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A-452-91
Armadale Communications Limited, Russwood Broadcasting Limited, William Robert Peterson et James Mattern (requérants)
c.
Lyle Moffatt, en qualité d'arbitre nommé confor- mément à la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, chap. I-2, le ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion et le procureur général du Canada (intimés)
RÉPERTORIÉ: ARMADALE COMMUNICATIONS LTD. C. ARBITRE (LOI SUR L'IMMIGRATION) (C.A.)
Cour d'appel, juges Hugessen, Stone et Décary, J.C.A.—Regina, 20 juin; Ottawa, 4 juillet 1991.
Immigration Pratique L'arbitre a exclu le public d'une enquête tenue en vertu de l'art. 29(3) de la Loi sur l'immigra- tion La Cour d'appel fédérale a depuis déclaré l'art. 29(3) inconstitutionnel dans l'arrêt McVey La Loi sur l'immigra- tion confère à l'arbitre la «capacité pratique» de décider si ses dispositions sont incompatibles avec la Charte Alors que les tribunaux administratifs dont les décisions sont sujettes à appel n'ont pas la compétence de trancher des questions relati ves à la Charte, un nombre limité de décisions rendues par l'arbitre sont sujettes à un appel prévu par une loi Puisque l'effet de l'arrêt McVey est suspendu pour une période d'un an, des directives intérimaires sont énoncées relativement à l'effet de l'art. 29(3) Les dispositions relatives à l'inversion de la charge de la preuve sont abrogées L'art. 29(3) protège contre le danger de publicité dans le pays d'origine et non contre le stress causé au demandeur de statut par la présence des médias.
Compétence de la Cour fédérale Section d'appel Demande de révision de la décision de l'arbitre d'exclure le public de l'enquête tenue en vertu de l'art. 29(3) de la Loi sur l'immigration La constitutionnalité de l'art. 29(3) est en litige Puisque l'arbitre a la «capacité pratique» de décider de la constitutionnalité des dispositions de la Loi sur l'immi- gration, la Cour en a également la compétence.
Contrôle judiciaire Demandes de révision L'arbitre a décidé d'exclure le public de l'enquête tenue en vertu de l'art. 29(3) de la Loi sur l'immigration La constitutionnalité de l'art. 29(3) est mise en doute Les pouvoirs de la Cour sont limités par ceux du tribunal dont la décision est révisée La révision judiciaire n'apporte aucune réparation pratique à la personne affectée par une loi invalide Puisqu'il n'existe aucun droit d'appel à l'encontre d'une décision visée à l'art. 29(3), l'arbitre, et par conséquent la Cour, ont compétence pour se prononcer sur la constitutionnalité de la Loi.
Droit constitutionnel Charte des droits Recours Enquête tenue en vertu de la Loi sur l'immigration Exclu sion des médias et du public La présentation d'une preuve médicale selon laquelle la vie ou la santé du demandeur de statut est menacée par une enquête publique est du ressort d'un tribunal compétent conformément à l'art. 24 de la Charte, et non d'un arbitre.
Il s'agit d'une demande de révision d'une décision de l'arbitre d'exclure le public d'une enquête tenue en vertu du paragraphe 29(3) de la Loi sur l'immigration au motif qu'une enquête publique risquerait de causer un trop grand stress à l'intéressé qui a été détenu en vertu d'un mandat du lieutenant-gouverneur après avoir été acquitté d'une accusation d'homicide pour cause d'aliénation mentale. Le paragraphe 29(3) prévoit que les enquêtes sont tenues à huis clos sauf s'il est démontré à l'arbitre que la tenue en public de l'enquête n'entraverait pas cette dernière et que ni l'intéressé ni les membres de sa famille ne s'en trouveraient lésés. La décision de l'arbitre a été rendue avant que la Cour d'appel fédérale ne déclare dans l'arrêt McVey que le paragraphe 29(3) est inconstitutionnel, bien que l'effet de cette décision soit suspendu pour une période d'un an afin de «préserver la primauté du droit».
