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T-1322-88
Mayurchandra Khimji Ruparel (requérant) c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration et Secré- taire d'État aux Affaires extérieures (intimés)
RÉPERTORIÉ: RUPAREL c. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION) (1 1e INST.)
Section de première instance, juge Muldoon — Toronto, 30 octobre 1989; Ottawa, 8 août 1990.
Immigration Requête en annulation d'une décision par laquelle une demande de résidence permanente a été rejetée Le requérant a été jugé non admissible en vertu de l'art. 19(2)a)(i) en raison d'une condamnation, au R.-U., pour con- duite avec une proportion excessive d'alcool dans l'haleine Connaissance d'office de l'infraction commise au R.-U. L'infraction, si elle avait été commise au Canada, est celle qui est prévue à l'art. 253 du Code criminel, lequel accorde au ministère public un choix quant au mode de poursuite Les infractions hybrides sont comprises dans l'expression »infrac- tion punissable, aux termes d'une autre loi fédérale, par mise en accusation» qu'on trouve à l'art. 19(2)a) Même si l'art. 19(2)a) est inconstitutionnel parce qu'il crée une discrimination injustifiée fondée sur l'âge, la requête est rejetée au motif que le requérant n'a pas qualité pour agir.
Droit constitutionnel Charte des droits Droits à l'égalité L'art. 19(2)a)(i) de la Loi sur l'immigration de 1976 déclare non admissibles au Canada pendant une période de cinq ans à compter de l'expiration de leur peine les person- nes âgées de plus de 21 ans qui ont été déclarées coupables d'une infraction punissable par mise en accusation L'art. 19(2)a)(ü) prévoit une période d'inadmissibilité de seulement deux ans pour les personnes âgées entre 18 et 21 ans Même si l'art. 19(2)a) est inconstitutionnel parce qu'il crée une discri mination injustifiée fondée sur l'âge, le requérant n'a pas qualité pour demander un jugement déclaratoire.
Pratique Parties Qualité pour agir Le requérant, dont la demande de résidence permanente a été refusée, a présenté une requête en vue d'obtenir un jugement déclarant inconstitutionnel l'art. 19(2)a) de la Loi sur l'immigration de 1976 au motif qu'il est contraire à l'art. 15 de la Charte La requête est rejetée parce que, comme il n'est pas titulaire de la citoyenneté canadienne et qu'il se trouve à l'étranger, le requé- rant n'a pas le droit de demander son admission et n'est donc pas visé par la Charte.
Interprétation des lois Art. 19(2)a) de la Loi sur l'immi- gration de 1976 Le requérant a produit une déclaration faite par le ministre devant la Chambre des communes à l'occasion de la seconde lecture d'un projet de loi qui a été adopté comme loi Cette déclaration est irrecevable pour démontrer l'intention du législateur On n'a pas fait état des débats du Sénat ni de savoir si le projet de loi a été amendé avant d'être adopté Les discours prononcés devant le Parle- ment sont souvent faits pour servir des visées partisanes, ils ne constituent pas une loi et ils risquent d'énoncer incorrectement
la loi Ce sont les lois qui sont édictées qui s'appliquent L'art. 19(2)a) comprend les infractions hybrides.
Il s'agit d'une requête visant à faire annuler une décision par laquelle une demande de résidence permanente a été refusée et visant à obtenir une ordonnance fondée sur l'article 24 de la Charte déclarant que le paragraphe 19(2) de la Loi sur l'immi- gration de 1976 est incompatible avec l'article 15 de la Charte au motif qu'il crée une discrimination fondée sur l'âge. Le requérant a été reconnu coupable, au Royaume-Uni, d'avoir conduit un véhicule automobile alors que la proportion d'alcool dans son haleine dépassait la limite prescrite. Sa demande de résidence permanente a été refusée parce qu'aux termes du sous-alinéa 19(2)a)(i) de la Loi sur l'immigration de 1976, il n'était pas admissible au Canada parce qu'il était une personne qui avait été déclarée coupable d'une infraction qui, si elle avait été commise au Canada, pourrait être punissable par mise en accusation, et parce qu'il était une personne qui ne pouvait justifier auprès du ministre de sa réadaptation ni du fait qu'au moins cinq ans s'étaient écoulés depuis la date de l'expiration de sa peine, si elle était âgée d'au moins vingt et un ans lors de la déclaration de culpabilité. Le sous-alinéa 19(2)a)(ii) exige seulement que deux ans se soient écoulés depuis la date de l'expiration de la peine, si la personne était âgée de moins de vingt et un ans lors de la déclaration de culpabilité. Le requé- rant a produit la déclaration qu'a faite le ministre devant la Chambre des communes en proposant la deuxième lecture du projet de loi qui devait devenir la Loi sur l'immigration de 1976. L'article 253 du Code criminel, qui accorde au ministère public le choix du mode de poursuite de l'infraction, interdit la conduite d'un véhicule à moteur avec une alcoolémie dépassant 80 milligrammes d'alcool par 100 millilitres de sang.
Jugement: la requête devrait être rejetée.
