T-1322-88
Mayurchandra Khimji Ruparel (requérant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration et Secré-
taire d'État aux Affaires extérieures (intimés)
RÉPERTORIÉ: RUPAREL c. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI
ET DE L'IMMIGRATION) (1 1e INST.)
Section de première instance, juge Muldoon —
Toronto, 30 octobre 1989; Ottawa, 8 août 1990.
Immigration — Requête en annulation d'une décision par
laquelle une demande de résidence permanente a été rejetée —
Le requérant a été jugé non admissible en vertu de l'art.
19(2)a)(i) en raison d'une condamnation, au R.-U., pour con-
duite avec une proportion excessive d'alcool dans l'haleine
Connaissance d'office de l'infraction commise au R.-U.
L'infraction, si elle avait été commise au Canada, est celle qui
est prévue à l'art. 253 du Code criminel, lequel accorde au
ministère public un choix quant au mode de poursuite — Les
infractions hybrides sont comprises dans l'expression »infrac-
tion punissable, aux termes d'une autre loi fédérale, par mise
en accusation» qu'on trouve à l'art. 19(2)a) — Même si l'art.
19(2)a) est inconstitutionnel parce qu'il crée une discrimination
injustifiée fondée sur l'âge, la requête est rejetée au motif que
le requérant n'a pas qualité pour agir.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Droits à
l'égalité — L'art. 19(2)a)(i) de la Loi sur l'immigration de
1976 déclare non admissibles au Canada pendant une période
de cinq ans à compter de l'expiration de leur peine les person-
nes âgées de plus de 21 ans qui ont été déclarées coupables
d'une infraction punissable par mise en accusation — L'art.
19(2)a)(ü) prévoit une période d'inadmissibilité de seulement
deux ans pour les personnes âgées entre 18 et 21 ans — Même
si l'art. 19(2)a) est inconstitutionnel parce qu'il crée une discri
mination injustifiée fondée sur l'âge, le requérant n'a pas
qualité pour demander un jugement déclaratoire.
Pratique — Parties — Qualité pour agir — Le requérant,
dont la demande de résidence permanente a été refusée, a
présenté une requête en vue d'obtenir un jugement déclarant
inconstitutionnel l'art. 19(2)a) de la Loi sur l'immigration de
1976 au motif qu'il est contraire à l'art. 15 de la Charte — La
requête est rejetée parce que, comme il n'est pas titulaire de la
citoyenneté canadienne et qu'il se trouve à l'étranger, le requé-
rant n'a pas le droit de demander son admission et n'est donc
pas visé par la Charte.
Interprétation des lois — Art. 19(2)a) de la Loi sur l'immi-
gration de 1976 — Le requérant a produit une déclaration
faite par le ministre devant la Chambre des communes à
l'occasion de la seconde lecture d'un projet de loi qui a été
adopté comme loi — Cette déclaration est irrecevable pour
démontrer l'intention du législateur — On n'a pas fait état des
débats du Sénat ni de savoir si le projet de loi a été amendé
avant d'être adopté — Les discours prononcés devant le Parle-
ment sont souvent faits pour servir des visées partisanes, ils ne
constituent pas une loi et ils risquent d'énoncer incorrectement
la loi — Ce sont les lois qui sont édictées qui s'appliquent —
L'art. 19(2)a) comprend les infractions hybrides.
Il s'agit d'une requête visant à faire annuler une décision par
laquelle une demande de résidence permanente a été refusée et
visant à obtenir une ordonnance fondée sur l'article 24 de la
Charte déclarant que le paragraphe 19(2) de la Loi sur l'immi-
gration de 1976 est incompatible avec l'article 15 de la Charte
au motif qu'il crée une discrimination fondée sur l'âge. Le
requérant a été reconnu coupable, au Royaume-Uni, d'avoir
conduit un véhicule automobile alors que la proportion d'alcool
dans son haleine dépassait la limite prescrite. Sa demande de
résidence permanente a été refusée parce qu'aux termes du
sous-alinéa 19(2)a)(i) de la Loi sur l'immigration de 1976, il
n'était pas admissible au Canada parce qu'il était une personne
qui avait été déclarée coupable d'une infraction qui, si elle avait
été commise au Canada, pourrait être punissable par mise en
accusation, et parce qu'il était une personne qui ne pouvait
justifier auprès du ministre de sa réadaptation ni du fait qu'au
moins cinq ans s'étaient écoulés depuis la date de l'expiration
de sa peine, si elle était âgée d'au moins vingt et un ans lors de
la déclaration de culpabilité. Le sous-alinéa 19(2)a)(ii) exige
seulement que deux ans se soient écoulés depuis la date de
l'expiration de la peine, si la personne était âgée de moins de
vingt et un ans lors de la déclaration de culpabilité. Le requé-
rant a produit la déclaration qu'a faite le ministre devant la
Chambre des communes en proposant la deuxième lecture du
projet de loi qui devait devenir la Loi sur l'immigration de
1976. L'article 253 du Code criminel, qui accorde au ministère
public le choix du mode de poursuite de l'infraction, interdit la
conduite d'un véhicule à moteur avec une alcoolémie
dépassant 80 milligrammes d'alcool par 100 millilitres de sang.
Jugement: la requête devrait être rejetée.
L'article 17 de la Loi sur la preuve au Canada exige de
prendre connaissance d'office des lois britanniques. Les élé-
ments essentiels de l'infraction commise au R.-U. correspon
dent à l'article 253 du Code criminel. Le requérant a donc été
déclaré coupable d'une infraction qui, si elle était commise au
Canada, constituerait une infraction prévue par une autre loi
fédérale. Même s'il est peu probable que le ministère public
choisisse de poursuivre par mise en accusation dans un cas de
conduite avec alcoolémie dépassant 80 milligrammes, les
infractions hybrides sont comprises à l'alinéa 19(2)a) à cause
de l'expression «pourrait être punissable par mise en
accusation».