La Cour suprême du Canada a récemment décidé qu'un tribunal administratif dont les décisions sont sujettes à appel sur des questions de droit n'a pas la compétence pour trancher des questions relatives à la Charte, et que, par conséquent, cette Cour n'a pas la compétence pour juger la question constitution- nelle soulevée dans le cadre d'instances introduites en vertu de l'article 28.
Cette demande soulève deux questions: (1) L'arbitre a-t-il le pouvoir de se prononcer sur des questions reliées à la Charte et, par conséquent, cette Cour a-t-elle le pouvoir de réviser une telle décision; (2) dans quelle mesure le paragraphe 29(3) peut-il conserver son effet tout en respectant son objet (la protection des réfugiés et des membres de leur famille contre les conséquences possibles qu'aurait la publicité de la revendi- cation et du témoignage du demandeur de statut dans son pays d'origine) et en protégeant les droits garantis par la Charte qu'il viole?
Arrêt: la demande devrait être accueillie.
(1) La Loi sur l'immigration confère à l'arbitre la «capacité pratique» de trancher des questions de droit, notamment des questions relatives à l'application et à la suprématie de la Charte, et rien dans la Loi n'indique une intention contraire. Toute autre conclusion écarterait de façon générale les répara- tions pratiques prévues par la Charte en ce que, bien qu'il existe un droit d'appel à l'encontre de certaines décisions de l'arbitre sur des questions de droit, d'autres ne sont pas sujettes à appel. Effectivement, les décisions visées au paragraphe 29(3) ne sont pas sujettes à appel. Le fait que ces décisions dont on ne peut appeler puissent être sujettes à un contrôle judiciaire n'apporte aucune réparation pratique à la victime de l'application d'une loi invalide ou inopérante puisque la Cour, dans sa révision, est limitée par les pouvoirs du tribunal dont la décision est révisée. Par conséquent, la Cour est compétente pour statuer sur la question relative à la Charte soulevée dans cette instance.
(2) Afin d'empêcher la violation des droits garantis par la Charte de ceux qui sont dans une situation semblable à celle en l'espèce, des directives doivent être énoncées afin d'appliquer, de façon intérimaire, le paragraphe 29(3). La disposition rela tive à l'inversion de la charge de la preuve ne peut être maintenue. Quiconque cherche à obtenir la tenue d'une enquête à huis clos doit convaincre l'arbitre que les circonstances justi- fient de passer outre à la règle générale selon laquelle toutes les instances judiciaires et quasi-judiciaires sont tenues en public. Il faut démontrer la vraisemblance du danger que représente- rait l'audience pour la vie, la liberté et la sécurité du deman-
deur de statut ou d'un membre de sa famille si elle était tenue en public et si ses détails étaient dévoilés dans le pays d'origine du demandeur. La norme de preuve n'a pas à être élevée. Puisque la demande visant à tenir l'audience à huis clos ne peut être présentée que dans un contexte d'une revendication du statut de réfugié, le test appliqué devrait être le même que pour la revendication elle-même, soit l'existence de la «possibilité raisonnable» d'un danger ou d'une crainte éprouvée «avec raison». L'arbitre peut fonder son opinion sur toute source de renseignements qu'il juge crédible et digne de foi. Si une possibilité de danger découle de la publicité de l'instance il est décidé si l'audience sera tenue en public, on pourrait exiger des personnes présentes qu'elles prennent l'engagement écrit de ne pas révéler certains renseignements tant que l'on n'aura pas statué en faveur d'une audition publique, ou certains renseigne- ments pourraient être fournis par écrit à l'arbitre et gardés hors d'atteinte du public jusqu'à ce qu'une décision soit prise.
