T-18-88
Sky Charter Limited et S.T.S. Holdings Limited
(requérantes/demanderesses)
C.
Le Bureau canadien de la sécurité aérienne
(intimé/défendeur)
RÉPERTORIÉ: SKY CHARTER LTD. C. CANADA (BUREAU DE LA
SÉCURITÉ AÉRIENNE) (1" INST.)
Section de première instance, juge MacKay—
Toronto, 19 juin 1989; Ottawa, 11 septembre
1990.
Droit aérien — Les propriétaires d'un enregistreur de con
versations de poste de pilotage, remis au Bureau canadien de
la sécurité aérienne après un incident aérien, ont droit à la
restitution de l'enregistrement ou à la transcription complète
de celui-ci, à leur demande, lorsque l'enquête est complétée en
vertu de l'art. 21 de la Loi sur le Bureau canadien de la
sécurité aérienne — La protection conférée à l'enregistrement
par les art. 33 et 34 ne constitue pas une fin de non-recevoir à
l'égard du droit à la restitution — La protection ne s'oppose
pas au droit des propriétaires à la restitution — La protection
a pour but d'assurer que les enregistrements soient accessibles
aux fins d'enquête des accidents aériens tout en protégeant la
vie privée des pilotes — La possibilité que les propriétaires
abusent des droits des employés ne concerne pas le Bureau.
Il s'agit d'une requête en jugement déclaratoire portant que
les demanderesses ont le droit de récupérer une bande d'enre-
gistrement ou la transcription complète de celle-ci. Les deman-
deresses sont propriétaires d'un jet Lear, y compris l'enregis-
treur de conversations de poste de pilotage (CVR) et
l'enregistreur de données de vol (FDR). Le jet a subi d'impor-
tants dommages au moment où il s'apprêtait à atterrir à
l'aéroport Pearson. À la demande du Bureau canadien de la
sécurité aérienne, les demanderesses lui ont remis les enregis-
trements CVR et FDR. Même si l'enquête du Bureau est
terminée, il a, malgré de nombreuses demandes, refusé de
restituer les bandes d'enregistrement. L'article 21 de la Loi sur
le Bureau canadien de la sécurité aérienne prévoit que lors-
qu'ils ont servi aux fins voulues, les biens saisis en application
de l'alinéa 19(1)c) sont restitués le plus tôt possible à leur
propriétaire, sauf consentement écrit contraire du propriétaire.
Les demanderesses ont intenté une action en dommages-intérêts
à la suite de cet incident, alléguant la négligence des employés
de l'État. Elles croient que la restitution de la bande aurait pu
leur éviter d'introduire cette action ou les aider à la préparer. Il
s'agissait de déterminer si après avoir saisi la bande CVR aux
fins d'enquête sur un incident ou un accident et avoir complété
cette enquête, le Bureau peut refuser de restituer la bande
d'enregistrement ou la transcription complète de celle-ci au
propriétaire qui en a fait la demande. Le défendeur prétend
qu'en vertu de la protection spéciale que confèrent à la bande
CVR les articles 33 et 34 de la Loi, il ne peut restituer la bande
d'enregistrement. Ces articles prévoient que le Bureau ne peut
communiquer l'enregistrement ou les renseignements qu'il con-
tient qu'aux agents de la paix, au coroner et aux personnes qui
participent à des enquêtes, à la demande d'un tribunal ou d'un
coroner, après que le tribunal ou le coroner a examiné l'enregis-
trement à huis clos et donné au Bureau la possibilité de
présenter des observations relatives à la communication, et qu'il
a conclu qu'il peut y avoir communication de l'enregistrement
parce que l'intérêt public d'une bonne administration de la
justice a prépondérance sur la protection conférée à l'enregis-
trement. Le.défendeur a allégué que la Loi ne prévoit pas que le
propriétaire de l'enregistrement y a accès.
Jugement: la requête devrait être accueillie.
Les demanderesses ont droit à la restitution de l'enregistre-
ment ou du moins à la transcription complète de son contenu,
conformément à l'article 2L
La protection conférée à l'enregistrement pilotage ne s'op-
pose pas au droit qu'a le propriétaire de le récupérer. Cette
protection avait pour but d'assurer que ces enregistrements
soient accessibles aux fins licites établies, notamment les enquê-
tes relatives aux accidents et incidents aériens, tout en proté-
geant le plus possible la vie privée des pilotes dont la moindre
parole est enregistrée. La protection vise l'enregistrement, peu
importe qu'il soit en la possession des propriétaires, du Bureau
ou de toute autre personne. La possession de l'enregistrement
n'a aucune importance aux fins de la Loi et des fonctions du
Bureau.
La possibilité qu'un propriétaire qui a accès à l'enregistre-
ment en abuse au détriment des droits de l'employé ne concerne
pas le Bureau. L'article 35 interdit l'utilisation des enregistre-
ments dans le cadre de procédures disciplinaires ou autres, à
l'exclusion des procédures civiles, dans certains cas. Les conven
tions collectives ou les contrats d'emploi entre pilotes et pro-
priétaires régissent l'utilisation possible de ces enregistrements.
Les conditions relatives à la communication des enregistre-
ments sont énoncées dans la Loi, notamment la protection
conférée par le paragraphe 33(1) et la restriction de l'utilisation
que prévoit cet article de façon tacite et l'article 35, de façon
expresse. Les demanderesses désirent la restitution de l'enregis-
trement pour permettre à leur avocat de l'examiner afin d'éva-
luer et de préparer leurs réclamations dans l'action civile et au
président des sociétés demanderesses de les examiner pour
comprendre l'incident en vue d'améliorer la sécurité aérienne.
La consultation de l'avocat ne contrevient pas à la protection
puisqu'il peut être considéré comme un prolongement des
demanderesses. Les conseils de l'avocat au sujet des poursuites
possibles sont protégés en soi; il est de l'intérêt de la justice de
restituer l'enregistrement 'aux demanderesses à des conditions
permettant à l'avocat d'y avoir accès. Après la restitution,
l'avocat devrait avoir accès à l'enregistrement de façon confi-
dentielle, aux seules fins de conseiller les demanderesses.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art.
18.
Loi sur le Bureau canadien de la sécurité aérienne,
L.R.C. (1985), chap. A-12, art. 2, 5(1), 7, 9, 10, 16,
19, 21, 32, 33, 34, 35, 36(3).