L'article 17 de la Loi sur la preuve au Canada exige de prendre connaissance d'office des lois britanniques. Les élé- ments essentiels de l'infraction commise au R.-U. correspon dent à l'article 253 du Code criminel. Le requérant a donc été déclaré coupable d'une infraction qui, si elle était commise au Canada, constituerait une infraction prévue par une autre loi fédérale. Même s'il est peu probable que le ministère public choisisse de poursuivre par mise en accusation dans un cas de conduite avec alcoolémie dépassant 80 milligrammes, les infractions hybrides sont comprises à l'alinéa 19(2)a) à cause de l'expression «pourrait être punissable par mise en accusation».
Les déclarations des ministres ne sont pas recevables pour démontrer l'intention du législateur, parce qu'elles ne disent rien des débats qui ont lieu devant le Sénat et qu'elles ne permettent pas de savoir si le projet de loi a été amendé avant d'être adopté comme loi. Ces discours, qui sont souvent faits pour servir des visées partisanes ou pour un effet public, ne constituent pas une loi et peuvent énoncer incorrectement la loi. C'est la loi qui a été édictée qui s'applique.
L'alinéa 19(2)a) semble inconstitutionnel parce qu'il établit une distinction entre les adultes qui ont entre 18 et 21 ans et ceux qui ont plus de 21 ans. Cette distinction est contraire à l'article 15 de la Charte. La Couronne n'a pas réussi à démon- trer que cette discrimination fondée sur l'âge était justifiée en vertu de l'article premier de la Charte. Il ressort des études américaines et canadiennes menées au sujet des libérés condi- tionnels que ceux qui sont âgés de plus de 25 ans s'en tirent
invariablement mieux que ceux qui ont moins de 25 ans. Le requérant, qui est en 1941, présente statistiquement des risques de récidive moins élevés que les personnes plus jeunes. La Cour est toutefois liée par l'arrêt Conseil canadien des églises c. Canada de la Cour d'appel fédérale. Le requérant n'a pas qualité pour intenter un procès fondé sur la Charte parce que, comme il n'est pas titulaire de la citoyenneté canadienne et qu'il se trouve à l'étranger, il n'a pas le droit de demander son admission et il n'est donc pas visé par la Charte.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44], art. 1, 15.
Code criminel, L.R.C. (1985), chap. C-46, art. 253 (mod. par L.R.C. (1985) (4' suppl.), chap. 32, art. 59), 255 (mod. par L.R.C. (1985) (1 °r suppl.), chap. 27, art. 36).
Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), chap. C-5, art. 17.
Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 19(2)a), 83.1 (mod. par L.C. 1988, chap. 35, art. 19).
Transport Act, 1981 (R.-U.), 1981, chap. 56, art. 25, annexe 8, art. 12(2).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS SUIVIES:
Conseil canadien des églises c. Canada, [1990] 2 C.F. 534; (1990), 106 N.R. 61 (C.A.); Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; (1985), 17 D.L.R. (4th) 422; 12 Admin. L.R. 137; 14 C.R.R. 13; 58 N.R. 1.
DÉCISIONS MENTIONNÉES:
Brannon c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1981] 2 C.F. 141; (1980), 34 N.R. 411 (C.A.); Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; (1989), 56 D.L.R. (4th) 1; [1989] 2 W.W.R. 289; 34 B.C.L.R. (2d) 273; 36 C.R.R. 193; 91 N.R. 255; Wilson c. Ministre de la Justice, [1985] 1 C.F. 586; (1985), 13 Admin. L.R. 1; 20 C.C.C. (3d) 206; 6 C.P.R. (3d) 283; 46 C.R. (3d) 91; 16 C.R.R. 271; 60 N.R. 194 (C.A.); Ministre de la Justice du Canada et autre c. Borowski, [1981] 2 R.C.S. 575; (1981), 130 D.L.R. (3d) 588; [1982] 1 W.W.R. 97; 12 Sask.R. 420; 64 C.C.C. (2d) 97; 24 C.P.C. 62; 24 C.R. (3d) 352; 39 N.R. 331; Naredo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), T-1985-89, jugement en date du 24-7-90, C.F. r ° inst., encore inédit.
DOCTRINE
Canada, Débats de la Chambre des communes: compte rendu officiel, vol. III, 6' session, 21° législature, 10 juin 1952, aux pages 3277 et 3280.
Driedger, Elmer A., The Construction of Statutes, 2' éd., Toronto: Butterworths, 1974.
Gabor, Thomas, The Prediction of Criminal Behaviour: Statistical Approaches, Toronto: Univ. of Toronto Press, 1986.
Martin's Annual Criminal Code, 1990, with annotations by Edward L. Greenspan, Aurora, Ontario: Canada Law Book Inc., 1989.
AVOCATS:
David A. Bruner pour le requérant. L. April Burey pour les intimés.
PROCUREURS:
Abraham, Duggan, Hoppe, Niman, Scott, Toronto, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MULDOON: Il s'agit d'une triste affaire car il semble que le requérant, son épouse et leur enfant, qui paraissent être des immigrants de premier ordre, sont retardés dans leur demande de résidence permanente au Canada en raison d'un écart passager qui ne comporte pas une grande turpitude morale dans la conduite par ailleurs irréprochable du requérant. C'est avec beaucoup de regret que la Cour doit rejeter sa requête, parce que la seule autre solution aurait consisté pour la Cour à se faire complice d'une atteinte à la pri- mauté du droit, encore que cette atteinte eût été inspirée par la compassion.