L'objectif du paragraphe 29(3) est de protéger le demandeur de statut et sa famille contre le danger entraîné par la publicité faite à la demande dans le pays d'origine. Le stress causé par la présence des médias d'information ne constitue pas le «préju- dice» contre lequel le paragraphe 29(3) protège. Bien qu'une preuve médicale démontrant que la vie ou la santé du deman- deur de statut seraient sérieusement menacées s'il y avait audition publique ne puisse être présentée à l'arbitre en vertu de l'article 29, une telle réparation pourrait être recherchée en vertu de l'article 24 de la Charte devant un tribunal compétent.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44], art. 2b), 24.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art. 28.
Loi sur l'assurance-chômage, L.R.C. (1985), chap. U-1. Loi sur les enquêtes, L.R.C. (1985), chap. I-11.
Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), chap. I-2, art. 3J), 29(3) (mod. par L.R.C. (1985) (1" suppl.), chap. 31, art. 99), 32 (mod. par L.R.C. (1985) (3 e suppl.), chap. 30, art. 5; (4e suppl.), chap. 28, art. 11, 36), 45 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), chap. 28, art. 14), 46.02 (édicté, idem), 70 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), chap. 30, art. 8; (4 e suppl.), chap. 28, art. 18, 35; chap. 29, art. 6), 99, 103 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), chap. 28, art. 27), 112.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Pacific Press Ltd. c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] 2 C.F. 327 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Tétreault-Gadoury c. Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada (1991), 91 CLLC 14,023 (C.S.C.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Adjei c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion), [1989] 2 C.F. 680; (1989), 57 D.L.R. (4th) 153 (C.A.).
AVOCATS:
James H. Gillis et M. Ian Savage pour les requérants.
Myra J. Yuzak pour le ministre de l'Emploi et de l'Immigration et le procureur général du Canada.
William J. Wardell pour Lyle Moffatt.
PROCUREURS:
MacDermid Lamarsh, Saskatoon (Saskatche- wan), pour les requérants.
Le sous-procureur général du Canada pour le ministre de l'Emploi et de l'Immigration et le procureur général du Canada.
Wardell & Worme, Saskatoon (Saskatche- wan), pour Lyle Moffatt.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HUGESSEN, J.C.A.: La présente demande fondée sur l'article 28 [Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7] cherche à faire réviser et annuler une décision rendue par un arbitre présidant une enquête en vertu de la Loi sur l'immigration [L.R.C. (1985), chap. I-2]. La personne faisant l'objet de l'enquête, un certain Ziatden Boughanmi, a été accusée d'homicide et acquittée pour cause d'aliénation mentale en octo- bre 1990. Au moment l'enquête a débuté, M. Boughanmi était détenu, et l'est toujours, en vertu d'un mandat du lieutenant-gouverneur, au Regio nal Psychiatric Centre de Saskatoon, établissement à sécurité maximale. Dans la décision attaquée, l'arbitre a prétendu appliquer le paragraphe 29(3) [mod. par L.R.C. (1985) (P' suppl.), chap. 31, art.
99] de la Loi sur l'immigration' et a refusé l'en- trée aux membres de la presse et au public qui souhaitaient être présents à l'enquête. Les requé- rants, représentants des médias, sont parmi ceux qui ont été exclus.
L'arbitre a rendu sa décision le 6 mars 1991, avant que le jugement de cette Cour dans l'affaire McVey' ne soit prononcé. La Cour y a conclu que le paragraphe 29(3) était inopérant et contraire à l'alinéa 2b) de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44]]. Toutefois, elle a suspendu l'effet de sa décision pour une période d'un an, «la primauté du droit devant être préser- vée dans ce domaine». La Cour a également fait des commentaires sur l'interprétation du paragra- phe 29(3), et ces commentaires, de même que la décision relative à la Charte, n'étaient évidemment pas disponibles' pour l'arbitre dans la présente cause. De toute évidence, la décision attaquée ne saurait se concilier avec l'arrêt McVey.
