A-537-87
Sa Majesté la Reine (appelante) (défenderesse)
c.
Philip Conway (intimé) (demandeur)
RÉPERTORIÉ: WEATHERALL C. CANADA (PROCUREUR GENERAL)
(CA.)
Cour d'appel, juges Heald, Marceau et Desjardins,
J.C.A.—Ottawa, Zef et 2 mai et 13 juillet 1990.
Pénitenciers — La présence non annoncée de gardiens du
sexe féminin dans les unités résidentielles de détenus du sexe
masculin (»rondes éclairs») et la fouille par palpation de ces
mêmes détenus par des gardiens du sexe féminin dans un
pénitencier ne sont pas contraires aux art. 7, 8 ou 15 de la
Charte — Pour déterminer si une fouille est abusive au sens de
l'art. 8, il faut mettre en balance l'intérêt qu'a le public à
garantir aux femmes l'égalité d'accès à l'emploi et à améliorer
la qualité de la vie carcérale et l'intrusion dans la vie privée
des particuliers — Une simple observation ou surveillance
constitue-t-elle une fouille?
Droit constitutionnel — Charte des droits — Procédures
criminelles et pénales — Pénitenciers — Appel d'un jugement
par lequel la Section de première instance a jugé que la
présence non annoncée de gardiens du sexe féminin dans les
unités résidentielles de détenus du sexe masculin durant la
journée dans des situations ne présentant pas de caractère
d'urgence contrevenait à l'art. 8 de la Charte parce qu'elle
constitue une fouille abusive — L'appel est accueilli — L'inté-
rêt qu'a le public à l'égard de la sécurité en milieu carcéral, de
l'égalité d'accès à l'emploi pour les femmes et de l'améliora-
tion de la qualité de la vie carcérale l'emporte sur l'intrusion
dans la vie privée des particuliers — C'est à bon droit que le
juge de première instance a statué que la fouille par palpation
des détenus du sexe masculin par des gardiens du sexe féminin
ne portait pas atteinte à l'art. 8 de la Charte parce qu'il s'agit
d'une intrusion négligeable dans la vie privée.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Droits à
l'égalité — On prétend qu'il y a une inégalité de traitement
entre les détenus du sexe masculin et ceux du sexe féminin car
seuls les premiers font l'objet de fouilles par palpation et de
rondes de surveillance de la part de personnes du sexe opposé
— Cette présumée inégalité n'est pas créée par la loi, mais par
une politique d'embauche — Elle n'est pas préjudiciable au
point de constituer une discrimination — Elle respecte les
différences sociales entre les hommes et les femmes — L'art.
15(2) de la Charte ne valide que les inégalités inhérentes au
programme d'action positive lui-même.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et
sécurité — L'art. 7 de la Charte ne s'applique pas aux fouilles
par palpation et à la présence de gardiens du sexe féminin
dans les unités résidentielles des détenus du sexe masculin
dans les pénitenciers.
Il s'agit d'un appel du jugement par lequel le juge de
première instance a déclaré qu'au pénitencier de Collins Bay les
gardiens du sexe féminin ne peuvent légalement observer les
détenus du sexe masculin dans leur cellule, sans leur consente-
ment formel ou implicite, lorsqu'une telle observation n'a été
portée ni à la connaissance générale des détenus concernés, ni
préalablement annoncée. L'intimé, qui est détenu à Collins
Bay, ne s'est plaint d'aucun incident précis mais plutôt de deux
usages généralement répandus, à savoir les fouilles par palpa
tion effectuées sur les détenus du sexe masculin par des gar-
diens du sexe féminin et la présence des gardiens du sexe
féminin dans les unités résidentielles des détenus du sexe mas-
culin dans des situations ne présentant pas de caractère d'ur-
gence. Les fouilles par palpation sont effectuées systématique-
ment à certains postes, partout dans l'établissement. L'intimé
prétend que ces fouilles sont abusives du simple fait qu'elles
sont effectuées par des personnes du sexe opposé. Les gardiens
entrent à l'intérieur des unités résidentielles des détenus pour
procéder au dénombrement régulier des prisonniers quatre fois
par jour, pour effectuer des rondes de surveillance (qui sont
qualifiées de «rondes éclairs»), lesquelles ont lieu toutes les
heures mais à intervalles irréguliers afin de créer un élément de
surprise, ou pour amener les prisonniers ailleurs. L'intimé s'est
plaint du fait qu'il arrive aux gardiens du sexe féminin de voir
des détenus du sexe masculin déshabillés, ou occupés à des
activités intimes telles que l'utilisation des toilettes. Le juge de
première instance a conclu qu'il y avait un conflit entre le droit
que possèdent les détenus à la protection de leur vie privée et le
droit des femmes à l'égalité des chances en matière d'emploi au
sein du système carcéral fédéral. Il a écarté l'application de
l'article 7 de la Charte, qui est un article plus général, étant
donné que l'article 8, qui protège contre les fouilles, les saisies
et les perquisitions abusives, s'appliquait plus particulièrement
à l'affaire. Il s'est dit d'avis que les activités reprochées—
l'examen obligatoire, par des fonctionnaires, de locaux, de
personnes et d'activités dans le but de faire respecter la loi—
répondaient à la définition du mot »fouille». Pour déterminer si
cette fouille était abusive, il a estimé que le caractère raisonna-
ble de l'exécution comprenait le respect des règles normales de
la décence dans la mesure où cela est normalement permis par
les restrictions découlant implicitement de la situation. Il s'est
dit d'avis que l'on pouvait trouver des solutions de rechange
acceptables au sujet des visites à l'improviste. Il a conclu que,
sauf en cas d'urgence, les arondes éclairs» de jour constituaient
une intrusion inutile dans la vie privée des détenus du sexe
masculin (la nuit, les prisonniers peuvent prendre des précau-
tions pour se couvrir). Il a jugé que la fouille par palpation ne
donnait lieu qu'à une intrusion négligeable dans la vie privée et
que même si l'intrusion n'était pas négligeable, son caractère
très limité était contrebalancé par l'intérêt public. Quant à
l'allégation d'inégalité de traitement découlant du fait que seuls
les hommes font l'objet de fouilles et de rondes de surveillance
de la part de personnes du sexe opposé, le juge de première
instance a fait référence au programme d'action positive et au
paragraphe 15(2). L'inégalité résultant de l'absence de pro
gramme d'action positive permettant aux hommes de travailler
dans les prisons fédérales pour femmes était également proté-
gée par le paragraphe 15(2).
Arrêt: l'appel devrait être accueilli.
Le juge Desjardins, J.C.A. (avec l'appui du juge Heald,
J.C.A.): La garantie de protection prévue par l'article 8 contre
les fouilles, les saisies et les perquisitions abusives ne vise
qu'une attente raisonnable. Il faut apprécier si le droit du
public de ne pas être importuné par le gouvernement doit céder
le pas au droit du gouvernement de s'immiscer dans la vie
privée des particuliers afin de réaliser ses fins et, notamment,
d'assurer l'application de la loi. Le juge de première instance
était tenu de déterminer ce qu'une personne raisonnable consi-
dérerait raisonnable dans les circonstances. Même si le fait
d'être vu à partir de la ceinture lorsqu'on utilise les lavabos
choque jusqu'à un certain point les convenances sociales et
constitue une atteinte à la vie privée des détenus, que le gardien
soit du sexe masculin ou du sexe féminin, les rondes de surveil
lance effectuées sous forme de dénombrements ou de «rondes
éclairs» sont nécessaires pour maintenir l'ordre et pour s'assurer
que les prisonniers sont vivants. La distinction que le juge de
première instance a faite entre les «rondes éclairs» de jour et
celles qui sont effectuées la nuit par des personnes du sexe
opposé n'était pas justifiée. Les détenus ne sont pas toujours
nécessairement capables de prendre des précautions pour éviter
d'être vus dans des situations embarrassantes la nuit, et annon-
cer les «rondes éclairs» rendrait celles-ci inutiles. Le fait pour
les gardiens du sexe féminin de «monter la garde» pendant que
les gardiens du sexe masculin effectuent la ronde de surveil
lance créerait deux catégories de gardiens. La présence de
gardiens du sexe féminin sert l'intérêt public parce qu'elle
permet aux femmes d'occuper des emplois auxquels elles
n'avaient jusqu'alors pas accès et parce qu'elle améliore la
qualité de la vie carcérale et favorise la réadaptation des
détenus. Toute diminution de la charge de travail des gardiens
du sexe féminin pourrait nuire davantage au système carcéral
que l'atteinte à la vie privée dont se plaint l'intimé. À tout
prendre, les objectifs poursuivis par l'État l'emportent sur les
préoccupations de l'intimé. Aucune violation de l'article 8 n'est
commise lorsque les «rondes éclairs» de jour sont effectuées par
des gardiens du sexe féminin. La présence continuelle de gar-
diens du sexe féminin dans les unités résidentielles du péniten-
cier pour des raisons professionnelles n'est pas déraisonnable.
Le juge de première instance a eu raison de ne pas appliquer
l'article 7 de la Charte. La fouille par palpation des détenus du
sexe masculin par des gardiens du sexe féminin ne constitue pas
une violation des droits garantis par les articles 7, 8 ou 15.
Le juge Marceau, J.C.A. (motifs concordants quant au dis-
positif): Une simple observation ou surveillance effectuée à la
vue de tous ne peut pas constituer une fouille au sens de
l'article 8 de la Charte. Même si c'était une fouille, les caracté-
ristiques de la personne qui effectue l'observation ou la surveil
lance, c'est-à-dire son sexe, son statut civil, sa couleur, sa
condition sociale ou son âge, n'ont pas d'incidence sur la
«façon» dont la fouille est effectuée et ne sont pas susceptibles
de rendre abusive une fouille qui serait par ailleurs raisonnable.