Les avocats des deux parties conviennent que la présente instance peut être régulièrement intro- duite sans qu'il soit nécessaire d'obtenir l'autorisa- tion prévue à l'article 83.1 [Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52 (ajouté par L.C. 1988, chap. 35, art. 19)] de l'actuelle loi sur l'immigration.
En guise d'introduction aux présents motifs, il convient de reproduire la réparation sollicitée dans l'avis de requête que le requérant a déposé le 7 juillet 1988. Dans cet avis, le requérant sollicite: [TRADUCTION] ... une réparation de la nature d'un bref de certiorari en vertu de l'alinéa 18a) de la Loi sur la Cour fédérale, S.C. 1970-1971-1972, chap. 1, annulant la décision du 21 mars 1988 par laquelle les intimés ont rejeté la demande de résidence permanente au Canada de Mayurchandra Khimji
Ruparel au motif que le requérant n'est pas admissible au Canada parce qu'il relève d'un des cas visés par le sous-alinéa 19(2)a)(i) de la Loi sur l'immigration de 1976, une ordonnance de la nature d'un bref de mandamus en vertu de l'alinéa 18a)
[en question] enjoignant aux intimés de réexaminer ladite demande de résidence permanente au Canada conformément à
la Loi sur l'immigration de 1976 (modifiée) et au Règlement sur l'immigration de 1978 (modifié), et une ordonnance ou une réparation fondée sur le paragraphe 24(1) de la Charte cana- dienne des droits et libertés déclarant que le paragraphe 19(2) de la Loi sur l'immigration de 1976 (modifiée) est incompati ble avec les dispositions de l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés dans la mesure il crée une discrimina tion fondée sur l'âge, laquelle discrimination n'est pas une restriction prescrite par une règle de droit, dans des limites qui sont raisonnables et dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique, et déclarant que les dispositions incompatibles du paragraphe 19(2) sont inopé- rantes en vertu du paragraphe 52(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, ou toute autre ordonnance que la Cour jugera bon de prononcer.
Dans son affidavit, le requérant relate les événe- ments malheureux qui ont conduit au rejet de sa demande en vertu du sous-alinéa 19(2)a)(i) de la Loi sur l'immigration de 1976, modifiée (ci - après appelée la Loi). Voici les paragraphes pertinents de l'affidavit:
[TRADUCTION] 1. Je suis un citoyen du Royaume-Uni.
2. Je suis marié à Jozica Ruparel, une citoyenne de la Yougoslavie.
3. Ma femme et moi avons un fils, Nicholai Ruparel, qui est un citoyen du Royaume-Uni.
4. Je suis comptable professionnel et ma femme est secrétaire administrative.
8. Sur l'avis du Haut-commissariat du Canada, nous sommes entrés en communication avec mon frère, Sudhir Khimji Bhanji Ruparel, qui est un citoyen canadien et qui réside à Aurora, en Ontario. Le 19 janvier 1988, mon frère a signé en notre faveur un engagement d'aide (catégorie des parents aidés) au Centre d'immigration du Canada de Toronto-Est. J'ai joint au présent affidavit comme annexe C une copie conforme de l'engagement d'aide du garant.
9. Le 4 janvier 1988, ou vers cette date, sur le chemin Great North, à Barnet (Hertsfordshire), j'ai été inculpé d'avoir con duit un véhicule automobile sur une route après avoir con- sommé une quantité d'alcool telle que la proportion d'alcool dans mon haleine dépassait la limite prescrite, en violation de l'article 6 et de l'annexe 4 de la British Road Traffic Act 1972, remplacés par l'article 25 et l'annexe 8 de la British Transport Act 1981. J'ai joint au présent affidavit comme annexe D une copie conforme de l'acte d'accusation que la Barnet Metropoli tan Police m'a remis. J'ai joint au présent affidavit comme annexe E une copie conforme des résultats du prélèvement que la Barnet Metropolitan Police m'a remis le 4 janvier 1988 au sujet des deux échantillons d'haleine que j'ai fournis, lesquels résultats font l'objet de l'accusation de conduite en état d'ébriété susmentionnée.
10. Les résultats du prélèvement indiquent que le premier échantillon d'haleine que j'ai fourni contenait 57 milligrammes [sic] d'alcool par 100 millilitres d'haleine et que le second échantillon d'haleine contenait 56 milligrammes [sic] d'alcool par 100 millilitres d'haleine.
11. Le 18 janvier 1988, ou vers cette date, je me suis présenté au palais de justice de Barnet, sur la rue High, à Barnet, et j'ai reconnu ma culpabilité à l'infraction de conduite en état d'ébriété. J'ai été condamné à une amende de 225 livres sterling et mon permis de conduire a été suspendu pour une période d'un an.
12. Au cours du mois de mars de 1988, ma femme et moi avons été reçus en entrevue par un agent des visas au Haut-commissa riat du Canada à Londres.
13. Au cours de cette entrevue, j'ai révélé l'existence de la condamnation susmentionnée à l'agent des visas, le deuxième secrétaire F.J. Mark.
14. Par lettre datée du 21 mars 1988, dont une copie conforme est jointe au présent affidavit comme annexe F, le Haut-com missariat du Canada à Londres m'a informé que ma demande de résidence permanente au Canada était refusée parce qu'on avait conclu que je n'étais pas admissible au Canada parce que je relevais d'un des cas visés par le sous-alinéa 19(2)a)(1) de la Loi sur l'immigration de 1976.
