour la
demanderesse.
Malcolm Johnston & Associates, Toronto,
pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE STRAYER: Le 9 mai 1990, j'ai rejeté
une demande d'injonction interlocutoire présentée
par la demanderesse et visant à interdire à la
défenderesse de fabriquer, d'annoncer et de vendre
des préparations posologiques orales de chlory-
drate de vérapamil ayant deux formats et dimen
sions identiques à ceux des préparations de la
demanderesse et contenant les mêmes ingrédients
actifs [Searle Canada Inc. c. Novopharm Ltd.,
T-1841-89, C.F. 1'e inst., juge Strayer, ordonnance
en date du 9-5-90, encore inédit]. La demande-
resse vend ses préparations sous le nom d'Isoptin.
Les éléments de preuve m'indiquent que les ingré-
dients actifs étaient les mêmes dans les prépara-
tions de la demanderesse et de la défenderesse
mais que les excipients étaient différents, l'une de
ces différences étant que l'Isoptin de la demande-
resse contient du lactose alors que la préparation
Novo-Veramil de la défenderesse n'en contient
pas.
L'injonction interlocutoire visée dans l'avis de
requête original demandait notamment une ordon-
nance interdisant à la défenderesse et aux person-
nes ayant reçu un avis de l'ordonnance
[TRADUCTION] ... d'inciter d'autres à faire passer ses prépara-
tions posologiques orales de chlorydrate de vérapamil comme
les préparations de chlorydrate de vérapamil de la demande-
resse qui sont commandées ou demandées, contrairement au
paragraphe 7c) de la Loi sur les marques de commerce,
L.R.C. (1985), chap. T-13.
Dans les motifs que j'ai prononcés le 9 mai, j'ai
conclu que la demanderesse avait soulevé une
question sérieuse mais que le critère des domma-
ges-intérêts suffisants ou de la balance des incon-
vénients ne me permet pas de choisir entre la
demanderesse et la défenderesse aux fins d'exercer
mon pouvoir discrétionnaire d'accorder ou de refu-
ser une injonction interlocutoire. J'ai par consé-
quent examiné le fond du litige et conclu que la
cause de la demanderesse était mal fondée. En ce
qui concerne le redressement fondé sur l'alinéa 7c)
de la Loi sur les marques de commerce [L.R.C.
(1985), chap. T-13], j'ai déclaré ce qui suit [aux
pages 8 et 9]:
En ce qui a trait à la demande de la demanderesse qui est
fondée sur le paragraphe 7e) de cette même Loi, cette
demande ne m'apparaît pas fondée. Selon cette disposition, nul
ne peut
faire passer d'autres marchandises ou services pour ceux qui
sont commandés ou demandés...
La demanderesse ne soutient pas que la défenderesse elle-même
remplace les comprimés de la demanderesse par les siens
lorsqu'elle remplit des ordonnances. Elle allègue plutôt que la
défenderesse permet aux pharmaciens de remplir des ordonnan-
ces en remplaçant l'Isoptin par le Novo-Veramil et les incite
peut-être à le faire. Aucune preuve admissible n'a été présentée
à l'appui de cette affirmation. Bien entendu, il est vrai que,
dans bon nombre de provinces, les pharmaciens sont mainte-
nant autorisés et même incités par la loi provinciale à faire
cette substitution. Cela ne ressort pas des agissements de la
défenderesse. En outre, d'après la preuve, les pharmaciens
doivent indiquer sur le contenant du médicament prescrit qui
est remis au malade le nom du fabricant, ou, du moins, le code.
Dans la mesure où un malade s'intéresse à ces questions, il peut
incontestablement demander qu'on lui explique le code. Le fait
qu'il peut y avoir des pharmaciens malhonnêtes quelque part au
Canada n'est pas un motif suffisant pour justifier la délivrance
d'une injonction contre la défenderesse. Après tout, le fabricant
qui produit des comprimés blancs ou jaunes d'apparence sem-
blable ou même des bonbons dont les dimensions et la forme
sont similaires pourrait être tout aussi responsable, puisqu'il
permet à un pharmacien malhonnête de remplacer sans autori-
sation l'Isoptin par d'autres produits.
Les seuls éléments de preuve qui m'ont alors été
présentés et selon lesquels les pharmaciens rempla-
çaient l'Isoptin par Novo-Veramil étaient pure-
ment du ouï-dire et autrement irrecevables.
