T-2355-86
Montres Rolex S.A. et Rolex Watch Company of
Canada Limited (demanderesses)
c.
Brad Balshin, Hilda Balshin, Arthur Christodou-
lou, Shelly Michaels, Martin Herson, David C.
Redman et Robert Pahmer, pour leur propre
compte et pour le compte de toutes les autres
personnes qui vendent, offrent en vente, importent,
promeuvent, fabriquent ou distribuent toutes mar-
chandises en liaison avec le nom Rolex ou le motif
représentant une couronne, qui constituent les
marques de commerce déposées n° 278 348, n°
208 437, n° 130/33476 et n° 78/19056 conformé-
ment à la Loi sur les marques de commerce, S.R.C.
1970, et ses modifications, lorsque lesdites mar-
chandises ne sont pas fabriquées ou promues par
les demanderesses, et John Doe et Jane Doe et
toutes les autres personnes inconnues des deman-
deresses qui vendent, importent, promeuvent,
fabriquent ou distribuent toutes marchandises en
liaison avec le nom Rolex ou le motif représentant
une couronne, qui constituent les marques de com
merce déposées n° 278 348, n° 208 437, n° 130/
33476 et n° 78/19056 conformément à la Loi sur
les marques de commerce, S.R.C. 1970, et ses
modifications, lorsque lesdites marchandises ne
sont pas fabriquées ou promues par les demande-
resses (défendeurs)*
* Note de l'arrêtiste: À la suite d'une demande en vue de
réexaminer les dispositions du jugement aux présentes confor-
mément à la Règle 337 des Règles de la Cour fédérale, le juge
MacKay, dans une ordonnance en date du 11 avril 1990
(T-2355-86), a modifié le libellé du paragraphe 5 du jugement
en ajoutant les mots «des montres et des marchandises d'imita-
tion Rolex». Le paragraphe 5 se lit maintenant comme suit:
5. L'importation à des fins commerciales de montres et de
marchandises portant les marques de commerce déposées
des demanderesses ou des reproductions de celles-ci, alors
que les montres et les marchandises en question ne sont pas
fabriquées ou promues par les demanderesses, c'est-à-dire
des montres et des marchandises d'imitation Rolex, contre-
vient à la Loi sur les marques de commerce et est prohibée
par le paragraphe 52(4) de ladite Loi.
Les demanderesses ont demandé que le paragraphe 3 du juge-
ment soit modifié de façon à inclure John Doe et Jane Doe,
défendeurs qui ont poursuivi ou qui poursuivent les activités
prohibées décrites dans ce paragraphe après le 9 février 1989,
mais cette proposition a été rejetée.
RÉPERTORIÉ: MONTRES ROLEX S.A. c. BALSHIN (1 1e INST.)
Section de première instance, juge MacKay —
Toronto, 7 et 8 février 1989; Ottawa, 13 mars
1990.
Marques de commerce — Contrefaçon — Montres d'imita-
tion Rolex importées au Canada — Vente par des marchands
ambulants — En raison de la nature des activités des défen-
deurs, il est difficile d'obtenir une réparation efficace au
moyen d'un litige — Noms de nombreux défendeurs possibles
inconnus des demanderesses — Aucun des défendeurs nommés
n'a comparu ni n'a été représenté lors de l'instruction — Un
des défendeurs a signé un consentement au jugement — Il ne
s'agit pas d'un cas approprié pour un recours collectif —
L'injonction permanente s'appliquant à des personnes incon-
nues n'est accordée que dans des cas exceptionnels et lorsque
l'ordonnance n'est pas incompatible avec la pratique établie
quant au but et au principe.
Injonctions — Interdiction aux marchands ambulants de
vendre des montres d'imitation Rolex violant des marques de
commerce — Noms de nombreux défendeurs possibles incon-
nus des demanderesses — Il y a des circonstances exception-
nelles qui justifient la délivrance d'une injonction permanente
s'appliquant à des personnes inconnues en plus des défendeurs
nommés — Les conditions de l'ordonnance ne sont pas incom
patibles avec la pratique établie quant au but et au principe.
Pratique — Parties — Action en contrefaçon de marques de
commerce à l'égard de la vente de montres d'imitation Rolex
par de nombreux marchands ambulants — Noms de nombreux
vendeurs inconnus des demanderesses — En raison de la
nature ambulante des activités des vendeurs, il est difficile
d'obtenir une réparation efficace au moyen d'un litige — Les
demanderesses désirent obtenir une injonction permanente
s'appliquant à des personnes inconnues — Il ne s'agit pas d'un
cas approprié pour un recours collectif — Catégorie proposée
de défendeurs n'ayant aucun intérêt commun — Possibilité de
différentes contestations — La Cour doit être persuadée qu'un
représentant défendra l'intérêt commun des membres de la
catégorie — Les défendeurs nommés n'ont pas comparu à
l'instruction pour défendre leurs propres intérêts.
Douanes et accise — Tarif des douanes — Importation
prohibée selon une ordonnance fondée sur l'art. 52 de la Loi
sur les marques de commerce — Il s'agit de savoir si la partie
doit être nommée comme défendeur — Il s'agit de savoir si le
libellé de l'article a été élargi par les L.R.C. 1985 — Il est
nécessaire de déterminer de façon définitive si l'importation ou
la distribution est illégale — But de l'art. 52(4) — Ordonnance
interdisant l'importation de produits d'imitation Rolex à des
fins commerciales.
En raison des ventes croissantes de marchandises d'imitation
par des marchands ambulants difficiles à retracer, les demande-
resses ont cherché à protéger leurs marques de commerce
déposées à l'encontre de certains défendeurs nommés et non
nommés, principalement au moyen d'une injonction perma-
nente et d'une ordonnance interdisant l'importation conformé-
ment au paragraphe 52(4) de la Loi sur les marques de
commerce. Les demanderesses ont cherché à inclure des défen-
deurs non nommés en formulant leur action comme recours
collectif.
Jugement: une injonction permanente contre les défendeurs
nommés et non nommés et une ordonnance interdisant l'impor-
tation de la part des défendeurs non nommés devraient être
accordées, de même que le redressement habituellement
accordé contre les défendeurs nommés dans les cas de contrefa-
çon de marques de commerce.
Les demanderesses ont cherché, dès l'institution de l'action, à
structurer leur recours comme recours collectif contre des
personnes inconnues. Cette façon de procéder n'est pas compa
tible avec la pratique de la Cour fédérale. Aucun élément ne
permet de dire qu'un défendeur nommé a consenti à représenter
les autres. Les membres de la catégorie proposée n'avaient
aucun lien entre eux avant le présent litige. Selon la Règle
1711, toutes les personnes faisant partie de la catégorie propo
sée doivent avoir un intérêt commun. Ces personnes qui violent
des marques de commerce n'avaient aucun intérêt et il était
possible que différents moyens de contestation soient soulevés.
La Cour n'est pas prête à reconnaître un représentant d'une
catégorie donnée à moins d'être persuadée que cette personne
défendra les intérêts communs de la catégorie. Les défendeurs
nommés en l'espèce n'ont pas comparu à l'instruction pour
défendre leurs propres intérêts.
' Bien que des injonctions contre des défendeurs non nommés
ne soient habituellement prononcées que sur une base provi-
soire, une injonction permanente pourrait être rendue lorsque,
comme c'est le cas en l'espèce, les circonstances sont exception-
nelles et que l'ordonnance n'est pas incompatible avec la prati-
que établie quant au but et au principe.
Une ordonnance rendue en application du paragraphe 52(4)
de la Loi pour interdire l'importation de la part des défendeurs
non nommés ne peut être rendue en l'absence d'une décision sur
le fond dans une procédure judiciaire. Ni un jugement sur
consentement ni un jugement par défaut ne sont suffisants.
L'importation de marchandises d'imitation Rolex a gravement
entravé les droits de la demanderesse à l'utilisation exclusive de
leurs marques de commerce déposées et était contraire à la Loi.
La condition préalable à la délivrance d'une ordonnance de
cette nature a été établie.
Le paragraphe 52(4) vise à appuyer les efforts des propriétai-
res et usagers inscrits en vue de protéger leurs droits exclusifs
selon les articles 19 et 50 de la Loi. Les circonstances en
l'espèce justifient la délivrance d'une ordonnance interdisant
aux défendeurs non nommés d'importer à l'avenir des marchan-
dises d'imitation Rolex à des fins commerciales.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur les Lois révisées du Canada (1985), L.R.C.
(1985) (3e suppl.), chap. 40, art. 4.
Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), chap.
T-13, art. 7d), 19, 20, 22, 50, 52(1),(4), 53, 55.
Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, chap.
T-10, art. 52(1),(4).
Loi sur la révision des lois, L.R.C. (1985), chap. S-20.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles
480, 495(1)a),(2), 500, 1711.