15. À l'exception de la condamnation pour conduite en état d'ébriété datée du 18 janvier 1988, je n'ai jamais été déclaré coupable d'un crime ou d'une infraction.
16. Au cours de la soirée du 4 janvier 1988, mon dernier jour de travail chez Canada Life Insurance Company de Potters Bar (R.-U.), j'ai bu deux pintes et demie de bière avec mes collè- gues de travail. Vers 21 h, la police m'a arrêté alors que je rentrais chez moi en voiture. J'ai expliqué aux policiers, et par la suite à la cour, que j'avais fait une bêtise en prenant le volant après avoir bu. Je ne bois qu'à l'occasion et je n'abuse pas d'alcool.
Au paragraphe 10 ci-dessus, le requérant doit s'être trop fié à ses procureurs: l'accusation parlait de microgrammes, et non de milligrammes d'alcool par 100 millilitres d'haleine.
Au paragraphe 16, le requérant relate son écart de conduite passager et sans doute inusité. Si seulement il avait pris un taxi! C'est ce que se disent, avec regret, beaucoup de personnes qui, comme le requérant, doivent en conséquence «s'ac- quitter de leur dette envers la société».
Le requérant a été condamné à une amende et a eu son permis de conduire suspendu pendant un an. Ce sont les deux volets de la peine qui lui a été infligée après qu'il eut été reconnu coupable de l'infraction suivante:
[TRADUCTION] ... d'avoir conduit un véhicule automobile sur une route ou dans un autre endroit public après avoir con- sommé une quantité d'alcool telle que la proportion d'alcool dans votre haleine dépassait la limite prescrite.
En violation de l'article 6 et de l'annexe 4 de la British Road Traffic Act, 1972, remplacés par l'article 25 et l'annexe 8 de la British Transport Act, 1981. (Annexe D du requérant.)
La seconde loi susmentionnée [Transport Act, 1981 (U.K.), 1981, chap. 56] dispose, à son para- graphe 25(3):
[TRADUCTION] 25. .. .
(3) Les articles 6 à 12 de la Loi de 1972 sont remplacés par les articles énoncés à l'annexe 8.
Le nouvel article 6 parle de la proportion d'alcool dans [TRADUCTION] «l'haleine, le sang ou l'urine» [soulignement ajouté] d'une personne, tout comme l'ancien article. Il se trouve dans la Transport Act, 1981 mentionnée dans l'accusation précitée. La «limite prescrite» est définie comme suit au para- graphe 12(2) de l'annexe 8:
[TRADUCTION] 12. ...
(2) ... selon le cas
a) 35 microgrammes d'alcool par 100 millilitres d'haleine;
b) 80 milligrammes d'alcool par 100 millilitres de sang; ou
c) 107 milligrammes d'alcool par 100 millilitres d'urine;
ou toute autre proportion prescrite par règlement pris par le
Secrétaire d'État.
On n'a pas appelé l'attention de la Cour sur l'exis- tence d'un tel règlement qui aurait été en vigueur en janvier 1988. Chaque proportion définie d'al- cool équivaut aux deux autres. Il y a seulement lieu de noter que l'article 17 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), chap. C-5, exige de prendre connaissance d'office de toutes les lois du Parlement impérial. En conséquence, la Cour doit prendre connaissance d'office de la «dette envers la société» dont les personnes qui se trouvent au Royaume-Uni doivent s'acquitter pour la perpétration de l'infraction définie ci-dessus et des éléments constitutifs de l'infraction.
Le requérant se voit cependant infliger une «dette» plus lourde que la plupart des autres citoyens britanniques parce qu'il cherchait alors à immigrer avec sa famille au Canada. C'est la loi canadienne qui lui inflige l'autre peine, qui est prévue par la Loi:
19....
(2) Ne peuvent obtenir l'admission, les immigrants et, sous réserve du paragraphe (3), les visiteurs qui
a) ont été déclarés coupables d'une infraction qui constitue, qu'elle ait été commise au Canada ou à l'étranger, une
infraction qui peut être punissable par voie d'acte d'accusa- tion, en vertu d'une autre loi du Parlement, d'une peine maximale de moins de dix ans d'emprisonnement, à l'excep- tion de ceux qui établissent à la satisfaction du Ministre qu'ils se sont réhabilités et:
(i) qu'au moins cinq ans se sont écoulés depuis la date de l'expiration de leur peine, au cas l'auteur était âgé d'au moins vingt et un ans lors de la déclaration de culpabilité, ou
(ii) qu'au moins deux ans se sont écoulés depuis la date de l'expiration de leur peine, au cas l'auteur était âgé de moins de vingt et un ans lors de la déclaration de culpabi- lité; [Soulignement ajouté.]
On remarquera que les sous-alinéas (i) et (ii) établissent une distinction, sinon une inégalité dis- criminatoire, entre les personnes qui sont âgées de moins de 21 ans et celles qui sont âgées d'au moins 21 ans.
