A-60-89
Armando Almeida et Frank Capizzo (requérants)
c.
Sa Majesté la Reine du Chef du Canada représen-
tée par le Conseil du Trésor (intimée)
RÉPERTORIÉ: ALMEIDA c. CANADA (CONSEIL DU TRÉSOR)
(CA.)
Cour d'appel, juges Pratte, Heald et MacGuigan,
J.C.A.—Ottawa, 6 septembre et 12 octobre 1990.
Fonction publique — Relations du travail — Des inspec-
teurs des douanes ont fait l'objet d'une suspension pour avoir
refusé d'obtempérer à des demandes d'enlever des macarons
syndicaux de leurs uniformes — Une réprimande écrite a été
adressée par la suite — Le grief fondé sur l'art. 92(1)b) de la
Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, a été
rejeté — L'arbitre a-t-il commis une erreur en refusant d'exa-
miner le bien-fondé des réprimandes écrites et en ne statuant
pas que le port des macarons constituait une activité syndicale
légitime dont l'exercice était garanti par les art. 6 et 8? — Les
macarons permettaient d'exprimer l'appui à un projet de loi
controversé déposé devant le Parlement — Le port des maca-
rons aurait pu entraîner les employés s'estimant lésés dans un
débat public — Il est important que les inspecteurs des
douanes, à titre d'agents de la paix, inspirent autorité et
contrôle — L'arrêt Quan c. Canada (Conseil du Trésor), qui
confirme le droit des employés de porter des macarons syndi-
caux au travail s'applique-t-il en l'espèce?
Il s'agit d'une demande visant à réviser et à annuler le rejet
d'un grief prononcé par la Commission des relations de travail
dans la fonction publique. Les requérants étaient inspecteurs
des douanes en uniforme à l'aéroport international Pearson à
Toronto. Ils ont fait l'objet d'uné courte suspension pour avoir
refusé d'enlever de leur uniforme des macarons sur lesquels
figuraient l'emblème de leur syndicat et les mots «Keep our
customs inspectors» (Gardons nos inspecteurs des douanes) et
«KEEP OUT DRUGS & PORNO» (empêchons l'entrée de la
drogue et de la porno). Le port de ces macarons enfreignait le
code vestimentaire de l'employeur. Une réprimande écrite a été
adressée par la suite. Les requérants ont présenté des griefs
conformément à l'alinéa 92(1)b) de la Loi sur les relations de
travail dans la fonction publique, qui autorise l'arbitrage des
griefs portant sur »une mesure disciplinaire entraînant le congé-
diement, la suspension ou une sanction pécuniaire». En rejetant
le grief, l'arbitre a statué que même s'il avait compétence pour
réviser la suspension, il n'avait pas la compétence voulue pour
examiner le bien-fondé de la réprimande écrite. Il a statué que
les macarons servaient à communiquer deux messages: (1) que
l'on craignait la réduction des effectifs et (2) que quiconque
portait ce macaron était contre l'importation de drogues et de
matériel pornographique. Ce message sous-entendait que, plus
il y aurait d'inspecteurs des douanes, moins il y aurait de
drogues et de matériel pornographique importés illégalement. Il
a conclu que la plupart des voyageurs ne seraient pas offensés
par le message, mais que celui-ci risquait de provoquer un
débat public sur les opérations de l'employeur. Les macarons
permettaient d'exprimer l'appui à un projet de loi controversé
qui visait à augmenter les sanctions pénales dans la lutte contre
la drogue et la pornographie. Les questions litigieuses consis-
taient à savoir si l'arbitre avait commis une erreur (1) en
refusant d'examiner le bien-fondé des réprimandes écrites et
(2) en ne statuant pas que le port des macarons constituait une
activité syndicale légitime dont l'exercice était garanti par les
articles 6 et 8 de la Loi sur les relations de travail dans la
fonction publique. L'employeur a soutenu que la réprimande
écrite ne pouvait pas faire l'objet d'un grief fondé sur l'alinéa
92(1)b) puisqu'elle n'avait pas entraîné le congédiement, la
suspension ou une sanction pécuniaire. Les requérants ont
invoqué l'arrêt Quan c. Canada (Conseil du Trésor), [1990] 2
C.F. 191 (C.A.) (où il était question d'employés en civil qui
avaient porté des macarons sur lesquels il était écrit, «je suis en
état d'alerte à la grève» pendant les négociations de leur
convention collective) au soutien de la thèse selon laquelle les
employés ont le droit de porter des macarons syndicaux au
travail à moins que l'employeur puisse démontrer qu'une telle
activité nuit à sa capacité de gérer ou à ses opérations.
Arrêt: (le juge MacGuigan, J.C.A., dissident), l'appel devrait
être rejeté.
Le juge Pratte, J.C.A.: Le principe posé dans l'arrêt Quan ne
s'applique pas lorsque le message qui figure sur le macaron ne
se rapporte pas au processus de négociation. Dans un tel cas, il
incombe seulement à l'employeur de ne pas agir arbitrairement.
Le juge Heald, J.C.A.: Il y a lieu de faire une distinction
avec l'arrêt Quan. (1) Les inspecteurs des douanes sont des
agents de la paix chargés d'appliquer et de faire respecter les
lois en matière de douanes et d'accise. L'autorité et le contrôle
qu'ils inspirent ne doit pas se dégrader ou se prêter à des
discussions de la part du grand public. Il est donc justifié qu'ils
soient tenus de porter des uniformes au travail. (2) Les
employés s'estimant lésés dans l'affaire Quan n'avaient pas fait
preuve d'insubordination, contrairement aux requérants en l'es-
pèce, qui ont refusé à maintes reprises d'enlever les macarons.
(3) Les macarons dans l'affaire Quan renfermaient un message
neutre. Ils «n'insultaient ni ne flattaient l'employeur ni n'étaient
critiques à son endroit». Les messages des macarons en l'espèce
n'étaient pas neutres puisqu'ils exprimaient l'appui à un projet
de loi controversé. Le port des macarons au travail risquait
d'entraîner l'employeur dans une confrontation ou un débat
public.
Le juge MacGuigan, J.C.A. (dissident): Le message des
macarons établissant un lien entre la politique du gouverne-
ment, qui favorisait de toute évidence une vigilance accrue aux
douanes plutôt qu'un relâchement de celle-ci, et ce qui était
perçu comme une menace contre les emplois des membres du
syndicat, avait un rapport inhérent avec les affaires syndicales.
La portée de l'arrêt Quan ne se limite pas à une question
d'interprétation de la convention collective, si bien que les
principes qui y sont exposés s'appliquent en l'espèce. L'article 6
de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique
régit la présente affaire.
Conformément à l'arrêt Quan, il n'est nullement nécessaire
que le message du macaron soit neutre. Il peut être tout à fait
lourd de sens pourvu qu'il ne nuise pas à l'employeur.
Il n'y a pas lieu de faire une distinction entre la présente
affaire et l'arrêt Quan du fait que les inspecteurs des douanes
sont tenus de porter un uniforme. Le fait de porter un uniforme
ne constitue qu'un des facteurs dont il faut tenir compte pour
décider si l'employeur peut établir que la conduite de l'employé
nuit à sa réputation ou à ses opérations.
L'arbitre a commis une erreur dans la mesure où il s'est
demandé si le message du macaron «n'aurait pas évoqué des
commentaires ou suscité des débats parmi les passants» après
avoir conclu que la plupart des voyageurs n'en seraient pas
offensés. Il n'aurait pas dû étudier davantage la question du
préjudice que pouvaient causer les macarons et il aurait dû
exiger que l'on prouve, à tout le moins, la possibilité réelle ou
sérieuse qu'un préjudice pouvait être causé à l'employeur.
L'énoncé «KEEP OUT DRUGS & PORNO» (empêchons l'entrée
de la drogue et de la porno), jugé nuisible par l'arbitre,
renvoyait, à. toutes fins utiles, à la propre politique et au propre
projet de loi du gouvernement. En exprimant leur appui à son
égard, les employés ne causent pas de tort aux intérêts de
l'employeur. La réticence qu'éprouve l'employeur à ce que ces
questions soient contestées sur la place publique doit céder le
pas à la liberté des employés d'exprimer leurs préoccupations
vis-à-vis de questions qui se rapportent à leurs conditions de
travail. Une fois que l'employé a démontré que le message
exprime une préoccupation valide de son organisation syndi-
cale, il incombe alors à l'employeur de prouver la possibilité
sérieuse d'un effet nuisible. Il y a lieu, en soupesant ainsi les
intérêts en jeu, de privilégier légèrement le droit des employés
d'exprimer leurs vues au sujet des relations du travail.