Les déclarations des ministres ne sont pas recevables pour
démontrer l'intention du législateur, parce qu'elles ne disent
rien des débats qui ont lieu devant le Sénat et qu'elles ne
permettent pas de savoir si le projet de loi a été amendé avant
d'être adopté comme loi. Ces discours, qui sont souvent faits
pour servir des visées partisanes ou pour un effet public, ne
constituent pas une loi et peuvent énoncer incorrectement la loi.
C'est la loi qui a été édictée qui s'applique.
L'alinéa 19(2)a) semble inconstitutionnel parce qu'il établit
une distinction entre les adultes qui ont entre 18 et 21 ans et
ceux qui ont plus de 21 ans. Cette distinction est contraire à
l'article 15 de la Charte. La Couronne n'a pas réussi à démon-
trer que cette discrimination fondée sur l'âge était justifiée en
vertu de l'article premier de la Charte. Il ressort des études
américaines et canadiennes menées au sujet des libérés condi-
tionnels que ceux qui sont âgés de plus de 25 ans s'en tirent
invariablement mieux que ceux qui ont moins de 25 ans. Le
requérant, qui est né en 1941, présente statistiquement des
risques de récidive moins élevés que les personnes plus jeunes.
La Cour est toutefois liée par l'arrêt Conseil canadien des
églises c. Canada de la Cour d'appel fédérale. Le requérant n'a
pas qualité pour intenter un procès fondé sur la Charte parce
que, comme il n'est pas titulaire de la citoyenneté canadienne et
qu'il se trouve à l'étranger, il n'a pas le droit de demander son
admission et il n'est donc pas visé par la Charte.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), appendice II, n° 44], art. 1, 15.
Code criminel, L.R.C. (1985), chap. C-46, art. 253 (mod.
par L.R.C. (1985) (4' suppl.), chap. 32, art. 59), 255
(mod. par L.R.C. (1985) (1 °r suppl.), chap. 27, art.
36).
Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), chap. C-5,
art. 17.
Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52,
art. 19(2)a), 83.1 (mod. par L.C. 1988, chap. 35, art.
19).
Transport Act, 1981 (R.-U.), 1981, chap. 56, art. 25,
annexe 8, art. 12(2).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS SUIVIES:
Conseil canadien des églises c. Canada, [1990] 2 C.F.
534; (1990), 106 N.R. 61 (C.A.); Singh et autres c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1
R.C.S. 177; (1985), 17 D.L.R. (4th) 422; 12 Admin. L.R.
137; 14 C.R.R. 13; 58 N.R. 1.
DÉCISIONS MENTIONNÉES:
Brannon c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration,
[1981] 2 C.F. 141; (1980), 34 N.R. 411 (C.A.); Andrews
c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143;
(1989), 56 D.L.R. (4th) 1; [1989] 2 W.W.R. 289; 34
B.C.L.R. (2d) 273; 36 C.R.R. 193; 91 N.R. 255; Wilson
c. Ministre de la Justice, [1985] 1 C.F. 586; (1985), 13
Admin. L.R. 1; 20 C.C.C. (3d) 206; 6 C.P.R. (3d) 283;
46 C.R. (3d) 91; 16 C.R.R. 271; 60 N.R. 194 (C.A.);
Ministre de la Justice du Canada et autre c. Borowski,
[1981] 2 R.C.S. 575; (1981), 130 D.L.R. (3d) 588;
[1982] 1 W.W.R. 97; 12 Sask.R. 420; 64 C.C.C. (2d) 97;
24 C.P.C. 62; 24 C.R. (3d) 352; 39 N.R. 331; Naredo c.
Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration),
T-1985-89, jugement en date du 24-7-90, C.F. r ° inst.,
encore inédit.
DOCTRINE
Canada, Débats de la Chambre des communes: compte
rendu officiel, vol. III, 6' session, 21° législature, 10
juin 1952, aux pages 3277 et 3280.
Driedger, Elmer A., The Construction of Statutes, 2' éd.,
Toronto: Butterworths, 1974.
Gabor, Thomas, The Prediction of Criminal Behaviour:
Statistical Approaches, Toronto: Univ. of Toronto
Press, 1986.
Martin's Annual Criminal Code, 1990, with annotations
by Edward L. Greenspan, Aurora, Ontario: Canada
Law Book Inc., 1989.
AVOCATS:
David A. Bruner pour le requérant.
L. April Burey pour les intimés.
PROCUREURS:
Abraham, Duggan, Hoppe, Niman, Scott,
Toronto, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MULDOON: Il s'agit d'une triste affaire
car il semble que le requérant, son épouse et leur
enfant, qui paraissent être des immigrants de
premier ordre, sont retardés dans leur demande de
résidence permanente au Canada en raison d'un
écart passager qui ne comporte pas une grande
turpitude morale dans la conduite par ailleurs
irréprochable du requérant. C'est avec beaucoup
de regret que la Cour doit rejeter sa requête, parce
que la seule autre solution aurait consisté pour la
Cour à se faire complice d'une atteinte à la pri-
mauté du droit, encore que cette atteinte eût été
inspirée par la compassion.
Les avocats des deux parties conviennent que la
présente instance peut être régulièrement intro-
duite sans qu'il soit nécessaire d'obtenir l'autorisa-
tion prévue à l'article 83.1 [Loi sur l'immigration
de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52 (ajouté par L.C.