Loi sur le Bureau canadien de la sécurité aérienne, S.C.
1980-81-82-83, chap. 165, art. 2(1), 4(1), 6, 8, 9, 12,
15, 16, 26, 27(3).
Ordonnance sur les enregistreurs de la parole dans les
postes de pilotage, C.R.C., chap. 37.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Wilson c. Ministre de la Justice, [1985] 1 C.F. 586;
(1985), 13 Admin. L.R. 1; 20 C.C.C. (3d) 206; 6 C.P.R.
(3d) 283; 46 C.R. (3d) 91; 16 C.R.R. 271; 60 N.R. 194
(C.A.).
DOCTRINE
Canada, Rapport de la Commission d'enquête sur la
sécurité aérienne: Caractère confidentiel des éléments
de preuve recueillis par les enquêteurs, vol. 1, Partie X
(Ottawa, Approvisionnements et Services, 1981)
(Commissaire: C. L. Dubin).
AVOCATS:
W. A. Richardson pour les requérantes/
demanderesses.
D. Bruce Garrow et F. Reinhardt pour
l'intimé/défendeur.
PROCUREURS:
Lilly, Blott, Fejér, Toronto, pour les requé-
rantes/demanderesses.
Hughes, Amys, Toronto pour l'intimé/défen-
deur.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MACKAY: La présente instance, intro-
duite par voie d'avis de requête, vise à obtenir une
déclaration portant que les requérantes/demande-
resses ont le droit d'avoir, de garder ou d'obtenir
de l'intimé/défendeur une certaine bande d'enre-
gistrement ou la transcription complète de celle-ci
et, le cas échéant, une ordonnance de mandamus
enjoignant au Bureau de remettre aux requéran-
tes/demanderesses l'enregistrement en cause ou la
transcription complète et intégrale de celui-ci.
Questions préliminaires
En moyen préliminaire, l'intimé/défendeur a
prétendu que la procédure choisie par les requé-
rantes/demanderesses était inutile parce que ces
dernières pouvaient, dans le cadre d'autres instan
ces déjà engagées contre Sa Majesté, demander la
production et l'examen de l'enregistrement en
litige et que le tribunal concerné pourrait décider
s'il est opportun d'ordonner la production ou l'exa-
men de l'enregistrement, conformément à la Loi
sur le Bureau canadien de la sécurité aérienne,
L.R.C. (1985), chap. C-12, article 34 [ancien
paragraphe 26(6) S.C. 1980-81-82-83, chap. 165].
En réplique, les requérantes/ demanderesses allè-
guent que cette dernière procédure implique que
l'intimé/défendeur a le droit de garder l'enregistre-
ment, ce qui fait justement l'objet de la requête
dont cette Cour est présentement saisie. À mon
avis, la question du droit qu'aurait le Bureau de
garder l'enregistrement même si les requérantes/
demanderesses, qui en sont propriétaires, ont
demandé la restitution de l'enregistrement ou de la
transcription complète de celui-ci, ne peut être
tranchée qu'au terme d'un débat et ce, dans la
mesure où les règles de procédure en permettent la
tenue.
La Cour a ensuite discuté avec les avocats de
l'exception d'irrecevabilité que soulève la requête
telle que présentée, c'est-à-dire qu'en vertu des
Règles de cette Cour, les instances engagées en
vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale,
L.R.C. (1985), chap. F-7, en vue d'obtenir un
jugement déclaratoire, comme en l'espèce, ne peu-
vent l'être par voie de requête; elles doivent pren-
dre la forme d'action introduite par déclaration.
Même si ces Règles ne s'appliquent pas au manda-
mus, également demandé en l'espèce, elles pré-
voient implicitement que, dans le cas d'une
demande de jugement déclaratoire, les questions
en litige doivent faire l'objet d'un procès. En l'es-
pèce, les requérantes/demanderesses ont déposé
une déclaration le 7 janvier 1988 en vue d'obtenir
une réparation semblable à celle demandée en
l'espèce par voie de requête, mais rien d'autre ne
figure au dossier, aucune des procédures prélimi-
naires habituelles afin d'obtenir ou d'éclaircir des
éléments de preuve et aucune démarche en vue de
faire procéder à l'instruction de l'action, jusqu'à ce
que le présent avis de requête soit déposé au mois
de mai 1989. Dans Wilson c. Ministre de la Jus
tice, [1985] 1 C.F. 586 (C.A.), le juge Mahoney a
reconnu, au nom de la Cour d'appel, qu'il existe
une procédure exceptionnelle par laquelle, avec le
consentement des parties et non simplement en
l'absence d'objection, la Cour peut ordonner que
l'on considère que l'instance a été régulièrement
introduite, à condition que les parties versent au
dossier un exposé conjoint de tous les faits sur
lesquels les questions en litige devront être
tranchées.
Après un bref ajournement afin de permettre
aux avocats de se consulter, l'avocat de l'intimé/
défendeur a informé la Cour qu'il acceptait que la
requête soit entendue comme s'il s'agissait d'une
action, à la condition que l'alinéa 9d) de la décla-
ration déposée le 7 janvier 1989 soit radié. Cet
alinéa se rapportait à la réparation demandée à
l'époque par les requérantes/demanderesses et
visait la validité des dispositions de la Loi relatives
à la saisie de l'enregistrement par l'intimé/défen-
deur. Les avocats des deux parties ont consenti à la
radiation de cet alinéa et ont convenu qu'aucun des
faits générateurs du litige n'était contesté.
Dans ces circonstances, ayant pris acte du con-
sentement des parties à ce que l'affaire suive son
cours et de leur accord quant aux faits en cause,
j'ai ordonné que l'on considère que l'instance a été
régulièrement introduite et que les faits énoncés
dans la déclaration déposée le 7 janvier 1988 cons
tituent l'exposé conjoint des faits. Dans cette
déclaration, les paragraphes 1 à 8 résument les
faits; le paragraphe 9 énonce la réparation deman-
dée par les requérantes/ demanderesses et qui, je le
présume, a été remplacée par la réparation deman-
dée dans l'avis de requête du 10 mai 1989. À
l'audience, les plaidoiries ont porté exclusivement
sur la réparation visée dans l'avis de requête. Tout
ce qui différencie fondamentalement la réparation
demandée dans la déclaration déposée en janvier et
celle visée dans l'avis de requête est que celui-ci
porte uniquement sur un jugement déclaratoire et
une ordonnance de mandamus relatifs à un certain
enregistrement fait au moyen d'un enregistreur de
conversations de poste de pilotage (CVR) tandis
que la déclaration portait également sur un
deuxième enregistrement produit par un enregis-
treur de données de vol (FDR).