L'arbitre a également commis une erreur en rejetant les
griefs relativement aux réprimandes écrites. Il a commis une
erreur en divisant la mesure disciplinaire de l'employeur en
éléments susceptibles de faire l'objet d'un arbitrage et ceux qui
ne le sont pas. Bien que l'alinéa 92(1)b) puisse avoir pour effet
d'empêcher que les griefs qui se rapportent seulement aux
réprimandes écrites soient renvoyés à l'arbitrage, il n'en est pas
ainsi lorsque les réprimandes écrites font partie d'une mesure
disciplinaire qui entraîne la suspension, simplement parce que
la suspension se produit d'abord et que les réprimandes sont
données quelques jours plus tard. Sur le plan des relations du
travail, il existe des considérations qui font en sorte que les
deux mesures disciplinaires imposées en l'espèce doivent faire
l'objet d'un arbitrage. En adressant cette réprimande officielle,
l'employeur voulait fournir une explication par écrit des événe-
ments. Il menaçait également de prendre des mesures discipli-
naires plus graves en cas de récidive. Il s'agissait de l'étape
finale de la réaction de la direction à l'égard du geste qui a
donné lieu à la suspension, soit le fait d'avoir porté un macaron,
si bien qu'elle était du ressort de l'arbitre.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art.
28.
Loi sur les relations de travail dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), chap. P-35, art. 6, 8, 91, 92(1)b).
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Boulis c. Ministre de la Main d'oeuvre et de l'Immigra-
tion, [1974] R.C.S. 875; (1972), 26 D.L.R. (3d) 216.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Quan c. Canada (Conseil du Trésor); Canada (Procureur
général) c. Bodkin, [1990] 2 C.F. 191; (1990), 107 N.R.
147 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Re Canada Post Corp. and Canadian Union of Postal
Workers (1986), 26 L.A.C. (3d) 58; Re Air Canada and
Canadian Air Line Employees' Assoc. (1985), 19 L.A.C.
(3d) 23; Re The Crown in right of Ontario (Ministry of
Solicitor -General) and Ontario Public Service
Employees Union (Polfer) (1986), 23 L.A.C. (3d) 289;
Baril c. Le procureur général du Canada, [1980] 1 C.F.
55; (1979), 106 D.L.R. (3d) 79; 36 N.R. 587 (C.A.).
AVOCATS:
Andrew J. Raven pour les requérants.
Harvey A. Newman pour l'intimée.
PROCUREURS:
Soloway, Wright, Greenberg, Morin, Ottawa,
pour les requérants.
Conseil du Trésor, Services juridiques,
Ottawa, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE, J.C.A.: Je souscris aux motifs
de M. le juge Heald et voudrais seulement ajouter
quelques commentaires.
Le plaidoyer de l'avocat des requérants est
entièrement fondé sur l'arrêt de cette Cour dans
l'affaire Quan'. Selon lui, cet arrêt a posé les deux
principes suivants:
(1) le port d'un macaron syndical par un
employé syndiqué constitue une activité syndi-
cale visée à l'article 6 de la Loi sur les relations
de travail dans la fonction publique [L.R.C.
(1985), chap. P-35];
(2) l'employeur ne peut interdire à ses employés
de porter un macaron syndical pendant les
heures de travail à moins qu'il ne puisse établir
qu'une telle activité nuit à sa capacité de gérer
ou à ses opérations.
Quan c. Canada (Conseil du Trésor), [1990] 2 C.F. 191
(C.A.).
Selon l'avocat des requérants, aucune preuve en
l'espèce ne permettrait d'établir l'existence d'un tel
effet nuisible. Il conclut donc que l'arbitre aurait
commis une erreur en statuant que l'employeur des
requérants avait le droit d'obliger ceux-ci à enlever
le macaron syndical qu'ils portaient.
À mon avis, les requérants interprètent mal le
second principe posé dans l'arrêt Quan. Ce prin-
cipe ne peut être appliqué sans égard à la nature
du message exprimé par le macaron syndical que
portent les employés. Dans l'affaire Quan, le
macaron indiquait simplement que l'employé qui le
portait était «en état d'alerte à la grève». Par
conséquent, le message du macaron se rapportait
directement au processus de négociation collective
tel qu'il est régi par la loi. Dans un tel cas, l'on
peut raisonnablement affirmer que l'employeur ne
saurait empêcher ses employés de porter le maca-
ron syndical pendant les heures de travail, à moins
qu'il ne puisse démontrer qu'une telle activité
nuira à ses opérations. Cependant, le cas est diffé-
rent, lorsque, comme en l'espèce, le message
exprimé par le macaron syndical n'a aucun rapport
avec le processus de négociation. Dans ce cas, le
second principe posé dans l'arrêt Quan ne s'appli-
que pas, et il incombe seulement à l'employeur de
ne pas agir arbitrairement. Par exemple, un
employeur aurait le droit de s'opposer à ce que ses
employés portent, pendant les heures de travail,
des macarons syndicaux par lesquels ils manifes-
tent leur désaccord à l'encontre d'un projet de loi
qui jouit de la faveur de l'employeur, sans que
celui-ci n'ait à prouver que ce geste est nuisible.
Autrement, l'employeur serait en quelque sorte
contraint de collaborer à la diffusion d'idées avec
lesquelles il est en désaccord.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HEALD, J.C.A.: Il s'agit d'une
demande de révision et d'annulation fondée sur
l'article 28, l'encontre de la décision rendue par
Roger Young, un membre de la Commission des
relations de travail dans la fonction publique (l'ar-
bitre) à l'égard d'un grief présenté par chacun des
requérants, en vertu des dispositions de la Loi sur
les relations de travail dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), chap. P-35.
Les faits pertinents ne sont pas contestés et
peuvent être exposés brièvement. En tout état de
cause, chacun des requérants était employé comme
inspecteur des douanes, PM-1, à Revenu
Canada—Douanes et Accise, à l'aéroport interna
tional Pearson de Toronto. Pendant les heures de
travail, ils étaient tenus de porter l'uniforme de
Douanes et Accise. Pendant toute l'époque en
cause, les employés de Douanes et Accise étaient
soumis à un Code de Conduite et d'Apparence
(Pièce 1). Ce code n'était pas une norme de disci
pline négociée faisant partie d'une convention col
lective. Il représentait plutôt une politique que le
Ministère avait imposée unilatéralement. Les dis
positions pertinentes de l'article 54 du Code pré-
voient ce qui suit:
54. ...
f) Employés vêtus d'un uniforme
1) Lorsque les employés des Douanes et de l'Accise por
tent leur uniforme, ils se doivent d'arborer une tenue
soignée parce que leurs uniformes permettent au public de
les identifier aussitôt comme représentants officiels du
gouvernement fédéral. L'apparence d'un agent des Doua-
nes qui travaille constamment auprès du public peut aussi
bien rehausser que détruire non seulement l'image du
Ministère, mais également celle du Canada.
2) Par conséquent, l'employé à qui le Ministère fournit un
uniforme doit le porter intégralement sans ajouter d'arti-
cle qui ne serait pas réglementaire. Les employés vêtus
d'un uniforme sont tenus de l'entretenir c'est-à-dire de
voir à ce qu'il soit nettoyé, réparé et pressé.
Le 31 janvier 1986, les requérants arboreraient
un macaron non réglementaire à la chemise de leur
uniforme pendant leurs heures de travail, l'après-
midi. Ces macarons étaient de forme rectangulaire
et mesuraient environ un pouce et trois-quarts de
haut sur deux pouces trois-quart de large. Ils
étaient de trois couleurs: rouge, blanc et bleu. La
partie du haut—qui occupait le tiers du maca-
ron—avait un fond rouge sur lequel était inscrit en
blanc le message «Keep our customs inspectors»
(Gardons nos inspecteurs des douanes). La partie
du bas avait un fond blanc sur lequel figurait le
message «KEEP OUT DRUGS & PORNO» (empêchons
l'entrée de la drogue et de la porno) imprimé en
majuscules bleu foncé, sauf pour la perluète qui
était rouge. Du côté droit du macaron, à mi-hau
teur, se trouvait l'emblème à trois couleurs de
l'Union Douanes et Accise, qui mesurait trois
quarts de pouce de diamètre. Des représentants de
la direction ont demandé aux requérants d'enlever
les macarons. Ces derniers ont répondu qu'ils
obtempéreraient à cette demande à la condition
qu'elle soit confirmée par écrit. La direction a
ensuite réitéré oralement sa demande pour que
soient enlevés les macarons. Les requérants ont
continué à refuser de les enlever, si bien qu'ils ont
fait l'objet d'une suspension sans traitement et ont
été renvoyés chez eux. Par la suite, en date du 5
février 1986, une réprimande disciplinaire offi-
cielle leur a été adressée. Cette réprimande énon-
çait (Dossier, à la page 002):
[TRADUCTION] Par votre refus d'obtempérer à un ordre légi-
time de votre surintendante et du cadre supérieur vous avez fait
preuve d'insubordination. En conséquence, la présente répri-
mande écrite vous est adressée.