1988, chap. 35, art. 19)] de l'actuelle loi sur
l'immigration.
En guise d'introduction aux présents motifs, il
convient de reproduire la réparation sollicitée dans
l'avis de requête que le requérant a déposé le 7
juillet 1988. Dans cet avis, le requérant sollicite:
[TRADUCTION] ... une réparation de la nature d'un bref de
certiorari en vertu de l'alinéa 18a) de la Loi sur la Cour
fédérale, S.C. 1970-1971-1972, chap. 1, annulant la décision du
21 mars 1988 par laquelle les intimés ont rejeté la demande de
résidence permanente au Canada de Mayurchandra Khimji
Ruparel au motif que le requérant n'est pas admissible au
Canada parce qu'il relève d'un des cas visés par le sous-alinéa
19(2)a)(i) de la Loi sur l'immigration de 1976, une ordonnance
de la nature d'un bref de mandamus en vertu de l'alinéa 18a)
[en question] enjoignant aux intimés de réexaminer ladite
demande de résidence permanente au Canada conformément à
la Loi sur l'immigration de 1976 (modifiée) et au Règlement
sur l'immigration de 1978 (modifié), et une ordonnance ou une
réparation fondée sur le paragraphe 24(1) de la Charte cana-
dienne des droits et libertés déclarant que le paragraphe 19(2)
de la Loi sur l'immigration de 1976 (modifiée) est incompati
ble avec les dispositions de l'article 15 de la Charte canadienne
des droits et libertés dans la mesure où il crée une discrimina
tion fondée sur l'âge, laquelle discrimination n'est pas une
restriction prescrite par une règle de droit, dans des limites qui
sont raisonnables et dont la justification peut se démontrer dans
le cadre d'une société libre et démocratique, et déclarant que
les dispositions incompatibles du paragraphe 19(2) sont inopé-
rantes en vertu du paragraphe 52(1) de la Charte canadienne
des droits et libertés, ou toute autre ordonnance que la Cour
jugera bon de prononcer.
Dans son affidavit, le requérant relate les événe-
ments malheureux qui ont conduit au rejet de sa
demande en vertu du sous-alinéa 19(2)a)(i) de la
Loi sur l'immigration de 1976, modifiée (ci - après
appelée la Loi). Voici les paragraphes pertinents
de l'affidavit:
[TRADUCTION] 1. Je suis un citoyen du Royaume-Uni.
2. Je suis marié à Jozica Ruparel, une citoyenne de la
Yougoslavie.
3. Ma femme et moi avons un fils, Nicholai Ruparel, qui est un
citoyen du Royaume-Uni.
4. Je suis comptable professionnel et ma femme est secrétaire
administrative.
8. Sur l'avis du Haut-commissariat du Canada, nous sommes
entrés en communication avec mon frère, Sudhir Khimji Bhanji
Ruparel, qui est un citoyen canadien et qui réside à Aurora, en
Ontario. Le 19 janvier 1988, mon frère a signé en notre faveur
un engagement d'aide (catégorie des parents aidés) au Centre
d'immigration du Canada de Toronto-Est. J'ai joint au présent
affidavit comme annexe C une copie conforme de l'engagement
d'aide du garant.
9. Le 4 janvier 1988, ou vers cette date, sur le chemin Great
North, à Barnet (Hertsfordshire), j'ai été inculpé d'avoir con
duit un véhicule automobile sur une route après avoir con-
sommé une quantité d'alcool telle que la proportion d'alcool
dans mon haleine dépassait la limite prescrite, en violation de
l'article 6 et de l'annexe 4 de la British Road Traffic Act 1972,
remplacés par l'article 25 et l'annexe 8 de la British Transport
Act 1981. J'ai joint au présent affidavit comme annexe D une
copie conforme de l'acte d'accusation que la Barnet Metropoli
tan Police m'a remis. J'ai joint au présent affidavit comme
annexe E une copie conforme des résultats du prélèvement que
la Barnet Metropolitan Police m'a remis le 4 janvier 1988 au
sujet des deux échantillons d'haleine que j'ai fournis, lesquels
résultats font l'objet de l'accusation de conduite en état
d'ébriété susmentionnée.
10. Les résultats du prélèvement indiquent que le premier
échantillon d'haleine que j'ai fourni contenait 57 milligrammes
[sic] d'alcool par 100 millilitres d'haleine et que le second
échantillon d'haleine contenait 56 milligrammes [sic] d'alcool
par 100 millilitres d'haleine.
11. Le 18 janvier 1988, ou vers cette date, je me suis présenté
au palais de justice de Barnet, sur la rue High, à Barnet, et j'ai
reconnu ma culpabilité à l'infraction de conduite en état
d'ébriété. J'ai été condamné à une amende de 225 livres sterling
et mon permis de conduire a été suspendu pour une période
d'un an.
12. Au cours du mois de mars de 1988, ma femme et moi avons
été reçus en entrevue par un agent des visas au Haut-commissa
riat du Canada à Londres.
13. Au cours de cette entrevue, j'ai révélé l'existence de la
condamnation susmentionnée à l'agent des visas, le deuxième
secrétaire F.J. Mark.
14. Par lettre datée du 21 mars 1988, dont une copie conforme
est jointe au présent affidavit comme annexe F, le Haut-com
missariat du Canada à Londres m'a informé que ma demande
de résidence permanente au Canada était refusée parce qu'on
avait conclu que je n'étais pas admissible au Canada parce que
je relevais d'un des cas visés par le sous-alinéa 19(2)a)(1) de la
Loi sur l'immigration de 1976.