Les faits admis et la réparation demandée
Aux fins du dossier, voici les faits admis par les
avocats des parties et énoncés aux paragraphes 1 à
8 de la déclaration déposée par les demanderesses
le 7 janvier 1989.
[TRADUCTION] 1. La demanderesse/requérante, Sky Charter
Limited («Sky Charter») et la demanderesse/requérante, S.T.S.
Holdings Limited («S.T.S.»), sont deux compagnies constituées
en vertu des lois de la province de l'Ontario. Pendant toute la
période pertinente, Sky Charter et S.T.S. étaient respective-
ment propriétaires de 40 % et de 60 % d'un jet Gates Lear 25B
1973, n° de série 109 et n° d'enregistrement C-GSAS
(»C-GSAS»). Pendant toute la période pertinente, Sky Charter
louait les 60 % du C-GSAS appartenant à S.T.S.
2. Le défendeur/intimé, le Bureau canadien de la sécurité
aérienne («de Bureau») est un bureau fédéral créé en vertu de
l'article 4 de la Loi sur le Bureau canadien de la sécurité
aérienne, S.C. 1980-81-82-83, chap. 165, modifiée («la Loi»).
Le Bureau a pour mission de promouvoir la sécurité aérienne en
constatant les manquements à la sécurité mis en évidence par
les accidents aéronautiques; en procédant à des enquêtes indé-
pendantes sur les accidents aéronautiques afin de dégager leur
cause et les autres facteurs en jeu; et en rendant compte, dans
des rapports publics, de ces enquêtes.
3. Conformément à certaines ordonnances sur la navigation
aérienne relatives aux aéronefs de catégorie «C» (dont était le
C-GSAS), le C-GSAS était muni notamment d'un enregistreur
de conversations de poste de pilotage (CVR) et d'un enregis-
treur de données de vol (FDR) et ce, pendant toute la période
pertinente. Pendant toute la période en cause, Sky Charter et
S.T.S. étaient propriétaires des bandes d'enregistrement CVR
et FDR ainsi que de leur contenu.
4. Le CVR est un dispositif qui enregistre sur une cassette
audio d'enregistrement continu les trente (30) dernières minu
tes de conversation entre les membres de l'équipage ou entre
l'équipage et d'autres aéronefs ou des installations au sol.
5. Le FDR est un dispositif qui mesure et enregistre, par des
moyens semblables, certains paramètres de vol sur une bande
métallique.
6. Le,3 avril 1985, vers 04:09 heures, un incident s'est produit
au moment où le C-GSAS s'apprêtait à atterrir à l'Aéroport
international Lester B. Pearson («aéroport Pearson») dans la
municipalité régionale de Peel, en Ontario. Le C-GSAS a subi
d'importants dommages imputables à cet incident. De plus, Sky
Charter n'a pu utiliser le C-GSAS entre le 3 avril et le 10 mai
1985.
7. Peu après l'incident, et à la demande d'un représentant du
Bureau, Sky Charter et S.T.S. ont remis les enregistrements
CVR et FDR ainsi que leur contenu à ce représentant, aux
seules fins d'aider le Bureau à mener son enquête relative à
l'incident. Sky Charter et S.T.S. ont en aucun temps donné ou
cédé au Bureau leurs droits de propriété relatifs aux bandes
d'enregistrement et à leur contenu.
8. Par la suite, et jusqu'à ce jour, le Bureau a illégalement
refusé de restituer aux demanderesses/requérantes les bandes
d'enregistrement CVR et FDR, ou la transcription de celles-ci,
malgré de nombreuses demandes en ce sens et malgré le fait
qu'il n'a plus besoin des bandes d'enregistrement.
Aux fins du dossier, je reprends également la
réparation demandée par les demanderesses dans
l'avis de requête daté du 10 mai 1989:
a) une déclaration portant que, en vertu de la Loi sur le
Bureau canadien de la sécurité aérienne, le propriétaire
d'un enregistreur de conversations de poste de pilotage
(CVR) a le droit d'avoir, de garder ou d'obtenir du Bureau
la bande d'enregistrement CVR ou la transcription com-
plète de son contenu; et, le cas échéant,
b) une ordonnance de mandamus enjoignant au Bureau de
communiquer et de remettre aux demanderesses/ requé-
rantes la bande CVR enregistrée à bord du C-GSAS, les
ou vers les 2 et 3 avril 1985, ou la transcription complète et
intégrale de cet enregistrement.
Aux fins du dossier, je note également certaines
autres questions abordées dans l'affidavit d'Irving
Oscar Shoichet, président des deux sociétés
demanderesses, présenté à l'appui de la requête
maintenant considérée comme une action devant la
Cour, et dans l'affidavit de Franz Reinhardt,
avocat du bureau défendeur, déposé en réplique
partielle à l'affidavit de M. Shoichet, ainsi que
certaines questions dont les avocats sont convenus
à l'audience. Même si ces éléments n'ont pas été
énoncés dans l'exposé conjoint des faits, ils peuvent
servir de toile de fond à cette instance. Les voici:
1) Le déposant, M. Shoichet, déclare qu'une
autre action a été introduite par voie de déclara-
tion devant la Cour, le 30 septembre 1985 (no du
greffe: T-2145-85), en vue d'obtenir des domma-
ges-intérêts pour des pertes imputables à l'inci-
dent mettant en cause l'aéronef C-GSAS, de
l'acte quasi-délictuel ou de l'acte délictuel pré-
sumé d'employés ou de préposés de Sa Majesté.
Cette action a été engagée parce que l'on croyait
qu'une certaine prescription s'appliquait aux
actions intentées contre la Couronne. De plus,
avec le consentement de l'avocat de Sa Majesté,
cette action n'a pas connu de suite, après la
délivrance et la signification de la déclaration,
en attendant l'issue de la présente requête en
jugement déclaratoire et en mandamus.
2) Le déposant, M. Shoichet, croit que si l'avo-
cat des demanderesses et ses consultants avaient
pu étudier et analyser la bande d'enregistrement
CVR, cela aurait pu leur éviter d'introduire une
action contre Sa Majesté ou pourrait les aider à
préparer l'action en justice.