Une question préliminaire portant sur le pouvoir de l'arbitre de décider sur des questions reliées à la Charte et, par conséquent, sur le pouvoir de cette Cour de réviser ces décisions découle du jugement récent rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Tétreault-Gadoury 3 . La Cour suprême y a conclu que le Conseil arbitral, constitué sous le régime de la Loi sur l'assurance-chômage [L.R.C. (1985), chap. U-1], n'avait pas compétence pour trancher une question reliée à la Charte et, consé- quemment, que la présente Cour n'avait pas juri- diction pour juger la question constitutionnelle soulevée dans le cadre d'instances introduites en
'29....
(3) Sous réserve du paragraphe (2), l'arbitre tient son enquête à huis clos sauf si, quelqu'un lui en ayant fait la demande, il lui est démontré que la tenue en public de l'enquête n'entraverait pas cette dernière et que ni l'intéressé ni les membres de sa famille ne s'en trouveraient lésés.
2 Pacific Press Ltd. c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] 2 C.F. 327 (C.A.), ci-après «McVey».
3 Tétreault-Gadoury c. Commission de l'emploi et de l'im- migration du Canada (1991), 91 CLLC 14,023 (C.S.C.), ci- après «Tétreault-Gadoury».
vertu de l'aticle 28 et dirigées directement à l'en- contre du Conseil arbitral.
La question consiste donc à déterminer si un arbitre nommé en vertu de la Loi sur l'immigra- tion constitue un tribunal administratif qui, compte tenu de son pouvoir de juger des questions de droit, devrait être habilité à appliquer la loi suprême du pays, tout au moins pour déterminer si une disposition législative lui est incompatible et est, par conséquent, inopérante.
La Loi sur l'immigration confère à l'arbitre de vastes pouvoirs lui permettant de trancher des questions de droit et de fait importantes. Les arti cles 32 [mod. par L.R.C. (1985) (3 e suppl.), chap. 30, art 5; (4 e suppl.), chap. 28, art. 11, 36] (déci- sions portant sur le choix des personnes autorisées à demeurer au pays et sur la façon dont celles qui ne sont pas admissibles doivent partir et le moment elles doivent le faire), 46.02 [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), chap. 28, art. 14] (décisions relatives à la recevabilité d'une revendication du statut de réfugié et, le cas échéant, décisions por- tant sur le minimum de fondement d'une telle revendication) et 103 [mod., idem, art. 27] (déci- sions relatives à la garde) n'en sont que quelques exemples. En fait, l'arbitre a le devoir explicite de rendre la décision même que l'on tente de faire annuler en l'espèce et qui soulève d'importantes questions de publicité des audiences, de liberté de la presse et de justice fondamentale. En outre, en vertu de l'article 45 [mod., idem, art. 14], l'arbitre préside l'enquête de première étape, l'étape de présélection, pour toutes les personnes revendi- quant le statut de réfugié. Le fait que la deuxième personne siégeant au tribunal que l'arbitre préside soit membre de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié n'est pas sans importance. De plus, aux termes de l'article 112, l'arbitre est investi des attributions des commissaires nommés en vertu de la partie I de la Loi sur les enquêtes [L.R.C. (1985), chap. I-11].
Plusieurs des décisions que l'arbitre est appelé à rendre, seul ou avec un membre de la Commission, sont d'une importance capitale pour les personnes intéressées et peuvent avoir un impact important sur les droits protégés et garantis par la Charte. En effet, toutes les décisions relatives aux person- nes sollicitant leur admission au Canada doivent expressément être rendues en conformité avec la
Charte (voir l'alinéa 3f)). Compte tenu de ces circonstances, je crois qu'il est raisonnable de con- clure que l'arbitre a la «capacité pratique» de rendre des décisions sur des questions de droit, notamment sur les questions relatives à l'applica- tion et à la suprématie de la Charte.