15. À l'exception de la condamnation pour conduite en état
d'ébriété datée du 18 janvier 1988, je n'ai jamais été déclaré
coupable d'un crime ou d'une infraction.
16. Au cours de la soirée du 4 janvier 1988, mon dernier jour
de travail chez Canada Life Insurance Company de Potters Bar
(R.-U.), j'ai bu deux pintes et demie de bière avec mes collè-
gues de travail. Vers 21 h, la police m'a arrêté alors que je
rentrais chez moi en voiture. J'ai expliqué aux policiers, et par
la suite à la cour, que j'avais fait une bêtise en prenant le volant
après avoir bu. Je ne bois qu'à l'occasion et je n'abuse pas
d'alcool.
Au paragraphe 10 ci-dessus, le requérant doit
s'être trop fié à ses procureurs: l'accusation parlait
de microgrammes, et non de milligrammes d'alcool
par 100 millilitres d'haleine.
Au paragraphe 16, le requérant relate son écart
de conduite passager et sans doute inusité. Si
seulement il avait pris un taxi! C'est ce que se
disent, avec regret, beaucoup de personnes qui,
comme le requérant, doivent en conséquence «s'ac-
quitter de leur dette envers la société».
Le requérant a été condamné à une amende et a
eu son permis de conduire suspendu pendant un
an. Ce sont les deux volets de la peine qui lui a été
infligée après qu'il eut été reconnu coupable de
l'infraction suivante:
[TRADUCTION] ... d'avoir conduit un véhicule automobile sur
une route ou dans un autre endroit public après avoir con-
sommé une quantité d'alcool telle que la proportion d'alcool
dans votre haleine dépassait la limite prescrite.
En violation de l'article 6 et de l'annexe 4 de la British Road
Traffic Act, 1972, remplacés par l'article 25 et l'annexe 8 de la
British Transport Act, 1981. (Annexe D du requérant.)
La seconde loi susmentionnée [Transport Act,
1981 (U.K.), 1981, chap. 56] dispose, à son para-
graphe 25(3):
[TRADUCTION] 25. .. .
(3) Les articles 6 à 12 de la Loi de 1972 sont remplacés par
les articles énoncés à l'annexe 8.
Le nouvel article 6 parle de la proportion d'alcool
dans [TRADUCTION] «l'haleine, le sang ou l'urine»
[soulignement ajouté] d'une personne, tout comme
l'ancien article. Il se trouve dans la Transport Act,
1981 mentionnée dans l'accusation précitée. La
«limite prescrite» est définie comme suit au para-
graphe 12(2) de l'annexe 8:
[TRADUCTION] 12. ...
(2) ... selon le cas
a) 35 microgrammes d'alcool par 100 millilitres d'haleine;
b) 80 milligrammes d'alcool par 100 millilitres de sang; ou
c) 107 milligrammes d'alcool par 100 millilitres d'urine;
ou toute autre proportion prescrite par règlement pris par le
Secrétaire d'État.
On n'a pas appelé l'attention de la Cour sur l'exis-
tence d'un tel règlement qui aurait été en vigueur
en janvier 1988. Chaque proportion définie d'al-
cool équivaut aux deux autres. Il y a seulement
lieu de noter que l'article 17 de la Loi sur la
preuve au Canada, L.R.C. (1985), chap. C-5,
exige de prendre connaissance d'office de toutes les
lois du Parlement impérial. En conséquence, la
Cour doit prendre connaissance d'office de la
«dette envers la société» dont les personnes qui se
trouvent au Royaume-Uni doivent s'acquitter pour
la perpétration de l'infraction définie ci-dessus et
des éléments constitutifs de l'infraction.
Le requérant se voit cependant infliger une
«dette» plus lourde que la plupart des autres
citoyens britanniques parce qu'il cherchait alors à
immigrer avec sa famille au Canada. C'est la loi
canadienne qui lui inflige l'autre peine, qui est
prévue par la Loi:
19....
(2) Ne peuvent obtenir l'admission, les immigrants et, sous
réserve du paragraphe (3), les visiteurs qui
a) ont été déclarés coupables d'une infraction qui constitue,
qu'elle ait été commise au Canada ou à l'étranger, une
infraction qui peut être punissable par voie d'acte d'accusa-
tion, en vertu d'une autre loi du Parlement, d'une peine
maximale de moins de dix ans d'emprisonnement, à l'excep-
tion de ceux qui établissent à la satisfaction du Ministre
qu'ils se sont réhabilités et:
(i) qu'au moins cinq ans se sont écoulés depuis la date de
l'expiration de leur peine, au cas où l'auteur était âgé d'au
moins vingt et un ans lors de la déclaration de culpabilité,
ou
(ii) qu'au moins deux ans se sont écoulés depuis la date de
l'expiration de leur peine, au cas où l'auteur était âgé de
moins de vingt et un ans lors de la déclaration de culpabi-
lité; [Soulignement ajouté.]
On remarquera que les sous-alinéas (i) et (ii)
établissent une distinction, sinon une inégalité dis-
criminatoire, entre les personnes qui sont âgées de
moins de 21 ans et celles qui sont âgées d'au moins
21 ans.