Finalement, une personne qui est reconnue coupable d'un crime
punissable par l'incarcération dans un pénitencier n'a pas rai-
sonnablement le droit de s'attendre à ce que la surveillance à
laquelle elle sera assujettie sera effectuée par une personne qui
possède des caractéristiques qu'elle juge acceptables. Une fois
qu'on a établi qu'en milieu carcéral, la surveillance est néces-
saire, la présence d'agents professionnels du sexe féminin n'a
pas plus de conséquence pour l'application de l'article 8 que la
présence d'infirmières dans un hôpital.
Le juge de première instance a confirmé le caractère raison-
nable de la fouille par palpation au sens de l'article 8 et la
validation exceptionnelle de toute inégalité en vertu de l'article
15 en tenant compte du programme d'action positive visant à
offrir des chances d'emploi aux femmes. C'était un facteur
étranger à la mise en balance du droit de l'individu de s'atten-
dre raisonnablement à la protection de sa vie privée et du droit
du gouvernement de s'immiscer dans la vie privée des particu-
liers dans le but de réaliser ses fins. Il n'était pas lié à la fouille
elle-même. Le paragraphe 15(2) a pour seul but de valider
l'inégalité inhérente au programme d'action positive lui-même.
Si la protection de la Charte s'étendait effectivement aux
atteintes portées aux sentiments, ce ne pourrait être que par
l'intermédiaire du concept de la sécurité de la personne prévu à
l'article 7. Le programme d'action positive serait alors examiné
en fonction de l'exigence de la justice fondamentale et les effets
néfastes éventuels sur les sentiments personnels de quelques
personnes seraient facilement contrebalancés par les autres
considérations opposées relatives à l'intérêt public, à savoir la
promotion de l'équité dans l'emploi et l'amélioration des condi
tions psychologiques au sein de la prison.
L'article 15 ne s'applique pas du simple fait que, contraire-
ment aux détenus du sexe féminin, les détenus du sexe masculin
font l'objet de fouilles par palpation et de surveillance de la part
de personnes du sexe opposé. Cette «inégalité. est créée par une
politique d'embauche et une directive spéciale et non par une
règle de droit. Elle ne cause pas un préjudice aux hommes
d'une façon suffisamment grave pour qu'on puisse parler de
discrimination et elle respecte les différences sociales entre les
hommes et les femmes.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), appendice II, n° 44], art. 7, 8, 15,
24(2), 28.
Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C.,
chap. 1251.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145;
(1984), 55 A.R. 291; 11 D.L.R. (4th) 641; [1984] 6
W.W.R. 577; 33 Alta. L.R. (2d) 193; 27 B.L.R. 297; 14
C.C.C. (3d) 97; 2 C.P.R. (3d) 1; 41 C.R. (3d) 97; 9
C.R.R. 355; 84 DTC 6467; 55 N.R. 241; R. c. Collins,
[1987] 1 R.C.S. 265; (1987), 38 D.L.R. (4th) 508;
[1987] 3 W.W.R. 699; 13 B.C.L.R. (2d) 1; 33 C.C.C.
(3d) 1; 56 C.R. (3d) 193; 28 C.R.R. 122; 74 N.R. 27.
DÉCISION INFIRMÉE:
Weatherall c. Canada (Procureur général), [1988] 1 C.F.
369; (1987), 59 C.R. (3d) 247; 11 F.T.R. 279 (1"° inst.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821; (1979), 105
D.L.R. (3d) 745; 50 C.C.C. (2d) 495; 16 C.R. (3d) 294;
30 N.R. 380; R. v. John (1986), 28 C.C.C. (3d) 200; 24
C.R. 105; 40 M.V.R. 191 (C.A.C.-B.).
DÉCISIONS CITÉES:
R. v. Institutional Head of Beaver Creek Correctional
Camp, Ex p. MacCaud, [1969] 1 O.R. 373; (1969), 2
D.L.R. (3d) 545; [1969] 1 C.C.C. 371; 5 C.R.N.S. 317
(C.A.); R. v. Anderson (1984), 45 O.R. (2d) 225; 7
D.L.R. (4th) 306; 10 C.C.C. (3d) 417; 39 C.R. (3d) 193;
2 O.A.C. 258 (C.A.); R. v. Hebb (1985), 66 N.S.R. (2d)
91; 152 A.P.R. 91; 17 C.C.C. (3d) 545; 33 M.V.R. 174
(C.A.); R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30; (1988),
63 O.R. (2d) 281; 44 D.L.R. (4th) 385; 37 C.C.C. (3d)
449; 62 C.R. (3d) 1; 31 C.R.R. 1; 82 N.R. 1; 26 O.A.C.
I; Weatherall c. Canada (Procureur général), [1989] 1
C.F. 18; (1988), 65 C.R. (3d) 27; 19 F.T.R. 160; 86 N.R.
168 (C.A.).
DOCTRINE
Canada, Chambre des communes. Comité permanent de
la Justice et des questions juridiques. Sous-comité sur
le Régime d'institutions pénitentiaires au Canada.
Rapport au Parlement. Ottawa: Ministre des Approvi-
sionnements et Services du Canada, 1977.
AVOCATS:
Brian J. Saunders pour l'appelante (défende-
resse).
Fergus O'Connor et Donald Bailey pour l'in-
timé (demandeur).
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
l'appelante (défenderesse).
O'Connor, Ecclestone and Kaiser, Kingston,
Ontario, pour l'intimé (demandeur).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU, J.C.A. (motifs concor-
dants quant au résultat): Je conviens volontiers
avec Madame le juge Desjardins que le présent
appel doit être accueilli, mais les motifs qui
m'amènent à cette conclusion diffèrent à ce point
des siens que je m'estime obligé d'exprimer mes
vues personnelles, ne serait-ce que brièvement.
Il ne servirait à rien que je passe à nouveau en
revue les faits et la procédure: je m'en reporte
simplement aux motifs de ma collègue. Pour intro-
duire et rendre compréhensibles les brefs commen-
taires que je désire formuler, il me suffira de
répéter les aspects essentiels des conclusions du
juge de première instance [[1988] 1 C.F. 369].
En ce qui concerne les fouilles par palpation des
détenus du sexe masculin par des gardiens du sexe
féminin, le juge de première instance en est venu à
la conclusion que l'atteinte à la vie privée qu'elles
impliquaient était trop «négligeable» pour soulever
un problème relativement à l'article 8 de la Charte
canadienne des droits et libertés [qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap.
11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, n° 44]].
L'inégalité de traitement entre les femmes et les
hommes qui résulte du fait que seuls les hommes
font l'objet de fouilles par palpation de la part de
personnes du sexe opposé pourrait mettre en jeu
l'interdiction formulée au paragraphe 15(1), mais
elle est validée, en vertu du paragraphe 15(2), par
le programme d'action positive adopté pour per-
mettre aux femmes de bénéficier de chances d'em-
ploi adéquates au sein du service correctionnel
fédéral. En ce qui concerne les rondes de surveil
lance effectuées par des gardiens du sexe féminin
dans les unités où résident effectivement les prison-
niers du sexe masculin, le juge de première ins
tance a conclu que, sauf en cas d'urgence, l'article
8 de la Charte protège les détenus, durant les
heures normales de veille, de ces rondes de surveil-
lances faites à l'improviste. De fait, ces «rondes
éclairs» sont, à son avis, des fouilles au sens de
l'article 8 et, lorsqu'elles sont effectuées par des
gardiens du sexe féminin, elles constituent une
atteinte à la dignité humaine parce qu'elles vont à
l'encontre des normes sociales de la décence.
Quant à la question de savoir si cette atteinte à la
vie privée des détenus du sexe masculin ne pouvait
être validée par le programme d'action positive, il
a estimé qu'elle ne le pouvait pas, car l'interdiction
des rondes de surveillance non prévues ou non
annoncées effectuées par des gardiens du sexe
féminin ne créerait pas de graves problèmes admi-
nistratifs dans les établissements et ne nuirait pas
de façon significative à la carrière des agents du
sexe féminin. Ainsi donc, le juge de première
instance a jugé bon de trancher l'action de la façon
suivante:
La Cour statue que:
1) au pénitencier de Collins Bay, les gardiennes ne peuvent pas
légalement, sauf en cas d'urgence, observer des détenus de
sexe masculin dans leur cellule, sans leur consentement
formel ou implicite, lorsqu'une telle observation n'a été ni
portée à la connaissance générale des détenus concernés, ni
préalablement annoncée par des voies normales;
2) aucuns dépens ne sont adjugés.
Si j'ai bien compris ses motifs, le juge Desjar-
dins accepte l'approche du juge de première ins
tance et suit un raisonnement qui correspond au
sien. Son désaccord provient, en fait, d'une appré-
ciation différente de l'importance relative des inté-
rêts opposés en présence. Plus particulièrement,
elle attache plus d'importance que le juge de pre-
mière instance au programme d'action positive—
étant donné que la preuve démontrait que non
seulement le programme avait atteint son objectif
premier d'offrir des chances d'emploi aux femmes
mais qu'il avait amélioré de façon considérable le
climat carcéral—et elle ne croit pas, d'après la
preuve produite, qu'une interdiction comme celle
qu'a ordonné le juge de première instance laisse-
rait le programme intact.
Mes objections au raisonnement et aux conclu
sions du juge de première instance sont beaucoup
plus importantes que celles de ma collègue, et
l'approche que j'adopterais pour trancher l'action
diffère de façon marquée de la sienne.