Tarif des douanes, L.R.C. (1985) (3e suppl.), chap. 41,
art. 114, annexe VII, Code 9967.
JURISPRUDENCE
DÉCISION EXAMINÉE:
Adidas Sportschuhfabriken Adi Dassler K. G. et al. v.
Kinney Shoes of Canada Ltd., E'Mar Imports Ltd.,
tierce partie (1971), 19 D.L.R. (3d) 680; 2 C.P.R. 227
(C. de l'E.).
DÉCISIONS CITÉES:
Montres Rolex S.A. c. Balshin, T-2335-86, juge en chef
adjoint Jerome, ordonnance en date du 11-2-88, non
publiée; Gouvernement du Canada c. Perry et autres
(1981), 41 N.R. 91 (C.A.F.); John v. Rees, [1970] Ch.
345; [1969] 2 All E.R. 274; Wood v. McCarthy, [1893]
Q.B. 775 (Ang.); Walker v. Sur, [1914] 2 K.B. 930
(C.A.); Butler et al. v. Regional Assessment Commissio
ner, Assessment Region No. 9 (1982), 39 O.R. (2d) 365;
139 D.L.R. (3d) 158; 19 M.P.L.R. 233 (H.C.); General
Motors of Canada Ltd. c. Naken et autres, [1983] 1
R.C.S. 72; (1983), 144 D.L.R. (3d) 385; 32 C.P.C. 138;
46 N.R. 139; Smith v. Cardiff Corp., [1953] 2 All E.R.
1373 (C.A.); Kiist c. Canadian Pacific Railway Co.,
[1982] 1 C.F. 361; (1981), 123 D.L.R. (3d) 434; 37 N.R.
91 (C.A.); Heath Steele Mines Limited v. Kelly and
Astle (1978), 22 N.B.R. (2d) 619; 39 A.P.R. 7; 7 C.P.C.
63 (C.A.); Montres Rolex S.A. c. Canada, [1988] 2 C.F.
39; (1987), 14 C.E.R. 309; 17 C.P.R. (3d) 507 (lfs inst.);
Cartier, Inc. c. John Doe (1987), 13 C.I.P.R. 316 (C.F.
Ife inst.); Cartier, Inc. c. Doe, [1990] 2 C.F. 234 (lie
inst.); Montres Rolex S.A. c. Lifestyles Imports Inc.
(1988), 23 C.P.R. (3d) 436 (C.F. lfe inst.); Krimson
Corp. c. Personnes inconnues, T-1714-87, juge en chef
adjoint Jerome, ordonnance en date du 12-8-87, non
publiée; Jackson v. Bubela et al. (1972), 28 D.L.R. (3d)
500; [1972] 5 W.W.R. 80 (C.A.C.-B.); Golden Eagle
Liberia Ltd. et al. v. International Organization of Mas
ters, Mates and Pilots, [1974] 5 W.W.R. 49 (C.S.C.-B.);
Dukoff et al. v. Toronto General Hospital et al. (1986),
54 O.R. (2d) 58; 8 C.P.C. (2d) 93 (H.C.); Davies v.
Elsby Brothers, Ltd., [1960] 3 All E.R. 672 (C.A.).
DOCTRINE
Callmann, Rudolf. The Law of Unfair Competition,
Trademarks, and Monopolies, Mundelein (Ill.): Cal-
laghan, 1981.
AVOCATS:
Simon Schneiderman pour les demanderesses.
Personne n'a comparu pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Miller, Mills & Associates, Toronto, pour les
demanderesses.
NOTE DE L'ARRÊTISTE
Ce jugement revêt un intérêt spécial en raison
des commentaires qu'il comporte au sujet de
l'application des recours juridiques et des ordon-
nances de la Cour à des défendeurs non nommés
qui, à titre de marchands ambulants, vendent des
marchandises imitant celles que les demanderes-
ses fabriquent ou vendent en vertu de marques
de commerce déposées.
Conformément au paragraphe 58(2) de la Loi
sur la Cour fédérale, le directeur général a décidé
que ce jugement de 41 pages devrait être publié
sous forme abrégée. Les motifs du jugement con-
cernant la réparation à l'égard de personnes
inconnues et concernant l'article 52 de la Loi sur
les marques de commerce ne sont pas abrégés.
Un résumé des parties omises apparaît plus loin.
La partie des motifs de jugement omis comprend
ce qui suit: les procédures préliminaires qui ont
précédé l'instruction, la revue de la preuve pré-
sentée au cours de l'instruction et la réparation
accordée contre les défendeurs nommés.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MACKAY:
Introduction
Les demanderesses cherchent à obtenir divers
redressements pour réparer le préjudice qu'elles
ont subi et empêcher toute autre action nuisant à
leurs intérêts qui découlent de marques de com
merce déposées. On reproche aux défendeurs ini-
tiaux de la présente action, nommés et non
nommés, de vendre des montres d'imitation Rolex
ou des marchandises connexes qui portent des
marques semblables aux marques déposées des
demanderesses et de conclure ces ventes, dans bien
des cas, sur la rue plutôt qu'à un emplacement ou
une adresse fixe. Les marchandises d'imitation
sont apparemment transportées ou expédiées au
Canada.
Comme les activités des défendeurs sont dépour-
vues du caractère permanent, régulier ou stable
habituellement lié aux activités commerciales, il
est difficile pour les demanderesses de protéger
leurs intérêts découlant de marques de commerce
déposées, leur entreprise légitime et les liens qu'el-
les ont créés avec des vendeurs renommés et bien
établis. Dans des procédures interlocutoires enga
gées avant la présente action et dans l'action elle-
même, comme dans des situations semblables que
vivent d'autres personnes et entreprises lésées par
des ventes croissantes de marchandises d'imitation,
les demanderesses ont demandé une réparation
extraordinaire. Certains des redressements deman
dés et accordés ont été des ordonnances de type
Anton Piller. Parfois, comme c'est le cas ici, des
injonctions interlocutoires ont été demandées
contre des défendeurs inconnus ou mal identifiés
jusqu'à ce que leur identité puisse être confirmée
plus tard, souvent difficilement, à titre de person-
nes qui font des ventes ou poursuivent d'autres
activités qui nuiraient aux intérêts des demande-
resses.
Une des principales préoccupations des deman-
deresses en l'espèce est de protéger leurs intérêts
non seulement contre les défendeurs nommés, mais
aussi contre des personnes inconnues, au moyen
d'une injonction permanente ainsi que d'une
ordonnance fondée sur le paragraphe 52(4) de la
Loi sur les marques de commerce [L.R.C. (1985),
chap. T-13], afin de prohiber l'importation de
montres et de marchandises d'imitation Rolex.
L'instruction s'est déroulée d'une façon inhabi-
tuelle; en effet, aucun des défendeurs nommés qui
avaient inscrit une défense dans l'action n'a com-
paru pour se défendre ou pour contester la preuve
présentée par les demanderesses. Cette situation
était peut-être à prévoir. Elle démontre à quel
point il est difficile pour les demanderesses de
protéger leurs intérêts. Comme l'indique l'intitulé
de la cause, les défendeurs en l'espèce ont été
poursuivis à divers titres, notamment sous les noms
«John Doe et Jane Doe et toutes les autres person-
nes inconnues des demanderesses», à la suite d'un
amendement. Un des défendeurs nommés a con-
senti au jugement non seulement pour lui-même,
mais aussi à l'égard des ordonnances rendues
contre John Doe, Jane Doe et les autres personnes
inconnues.
L'action soulève donc certaines questions con-
cernant l'étendue des redressements juridiques et
des ordonnances de la Cour, notamment en ce qui
a trait aux défendeurs non nommés.
NOTE DE L'ARRÊTISTE
La demanderesse, Montres Rolex S.A., est une
société suisse qui est propriétaire de marques de
commerce canadiennes se rapportant à des
bijoux et des montres. L'autre demanderesse, qui
est une société canadienne, est le seul usager
inscrit de ces marques de commerce. Elle distri-
bue des montres Rolex à quelque 200 joailliers un
peu partout au Canada.