Le 5 mars 1986, les requérants ont présenté des
griefs en vertu de l'alinéa 92(1)b) actuel de la Loi
sur les relations de travail dans la fonction publi-
que, L.R.C. (1985), chap. P-35. Cet alinéa
dispose:
92. (1) Après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la
procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonc-
tionnaire peut renvoyer à l'arbitrage tout grief portant sur:
b) une mesure disciplinaire entraînant le congédiement, la
suspension ou une sanction pécuniaire.
L'arbitre Young a décidé que les griefs des
requérants devaient être rejetés. Avant d'entendre
les griefs sur le fond, l'arbitre a statué sur une
question préliminaire soulevée par l'avocate de
l'employeur. Celle-ci prétendait que l'arbitre
n'avait pas la compétence voulue pour statuer sur
le bien-fondé de la réprimande écrite adressée à
chaque requérant. L'arbitre a décidé que même s'il
avait la compétence voulue pour réviser la suspen
sion des requérants décrétée par l'employeur, il
n'avait «pas compétence pour statuer sur le bien-
fondé de la réprimande écrite» (Dossier, à la page
083).
L'avocat des requérants demande que la déci-
sion de l'arbitre fasse l'objet d'un contrôle judi-
ciaire pour deux motifs: premièrement, parce que
l'arbitre aurait commis une erreur de droit en
statuant à tort qu'il n'était pas compétent pour
examiner le bien-fondé des réprimandes écrites
prononcées en l'espèce et, deuxièmement, parce
que l'arbitre aurait commis une autre erreur en ne
statuant pas que le fait, pour les requérants,
d'avoir porté les macarons susmentionnés, consti-
tuait une activité syndicale légitime dont l'exercice
était garanti par les articles 6 et 8 de la Loi sur les
relations de travail dans la fonction publique et
que, par conséquent, la mesure disciplinaire prise
par l'employeur était injustifiée 2 .
LE FOND
En ce qui concerne cette question, les requérants
invoquent l'arrêt de cette Cour dans l'affaire Quan
c. Canada (Conseil du Trésor) 3 et l'application,
dans cet arrêt, des dispositions de l'article 6 de la
Loi sur les relations de travail dans la fonction
publique, précitée, qui prévoit:
6. Un fonctionnaire peut adhérer à une organisation syndi-
cale et participer à l'activité légitime de celle-ci.
Selon l'avocat des requérants, l'arrêt Quan pose
le principe selon lequel les droits accordés aux
employés en vertu de l'article 6, précité, «ne
devrai(en)t être restreint(s) que lorsque l'em-
ployeur est en mesure de démontrer que cette
activité nuit à sa capacité de gérer et qu'elle porte
atteinte à sa réputation». L'avocat des requérants
prétend que l'arrêt Quan sanctionne le droit des
employés de porter des macarons et autres types
d'insignes syndicales au travail, à moins que l'em-
ployeur ne puisse démontrer, par la preuve, qu'une
telle activité nuit à ses opérations. L'avocat des
requérants prétend en outre que:
[TRADUCTION] Dans chaque cas, il faut soupeser les droits
légitimes des employés de participer aux activités légitimes de
leur syndicat, d'une part, et les droits légitimes de l'employeur
de veiller à ce que de telles activités ne dérangent pas indûment
ses opérations, d'autre part. (Exposé du requérant des points à
débattre, paragraphe 22.)
Selon lui, l'arbitre a commis une erreur de droit
dans la mesure où aucun élément de preuve ne
permettait d'établir que l'activité en cause nuisait
aux opérations de l'employeur et où il n'a pas
semblé soupeser les droits respectifs des parties.
Les circonstances de l'arrêt Quan sont tout à
fait différentes de celles en l'espèce. L'affaire
Quan concernait des employés à l'emploi de la
Commission de l'emploi et de l'immigration du
z Dans leur exposé des faits et du droit, les requérants ont
assimilé la première question à une question de procédure et la
seconde question à une question relative au fond de la demande.
J'aborderai ces questions en employant cette même terminolo-
gie.
[1990] 2 C.F. 191 (C.A.).
Canada. Ces employés n'étaient pas tenus de
porter un uniforme au travail. Au cours des négo-
ciations de leur convention collective, les employés
ont porté des macarons sur lesquels il était écrit
«Je suis en état d'alerte à la grève». On a témoigné
que le port du macaron visait à promouvoir la
solidarité syndicale face à ce que l'on considérait
comme un «piétinement» des négociations pour le
renouvellement d'une convention collective. Le
juge en chef Iacobucci, s'exprimant au nom de la
Cour, a entériné le raisonnement suivi par la Com
mission dans une affaire connexe, Canada (Procu-
reur général) c. Bodkin [[1990] 2 C.F. 191]. À la
page 196 du recueil, le juge cite un passage de la
décision de la Commission où celle-ci analyse le
message que contenait le macaron en l'espèce:
»Au départ, l'employeur ne devrait pas être obligé de tolérer
pendant les heures de travail des affirmations qui sont déni-
grantes à son égard, portent atteinte à sa réputation ou nuisent
à ses opérations. Il s'ensuit qu'on pose un jugement en partie
subjectif lorsqu'on doit décider si un macaron syndical excède
les limites permises. En l'occurrence, le message "Je suis en
état d'alerte à la grève", à mon avis, n'attaque nullement
l'autorité de l'employeur, ni ne porte atteinte à la réputation de
celui-ci. D'autre part, je ne vois pas comment il pourrait nuire
aux opérations de l'employeur. Il s'agit, selon moi, d'un mes
sage neutre qui n'insulte ni ne flatte l'employeur, ni n'est
critique à son endroit. C'est l'énoncé d'une réalité, rien de plus.
Ce macaron, d'après moi, dit simplement que les fonctionnaires
envisagent de faire la grève. Je conçois difficilement qu'un
fonctionnaire, en communiquant cette possibilité au public,
puisse nuire aux opérations de l'employeur.»
Dans l'affaire dont nous sommes saisis, l'arbitre
a résumé la preuve présentée par M. Burns, le chef
des Services—Passagers (à la page 5 de la décision
de la CRTFP, dossiers nos 166-2-17058 et 17059):
M. Burns considérait les macarons comme projetant une
image non professionnelle. Il estimait qu'ils pouvaient susciter
des commentaires du public et un manque de respect envers les
employés. Selon lui, les insignes invitaient les voyageurs à
amorcer un dialogue et un débat. Il était par ailleurs d'avis que
le port des insignes constituait une activité syndicale menée sur
la propriété de l'employeur.
L'arbitre a ajouté (à la page 6 CRTFP):
La direction était d'avis que les insignes faisaient partie
d'une campagne menée par le syndicat contre la politique de
réduction des effectifs envisagée, selon la rumeur, par le gou-
vernement. Le syndicat soutenait que les réductions entraîne-
raient une moins grande vigilance, ce qui aurait pour consé-
quence de favoriser une importation accrue de drogues et de
matériel pornographique. M. Burns a déclaré avoir dit aux
employés s'estimant lésés que les insignes étaient déplacés et
non autorisés. Il leur a dit trois fois de les enlever. Devant leur
refus, il leur a fait remarquer qu'ils faisaient preuve d'insubor-
dination. Finalement, il les a avisés que des mesures disciplinai-
res s'ensuivraient et qu'il leur serait interdit de terminer leur
quart.
En outre, s'exprimant au sujet des exigences de
l'article 54 du Code de Conduite et d'Apparence,
précité, l'arbitre a déclaré [à la page 15 CRTFP]:
On ne peut sérieusement mettre en doute l'autorité de l'em-
ployeur d'imposer des conditions comme celles qui sont conte-
nues dans son code de conduite. En effet, il s'agit ici de la
division de la Fonction publique chargée de faire respecter les
lois du pays en matière de douanes et d'accise. Ses membres
sont des agents de la paix; il est tout à fait justifié qu'ils portent
l'uniforme, qu'ils soient facilement reconnaissables et que leur
apparence inspire autorité et contrôle. Lorsqu'il insiste pour que
cette apparence ne se dégrade pas ou ne se prête pas à des
discussions ou mises en question de la part du grand public,
l'employeur cherche simplement à maintenir l'intégrité de cette
fonction publique.
À peu près comme l'a fait son homologue dans
l'affaire Bodkin, précité, l'arbitre a ensuite analysé
les macarons en cause en l'espèce et a tiré certai-
nes conclusions de cette analyse. Il s'est exprimé
en ces termes (aux pages 18 20 CRTFP):
À mon avis, ces énoncés visaient à transmettre deux messa
ges clairs et distincts, mais liés entre eux. Le premier était que
l'on craignait, effectivement, la réduction éventuelle des effec-
tifs aux Douanes; le second était que quiconque portait ce
macaron était évidemment contre l'importation de drogues et
de matériel pornographique. La signification implicite du mes
sage global est que plus il y aura d'agents des douanes, moins
grande sera la quantité de drogues et de matériel pornographi-
que importés illégalement.