3) Le déposant, M. Shoichet déclare que, bien
qu'il n'ait jamais eu l'occasion d'utiliser les enre-
gistrements CVR à des fins disciplinaires contre
ses employés, il a souvent, à leur connaissance et
avec leur consentement, écouté ces enregistre-
ments ou les conversations entre ses employés et
les contrôleurs de la navigation aérienne, surtout
lorsque ses employés lui avaient fait part de
directives erronées ou conflictuelles données par
des contrôleurs. De plus, il croit que le proprié-
taire/exploitant d'un aéronef muni d'un CVR et
d'un FDR devrait avoir libre accès aux bandes
d'enregistrement ou à la transcription de cel-
les-ci afin de maintenir ou d'améliorer la sécu-
rité aérienne, objectif qui intéresse le proprié-
taire/exploitant au moins autant, sinon plus, que
le bureau défendeur. A titre de propriétaire du
CVR et du FDR installés dans un aéronef, le
propriétaire/exploitant ou ses représentants
devraient avoir libre accès à toutes les données
relatives à un incident afin d'améliorer la sécu-
rité aérienne et de lui permettre de déterminer
la responsabilité civile de l'incident.
4) Le déposant, M. Reinhardt, affirme qu'il
croit que la preuve des conversations entre les
employés de Sky Charter, à bord de l'aéronef
C-GSAS, et les contrôleurs de la navigation
aérienne, pendant la période de l'incident sur-
venu à l'aéronef, figure dans l'enregistrement du
contrôle de la navigation aérienne, dont la com
munication peut être légalement exigée, en vertu
du paragraphe 36(3) (ancien paragraphe 27(3))
de la Loi; une transcription de l'enregistrement
contrôle est jointe en annexe à son affidavit.
5) À l'audience, les avocats ont convenu, du
moins de façon tacite, que l'enquête menée par
le Bureau relativement à l'incident aérien met-
tant en cause l'aéronef des demanderesses était
terminée. De plus, il a été admis que l'enregis-
treur de conversations de poste de pilotage saisi
par l'inspecteur du Bureau avait été restitué aux
demanderesses, de sorte qu'en l'espèce, le litige
porte sur la bande d'enregistrement produite par
l'enregistreur, qui se trouvait initialement à l'in-
térieur de celui-ci et que le Bureau a toujours en
sa possession.
La question en litige et le régime légal
La principale question en litige est assez simple:
il s'agit de déterminer si le Bureau défendeur peut,
après avoir saisi ou autrement obtenu la bande
d'enregistrement CVR aux fins d'enquête d'un
incident ou d'un accident, refuser de restituer la
bande ou la transcription de l'enregistrement au
propriétaire qui en a fait la demande, une fois
l'enquête terminée.
Des questions subordonnées ont été soulevées
lors des plaidoiries. Dans la mesure où elles ne
seront pas réglées en même temps que la question
principale, je suggère de les examiner d'abord
puisque l'une d'entre elles au moins a été soulevée
par l'intimé en objection préliminaire au début de
l'audience.
L'issue de la question principale dépend de l'in-
terprétation de certaines dispositions de la Loi. La
Loi a été adoptée en 1983 la suite du rapport et
des recommandations de la Commission d'enquête
sur la sécurité aérienne présidée par le juge Char-
les Dubin, maintenant juge en chef de l'Ontario.
Les dispositions pertinentes de la Loi sont reprises
ci-dessous. (Les extraits suivants reprennent les
dispositions pertinentes de la Loi, L.R.C. (1985),
chap. C-12; à la fin de chaque disposition, figure
entre crochets, à la suite du mot «ancien», la
disposition correspondante en vigueur au moment
de la saisie de l'enregistrement par le défendeur et
cité par les avocats durant leurs plaidoiries. Les
renvois à la Loi sont faits de la même façon dans
les présents motifs.)
19. Au cours d'une enquête menée par le Bureau en applica
tion de la présente loi, les enquêteurs peuvent, ...
a) monter à bord de tout aéronef ou pénétrer en tout lieu où
ils ont des motifs raisonnables de croire leur présence néces-
saire à l'enquête;
b) procéder, à bord de l'aéronef ou dans le lieu mentionnés à
l'alinéa a), à toute visite qu'ils ont des motifs raisonnables de
croire nécessaire à l'enquête, notamment en ce qui concerne
tout ou partie du matériel, des marchandises, du fret, des
bagages, des documents, des pièces ou autres biens qui s'y
trouvent, ainsi que faire des copies ou prendre des extraits de
ces documents ou pièces;
c) en tout ou en partie, saisir, retenir, enlever, conserver,
protéger et soumettre à des essais au besoin destructifs tous
aéronefs, matériels, marchandises, fret, bagages, documents,
pièces ou autres biens, mentionnés à l'alinéa b), qu'ils ont des
motifs raisonnables de croire en rapport avec un fait aéro-
nautique objet d'une enquête menée en application de la
présente loi; (ancien article 15)
21. (1) Lorsqu'ils ont servi aux fins voulues, les biens saisis
en application de l'alinéa 19c) sont, sauf consentement écrit
contraire de l'intéressé, restitués le plus tôt possible à leur
propriétaire ou à la personne dont on a des motifs raisonnables
de croire qu'elle y a droit.
(2) Le saisi, ou la personne dont on a des motifs raisonnables
de croire qu'elle a droit aux biens saisis, peut demander leur
restitution au tribunal compétent.
(3) Le tribunal peut, s'il estime que les biens saisis ont servi
aux fins voulues ou qu'il est de l'intérêt de la justice de les
restituer, faire droit à la demande, sous réserve des conditions
jugées utiles pour assurer leur conservation aux fins pour
lesquelles le Bureau peut ultérieurement vouloir en disposer en
application de la présente loi. (anciens paragraphes 16(1),(2) et
( 3 ))
32. Aux articles 33 35, «enregistrement pilotage», forme
abrégée de l'expression «enregistrement des conversations du
poste de pilotage», s'entend de tout ou partie de l'enregistre-
ment des conversations ou de l'environnement sonore du poste
de pilotage d'un aéronef, des conversations entre l'aéronef et
d'autres interlocuteurs ou des signaux audibles d'identification
des aides à la navigation et des aides d'approche, ou de la
transcription ou d'un résumé appréciable de ces conversations.