À mon avis, toutefois, la décision rendue par la Cour dans l'affaire Tétreault-Gadoury, précitée, selon laquelle le Conseil arbitral n'a pas le pouvoir de décider des questions relatives à la Charte, avait comme élément décisif l'existence du droit d'inter- jeter appel d'une décision du Conseil arbitral devant un juge-arbitre, tribunal manifestement capable de trancher de telles questions et compé- tent pour le faire. Le juge La Forest, se pronon- çant au nom de la majorité, a déclaré la page 14,0271:
... en dépit de la capacité pratique du conseil arbitral, il découle de l'économie de la Loi sur l'assurance-chômage qu'il convient davantage de présenter la question constitutionnelle au juge-arbitre, en appel, plutôt qu'au conseil lui-même.
et également la page 14,028]:
... lorsque, comme en l'espèce, le législateur a donné au justiciable la possibilité d'interjeter appel devant un organisme administratif investi du pouvoir de prendre en considération des arguments d'ordre constitutionnel, le besoin de faire trancher la question constitutionnelle par le tribunal de premier ressort n'est manifestement pas aussi grand. En pareil cas en effet, les justiciables jouissent toujours des avantages que présente la résolution de la question constitutionnelle à l'intérieur du pro- cessus administratif.
L'économie de la Loi sur l'immigration n'est pas aussi explicite que celle de la Loi sur l'assurance- chômage à l'égard des tribunaux administratifs qu'elle constitue. Toutes les décisions du Conseil arbitral sont sujettes à appel devant le juge-arbitre sur des questions de droit, et ce dernier possède tous les pouvoirs nécessaires d'en décider. La situa tion est différente pour les décisions de l'arbitre. L'article 70 [mod. par L.R.C. (1985) (3 e suppl.), chap. 30, art. 8; (4 e suppl.), chap. 28, art. 18, 35; chap. 29, art. 6] prévoit, il est vrai, un droit d'appel portant sur des questions de droit, et la Commission, qui entend ces appels, est un tribunal d'archives possédant la compétence et la capacité d'en décider. Mais la situation se complique par le fait qu'un appel ne peut être interjeté qu'à l'encon- tre d'un nombre limité de mesures de renvoi pro- noncées par un arbitre; l'existence du droit d'appel
ne dépend pas tant de la nature de la mesure que du statut de la personne en faisant l'objet. Ainsi, il n'existe aucun droit d'appel pour les personnes qui n'ont pas reçu le statut de résident permanent ou de réfugié au sens de la Convention ou qui ne détiennent pas un visa valide (et elles doivent représenter la vaste majorité des personnes ren- voyées du Canada). De même, lorsqu'un tribunal de première étape présidé par un arbitre rend une décision défavorable à un demandeur de statut de réfugié, décision dont les conséquences et l'impact possible sur les droits garantis par la Charte peu- vent être énormes, il n'existe aucun droit d'appel. Les décisions relatives à la garde, bien que limitées en temps, ne sont pas sujettes à appel non plus. En fait, les décisions visées au paragraphe 29(3), dont celle attaquée en l'espèce, ne sont pas sujettes à appel et il est inutile de démontrer l'impact qu'el- les peuvent avoir sur les droits garantis par la Charte.
Comme l'a clairement démontré l'arrêt Tétreault-Gadoury, précité, le fait que ces déci- sions dont on ne peut appeler puissent tout de même être sujettes à une révision judiciaire en vertu, entre autres, de l'article 28, n'apporte aucune réparation pratique à la victime de l'appli- cation d'une loi invalide et inopérante puisque la Cour, dans sa révision, est limitée par les pouvoirs du tribunal dont la décision est révisée.
Puisque, comme je l'ai déjà remarqué, l'arbitre a la capacité pratique de se prononcer sur des ques tions relatives à la Charte, j'estime que, selon l'interprétation de l'économie d'ensemble de la loi, rien dans la Loi sur l'immigration n'indique l'in- tention d'empêcher l'arbitre d'avoir et d'exercer le pouvoir de juger une disposition législative incom patible avec la Charte. Non seulement cela sem- ble-t-il en accord avec l'économie de la loi, mais toute autre conclusion écarterait de façon générale les réparations pratiques prévues par la Charte. En conséquence, nous sommes, à mon avis, compé- tents pour statuer sur la question relative à la Charte soulevée dans cette instance.