Les macarons étaient astucieusement conçus et leur impact
visuel certain. Ils ne sont pas déplaisants à l'ceil. Selon toute
probabilité, la vaste majorité des Canadiens revenant au pays
ou des visiteurs arrivant au Canada et qui doivent passer aux
douanes ne seraient pas offensés par le message. Cela ne veut
pas dire que tous les Canadiens ou tous les visiteurs seraient
nécessairement favorables à ce message, ni que celui-ci n'aurait
pas évoqué des commentaires ou suscité des débats parmi les
passants, lesquels auraient pu avoir des répercussions négatives
sur les opérations de l'employeur.
Au moment de la présentation de la preuve, il a été concédé
que le projet de loi déposé au Parlement—et auquel les
employés prétendent avoir accordé leur appui en portant les
macarons en question—n'avait pas fait l'unanimité. On se
souviendra, en effet, que le fond de ce projet de loi avait été
l'objet de débats animés, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du
Parlement. Cela renforce ma conclusion selon laquelle le fait de
porter ces insignes aurait très bien pu entraîner les employés
dans un débat public avec les personnes qui, pour une raison ou
pour une autre, n'auraient pas partagé leur point de vue. Aussi
louable que l'appui des employés s'estimant lésés eût pu être, le
fait qu'ils portaient les macarons en question pendant qu'ils
étaient de service et en contact étroit avec le public risquait de
provoquer des affrontements ou discussions concernant les opé-
rations de l'employeur.
Je conclus donc que c'est pour un motif valable et raisonna-
ble que la direction a demandé aux employés s'estimant lésés
d'enlever les insignes incriminés le soir en question, alors qu'ils
étaient au lieu de travail sur la propriété de l'employeur. La
direction a accordé aux employés suffisamment de temps pour
qu'ils puissent faire le point et se conformer à ses instructions;
en fait, elle semble avoir fait face à la situation avec énormé-
ment de tact et de patience. Les employés ont refusé de se
conformer aux désirs de la direction après plusieurs demandes
claires. On les a avisé que, s'ils n'obéissaient pas, ils ne seraient
pas rémunérés pour le reste de leur quart.
Je suis d'avis que la direction a exercé légitimement et à bon
droit son pouvoir lorsqu'elle a empêché les employés s'estimant
lésés de continuer à remplir leurs fonctions le soir en question.
Par cette décision, elle ne se trouvait pas à priver les employés
de leur droit d'exprimer leurs opinions personnelles ou politi-
ques en dehors des heures de travail, ni à priver le syndicat de
la possibilité de mener ses activités légitimes.
Les griefs sont donc rejetés.
Il ressort des passages précités que l'arrêt Quan
se distingue de la présente affaire à plusieurs
égards. Premièrement, les employés en l'espèce
sont des agents de la paix, chargés d'appliquer et
de faire respecter nos lois en matière de douanes et
d'accise. Il est important que l'apparence de ces
employés «inspire autorité et contrôle» et qu'elle ne
se «dégrade pas ou ne se prête pas à des discussions
ou mises en question de la part du grand public». À
la lumière de ces circonstances, l'on comprend
pourquoi les employés sont tenus de porter des
uniformes au travail. Une telle justification ne
semble pas exister dans le cas des employés visés
dans l'arrêt Quan. Deuxièmement, dans l'affaire
Quan, les employés s'estimant lésés n'avaient pas
fait preuve d'insubordination. En l'espèce, les
requérants ont refusé d'obtempérer à plusieurs
demandes de l'employeur d'enlever le macaron
incriminé, si bien qu'ils ont effectivement fait
preuve d'insubordination. Troisièmement, les
macarons en cause dans l'arrêt Quan renfermaient
un «message neutre», qui constituait «d'énoncé
d'une réalité, rien de plus» qui «n'insult(ait) ni ne
flatt(ait) l'employeur ni n'(était) critique à son
endroit».
Contrairement aux messages que renfermaient
les macarons dans l'affaire Quan, les messages des
macarons en l'espèce n'ont rien de «neutre».
Comme l'a signalé l'arbitre, les employés qui arbo-
raient ce macaron exprimaient leur appui à un
projet de loi déposé devant le Parlement. Or, ce
projet de loi avait été sujet à controverse, et il avait
été l'objet «de débats animés» quant au fond. À
partir de ces circonstances de fait, l'arbitre a
conclu que le fait de porter ces macarons «aurait
très bien pu entraîner les employés dans un débat
public». A mon avis, d'après les éléments de preuve
versés au dossier, c'est à bon droit que l'arbitre a
conclu que le port des macarons au travail risquait
d'entraîner l'employeur dans une confrontation ou
un débat public. A mon avis, il ne saurait être
question de taxer l'arbitre d'avoir commis une
erreur de droit ou d'être arrivé à une conclusion
erronée sans égard à la preuve. L'arbitre a cons-
taté des éléments de fait et en a tiré des conclu
sions. Aussi, lui était-il tout à fait loisible d'en
arriver, selon moi, à ces constatations et à ces
conclusions. Pareillement, j'estime que l'arbitre a
bel et bien soupesé les droits et les aspirations
légitimes des employés par rapport à ceux de
l'employeur. J'en arrive à cette conclusion en me
fondant sur les commentaires de l'arbitre énoncés
dans les deux derniers paragraphes de ses motifs
(aux pages 19 et 20 CRTFP), précités. À mon
avis, il ressort clairement de ce passage que l'arbi-
tre
savait qu'il devait soupeser les droits respectifs
des parties et que, de fait, il est arrivé à sa
conclusion seulement après l'avoir fait. En consé-
quence, et pour ces motifs, j'ai conclu que l'arbitre
n'a pas commis d'erreur susceptible d'être révisée 4 .
LA COMPÉTENCE DE L'ARBITRE
Puisque j'en suis arrivé à la conclusion que
l'arbitre n'a pas commis d'erreur susceptible d'être
révisée lorqu'il a entériné la suspension des requé-
rants, il ne m'est plus nécessaire d'examiner
davantage l'argument selon lequel l'arbitre aurait
commis une erreur en refusant de statuer sur le
bien-fondé des réprimandes écrites que l'em-
ployeur a adressées aux requérants.
4 Pour arriver à cette conclusion, j'ai gardé à l'esprit les
principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt
Boulis c. Ministre de la Main d'oeuvre et de l'Immigration,
[1974] R.C.S. 875, la p. 885. Dans cet arrêt, le juge Laskin
(alors juge puîné) a invité les cours d'appel à ne pas examiner à
la loupe les motifs des tribunaux administratifs. M. le juge
Laskin a également affirmé qu'»il suffit qu'ils laissent voir une
compréhension des questions (soulevées) et de la preuve qui
porte sur ces questions, sans mention détaillée». A mon avis,
lorsque les motifs de l'arbitre sont lus dans leur ensemble, ils
satisfont au critère énoncé dans l'arrêt Boulis.
CONCLUSION
Pour les motifs exposés ci-dessus, j'ai conclu que
la demande fondée sur l'article 28 devrait être
rejetée.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN, J.C.A. (dissident): Les
requérants sont des inspecteurs des douanes en
uniforme à l'aéroport international Pearson de
Toronto. Ils ont déposé des griefs sous le régime de
la Loi sur les relations de travail dans la fonction
publique («la LRTFP» ou «la Loi»), griefs par
lesquels ils contestaient la mesure disciplinaire
prise contre eux sous la forme d'une brève suspen
sion de leurs fonctions et d'une réprimande écrite
subséquente pour avoir censément enfreint le code
vestimentaire de l'employeur. On leur reprochait
d'avoir porté, pendant leurs heures de service,
l'après-midi du 31 janvier 1986, des macarons non
réglementaires à la chemise de leur uniforme. Les
macarons étaient de forme rectangulaire, mesu-
raient environ deux pouces sur trois pouces et
portaient l'emblème de leur syndicat ainsi que
deux slogans, «Keep our customs inspectors» (Gar-
dons nos inspecteurs des douanès), en lettres
minuscules, et «KEEP OUT DRUGS & PORNO»
(empêchons l'entrée de la drogue et de la porno),
en majuscules, plus grosses.
À la demande des parties, les deux griefs ont été
réunis. Ils ont été portés devant un membre («l'ar-
bitre») de la Commission des relations de travail
dans la fonction publique («la Commission»), qui
les a rejetés dans une décision rendue le 25 janvier
1989. La présente demande vise à réviser et annu-
ler cette décision.