Je débuterai avec les objections que je désire
formuler au sujet de la forme du jugement décla-
ratoire qui a été prononcé. Ces objections sont
minimes, évidemment, mais je les mentionne parce
qu'elles font partie de ma réaction, et qu'en fait
elles ne sont pas sans rapport avec les points plus
importants que j'aborderai par la suite.
Il me semble que tel qu'il est formulé, le juge-
ment déclaratoire ne pouvait être pleinement exé-
cutoire et qu'il ne correspondait pas tout à fait aux
conclusions auxquelles il était censé donner effet.
D'une part, les conditions et les restrictions aux-
quelles l'interdiction a été assujettie auraient
rendu l'ordonnance très difficile à appliquer. Les
notions de «consentement implicite» et de «voies
normales» sont en elles-mêmes très vagues, mais,
plus particulièrement, le terme «observer» ne
semble pas, dans les circonstances, parfaitement
approprié. Une déclaration d'inconstitutionnalité
aurait, à mon sens, eu un caractère plus définitif et
plus précis. D'autre part, le fait que l'ordonnance
ne s'applique qu'à Collins Bay ne correspond pas
aux conclusions de la demande' et ne s'accorde pas
parfaitement avec la preuve. On ne sait pas avec
' Par souci de commodité, je reproduis le texte des conclu
sions de la demande:
(Suite à la page suivante)
certitude sur quel fondement on peut prétendre
que l'«observation» faite à Collins Bay pourrait
être différente de celle qui aurait lieu dans d'autres
pénitenciers et, si l'appréciation doit se borner à
Collins Bay, on ne sait pas exactement pourquoi on
devrait tenir compte de l'avantage d'offrir des
chances d'emploi aux femmes ailleurs qu'à Collins
Bay pour apprécier l'importance relative des inté-
rêts opposés en présence.
Je passe maintenant aux véritables objections
que je crois devoir formuler au sujet du jugement
du juge de première instance.
D'abord et avant tout, je ne peux souscrire au
fondement du jugement déclaratoire, en l'occur-
rence la conclusion que l'observation ou la surveil
lance à l'improviste des détenus du sexe masculin
dans leurs unités résidentielles par des gardiens du
sexe féminin constituerait une violation de l'article
8 de la Charte. Voici pourquoi.
Il ne me semble pas qu'une simple observation
ou surveillance effectuée à la vue de tous puisse
constituer une fouille au sens de l'article 8 de la
Charte. À mon avis, une fouille suppose un effort
en vue de découvrir quelque chose de caché, pour
forcer le bouclier qui protège ce qu'on cherche à
tenir secret, pour faire échouer les tentatives que
fait une personne pour garder cachés certains élé-
ments se rapportant à sa vie ou à sa personnalité.
Il est vrai que durant une période de surveillance
ou au cours d'une ronde de patrouille dans un
pénitencier, on peut entreprendre une fouille à la
suite d'observations ayant éveillé des soupçons. Il
est également vrai que dans le milieu carcéral, le
détenu perd en grande partie son droit de regard
sur ce qu'il peut désirer cacher et soustraite à un
examen minutieux public. Mais cela ne fait pas
une fouille d'une simple surveillance (comparer
avec R. v. Hebb (1985), 66 N.S.R. (2d) 91 (C.A.).
Si l'on suppose, pour les fins du débat, qu'il
s'agit d'une fouille, je ne vois pas comment je
(Suite de la page précédente)
[TRADUCTION] Un jugement déclarant illégales:
I. Les fouilles par palpation effectuées par des gardiens du
sexe féminin sur des détenus du sexe masculin et impliquant
un contact corporel dans des situations non urgentes;
II. La présence de gardiens du sexe féminin ou leur affecta
tion à des tâches qui leur permettraient normalement d'ob-
server des détenus du sexe masculin dans les salles de toilette
ou dans un endroit où ils sont dévêtus;
III. Sauf dans des situations d'urgence, les rondes effectuées
par des gardiens du sexe féminin dans les unités résidentielles
des prisonniers du sexe masculin; ...
pourrais me convaincre que les caractéristiques de
l'individu qui effectue l'observation ou la surveil
lance, comme par exemple son sexe, son statut
civil, sa couleur, sa condition sociale ou son âge,
pourraient être considérées comme des facteurs qui
ont une incidence sur la «façon» dont la fouille est
effectuée et qui sont en conséquence susceptibles
de rendre abusive une fouille qui serait par ailleurs
raisonnable. Et j'irais plus loin pour exprimer à
fond ma pensée. Même si je devais être convaincu
qu'une surveillance constitue une fouille et que les
caractéristiques individuelles de la personne qui
effectue la surveillance ont une incidence sur la
façon dont la fouille est effectuée et qu'elles peu-
vent rendre la fouille abusive au sens de l'article 8
de la Charte, je pense que je ne pourrais jamais
accepter qu'une personne qui est reconnue coupa-
ble d'un crime punissable par l'incarcération dans
un pénitencier s'attende raisonnablement à ce que
la surveillance à laquelle elle sera nécessairement
assujettie sera effectuée uniquement par une per-
sonne qui possède des caractéristiques qu'elle juge
acceptables. À mon avis, si la Charte peut être
interprétée comme garantissant la protection des
intérêts personnels et des sentiments comme ceux
qui sont invoqués en l'espèce, qu'ils se rattachent à
la modestie naturelle, au milieu culturel ou à des
préoccupations d'ordre religieux, ce n'est pas par
l'intermédiaire de l'article 8. Une fois qu'on a
établi qu'en milieu carcéral, la surveillance, y com-
pris les rondes de patrouille faites à l'improviste
dans les unités résidentielles, est nécessaire, la
présence d'agents professionnels du sexe féminin
n'a pas plus de conséquence pour l'application de
l'article 8 que la présence d'infirmières ne devrait
en avoir en milieu hospitalier.
Il me paraît également difficile d'accepter le
raisonnement qu'a suivi le juge de première ins
tance pour rejeter la prétention que la fouille par
palpation d'un détenu du sexe masculin par un
gardien du sexe féminin violerait l'interdiction
énoncée à l'article 8 de la Charte parce qu'une
telle fouille est abusive, et celle de l'article 15 de la
Charte, parce qu'elle crée une inégalité entre les
hommes et les femmes. C'est, on s'en souviendra,
en tenant compte du programme d'action positive
visant à offrir des chances d'emploi aux femmes
que le juge de première instance a confirmé le
caractère raisonnable de la fouille au sens de l'arti-
cle 8 et la validation exceptionnelle de toute inéga-
lité en vertu de l'article 15.
Dans l'arrêt de principe Hunter et autres c.
Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, la Cour
suprême du Canada a précisé que pour déterminer
si une fouille est raisonnable au sens de l'article 8,
il fallait mettre en balance le droit de l'individu de
s'attendre raisonnablement à la protection de sa
vie privée, c'est-à-dire sons droit de s'attendre
raisonnablement à «ne pas être importuné par le
gouvernement», et le «droit du gouvernement de
s'immiscer dans la vie privée des particuliers afin
de réaliser ses fins et, notamment, d'assurer l'ap-
plication de la loi» (aux pages 159 et 160). L'offre
de chances d'emploi aux femmes est, il me semble,
un facteur étranger à cette analyse; elle n'est
manifestement pas liée directement à la fouille
elle-même. Si une fouille est abusive parce qu'elle
porte atteinte au droit du particulier de s'attendre
raisonnablement à la protection de sa vie privée,
comment le fait qu'elle contribue à offrir des
chances d'emploi peut-il rendre cette fouille
raisonnable?
Et d'essayer de valider l'inégalité présumée de
traitement dont il est question au paragraphe
15 (1) de la Charte en parlant du programme
d'action positive et en invoquant le paragraphe
15(2) ne me semble pas davantage acceptable. A
mon sens, le paragraphe 15(2) a pour seul but de
valider l'inégalité inhérente au programme d'ac-
tion positive lui-même. Ainsi, le fait que les gar-
diens du sexe masculin ne sont pas traités exacte-
ment comme les gardiens du sexe féminin dans la
mesure où ils sont exclus des pénitenciers pour
femmes sera directement excusé par le paragraphe
15(2). Mais, là encore, je ne vois pas comment
l'assujettissement des détenus du sexe masculin à
un traitement que l'on prétend plus sévère que
celui qui est réservé aux détenus du sexe féminin
pourrait être racheté par le désir d'accorder aux
femmes davantage de chances d'emploi.
À mon avis, l'action aurait dû être rejetée sur le
fondement d'un raisonnement simple tournant
autour de quelques principes élémentaires.
Il est très douteux que la Charte, qui vise les
droits de la personne les plus fondamentaux, puisse
être interprétée comme protégeant contre toute
atteinte des sentiments, réactions ou sensibilités du
genre de ceux qui sont en cause en l'espèce, aussi
nobles, compréhensibles et répandus soient-ils.
Si la protection de la Charte s'étend effective-
ment à des intérêts de ce genre, ce ne peut être, il
me semble, que par l'intermédiaire du concept de
la sécurité de la personne prévu à l'article 7 (voir
l'arrêt R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30, pour
un examen détaillé des droits prévus par l'article
7). Ensuite, par le biais de l'analyse de l'exigence
de la justice fondamentale (ou, au besoin, par
l'application de l'article premier, à condition qu'on
estime qu'une règle de droit est en jeu), le pro
gramme d'action positive devra être examiné et,
évidemment, le facteur des effets néfastes éven-
tuels sur les sentiments personnels de quelques
personnes sera facilement contrebalancé par les
autres considérations opposées relatives à l'intérêt
public, à savoir la promotion de l'équité dans
l'emploi et l'amélioration des conditions psycholo-
giques au sein de la prison.