(ancien paragraphe 26(1))
33. (1) Les enregistrements pilotage sont protégés. Sauf
disposition contraire du présent article ou de l'article 34, nul ne
peut, notamment s'il s'agit de personnes qui y ont accès au titre
du présent article ou de l'article 34:
a) sciemment, les communiquer ou les laisser communiquer;
b) être contraint de les produire ou de témoigner à leur sujet
lors d'une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre.
(2) Les enregistrements pilotage relatifs à un fait aéronauti-
que objet d'une enquête prévue par la présente loi doivent être
communiqués au Bureau ou à l'enquêteur qui en fait la
demande dans le cadre de sa mission.
(3) Le Bureau peut utiliser les enregistrements pilotage
obtenus en application de la présente loi comme il l'estime
nécessaire dans l'intérêt de la sécurité aérienne, mais, sous
réserve du paragraphe (4), il ne peut sciemment communiquer
ou laisser communiquer les parties de ces enregistrements qui
sont étrangères aux causes et autres facteurs en jeu du fait
aéronautique objet d'une enquête prévue par la présente loi.
(4) Le Bureau est tenu de communiquer les enregistrements
pilotage qu'il a obtenus en application de la présente loi:
a) aux agents de la paix autorisés par la loi à en prendre
connaissance;
b) aux coroners qui en font la demande pour leurs enquêtes;
c) aux personnes qui participent aux enquêtes coordonnées
visées à l'article 17 ou sont nommées en application du
paragraphe 26(2) et qui en font la demande pour l'exercice
de leurs fonctions (anciens paragraphes 26(2),(3),(4) et (5))
34. (1) Par dérogation à l'article 33, le tribunal ou coroner
qui, dans le cours de procédures devant lui, est saisi d'une
demandé de production et d'examen d'un enregistrement pilo-
tage doit:
a) transmettre un avis de la demande au Bureau, si ce
dernier n'est pas partie aux procédures;
b) examiner l'enregistrement pilotage à huis clos;
c) donner au Bureau la possibilité de présenter des observa
tions relatives à cet enregistrement.
S'il conclut, dans les circonstances de l'espèce, que l'intérêt
public d'une bonne administration de la justice a prépondérance
sur la protection conférée à l'enregistrement par l'article 33, il
doit en ordonner la production et l'examen, sous réserve des
restrictions ou conditions qu'il juge indiquées; il peut en outre
enjoindre à toute personne de témoigner au sujet de cet enregis-
trement. (ancien paragraphe 26(6))
35. Il ne peut être fait usage des enregistrements pilotage:
a) contre les personnes mentionnées au paragraphe 36(1),
dans une procédure judiciaire ou autre à l'exclusion des
procédures civiles;
b) contre quiconque dans le cadre de procédures disciplinai-
res ou de procédures concernant la capacité ou la compétence
d'un agent ou employé relativement à l'exercice de ses fonc-
tions. (ancien paragraphe 26(8))
L'examen de la Loi dans son ensemble, auquel
les deux parties souscrivent dans leur exposé des
faits et du droit, révèle que la Loi a pour mission
de promouvoir la sécurité aérienne par la constitu
tion du Bureau intimé auquel est confiée cette
même mission générale ainsi que le pouvoir d'iden-
tifier les manquements à la sécurité mis en évi-
dence par les faits aéronautiques (c'est-à-dire tout
accident ou incident lié à l'utilisation d'un aéronef
et toute situation qui pourrait, à défaut de mesure
corrective, provoquer ce genre de fait). Le Bureau
peut procéder à des enquêtes indépendantes ou à
des enquêtes publiques et peut rendre compte, dans
les rapports publics, de ces enquêtes, des conclu
sions qu'il en tire et des recommandations sur les
moyens d'éliminer ou de réduire les manquements
à la sécurité. Le Bureau peut enquêter sur tout fait
aéronautique, sauf ceux qui mettent en cause un
aéronef militaire. Il ne relève pas de la mission du
Bureau de se prononcer sur la détermination ou
l'attribution des fautes ou des responsabilités rela
tives à des faits aéronautiques (articles 2, 5(1), 7,
16; anciens articles 2(1), 4(1), 6, 12).
Le Bureau nomme des enquêteurs en application
des articles 9 et 10 (anciens articles 8 et 9) qui ont
des pouvoirs considérables en vertu de l'article 19
(ancien paragraphe 15(1)), notamment le pouvoir
de «saisir, retenir, enlever, conserver, protéger ...
tous aéronefs, matériels, ... documents, pièces .. .
qu'ils ont des motifs raisonnables de croire en
rapport avec un fait aéronautique objet d'une
enquête menée en application» de la Loi
(alinéa 19c), ancien alinéa 15(1)c)). Le pouvoir de
saisir et de retenir des biens est restreint par la
restitution obligatoire des biens saisis à leur pro-
priétaire; et ce dernier, ou la personne qui a droit
aux biens saisis, peut demander leur restitution au
tribunal compétent (paragraphes 21(1) et (2),
anciens paragraphes 16(1) et (2)).
Après des dispositions relatives au Bureau, à sa
constitution, à son fonctionnement et à son admi
nistration, les articles 32 41 (anciens articles 26
à 29) traitent, sous la rubrique «Renseignements
protégés», des enregistrements pilotage, des enre-
gistrements contrôle et des déclarations se rappor-
tant à un fait aéronautique obtenues par le Bureau
ou un enquêteur; le Parlement a adopté pour cha-
cune de ces catégories de documents des disposi
tions particulières portant sur les restrictions appli-
cables à leur utilisation. À cet égard, ces
documents sont «protégés» au sens de la Loi. Les
dispositions relatives aux enregistrements pilotage
ont été citées auparavant, dans la mesure où elles
sont pertinentes en l'espèce. Elles feront l'objet
d'une étude approfondie plus tard.
Les questions subordonnées
Puisque l'intimé a soulevé une question comme
moyen préliminaire, je me propose de traiter main-
tenant de toutes les questions subordonnées que les
avocats ont soulevées, à l'exception de celles qui
seront nécessairement examinées au moment de
l'étude de la question principale.