Un autre aspect remarquable de l'alinéa
19(2)a), du moins en ce qui concerne les préten-
tions que le requérant formule de toute évidence
d'un ton convaincu, est qu'il ne parle pas du tout
de «crime» ou de «turpitude morale», malgré l'ex-
ception qu'il prévoit dans le cas de «ceux qui
établissent à la satisfaction du Ministre qu'ils se
sont réhabilités». Il devrait être rudement facile
d'apporter cette preuve lorsqu'on a été condamné
une seule fois dans sa vie pour avoir conduit avec
une proportion excessive d'alcool dans l'haleine, le
sang ou l'urine. Cependant, au lieu de parler de
«crime» ou de «turpitude morale», la Loi ne parle
que d'«infraction ... en vertu d'une autre loi fédé-
rale», laquelle expression englobe une multitude
non seulement d'actes interdits par la loi, mais
aussi bien sûr d'actes mauvais en eux-mêmes, les
«véritables» crimes. Tous les crimes sont des infrac
tions, mais ce ne sont pas toutes les infractions qui
sont des crimes, et le législateur fédéral a tout
simplement évité toute distinction en adoptant le
terme plus large «infraction» à l'alinéa 19(2)a) de
la Loi.
Les Lois révisées du Canada de 1985 sont
entrées en vigueur le 12 décembre 1988, mais
entre temps, certaines dispositions législatives res-
sortissant au domaine du droit criminel ont en fait
modifié les L.R.C. de 1985, de sorte qu'on peut
commodément trouver les dispositions applicables
en l'espèce aux articles 253 et 255 du Martin's
Annual Criminal Code, 1990. Ces dispositions du
Code criminel [L.R.C. (1985), chap. 46 (mod. par
L.R.C. (1985) (4 e suppl.), chap. 32, art. 59)] sont
les infractions prévues par «une autre loi du Parle-
ment» dont il est question à l'alinéa 19(2)a):
253. Commet une infraction quiconque conduit un véhicule
à moteur ...
b) lorsqu'il a consommé une quantité d'alcool telle que son
alcoolémie dépasse quatre-vingts milligrammes d'alcool par
cent millilitres de sang.
Comme il n'est pas un code de la route, le Code
criminel ne limite pas l'infraction ci-dessus aux
seuls cas où elle est commise sur une grande route,
dans une rue ou sur un chemin ou le long de
ceux-ci. On constate donc ici l'existence au
Canada d'une infraction de conduite d'un véhicule
à moteur sur une route ou hors d'une route ou dans
un autre endroit public ou privé, après avoir con-
sommé une quantité d'alcool telle que l'alcoolémie
dépasse 80 milligrammes d'alcool par 100 millili
tres de sang (ou son équivalent de 35 microgram-
mes d'alcool par 100 millilitres d'haleine).
Malheureusement, il semble que le requérant a
été déclaré coupable au R.-U. d'une infraction qui,
si elle avait été commise au Canada, constituerait
une infraction prévue par une autre loi fédérale, le
Code criminel. Mais s'agit-il d'une infraction qui
«peut être punissable par voie d'acte d'accusation»
en vertu du Code criminel? Hélas oui. L'article
255 [mod. par L.R.C. (1985) (l er suppl.), chap. 27,
art. 36] du Code dispose notamment:
255. (1) Quiconque commet une infraction prévue à l'article
253 ou 254 est coupable d'une infraction punissable sur décla-
ration de culpabilité par procédure sommaire ou par mise en
accusation et est passible:
a) que l'infraction soit poursuivie par mise en accusation ou
par procédure sommaire, des peines minimales suivantes:
(i) pour la première infraction, une amende minimale de
trois cents dollars,
(ii) pour la seconde infraction, un emprisonnement mini
mal de quatorze jours,
(iii) pour chaque infraction subséquente, un emprisonne-
ment minimal de quatre-vingt-dix jours;
b) si l'infraction est poursuivie par mise en accusation, d'un
emprisonnement maximal de cinq ans;
c) si l'infraction est poursuivie par procédure sommaire, d'un
emprisonnement maximal de six mois.
(2) Quiconque commet une infraction prévue à l'alinéa
253a) et cause ainsi des lésions corporelles à une autre personne
est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonne-
ment maximal de dix ans.
(3) Quiconque commet une infraction prévue à l'alinéa
253a) et cause ainsi la mort d'une autre personne est coupable
d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de
quatorze ans.
C'est une «infraction hybride» qui accorde au
ministère public un choix quant à la façon de
poursuivre.
Or, il semblerait très peu probable que le minis-
tère public aurait poursuivi le requérant par mise
en accusation si celui-ci avait commis l'infraction
au Canada. Par bonheur, il semble qu'il n'ait pas
causé la mort, des lésions corporelles ou des dom-
mages matériels. Néanmoins, ce sont les disposi
tions de l'alinéa 19(2)a) qui s'appliquent, telles
qu'elles ont été édictées.
Pour le compte du requérant, on a joint à l'affi-
davit de Janet Rowsell l'annexe «C», une [TRA-
DUCTION] «copie d'un extrait des débats parlemen-
taires du 10 juin 1952 de la Chambre des
communes du Canada, y compris la déclaration
qu'a faite le ministre de la Citoyenneté et de
l'Immigration, W. E. Harris, en proposant la
deuxième lecture du projet de loi n° 305 concer-
nant l'immigration». Dans son ouvrage fort res
pecté, The Construction of Statutes, Butterworths,
Toronto, au chapitre 8 intitulé [TRADUCTION]
«Contexte extérieur», Elmer A. Driedger affirme, à
la page 130: [TRADUCTION] «Il est bien établi que
les débats parlementaires sont irrecevables pour
démontrer l'intention du législateur». L'auteur ren-
voie ensuite à des précédents de poids. Même si
elle était recevable pour rendre compte de sa com-
préhension et de son intention ce jour-là, la décla-
ration de M. Walter E. Harris consignée dans le
compte rendu des débats de la Chambre des com
munes ne dit rien des débats qui ont eu lieu devant
le Sénat, cet organe à plusieurs membres du corps
législatif bicaméral du Canada, et ne permet pas
de savoir si le projet de loi n° 305 a été amendé
avant d'être édicté. Le requérant n'en souffle pas
mot non plus.