I
Les dispositions pertinentes du Code de Conduite
et d'Apparence institué par le ministère-employeur
se lisent ainsi (aux pages 36 38):
TENUE
54. a) Exposé de principe
Pour rencontrer l'objectif des Douanes et Accise, la
tenue et l'apparence de ses employés doivent faire res-
sortir l'aspect professionnel du Ministère. La tenue et
l'apparence de l'employé ne doivent porter aucun préju-
dice à la santé et à la sécurité de l'employé, ni porter
atteinte au rendement au travail des autres employés.
b) Responsabilités de l'employé
Tous les employés sont tenus de soigner leur apparence
personnelle (simplicité, propreté et bonne tenue) et
d'éviter tout ce qui pourrait porter atteinte à la santé et
à la sécurité, au rendement au travail des autres
employés ainsi qu'à l'image que projette le Ministère
vis-à-vis de la population.
f) Employés vêtus d'un uniforme
(1) Lorsque les employés des Douanes et de l'Accise
portent leur uniforme, ils se doivent d'arborer une tenue
soignée parce que leurs uniformes permettent au public
de les identifier aussitôt comme représentants officiels
du gouvernement fédéral. L'apparence d'un agent des
Douanes qui travaille constamment auprès du public
peut aussi bien rehausser que détruire non seulement
l'image du Ministère, mais également celle du Canada.
(2) Par conséquent, l'employé à qui le Ministère fournit
un uniforme doit le porter intégralement sans ajouter
d'article qui ne serait pas réglementaire. Les employés
vêtus d'un uniforme sont tenus de l'entretenir, _c'est-à-
dire de voir à ce qu'il soit nettoyé, réparé et pressé.
MESURES DISCIPLINAIRES
56. Lorsque les employés enfreignent les présentes normes, des
mesures disciplinaires peuvent s'ensuivre. Cependant, les mesu-
res prises par la direction doivent être plutôt positives que
répressives et ce, dans le but de corriger un comportement
inacceptable. Cette attitude positive s'avère essentielle si l'on
veut inciter un employé à mettre en valeur et déployer une
disposition d'esprit positive, à améliorer son rendement, et à se
conformer de son propre chef aux présentes normes.
57. Lorsqu'il y a lieu de prendre des mesures disciplinaires, la
sévérité de ces mesures doit tenir compte de la nature de
l'inconduite et des antécédents de l'employé. Lorsque des délits
d'ordre mineur sont commis pour la première fois, et que par
ailleurs l'employé exerce ses fonctions de façon satisfaisante, il
s'ensuivra normalement un avertissement oral ou une répri-
mande par écrit qui indiquera à l'employé les mesures.qu'il doit
prendre pour se corriger et l'amélioration qui s'impose. Si la
conduite de l'employé ne s'améliore pas, des mesures encore
plus sévères doivent alors être prises comme la suspension ou en
dernier ressort, le congédiement. Les employés coupables de
délits graves sont passibles de congédiement immédiat ou de
suspension prolongée sans traitement.
58. Les mesures disciplinaires doivent être prises en conformité
avec les mécanismes appropriés de délégation de pouvoir en
vertu du Règlement sur les conditions d'emploi dans la Fonc-
tion publique et de la politique ministérielle sur la discipline et
les procédures disciplinaires.
Le droit essentiel d'adhérer à une organisation
syndicale est prévu à l'article 6 de la Loi, qui
dispose:
6. Un fonctionnaire peut adhérer à une organisation syndi-
cale et participer à l'activité légitime de celle-ci.
Les employés ont présenté leurs griefs en vertu
de l'article 91 actuel de la Loi et ceux-ci ont été
renvoyés à l'arbitrage en vertu de l'article 92
actuel. Les dispositions pertinentes de ces articles
prévoient:
91. (1) Sous réserve du paragraphe (2) et si aucun autre
recours administratif de réparation ne lui est ouvert sous le
régime d'une loi fédérale, le fonctionnaire a le droit de présen-
ter un grief à tous les paliers de la procédure prévue à cette fin
par la présente loi, lorsqu'il s'estime lésé:
a) par l'interprétation ou l'application à son égard:
(i) soit d'une disposition législative, d'un règlement—
administratif ou autre—d'une instruction ou d'un autre acte
pris par l'employeur concernant les conditions d'emploi,
(ii) soit d'une disposition d'une convention collective ou
d'une décision arbitrale;
b) par suite de tout fait autre que ceux mentionnés aux
sous-alinéas a)(i) ou (ii) et portant atteinte à ces conditions
d'emploi.
[Le paragraphe (2) traite de l'approbation de
l'unité de négociation.]
92. (1) Après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la
procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonc-
tionnaire peut renvoyer à l'arbitrage tout grief portant sur:
a) l'interprétation ou l'application, à son endroit, d'une dispo
sition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;
b) une mesure disciplinaire entraînant le congédiement, la
suspension ou une sanction pécuniaire.
[Le paragraphe (2) traite de l'approbation de
l'unité de négociation.]
II
D'entrée de jeu à l'audience devant la Commis
sion, l'employeur a soulevé l'objection préliminaire
selon laquelle l'arbitre n'avait pas la compétence
voulue pour entendre ces griefs, au motif que la
réprimande écrite représentait la seule mesure dis-
ciplinaire imposée et qu'elle ne pouvait faire l'objet
d'un grief en vertu de l'alinéa 91(1)b) de la Loi,
puisqu'elle n'avait pas entraîné la suspension, le
congédiement ou une sanction financière.
Cet argument repose sur une interprétation par-
ticulière des faits. Lorsque leur supérieur leur a
ordonné d'enlever les macarons incriminés, les
employés s'estimant lésés, ont décidé, après y avoir
réfléchi, qu'ils obtempéreraient à cet ordre à la
condition de recevoir une confirmation de celui-ci
par écrit. On leur a donné le choix d'enlever les
macarons ou de se voir refuser l'entrée au lieu de
travail et d'être renvoyés chez eux. Devant l'arbi-
tre, l'employeur a soutenu que la perte de salaire
subie par les employés était le résultat de leurs
propres gestes, et non de ceux de la direction.
L'employeur avait simplement appliqué le principe
selon lequel l'employé a droit à la rémunération
des services qu'il rend. Selon lui, la mesure prise
par la direction était d'ordre administratif plutôt
que disciplinaire et pour ce motif, elle n'était pas
du ressort de l'arbitre.
L'arbitre a statué comme suit sur cette objection
préliminaire (aux pages 14 16 CRTFP):
En ce qui concerne l'objection préliminaire, je suis d'avis que
j'ai compétence pour entendre et trancher au moins une partie
de l'affaire qui nous occupe. À la lumière du jugement récent
prononcé par la Cour d'appel fédérale dans Stefan Wodos-
lawsky et l'Office national du Film (Dossier de la Cour
A-553-88) et de la teneur d'une décision antérieure rendue par
ce tribunal dans Massip c. le Canada (1985) 61 N.R. 114, je ne
pense pas qu'on puisse dire que la perte de travail, et donc de
salaire, subie par les employés pour le reste de leur quart le 31
janvier 1986 résultait d'une simple décision administrative ou
se justifiait par l'application du principe voulant que l'employé
ait droit à la rémunération des services qu'il rend.
Les employés se trouvaient clairement à contester une ligne
directrice de la direction—le Code de conduite et d'apparen-
ce—visant à favoriser l'ordre et une bonne tenue au lieu de
travail. Lorsque la violation du code vestimentaire par les
employés en cause a été portée à son attention, la direction a
tenté, quoiqu'elle l'ait fait poliment et personnellement, d'ame-
ner les employés à se conformer au Code. Elle leur a répété
cette demande à plusieurs reprises, mais les employés ont
répondu qu'ils obéiraient si on leur ordonnait de le faire par
écrit. (Cette exigence est plutôt étrange; si la direction y avait
acquiescé, l'ordre en question aurait été redondant, puisque le
code vestimentaire est déjà un document imprimé.) Comme les
employés ne se sont pas conformés à la demande de la direc
tion, on leur a interdit de retourner à leurs postes de travail et
ordonné de rentrer chez eux pour le reste de leur quart. Cette
mesure équivaut, quant à moi, à une suspension.
Une telle mesure peut être considérée uniquement comme
une sanction disciplinaire. C'était une tentative claire de la part
de la direction de maintenir l'ordre et le contrôle—autrement
dit, la discipline—dans le lieu de travail. En fait, dans le code
vestimentaire même, on mentionne que des mesures disciplinai-
res peuvent être prises pour amener un employé à se conformer
aux normes. Par conséquent, je conclus que j'ai compétence
pour me prononcer sur cet aspect de la mesure prise par
l'employeur, à savoir la suspension. L'employeur, cependant, a
agi en deux temps. En plus de la suspension pour le reste du
quart qui leur a été imposée le 31 janvier 1986, les employés
s'estimant lésés ont subséquemment reçu une réprimande
écrite. L'avocate de l'employeur a soutenu que j'avais compé-
tence pour entendre uniquement la partie du grief concernant
la suspension. Je suis d'accord; je n'ai pas compétence pour
statuer sur le bien-fondé de la réprimande écrite.