Depuis que l'action a été intentée en 1986, les
demanderesses ont obtenu des injonctions provi-
soires et interlocutoires, y compris des ordonnan-
ces de type Anton Piller. Par la suite, certains des
défendeurs ont été condamnés à payer une
amende pour outrage au tribunal après la déli-
vrance d'ordonnances de justification. Plus tard,
trois des défendeurs nommés ont consenti à un
jugement qui avait pour effet de leur interdire de
violer les marques de commerce déposées des
demanderesses et d'importer des marchandises
qui portent le nom Rolex et qui ne sont pas
fabriquées par les demanderesses ou d'en faire
le commerce. Le jugement comprenait une ordon-
nance fondée sur le paragraphe 52(4), laquelle
ordonnance avait pour effet d'interdire l'importa-
tion de montres d'imitation Rolex. Le jugement
s'appliquait aux cinq défendeurs nommés et à
«tous les autres» qui vendent des produits d'imi-
tation Rolex. Selon le juge, ce jugement qui a été
rendu en janvier 1987 n'aurait lié que les défen-
deurs qui y étaient nommés. Plus tard, au cours
de cette année-là, le juge en chef adjoint a rejeté
une requête en vue d'obtenir une ordonnance
ayant pour effet de désigner les défendeurs
nommés qui s'opposaient aux demandes des
demanderesses comme représentants de tous
les vendeurs de montres d'imitation non nommés.
Un autre juge a accordé une ordonnance modi-
fiant l'intitulé de la cause en ajoutant comme
défendeurs «John Doe et Jane Doe et toutes les
autres personnes inconnues des demanderesses
qui vendent, importent, promeuvent, fabriquent ou
distribuent» des montres d'imitation Rolex. Au
début de l'instruction, l'avocat des demanderes-
ses a déposé un consentement au jugement
signé par Redman, un des défendeurs nommés.
L'autre défendeur, Pahmer, n'a pas comparu et
n'était pas représenté non plus. Le consentement
au jugement devait s'appliquer à John et Jane
Doe et à tous les autres contrevenants inconnus.
Conformément à la Règle 495(1)a), le juge a
ordonné la tenue de l'instruction. Les demande-
resses devaient donc établir leur cause même si
leurs témoins n'étaient pas soumis à des contre-
interrogatoires. La Cour a accepté en preuve les
affidavits d'une personne qui travaille depuis
longtemps pour la société demanderesse cana-
dienne comme avocat et secrétaire-trésorier et
l'affidavit d'un autre avocat concernant les ventes
autorisées un peu partout au Canada et les efforts
déployés pour empêcher la vente de montres
contrefaites par des marchands ambulants de
Toronto. Des témoins ont déclaré avoir observé la
vente de montres à des tables, depuis des vitri-
nes et des camionnettes sur la rue. Ces mar-
chands ambulants disposaient de «messagers»
qui les prévenaient de l'arrivée imminente de
représentants du shérif. Un fabricant de montres
expérimenté a identifié des montres d'imitation
portant la marque de commerce Rolex, lesquelles
montres avaient été vendues par le défendeur
Pahmer. Le vice-président de la commercialisa
tion de la société demanderesse canadienne a
témoigné au sujet de la promotion de la gamme
de produits Rolex comme produits de luxe et de
la réception de demandes de réparation de la
part de propriétaires de montres contrefaites.
Le juge a conclu que les droits des demande-
resses avaient été violés et que la vente de
montres d'imitation Rolex était susceptible de
tromper le public. Ces ventes étaient faites par
des marchands ambulants qui n'avaient aucune
adresse commerciale permanente et qu'il n'était
pas facile de repérer. Il était donc difficile pour les
demanderesses de protéger leurs droits en inten-
tant des poursuites judiciaires. Les demanderes-
ses n'ont pas accepté ou toléré cette activité qui
leur a causé un préjudice. Enfin, l'importation de
montres d'imitation Rolex était contraire à l'article
52 de la Loi sur les marques de commerce.
Il a été décidé que les demanderesses avaient
le droit d'obtenir une injonction permanente, une
ordonnance interdisant l'importation de montres
d'imitation Rolex, une comptabilisation des profits
et le paiement de ceux-ci à titre de dommages-
intérêts ainsi qu'une déclaration du fait qu'elles
sont les seuls usagers inscrits des marques de
commerce. En outre, les demanderesses étaient
autorisées à demander la nomination d'un arbitre
conformément aux Règles 480 et 500 pour déter-
miner le montant des profits de Pahmer. Il ne
s'agissait pas d'un cas où il y avait lieu d'accor-
der des dommages-intérêts punitifs. Cependant,
les dépens procureur-client ont été adjugés
contre Pahmer, compte tenu de son attitude
méprisante à l'égard des droits des demanderes-
ses et d'une ordonnance de la Cour fédérale.
Réparation à l'égard des personnes inconnues, y
compris John Doe et Jane Doe
En plus de la réparation demandée contre les
défendeurs nommés, les demanderesses désirent
obtenir un redressement principalement sous
forme d'une injonction permanente et d'une ordon-
nance fondée sur le paragraphe 52(4) de la Loi
afin d'interdire l'utilisation non autorisée de leurs
marques de commerce au Canada par l'importa-
tion de marchandises qui ne sont pas fabriquées ou
promues par elles, mais qui portent leurs marques
de commerce ou des reproductions de celles-ci. Des
ordonnances accessoires enjoignant aux policiers
ou aux agents de douane d'aider les avocats des
demanderesses à exécuter les ordonnances princi-
pales sont également demandées. Les ordonnances
principales qui sont demandées visent à prévenir
les activités interdites de la part de personnes
inconnues et non identifiées, lesquelles violent les
droits exclusifs que possèdent les demanderesses en
vertu de leurs marques de commerce déposées.
Deux arguments sont invoqués à l'appui de la
demande d'ordonnance liant des personnes incon-
nues. Les demanderesses invoquent d'abord les
problèmes qu'elles ont éprouvés dans le passé lors-
qu'elles ont cherché à protéger leurs intérêts légiti-
mes découlant de marques de commerce déposées,
étant donné que les activités des personnes visées
par les allégations de contrefaçon sont tellement
fluides et mobiles que les méthodes traditionnelles,
y compris des ordonnances de la Cour, ne sont pas
aussi efficaces que s'il s'agissait d'activités com-
merciales plus régulières. Les demanderesses ajou-
tent que, d'après la forme du présent litige et les
procédures engagées plus tôt en l'espèce, elles dési-
raient dès le départ intenter un recours collectif.
Comme je l'ai mentionné plus haut, l'intitulé de la
cause initial incluait comme défendeurs certaines
personnes nommées «pour leur compte et pour le
compte de toutes les autres personnes qui vendent,
offrent en vente, importent, promeuvent» des mon-
tres d'imitation Rolex. Puis, les demanderesses ont
demandé une ordonnance ayant pour effet de faire
déclarer que les défendeurs nommés Redman et
Pahmer, qui contestaient l'action, représentaient le
groupe de toutes les autres personnes qui utilisent
de façon non autorisée les marques de commerce
Rolex et le motif représentant une couronne et,
avant que le juge en chef adjoint Jerome ne rejette
leur demande [T-2355-86, ordonnance en date du
11-2-88, non publiée], elles avaient également
obtenu une ordonnance [T-2355-86 juge Collins,
ordonnance en date du 11-1-88, non publiée] ayant
pour effet de modifier l'intitulé de la cause et
d'ajouter comme défendeurs à l'action «John Doe
et Jane Doe et toutes les autres personnes incon-
nues des demanderesses qui vendent, importent,
promeuvent, fabriquent ou distribuent toutes mar-
chandises en liaison avec le nom Rolex ou le motif
représentant une couronne ... lorsqu'il ne s'agit
pas de marchandises fabriquées ou promues par les
demanderesses».
Les demanderesses soutiennent que, lors de l'ins-
truction, les circonstances à examiner pour consi-
dérer l'action comme un recours contre une caté-
gorie de défendeurs étaient différentes de celles qui
prévalaient lorsque leur demande a été présentée
en novembre 1987 et rejetée en février 1988 par le
savant juge en chef adjoint. À cette époque, les
défendeurs nommés Redman et Pahmer se sont
opposés à tout statut faisant d'eux des représen-
tants d'autres personnes inconnues des demande-
resses ou d'eux-mêmes. Aujourd'hui, Redman con
sent à une ordonnance visant John et Jane Doe et
les autres personnes inconnues et Pahmer ne com-
paraît pas pour contester les demandes des deman-
deresses ou pour s'opposer au cours de l'instruc-
tion. À cet égard, je ne suis pas convaincu que les
circonstances ont tellement changé maintenant que
je devrais rendre une décision différente de celle
qu'a rendue le juge en chef adjoint Jerome au sujet
du statut de Redman et Pahmer. En consentant au
jugement, Redman n'a pas consenti à représenter
d'autres personnes et aucun élément de la preuve
ne permet de dire que Pahmer a effectivement
consenti à ce statut.