Comme je l'ai déjà souligné, la Cour, dans l'arrêt McVey, a jugé que le paragraphe 29(3) était incompatible avec la Charte et donc inopé- rant, mais elle a suspendu l'effet de cette conclu sion pour une période d'un an. Elle a également constaté que la protection des réfugiés et des mem-
bres de leur famille contre les conséquences possi bles qu'aurait la publicité de la revendication et du témoignage du demandeur de statut dans son pays d'origine constituait l'objectif législatif de la dispo sition. De toute évidence, l'importance de cet objectif a incité la Cour à laisser le paragraphe 29(3) temporairement en vigueur afin d'accorder au Parlement une chance supplémentaire d'attein- dre son but d'une manière qui soit compatible avec la Charte.
Il demeure toutefois que les requérants en l'es- pèce jouissent des mêmes droits garantis par la Charte que les requérants dans l'affaire McVey et qu'ils sont, de façon permanente, en droit de demander aux tribunaux de veiller à ce que ces droits ne soient pas violés par l'application du paragraphe 29(3). Des situations similaires se pré- senteront sans doute au cours des prochains mois. Il nous semble donc approprié d'indiquer, à titre intérimaire, dans quelle mesure la Loi peut conser- ver son effet et comment son application doit être modifiée en pratique de sorte que son objet soit, dans la mesure du possible, respecté et que les droits garantis par la Charte qu'elle viole soient protégés. Cela est particulièrement vrai dans le cas où, comme celui qui nous occupe, le statut de réfugié a été revendiqué, puisque, contrairement à ce qui était le cas dans l'affaire McVey, les intérêts reconnus comme étant le fondement de la disposi tion y sont mis en cause.
En premier lieu, il m'apparaît évident que l'in- version de la charge de la preuve prévue par le paragraphe 29(3) et imposant une norme de preuve impossible à respecter ne peut être mainte- nue, même temporairement. La règle générale qui régit tous les tribunaux et organismes quasi judi- ciaires est leur accessibilité au public. Cette règle implique que quiconque cherche à obtenir la tenue d'une enquête à huis clos doit convaincre l'arbitre que les circonstances justifient d'y passer outre.
En deuxième lieu, compte tenu de l'objectif reconnu de la Loi, je crois que ce qu'on doit démontrer, c'est la vraisemblance du danger que représenterait l'audience pour la vie, la liberté et la sécurité du demandeur du statut de réfugié ou d'un membre de sa famille si elle était tenue en public et si ses détails étaient dévoilés dans le pays d'ori- gine du demandeur.
Néanmoins, la norme de preuve n'a pas à être élevée. Puisque la demande visant à tenir l'au- dience à huis clos ne peut être présentée que dans un contexte d'une revendication du statut de réfu-, gié, présente ou éventuelle, il semblerait approprié d'appliquer le même test que pour la revendication elle-même. Dans l'arrêt Adjei 4 , cette Cour a déclaré que le test consistait en l'existence de la «possibilité raisonnable» d'un danger ou d'une crainte éprouvée «avec raison>. Comme dans les autres instances introduites devant lui, l'arbitre peut fonder son opinion sur toute source de rensei- gnements qu'il juge crédible et digne de foi.