Driedger souligne que si le discours du ministre
n'est pas recevable pour démontrer l'intention du
législateur, il pourrait donc logiquement être
«davantage» recevable pour établir [TRADUCTION]
«le mal ou l'abus» [qui a suscité la présentation du
projet de loi]. L'éminent auteur fait toutefois
observer (aux pages 130 et 131): [TRADUCTION]
«L'irrecevabilité du discours prononcé par un
ministre devant le Parlement aux fins d'établir
l'abus que l'on voulait réformer tient peut-être au
fait qu'une commission royale est censée être
objective, et que les dépositions qui lui sont présen-
tées sont normalement faites sous serment.»
Il existe d'autres bonnes raisons d'écarter les
discours faits au cours des débats parlementaires:
ils ne constituent pas une loi, ils énoncent parfois
incorrectement la loi, et ils sont souvent faits pour
servir des visées partisanes ou pour un effet public.
Dans le cas qui nous occupe, alors que le ministre
a fièrement fait état (à la page 3277 du compte
rendu officiel des débats de la Chambre) de la
dichotomie qui existait entre les personnes âgées
de moins de 21 ans et celles d'au moins 21 ans, le
porte-parole de l'opposition, M. Donald Fleming,
en se réjouissant des réformes proposées (à la page
3280), a choisi de passer sous silence cette dichoto-
mie en traitant, dans ses observations, des person-
nes «qui, s'étant rendues coupables de crimes
impliquant turpitude morale, ont néanmoins
retrouvé leur place dans la société ou, comme le dit
le projet de loi, se sont réhabilitées». Entre ces
deux personnes, qui sont membres d'une des deux
chambres du Parlement, quelle est celle dont on
peut dire que sa version révèle des secrets
d'interprétation?
Ni l'un ni l'autre des orateurs ne «dit» la loi:
c'est le Parlement (qui est composé du Souverain,
du Sénat et des Communes) qui «édicte» les lois. Il
faut supposer que le Parlement a bien pesé ses
mots, surtout dans le cas qui nous occupe, puisqu'il
n'y a pas d'énigme ou d'autres ambiguïtés dans le
texte de la loi à cet égard. En conséquence, ce sont
les dispositions de l'alinéa 19(2)a) qui ont été
édictées qui s'appliquent en l'espèce.
Ces dispositions ne parlent pas d'une infraction
qui aurait probablement été poursuivie comme une
infraction punissable sur déclaration de culpabilité
par procédure sommaire, ni encore d'une infrac
tion hybride qui aurait pu être poursuivie par mise
en accusation et elles ne prévoient pas d'exemption
pour ce genre d'infractions. Au contraire, à l'alinéa
19(2)a) de la Loi, le législateur parle de façon bien
nette et bien claire d'«une infraction qui peut être
punissable par voie d'acte d'accusation, en vertu
d'une autre loi du Parlement» [soulignement
ajouté], et les mots soulignés englobent évidem-
ment l'infraction qui pourrait peut-être ne pas être
punissable par mise en accusation, mais plutôt par
procédure sommaire, comme celle qu'on trouve à
l'article 253 du Code criminel. Les éléments essen-
tiels de chacune des infractions correspondent
(Brannson c. Le ministre de l'Emploi et de l'Im-
migration, [1981] 2 C.F. 141 (C.A.), aux pages
152 et 153).
Compte tenu du fait que les lois fédérales et
provinciales canadiennes fixent l'âge général de la
majorité à 18 ans, les sous-alinéas 19(2)a)(1) et
(ii) établissent une distinction entre les adultes qui
ont entre 18 et 21 ans et qui sont visés par le
sous-alinéa (i) et les adultes âgés d'au moins 21
ans qui sont visés par le sous-alinéa (ii). La distinc
tion, qui est prescrite par la règle de droit précitée,
ne semble pas être raisonnable et sa justification
ne semble pas pouvoir se démontrer au sens de
l'article premier de la Charte canadienne des
droits et libertés [qui constitue la Partie I de la
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de
1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), appendice II, n° 44]]. D'ailleurs,
la Couronne, qui défend en l'espèce ces limites
prescrites par une règle de droit, n'a pas réussi à
démontrer la justification d'une distinction aussi
stérile entre des adultes qui sont âgés de plus de 18
ans.
La stérilité de cette disposition semble résider
dans le fait qu'elle fait plus de mal que de bien,
hormis qu'elle crée une discrimination non perti-
nente fondée sur des caractéristiques personnelles,
en violation du paragraphe 15 (1) de la Charte
(Andrews c. Law Society of British Columbia,
[1989] 1 R.C.S. 143). Les sous-alinéas (i) et (ii)
font certainement plus de mal que de bien suivant
Thomas Gabor, dont un extrait de son ouvrage
The Prediction of Criminal Behaviour: Statistical
Approaches, 1986 Univ. of Toronto Press, est joint
comme annexe H à l'affidavit de Janet Rowsell
que le requérant a déposé. Les passages suivants,
tirés des pages 36 et 37 de cet ouvrage, sont parmi
les plus pertinents:
[TRADUCTION] Comme dans les deux études de cohorte que
nous venons tout juste de citer, on a établi une corrélation
certaine entre une délinquance ayant débuté à un âge précoce
et le nombre total de démêlés avec la justice criminelle. Parmi
les conclusions intéressantes, mentionnons celle suivant laquelle
les individus qui avaient eu au moins quatre démêlés avant l'âge
de 18 ans avaient plus de chances que la moyenne de dépasser
ce nombre après avoir atteint l'âge de 18 ans, tandis que dans le
cas de ceux qui avaient eu trois démêlés ou moins, la situation
était inversée: moins que la moitié d'entre eux avaient eu plus
de démêlés que ceux qu'ils avaient eus avant l'âge de 18 ans.