Le 3 août 1990, la demanderesse a produit un
autre avis de requête me demandant de modifier
mon ordonnance du 9 mai en accordant une
injonction interlocutoire interdisant à la défende-
resse de fabriquer, d'annoncer, de promouvoir,
d'offrir en vente, de vendre, de distribuer ou de
commercialiser le chlorydrate de vérapamil [TRA-
DUCTION] «sous forme de sphère aplatie au pôle de
couleur jaune» ou «sous forme de sphère aplatie au
pôle de couleur blanche», qui correspond aux
formes et aux couleurs des deux comprimés Isop-
tin. Dans le nouvel avis de requête, on me deman-
dait également d'interdire à la défenderesse de
faire passer ses préparations pour celles de la
demanderesse par des procédés contraires aux ali-
néas 7b) ou 7c) de la Loi sur les marques de
commerce. À l'appui de cet avis de requête, la
demanderesse a produit plusieurs affidavits qui
n'ont fait l'objet d'aucun contre-interrogatoire. La
défenderesse n'a produit aucune contre-preuve.
Les affidavits décrivent les enquêtes effectuées par
la demanderesse dans la province de Québec et à
Toronto aux mois d'avril et de mai 1990. Dans
chaque cas, la compagnie ou ses représentants ont
obtenu des ordonnances de médecins (manifeste-
ment à l'égard de maladies ou de patients fictifs)
pour se procurer le comprimé Isoptin et ces ordon-
nances devaient être remplies par différentes phar
macies. Les comprimés fournis ont alors été testés
pour le compte de la demanderesse afin de déter-
miner si Isoptin avait réellement été fourni par les
pharmaciens. Sur quatre-vingt-neuf ordonnances
achetées dans la province de Québec où les phar-
maciens ont identifié les comprimés «Isoptin» sur
l'étiquette, neuf ne contenaient pas de lactose et il
faut par conséquent présumer qu'il ne s'agissait
pas d'Isoptin. Sur trois ordonnances remplies à
Toronto et étiquetées par des pharmaciens sous la
marque «Isoptin», deux ne contenaient pas de lac
tose. Bien que l'avocat de la défenderesse ait sug-
géré différentes hypothèses pour tenter d'expliquer
ce phénomène, je pense qu'on peut conclure de
prime abord en l'absence d'autres éléments de
preuve que dans certains de ces cas tout au moins,
il y a eu un mauvais étiquetage intentionnel. (Il
faut remarquer bien sûr que les pharmaciens qué-
bécois ont parfaitement le droit de remplacer
l'Isoptin par Novo-Veramil même s'ils n'ont pas le
droit de l'étiqueter sous la marque Isoptin.) Il faut
également garder à l'esprit, bien sûr, qu'il n'y a eu
aucun échantillonnage systématique et on peut
même concevoir que les comprimés fournis
n'étaient pas le produit de la défenderesse. Il n'y
avait aucun élément de preuve nouveau établissant
que la défenderesse avait encouragé ce faux
étiquetage.
Pour qu'une partie puisse obtenir la modifica
tion d'une ordonnance une fois accordée, en vertu
de la Règle 1733 de la Cour fédérale [Règles de la
Cour fédérale, C.R.C., chap. 663], elle doit
démontrer que de nouveaux éléments de preuve
ont été portés à son attention, éléments qu'elle n'a
pu faire valoir lors de l'audience originale, et
qu'elle n'aurait pu découvrir lesdits éléments avec
diligence raisonnable avant cette audience. Il faut
en outre établir que si ces éléments de preuve
avaient été disponibles au moment de l'audience,
elles auraient probablement modifié l'ordonnance'.
Je suis disposé à accepter que la demanderesse n'a
pu raisonnablement invoquer ces éléments de
preuve avant l'audition de la requête originale en
injonction interlocutoire. Je ne suis pas convaincu
cependant que si ces éléments de preuve avaient
été présentés à ce moment-là, ils auraient modifié
mon ordonnance.
J'estime que les nouveaux éléments de preuve ne
pourraient être pertinents que dans le cadre d'une
demande fondée sur l'alinéa 7c) de la Loi sur les
marques de commerce. Il ressort de l'extrait
ci-haut mentionné de mon ordonnance qu'en ce qui
concerne le redressement visé aux termes de cet
alinéa, j'étais d'avis que si les comprimés de forme
' Saywack c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion), [1986] 3 C.F. 189 (C.A.).