Vient ensuite la question épineuse de la publicité de l'instance même il est décidé si l'audience sera tenue en public. Dans certaines circonstances, le simple fait d'invoquer le danger pour le deman- deur de statut et pour les membres de sa famille constitue en soi une source de danger. À mon avis, on ne devrait pas surestimer cette possibilité puis- que, comme la Cour l'a fait remarquer dans l'arrêt McVey, à chaque année des milliers de deman- deurs de statut de réfugié s'adressent publique- ment à cette Cour apparemment sans crainte indue des conséquences. Ceci étant dit, cependant, le danger peut se présenter et la difficulté doit être envisagée. Dans McVey, la Cour a commenté l'in- capacité de l'arbitre de rendre une ordonnance interdisant la publication des procédures, en tout ou en partie. Je crois toutefois qu'avec un peu d'ingéniosité, il est possible de concevoir différents moyens de mettre à l'abri les renseignements véri- tablement compromettants. Les personnes présen- tes à l'audition pourraient être obligées de prendre l'engagement (peut-être écrit) de ne pas révéler certains renseignements tant que l'on n'aura pas statué en faveur d'une audition publique, le cas échéant. En outre, ou subsidiairement, certains renseignements pourraient être fournis par écrit à l'arbitre et gardés hors d'atteinte du public jusqu'à ce qu'une telle décision soit prise. Il peut y avoir d'autres possibilités.
En dernier lieu, j'aimerais me prononcer sur les motifs pour lesquels l'arbitre dans la présente affaire a prononcé le huis-clos à l'enquête. Il a dit: [TRADUCTION] Si je suis préoccupé, c'est que les procédures en matière d'immigration peuvent se révéler très éprouvantes pour
° Adjei c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion), [1989] 2 C.F. 680 (C.A.).
les intéressés. La Loi sur l'immigration prévoit deux motifs pour lesquels l'arbitre peut exclure le public. Premièrement, la tenue en public de l'enquête entraverait cette dernière; dans le présent cas, je ne crois pas que la présence des représentants des médias aurait cet effet, mais ce n'est pas tout. Je dois également examiner le second motif, savoir que l'intéressé et les membres de sa famille se trouveraient lésés si l'enquête était tenue en public. Dans le présent cas, je crois pouvoir traiter directement de l'intéressé lui-même; compte tenu de l'institu- tion dans laquelle il se trouve, du fait que, même s'il est limité, on m'a dit qu'il subissait un traitement, étant donné également ma conviction qu'une enquête pourrait, dans ces conditions, être pénible pour l'intéressé et risquerait d'empirer son état de santé ou son état psychiatrique, quel qu'il soit, dans l'intérêt de ce dernier et aussi parce que je crois que la présence des observateurs, représentants des médias, à laquelle il s'oppose, pourrait lui causer du tort, je vais devoir, messieurs, vous exclure des procédures.
Ce raisonnement est, de toute évidence, écarté par l'arrêt McVey, le juge MacGuigan, J.C.A., se prononçant au nom de la Cour, a déclaré la page 352]:
À mon avis, le «stress causé par la présence des médias d'infor- mation», quel que soit son effet sur la santé des participants à la procédure, ne suffit pas en droit pour constituer un préjudice au sens du paragraphe 29(3). Si l'effet sur la santé du demandeur de statut de réfugié était tel qu'il ne pourrait assister à l'en- quête, l'arbitre aurait l'option traditionnelle de l'ajourner, mais tel n'est pas le cas en l'espèce.
Je suis entièrement d'accord avec cette déclara- tion qui découle logiquement de l'objectif du para- graphe 29(3), savoir la protection du demandeur et de sa famille contre le danger entraîné par la publicité faite à la demande dans le pays d'origine. Je ne saurais toutefois exclure la possibilité, peut- être éloignée, qu'un demandeur de statut de réfu- gié puisse présenter une preuve médicale afin de démontrer que sa vie ou sa santé seraient sérieuse- ment menacées s'il y avait audition publique. Une telle situation n'entrerait aucunement dans le cadre législatif de l'article 29 et serait exorbitante des pouvoirs de l'arbitre; la réparation, s'il y en a, relèverait de l'article 24 de la Charte et ne pourrait être accordée que par un tribunal compétent.
Pour ces motifs, j'accueillerais cette demande fondée sur l'article 28, j'annulerais la décision de l'arbitre et je lui renverrais l'affaire afin qu'il en décide d'une manière conforme aux présents motifs.
LE JUGE STONE, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE DÉCARY, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
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