La première question est la suivante: le défen-
deur prétend que la présente action est irrecevable
en vertu du paragraphe 34(1) (ancien
paragraphe 26(6)) de la Loi. Cette prétention est
fondée sur l'application possible de cette disposi
tion si, dans le cadre de l'action introduite par voie
de déclaration le 30 septembre 1985, les demande-
resses présentaient une demande de production et
d'examen de l'enregistrement en cause. Dans ce
cas, la Cour devrait en aviser le Bureau, examiner
l'enregistrement à huis clos, donner au Bureau la
possibilité de présenter des observations et, si la
Cour conclut que l'intérêt public d'une bonne
administration de la justice a prépondérance sur la
protection conférée à l'enregistrement par
l'article 33, elle en ordonnera la production et
l'examen, sous réserve des restrictions qu'elle juge
indiquées.
De toute évidence, les demanderesses sont libres
de demander la production et l'examen de l'enre-
gistrement en vertu de l'article 34. Mais cela ne
répond pas aux revendications des demanderesses
qui, à titre de propriétaires, désirent récupérer la
bande d'enregistrement ou la transcription com-
plète de celle-ci à cette étape-ci de l'instance.
En deuxième lieu, les demanderesses prétendent
que les articles 32 à 35 [ancien article 26]
devraient être interprétés de façon à permettre au
propriétaire du CVR soit de conserver le CVR (je
présume qu'il s'agit de la bande d'enregistrement
et non du matériel ou de l'enregistreur en soi) et
d'en remettre une copie au Bureau, soit de conser-
ver une copie de l'enregistrement et de remettre
l'original au Bureau. Les faits de l'espèce ne don-
nent pas lieu à cette question. De plus, en vertu de
l'alinéa 19c) (ancien alinéa 15(1)c)), un inspecteur
peut saisir tout ce qui lui semble utile aux fins
d'une enquête. En l'espèce, il a exigé que le CVR
lui soit remis, les propriétaires avaient l'obligation
de le lui confier et, d'après les plaidoiries, le CVR
et la bande d'enregistrement ont tous deux été
saisis par l'enquêteur. Je ne crois pas qu'il soit
nécessaire de traiter de la question de savoir ce que
le propriétaire aurait pu faire mais n'a pas fait en
l'espèce pour répondre à la demande de l'inspec-
teur portant que le CVR et la bande d'enregistre-
ment de celui-ci lui soient confiés aux fins
d'enquête.
De même, je ne crois pas qu'il soit nécessaire de
s'attendre à une question soulevée par l'avocat du
défendeur, savoir [TRADUCTION] «si les renseigne-
ments protégés demandés par la requérante peu-
vent être obtenus facilement d'une autre source
non protégée». On peut présumer qu'il s'agit ici de
la transcription de l'enregistrement contrôle, jointe
en l'espèce à l'affidavit de M. Reinhardt, présenté
à l'appui du défendeur, ou peut-être des souvenirs
et des déclarations faites, le cas échéant, par les
pilotes de l'aéronef aux propriétaires, soit les
demanderesses en l'espèce. Ni l'une ni l'autre de
ces sources ne saurait être aussi complète que les
renseignements que contient l'enregistrement de
tous les sons audibles entendus dans le poste de
pilotage au cours des trente (30) dernières minutes
de vol et d'atterrissage. Et même si elles étaient
aussi complètes, le fait qu'elles soient disponibles
ne répond pas pleinement aux revendications des
demanderesses qui désirent récupérer l'enregistre-
ment dont elles sont propriétaires.
La principale question en litige: le droit du pro-
priétaire de récupérer un enregistrement saisi par
le Bureau
Les demanderesses se fondent sur l'article 21
(ancien article 16) de la Loi pour demander la
restitution de l'enregistrement en cause; cet article
prévoit que «lorsqu'ils ont servi aux fins voulues,
les biens saisis en application de l'alinéa 19c)»
[ancien alinéa 15(1)c)) «sont, sauf consentement
écrit contraire de l'intéressé, restitués le plus tôt
possible à leur propriétaire ou à la personne dont
on a des motifs raisonnables de croire qu'elle y a
droit». En l'espèce, les demanderesses n'ont jamais
consenti à ce que le Bureau conserve l'enregistre-
ment; de fait, elles ont maintes fois demandé sa
restitution. Il n'y a pas de doute non plus qu'il a
servi aux fins voulues, savoir l'enquête relative à
l'incident aérien mettant en cause l'aéronef des
demanderesses. Il est admis que l'enquête du
Bureau est terminée. Les demanderesses ont le
droit de demander la restitution de l'enregistre-
ment à la Cour, conformément au paragraphe
21(2) (ancien paragraphe 16(2)) et, sauf empêche-
ment prévu par la Loi, elles ont le droit d'obtenir
la restitution de l'enregistrement.
Le défendeur prétend que, de fait, il existe une
fin de non-recevoir opposable à une demande de
communication de l'enregistrement à son proprié-
taire, et qu'il a refusé de restituer l'enregistrement
à cause de la protection spéciale conférée aux
enregistrements pilotage par les articles 33 et 34
de la Loi (anciens paragraphes 26(2) à (7)). On
allègue que compte tenu de l'objet de la Loi, savoir
l'amélioration de la sécurité aérienne au moyen
d'enquêtes et de rapports sur les incidents aériens,
pour lesquels un enregistrement pilotage est essen-
tiel, la Loi prévoit une protection particulière que
le défendeur qualifie dans son mémoire de [TRA-
DUCTION] «protection absolue». En plus d'accorder
au Bureau et à ses enquêteurs l'accès aux docu
ments dans l'exécution de leurs responsabilités, en
vertu du paragraphe 33(3) (ancien paragraphe
26(4)), la Loi prévoit que le Bureau ne peut
communiquer l'enregistrement ou les renseigne-
ments qu'il contient qu'en conformité avec le para-
graphe 33(4) et l'article 34 (anciens paragraphes
26(5) et (6)). Ces dispositions prévoient la com
munication des enregistrements aux agents de la
paix, au coroner et aux personnes qui participent à
des enquêtes et qui en font la demande pour
l'exercice de leurs fonctions, ainsi que la communi
cation des enregistrements à la demande d'un tri
bunal ou d'un coroner qui est saisi d'une demande
de production et d'examen d'un enregistrement. Ce
genre de communication ne peut avoir lieu qu'a-
près que le tribunal ou le coroner a examiné
l'enregistrement à huis clos et a donné au Bureau
la possibilité de présenter des observations relatives
à la communication, et que le tribunal ou le coro
ner conclut, dans les circonstances de l'espèce,
qu'il peut y avoir communication de l'enregistre-
ment parce que l'intérêt public d'une bonne admi
nistration de la justice a prépondérance sur la
protection conférée à l'enregistrement par l'article
33 (ancien paragraphe 26(2)). Le défendeur souli-
gne que la Loi ne prévoit pas que le propriétaire de
l'enregistrement y a accès, et il prétend que l'habi-
tude qu'avaient les demanderesses d'écouter les
enregistrements, avec le consentement de ses pilo-
tes, n'est ni autorisée par la Loi ni pertinente en
l'espèce.