Finalement, je ne pense pas que l'article 15 de la
Charte entre en jeu du simple fait que les détenus
du sexe masculin ne sont pas traités exactement
comme les détenus du sexe féminin puisqu'ils sont
les seuls à faire l'objet de fouilles par palpation et
de surveillance de la part de personnes du sexe
opposé. Non seulement cette prétendue inégalité
est-elle créée par une politique d'embauche et une
directive spéciale et non par une règle de droit (cf.
Weatherall c. Canada (Procureur général), [ 1989]
1 C.F. 18 (C.A.)), mais elle ne me semble pas
causer un préjudice aux hommes d'une façon suffi-
samment grave pour parler de discrimination,
d'autant plus qu'elle respecte parfaitement les dif-
férences sociales entre les hommes et les femmes.
Je trancherais l'appel de la manière suggérée
par ma collègue.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE DESJARDINS, J.C.A.: La Cour statue
sur l'appel interjeté du jugement rendu le 9 juin
1987 par lequel le juge Barry L. Strayer a déclaré
qu'au pénitencier de Collins Bay («Collins Bay»)
les gardiens du sexe féminin ne peuvent légalement
observer les détenus du sexe masculin dans leur
cellule, sans leur consentement formel ou implicite,
lorsqu'une telle observation n'a été ni portée à la
connaissance générale des détenus concernés, ni
préalablement annoncée par des voies normales.
L'intimé invoque deux moyens au soutien de
l'appel incident qu'il forme contre la décision, à
savoir que le jugement déclaratoire est trop restric-
tif parce que le juge de première instance n'a pas
déclaré illégale toute surveillance des unités rési-
dentielles des détenus du sexe masculin par des
gardiens du sexe féminin, et que le juge de pre-
mière instance s'est trompé en concluant que les
fouilles par palpation de routine effectuées par des
gardiens du sexe féminin sont légales, déboutant
de ce fait l'intimé de sa demande de jugement
déclarant cette activité illégale.
La Section de première instance a ordonné le 7
septembre 1986 que l'action à l'origine du présent
appel soit instruite immédiatement après les affai-
res Weatherall c. Procureur général du Canada et
Spearman c. Tribunal disciplinaire de l'établisse-
ment de Collins Bay, c'est-à-dire Peter Radley et
autre. Le juge Strayer a prononcé des motifs qui
ont été publiés et répertoriés sous l'intitulé Wea-
therall c. Canada (Procureur général) z. Les con
clusions tirées par le juge de première instance
dans l'affaire Weatherall ont fait l'objet d'un appel
et d'une décision de notre Cour dans l'arrêt Wea-
therall c. Canada (Procureur général)'. En l'es-
pèce, seule la partie de la décision du juge de
première instance qui a trait à l'intimé Conway
nous intéresse.
L'appel et le premier moyen de l'appel incident
portent sur la surveillance des unités résidentielles
des détenus du sexe masculin par des gardiens du
sexe féminin. Le second moyen de l'appel incident
concerne les fouilles par palpation. Le juge de
première instance a pris soin de limiter à Collins
Bay la portée de son ordonnance, laquelle ne
devrait pas être appliquée à d'autres établisse-
ments fédéraux puisque la plainte et la preuve ne
concernent que cet établissement.
GENÈSE DE L'INSTANCE
La présence de gardiens du sexe féminin dans
les établissements pénitentiaires fédéraux dans les-
quels des hommes sont incarcérés est à l'origine
2 [1988] 1 C.F. 369 (1« inst.).
3 [1989] 1 C.F. 18 (C.A.).
des questions litigieuses soulevées. Pour situer l'af-
faire dans son contexte, le juge de première ins
tance a précisé" qu'à une certaine époque, les
femmes ne pouvaient d'aucune façon exercer les
fonctions de gardiennes dans les établissements
pénitentiaires fédéraux pour hommes. En 1977, un
comité parlementaire a recommandé que les
femmes aient la possibilité d'occuper un tel emploi.
À ce sujet, le rapport du comités précisait, aux
pages 601 et 602:
Les employées
316. Quelques femmes travaillent déjà pour le Service cana-
dien des pénitenciers et occupent des postes dans des institu
tions où se trouvent des délinquants de sexe masculin. La
plupart d'entre elles occupent des postes dans les domaines du
classement, de l'éducation, de la psychologie ou du travail de
bureau. Cependant, aucune d'entre elles n'a accès à la gamme
complète des possibilités de carrière offertes à leurs collègues
masculins. Aux États-Unis, les hommes et les femmes remplis-
sent les mêmes fonctions correctionnelles, qu'il s'agisse de la
détention, de la formation, de l'instruction dans les ateliers ou
de la sécurité, y compris les fouilles à l'arrivée dans la prison
(ces fouilles sont faites avec objectivité et sans gêne; elles ne
font cependant pas les fouilles à «poil»). L'administration et la
plupart des agents correctionnels masculins ont bien accepté
cette nouvelle dimension qu'offre la présence des femmes tra-
vaillant dans les établissements. Rien ne justifie que l'on empê-
che les femmes faisant preuve de maturité et de stabilité de
participer également à tous les aspects du Service des péniten-
ciers. Les principaux avantages qu'en retirera le Service seront
d'avoir de nouveaux talents et un milieu correctionnel plus sain.
Recommandation 17
Que les femmes et les hommes soient traités sur un pied
d'égalité en ce qui concerne les emplois dans le Service
canadien des pénitenciers. La sélection doit se faire de la
même façon que pour les hommes pour garantir que les
candidates ont l'aptitude, la maturité et la maîtrise person-
nelle nécessaires au travail pénitentiaire.
À la suite d'un projet-pilote, une telle politique a
été instaurée en 1980 l'égard des institutions
pénitentiaires à sécurité minimale et à sécurité
moyenne. En 1983, le gouvernement du Canada a
adopté un programme d'action positive qui a eu
pour effet d'établir des objectifs concernant l'em-
ploi des femmes dans diverses catégories de servi
ces correctionnels, et d'assurer leur admission à ces
postes en restreignant l'embauche ou les mutations
de candidats de sexe masculin. En ce qui a trait
aux deux catégories en cause, les CX-COF (les
Aux p. 375 et 376.
Rapport au Parlement du sous-comité sur le régime d'insti-
tutions pénitentiaires au Canada, Comité permanent de la
justice et des questions juridiques, 1977.
gardiens) et les CX-LUF (les agents d'unités rési-
dentielles), le pourcentage visé de femmes occu
pant ces fonctions a été fixé à 19 % d'ici 1988. Au
31 octobre 1986, 12,4 % de tous les agents correc-
tionnels des établissements fédéraux étaient des
femmes. À Collins Bay (Kingston), un établisse-
ment à sécurité moyenne, voici le nombre et le
pourcentage de femmes à la fin d'octobre de 1986:
CX-COF, 21 (14,5 %) et CX-LUF, 0 (0 %), parce
qu'il n'y a pas d'ounités résidentielles» à Collins
Bay 6 . Comme les agents du sexe féminin ont été
engagés assez récemment, il y en a peu qui ont
dépassé le niveau CX1, qui est la catégorie la
moins élevée et où les fouilles font partie des
caractéristiques du poste. Une proportion supé-
rieure d'agents du sexe féminin se retrouve donc à
un niveau où la plus grande partie des fouilles est
effectuée'. À Collins Bay, au moment du procès,
sur 147 postes d'agents correctionnels, 100 étaient
du niveau CX1. Les gardiens du sexe féminin
occupaient environ 25 de ces postes CX1. Une
femme occupait un poste CX3. Il n'y en avait
aucune au niveau CX5 8 . À de rares exceptions
près, on s'attend à ce que les femmes qui occupent
des postes d'agents exercent les mêmes fonctions
que les agents du sexe masculin et elles sont
affectées de façon systématique aux différents
postes d'agents selon un système de rotation
d'emplois.
L'intimé purge une peine à Collins Bay. Il ne se
plaint d'aucun incident précis mais plutôt de deux
usages généralement répandus dans l'établisse-
ment, concernant l'exécution de certaines fonctions
par des gardiens du sexe féminin. Ces fonctions,
qui peuvent être également exercées par des gar-
diennes, parce que celles-ci doivent occuper par
roulement régulier tous les postes pour lesquels
elles sont qualifiées, sont la fouille par palpation 9
et l'entrée à l'intérieur des unités résidentielles des
détenus du sexe masculin dans des situations ne
présentant pas de caractère d'urgence.
6 Dossier d'appel, à la p. 360.
' Transcription de l'audience du 9 décembre 1986, vol. 2, p.
251.
8 Transcription de l'audience du 10 décembre 1986, vol. 3,
aux p. 429 et 430.
9 que le juge de première instance définit comme étant la
fouille d'un détenu entièrement vêtu, par le gardien qui palpe
ses vêtements à la recherche de signes inhabituels pouvant
(Suite à la page suivante)
Les fouilles par palpation sont effectuées systé-
matiquement à de nombreux postes, partout dans
l'établissement. Il est courant, par exemple, d'exi-
ger une fouille par palpation de tous les détenus
passant à certains endroits de l'établissement, lors-
que par exemple ils entrent dans les secteurs admi-
nistratif ou hospitalier, ou quittent la cuisine après
y avoir travaillé. L'intimé se plaint non pas de la
façon dont ces fouilles sont effectuées, mais du fait
que des femmes soient autorisées à effectuer de
telles fouilles. L'intimé soutient que les fouilles par
palpation sont abusives lorsqu'elles sont effectuées
par une personne du sexe opposé, c'est-à-dire lors-
qu'un gardien du sexe féminin fouille un détenu du
sexe masculin.