Même s'ils avaient consenti à représenter d'au-
tres personnes, la question ne serait pas réglée pour
autant. L'avocat des demanderesses a soutenu que
la Règle 1711 [Règles de la Cour fédérale,
C.R.C., chap. 663] exige simplement que les inté-
rêts des défendeurs soient les mêmes pour que la
Cour considère certaines personnes désignées
comme des représentants d'un groupe de person-
nes. En l'espèce, on allègue que la catégorie de
personnes inconnues ou non identifiées n'est pas le
grand public, mais seulement les personnes «qui
vendent, offrent en vente, importent, promeuvent,
fabriquent ou distribuent des marchandises en liai
son avec le nom Rolex ou le motif représentant une
couronne (les marques de commerce déposées aux
présentes), lorsqu'il ne s'agit pas de marchandises
fabriquées ou promues par les demanderesses». On
fait valoir que, Pahmer, à tout le moins, devrait
être considéré à ce stade-ci, à la fin du procès,
comme un représentant de cette catégorie.
L'avocat a précisé que la Règle 1711 ne devrait
pas être appliquée de façon stricte (voir Gouverne-
ment du Canada c. Perry et autres (1981), 41
N.R. 91 (C.A.F.), le juge Ryan, aux pages 99 à
102); et John v. Rees, [1970] Ch. 345, à la page
370; [1969] 2 All E.R. 274, aux pages 282 et 283,
le juge Megarry); que la Cour peut nommer un
représentant d'une catégorie de défendeurs, même
lorsque le représentant proposé s'oppose à cette
nomination (Wood v. McCarthy, [1893] 1 Q.B.
775 (Angl.), bien qu'il ne soit peut-être pas appro-
prié qu'un défendeur représente tous les autres
défendeurs dans une action en remboursement
d'une dette (Walker v. Sur, [1914] 2 K.B. 930
(C.A.)). L'avocat a également invoqué les princi-
pes et critères relatifs aux recours collectifs qui
sont énoncés dans Butler et al. v. Regional Assess
ment Commissioner, Assessment Region No. 9
(1982), 39 O.R. (2d) 365 (H.C.); et dans General
Motors of Canada Ltd. c. Naken et autres, [1983]
1 R.C.S. 72. Il a soutenu qu'en l'espèce, compte
tenu des circonstances, il y avait lieu de considérer
Pahmer comme un représentant de toutes les
autres personnes inconnues, suivant la description
de l'intitulé de la cause.
Je ne suis pas convaincu qu'il s'agit ici d'un cas
approprié où l'on peut considérer un défendeur
nommé, en l'occurrence, Pahmer; comme le repré-
sentant de toutes les autres personnes inconnues
qui poursuivent les activités reprochées par les
demanderesses. Bon nombre de cas concernant des
recours collectifs portent sur des situations où les
membres de la catégorie en question avaient un
lien quelconque entre eux avant l'action, par exem-
ple, un lien sous forme d'adhésion à un syndicat ou
à une association. Bon nombre concernent égale-
ment les demandeurs comme catégorie. Même
dans ces cas-là, un des critères importants aux fins
de l'application de la Règle 1711 et des règles
similaires est la nécessité que l'intérêt en question
de tous les membres de la catégorie proposée soit
commun ou identique. (Voir Smith v. Cardiff
Corp., [1953] 2 All E.R. 1373 (C.A.); General
Motors of Canada Ltd. v. Naken et autres
précité.)
Dans la présente cause, il n'y a aucun élément
indiquant de façon convaincante que, examinée
d'un point de vue autre que celui des demanderes-
ses, la catégorie de défendeurs proposée a un inté-
rêt commun ou identique. Lorsqu'il est possible
que différents moyens de contestation soient invo-
qués dans une même cause, un recours collectif
liant des défendeurs éventuels est inapproprié.
(Voir Kiist c. Canadian Pacific Railway Co.,
[1982] 1 C.F. 361 (C.A.); Heath Steele Mines
Limited v. Kelly and Astle (1978), 22 N.B.R. (2d)
619 (C.A.).) Un des facteurs-clés qui permet de
reconnaître les représentants d'une catégorie de
défendeurs proposée est peut-être la conviction
raisonnable, de la part de la Cour, que les repré-
sentants défendront l'intérêt commun ou identique
des membres de la catégorie en question. Sans
cette conviction, il n'y a guère d'éléments permet-
tant de croire que le but des règles à l'appui des
recours collectifs peut être atteint, soit celui d'évi-
ter une multiplicité des recours et d'assurer le
déroulement de la cause d'une façon méthodique
et acceptable pour toutes les personnes pouvant
être touchées. Si cet objectif n'est pas respecté, on
pourra déduire qu'un membre d'une catégorie pro
posée de défendeurs ne sera pas nécessairement lié
par un consentement au jugement de la part d'un
des membres de la catégorie. (Voir le juge
McNair, Montres Rolex S.A. c. Canada, [1988] 2
C.F. 39 (lie inst.), à la page 51.) En l'espèce, le
défendeur Pahmer n'a pas comparu au cours de
l'instruction pour défendre ses propres intérêts.
Dans ces circonstances, il ne convient pas de le
nommer représentant d'une catégorie de personnes
inconnues.
Si des personnes autres que les défendeurs
nommés dans le présent litige doivent être liées par
les ordonnances qui seront rendues à la suite du
procès, ce sera en vertu des ordonnances s'appli-
quant à «John Doe et Jane Doe et à toutes les
autres personnes». J'en arrive maintenant à la
question de savoir si une ordonnance de la nature
d'une injonction permanente ou une ordonnance
interdisant l'importation en vertu du paragraphe
52(4) de la Loi devrait s'appliquer de cette façon
en l'espèce.
L'inclusion des noms «John Doe» et «Jane Doe»
et le renvoi à des «personnes inconnues» pour dési-
gner les défendeurs qui ne sont pas identifiés par
leur nom lorsqu'une action est intentée ne sont pas
inhabituels. Dans les litiges intentés devant notre
Cour, cette pratique est suivie notamment lorsqu'il
s'agit de protéger des intérêts liés à la propriété
intellectuelle, surtout des marques de commerce,
dans les cas où il est difficile, sinon impossible, de
déterminer l'identité des défendeurs au moment où
la réparation est demandée. Le redressement
accordé à l'encontre de défendeurs non identifiés
et désignés de cette façon a été limité, sauf dans
quelques cas, à des ordonnances de nature provi-
soire ou interlocutoire en vigueur jusqu'au procès.
Habituellement, l'ordonnance en question doit être
signifiée aux personnes reconnues coupables des
activités prohibées et elle comporte une explication
de la possibilité pour ces personnes de contester
l'applicabilité de l'ordonnance et d'être ajoutées à
titre de défendeurs nommés avant le procès.
Les ordonnances provisoires dans ce cas-ci ont
donc été rendues contre «les autres personnes
inconnues» en plus des défendeurs nommés, même
avant que John Doe et Jane Doe ne soient ajoutés
comme défendeurs. Dans des circonstances assez
similaires à celles dont je suis actuellement saisi,
des ordonnances provisoires et interlocutoires ont
été prononcées dans Cartier, Inc. c. John Doe
(1987), 13 C.I.P.R. 316 (C.F. 1`e inst.) (et dans
Cartier, Inc. c. Doe, [1990] 2 C.F. 234 (lie inst.)
au sujet de la même affaire) ainsi que dans un
jugement plus récent rendu dans la cause similaire
de Montres Rolex S.A. c. Lifestyles Imports Inc.
(1988), 23 C.P.R. (3d) 436 (C.F. 1" inst.). En
outre, un redressement a également été accordé à
l'égard de personnes inconnues, temporairement
jusqu'au procès ou jusqu'à l'audition subséquente
de la cause, lorsque les intérêts liés aux marques de
commerce des promoteurs de concerts ou de spec
tacles ou d'événements sportifs diffusés par satel
lite sont menacés d'une utilisation non autorisée
(voir, par exemple, Krimson Corp. c. Personnes
inconnues (T-1714-87, juge en chef adjoint
Jerome, ordonnance en date du 12-8-87, non
publiée).
Deux cas indiqués ci-après, où sont accordés des
redressements sous forme d'ordonnances fondées
sur le paragraphe 52(4) de la Loi sur les marques
de commerce, et interdisant l'importation de mon-
tres contrefaites, bien que soulevant principale-
ment des questions concernant cette disposition,
traitent aussi implicitement des questions sur la
portée des ordonnances de la Cour rendues contre
John Doe, Jane Doe et d'autres personnes non
désignées par leurs propres noms. J'ai l'intention
d'examiner ces causes-là (Montres Rolex S.A. et
Cartier, voir plus loin) à la lumière du paragraphe
52(4). Pour l'instant, il me suffit de mentionner
que les ordonnances rendues, dans le premier cas,
contre «toutes les autres personnes inconnues»
selon l'intitulé de la cause initial en l'espèce, et
contre «John Doe et Jane Doe et les autres person-
nes inconnues» dans l'arrêt Cartier, ont été consi-
dérées comme des fondements non valables, en
l'absence de procès, d'une ordonnance sous le
régime du paragraphe 52(4), selon lequel l'impor-
tation doit être jugée contraire à la Loi.