L'intimé a admis devant nous que cette décision
de l'arbitre relativement à sa compétence était
bien fondée. Cependant, les requérants ont con
testé le refus de l'arbitre de statuer sur le bien-
fondé de la réprimande écrite. Puisque je n'ai pas à
me prononcer sur cette question à moins que les
requérants ne réussissent à faire valoir leur argu
ment à l'égard du port du macaron, j'aborde
d'abord cette dernière question.
III
L'arbitre a motivé ainsi sa décision sur la question
principale (aux pages 18 20 CRTFP):
La plupart des affaires citées par l'avocat des employés
concernaient le port d'insignes ou de macarons du syndicat
plutôt que le genre d'insigne dont il est question ici. Par
ailleurs, ces affaires découlaient d'allégations selon lesquelles la
direction, en interdisant le port de tels insignes, se rendait
coupable de pratiques déloyales de travail qui restreignaient les
activités légitimes des syndicats concernés. En l'espèce, les
macarons allaient beaucoup plus loin que le simple insigne que
porte parfois un syndiqué ou un délégué syndical. Ces macarons
contenaient deux affirmations explicites: la première, «keep our
customs inspectors» (gardons nos inspecteurs de douanes), ins-
crite en lettres minuscules mais très lisibles; la seconde, «KEEP
OUT DRUGS & PORNO» (empêchons l'entrée de la drogue
et de la porno), imprimée en caractère gras haut de casse.
À mon avis, ces énoncés visaient à transmettre deux messa
ges clairs et distincts, mais liés entre eux. Le premier était que
l'on craignait, effectivement, la réduction éventuelle des effec-
tifs aux Douanes; le second était que quiconque portait ce
macaron était évidemment contre l'importation de drogues et
de matériel pornographique. La signification implicite du mes
sage global est que plus il y aura d'agents des douanes, moins
grande sera la quantité de drogues et de matériel pornographi-
que importés illégalement.
Les macarons étaient astucieusement conçus et leur impact
visuel certain. Ils ne sont pas déplaisants à l'ceil. Selon toute
probabilité, la vaste majorité des Canadiens revenant au pays
ou des visiteurs arrivant au Canada et qui doivent passer aux
douanes ne seraient pas offensés par le message. Cela ne veut
pas dire que tous les Canadiens ou tous les visiteurs seraient
nécessairement favorables à ce message, ni que celui-ci n'aurait
pas évoqué des commentaires ou suscité des débats parmi les
passants, lesquels auraient pu avoir des répercussions négatives
sur les opérations de l'employeur.
Au moment de la présentation de la preuve, il a été concédé
que le projet de loi déposé au Parlement—et auquel les
employés prétendent avoir accordé leur appui en portant les
macarons en question—n'avait pas fait l'unanimité. On se
souviendra, en effet, que le fond de ce projet de loi avait été
l'objet de débats animés, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du
Parlement. Cela renforce ma conclusion selon laquelle le fait de
porter ces insignes aurait très bien pu entraîner les employés
dans un débat public avec les personnes qui, pour une raison ou
pour une autre, n'auraient pas partagé leur point de vue. Aussi
louable que l'appui des employés s'estimant lésés eût pu être, le
fait qu'ils portaient les macarons en question pendant qu'ils
étaient de service et en contact étroit avec le public risquait de
provoquer des affrontements ou discussions concernant les opé-
rations de l'employeur.
Je conclus donc que c'est pour un motif valable et raisonna-
ble que la direction a demandé aux employés s'estimant lésés
d'enlever les insignes incriminés le soir en question, alors qu'ils
étaient au lieu de travail sur la propriété de l'employeur. La
direction a accordé aux employés suffisamment de temps pour
qu'ils puissent faire le point et se conformer à ses instructions;
en fait, elle semble avoir fait face à la situation avec énormé-
ment de tact et de patience. Les employés ont refusé de se
conformer aux désirs de la direction après plusieurs demandes
claires. On les a avisé que, s'ils n'obéissaient pas, ils ne seraient
pas rémunérés pour le reste de leur quart.
Je suis d'avis que la direction a exercé légitimement et à bon
droit son pouvoir lorsqu'elle a empêché les employés s'estimant
lésés de continuer à remplir leurs fonctions le soir en question.
Par cette décision, elle ne se trouvait pas à priver les employés
de leur droit d'exprimer leurs opinions personnelles ou politi-
ques en dehors des heures du travail, ni à priver le syndicat de
la possibilité de mener ses activités légitimes.
Les griefs sont donc rejetés.
À mon avis, l'arbitre a correctement analysé le
message qui se trouvait sur les macarons. Cette
analyse mérite d'être soulignée. L'arbitre a
d'abord fait remarquer que les macarons compre-
naient deux énoncés. Le premier énoncé se rappor-
tait aux agents des douanes et le second se rappor-
tait à la drogue et à la pornographie. L'arbitre
avait déjà interprété le sens du second énoncé
lorsqu'il a fait remarquer ce qui suit, plus tôt dans
sa décision (à la page 7 CRTFP):
Revenu Canada avait adopté comme position d'appliquer rigou-
reusement les lois en matière de drogue et de pornographie. Le
gouvernement avait déposé un projet de loi en Chambre qui
visait à augmenter les sanctions criminelles imposées aux
infracteurs.
D'autre part, même si les macarons compre-
naient deux énoncés, l'arbitre a constaté qu'ils
n'exprimaient qu'un seul message: «plus il y aura
d'agents des douanes, moins grande sera la quan-
tité de drogues et de matériel pornographique
importés illégalement». En d'autres mots, dans son
message, il est clair que l'organisation syndicale
faisait un lien entre ce qu'elle percevait comme
une menace contre les emplois de ses membres et
la politique du gouvernement qui favorisait de
toute évidence une vigilance accrue aux douanes
plutôt qu'un relâchement de celle-ci. En analysant
ainsi le message, il devient évident qu'il a un
rapport inhérent avec les affaires syndicales.
Suite à cette analyse, l'arbitre en est venu à une
première conclusion que, «Selon toute probabilité,
la vaste majorité des Canadiens revenant au pays
ou des visiteurs arrivant au Canada et qui doivent
passer aux douanes ne seraient pas offensés par le
message.» Cependant, l'arbitre a alors statué que le
fait que les employés portent des macarons «pen-
dant leur service risquait de provoquer des affron-
tements ou discussions concernant les opérations
de l'employeur». À mon avis, cette dernière conclu
sion est mal fondée à la lumière de l'arrêt unanime
de cette Cour dans l'affaire Quan c. Canada (Con-
seil du Trésor), [1990] 2 C.F. 191, rendu après la
décision de l'arbitre en l'espèce.
L'arrêt Quan portait lui aussi sur une «affaire de
macaron». Dans cette affaire, les macarons en
cause renfermaient la phrase «Je suis en état
d'alerte à la grève». Dans cet arrêt, il s'agissait
également de résoudre une question supplémen-
taire relativement à l'interprétation qu'il fallait
donner à une clause restrictive d'une convention
cadre intervenue entre les parties. Toutefois, la
Cour a statué que le libellé plus large de l'article 6
de la Loi en matière d'adhésion à une organisation
syndicale devait avoir préséance sur les termes de
la convention. À mon avis, contrairement à ce que
prétend l'intimée, la portée de l'arrêt Quan ne se
limite pas à une question d'interprétation contrac-
tuelle, si bien que l'article 6, tel qu'il a été appliqué
dans l'arrêt Quan, régit manifestement la présente
affaire. Par conséquent, celle-ci doit être jugée à la
lumière des principes entérinés dans l'arrêt Quan.
Dans l'arrêt Quan, le juge en chef Iacobucci a
souscrit, au nom de la Cour, au raisonnement suivi
par la Commission dans la décision Canada (Pro-
cureur général) c. Bodkin [[1990] 2 C.F. 191],
dont il a d'ailleurs cité dans l'arrêt Quan le pas
sage suivant, à la page 196:
Pour décider si un macaron syndical est acceptable ou pas, on
doit forcément considérer le message qu'il contient. En fait, les
deux parties m'ont invitée à faire précisément cela. Au départ,
l'employeur ne devrait pas être obligé de tolérer pendant les
heures de travail des affirmations qui sont dénigrantes à son
égard, portent atteinte à sa réputation ou nuisent à ses opéra-
tions. Il s'ensuit qu'on pose un jugement en partie subjectif
lorsqu'on doit décider si un macaron syndical excède les limites
permises. En l'occurrence, le message «Je suis en état d'alerte à
la grève», à mon avis, n'attaque nullement l'autorité de l'em-
ployeur, ni ne porte atteinte à la réputation de celui-ci. D'autre
part, je ne vois pas comment il pourrait nuire aux opérations de
l'employeur. Il s'agit, selon moi, d'un message neutre qui
n'insulte ni ne flatte l'employeur, ni n'est critique à son endroit.