Les gardiens entrent à l'intérieur des unités
résidentielles des détenus pour procéder au dénom-
brement régulier des prisonniers (quatre fois par
jour, à 7 h, midi, 16 h, et 23 h), pour effectuer des
rondes de surveillance, lesquelles ont lieu à peu
près toutes les heures mais à intervalles irréguliers
afin de créer un élément de surprise (elles sont
connues sous le nom de «rondes éclairs», ou pour
aller chercher les prisonniers dont la présence est
exigée ailleurs, etc. Aucune plainte personnelle
précise n'a été formulée au sujet de la façon dont
les gardiens du sexe féminin ont examiné la cellule
de l'intimé ou celles des détenus du sexe masculin.
Le problème découle de la présence de gardiens du
sexe féminin dans les unités résidentielles. Conway
se plaint surtout du fait que les gardiens du sexe
féminin ont souvent l'occasion de regarder dans la
cellule des détenus sans avertissement, et qu'il leur
arrive parfois de voir des détenus du sexe masculin
déshabillés, ou occupés à des activités intimes
telles que l'utilisation des toilettes. Il précise qu'un
gardien du sexe féminin le voit utiliser les toilettes
en moyenne une à trois fois par année '°. Rien ne
permet de conclure que d'autres atteintes à la vie
(Suite de la page précédente)
révéler la présence d'une arme ou de contrebande (dossier
d'appel, à la p. 520). L'article 7 de la directive du commissaire
800-2-07.1 précise que le mot «fouille» englobe la fouille par
palpation, qu'il définit ainsi:
a. fouille par palpation—il s'agit d'une fouille effectuée à la
main, le long du corps, de la tête aux pieds, à l'avant et à
l'arrière, autour des jambes et à l'intérieur des plis des
vêtements, des poches et des chaussures; elle comporte
l'utilisation de détecteurs portatifs.
10 Dossier d'appel, aux p. 519 et 520.
privée ont eu lieu, telle l'observation de détenus du
sexe masculin aux douches par des gardiens du
sexe féminin.
L'intimé a sollicité le jugement déclaratoire
suivant ":
[TRADUCTION] Un jugement déclarant illégales:
I. Les fouilles par palpation effectuées par des gardiens du sexe
féminin sur des détenus du sexe masculin et impliquant un
contact corporel dans des situations non urgentes;
II. La présence de gardiens du sexe féminin ou leur affectation
à des tâches qui leur permettraient normalement d'observer des
détenus du sexe masculin dans les salles de toilette ou dans un
endroit où ils sont dévêtus;
III. Sauf dans des situations d'urgence, les rondes effectuées
par des gardiens du sexe féminin dans les unités résidentielles
des prisonniers du sexe masculin; ..
LA DÉCISION DU JUGE DE PREMIÈRE INSTANCE
Le juge de première instance a précisé, d'entrée
de jeu, que l'affaire soulevait des conflits, réels ou
apparents, entre les droits ou les aspirations de
deux catégories de personnes: le droit que possè-
dent les prisonners à la protection de leur vie
privée dans la mesure où cela n'est pas nécessaire-
ment incompatible avec leur situation de
prisonniers 12 , et ceux des femmes à l'égalité des
chances en matière d'emploi dans le système carcé-
ral fédéral. Le juge a expliqué qu'il résultait de
l'écart qui existait entre le nombre de détenus du
sexe féminin et celui des détenus du sexe masculin
incarcérés dans les prisons fédérales que pour pou-
voir bénéficier de possibilités appréciables d'emploi
comme gardiennes dans les prisons fédérales pour
hommes, les femmes devaient, comme il a été
expliqué dans l'extrait du rapport du comité parle-
mentaire précité, avoir la possibilité d'occuper
toute la gamme des postes du service pénitencier.
Il a ensuite examiné les articles 7, 8, 15 et 28 de
la Charte canadienne des droits et libertés, que
l'avocat de l'intimé invoquait.
" Dossier d'appel, aux p. 520 et 521.
12 Il a cité la règle suivante énoncée par la Cour suprême du
Canada dans l'arrêt Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821,
à la p. 839;
... une personne emprisonnée conserve tous ses droits civils
autres que ceux dont elle a été expressément ou implicite-
ment privée par la loi.
Voir également R. v. Institutional Head of Beaver Creek
Correctional Camp, Ex p. MacCaud, [1969] 1 O.R. 373
(C.A.), aux p. 378 et 379.
Le juge de première instance a écarté l'applica-
tion de l'article 7 de la Charte, qui est un article
plus général, étant donné que les dispositions de
l'article 8 de la Charte s'appliquaient plus particu-
lièrement à l'affaire. Il s'est dit d'avis que les
activités dont l'intimé se plaignait et qui compor-
taient l'examen obligatoire, par des fonctionnaires,
de locaux, de personnes et d'activités dans le but
de faire respecter la loi répondaient à la définition
du mot «fouille». Il fallait donc ensuite se deman-
der si la fouille était «abusive» au sens de l'article 8
de la Charte. Étant donné que la Cour suprême du
Canada a posé, dans l'arrêt Hunter et autres c.
Southam Inc.", les critères juridiques permettant
de vérifier cette forme particulière d'intrusion, le
juge en a déduit qu'il fallait rejeter les autres
critères fondés sur la Charte. Dans ces conditions,
l'article 7 de la Charte ne s'appliquait donc pas.
En ce qui concerne l'article 8 de la Charte, le
juge de première instance a déclaré que l'énoncé
suivant fait par la Cour suprême du Canada dans
l'arrêt R. c. Collins 14 faisait autorité en la matière:
Une fouille ne sera pas abusive si elle est autorisée par la loi,
si la loi elle-même n'a rien d'abusif et si la fouille n'a pas été
effectuée d'une manière abusive.
Le juge de première instance s'est dit d'avis que
pour qu'une fouille soit «raisonnable», il fallait
aussi qu'elle soit effectuée d'une manière raisonna-
ble. Le caractère raisonnable de l'exécution com-
prenait, à son avis, le respect des règles normales
de la décence dans la mesure où cela est normale-
ment permis par les restrictions découlant implici-
tement de la situation 15 .
Il a fait remarquer que le Règlement sur le
service des pénitenciers [C.R.C., chap. 1251] était
muet sur la façon dont devaient être effectuées les
fouilles par palpation. Bien que la directive du
commissaire 800-2-07.1 n'interdise pas formelle-
ment la fouille des organes génitaux, la preuve qui
lui avait été soumise indiquait que l'on évitait de
toucher aux organes génitaux. Il n'a toutefois pas
jugé nécessaire de se prononcer sur cette question,
car l'intimé contestait toute fouille par palpation
des détenus du sexe masculin par des agents du
sexe féminin. Il a conclu que les fouilles par palpa
tion de routine ne donnaient lieu qu'à une intru-
13 [1984] 2 R.C.S. 145.
14 [1987] 1 R.C.S. 265, la p. 278.
15 Dossier d'appel, aux p. 397 et 398.
Sion négligeable ou insignifiante dans la vie privée.
Et même si l'intrusion n'était pas considérée
comme négligeable, son caractère très limité était
largement contrebalancé par l'intérêt public.
Voici ce qu'il a déclaré [aux pages 402 et 403]:
J'ai conclu que les fouilles par palpation de routine dont il est
question en l'espèce ne portent pas atteinte aux droits protégés
par l'article 8 de la Charte. En premier lieu, une telle intrusion
dans la vie privée est négligeable, quel que soit le critère
d'évaluation sur lequel on se fonde, et un fardeau «négligeable
ou insignifiant» ne constitue pas une violation de la Charte.
Même si elle n'est pas considérée comme négligeable, l'intru-
sion très limitée dans la vie privée d'un détenu est largement
contrebalancée par l'intérêt public. Il faut d'abord et avant tout
assurer une sécurité adéquate dans ces établissements et la
preuve me convainc que les fouilles par palpation, courantes et
spéciales, effectuées par quelqu'un, sont un élément important
du maintien de cette sécurité. En deuxième lieu, je suis con-
vaincu qu'on sert l'intérêt public de façon importante en
embauchant des femmes dans les établissements pénitentiaires
fédéraux. C'est une question de justice fondamentale que de
permettre aux femmes un accès égal aux emplois dans un
secteur important de la fonction publique fédérale. À Collins
Bay, où la question s'applique aux cas à l'étude, il me semble
que les gardiennes ne pourraient être embauchées si on leur
interdisait de procéder à des fouilles par palpation. Sur les vingt
postes de sécurité, tous sauf trois ou quatre comportent une
fouille courante ou occasionnelle. Et, d'après les témoignages,
tout agent qui travaille auprès des détenus doit être capable de
faire ces fouilles sur une base ponctuelle. Si les gardiennes ne
pouvaient remplir ces fonctions, leur utilité se trouverait gran-
dement réduite et cela aurait un effet très négatif sur leur
carrière. De plus, la preuve me convainc que la présence
d'agents féminins dans un tel établissement exerce un effet
bénéfique important sur la conduite de la plupart des détenus et
peut contribuer de façon importante à leur réadaptation à la
société, une fois remis en liberté. Bien sûr, je ne peux ni ne dois
me prononcer sur les fouilles par palpation dans d'autres éta-
blissements au sujet desquels ni plainte ni preuve ne m'ont été
soumises.
En ce qui concerne la présence de gardiens du
sexe féminin dans les unités résidentielles des déte-
nus du sexe masculin, il a déclaré que lorsqu'elles
s'y trouvaient pour y faire le dénombrement des
prisonniers, pour effectuer des «rondes éclairs» ou
même pour y visiter des prisonniers pour des rai-
sons particulières, même si la plupart des cellules
de Collins Bay ont des portes pleines munies d'un
petit guichet et si les autres cellules ont des écrans
qui couvrent les trois quarts de l'ouverture de la
porte, il était quand même possible pour les gar-
diennes de regarder dans les cellules, et que c'était
même leur devoir lorsqu'elles effectuaient un
dénombrement ou une «ronde éclair».