Au cours de leurs plaidoiries, les demanderesses
ont cité le traité américain de Callmann intitulé
The Law of Unfair Competition, Trademarks and
Monopolies et certains arrêts canadiens portant
sur des actions où John ou Jane Doe était défen-
deur. Callmann traite de la pratique de plus en
plus répandue d'inclure John Doe comme défen-
deur dans les cas où, au moment de l'introduction
de l'action, le défendeur n'est pas identifié,
laquelle pratique est suivie notamment dans le cas
des vendeurs ambulants de marchandises qui vio
lent les marques de commerce de tiers. Les arrêts
canadiens, qui portent sur d'autres circonstances,
comprenaient Jackson v. Bubela et al. (1972), 28
D.L.R. (3d) 500 (C.A.C.-B.); et Golden Eagle
Liberia Ltd. et al. v. International Organization of
Masters, Mates and Pilots, [1974] 5 W.W.R. 49
(C.S.C.-B), où le juge Hutcheon, juge adjoint de la
Cour suprême, indique à la page 52 que, d'après
l'arrêt Jackson, du moins en Colombie-Britanni-
que, [TRADUCTION] «il ne faut pas débouter un
demandeur de son action pour le simple motif que,
selon les règles de procédure, le défendeur doit être
nommé, lorsque les circonstances sont telles que le
nom n'est pas connu et ne peut l'être». Dans
Dukoff et al. v. Toronto General Hospital et al.
(1986), 54 O.R. (2d) 58 (H.C.), le juge Saunders
a accueilli l'appel d'une ordonnance d'un protono-
taire qui avait permis que les noms John Doe et
Jane Doe soient remplacés par les noms des per-
sonnes qui travaillaient à l'hôpital, mais qui
n'avaient pas été identifiées avant l'expiration du
délai de prescription relatif à une action pour faute
professionnelle médicale. Dans les arrêts Jackson
et Dukoff, on cite le jugement rendu dans Davies
v. Elsby Brothers, Ltd., [1960] 3 All E.R. 672
(C.A.), où le lord juge Devlin parlant de la règle
anglaise qui permet de modifier les noms lorsqu'on
soutient qu'une erreur s'est glissée dans la descrip
tion initiale des parties, a dit ce qui suit à la page
676:
[TRADUCTION] Le critère à appliquer est le suivant: Que
penserait une personne raisonnable en recevant le document?
Si, dans toutes les circonstances de la cause, examinant l'en-
semble de ce document, cette personne se dit «bien sûr, ce doit
être moi, mais ils ont mal écrit mon nom», il s'agira alors d'une
simple erreur de nom. D'autre part, si elle dit «Je ne peux savoir
en examinant le document lui-même si on me désigne moi et je
devrai faire des recherches», il me semble que ce n'est plus un
simple cas d'erreur de nom.
À l'exception des deux causes dont je parlerai
plus loin et qui concernent des ordonnances fon-
dées sur le paragraphe 52(4), toutes les causes qui
m'ont été mentionnées ne semblent manifestement
porter sur John Doe et Jane Doe comme défen-
deurs que pour un certain temps, c'est-à-dire jus-
qu'à l'instruction de la cause. L'utilisation de ces
noms permet généralement à un demandeur, sui-
vant une ordonnance de la Cour, d'ajouter les
noms des défendeurs au fur et à mesure qu'ils sont
identifiés jusqu'au moment de l'instruction. Une
ordonnance rendue à l'issue du procès et statuant
sur le litige de façon définitive n'inclut générale-
ment pas alors John Doe ou Jane Doe ou encore
d'autres personnes inconnues. L'utilisation de
noms manifestement fictifs pour désigner des per-
sonnes inconnues semble s'être limitée, en prati-
que, à une utilisation temporaire pour faciliter
l'évolution de la cause du demandeur pendant que
l'identité des défendeurs est clarifiée, jusqu'à
l'instruction.
Dans leur déclaration et au cours des plaidoiries,
les demanderesses ont cherché, en tentant de clas-
sifier l'action comme recours collectif contre des
personnes inconnues et en faisant ajouter «John
Doe et Jane Doe et toutes les autres personnes
inconnues» qui poursuivent certaines activités
décrites, à obtenir des ordonnances qui lieraient
des personnes inconnues sans faire expressément
mention de limites de temps, de l'existence de ces
personnes ou de leur participation aux activités
reprochées au moment de l'instruction. Je ne crois
pas que ce genre d'ordonnance serait compatible
avec la pratique de notre Cour.
D'autre part, certaines circonstances peuvent
justifier l'octroi d'une ordonnance, du moins une
ordonnance d'injonction permanente qui s'appli-
querait à des personnes inconnues en plus des
défendeurs nommés, pourvu que les circonstances
soient exceptionnelles et que l'ordonnance se limite
expressément à des conditions qui ne sont pas
incompatibles avec la pratique établie sur le plan
de l'objectif fondamental et du principe.
Seules des circonstances exceptionnelles justifie-
raient la délivrance d'une ordonnance à ce sta-
de-ci, après l'instruction, à l'encontre de John Doe,
Jane Doe et des personnes inconnues. D'après la
preuve présentée à l'instruction et les circonstances
du présent litige et d'actions similaires concernant
la vente, la distribution, l'importation et la promo
tion de montres imitant celles des demanderesses,
je suis convaincu que les circonstances en l'espèce
sont exceptionnelles. Ces circonstances compren-
nent les problèmes que les demanderesses et d'au-
tres personnes dans leur position ont éprouvés lors-
qu'elles ont tenté de protéger leurs droits exclusifs
liés aux marques de commerce en intentant les
recours habituels prévus à la Loi sur les marques
de commerce, étant donné que les redressements
ne permettent à peu près pas de mettre un terme
aux activités de ceux qui violent sciemment les
intérêts des demanderesses, notamment l'importa-
tion de marchandises d'imitation portant les mar-
ques de commerce déposées des demanderesses ou
des reproductions de celles-ci. Ils le font en
sachant qu'en raison de la nature et de la mobilité
de leurs activités, il y a peu de chances que les
recours juridiques leur causent un grave préjudice.
Au même moment, leurs activités constituent une
entrave sérieuse aux droits exclusifs des demande-
resses et, à long terme, à la revendication de
celles-ci relativement à l'utilisation exclusive des
marques de commerce déposées.
À mon sens, les circonstances sont suffisamment
exceptionnelles pour justifier la délivrance d'une
ordonnance s'appliquant à des personnes incon-
nues. D'autre part, cette ordonnance doit être com
patible avec les principes sous-jacents de la prati-
que actuelle, y compris la nécessité de minimiser
les litiges et les frais s'y rapportant, de s'assurer
que les activités reprochées ont été poursuivies et
sont illégales et que les personnes accusées d'avoir
participé à ces activités l'ont fait avant l'instruc-
tion de la cause, et de veiller à ce que toute
personne identifiée après le procès comme étant un
John Doe ou une Jane Doe visé ait la possibilité
d'être entendue au sujet de l'applicabilité de l'or-
donnance avant que celle-ci ne soit exécutée contre
elle. Ces conditions permettent de s'assurer que la
personne inconnue existe et poursuit les activités
qui violent les droits des demanderesses au
moment de l'instruction de la cause. Elles permet-
tent également, implicitement, de s'assurer qu'il
existe une limite de temps à l'ajout de «défendeurs»
possibles qui sont identifiés après le procès et
auxquels l'ordonnance s'appliquera par renvoi au
délai de prescription des actions visant à restrein-
dre la contrefaçon. À mon avis, ces conditions sont
appropriées en l'espèce à l'égard de l'ordonnance
d'injonction permanente demandée contre John
Doe ou Janc Doe et les autres personnes
inconnues.
L'autre ordonnance principale demandée par les
demanderesses dans la présente cause est une
ordonnance fondée sur le paragraphe 52(4) de la
Loi. L'article 52 de la Loi sur les marques de
commerce et l'article 114 du Tarif des douanes
[L.R.C. (1985) (3e suppl.), chap. 41] ainsi que
l'annexe VII, Code 9967, sont reliés entre eux.
Voici le texte de l'article 114 du Tarif des
douanes:
MARCHANDISES PROHIBÉES
114. L'importation au Canada des marchandises dénommées
ou visées à l'annexe VII est prohibée.
ANNEXE VII
Code Marchandises prohibées
9967 Tout produit au sujet duquel une désignation est utilisée
qui est fausse sous un rapport important quant à son
origine géographique ou dont l'importation a été inter-
dite par un décret pris en vertu de l'article 52 de la Loi
sur les marques de commerce.