Un autre aspect remarquable de l'alinéa 19(2)a), du moins en ce qui concerne les préten- tions que le requérant formule de toute évidence d'un ton convaincu, est qu'il ne parle pas du tout de «crime» ou de «turpitude morale», malgré l'ex- ception qu'il prévoit dans le cas de «ceux qui établissent à la satisfaction du Ministre qu'ils se sont réhabilités». Il devrait être rudement facile d'apporter cette preuve lorsqu'on a été condamné une seule fois dans sa vie pour avoir conduit avec une proportion excessive d'alcool dans l'haleine, le sang ou l'urine. Cependant, au lieu de parler de «crime» ou de «turpitude morale», la Loi ne parle que d'«infraction ... en vertu d'une autre loi fédé- rale», laquelle expression englobe une multitude non seulement d'actes interdits par la loi, mais aussi bien sûr d'actes mauvais en eux-mêmes, les «véritables» crimes. Tous les crimes sont des infrac tions, mais ce ne sont pas toutes les infractions qui sont des crimes, et le législateur fédéral a tout simplement évité toute distinction en adoptant le terme plus large «infraction» à l'alinéa 19(2)a) de la Loi.
Les Lois révisées du Canada de 1985 sont entrées en vigueur le 12 décembre 1988, mais entre temps, certaines dispositions législatives res- sortissant au domaine du droit criminel ont en fait modifié les L.R.C. de 1985, de sorte qu'on peut commodément trouver les dispositions applicables en l'espèce aux articles 253 et 255 du Martin's Annual Criminal Code, 1990. Ces dispositions du Code criminel [L.R.C. (1985), chap. 46 (mod. par
L.R.C. (1985) (4 e suppl.), chap. 32, art. 59)] sont les infractions prévues par «une autre loi du Parle- ment» dont il est question à l'alinéa 19(2)a):
253. Commet une infraction quiconque conduit un véhicule à moteur ...
b) lorsqu'il a consommé une quantité d'alcool telle que son alcoolémie dépasse quatre-vingts milligrammes d'alcool par cent millilitres de sang.
Comme il n'est pas un code de la route, le Code criminel ne limite pas l'infraction ci-dessus aux seuls cas elle est commise sur une grande route, dans une rue ou sur un chemin ou le long de ceux-ci. On constate donc ici l'existence au Canada d'une infraction de conduite d'un véhicule à moteur sur une route ou hors d'une route ou dans un autre endroit public ou privé, après avoir con- sommé une quantité d'alcool telle que l'alcoolémie dépasse 80 milligrammes d'alcool par 100 millili tres de sang (ou son équivalent de 35 microgram- mes d'alcool par 100 millilitres d'haleine).
Malheureusement, il semble que le requérant a été déclaré coupable au R.-U. d'une infraction qui, si elle avait été commise au Canada, constituerait une infraction prévue par une autre loi fédérale, le Code criminel. Mais s'agit-il d'une infraction qui «peut être punissable par voie d'acte d'accusation» en vertu du Code criminel? Hélas oui. L'article 255 [mod. par L.R.C. (1985) (l er suppl.), chap. 27, art. 36] du Code dispose notamment:
255. (1) Quiconque commet une infraction prévue à l'article 253 ou 254 est coupable d'une infraction punissable sur décla- ration de culpabilité par procédure sommaire ou par mise en accusation et est passible:
a) que l'infraction soit poursuivie par mise en accusation ou par procédure sommaire, des peines minimales suivantes:
(i) pour la première infraction, une amende minimale de trois cents dollars,
(ii) pour la seconde infraction, un emprisonnement mini mal de quatorze jours,
(iii) pour chaque infraction subséquente, un emprisonne- ment minimal de quatre-vingt-dix jours;
b) si l'infraction est poursuivie par mise en accusation, d'un emprisonnement maximal de cinq ans;
c) si l'infraction est poursuivie par procédure sommaire, d'un emprisonnement maximal de six mois.
(2) Quiconque commet une infraction prévue à l'alinéa 253a) et cause ainsi des lésions corporelles à une autre personne est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonne- ment maximal de dix ans.
(3) Quiconque commet une infraction prévue à l'alinéa 253a) et cause ainsi la mort d'une autre personne est coupable
d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de quatorze ans.
C'est une «infraction hybride» qui accorde au ministère public un choix quant à la façon de poursuivre.
Or, il semblerait très peu probable que le minis- tère public aurait poursuivi le requérant par mise en accusation si celui-ci avait commis l'infraction au Canada. Par bonheur, il semble qu'il n'ait pas causé la mort, des lésions corporelles ou des dom- mages matériels. Néanmoins, ce sont les disposi tions de l'alinéa 19(2)a) qui s'appliquent, telles qu'elles ont été édictées.
Pour le compte du requérant, on a joint à l'affi- davit de Janet Rowsell l'annexe «C», une [TRA- DUCTION] «copie d'un extrait des débats parlemen- taires du 10 juin 1952 de la Chambre des communes du Canada, y compris la déclaration qu'a faite le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, W. E. Harris, en proposant la deuxième lecture du projet de loi 305 concer- nant l'immigration». Dans son ouvrage fort res pecté, The Construction of Statutes, Butterworths, Toronto, au chapitre 8 intitulé [TRADUCTION] «Contexte extérieur», Elmer A. Driedger affirme, à la page 130: [TRADUCTION] «Il est bien établi que les débats parlementaires sont irrecevables pour démontrer l'intention du législateur». L'auteur ren- voie ensuite à des précédents de poids. Même si elle était recevable pour rendre compte de sa com- préhension et de son intention ce jour-là, la décla- ration de M. Walter E. Harris consignée dans le compte rendu des débats de la Chambre des com munes ne dit rien des débats qui ont eu lieu devant le Sénat, cet organe à plusieurs membres du corps législatif bicaméral du Canada, et ne permet pas de savoir si le projet de loi 305 a été amendé avant d'être édicté. Le requérant n'en souffle pas mot non plus.