Il ne s'est pas occupé des dénombrements habi-
tuels et connus, car les détenus peuvent s'y prépa-
rer en conséquence en sachant qu'il est possible
que des gardiennes y participent; il ne s'est pas
intéressé non plus aux visites individuelles, étant
donné que les gardiens du sexe féminin s'annon-
cent avant d'entrer. Il s'est penché sur les «rondes
éclairs» faites à l'improviste, particulièrement sur
celles qui ont lieu durant la journée, car la nuit les
prisonniers du sexe masculin peuvent prendre des
précautions pour se couvrir adéquatement. Il s'est
dit d'avis qu'en ce qui a trait aux visites non
prévues ou non annoncées, les autorités adminis-
tratives peuvent adopter des solutions de rechange
acceptables pour pondérer les intérêts opposés.
Une solution de rechange possible consisterait pour
l'agent du sexe féminin qui effectue une «ronde
éclair» à annoncer sa présence avant de commen-
cer sa ronde. C'est ce qui se produit de toute façon
car, suivant la preuve, le premier détenu qui voit
l'agent arriver avertit habituellement les autres
détenus par un cri. Une autre solution de rechange
consisterait, a-t-il dit, pour un agent du sexe mas-
culin à effectuer la ronde alors qu'un agent du sexe
féminin monterait la garde à l'entrée du pavillon.
Suivant la preuve et à son avis, ces solutions de
rechange ne devraient pas poser de graves problè-
mes administratifs, ni nuire considérablement à la
carrière des agents du sexe féminin. Il a conclu
que, sauf en cas d'urgence, les «rondes éclairs» de
jour constituaient une intrusion inutile dans la vie
privée des détenus du sexe masculin.
Voici ce qu'il a déclaré [aux pages 404 et 4051:
Comme je l'ai déjà dit, on ne peut invoquer l'article 8 pour
empêcher des intrusions négligeables dans la vie privée. De
plus, les détenus ne peuvent pas raisonnablement s'attendre à
n'être soumis à aucune surveillance. S'ils redoutent d'être vus
dans un état de nudité partielle ou totale, ou accomplissant
certaines fonctions vitales, il leur appartient de prendre certai-
nes précautions qui sont à leur portée pour minimiser de telles
possibilités. Par ailleurs, j'estime que c'est une atteinte inutile à
la dignité humaine lorsque, en l'absence de toute urgence, des
gardiennes de Collins Bay observent ainsi des détenus dans
leurs cellules. Cela veut dire en fait que, sauf en cas d'urgence,
les gardiennes ne devraient pas pouvoir observer à l'improviste
les cellules occupées par des détenus de sexe masculin. Compte
tenu de la preuve, je ne pense pas que cela crée de graves
problèmes administratifs ou nuise à la carrière des gardiennes.
D'après le témoignage de M. Payne, directeur de Collins Bay, il
y a quatre comptages par jour: à 7 h, à midi, à 16 h, et à 23 h.
Les détenus connaissent sans doute bien ces heures et ils
peuvent alors éviter de se trouver dans des situations embarras-
santes quand ils savent que des agents de sexe féminin peuvent
participer aux comptages. Pour ce qui est des inspections
visuelles de la cellule d'un détenu, il ressort de la preuve que
lorsqu'une gardienne s'approche d'une cellule, elle annonce
normalement sa présence avant de regarder à l'intérieur et là
encore, cela respecte les droits du détenu à sa vie privée, sans
entraver l'administration de la prison. Il me semble que le seul
problème qui pourrait se poser toucherait les «rondes éclairs»
qui se font en moyenne une fois par heure, mais à intervalles
irréguliers, afin de créer un élément de surprise. Si je com-
prends bien l'organisation du personnel et étant donné que
seulement 14,5 % des agents de Collins Bay sont des femmes,
l'interdiction en vertu de laquelle les gardiennes ne pourraient
pas observer à l'improviste lors d'une «ronde éclair», ne devrait
pas, à mon avis, poser de graves problèmes d'administration, ni
nuire considérablement à la carrière des agents de sexe féminin.
Il me semble y avoir au moins deux solutions de rechange
possibles: si un agent féminin effectue une «ronde éclair», sa
présence pourra être annoncée juste avant que celle-ci ne
commence (ce qui, suivant la preuve, se fait de toute façon par
le cri du premier détenu qui voit arriver l'agent chargé de la
«ronde éclair»; ou bien des agents de sexe masculin pourront
traverser les pavillons cellulaires, en demandant à leurs collè-
gues féminines de les couvrir à l'entrée du pavillon (c'est-à-dire
qu'elles monteraient la garde à l'entrée en protégeant l'autre
agent qui se trouve dans le pavillon cellulaire, cette pratique
étant employée pour des raisons de sécurité). J'estime en outre
que ces mesures ne sont nécessaires que durant les heures de
veille des détenus: si un détenu choisit de ne pas se couvrir
pendant ses heures normales de sommeil, il peut risquer d'être
observé par un agent de l'autre sexe. Il appartient bien sûr aux
autorités de l'établissement de prendre les mesures administra-
tives appropriées et je veux seulement montrer qu'à la lumière
de la preuve, je suis convaincu qu'il existe des solutions de
rechange raisonnables permettant d'éviter le genre d'intrusion
dans la vie privée que le régime actuel permet.
En ce qui concerne le moyen tiré de l'article 15,
le juge de première instance s'est dit d'avis que les
fouilles par palpation ne donnaient lieu qu'à une
intrusion négligeable dans la vie privée des détenus
du sexe masculin. La plainte était donc irreceva-
ble. Pour ce qui est de l'inspection des cellules,
comme ce genre d'intrusion n'était pas négligeable,
cette activité serait intolérable si ce n'était du
paragraphe 15(2) de la Charte. Le programme
d'action positive, dont l'objectif était l'embauche
des femmes dans des prisons pour hommes, pou-
vait incidemment faire en sorte que des femmes
surveillent les cellules de détenus du sexe masculin.
Comme il n'existe pas de programme d'action
positive comparable permettant aux hommes de
travailler dans les prisons fédérales pour femmes à
Kingston, le juge a estimé que cette procédure
administrative entraînait une certaine inégalité 16 .
16 Comme le juge de première instance l'a fait remarquer, à
la p. 380, l'article 13 de la directive du commissaire 800-2-07.1
dispose:
(Suite à la page suivante)
Il a toutefois estimé que cette inégalité, qui est
protégée par le paragraphe 15(2) de la Charte,
rendait irrecevable toute plainte fondée sur le
paragraphe 15(1), dans la mesure où cette inéga-
lité était raisonnablement nécessaire à la mise en
oeuvre du programme d'action positive. Il a cepen-
dant rappelé sa conclusion que le recours à des
gardiens du sexe féminin dans des situations ne
présentant aucun caractère d'urgence pour surveil-
ler les cellules à l'improviste et sans s'annoncer
n'était pas essentiel à l'emploi des gardiens du sexe
féminin dans les prisons pour hommes.
Compte tenu de ce qu'il a dit au sujet des
articles 8 et 15 de la Charte, le juge de première
instance a conclu que l'article 29 de la Charte
n'avait pas d'effet important en l'espèce.
Il a écarté toute application de l'article premier
de la Charte.
Il a prononcé le jugement déclaratoire suivant ":
La Cour statue que:
1) au pénitencier de Collins Bay, les gardiennes ne peuvent pas
légalement, sauf en cas d'urgence, observer des détenus de
sexe masculin dans leur cellule, sans leur consentement
formel ou implicite, lorsqu'une telle observation n'a été ni
portée à la connaissance générale des détenus concernés, ni
préalablement annoncée par des voies normales;
2) aucuns dépens ne sont adjugés.
L'APPEL ET LE PREMIER MOYEN DE L'APPEL
INCIDENT
Comme l'appel et le premier moyen de l'appel
incident portent sur la même question, c'est-à-dire
la présence de gardiens du sexe féminin dans les
unités résidentielles des détenus du sexe masculin,
ils seront examinés ensemble.
Le juge de première instance, prétend l'appe-
lante, a commis une erreur de droit en concluant
que l'exécution par les gardiens du sexe féminin de
leur devoir d'effectuer des rondes de surveillance
(Suite de la page précédente)
13. Conformément au paragraphe 10, aucune détenue ne
doit être fouillée par palpation ou à nu, sauf par un
membre du même sexe.
En revanche, les articles I I et 14 permettent effectivement que
des détenus de sexe masculin soient fouillés par palpation et, en
cas d'urgence, qu'ils soient fouillés à nu par un agent du sexe
féminin. L'intimé a soutenu que dans les établissements fédé-
raux pour détenus du sexe féminin, les gardiens [TRADUCTION]
«n'occupent que des postes reliés à la sécurité périmétrique».
17 Dossier d'appel, à la p. 513.
des cellules des détenus du sexe masculin à Collins
Bay au cours des «rondes éclairs» viole les droits
que l'article 8 de la Charte reconnaît aux détenus.