et de couleur identiques ne devaient vraisemblable-
ment pas causer de confusion chez les pharmaciens
et les médecins, il ne saurait alors y avoir de
réclamation en vertu de l'alinéa 7c), puisqu'il
appartenait à ces professionnels de décider en fait
quel est le médicament reçu par le consommateur
ultime. Pour arriver à cette conclusion, je me suis
appuyé en grande partie sur une série d'arrêts de
tribunaux ontariens' où il a été dit que le consom-
mateur de médicaments prescrits par ordonnance
est à toutes fins utiles le pharmacien ou le médecin
qui les a prescrits et que la «confusion» doit être
mesurée selon la probabilité que ces professionnels
soient induits en erreur quant à la provenance d'un
médicament donné. Au cours du débat portant sur
la présente requête, l'avocat de la demanderesse a
voulu établir une distinction avec ces arrêts en
tenant compte du fait que chacun d'eux portait sur
deux préparations de différents fabricants qui,
même si elles étaient semblables, pouvaient être
distinguées à première vue. En toute déférence, je
pense que cela n'a rien à voir avec l'idée fonda-
mentale de savoir qui est le «consommateur» des
médicaments. Je n'étais pas convaincu au mois de
mai, et je ne le suis pas davantage au mois de
septembre, que ces professionnels se contentent
d'identifier des médicaments à vue sans tenir
compte de leur provenance. Suivant le raisonne-
ment que j'ai adopté dans mes motifs originaux, le
fait qu'il puisse y avoir des pharmaciens qui éti-
quettent mal le produit de la défenderesse inten-
tionnellement en le faisant passer pour celui de la
demanderesse n'a aucun effet sur la responsabilité
de la défenderesse. Si mon raisonnement est faux,
il faudrait alors interjeter appel de ma décision et
non me demander de rejeter ce raisonnement par
une requête visant à modifier l'ordonnance
originale.
L'avocat de la demanderesse m'a cité plusieurs
2 Ayerst, McKenna & Harrison, Inc. v. Apotex Inc. (1983),
41 O.R. (2d) 366 (C.A.), aux p. 374 376; Syntex Inc. v.
Novopharm Ltd. et al. (1983), 74 C.P.R. (2d) 110 (H.C. Ont.);
Smith, Kline & French Canada Ltd. v. Novopharm Ltd.
(1983), 72 C.P.R. (2d) 197 (H.C. Ont.); Ciba-Geigy Canada'
Ltd. v. Novopharm Ltd. (1986), 12 C.P.R. (3d) 76 (H.C.
Ont.).
causes 3 où l'on disait qu'un fabricant qui adopte
une façon de présenter son produit de façon à
permettre aux détaillants d'induire en erreur le
consommateur ultime est lui-même responsable de
cette tromperie. Aucune de ces affaires n'est
récente et trois d'entre elles sont des décisions
anglaises du dix-neuvième siècle. Je n'y suis pas
lié. J'ai préféré le raisonnement plus récent adopté
par les tribunaux ontariens en ce qui concerne la
position spéciale des fabricants pharmaceutiques à
l'égard des pharmaciens et des médecins.
À la lumière de ce raisonnement, la nouvelle
preuve n'aurait fait aucune différence si elle avait
été présentée au moment de l'audience originale.
La demande est par conséquent rejetée avec
dépens.
J'ajouterai seulement que, si j'avais jugé bon de
modifier mon ordonnance, il m'aurait fallu exami
ner très attentivement les droits respectifs des par
ties selon l'equity avant d'accorder une injonction
d'une telle ampleur que cherche à obtenir la
demanderesse par cette seconde requête. Même si
la nouvelle preuve porte sur le faux étiquetage de
ce qui peut être (mais ce qui n'est pas prouvé) des
comprimés de la défenderesse par certains phar-
maciens du Québec et de Toronto, sans aucune
preuve d'incitation ou de collusion de la part de la
défenderesse, la demanderesse m'obligerait à inter-
dire la production et la vente de ces comprimés par
la défenderesse et ce, partout. À ce stade interlocu-
toire et dans l'état actuel du dossier, il s'agit d'une
requête extraordinaire. Il me faudrait notamment
admettre de plein droit qu'il est loisible à la
demanderesse de poursuivre directement les phar-
maciens contrevenants et de porter plainte devant
les organismes provinciaux qui réglementent les
pharmaciens.
3 Reddaway v. Banham (1896), 13 R.P.C. 218 (H.L.);
Parke, Davis & Co. Ltd. v. Empire Laboratories Ltd., [1964]
R.C.É. 399; Lever v. Goodwin (1887), 4 R.P.C. 492 (C.A.);
Johnston v. Orr Ewing (1882), 7 App. Cas. 219 (H.L.).
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.