Le défendeur renvoie à la définition d'«enregis-
trement pilotage» prévue à l'article 32 (ancien
paragraphe 26(1)) et de «communiquer», à
l'article 2 (ancien paragraphe 2(1)); il prétend que
ces définitions portent surtout sur les renseigne-
ments que contient l'enregistrement et soutient
avec insistance que les demanderesses, à titre de
propriétaires/exploitants, n'ont aucun droit de pro-
priété afférent aux renseignements. Toutefois, le
Bureau évite toute la question du droit de pro-
priété qu'ont les demanderesses à l'égard de la
bande sur laquelle les sons ont été enregistrés. Le
Bureau n'a pas su répondre à la demande de
restitution de la bande faite par les demanderesses
en rendant au propriétaire le bien saisi par l'enquê-
teur, c'est-à-dire l'enregistreur qui contenait la
bande lorsque le CVR a été saisi mais pas au
moment de sa restitution.
Les avocats des deux parties ont fait référence
au rapport de la Commission d'enquête sur la
sécurité aérienne, volume I, partie X. Cette partie
du rapport porte sur le «Caractère confidentiel des
éléments de preuve recueillis par les enquêteurs» et
les recommandations qu'elle contient semblent
avoir été reprises dans la Loi sur le Bureau cana-
dien de la sécurité aérienne, adoptée par la suite.
Ce rapport nous aide à comprendre ce qui a motivé
l'adoption dans la Loi d'une protection particulière
pour les enregistrements pilotage. Cette protection
semble avoir pour but d'assurer que ces enregistre-
ments soient accessibles aux fins licites établies par
la Loi, notamment les enquêtes relatives aux acci
dents et incidents aériens, tout en protégeant le
plus possible la vie privée des pilotes dont la
moindre parole ou le moindre son produit est
enregistré. Lors des auditions tenues par la Com
mission d'enquête, les représentants des pilotes
s'étaient dit inquiets de l'invasion inhabituelle de
la vie privée au travail que créent les CVR et
avaient insisté pour qu'existe une protection abso-
lue, à l'exception des enquêtes menées pour amé-
liorer la sécurité aérienne. La Commission n'a pas
recommandé l'adoption d'une protection absolue et
le Parlement ne l'a pas adoptée. L'article 32
(ancien paragraphe 26(1)) définit la protection
conférée aux enregistrements pilotage et la Loi
prévoit que, sauf disposition contraire, nul ne peut,
notamment s'il s'agit de personnes qui y ont accès
au titre de la Loi, sciemment, les communiquer ou
les laisser communiquer, ou être contraint de les
produire ou de témoigner à leur sujet lors d'une
procédure judiciaire, disciplinaire ou autre
(paragraphe 33(1), ancien paragraphe 26(2)).
Ni le rapport ni la loi ne prévoient de disposi
tions portant directement sur la propriété de la
bande d'enregistrement ou de son contenu, ou sur
le droit du propriétaire d'y avoir accès, sauf dans
la mesure où l'article 21 (ancien article 16) peut
être applicable dans les cas où, comme en l'espèce,
l'enregistrement a été saisi par le Bureau ou au
nom de celui-ci, et le propriétaire tente de le
récupérer. Décrétée avant la publication du rap
port et l'adoption de la Loi, l'Ordonnance sur la
navigation aérienne, série II, n° 14 ([Ordonnance
sur les enregistreurs de la parole dans les postes
de pilotages] C.R.C., chap. 37), adoptée en vertu
de la Loi sur l'aéronautique, L.R.C. (1985),
chap. A-2, prévoyait que nul ne peut piloter un
avion commercial, comme celui des demanderesses
en l'espèce, le C-GSAS, à moins que cet avion ne
soit muni d'un enregistreur en bon état de service
et de fonctionnement. L'aéronef des demanderes-
ses était muni d'un CVR dont elles étaient proprié-
taires, y compris la bande d'enregistrement que
l'enregistreur contenait et que le Bureau continue
de garder.
La Loi touche les droits de propriété afférents
au CVR et à l'enregistrement par certains aspects
particuliers. Le CVR et l'enregistrement peuvent
être saisis par un enquêteur en vertu de l'alinéa
19c) (ancien alinéa 15(1)c)) qui impose au Bureau
l'obligation de restituer le bien saisi à son proprié-
taire (paragraphe 21(1); ancien paragraphe
16(1)); l'enregistrement relatif à une question fai-
sant l'objet d'une enquête sera certainement com-
muniqué au Bureau ou à l'enquêteur qui en fait la
demande aux fins de l'enquête (paragraphe 33(2),
ancien paragraphe 26(3)); l'enregistrement est
protégé en vertu de la Loi et ne peut être commu-
niqué que dans les circonstances prévues aux para-
graphes 33(1) et (2) ainsi qu'à l'article 34 (anciens
paragraphes 26(2),(3) et (6)); et l'enregistrement
ne saurait être utilisé contre certaines personnes,
notamment les équipages d'aéronefs et les contrô-
leurs de la navigation aérienne, ou contre quicon-
que dans le cadre de procédures disciplinaires ou
de procédures concernant la capacité ou la compé-
tence d'un agent ou employé relativement à l'exer-
cice de ses fonctions (article 35, ancien paragraphe
26(8)). L'article 2 prévoit que «communiquer»
signifie révéler, divulguer ou mettre à disposition
des renseignements, documents, enregistrements
ou déclarations. L'obligation qu'a le propriétaire
de communiquer l'enregistrement au Bureau ou à
un enquêteur n'a pas d'autre portée sur ses droits
afférents à l'enregistrement.
Le défendeur ne m'a pas convaincu que le droit
qu'a le propriétaire de récupérer, en vertu de
l'article 21 (ancien article 16), un enregistrement
saisi et encore détenu par le Bureau s'oppose à la
protection conférée à l'enregistrement pilotage par
les articles 32 à 35 (ancien article 26). La protec
tion vise l'enregistrement, peu importe qu'il soit en
la possession des propriétaires, du Bureau ou de
toute autre personne à qui il a été communiqué
conformément à la Loi. La possession de l'enregis-
trement par le propriétaire, surtout après la con
clusion de l'enquête menée par le Bureau, n'a
aucune importance aux fins de la Loi et des fonc-
tions du Bureau.