Il est bien établi qu'une personne emprisonnée
conserve tous ses droits civils autres que ceux dont
elle a été expressément ou implicitement privée par
la loi. Il faut mettre en balance les attentes raison-
nables qu'ont les détenus en ce qui concerne la
protection de leur vie privée et l'intérêt public,
lequel englobe trois objectifs: 1) les conditions de
sécurité adéquate exigée en milieu carcéral; 2)
l'objectif visant à garantir aux femmes l'égalité
d'accès à l'emploi dans les prisons fédérales; 3)
l'objectif de la réadaptation des détenus. La preuve
soumise au juge de première instance démontrait à
l'évidence que la surveillance à l'improviste des
cellules des détenus du sexe masculin par des
gardiens du sexe féminin ne constituait pas une
atteinte suffisamment grave pour exiger l'interven-
tion du tribunal et que le droit limité à la protec
tion de la vie privée que possédaient l'intimé et les
autres détenus dans le contexte carcéral était adé-
quatement protégé par des mesures qui permet-
taient d'éviter que les gardiennes se voient frus-
trées de leur droit d'exécuter toutes les fonctions
de leur emploi.
Dans sa plaidoirie, l'appelante a déclaré qu'elle
contestait l'inférence que le juge de première ins
tance tirait des conclusions auxquelles il en était
venu, particulièrement en ce qui concerne l'appré-
ciation de l'importance relative de l'intérêt public
et du droit limité à la vie privée de l'intimé. Cela
constituait, selon elle, une erreur de droit. Elle a
cité à l'appui de sa prétention les décisions R. v.
John 18 et R. v. Anderson 19 .
La thèse que défend l'intimé en appel est que le
juge de première instance ne s'est pas trompé en
statuant que les gardiens du sexe féminin ne
devaient pas observer sans préavis les détenus du
sexe masculin dans leurs cellules dans des situa
tions ne présentant aucun caractère d'urgence. Sur
18 (1986), 28 C.C.C. (3d) 200, la p. 208. Le juge Craig, de
la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, a dit:
[TRADUCTION] Pour répondre à la question de savoir si le
prélèvement de sang constituait dans ces circonstances une
fouille ou une saisie abusive, il nous faut soupeser attentive-
ment l'importance relative du droit de la personne à la
protection de sa vie privée et du droit de l'État d'obtenir des
éléments de preuve dans le but de faire respecter la loi. Il
s'agit certes uniquement d'une question de droit.
19 (1984), 45 O.R. (2d) 225 (C.A.), à la p. 229.
le premier moyen de l'appel incident, qui est celui
qui nous occupe pour l'instant, l'intimé reproche
au juge de première instance de ne pas avoir statué
que l'observation par les gardiens du sexe féminin
des détenus du sexe masculin dans leurs cellules
dans des situations ne présentant aucun caractère
d'urgence viole l'article 7, ou l'article 8, ou l'article
15 de la Charte.
Je souscris à la thèse de l'appelante.
D'entrée de jeu, je tiens à préciser que je sous-
cris sans hésiter au raisonnement qu'a suivi le juge
de première instance pour ne pas appliquer l'arti-
cle 7 de la Charte en raison de l'application parti-
culière de l'article 8 de la Charte au cas qui nous
occupe.
Pour ce qui est des «rondes éclairs» et des con
clusions auxquelles le juge de première instance en
est arrivé compte tenu de l'article 8 de la Charte,
l'interprétation que je fais de la loi appliquée aux
faits est différente de celle du juge de première
instance.
L'arrêt Hunter et autres c. Southam Inc. 20 avait
trait au caractère raisonnable d'une loi autorisant
une fouille et une saisie et non à la manière dont
les autorités s'acquittaient des fonctions que la loi
leur conférait. L'affaire qui nous occupe porte sur
le caractère raisonnable de la manière dont la
fouille est effectuée. Le même critère s'applique,
que le problème se rapporte à la validité de la loi
ou à la conduite de l'autorité qui agit en vertu
d'une exigence législative. Dans l'arrêt Hunter, le
juge en chef Dickson a déclaré que la garantie de
protection prévue par l'article 8 contre les fouilles,
les perquisitions et les saisies abusives ne vise
qu'une attente raisonnable. Cette limitation au
droit garanti par l'article 8 indique qu'il faut
apprécier si, dans une situation donnée, le droit du
public de ne pas être importuné par le gouverne-
ment doit céder le pas au droit du gouvernement
de s'immiscer dans la vie privée des particuliers
afin de réaliser ses fins et, notamment, d'assurer
l'application de la loi 21 . Le juge de première ins
tance était bien conscient de l'appréciation qu'il
était appelé à faire.
20 Précité, à la p. 154.
21 Hunter et autres c. Southam Inc., précité, aux p. 159 et
160.
J'accepte l'affirmation du juge de première ins
tance suivant laquelle «Le caractère raisonnable de
l'exécution comprend . le respect des règles nor-
males de la décence dans la mesure où cela est
normalement permis par les restrictions qui décou-
lent implicitement de la situation> 22
L'appréciation qu'il était appelé à faire consis-
tait à déterminer ce qu'une personne raisonnable
considérerait raisonnable dans les circonstances.
L'examen qu'il faut atteindre s'apparente à ce que
le juge Lamer a expliqué, dans l'arrêt R. c.
Collins 23 au sujet de l'expression «déconsidérer
l'administration de la justice» que l'on trouve au
paragraphe 24(2) de la Charte:
La démarche que j'adopte peut s'exprimer de façon figura
tive par le critère de la personne raisonnable proposé par le
professeur Yves-Marie Morissette dans son article «The Exclu
sion of Evidence, under the Canadian Charter of Rights and
Freedoms: What to Do and What Not to Do» (1984), 29 R. de
d. McGill 521, la p. 538. En appliquant le par. 24(2), il
propose que la question à se poser soit la suivante: [TRADUC-
TION] «L'utilisation des éléments de preuve est-elle susceptible
de déconsidérer l'administration de la justice aux yeux de
l'homme raisonnable, objectif et bien informé de toutes les
circonstances de l'affaire?» La personne raisonnable est habi-
tuellement la personne moyenne dans la société, mais unique-
ment lorsque l'humeur courante de la société est raisonnable.
La décision n'est donc pas laissée à la discrétion illimitée du
juge. En pratique, comme le professeur Morissette l'a écrit, le
critère de la personne raisonnable est là pour obliger les juges à
[TRADUCTION] «se concentrer sur ce qu'ils font le mieux:
trouver au fond d'eux-mêmes, avec prudence et impartialité, un
fondement pour leurs propres décisions, en formulant leurs
motifs avec soin et en acceptant le contrôle d'un tribunal
d'instance supérieure le cas échéant.» Cela sert à rappeler à
chaque juge que son pouvoir discrétionnaire est enraciné dans
les valeurs de la société et, en particulier, ses valeurs à long
terme. Il ne doit pas rendre une décision que la société considé-
rerait inacceptable lorsque celle-ci n'est pas déchirée par la
passion ou autrement tiraillée par des événements présents. En
effet, le juge aura satisfait à ce critère si les juges d'appel
refusent de s'ingérer dans sa décision en utilisant la déclaration
bien connue qu'ils sont d'avis que cette décision n'est pas
déraisonnable, même s'il se peut qu'ils aient tranché la question
différemment. [C'est moi qui souligne.]
L'intimé ne prétend pas que la surveillance non
prévue et non annoncée de sa cellule constituait
une violation de son droit à la vie privée garanti
par l'article 8 de la Charte ou que cette surveil
lance a été faite par curiosité ou avec une insis-
tance déplacée ou qu'elle a été effectuée de façon
inadéquate ou contraire au code professionnel. Ce
22 Aux p. 397 et 398.
23 [1987] 1 R.C.S. 265, aux p. 282 et 283.
que l'intimé prétend, c'est que les rondes de sur
veillance effectuées à l'improviste par des gardien-
nes constituent une fouille abusive du simple fait
qu'elles sont effectuées par des femmes 24 .
L'intimé Conway a choisi de vivre dans le pavil-
lon un 25 où les cellules sont ouvertes, c'est-à-dire à
barreaux et non à portes pleines 26 . Il a choisi de ne
pas travailler, ce qui signifie qu'il passe plus de
temps dans sa cellule et dans la pièce attenante à
sa cellule que les détenus qui occupent un
emploi 27 . Dans le pavillon un, la toilette se trouve
au milieu du mur de la cellule, directement en face
de la porte 28 . Des paravents ont été installés 29 .
Au procès, une des gardiennes a expliqué de
façon générale comment se déroulent les dénom-
brements, et a parlé de la responsabilité de l'agent
chargé d'effectuer ce dénombrement:
[TRADUCTION]
Q. ... quelle est votre responsabilité lorsque vous effectuez
un dénombrement, à quelle fréquence ont-ils lieu, quelle
est votre réaction, si c'est ce qui se passe lorsque vous
procédez à un dénombrement?
R. Ma réaction ... Eh bien, dans les pavillons un et deux, les
détenus ont installé une sorte de rideau devant la toilette,
de sorte qu'on ne peut voir le corps qu'à partir de la
ceinture. Ma réaction, si un détenu est aux toilettes, je
suis consciente de l'endroit où il se trouve parce que cela
fait partie de mon travail, mais ma principale préoccupa-
tion est de savoir s'il est vivant.
Q. S'il est vivant?
R. S'il est vivant.
Q. Si j'ai bien compris, vous ne restez pas là.
R. Je m'assure seulement qu'il y a quelqu'un.
Q. Donc, combien de temps vous faut-il pour observer un
détenu dans une cellule lorque vous effectuez un
dénombrement?
R. Deux ou trois secondes.
Q. Est-ce que cela arrive souvent pendant les dénombre-
ments?
R Que des détenus se trouvent aux toilettes?
Q. Oui.
R. Je ne dirais pas très souvent, mais ça peut sembler
fréquent parce qu'on m'a confié à nouveau tout le pavil-
lon. Il y a entre 100 et 150 détenus, cela peut donc
sembler fréquent, mais je ne pense vraiment pas que ce
soit le cas.