Cela semble indiquer une intensification de la criminalité chez
les individus qui étaient déjà criminellement actifs à l'adoles-
cence et une atténuation pour ceux qui ne s'étaient pas engagés
à fond de train dans des activités criminelles.
Une autre façon d'étudier le facteur de l'âge consiste à faire
le suivi des personnes de divers âges qui sont libérées sous
condition. Dans une étude menée à la grandeur des États-Unis
qui a été publiée en 1968 et qui portait sur 7 245 libérés
conditionnels, Babst, Koval et Neithercutt (1972) ont constaté
que les probabilités de succès de la libération conditionnelle
étaient pratiquement invariables d'un groupe d'âge à l'autre.
Les auteurs avaient notamment comparé des personnes âgées
de 19 ans et moins avec des personnes de plus de 40 ans.
Cependant, lorsque les contrevenants étaient classés selon leurs
antécédents judiciaires et leurs problèmes de drogue et d'alcool,
ceux qui étaient âgés de plus de 25 ans s'en tiraient invariable-
ment mieux que ceux qui avaient moins de 25 ans. Dans une
étude canadienne menée au sujet de 423 personnes libérées sous
condition en Ontario en 1968, Waller (1974), qui utilisait la
même limite d'inclusion de 25 ans, a constaté que les libérés
conditionnels les plus jeunes présentaient des risques de récidive
sensiblement plus élevés que ceux qui se retrouvaient dans les
catégories plus âgées.
Le requérant, qui est né en mars 1941, présente,
avec les autres personnes de son âge, des risques
moins élevés que les personnes de sexe masculin
âgées de moins de 18 ans d'avoir d'autres compor-
tements criminels ou de commettre d'autres infrac
tions. La distinction fondée sur l'âge qu'établit
l'alinéa 19(2)a) semble injuste et injustifiable.
Si le débat était vidé, la Cour pourrait accorder
les ordonnances de bref de certiorari et de manda-
mus sollicitées par le requérant. La Cour conclu-
rait ensuite que la distinction qu'on trouve aux
sous-alinéas (i) et (ii) est inopérante et, partant,
qu'elle ne s'applique pas au requérant parce qu'elle
constitue une violation de l'article 15 de la Charte.
Malheureusement pour le requérant, la présente
affaire ne se limite pas à ce que nous venons
d'examiner.
Même si les intimés ont reconnu que les exigen-
ces formulées par le juge Mahoney de la Section
d'appel de notre Cour dans l'arrêt Wilson c.
Ministre de la Justice, [1985] 1 C.F. 586 ont été
respectées—et ils admettent que la présente
demande de jugement déclaratoire ne devrait pas
être rejetée au seul motif qu'elle n'a pas été intro-
duite au moyen d'une déclaration—le requérant
n'est pas pour autant au bout de ses peines. Il reste
à examiner encore une autre question, qui pourrait
être assimilée à la qualité pour agir, ou à l'intérêt
du requérant pour exercer le présent recours. Pour
examiner cette question, il faut relater brièvement
le déroulement de la présente instance.
L'audition de la présente affaire a eu lieu à
Toronto le 30 octobre 1989. La Cour a invité les
avocats des deux parties à lui présenter des obser
vations par écrit, selon un échéancier se terminant
vers le 5 décembre 1989. Les avocats ont fidèle-
ment respecté les délais qui leur étaient impartis.
Mais on s'est alors rendu compte que l'arrêt que la
Section d'appel s'apprêtait à rendre au sujet de
l'appel interjeté par la Couronne dans l'affaire
Conseil canadien des églises c. Canada, [1990] 2
C.F. 534, éclaircirait probablement la question de
la qualité pour agir à laquelle le requérant à
l'instance doit faire face en l'espèce, et qu'il fallait
attendre l'arrêt de la Section d'appel, si celui-ci
paraissait raisonnablement imminent. La Section
d'appel a entendu l'affaire en janvier de 1989 et
son jugement unanime a été prononcé par le juge
MacGuigan le 12 mars 1990, au début d'une
période longue et inopportune pour la formulation
des motifs de notre Cour dans l'affaire qui nous
occupe.
Dans l'arrêt Conseil canadien des églises, on a
étudié à fond la question de la qualité pour intro-
duire une action fondée sur la Charte et l'arrêt de
la Section d'appel a en partie effectivement dit le
droit en ce qui concerne la qualité pour agir du
requérant à l'instance. Cet arrêt a jeté un jour
nouveau sur la question et a réitéré d'anciens
principes. Le Conseil a déposé sa déclaration en
janvier de 1989. Il sollicitait un jugement décla-
rant inconstitutionnelles la plupart des dispositions
essentielles de la nouvelle Loi sur l'immigration
[L.R.C. (1985), chap. I-2], ainsi que plusieurs des
dispositions de l'ancienne loi, au motif qu'elles
violaient la Charte et la Déclaration canadienne
des droits [L.R.C. (1985), appendice III]. L'État
a présenté une demande fondée sur la Règle
419(1) [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap.
663] en vue de faire radier la déclaration au motif
que le Conseil des églises n'avait pas qualité pour
demander un jugement déclarant des dispositions
législatives inconstitutionnelles et que de toute
façon la déclaration ne révélait pas une cause
raisonnable d'action.