Les représentants du Bureau se sont dit soucieux
parce que la protection accordée à l'enregistrement
avait notamment pour but d'éviter qu'un proprié-
taire qui a accès aux renseignements enregistrés
sur la bande en abuse au détriment des droits des
employés. L'article 35 (ancien paragraphe 26(8))
interdit l'utilisation des enregistrements dans le
cadre de procédures disciplinaires ou autres,
notamment de procédures judiciaires, à l'exclusion
des procédures civiles, dans certains cas. De plus,
comme l'indique le rapport de la Commission d'en-
quête Dubin, dans certains secteurs, les conven
tions collectives régissent les relations qui existent
entre les propriétaires/exploitants et leurs pilotes
employés à l'égard de l'utilisation des enregistre-
ments. En l'absence de dispositions législatives res-
trictives, ces relations demeurent assujetties au
régime contractuel applicable en matière d'emploi,
lequel est certainement influencé par les usages du
milieu. Ces questions ne concernent pas directe-
ment le Bureau défendeur.
Conclusion
Je conclus que la protection conférée à un enre-
gistrement pilotage en vertu de la Loi ne s'oppose
pas au droit qu'ont les propriétaires d'un enregis-
trement de le récupérer, après qu'il eut été saisi
par un enquêteur du Bureau, lorsque, l'enquête
terminée, les fins visées par le Bureau ont été
atteintes. Les demanderesses ont le droit d'obtenir
la restitution de l'enregistrement conformément à
l'article 21 (ancien article 16) ou du moins la
transcription entière de celui-ci, si elles s'en satis-
font, ce qui semble être le cas d'après la demande
de réparation.
Le défendeur a allégué que si une ordonnance
devait être prononcée conformément à la répara-
tion demandée par les demanderesses, elle devrait
être assujettie à des conditions visant à contrôler et
à restreindre la communication des renseignements
et l'utilisation susceptible d'en être faite. Ces con
ditions sont énoncées en grande partie dans la Loi,
notamment la protection conférée aux enregistre-
ments pilotage en vertu du paragraphe 33(1)
(ancien paragraphe 26(2)) et la restriction de l'uti-
lisation que prévoit cet article de façon tacite et
l'article 35 (ancien paragraphe 26(8)), de façon
expresse.
Au sujet de l'ordonnance qui peut être pronon-
cée à la demande du propriétaire qui veut obtenir
la restitution des biens saisis, la Loi prévoit des
conditions utiles pour assurer leur conservation
aux fins pour lesquelles le Bureau peut ultérieure-
ment vouloir en disposer en application de la Loi
(paragraphe 21(3); ancien paragraphe 16(3)).
L'ordonnance prononcée aux présentes compren-
dra une condition en ce sens au cas où l'enregistre-
ment saisi serait remis aux demanderesses, plutôt
que la transcription de son contenu.
D'après l'affidavit de M. Shoichet, président des
sociétés demanderesses, il appert que celles-ci dési-
rent obtenir la restitution de l'enregistrement pour
deux raisons: l'avocat des demanderesses et ses
consultants désirent examiner le document afin
d'évaluer et de préparer les réclamations des
demanderesses dans l'action n° T-2145-85 intentée
contre Sa Majesté, et le déposant veut l'examiner
pour comprendre l'incident en vue d'améliorer la
sécurité aérienne. Je suis d'accord pour affirmer
que la question de la sécurité aérienne est toute
aussi importante pour les activités des demande-
resses que pour le Bureau, mais l'accessibilité de
l'enregistrement à cette fin est, je le répète, une
question relevant des relations juridiques qui exis
tent entre Sky Charter et ses pilotes. Quant au
premier objectif, la consultation de l'avocat, à
première vue, cela semble contrevenir à la protec
tion conférée à l'enregistrement par le paragraphe
33(1) (ancien paragraphe 26(2)) qui est applicable
peu importe que l'enregistrement soit en la posses
sion du propriétaire, du Bureau ou de quiconque
autorisé en vertu de la Loi.
Par contre, l'avocat conseillant les demanderes-
ses peut être considéré comme un prolongement
des sociétés demanderesses et les conseils qu'il peut
donner au sujet des poursuites possibles sont proté-
gés en soi; j'estime qu'il est de l'intérêt de la justice
de restituer l'enregistrement aux demanderesses à
des conditions permettant à l'avocat et à ses con
sultants d'y avoir accès. En vertu du paragraphe
21(3) (ancien paragraphe 16(3)), la Cour a le
pouvoir d'ordonner la restitution de l'enregistre-
ment saisi si elle «estime que les biens saisis ont
servi aux fins voulues et qu'il est de l'intérêt de la
justice de les restituer». Après la restitution, l'avo-
cat et ses consultants devraient avoir accès à l'en-
registrement de façon confidentielle, aux seules
fins de conseiller les demanderesses en rapport
avec l'action T-2145-85. L'avocat et ses consul
tants y auraient accès sous réserve de la protection
conférée à l'enregistrement en vertu de la Loi.
Bien que l'article 34 (ancien paragraphe 26(6)) ne
vise pas directement le cas où les propriétaires d'un
enregistrement tentent de l'employer dans une
action en justice, les intérêts des propriétaires sont
toujours assujettis à la protection conférée à l'enre-
gistrement par le paragraphe 33(1) (ancien para-
graphe 26(2)), et toute utilisation de l'enregistre-
ment, dans le cadre de cette autre action, qui serait
contraire à la protection légale devrait être assujet-
tie aux mêmes règles que celles prévues à l'article
34 pour une personne qui n'est pas partie aux
procédures et qui demande la production et l'exa-
men de l'enregistrement.
La Cour prononcera une ordonnance portant
que les demanderesses ont droit à la restitution de
l'enregistrement saisi au nom du Bureau, ou à la
transcription de tout son contenu, et enjoignant au
Bureau d'en faire la restitution aux demanderes-
ses. L'ordonnance comprendra des conditions
visant à restreindre l'utilisation ou la communica
tion de l'enregistrement et à conserver l'enregistre-
ment s'il est restitué, conformément aux présents
motifs.
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