Les paragraphes 52(1) et (4) prévoient que des
ordonnances interdisant l'importation peuvent être
rendues. Comme les demanderesses ont soutenu
que l'article a subi des modifications importantes
lors de l'adoption de sa nouvelle version dans les
Lois révisées de 1985, chap. T-13 (adopté en
1986), j'ai reproduit ci-après la version anglaise de
la disposition et je souligne les mots insérés dans
les Lois révisées de 1985; j'ajoute aussi des com-
mentaires à droite pour indiquer les changements
par rapport à la loi précédente (S.R.C. 1970, chap.
T-10, art. 52):
L.R.C. (1985), chap. T-13, S.R.C. 1970, chap. T-10, art.
art. 52 52
(les mots insérés sont sou- (notes au sujet des modifica-
lignés) tions apportées au texte de
1985)
52. (1) Where it is made
to appear to a court of com
petent jurisdiction that any
registered trade-mark or any
trade-name has been applied
to any wares that have been
imported into Canada or are
about to be distributed in
Canada in such a manner
that the distribution of the athe» remplace asuch»
wares would be contrary to
this Act, or that any indica
tion of a place of origin has
been unlawfully applied to
any wares, the court may
make an order for the interim
custody of the wares, pending
a final determination of the
legality of their importation
or distribution in an action
commenced within such time
as is prescribed by the order.
(4) Where in any action "any" remplace "such".
under this section the court Les mots "under this section"
finds that the importation is ont été ajoutés en 1985.
or the distribution would be "the" remplace "such".
contrary to this Act, it may "the" remplace "such".
make an order prohibiting
the future importation of
wares to which the trade- "the" remplace "such".
mark, trade-name or indica
tion of origin has been
applied. Le mot "so" qui apparaissait
avant le mot "applied" a été
rayé.
Au cours de l'instruction, l'avocat des demande-
resses a soutenu qu'à la suite des modifications
apportées au libellé de l'article 52 dans les Lois
révisées de 1985, la Loi a une portée beaucoup
plus large que la Loi précédente, que le président
Jackett (tel était alors son titre) a examinée dans
l'arrêt Adidas Sportschuhfabriken Adi Dassler K.
G. et al. v. Kinney Shoes of Canada Ltd., E'Mar
Imports Ltd., Third Party (1971), 19 D.L.R. (3d)
680 (C. de l'É.), dont il sera question ci-après, et
qu'il est maintenant plus évident que le paragraphe
52(4) n'exige pas qu'une partie soit nommée
comme défendeur dans une ordonnance fondée sur
cette disposition.
Je ne suis pas convaincu que le changement
apporté au libellé dans les Lois révisées de 1985 est
important. Effectivement, l'adoption de change-
ments importants irait à l'encontre des buts et
pouvoirs énoncés dans la Loi sur la révision des
lois, L.R.C. (1985), chap. S-20, et dans la Loi sur
les Lois révisées du Canada (1985), L.R.C.
(1985), (3e suppl.), chap. 40, art. 4, qui prévoient
la révision des textes de loi en cas de changements
importants. Toutefois, avant de conclure que, aux
fins d'une ordonnance sous le régime du paragra-
phe 52(4), il n'est pas nécessaire que les défen-
deurs soient nommés, comme les demanderesses le
soutiennent, il pourrait être utile d'examiner l'arrêt
Adidas, précité et deux récents jugements portant
sur le paragraphe 52(4), soit Montres Rolex S.A.,
précité, et Cartier, Inc. c. Doe, [1990] 2 C.F. 234
(lre inst.).
Dans l'affaire Adidas, précitée, le président a
examiné les conditions d'un jugement antérieur qui
avait été rendu à la suite du consentement de la
défenderesse et dans lequel, après avoir fait allu
sion au consentement des parties, le tribunal a
interdit à la défenderesse de vendre ou de distri-
buer au Canada des chaussures portant des bandes
identiques à celles qui sont décrites dans la marque
de commerce déposée des. demanderesses, et a
ajouté ce qui suit [à la page 682]:
[TRADUCTION] 2. L'importation au Canada de chaussures por-
tant trois bandes semblables à celles décrites à l'enregistrement
numéro 161 856 de la marque de commerce des demanderesses,
qui ne seraient pas fabriquées ou vendues par celles-ci ...
Commentant ce paragraphe et citant l'article
[art. 51] de la Loi sur les marques de commerce
[S.C. 1952-53, chap. 49] qui est comparable à
l'article 52 actuellement en vigueur, le président
Jackett a fait allusion à l'objection de l'avocat des
demanderesses à tout changement touchant ce
paragraphe du jugement. L'avocat l'avait rédigé en
des termes alors jugés acceptables pour les autori-
tés des douanes comme ordonnance fondée sur le
paragraphe [par. 51(4)] comparable à l'actuel
paragraphe 52(4), par laquelle elles devaient
empêcher l'importation par toute personne, alors
qu'une ordonnance rendue contre une partie
nommée ne serait pas considérée comme une
ordonnance de cette nature par les agents des
douanes. Il s'est exprimé en partie comme suit aux
pages 688, 690 et 691 apparaissant à 19 D.L.R.
(3d):
[TRADUCTION] (Sous réserve du pouvoir exprès prévu au para-
graphe 51(5) de rendre une ordonnance ex parte décrétant la
garde provisoire en vertu du paragraphe 51(1), j'aurais supposé
qu'aucun des redressements autorisés par ces dispositions ne
pouvait être accordé si ce n'est à l'encontre d'une personne
partie à l'action où l'on demandait le redressement et qui, à ce
titre, connaissait les arguments soumis à la Cour à l'appui de la
requête pour jugement déposée contre elle. Selon moi, il n'y a
pas lieu de trancher en ce moment la question de savoir si les
articles 51 et 52 sont ainsi limités ... [À la p. 688.]
À mon avis, aucun tribunal n'accorderait une demande de
jugement fondée sur le consentement d'une personne et devant
avoir effet à l'égard de tout le monde sans être persuadé qu'il
avait la compétence spéciale et le devoir d'accorder un tel
jugement; dans ce cas peu probable, la situation serait expli-
quée en détail sur le jugement. Pour employer les termes de
lord Macnaghten, il est «décemment» difficile d'attribuer à la
Cour toute autre façon de traiter une demande aussi spéciale.
Donc, en ce qui concerne cette affaire, je suis convaincu que
si, lorsque les parties ont présenté la demande de jugement par
consentement, on m'avait demandé de rendre une ordonnance
sous le régime de l'art. 51(4), valable à l'égard de tout le
monde, j'aurais signalé que le requérant devait me convaincre
que la cour avait, en vertu de l'art. 51(4), le pouvoir d'émettre
une ordonnance contre toute personne qui n'avait pas été
adjointe à l'instance et qui, par conséquent, n'avait pas eu
l'occasion de se défendre. Une fois au moins, auparavant, cette
demande m'a été faite et ce fut ma réaction immédiate. De
plus, si on avait donné suite à l'affaire, j'aurais sans aucun
doute exigé qu'on me démontre,
a) que l'action correspondait aux termes «pareille action» de
l'art. 51(4), et
b) qu'était remplie la condition préalable à toute ordonnance
rendue en vertu de l'art. 51(4) voulant que la Cour ait
trouvé «que cette importation est contraire à la présente loi,
ou que cette distribution serait contraire à la présente loi».
[Aux p. 690-691.]
Dans l'arrêt Adidas, le président Jackett a
décidé que le jugement par consentement précé-
demment rendu serait modifié de façon à ce que le
renvoi à l'interdiction d'importation soit supprimé,
parce qu'un jugement par consentement ne pouvait
servir de fondement à une ordonnance de cette
nature. Mon collègue, le juge McNair, a appliqué
le principe sous-jacent à cette décision dans Mon-
tres Rolex S.A. c. Canada, précité. Cette cause-là
découlait de mesures antérieures adoptées dans le
présent litige. Il a été question plus tôt du juge-
ment que le protonotaire chef adjoint Giles a
rendu en janvier 1987 [non publié] à la suite du
consentement au jugement de certains des défen-
deurs initialement nommés dans le litige et du
défaut de comparaître et de plaider de deux autres.