24 Les témoignages entendus au procès indiquent que les
prisonniers ne semblent pas être perturbés par le rôle d'infir-
mières que jouent les femmes. Transcription, vol. 1, à la p. 78.
25 Transcription, vol 3, à la p. 428.
26 Transcription, vol 3, à la p. 419.
27 Transcription, vol I, à la p. 40.
28 Transcription, vol 3, à la p. 424.
2e Transcription, vol 3, aux p. 444à 451.
Q. Est-ce qu'ils savent que vous arrivez?
R. Oui. Le premier détenu crie «comptage» aux autres.
(Transcription, vol. 4, aux p. 589 et 590—C'est moi qui
souligne)
Les «rondes éclairs» (par opposition aux dénom-
brements) sont habituellement effectuées toutes les
heures, mais à intervalles irréguliers, pour créer un
élément de surprise. Un des objectifs visés est de
s'assurer que les détenus ne se livrent pas à des
activités qui pourraient nuire au bon ordre et à la
sécurité de l'établissement. Cependant, le premier
détenu qui voit arriver le gardien crie ou dit habi-
tuellement quelque chose pour prévenir les autres
détenus de l'arrivée du gardien.
Il n'y a aucun doute que le fait d'être vu «à
partir de la ceinture» lorsqu'on utilise les lavabos,
ne serait-ce que pendant deux ou trois secondes,
choque jusqu'à un certain point les convenances
sociales et constitue une atteinte à la vie privée des
détenus, que le gardien soit du sexe masculin ou du
sexe féminin. Les rondes de surveillance effectuées
sous forme de dénombrements ou de «rondes
éclairs» sont toutefois nécessaires pour maintenir
l'ordre dans les établissements carcéraux et pour
s'assurer que le prisonnier est vivant. Puisque,
suivant les faits de la cause, les gardiens du sexe
masculin et du sexe féminin agissent avec sérieux,
est-il raisonnable de conclure qu'une atteinte de ce
genre devient abusive lorsqu'elle est effectuée par
un gardien du sexe féminin du simple fait qu'elle
est une femme?
Voici les sérieuses réserves que j'ai au sujet de
l'appréciation faite par le juge de première ins
tance. Il a jugé acceptables les «rondes éclairs»
effectuées la nuit par des personnes du sexe
opposé. Pourtant, l'utilisation des lavabos la nuit
est une possibilité. Je n'arrive pas à comprendre
pourquoi les «rondes éclairs» sont inacceptables le
jour et pas la nuit. La preuve démontre qu'il est
arrivé que des détenus utilisent les lavabos pendant
les dénombrements. Contrairement à ce que le
juge de première instance a estimé, il se peut que
les détenus ne soient pas toujours capables de
prendre des précautions pour éviter ces situations
pendant les dénombrements. La ligne de démarca-
tion entre les «rondes éclairs» de jour et les dénom-
brements est-elle à ce point large pour justifier
l'exclusion des gardiens du sexe féminin des
«rondes éclairs» de jour? Les solutions de rechange
raisonnables suggérées par le juge de première
instance comportent des difficultés car lorsque les
«rondes éclairs» sont annoncées par l'administra-
tion, elles ne comportent plus d'élément de sur
prise. Il est possible que, contrairement à ce qui se
produit habituellement, le premier détenu qui
aperçoit le gardien n'avertisse pas les autres déte-
nus par un cri dès le début de la «ronde éclair». La
solution administrative suggérée par le juge de
première instance, consistant pour l'agent du sexe
féminin à annoncer la «ronde éclair», abolirait la
différence qui existe entre un dénombrement et
une «ronde éclair» et rendrait les «rondes éclairs»
inutiles. En revanche, le fait pour les gardiens du
sexe féminin de monter la garde à l'entrée du
pavillon pendant que les gardiens du sexe masculin
effectuent la ronde de surveillance mettrait les
gardiens du sexe masculin dans des situations de
grande tension plus souvent que les gardiens du
sexe féminin 30 . On créerait ainsi deux catégories
de gardiens. Certains gardiens auraient plus de
responsabilités que d'autres, certains acquerraient
plus d'expérience que d'autres. Les femmes ne
pourraient occuper tous les postes existants au sein
du service des pénitenciers comme le comité parle-
mentaire l'a recommandé.
L'intérêt du public à ce qu'il y ait des gardiens
du sexe féminin ne vise pas seulement à améliorer
le sort des femmes. Il concerne également l'amélio-
ration de la qualité de la vie carcérale et la réadap-
tation des détenus.
La présence de gardiens du sexe féminin dans
les établissements carcéraux a eu, en règle géné-
rale, des effets positifs importants sur les détenus
et sur les établissements. Des témoins ont exprimé
l'idée que leur présence avait eu «des effets bénéfi-
ques», des effets d'«apaisement» 31 .
M. Ralph Charles Serin, un psychologue, a tenu
les propos suivants dans son témoignage 32 :
[TRADUCTION] Les détenus, pas tous, mais un bon nombre
d'entre eux, adoptent des valeurs très traditionnelles envers les
femmes: l'homme est le pourvoyeur dans cette situation et a
tendance à prendre plus de décisions. Le problème qui se pose,
c'est que lorsque le détenu est incarcéré et qu'il maintient une
relation avec une femme, celle-ci se retrouve sans ce pourvoyeur
et devient plus indépendante. Dans l'exercice de ma profession,
il m'a fallu intervenir comme conseiller entre les détenus et
3' Transcription, vol. 3, à la p. 438.
31 Transcription, vol. 3, à la p. 452.
32 Transcription, vol. 3, aux p. 497 et 498.
leurs épouses, car la femme devient plus indépendante et
apprend à prendre elle-même ses décisions. Cela crée parfois
des difficultés pour les hommes et les femmes, qui se deman-
dent comment ils vont s'entendre lorsqu'ils vont se retrouver.
La possibilité qui leur est offerte de voir un modèle plus
contemporain de la femme, une femme plus indépendante, et
d'agir réciproquement avec ces femmes sera, à mon avis, fruc-
tueuse pour ces hommes.
Le Dr Lionel Béliveau, un psychiatre, a
témoigné":
Pour n'en nommer que quelques-uns, qu'il me suffise de rappor-
ter un certain nombre d'avantages que j'ai pu observer à partir
de mon expérience personnelle de la présence des femmes
travaillant en milieu carcéral pour hommes. Tel que rapporté
plus haut, les femmes incitent les détenus ainsi que les autres
gardiens masculins à un respect de la dignité de la personne
humaine. Elles dissuadent par leur présence les comportements
pervers ou socialement inacceptables. Elles facilitent la norma
lisation des relations contribuant ainsi à créer un climat plus
humain dans le milieu carcéral. Elles contribuent à modifier la
sous-culture carcérale et à diminuer les actes de violence inhé-
rents aux lois du milieu ou de la jungle qui existaient avant leur
arrrivée.
Le Dr Lois Shawver, qui a obtenu en 1973 un
doctorat en psychologie clinique de l'université de
Houston, a déclaré 34 :
[TRADUCTION] Les femmes qui travaillent comme gardiennes
dans les unités résidentielles des prisons pour hommes amélio-
rent la culture carcérale de façon très significative. Même si les
détenus peuvent avoir des préoccupations négligeables en ce qui
concerne la modestie, les souffrances qu'ils ont vécues en
général dans leur vie sont atténuées par la présence de
gardiennes.
Toute détérioration de la charge de travail des
gardiens du sexe féminin pourrait causer une plus
grande perte pour le système carcéral que l'at-
teinte présumée à la vie privée dont se plaint
l'intimé. À tout prendre, les objectifs poursuivis
par l'État l'emportent sur les préoccupations de
l'intimé. Vu cette conclusion, j'estime qu'aucune
violation de l'article 8 de la Charte n'est commise
lorsque les «rondes éclairs» de jour sont effectuées
par des gardiens du sexe féminin.
Pour la même raison, je rejetterais le premier
moyen de l'appel incident. Ce que l'intimé sollicite,
c'est une exception encore plus large que celle qu'a
faite le juge de première instance, car il demande à
la Cour d'interdire aux gardiens du sexe féminin
toute surveillance des unités résidentielles des déte-
nus. Le juge de première instance a jugé inutile
37 Dossier d'appel, version originale française, aux p. 495 et
496.
J4 Dossier d'appel, à la p. 456.
l'exclusion dans le cas des dénombrements et des
«rondes éclairs» de nuit. J'estime que la présence
continuelle de gardiens du sexe féminin dans les
unités résidentielles des détenus pour des raisons
d'ordre professionnel n'est pas déraisonnable.
Je suis d'avis d'accueillir l'appel. Je rejetterais le
premier moyen de l'appel incident.
LE SECOND MOYEN DE L'APPEL INCIDENT
L'intimé prétend que le juge de première ins
tance a commis une erreur de droit en concluant
que les fouilles par palpation ne portaient pas
atteinte au droit à la vie privée des détenus du sexe
masculin ou que cette atteinte était négligeable.
Le juge de première instance a conclu que la
fouille par palpation de détenus du sexe masculin
par des gardien du sexe féminin ne constituait pas
une violation des droits garantis par les articles 7,
8 ou 15 de la Charte.
Compte tenu de ce que j'ai déjà dit, j'accepte
d'emblée l'appréciation faite par le juge de pre-
mière instance. Je rejetterais le second moyen de
l'appel incident.
DISPOSITIF
Je suis d'avis d'accueillir l'appel, d'annuler le
jugement prononcé par le juge de première ins
tance le 9 juin 1987 et de rejeter l'appel incident.
Je condamnerais l'intimé aux dépens de l'appel
incident.
LE JUGE HEALD, J.C.A.: Je souscris à ces
motifs.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.