Driedger souligne que si le discours du ministre n'est pas recevable pour démontrer l'intention du législateur, il pourrait donc logiquement être «davantage» recevable pour établir [TRADUCTION] «le mal ou l'abus» [qui a suscité la présentation du projet de loi]. L'éminent auteur fait toutefois observer (aux pages 130 et 131): [TRADUCTION] «L'irrecevabilité du discours prononcé par un ministre devant le Parlement aux fins d'établir l'abus que l'on voulait réformer tient peut-être au fait qu'une commission royale est censée être
objective, et que les dépositions qui lui sont présen- tées sont normalement faites sous serment.»
Il existe d'autres bonnes raisons d'écarter les discours faits au cours des débats parlementaires: ils ne constituent pas une loi, ils énoncent parfois incorrectement la loi, et ils sont souvent faits pour servir des visées partisanes ou pour un effet public. Dans le cas qui nous occupe, alors que le ministre a fièrement fait état la page 3277 du compte rendu officiel des débats de la Chambre) de la dichotomie qui existait entre les personnes âgées de moins de 21 ans et celles d'au moins 21 ans, le porte-parole de l'opposition, M. Donald Fleming, en se réjouissant des réformes proposées la page 3280), a choisi de passer sous silence cette dichoto- mie en traitant, dans ses observations, des person- nes «qui, s'étant rendues coupables de crimes impliquant turpitude morale, ont néanmoins retrouvé leur place dans la société ou, comme le dit le projet de loi, se sont réhabilitées». Entre ces deux personnes, qui sont membres d'une des deux chambres du Parlement, quelle est celle dont on peut dire que sa version révèle des secrets d'interprétation?
Ni l'un ni l'autre des orateurs ne «dit» la loi: c'est le Parlement (qui est composé du Souverain, du Sénat et des Communes) qui «édicte» les lois. Il faut supposer que le Parlement a bien pesé ses mots, surtout dans le cas qui nous occupe, puisqu'il n'y a pas d'énigme ou d'autres ambiguïtés dans le texte de la loi à cet égard. En conséquence, ce sont les dispositions de l'alinéa 19(2)a) qui ont été édictées qui s'appliquent en l'espèce.
Ces dispositions ne parlent pas d'une infraction qui aurait probablement été poursuivie comme une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, ni encore d'une infrac tion hybride qui aurait pu être poursuivie par mise en accusation et elles ne prévoient pas d'exemption pour ce genre d'infractions. Au contraire, à l'alinéa 19(2)a) de la Loi, le législateur parle de façon bien nette et bien claire d'«une infraction qui peut être punissable par voie d'acte d'accusation, en vertu d'une autre loi du Parlement» [soulignement ajouté], et les mots soulignés englobent évidem- ment l'infraction qui pourrait peut-être ne pas être punissable par mise en accusation, mais plutôt par procédure sommaire, comme celle qu'on trouve à l'article 253 du Code criminel. Les éléments essen-
tiels de chacune des infractions correspondent (Brannson c. Le ministre de l'Emploi et de l'Im- migration, [1981] 2 C.F. 141 (C.A.), aux pages 152 et 153).
Compte tenu du fait que les lois fédérales et provinciales canadiennes fixent l'âge général de la majorité à 18 ans, les sous-alinéas 19(2)a)(1) et (ii) établissent une distinction entre les adultes qui ont entre 18 et 21 ans et qui sont visés par le sous-alinéa (i) et les adultes âgés d'au moins 21 ans qui sont visés par le sous-alinéa (ii). La distinc tion, qui est prescrite par la règle de droit précitée, ne semble pas être raisonnable et sa justification ne semble pas pouvoir se démontrer au sens de l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44]]. D'ailleurs, la Couronne, qui défend en l'espèce ces limites prescrites par une règle de droit, n'a pas réussi à démontrer la justification d'une distinction aussi stérile entre des adultes qui sont âgés de plus de 18 ans.
La stérilité de cette disposition semble résider dans le fait qu'elle fait plus de mal que de bien, hormis qu'elle crée une discrimination non perti- nente fondée sur des caractéristiques personnelles, en violation du paragraphe 15 (1) de la Charte (Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143). Les sous-alinéas (i) et (ii) font certainement plus de mal que de bien suivant Thomas Gabor, dont un extrait de son ouvrage The Prediction of Criminal Behaviour: Statistical Approaches, 1986 Univ. of Toronto Press, est joint comme annexe H à l'affidavit de Janet Rowsell que le requérant a déposé. Les passages suivants, tirés des pages 36 et 37 de cet ouvrage, sont parmi les plus pertinents:
[TRADUCTION] Comme dans les deux études de cohorte que nous venons tout juste de citer, on a établi une corrélation certaine entre une délinquance ayant débuté à un âge précoce et le nombre total de démêlés avec la justice criminelle. Parmi les conclusions intéressantes, mentionnons celle suivant laquelle les individus qui avaient eu au moins quatre démêlés avant l'âge de 18 ans avaient plus de chances que la moyenne de dépasser ce nombre après avoir atteint l'âge de 18 ans, tandis que dans le cas de ceux qui avaient eu trois démêlés ou moins, la situation était inversée: moins que la moitié d'entre eux avaient eu plus de démêlés que ceux qu'ils avaient eus avant l'âge de 18 ans. Cela semble indiquer une intensification de la criminalité chez les individus qui étaient déjà criminellement actifs à l'adoles-
cence et une atténuation pour ceux qui ne s'étaient pas engagés à fond de train dans des activités criminelles.