Suivant l'approche de la question de la qualité
pour agir qui a été cristallisée dans l'arrêt Ministre
de la Justice du Canada et autre c. Borowski
[Borowski n° 1], [1981] 2 R.C.S. 575, avant la
promulgation de la Charte mais après l'entrée en
vigueur de la Déclaration canadienne des droits,
les règles de droit, telles que le juge d'appel Mac-
Guigan les a exposées dans l'arrêt Conseil des
églises, peuvent être interprétées comme accordant
aux plaideurs le choix de démontrer qu'ils sont
personnellement touchés ou d'établir qu'ils ont le
droit de se voir reconnaître la qualité pour agir
dans l'intérêt du public. En l'espèce, il est évident
que le requérant est effectivement personnellement
touché par l'application de l'alinéa 19(2)a) de la
Loi; il n'est donc pas nécessaire d'examiner l'autre
option.
Comme je l'ai déjà signalé, vu les faits de la
présente affaire, la Cour serait tout à fait disposée
à accorder à ce requérant apparemment valable la
réparation qu'il sollicite, y compris un jugement
déclaratoire. La Cour constate volontiers que le
Canada a le droit incontestable d'interdire de
séjour et de résidence les personnes qui ont des
penchants criminels, mais au nom de la logique et
du bon sens, il appert (du moins au vu du dossier)
que le requérant est un bon citoyen qui n'a pas de
penchants criminels et qui n'a pas commis de
méfaits barbares. (On peut signaler, par contraste,
l'affaire Naredo c. Canada (Ministre de l'Emploi
et de l'Immigration), T-1985-89, 24 juillet 1990,
C.F. lre inst.). Le requérant a violé la loi au
Royaume-Uni en conduisant en état d'ébriété et,
heureusement, il n'a pas causé de blessures ou de
dommages. Il semblerait qu'il s'était probablement
entièrement «amendé» et qu'il avait résolu de ne
plus jamais commettre de fautes semblables au
moment précis où il a aperçu le policier qui lui a
demandé d'immobiliser sa voiture. En tout état de
cause, il semble effectivement que l'alinéa 19(2)a)
de la Loi est inconstitutionnel.
Hélas, le requérant ne peut obtenir les répara-
tions qu'il sollicite tout à fait justement. Dans
l'arrêt Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et
de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, aux pages
201 et 202, le juge Wilson, qui rédigeait le juge-
ment d'une partie des juges de la Cour suprême du
Canada, dont l'opinion était divisée en parts égales
dans cette affaire, a examiné l'application de la
Charte et en est venue à la conclusion suivante:
L'avocat du Ministre admet que «Chacun» est suffisamment
général pour inclure les appelants et je suis disposée à accepter
que ce mot englobe tout être humain qui se trouve au Canada
et qui, de ce fait, est assujetti à la loi canadienne. [Non souligné
dans le texte original.]
Voilà sans nul doute le point de référence dont
s'est servi le juge d'appel MacGuigan dans l'arrêt
Conseil des églises dans lequel, au sujet de cer-
tains éléments invoqués dans la déclaration, il a
déclaré à la page 563:
Cette assertion pourrait fonder la qualité pour agir, mais elle ne
saurait constituer une cause raisonnable d'action car les person-
nes touchées seraient toutes des personnes non titulaires de la
citoyenneté canadienne, se trouvant à l'étranger et n'ayant pas
le droit de demander leur admission, et qui ne seraient donc pas
visées par la Charte.
Il serait tentant de dire que, comme au moment
où il a révélé sa condamnation il se trouvait au
Haut-commissariat du Canada à Londres et que la
lettre dans laquelle il a invoqué l'alinéa 19(2)a)
émanait de cet endroit et que le Haut-commissa
riat est, sinon de facto, du moins de jure le
Canada, le requérant échappe à la non-admissibi-
lité qui s'applique dans son cas (paragraphes 12 à
14 de l'affidavit du requérant). Cela serait sûre-
ment une fiction juridique dans la tradition de la
common law. Les arrêts rendus par les deux cours
d'appel sont cependant trop clairs et, dans le cas de
l'arrêt unanime de la Section d'appel de notre
Cour, trop récents pour être dilués par une fiction
juridique, aussi valable que soit la cause. Il con-
vient de noter que, dans l'arrêt Singh, la formation
collégiale qui était composée de la moitié des juges
de la Cour suprême du Canada (le juge Beetz, qui
a rédigé l'opinion de l'autre moitié, s'est abstenu
d'exprimer une opinion sur cette question) n'a pas
énoncé d'exigence en matière de citoyenneté; c'est
en fait tout à fait le contraire, car un étranger peut
invoquer au Canada tous les droits prévus par la
Charte qui ne sont pas réservés aux citoyens.
Un jour peut-être, un requérant qui se trouve au
Canada bénéficiera d'un intérêt pour agir suffisant
et fera preuve d'assez de détermination pour pré-
senter le même genre de requête. Il serait préféra-
ble que cette personne soit un demandeur qui
introduise une action de la nature d'un procès
conduisant à une instruction, car il se peut que le
consentement accordé en l'espèce ne se reproduise
jamais. Dans l'intervalle, le requérant doit malheu-
reusement être débouté de sa requête, conformé-
ment à l'arrêt unanime prononcé par la Section
d'appel dans l'affaire Conseil canadien des églises,
[1990] 2 C.F. 534. Il ne sera pas condamné à
payer les dépens des intimés, malgré la haute
qualité professionnelle dont l'avocat de ceux-ci a
fait preuve. Les avocats des deux parties méritent
d'être félicités.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.