C'est l'énoncé d'une réalité, rien de plus. Ce macaron, d'après
moi, dit simplement que les fonctionnaires envisagent de faire
la grève. Je conçois difficilement qu'un fonctionnaire, en com-
muniquant cette possibilité au public, puisse nuire aux opéra-
tions de l'employeur. En fait, il n'y a aucune preuve que
l'activité en question a effectivement eu pareilles conséquences.
Quant à savoir si le contenu du macaron risquait d'avoir les
effets craints par l'employeur, il aurait fallu que les événements
qui nous occupent, la possibilité—voire l'imminence—d'une
grève, ce que laisse croire si l'on interprète le message du
macaron en ce sens, était une réalité que les Canadiens avaient
apprivoisée. Je doute sérieusement qu'un membre du public ait
été empêché de vaquer à ses affaires dans un ministère donné
en raison du fait que les fonctionnaires y travaillant songeant
[sic] simplement à faire la grève.
Selon ce critère, il n'est nullement nécessaire
que le message du macaron soit «neutre». Il peut
être tout à fait lourd de sens, pourvu qu'il ne nuise
pas à l'employeur. À mon avis, l'on peut dégager
les principes suivants de la décision rendue dans
l'affaire Bodkin, à laquelle a explicitement souscrit
cette Cour dans l'arrêt Quan: premièrement, le fait
de porter un macaron qui se rapporte aux affaires
syndicales dans son sens large constitue une acti-
vité légitime à moins que «l'employeur ne soit en
mesure de démontrer que cette activité nuit à sa
capacité de gérer (ou) qu'elle porte atteinte à sa
réputation» 5 . Deuxièmement, lorsque l'arbitre
apprécie la gravité d'un tel préjudice éventuel, il
doit chercher à connaître le résultat probable de
cette activité plutôt que d'envisager une quelcon-
que faible possibilité «Quant à savoir si le contenu
5 Cette citation est tirée d'un paragraphe précédent de la
décision de la Commission auquel le juge en chef Iacobucci a
également souscrit, à la p. 196.
du macaron risquait d'avoir les effets craints par
l'employeur». En l'espèce, il est directement ques
tion de ce second principe.
Les deux principes précédents sont consacrés par
la jurisprudence récente dans le domaine des rela
tions de travail. Dans la décision Re Canada Post
Corp. and Canadian Union of Postal Workers
(1986), 26 L.A.C. (3d) 58, aux pages 67 et 68,
l'arbitre Outhouse fait une synthèse exacte, selon
moi de cette jurisprudence:
[TRADUCTION] À mon avis, les arrêts précités sont facile-
ment conciliables et il s'en dégage un principe commun. Ces
arrêts posent simplement le principe que l'employeur doit être
en mesure de démontrer un intérêt supérieur pour pouvoir
justifier des restrictions imposées à la liberté d'expression d'un
employé, particulièrement lorsque celui-ci cherche à exercer
cette liberté dans le cadre d'une activité syndicale légitime.
Comme nous l'avons vu dans les arrêts précités, il arrivera
souvent que le maintien de l'ordre au lieu de travail et le
maintien de bons rapports avec la clientèle soient assimilés à de
tels intérêts supérieurs. Par conséquent, tant qu'ils sont au
travail, les employés n'ont pas le droit de s'exprimer oralement
ou par écrit d'une manière qui vise à entraver la production ou
de porter atteinte à la réputation de l'employeur vis-à-vis de sa
clientèle. Par ailleurs, dans la mesure où elle n'entrave pas la
production ou ne nuise pas aux rapports avec la clientèle,
l'employeur ne saurait validement restreindre la liberté d'ex-
pression de l'employé et son droit de participer à des activités
syndicales légitimes.
L'arbitre s'est fondé sur ce principe juridique pour
accueillir le grief déposé à l'égard du slogan [TRA-
DUCTION] «6 nov.—Journée nationale de manifes
tation» qui figurait sur le macaron en l'espèce.
La jurisprudence ne fait aucune distinction selon
que l'employé qui portait le macaron était alors
vêtu d'un uniforme ou non. Dans l'affaire Re
Canada Post Corp., les employés qui portaient les
macarons, quoique non vêtus d'un uniforme, tra-
vaillaient derrière un guichet et avaient des rap
ports directs avec le public. Dans l'affaire Re Air
Canada and Canadian Air Line Employees'
Assoc. (1985), 19 L.A.C. (3d) 23, un grief syndi-
cal a été accueilli à l'égard des macarons sur
lesquels il était écrit [TRADUCTION] «J'appuie la
CALEA». Ces macarons avait été portés par des
employés en uniforme des lignes aériennes qui
avaient des rapports avec le public. Dans l'affaire
Re The Crown right of Ontario (Ministry of
Solicitor -General) and Ontario Public Service
Employees Union (Polfer) (1986), 23 L.A.C. (3d)
289, un grief déposé au nom d'un agent de sécurité
vêtu d'un uniforme du Protective Service du gou-
versement de l'Ontario qui avait été assermenté
comme constable spécial sous le régime de la Loi
sur la police [L.R.O. 1980, chap. 381] et nommé à
titre de gardien sous le régime de la Loi sur la
protection des ouvrages publics [L.R.O. 1980,
chap. 426] de cette province, a été accueilli à
l'encontre de l'ordre qu'il avait reçu d'enlever un
insigne de délégué syndical. Cet agent était notam-
ment chargé de surveiller les manifestations des
autres employés syndiqués.
En l'espèce, les requérants portaient un uni-
forme et ils avaient été assermentés comme agents
de la paix. Il se peut que l'on doive prendre en
considération d'autres facteurs dans le cas d'agents
chargés d'exercer des fonctions policières ou des
fonctions d'agent de sécurité. Cependant, à mon
avis, le fait que les employés en l'espèce aient porté
un uniforme ne nous oblige pas, à lui seul, à établir
une distinction entre la présente affaire et l'affaire
Quan, où les employés étaient également, sans
doute, en contact avec le public 6 . À l'exception des
cas où les agents seraient armés, ce qui pourrait
constituer un facteur supplémentaire pour en con-
clure que le geste de l'employé était répréhensible,
le fait de porter un uniforme ne constitue, selon
moi, qu'un des facteurs dont il faut tenir compte
pour décider si l'employeur peut établir que la
conduite de l'employé nuit à sa réputation ou à ses
opérations. Selon moi, rien ne justifie que l'on
établisse une distinction, pour ce seul motif, entre
les employés des douanes en l'espèce, et les
employés d'Emploi et Immigration, dans l'affaire
Quan.
À mon avis, l'arbitre a commis une erreur de
droit en l'espèce dans la mesure où, après avoir
conclu que la vaste majorité de ceux qui le
voyaient ne seraient pas offensés par le message du
macaron, il a poursuivi en se demandant si «tous
les Canadiens ou tous les visiteurs seraient (. . .)
favorables à ce message». L'arbitre s'est notam-
ment demandé si le macaron n'aurait pas évoqué
des commentaires ou suscité des débats parmi les
passants» (c'est moi qui souligne). Sa conclusion,
selon laquelle le fait de porter les macarons «ris-
quait de provoquer des affrontements ou discus -
6 L'arbitre saisi de l'affaire Quan a statué que le fait de
porter un macaron pouvait nuire aux relations de l'employeur
avec sa clientèle et risquait de porter atteinte à sa réputation
auprès du public. Cette décision présupposait évidemment que
les employés étaient en contact avec le public.
sions concernant les opérations de l'employeur»
(encore une fois, c'est moi qui souligne) est au
même effet. L'arbitre aurait dû exiger que l'on
prouve à tout le moins la possibilité réelle ou
sérieuse qu'un préjudice pouvait être causé à l'em-
ployeur. Qui plus est, ayant déjà conclu que la
vaste majorité de ceux qui le voyait ne seraient pas
offensés par le message des macarons, l'arbitre ne
pouvait plus, en toute logique, étudier davantage la
question du préjudice que pouvaient causer les
macarons.
En outre, bien que l'arbitre ait attentivement
analysé le message et qu'il l'ait fait correctement à
mon avis, il ne semble pas en avoir tenu compte
par la suite. Ce n'est pas le message lui-même qu'il
a jugé nuisible à l'employeur, mais seulement
l'énoncé subsidiaire, «KEEP OUT DRUGS & PORNO».
Or, cet énoncé renvoyait, à toutes fins utiles, à la
propre politique et à son propre projet de loi.