Une autre façon d'étudier le facteur de l'âge consiste à faire le suivi des personnes de divers âges qui sont libérées sous condition. Dans une étude menée à la grandeur des États-Unis qui a été publiée en 1968 et qui portait sur 7 245 libérés conditionnels, Babst, Koval et Neithercutt (1972) ont constaté que les probabilités de succès de la libération conditionnelle étaient pratiquement invariables d'un groupe d'âge à l'autre. Les auteurs avaient notamment comparé des personnes âgées de 19 ans et moins avec des personnes de plus de 40 ans. Cependant, lorsque les contrevenants étaient classés selon leurs antécédents judiciaires et leurs problèmes de drogue et d'alcool, ceux qui étaient âgés de plus de 25 ans s'en tiraient invariable- ment mieux que ceux qui avaient moins de 25 ans. Dans une étude canadienne menée au sujet de 423 personnes libérées sous condition en Ontario en 1968, Waller (1974), qui utilisait la même limite d'inclusion de 25 ans, a constaté que les libérés conditionnels les plus jeunes présentaient des risques de récidive sensiblement plus élevés que ceux qui se retrouvaient dans les catégories plus âgées.
Le requérant, qui est en mars 1941, présente, avec les autres personnes de son âge, des risques moins élevés que les personnes de sexe masculin âgées de moins de 18 ans d'avoir d'autres compor- tements criminels ou de commettre d'autres infrac tions. La distinction fondée sur l'âge qu'établit l'alinéa 19(2)a) semble injuste et injustifiable.
Si le débat était vidé, la Cour pourrait accorder les ordonnances de bref de certiorari et de manda- mus sollicitées par le requérant. La Cour conclu- rait ensuite que la distinction qu'on trouve aux sous-alinéas (i) et (ii) est inopérante et, partant, qu'elle ne s'applique pas au requérant parce qu'elle constitue une violation de l'article 15 de la Charte. Malheureusement pour le requérant, la présente affaire ne se limite pas à ce que nous venons d'examiner.
Même si les intimés ont reconnu que les exigen- ces formulées par le juge Mahoney de la Section d'appel de notre Cour dans l'arrêt Wilson c. Ministre de la Justice, [1985] 1 C.F. 586 ont été respectées—et ils admettent que la présente demande de jugement déclaratoire ne devrait pas être rejetée au seul motif qu'elle n'a pas été intro- duite au moyen d'une déclaration—le requérant n'est pas pour autant au bout de ses peines. Il reste à examiner encore une autre question, qui pourrait être assimilée à la qualité pour agir, ou à l'intérêt du requérant pour exercer le présent recours. Pour
examiner cette question, il faut relater brièvement le déroulement de la présente instance.
L'audition de la présente affaire a eu lieu à Toronto le 30 octobre 1989. La Cour a invité les avocats des deux parties à lui présenter des obser vations par écrit, selon un échéancier se terminant vers le 5 décembre 1989. Les avocats ont fidèle- ment respecté les délais qui leur étaient impartis. Mais on s'est alors rendu compte que l'arrêt que la Section d'appel s'apprêtait à rendre au sujet de l'appel interjeté par la Couronne dans l'affaire Conseil canadien des églises c. Canada, [1990] 2 C.F. 534, éclaircirait probablement la question de la qualité pour agir à laquelle le requérant à l'instance doit faire face en l'espèce, et qu'il fallait attendre l'arrêt de la Section d'appel, si celui-ci paraissait raisonnablement imminent. La Section d'appel a entendu l'affaire en janvier de 1989 et son jugement unanime a été prononcé par le juge MacGuigan le 12 mars 1990, au début d'une période longue et inopportune pour la formulation des motifs de notre Cour dans l'affaire qui nous occupe.
Dans l'arrêt Conseil canadien des églises, on a étudié à fond la question de la qualité pour intro- duire une action fondée sur la Charte et l'arrêt de la Section d'appel a en partie effectivement dit le droit en ce qui concerne la qualité pour agir du requérant à l'instance. Cet arrêt a jeté un jour nouveau sur la question et a réitéré d'anciens principes. Le Conseil a déposé sa déclaration en janvier de 1989. Il sollicitait un jugement décla- rant inconstitutionnelles la plupart des dispositions essentielles de la nouvelle Loi sur l'immigration [L.R.C. (1985), chap. I-2], ainsi que plusieurs des dispositions de l'ancienne loi, au motif qu'elles violaient la Charte et la Déclaration canadienne des droits [L.R.C. (1985), appendice III]. L'État a présenté une demande fondée sur la Règle 419(1) [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663] en vue de faire radier la déclaration au motif que le Conseil des églises n'avait pas qualité pour demander un jugement déclarant des dispositions législatives inconstitutionnelles et que de toute façon la déclaration ne révélait pas une cause raisonnable d'action.