Le jugement alors accordé se lisait en partie
comme suit:
1. Il est interdit aux défendeurs Brad Balshin, Hilda Balshin,
Arthur Christodoulou, Shelly Michaels, Martin Herson et à
tous les autres qui vendent, offrent en vente, importent, pro-
meuvent, fabriquent ou distribuent toutes marchandises en
liaison avec le nom Rolex ou le motif représentant une cou-
ronne, qui constituent les marques de commerce déposées n°
278 348, n° 208 437, n° 130/33476 et n° 78/19056 conformé-
ment à la Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, et ses
modifications, lorsque lesdites marchandises ne sont pas fabri-
quées ou promues par les demanderesses:
(i) de violer les marques de commerce déposées n° 278 348,
n° 208 437, n° 130/33476 et n° 78/19056;
(ii) d'utiliser directement ou indirectement le nom Rolex ou
le motif représentant une couronne sur ou en liaison avec des
montres ou autres marchandises qui ne sont pas fabriquées
ou promues par les demanderesses;
(iii) de présenter en aucune façon, directement ou indirecte-
ment, les affaires des défendeurs comme reliées aux affaires
des demanderesses;
(iv) de vendre, d'offrir ou d'exposer en vente, de promouvoir,
de faire vendre, de fabriquer ou de distribuer directement ou
indirectement toutes marchandises sous le nom Rolex ou
avec le motif représentant une couronne si lesdites marchan-
dises ne sont pas fabriquées ou promues par les demanderes-
ses, ou sous tout autre nom qui, en raison de la contrefaçon
du mot Rolex ou du motif représentant une couronne ou
autrement, est de nature à indiquer ou à faire croire qu'il
s'agit de marchandises des demanderesses si lesdites mar-
chandises ne sont pas fabriquées ou promues par les
demanderesses;
2. 11 est interdit aux défendeurs, Brad Balshin, Hilda Balshin,
Arthur Christodoulou, Shelly Michaels, Martin Herson et à
tous les autres qui vendent, offrent en vente, importent, pro-
meuvent, fabriquent ou distribuent toutes marchandises en
liaison avec le nom Rolex ou le motif représentant une cou-
ronne, qui constituent les marques de commerce déposées n°
278 348, n° 208 437, n° 130/33476 et n° 7 8 / 1 9056 conformé-
ment à la Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, et ses
modifications, lorsque lesdites marchandises ne sont pas fabri-
quées ou promues par les demanderesses, d'importer au Canada
toutes montres ou autres marchandises portant les marques de
commerce déposées n° 278 348, n° 208 437, n° 130/33476 et n°
78/19056, à savoir le nom Rolex et le motif représentant une
couronne, ou toute contrefaçon desdites marchandises qui est
de nature à indiquer ou à faire croire qu'il s'agit de marchandi-
ses des demanderesses, si on a apposé lesdites marques de
commerce ou ladite contrefaçon sur des montres ou autres
marchandises qui ne sont pas fabriquées ou promues par les
demanderesses.
Les demanderesses avaient demandé sans succès
de faire exécuter l'ordonnance par les autorités
douanières et elles ont ensuite demandé une ordon-
nance de mandamus pour forcer l'application de
l'interdiction d'importer. Monsieur le juge McNair
a refusé d'accorder une ordonnance de mandamus
et s'est exprimé comme suit ([1988] 2 C.F., aux
pages 49 et 53 respectivement):
Je suis pleinement d'accord avec l'opinion exprimée par le
président de la Cour de l'Échiquier dans l'affaire Adidas et
selon laquelle c'est une condition essentielle préalable à toute
ordonnance laissée à l'appréciation de la Cour et visée au
paragraphe 52(4) que la Cour trouve que l'importation et la
distribution des marchandises incriminées étaient contraires à
la Loi sur les marques de commerce. Il doit y avoir un
prononcé final sur la légalité de l'objet de la plainte avant que
puisse être rendue une ordonnance sous le régime du paragra-
phe 52(4). À mon avis, je suis obligé dans les circonstances
présentes d'aller un peu plus loin que dans l'affaire Adidas et
de déterminer de quelle façon la Cour doit rendre une telle
décision finale.
Par conséquent, je suis d'avis que le sens normal des mots
utilisés à l'article 52 de la Loi sur les marques de commerce
dans le contexte de son régime législatif indique clairement
qu'on doit avoir déterminé de façon définitive la légalité de
l'importation et de la distribution des marchandises incriminées
avant de pouvoir rendre une ordonnance sous le régime du
paragraphe 52(4) prohibant leur importation future. À mon
avis, une telle décision ne peut que porter sur le fond du litige.
J'en conclus donc que ni le jugement par consentement ni le
jugement obtenu pour défaut de plaider ne peuvent donner lieu
à une ordonnance sous le régime du paragraphe 52(4). Cela
étant, la question de la validité de la représentation dans le
cadre du recours collectif n'est pas pertinente.
Dans l'arrêt Montres Rolex S.A., précité, le
jugement était final à l'égard des défendeurs
nommés qui avaient consenti au jugement ou qui
avaient fait défaut de comparaître ou de plaider et
les conditions du jugement rendu visaient non seu-
lement les défendeurs nommés, mais aussi «toutes
les autres personnes qui vendent» des montres ou
des marchandises portant les marques de com
merce déposées des demanderesses sans l'autorisa-
tion de celles-ci. Dans Cartier, Inc. c. Doe, précité,
mon collègue, le juge Teitelbaum a rendu une
ordonnance ex parte qui, à première vue, semblait
finale dans une action intentée contre les défen-
deurs «John Doe et Jane Doe et d'autres personnes,
inconnues des demanderesses, qui vendent des
montres contrefaites dans la rue, à Toronto (Onta-
rio)». L'ordonnance prévoyait ce qui suit:
1. L'importation par quiconque de plus de 10 montres portant
l'une ou l'autre des marques de commerce CARTIER, MUST,
MUST DE CARTIER Ou LES MUST DE CARTIER et déclarées être
des répliques, des copies, des imitations ou des contrefaçons, est
par les présentes prohibée sous le régime de l'article 52 de la
Loi sur les marques de commerce.
2. Tout fonctionnaire ou inspecteur du ministère du Revenu
national (Douanes et accise) qui reçoit une déclaration d'impor-
tation au Canada des montres décrites au paragraphe 1 de la
présente ordonnance doit immédiatement retenir les montres
conformément au Tarif des douanes, article 14, article C.
3. Chaque fois que cette ordonnance est appliquée, la personne
dont les montres sont saisies doit être avisée qu'elle peut
interjeter appel de la saisie des montres en invoquant les
articles 58 à 63 de la Loi sur les douanes ou demander à cette
Cour d'ordonner la restitution des montres saisies.
4. Toute personne qui importe légalement des montres au
Canada et dont les montres sont retenues en application de la
présente ordonnance peut, en donnant un avis de 24 heures aux
avocats des demanderesses, de même qu'en leur signifiant toute
pièce justificative, demander à cette Cour d'ordonner la restitu
tion des montres retenues.
5. Il n'y aura aucuns dépens.
Lorsque le ministre du Revenu national a
demandé une ordonnance annulant l'ordonnance
ex parte, mon collègue, le juge Pinard, a fait droit
à la demande. Se fondant sur les décisions rendues
par le président Jackett dans Adidas et le juge
McNair dans Montres Rolex S.A., il a jugé que,
puisqu'aucune conclusion n'avait été tirée, étant
donné que la cause n'avait pas encore été enten-
due, l'ordonnance devait être annulée.
Les décisions rendues dans les affaires Adidas,
Montres Rolex S.A. et Cartier indiquent qu'une
ordonnance sous le régime du paragraphe 52(4) de
la Loi doit nécessairement être fondée sur les
conclusions exprimées dans un jugement final dans
une action. En l'espèce, ce fondement est mainte-
nant établi à l'aide du jugement joint aux présents
motifs.
Aucune de ces trois causes ne permet de dire
comment une ordonnance fondée sur le paragraphe
52(4) devrait être rédigée et s'il est nécessaire
qu'elle soit prononcée contre un ou plusieurs
défendeurs qui ont la possibilité d'être entendus
dans l'action menant aux conclusions qui consti
tuent le fondement de l'ordonnance. Dans l'affaire
Adidas, les conditions de l'ordonnance ayant pour
effet d'interdire l'importation de marchandises
contrefaites ne visaient personne et les commentai-
res du président Jackett laissent planer un doute à
ce sujet. Dans Montres Rolex S.A., les conditions
visaient les défendeurs nommés et toutes les autres
personnes qui importent des marchandises contre-
faites. Dans l'affaire Cartier, les conditions
n'étaient pas formulées contre qui que ce soit, mais
elles interdisaient l'importation, par toute per-
sonne, de plus de dix montres qui étaient des
imitations, dans une action intentée contre «John
Doe et, Jane Doe et d'autres personnes, inconnues
des demanderesses, qui vendent des montres con-
trefaites dans la rue à Toronto (Ontario)» ainsi
qu'un défendeur nommé.