Même si l'employeur devait admettre que son
projet de loi faisait l'objet de controverse, il ne
saurait prétendre que ses employés causaient du
tort à ses intérêts en exprimant leur appui à son
égard. Il faut présumer que le gouvernement
estime que son projet de loi comporte plus d'avan-
tages que d'inconvénients.
La seule chose qui eut pu être jugée nuisible à
l'employeur était le véritable message des maca-
rons, lequel s'inférait des deux énoncés distincts.
Toutefois l'on n'a présenté, aucun élément de
preuve ou argument à l'effet que ce message était
nuisible en soi et l'arbitre n'a pas statué en ce sens.
L'employeur ne voit certes pas d'un bon oeil que
l'organisation syndicale conteste, même implicite-
ment, ses politiques de gestion sur la place publi-
que. Cependant, cette considération doit céder le
pas à la liberté des employés d'exprimer leurs
préoccupations vis-à-vis de questions qui se rappor-
tent à leurs conditions de travail, et jugées essen-
tielles par leur organisation syndicale. En d'autres
mots, une fois que l'employé a démontré que le
message sur son macaron exprime une préoccupa-
tion valide de son organisation syndicale, il
incombe alors à l'employeur de prouver la possibi-
lité sérieuse d'un effet nuisible. À défaut pour
l'employeur de pouvoir s'acquitter de ce fardeau, le
droit des employés d'exprimer leurs vues au sujet
des relations de travail doit prévaloir. Il s'agit en
quelque sorte de soupeser les intérêts en jeu, pour
reprendre une expression parfois employée dans la
jurisprudence en matière de relations de travail.
Cependant, il y a lieu de privilégier légèrement le
droit des employés d'exprimer leurs vues au sujet
des relations de travail.
L'intimée a également voulu appliquer aux faits
en l'espèce le principe général selon lequel l'em-
ployé doit «obéir d'abord, se plaindre ensuite». A
mon avis, l'arbitre a admirablement tranché cette
question dans le passage suivant (à la page 16
CRTFP):
En ce qui a trait à la suspension, il est généralement reconnu
que les principes tels que «obéir d'abord, se plaindre ensuite» et
les manquements à la discipline telle l'insubordination n'entrent
pas en ligne de compte, sauf dans des circonstances exception-
nelles, lorsque le litige porte sur une question d'apparence
personnelle. A cet égard, je m'appuie sur l'ouvrage de Brown et
Beatty, Canadian Labour Arbitration (2» éd.,) pages 427 et
447. Un facteur clé dont il faut tenir compte est de savoir si le
processus de règlement des griefs aurait permis aux employés
en cause d'obtenir un redressement adéquat. Dans l'affaire
Williamson (supra), le président de la Commission a exprimé
l'avis que le fait d'avoir le droit de renvoyer un tel grief à un
tribunal impartial fait partie intégrante de la question d'un
redressement adéquat.
Iv
Ayant décidé que l'arbitre a commis une erreur en
rejetant les griefs à l'égard de la suspension décré-
tée contre les employés, je dois maintenant décider
si ces griefs doivent également être accueillis rela-
tivement aux réprimandes écrites.
L'alinéa 92(1)b) de la LRTFP a pour effet de
restreindre la procédure interne de règlement des
griefs aux griefs de moindre importance et de
permettre l'arbitrage de griefs devant l'arbitre
nommé sous le régime de la loi seulement s'il porte
sur «une mesure disciplinaire entraînant le congé-
diement, la suspension ou une sanction pécuniaire».
Cette disposition a pour effet d'empêcher que les
griefs qui se rapportent seulement aux répriman-
des écrites soient renvoyés à l'arbitrage.
Cependant, l'on peut se demander si l'alinéa
92(1)b) a également cet effet dans les cas où,
comme en l'espèce, les réprimandes écrites font
partie intégrante d'une mesure disciplinaire qui
entraîne effectivement la suspension, simplement
parce que la suspension se produit d'abord, et les
réprimandes sont données quelques jours plus
tard? J'estime qu'une telle interprétation juridique
ne s'impose pas, ni du point de vue de l'interpréta-
tion des lois', ni de celui des relations de travail.
De fait, même si la Loi ne permet pas de statuer
sur cette question, je crois que, sur le plan des
relations de travail, il existe des considérations qui
font en sorte que les deux mesures disciplinaires
imposées en l'espèce doivent faire l'objet d'un
arbitrage.
La plupart des mesures disciplinaires font l'objet
d'un avis écrit que l'on communique aux employés
touchés. Généralement, cet avis énonce l'incon-
duite reprochée, l'attitude de l'employé à son égard
et le motif de la mesure disciplinaire. Il est illogi-
que de prétendre que l'arbitre puisse évaluer l'op-
portunité d'une suspension disciplinaire mais non
pas la justification écrite de cette mesure.
En l'espèce, la réprimande écrite portait exclusi-
vement sur le motif pour lequel l'arbitre avait jugé
que la suspension disciplinaire d'une journée avait
été imposée, comme le montre le passage pertinent
de la réprimande, adressée au requérant Almeida,
le 5 février 1986 (Dossier, à la page 2):
[TRADUCTION] Le 31 janvier 1986, vous étiez affecté à
l'inspection à la Section des bagages secondaires des douanes à
l'aérogare 2.
Pendant votre quart de travail, la surintendante intérimaire,
S. Gerstl, vous a demandé d'enlever un macaron syndical que
vous portiez sur la chemise de votre uniforme au motif qu'il
n'était pas réglementaire et, qu'en outre, le port de ce macaron
non réglementaire était assimilé au fait d'exercer des activités
syndicales dans les locaux du Ministère.
Bien que l'ordre d'enlever le macaron vous ait été répété,
vous avez refusé d'y obtempérer et vous avez été dûment avisé
que ce refus pouvait entraîner une mesure disciplinaire.
Au cours d'une discussion avec B. S. Burns, chef du Service
aux passagers, vous avez encore une fois refusé d'obtempérer à
l'ordre d'enlever le macaron syndical de votre uniforme et de
retourner au poste de travail auquel vous aviez été affecté.
Par votre refus d'obtempérer à un ordre légitime de votre
surintendante et du cadre supérieur, vous avez fait preuve
d'insubordination. En conséquence, la présente réprimande
écrite vous est adressée. La direction souhaite sincèrement que
la présente réprimande écrite vous fera prendre conscience de la
gravité de vos gestes, lesquels ont été aggravés du fait qu'un
cadre supérieur vous a avisé que des mesures disciplinaires
pouvaient être prises contre vous.
L'intimé n'a pu citer qu'un seul arrêt au soutien de cet
argument, Baril c. Le procureur général du Canada, [1980] 1
C.F. 55 (C.A.) où les parties ont admis que le grief ne pouvait
être renvoyé à l'arbitrage en vertu de l'alinéa 92(1)b) actuel et
où l'on a tenté, sans succès, de faire admettre la recevabilité de
l'arbitrage en vertu de l'alinéa 92(1)a) en alléguant que le grief
se rapportait à l'application d'une disposition d'une convention
collective.
Une récidive de votre part pourrait entraîner des mesures
disciplinaires plus graves encore.
En adressant cette réprimande par la suite, l'em-
ployeur voulait manifestement fournir une explica
tion par écrit des événements du 31 janvier 1986.
Il menace également de prendre des mesures disci-
plinaires plus graves en cas de récidive. J'estime
que la réprimande constitue certainement l'étape
finale de la réaction de la direction à l'égard du
geste qui a donné lieu à la suspension, soit le fait
d'avoir porté un macaron. À mon avis, elle est du
ressort de l'arbitre, à moins que la Loi ne nous
oblige à en conclure autrement.
Or, selon mon interprétation de la disposition
législative, tel n'est pas le cas. La Loi prescrit
plutôt que la mesure disciplinaire doit entraîner le
congédiement, la suspension ou une sanction pécu-
niaire pour que l'arbitre puisse être saisi du grief.
Une fois que cette condition est remplie, comme
c'est le cas en l'espèce, la Loi ne précise pas la
portée de la compétence de l'arbitre. A mon avis, il
n'est nullement nécessaire d'interpréter cette dis
position restrictivement. Qui plus est, une interpré-
tation restrictive dans les circonstances de l'espèce
aurait pour effet d'empêcher l'arbitre de tenir
compte de la mesure disciplinaire intégrale.
Je conclus donc que l'arbitre a commis une
erreur de droit lorsqu'il a voulu scinder la mesure
disciplinaire imposée par l'employeur en deux élé-
ments, dont l'un pouvait être renvoyé à l'arbitrage
alors que l'autre ne le pouvait pas.
V
En conséquence, la demande devrait être accueil-
lie, la décision de l'arbitre rendue le 25 janvier
1989 devrait être annulée et la question devrait
être renvoyée à l'arbitre aux fins d'un réexamen
qui soit compatible avec ces motifs.
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