Suivant l'approche de la question de la qualité pour agir qui a été cristallisée dans l'arrêt Ministre de la Justice du Canada et autre c. Borowski
[Borowski 1], [1981] 2 R.C.S. 575, avant la promulgation de la Charte mais après l'entrée en vigueur de la Déclaration canadienne des droits, les règles de droit, telles que le juge d'appel Mac- Guigan les a exposées dans l'arrêt Conseil des églises, peuvent être interprétées comme accordant aux plaideurs le choix de démontrer qu'ils sont personnellement touchés ou d'établir qu'ils ont le droit de se voir reconnaître la qualité pour agir dans l'intérêt du public. En l'espèce, il est évident que le requérant est effectivement personnellement touché par l'application de l'alinéa 19(2)a) de la Loi; il n'est donc pas nécessaire d'examiner l'autre option.
Comme je l'ai déjà signalé, vu les faits de la présente affaire, la Cour serait tout à fait disposée à accorder à ce requérant apparemment valable la réparation qu'il sollicite, y compris un jugement déclaratoire. La Cour constate volontiers que le Canada a le droit incontestable d'interdire de séjour et de résidence les personnes qui ont des penchants criminels, mais au nom de la logique et du bon sens, il appert (du moins au vu du dossier) que le requérant est un bon citoyen qui n'a pas de penchants criminels et qui n'a pas commis de méfaits barbares. (On peut signaler, par contraste, l'affaire Naredo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), T-1985-89, 24 juillet 1990, C.F. lre inst.). Le requérant a violé la loi au Royaume-Uni en conduisant en état d'ébriété et, heureusement, il n'a pas causé de blessures ou de dommages. Il semblerait qu'il s'était probablement entièrement «amendé» et qu'il avait résolu de ne plus jamais commettre de fautes semblables au moment précis il a aperçu le policier qui lui a demandé d'immobiliser sa voiture. En tout état de cause, il semble effectivement que l'alinéa 19(2)a) de la Loi est inconstitutionnel.
Hélas, le requérant ne peut obtenir les répara- tions qu'il sollicite tout à fait justement. Dans l'arrêt Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, aux pages 201 et 202, le juge Wilson, qui rédigeait le juge- ment d'une partie des juges de la Cour suprême du Canada, dont l'opinion était divisée en parts égales dans cette affaire, a examiné l'application de la Charte et en est venue à la conclusion suivante:
L'avocat du Ministre admet que «Chacun» est suffisamment général pour inclure les appelants et je suis disposée à accepter que ce mot englobe tout être humain qui se trouve au Canada
et qui, de ce fait, est assujetti à la loi canadienne. [Non souligné dans le texte original.]
Voilà sans nul doute le point de référence dont s'est servi le juge d'appel MacGuigan dans l'arrêt Conseil des églises dans lequel, au sujet de cer- tains éléments invoqués dans la déclaration, il a déclaré à la page 563:
Cette assertion pourrait fonder la qualité pour agir, mais elle ne saurait constituer une cause raisonnable d'action car les person- nes touchées seraient toutes des personnes non titulaires de la citoyenneté canadienne, se trouvant à l'étranger et n'ayant pas le droit de demander leur admission, et qui ne seraient donc pas visées par la Charte.
Il serait tentant de dire que, comme au moment il a révélé sa condamnation il se trouvait au Haut-commissariat du Canada à Londres et que la lettre dans laquelle il a invoqué l'alinéa 19(2)a) émanait de cet endroit et que le Haut-commissa riat est, sinon de facto, du moins de jure le Canada, le requérant échappe à la non-admissibi- lité qui s'applique dans son cas (paragraphes 12 à 14 de l'affidavit du requérant). Cela serait sûre- ment une fiction juridique dans la tradition de la common law. Les arrêts rendus par les deux cours d'appel sont cependant trop clairs et, dans le cas de l'arrêt unanime de la Section d'appel de notre Cour, trop récents pour être dilués par une fiction juridique, aussi valable que soit la cause. Il con- vient de noter que, dans l'arrêt Singh, la formation collégiale qui était composée de la moitié des juges de la Cour suprême du Canada (le juge Beetz, qui a rédigé l'opinion de l'autre moitié, s'est abstenu d'exprimer une opinion sur cette question) n'a pas énoncé d'exigence en matière de citoyenneté; c'est en fait tout à fait le contraire, car un étranger peut invoquer au Canada tous les droits prévus par la Charte qui ne sont pas réservés aux citoyens.
Un jour peut-être, un requérant qui se trouve au Canada bénéficiera d'un intérêt pour agir suffisant et fera preuve d'assez de détermination pour pré- senter le même genre de requête. Il serait préféra- ble que cette personne soit un demandeur qui introduise une action de la nature d'un procès conduisant à une instruction, car il se peut que le consentement accordé en l'espèce ne se reproduise jamais. Dans l'intervalle, le requérant doit malheu- reusement être débouté de sa requête, conformé- ment à l'arrêt unanime prononcé par la Section d'appel dans l'affaire Conseil canadien des églises,
[1990] 2 C.F. 534. Il ne sera pas condamné à payer les dépens des intimés, malgré la haute qualité professionnelle dont l'avocat de ceux-ci a fait preuve. Les avocats des deux parties méritent d'être félicités.
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