À ce stade-ci de cette histoire sans fin, les
demanderesses désirent obtenir une ordonnance
qui s'appliquera non seulement aux défendeurs
nommés, mais à d'autres. Tout en demandant que
les défendeurs, y compris des personnes inconnues,
soient reconnus comme une catégorie de défen-
deurs et que l'ordonnance s'applique à John Doe,
Jane Doe et d'autres personnes inconnues, elles
soutiennent également que le paragraphe 52(4)
n'exige pas qu'un défendeur soit nommé dans les
conditions de l'ordonnance qui interdit l'importa-
tion sous le régime de cette disposition. J'admets
que ni le paragraphe 52(4) ni les autres parties de
l'article 52 de la Loi ne renvoient expressément à
la nomination des parties à l'égard des ordonnan-
ces pouvant être rendues, qu'il s'agisse d'une
ordonnance décrétant la garde provisoire jusqu'à la
décision finale dans une action en vertu du para-
graphe 52(1) ou décrétant l'interdiction d'importer
d'autres marchandises à l'avenir en vertu du para-
graphe 52(4). Toutefois, je souligne que l'ensemble
de l'article 52 porte sur des procédures judiciaires
et qu'il est implicitement fondé sur les procédures
judiciaires à la suite desquelles les ordonnances
autorisées seraient rendues, procédures au cours
desquelles le défendeur a éventuellement la possi-
bilité d'être entendu. Les procédures en l'espèce
ont fourni cette possibilité. Au cours de l'instruc-
tion, la preuve a démontré que l'importation de
l'étranger de montres et marchandises d'imitation
Rolex a fortement entravé les droits des demande-
resses à l'égard de l'utilisation exclusive au
Canada de leurs marques de commerce déposées.
Le paragraphe 52(4) de la Loi sur les marques
de commerce vise à aider le propriétaire ou l'usa-
ger inscrit d'une marque de commerce déposée en
vertu de la Loi à protéger ses droits exclusifs, créés
respectivement par les articles 19 et 50, lorsque,
comme c'est le cas en l'espèce, les marchandises
portant ses marques de commerce déposées ou des
reproductions de celles-ci, sans autorisation, pro-
viennent de l'étranger et sont transportées ou expé-
diées au Canada à des fins commerciales. Dans ces
circonstances, une ordonnance sous le régime du
paragraphe 52(4) qui n'est pas rendue contre des
défendeurs précis, mais qui interdit l'importation
ultérieure, à des fins commerciales, de montres et
marchandises d'imitation portant la marque de
commerce Rolex ou le motif représentant une cou-
ronne est justifiée.
Cette ordonnance se limitera à une ordonnance
interdisant l'importation à des fins commerciales,
étant donné qu'à mon avis, c'est là la nature des
activités qui ont donné naissance aux problèmes
des demanderesses et au présent litige. C'est peut-
être dans le cadre d'une réunion entre les autorités
douanières et l'avocat des demanderesses que l'on
pourra le plus facilement élaborer les tests que ces
autorités appliqueront pour déterminer s'il s'agit
d'activités à des fins commerciales. Il se peut qu'un
critère quantitatif, comme celui des dix montres
qui a servi de fondement à l'ordonnance ex parte
que mon collègue, le juge Teitelbaum a rendue et
qui a subséquemment été annulée dans l'affaire
Cartier, précitée, soit approprié; il sera peut-être
approprié également que l'on fournisse les noms
des dépositaires que les demanderesses autorisent à
recevoir les marchandises légitimes. S'il est diffi-
cile d'élaborer des normes administratives appro-
priées pour appliquer l'ordonnance interdisant
l'importation à des fins commerciales, je présume
que l'article 55 de la Loi sur les marques de
commerce, qui permet à la Cour de «connaître de
toute action ou procédure en vue de l'application
de la présente loi ou d'un droit ou recours conféré
ou défini par celle-ci», constitue un fondement que
le ministre du Revenu national ou les demanderes-
ses pourront invoquer pour soulever la question par
voie de requête devant la Cour.
Conclusion
J'aimerais souligner que, lorsque j'ai examiné
les redressements à accorder en l'espèce, j'ai tenu
compte non seulement des formes de réparation
demandées, par les demanderesses dans le présent
litige et du consentement du défendeur Redman,
mais aussi de la façon dont le litige s'est déroulé,
tant avant que pendant le procès. 'À certains
égards, j'ai accordé un redressement différent de
celui que recherchaient les demanderesses, compte
tenu de ce que j'estimais être une réparation
appropriée ainsi que de l'absence d'observations de
la part du défendeur nommé qui était encore partie
au litige au moment du procès.
Je souligne également que, lorsque j'ai examiné
le redressement approprié à accorder dans les cir-
constances de la présente cause, j'ai tenu compte
de l'article 53 de la Loi sur les marques de com
merce, dont le libellé (c'est moi qui souligne) est le
suivant:
53. Lorsqu'il est démontré à un tribunal compétent qu'un
acte a été accompli contrairement à la présente loi, le tribunal
peut rendre l'ordonnance que les circonstances exigent, y com-
pris une stipulation portant un redressement par voie d'injonc-
tion et le recouvrement de dommages-intérêts ou de profits, et
peut donner des instructions quant à la disposition des mar-
chandises, colis, étiquettes et matériel publicitaire contrevenant
à la présente loi et de toutes matrices employées à leur égard.
Le jugement est inscrit dans la présente cause à
l'aide d'un document distinct. En résumé, le juge-
ment prévoit un redressement selon les conditions
suivantes et à l'égard des parties défenderesses
suivantes dans la présente cause.
1. La demanderesse Rolex Watch Company of
Canada Limited est déclarée être le seul usager
inscrit des quatre marques de commerce déposées,
dont la demanderesse Montres Rolex S.A. est le
propriétaire inscrit, à l'égard du nom Rolex et du
motif représentant une couronne.
2. Il est interdit aux défendeurs Redman et
Pahmer et à ceux qu'ils contrôlent de violer les
marques de commerce déposées des demanderes-
ses, notamment par des activités précises à l'égard
de montres et marchandises portant les marques
de commerce Rolex ou le motif représentant une
couronne, lorsque ces marchandises ne sont pas
fabriquées ou promues par les demanderesses.
3. Il est interdit aux défendeurs John Doe, Jane
Doe et à toutes les autres personnes inconnues des
demanderesses qui, à la date du procès en l'espèce
ou auparavant, ont vendu, importé, promu, fabri-
qué ou distribué des marchandises en liaison avec
le nom Rolex ou le motif représentant une cou-
ronne, alors que ces marchandises n'étaient pas
fabriquées ou promues par les demanderesses, de
poursuivre les activités interdites aux défendeurs
Redman et Pahmer; cependant, toute personne
identifiée dans les six ans suivant la date du procès
aux présentes comme une personne à laquelle la
présente clause peut s'appliquer recevra, par voie
de signification, entre autres choses, un avis indi-
quant qu'elle a la possibilité de demander à la
Cour, par requête, de déclarer qu'il existe des
motifs légitimes pour lesquels la présente clause ne
devrait pas s'appliquer à elle.
4. Il est interdit aux défendeurs Redman et
Pahmer et à ceux qu'ils contrôlent ainsi qu'à toute
personne à l'égard de laquelle il est jugé que la
clause 3 s'applique d'importer au Canada des mon-
tres ou marchandises d'imitation Rolex.
5. L'importation à des fins commerciales de mon-
tres et de marchandises d'imitation portant les
marques de commerce déposées des demanderesses
ou des reproductions de celles-ci, alors que les
marchandises ne sont pas fabriquées ou promues
par les demanderesses, est interdite conformément
au paragraphe 52(4) de la Loi sur les marques de
commerce.
6. Le défendeur Redman et toute personne à
l'égard de laquelle il est jugé que la clause 3
s'applique remettront aux avocats des demanderes-
ses les documents ou marchandises liés aux activi-
tés poursuivies en liaison avec l'utilisation non
autorisée des marques de commerce déposées des
demanderesses.
7. Un agent de la paix ou un policier informé du
présent jugement aidera les demanderesses à exé-
cuter celui-ci.
8. Le défendeur Pahmer remettra un compte-
rendu de tous les profits qu'il a tirés de la vente de
montres d'imitation Rolex et paiera ces profits aux
demanderesses.
9. Le défendeur Pahmer est tenu de payer les
dépens procureur-client.
Enfin, le jugement renferme certains détails de
procédure. Ainsi, l'avocat des demanderesses doit
assurer la signification d'une copie du jugement
aux défendeurs Redman et Pahmer. Les montres
et marchandises d'imitation Rolex détenues au
bureau du shérif jusqu'au procès ou dans les dos
siers de la Cour devront être remises lorsque
demande en sera faits aux avocats des demande-
resses. Dès qu'elles déposeront un document par
lequel elles s'engagent à payer les dommages-inté-
rêts ou dépens pouvant subséquemment être adju-
gés en faveur d'une personne inconnue qui a gain
de cause dans une demande fondée sur la clause 3,
les demanderesses seront libérées de leur engage
ment de maintenir un cautionnement comme
garantie des dommages-intérêts et des dépens,
lequel engagement a été donné conformément à
une ordonnance précédente de la Cour.
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